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Dossier pédagogique complémentaire COLLEGE AU CINEMA 53 1 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

Dossier pédagogique complémentaire - ac-lyon.fr · "Cria cuervos y te sacaron les ojos" ("Nourris les corbeaux, ... Le titre du film fait référence à un proverbe « Cría cuervos

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Dossier pédagogique complémentaire

COLLEGE AU CINEMA 53

1 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

TABLE DES MATIÈRES1 Le film et son contexte.................................................................3

1 L'impossible vraie vie..............................................................................32 La mort est partout.................................................................................33 Carlos Saura, réalisateur........................................................................4

2 Approches du film........................................................................51 Une métaphore politique........................................................................52 Esthétique du film: point de vue et construction dramatiques................5

1 Le point de vue......................................................................................................52 Le temps dans le film.............................................................................................63 Les apparitions de Maria.......................................................................................64 Les interventions de Ana adulte..........................................................................75 Un travail de mémoire............................................................................................9

3 Les personnages....................................................................................91 Ana et sa mère ......................................................................................................92 Ana et ses sœurs.................................................................................................103 Ana et Rosa.........................................................................................................104 Ana et Paulina......................................................................................................105 Ana et sa grand-mère..........................................................................................11

4 L'espace du film....................................................................................111 Le confinement intérieur......................................................................................112 Le sexe et la mort................................................................................................113 La propriété de Nicolà et Amélia.........................................................................12

5 La bande son........................................................................................121 Les musiques.......................................................................................................122 Les bruits de la ville.............................................................................................123 Les dialogues/ monologues.................................................................................13

3 Annexes.....................................................................................141 L' Espagne franquiste dans les années 1970 /75.................................142 Les personnages: Le repas..................................................................163Au sujet des pattes de poulet................................................................174 Étude de séquence: le dédoublement d'Ana .......................................18

4 Exploitation pédagogique...........................................................201 Préparation au film...............................................................................202 Présentation des personnages: autour de la table...............................203 Étude du générique ............................................................................204 Étude de séquences.............................................................................205 Les musiques du film............................................................................206 Les relations familiales.........................................................................207 Thématique de la mort..........................................................................218 Une critique métaphorique du régime franquiste..................................21

5 Sources et Sites à consulter......................................................22

2 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

1 LE FILM ET SON CONTEXTE

1 L'impossible vraie vie Avec Cría Cuervos, Carlos Saura travaille seul, pour la première fois, à l'écriture d'un

film, sans la collaboration habituelle de Rafael Azcona, et il construit une fable parfaitement homogène, fermée sur elle-même, un système de narration efficace qui fait circuler le spectateur, par un jeu permanent et subtil d'allers et retours, du particulier au général, du réel au symbolique. Ainsi de l'espace constitué par la maison, royaume intemporel isolé derrière ses murs, au beau milieu d'une Espagne urbaine contemporaine gagnée par l'évolution des techniques. Ainsi du microcosme social décrit comme un univers sans couple, réduit à la seule image présente/absente du Père. Ainsi du langage officiel qui bloque toute communication, laquelle ne peut sporadiquement s'établir qu'entre l'enfant et ceux qui, symboliquement, n'ont pas (ou n'ont pas droit à) la parole : la grand-mère aphasique, la bonne.

Un tel système moral condamne les individus à vivre une dichotomie stérile. Pour les adultes, la vraie vie est toujours ailleurs, dans un rêve dont on cerne mal les contours fuyants (adultère, névrose). Pour l'enfant, rejeté du monde trouble et incohérent des adultes, l'exutoire est dans le jeu qui organise et exorcise un univers incompréhensible et menaçant. Ce thème du dédoublement gouverne d'autres films de Saura, lequel sème dans Cría Cuervos les indices qui permettent de raccorder ce film à des œuvres antérieures en forme de fables dont l'argument privé renvoie toujours à l'histoire collective (Pepermint frappé , la Chase, La cousine Angelique...) . Cría Cuervos est l'une des œuvres les plus achevées et aussi les plus désespérées de Carlos Saura. Le « tube » Porque te vas, qui en constitue la musique diégétique, a contribué aussi à sa popularité exceptionnelle.

2 La mort est partout

"Cria cuervos y te sacaron les ojos" ("Nourris les corbeaux, et ils t'arracheront les yeux") dit le proverbe espagnol, dont est tiré le titre du film. L'image est d'autant plus belle qu'elle est très parlante : quand Ana, dix ans, caresse le visage de son père mort puis lave le verre de lait avec lequel elle pense l'avoir empoisonné, le contraste est violent entre l'innocence de l'enfant et ses méthodes de serial-killeuse aux traits durs et impassibles. Qu'importe si le poison (en fait, du bicarbonate) est véritablement efficace : l'important, pour Carlos Saura, est qu'Ana y croit et garde en tête l'idée fixe de tuer qui elle désire, ou le désire.

La mort est partout dans la vie d'Ana depuis que sa mère s'est éteinte après une affreuse et longue maladie. L'enfant l'appelle comme un exutoire à sa souffrance : en cherchant à tuer son père, puis sa tante Paulina, et en proposant à sa grand-mère de l'aider à mourir, elle se confronte à quelque chose qui la dépasse, qu'elle ne comprend pas très bien, et qui exerce sur elle une fascination dérangeante. Fascination qui peut rapidement se transformer en rejet : après avoir caressé les cheveux de son père mort, elle refuse d'embrasser son front dans son cercueil. Comme si la petite fille refusait l'idée que la mort puisse se concevoir de cette manière, dans l'immobilité tragique d'un corps. Ainsi, lorsqu'elle propose à sa grand-mère de lui fournir du poison, Ana l'inclut dans une vision positive de la mort, comme un remède à une triste vie qui n'a plus de sens

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Vingt an après la mort de Franco, ce film sort et trouble encore de nos jours le public, parce qu'il est à la fois un regard universel sur la culpabilité de l'enfance (d'où ce jeu sur les temps de la narration qui rend ce film difficilement explicable et pourtant d'une clarté sensitive incroyable) et une critique de la société franquiste et post -franquiste, avec ses dimensions de mensonge, d'interdit, de douleur et de révolte. La re-sortie de Cría Cuervos est plus qu'un événement, plus qu'un retour...

CRITIKAT.COM - Article d'Ophélie WEIL

3 Carlos Saura, réalisateur

Saura a 4 ans lorsque la guerre civile se déclenche en Espagne, 7 ans lorsque Franco accède au pouvoir et instaure la dictature. C'est donc sous ce régime qu'il va grandir, faire ses études ( photographie et cinéma) . Issu d'une famille d'artistes anti franquiste, son combat à venir était en quelque sorte inscrit dans ses gènes!

Son premier long métrage Los golfos ( les bandits ) en 1959 sera démonté par la censure. A partir de là, il va s'ingénier à la contourner. Il met au point une nouvelle esthétique, plus cryptée, parcourue de symbolisme, de jeu sur la réalité et le fantasme, la mémoire, l'inconscient.

Il visite désormais le poids du passé, les frustrations et les humiliations vécues par les habitants de son pays à travers des œuvres rigoureuses et sophistiquées destinées à un public exigeant et confidentiel, comme La cousine Angélique prix du Jury au festival de Cannes 1974 ou Anna et les loups en 1971, fable mordante et cruelle sur le pouvoir et la société espagnole. Il bâtit ainsi un langage poétique et critique décortiquant le puritanisme pervers et omniprésent de sa société. La famille bourgeoise, l'enfance, sont les motivations récurrentes de son cinéma, qu'il analyse et développe au travers d'une mise en scène très précise, très théorique, où sans passer par les conventions habituelles de montage, il fait vaciller la réalité : passé et présent cohabitent, réel et imaginaire se côtoient.

Son style est en place lorsqu'il produit Cria Cuervos en 1975. On retrouve en effet ses thématiques préférées de l'époque comme le thème du double à travers le miroir, image finale du film précédent, la cousine Angélique , ( la fillette qui se fait coiffer face au miroir - c'est à dire à la caméra-) dans lequel Saura manipule aussi le temps par des « flash back » construits de façon originale: l'histoire se déroule en 1973, mais le héros qui a 45 ans se remémore son enfance ( 30 ans plus tôt ) en étant présent adulte dans l'image auprès de personnages qui ont eux 30 ans de moins....

Le thème de l'enfance lui permet d'explorer en profondeur l'âme humaine et de découvrir ainsi ses qualités et faiblesses.

"Je n’ai jamais cru au prétendu paradis de l’enfance : je crois, au contraire, que l’enfance constitue une étape durant laquelle la terreur nocturne, la peur de l’inconnu, le sentiment d’incommunicabilité, la solitude sont présents au même titre que cette joie de vivre et cette curiosité dont parlent tant les pédagogues." Carlos Saura (1976)

Le regard à la fois naïf et acéré de l'enfant sur le monde adulte lui permet aussi de dénoncer le fonctionnement d'une société figée , hypocrite, aux valeurs morales contestables.

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2 APPROCHES DU FILM

1 Une métaphore politique Comment ne pas voir dans cet univers carcéral sombre et morbide de la maison une

représentation de la société de l'époque? La plus grande partie du film en effet se déroule en intérieur, souvent de nuit ou rideaux tirés... Les pièces sont sur-meublées, les murs recouverts de photos anciennes ( permanence du passé) ou de tableaux religieux ( permanence du catholicisme). On remarquera aussi le portrait du Caudillo dans le bureau d'Anselmo, lui-même par ailleurs militaire....on apprend par la bouche de Rosa qu'il a même fait partie de la division « azul » , volontaires envoyés aux côtés des Allemands pour combattre sur le front Est. On retrouve donc bien dans ce microcosme les deux piliers du régime franquiste: l'armée et l'église.

Les rôles dévolus aux femmes et aux hommes ( l'obéissance sans discussion pour les premières, le commandement et l'autorité pour les seconds) recouvrent aussi la structure traditionnelle de la société de l'époque, structure soutenue par le régime et par ses partisans. Le milieu social décrit est également celui de la grande bourgeoisie , soutien du régime... Mais on sent en même temps que cette société est en voie de déliquescence. Dans le jardin, pas très bien entretenu , la piscine est à l'abandon. La grande propriété terrienne de Nicolà ( l'ami d'Anselmo) est, de l'aveu même de son propriétaire, de plus en plus difficile à entretenir, et on n'y voit aucun domestique.

Le titre du film fait référence à un proverbe « Cría cuervos y te sacarán los ojos » qui signifie « Élève des corbeaux et ils t'arracheront les yeux ». Saura y voit une parabole sur l'éducation des enfants qui, nécessairement un jour « s'envoleront du nid » en s'opposant à leurs parents. Mais c'est aussi la génération de l'époque qui se révolte contre le régime en place. A la fin du régime franquiste , les mouvements d'étudiants, mais aussi la nouvelle bourgeoisie moyenne qui s'était développée dans les années fastes précédentes, voire même une frange non négligeable des catholiques pratiquants critiquaient de plus en plus ouvertement le gouvernement.

Enfin, si la tante Paulina, rigide et autoritaire, s'inscrit parfaitement dans le système, la petite Ana montre elle un esprit d'indépendance assez frondeur... A la fin du film, les trois fillettes sortent enfin de chez elles, s'immergent dans la circulation ambiante et la foule des autres élèves ,sur la musique jeune et moderne de « Porque te pas » : le spectateur comprend qu'une époque est révolue ...

2 Esthétique du film: point de vue et construction dramatiques

1 Le point de vue Le point de vue narratif principal est celui d'Ana. Aucune scène ne se déroule hors de

sa présence. Son oeil , c'est « l'oeil-caméra » et comme elle, nous sommes des « voyeurs. ».. d'où des premiers plans flous ou des portes entre-ouvertes....

Ana est toujours éveillée ( elle est insomniaque) et souvent, elle regarde par l' entrebâillement des portes. De nombreux gros plans nous permettent de nous identifier à ce personnage aux grands yeux noirs scrutateurs.... Saura admet lui-même que le regard de l'actrice a été déterminant pour le film.

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Le second point de vue nous est fourni ponctuellement par l'apparition à l'image ( et en voix off) d'Ana adulte. Il s'agit d'une tentative de prise de recul sur une enfance dramatique qu'elle cherche à exorciser..

2 Le temps dans le film Globalement le film se déroule sur un été , depuis la mort du père jusqu'à la rentrée des

classes, si l'on se réfère à la fin où les filles reprennent le chemin de l'école. On ne dénote en effet aucun changement physique chez les trois fillettes par exemple. Mais le film est truffé de sauts temporels en avant et en arrière. On peut être dérouté par sa structure narrative . Carlos Saura manipule habilement, mais aussi originalement, le « flash back » et le « flash forward », les mélangeant à la réalité à tel point que nous avons parfois du mal à les discerner! . Les apparitions de la mère ou de Ana adulte se font dans la continuité même du plan: Maria la mère va par exemple apparaître en profondeur de champ lorsque Ana est en train d'ouvrir le réfrigérateur. Ana adulte intervient dans le même plan par un panoramique alors qu' Ana enfant ouvre la boite de bicarbonate....

3 Les apparitions de Maria

On remarque une permanence dans l'habillement. Le personnage est immédiatement reconnaissable par son ensemble vert pâle à fleur. Cette permanence rend le personnage intemporel.

On remarque que par trois fois, les apparitions se produisent dans la profondeur de champ, comme pour montrer que sa mère est présente en arrière plan dans la mémoire d'Ana.

1. Dans la cuisine: Ana est seule . Dans le réfrigérateur, elle prend des feuilles de salade pour son cochon d'Inde. Sa mère apparaît en entrant dans le champ en arrière plan.

2. Dans la salle de bain: La caméra est à l'emplacement du miroir. La mère apparaît en profondeur dans le miroir.. Ana se fait coiffer par Rosa. Maria prend sa

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place....Le retour à la réalité se fait brutalement par un contrechamp: la caméra se retrouve face au miroir et Rosa finit de coiffer Ana.

3. Dans la chambre des filles: Ana allongée dans son lit voit sa mère passer dans le couloir, la regarder, puis finir par entrer lui raconter une histoire ( celle d'Amandine). On notera que c'est à la fin de cette scène que la mère disparaît subitement, ce qui provoque la frayeur d'Ana qui se met à crier ( sentiment d'abandon).

A trois autres moments, c'est Ana qui rejoint sa mère. Il s'agit là de scènes où Ana est témoin de l'infidélité de son père et de la souffrance qu'il inflige à sa mère. Ici, le passage au « flash back » est presque imperceptible. On remarque en effet qu'Ana, comme les autres personnages , porte les mêmes vêtements et que l'action commencée se poursuit. Ce procédé rend plus fluide, mais aussi plus complexe, la transition, le passage d'un temps à l'autre.

1. Dans la pièce de jeu. Rosa nettoie les vitres en lui parlant de l'infidélité des hommes. Anselmo apparaît et vient caresser à travers la vitre la poitrine de Rosa. Maria entre alors dans la pièce en tenant Ana par la main.

2. Dans le salon. Ana n'arrivant pas à dormir descend rejoindre sa mère qui écrit . Elle lui demande de jouer au piano son air préféré. Quand elle remonte, elle voit son père rentrer et elle assiste à une scène de ménage. Bizarrement, elle est là, au milieu de la pièce, mais invisible pour ses parents.

3. Dans le parc chez Nicolà et Amélia. Ana se promène en tenant sa mère par la main. Celle-ci l'envoie chercher son père et elle le surprend en train d'embrasser Amélia.

4 Les interventions de Ana adulte. Vingt ans après la mort de son père, Ana se remémore ce moment particulier, tentant

de comprendre pourquoi son enfance l 'a autant marquée. On dénote trois interventions d'Ana adulte. A chaque fois, elle nous est présentée de façon identique, en gros plan sur fond neutre bleu-vert. Elle porte un pull d'une couleur quasi identique au fond , tonalités que l'on trouve dans l'ensemble de Maria, ce qui la fait ressembler à sa mère ( d'autant plus qu'il s'agit de la même actrice).

On remarque que ces trois interventions annoncent une séquence difficile dans laquelle Anselmo est pris en flagrant délit d'adultère par Ana...

1. Ana adulte nous apparaît en lien avec Ana enfant , dans la cave ou elle a caché la boite de bicarbonate. Elle explique ainsi ses tentatives d'empoisonnement et s'interroge alors sur sa volonté de tuer son père. Elle tente de minimiser la responsabilité de son père . Mais les images démentent ( cf scène qui suit avec Rosa et Anselmo).

« un jour maman faisait un grand nettoyage. Elle a pris une boite dans l'armoire. Elle me l'a donnée et elle m'a dit:

– Ana, jette ça à la poubelle ! ça ne doit pas être ici, et puis ça ne sert plus à rien.Très intriguée, je lui ai demandé:– Qu'est-ce que c'est?– Ça n'a pas d'importance.

Je lui ai demandé:

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– C'est du poison?Ma mère souriante m'a dit:– Oui, c'est un poison terrible! Il suffit d'une cuillerée pour tuer un éléphant.!

Et elle a ajouté:– Ana! Jette ça à la poubelle.

Cela m'a beaucoup impressionnée. Je ne sais pas pourquoi, j'ai gardé la boite de poison sans écouter maman. Pourquoi voulais-je tuer mon père? Je me suis posé la question des centaines de fois. Les réponses qui me viennent à la tête, aujourd'hui, avec le recul des vingt années qui ont passé depuis sont trop faciles. Elles ne me suffisent pas. Je me souviens parfaitement que je croyais que mon père était coupable de la tristesse qui avait envahi ma mère pendant les dernières années de sa vie. J'étais convaincue que lui, et lui seul, avait provoqué sa maladie et sa mort.

Ma mère selon ce que ses amis m'ont raconté aurait pu être une bonne pianiste. Dès son enfance, elle avait été très douée pour la musique. Tout le monde lui augurait un brillant avenir. Pendant plusieurs années elle s'est dédiée intensément et presque exclusivement au piano. Elle a même donné quelques concerts. C'est à l'un d'eux qu'elle a connu mon père. Ils sont tombés amoureux et ils se sont mariés tout de suite. Maman a abandonné le piano définitivement pour se dévouer corps et âme à ses filles, à nous. Je crois que cette époque lui a toujours manqué. Elle regrettait d'avoir laissé une profession qui aurait pu la libérer. Mais maintenant, je crois aussi que dans le fond, maman a eu peur de ne pas être la merveilleuse pianiste qu'attendaient ses amis. Elle a préféré la commodité d'une vie organisée, sans complications, à une responsabilité qu'elle ne pouvait pas partager. »

2. Elle intervient ensuite pour introduire la maladie de sa mère. Elle seule ( avec Rosa) était présente et témoin de cette grande souffrance. Ses soeurs absentes n'ont pas subi le même trauma. Suivent l'agonie de Maria et une séquence de scène conjugale due à la rentrée tardive d'Anselmo à la maison....

« je ne comprends pas que l'on dise que l'enfance est une époque heureuse. Elle ne l'a pas été pour moi. C'est peut-être pour cela que je ne crois pas au paradis de l'enfance ni à l'innocence ou à la bonté des enfants. Je me rappelle de mon enfance comme d'une époque lente, interminable, triste. La peur était partout. Peur de l'inconnu. Je n'oublie pas certaines choses.

Certains souvenirs sont très puissants, très puissants...Maman était dans sa chambre, malade. Je ne savais pas qu' elle ne guérirait pas et qu'elle était revenue de l'hôpital pour mourir à la maison. Mes deux soeurs étaient avec tante Paulina et grand-mère. Elles ne vivaient pas encore chez nous. Mon père était parti, je ne sais où. Rosa faisait l'infirmière... »

3. Sa dernière intervention commente le week end passé dans la propriété de Nicolà et Amélia. Curieusement, elle ne parle que d'un week end alors que la séquence mélange deux moments distincts, dont l'un n'est pas particulièrement agréable. En effet, elle surprend son père et Amélia en train de s'embrasser derrière un buisson. Ce costume qu'elle décrit, le portait-elle aussi lors de la visite antérieure, avec son père et sa mère? On retrouve dans la transition entre les deux espaces-temps de cette séquence toute l'habileté de Carlos Saura....

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« Tous mes souvenirs ne sont pas tristes. Un de mes meilleurs souvenirs est ce fameux week end . C.'est curieux, mais je ne m'explique pas pourquoi ce voyage, précisément ce voyage, m'est resté gravé dans la mémoire. Je ne sais. Je me sentais libre, neuve, différente. Je me souviens d'avoir mis un jean avec des poches à fleurs, un corsage à fleurs avec des boutons rouges et une veste bleue. Tante Paulina conduisait. Irène étant l'aînée était assise devant , Maïté et moi étions sur le siège arrière... »

5 Un travail de mémoire

Que veut nous dire Saura à travers les interventions d'Ana adulte? Aucune réponse satisfaisante n'est apportée à ses interrogations sur son enfance. La mémoire est sélective et certaines situations traumatisantes ne peuvent être verbalisées. Seules les images restent gravées … La grand-mère aphasique retrouve son passé à travers les photographies. Ana le sait, qui place le fauteuil face au panneau d'affichage. Mais ces images n'ont un sens que pour la grand-mère. Ana est réduite à poser des questions ( malheureusement sans réponse précise puisque la vieille dame est aphasique!) ou à « broder » sur l'image et raconter n'importe quoi....ce qui pose la question de l'interprétation de la photographie.

Dès le générique, le film commence par des photographies d'Ana bébé et de sa mère et par ces phrases: « le jour de ma naissance....C'est moi, comble de vanité » C'est donc bien à un travail sur la mémoire , sur les origines et sur l'enfance que nous invite Carlos Saura. ...Se pencher sur sa petite personne: Comble de vanité! Mais derrière cette histoire particulière, c'est du traumatisme des années de dictature et de ses répercussions sur les générations futures que Saura traite ici. Le devoir de mémoire , transmis justement par les images, les témoignages...Et peut-être au sortir de ce travail, la résilience?

3 Les personnages On remarquera qu'ils sont essentiellement féminins: trois femmes ( Maria/ Rosa/

Amélia), trois fillettes ( Irène/ Ana/ Maïté) et deux hommes ( Anselmo/ Nicolà) qui n'ont qu'un rôle subalterne en terme de présence à l'écran.

On peut les étudier par couples.

1 Ana et sa mère Le personnage central d'Ana est double, voire triple! En effet, la fillette se dédouble

parfois en jeune femme qui jette un regard sur l'enfant qu'elle était....mais elle se retrouve aussi dansl'adulte qu'elle est devenue et dans sa propre mère dont elle joue le rôle d'une part avec son baigneur, d'autre part dans la saynète théâtrale. . A un moment, lorsqu'elle fait de la couture, Rosa ( qui a bien connu Maria) lui dit qu'elle ressemble de plus en plus à sa mère, y compris dans ses gestes.

Le fait que les deux personnages de femmes ( Ana adulte et Maria la mère) soient interprétés par la même actrice ( Géraldine Chaplin) contribue à les mélanger et ajoute au trouble du spectateur. La mère absente représente, par opposition au père, la République « assassinée », mais toujours présente dans l'imaginaire populaire.

Cependant, Ana adulte n'est pas aussi soumise que sa mère ne l'était. En effet, le régime politique a changé: Le franquisme est mort , et avec lui la condition féminine traditionnelle. Déjà, dans le jeu théâtral des fillettes ( seq 11) , Ana déguisée en Maria ( sa mère) tient tête au père ( joué par sa soeur aînée Irène).

Ana est une « empoisonneuse ». Elle « joue » avec la mort. Prenant au pied de la lettre

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ce que sa mère lui dit au sujet de la boite de bicarbonate, elle va s'en servir pour venger sa mère en « tuant » son père qui la trompe et sa tante qui usurpe sa place.

2 Ana et ses sœurs Ana est à part dans la famille. Elle est la seule témoin des frasques de son père et de

l'agonie de sa mère puisque ses sœurs étaient à l'époque avec leur tante et leur grand-mère. Sa relation à la mère, mais aussi à Rosa est également beaucoup plus forte.

Elle a aussi un caractère plus indépendant. Dès la seconde séquence, elle refuse d'obéir à la tante Paulina qui exige que les filles aillent embrasser leur père dans le cercueil. Les deux autres s'exécutent. Ensuite, dans la scène du repas ( prise de pouvoir de Paulina) , elle est aussi la seule à se rebeller.

Même si, parfois, Ana joue avec ses sœurs, elle est souvent seule dans son monde alors que les deux autres forment bloc. Les jeux pratiqués sont bien sûr très significatifs.

Ensemble, on les verra se déhancher sur l'air de « Porque te pas » , chanson que Ana a dû interrompre à cause de l'entrée de Paulina, pour la remettre après son départ. On peut donc penser qu'elle représente pour les filles, une transgression par rapport à l'éducation rigide prônée par leur tante. Elles poursuivent par le détournement des vêtements et produits de beauté de celle-ci pour improviser une saynète qui est une sorte de théâtre de l'intervention ( voir Augusto Boal et le théâtre de l'Opprimé 1971) dans lequel les fillettes traduisent ( et exorcisent?) leur propre histoire familiale. Notons aussi que dans cette même scène, Irène découpe et colle dans un album des images de pin-up en soutien gorge...

Autre jeu signifiant: le jeu de cache-cache dans la propriété de Nicolà. Ana ( toujours elle) mène le jeu et « tue » ses sœurs quand elle les découvre avant de prier pour les ressusciter... Elle a le pouvoir de vie et de mort.

Mais parfois, Ana joue seule, avec son baigneur. Elle le gronde dans sa maison confectionnée au fond de la piscine (Seq 14) ....elle est alors Paulina qui se plaint d'Ana... ( cette scène suit celle où elle vient de dire à sa tante « je veux que tu meures! »). Elle lui donnera plus tard le sein ( seq 15) , ce qui sera l'occasion pour Rosa de lui raconter sa naissance difficile ( aux forceps) et l'incapacité de sa mère de lui donner le sein.

3 Ana et Rosa Elles sont souvent seules, ensemble. Rosa incarne une figure maternelle et sensuelle,

une nourrice aux formes généreuses, elle se positionne aux côté d'Ana face à la tante Paulina. A plusieurs reprises, elle reconstitue le puzzle de l'enfance d'Ana en lui dévoilant les infidélités de son père, y compris avec elle ( Seq 9), sa naissance difficile ( Seq 15), sa grande ressemblance avec sa mère qui était dit-elle une sainte ( Seq 19)... Rosa n'a pas de retenue par rapport à ce qu'elle raconte à la fillette . Elle n'hésite pas en effet à lui décrire le comportement « volage » de son père ( tout en en profitant...) ou les affres de l'accouchement de sa mère . Ce comportement mécontente Paulina qui voudrait avoir l'entier contrôle de la situation sur ses nièces et qui est là pour les protéger.

Même si elle représente une sorte de substitut à la mère, elle reste une employée. Ce n'est pas une confidente.

4 Ana et Paulina Nous avons vu que dès le départ, elles sont en opposition. A travers les rapports de ces

deux personnages, on peut deviner ceux que Paulina ( visiblement célibataire et rigide) pouvait entretenir avec sa sœur ( artiste et soumise) . Paulina est du côté du père ( le testament du père lui donne ce pouvoir). Elle représente donc le pouvoir autoritaire et a

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pour rôle de reproduire les codes de cette société bourgeoise traditionnelle.Pour Ana, Paulina est une usurpatrice: elle prend la place de sa mère, c'est pourquoi

elle doit être éliminée. ( « je veux que tu meures ») . Non seulement Ana refuse les marques de tendresse de sa tante mais elle finit par lui faire face avec un pistolet à la main …

5 Ana et sa grand-mère Doter Ana d'une grand-mère paralytique et aphasique, mais au regard expressif ( elle

comprend tout ) n'est pas innocent. Ana est prévenante. Elle se « dévoue » pour aller la rejoindre, lui montre ( et lui commente) les photos, lui met sa musique préférée...Mais elle ne peut s'appuyer sur elle .

Lorsque Amélia entre dans la pièce où repose Anselmo ( Seq 7), Ana va se réfugier derrière sa grand-mère... Tout est dit dans les échanges de regards. On verra à plusieurs reprises que la grand-mère sait bien des choses, mais son silence ( forcé) est métaphorique de la chape de plomb, de l'hypocrisie qui pèse sur cette société où tout se passe en catimini...Sa paralysie est bien sûr une métaphore de celle du régime.

4 L'espace du film

1 Le confinement intérieur Le film se déroule essentiellement en intérieur. Carlos Saura nous dit qu'il a imaginé le

scénario en regardant, de l'autre côté de l'avenue où il habitait à Madrid, cette grande bâtisse close, entourée de murs et inhabitée. La vie se déroule et évolue à côté ( voir les quelques plans de la ville accompagnés d'un bruit assourdissant de moteurs de sirènes et de klaxons En parallèle, Saura nous montre en plongée le jardin clos avec ses grands arbres centenaires et sa piscine vide, abandonnée. Deux mondes étrangers donc qui se côtoient: l'un traditionnel, figé, moribond qui fonctionne sur lui-même ( à l'image du franquisme finissant) et l'autre en essor, actif, moderne ( la société à venir).

Cet univers clos est bien sûr celui des femmes, car les hommes eux en sortent et en sont souvent absents.

2 Le sexe et la mort. Dès le début, l'ambiance est lourde. Un plan panoramique, lent et long, nous décrit un

univers d'intérieur bourgeois, dans la pénombre qui se termine sur un escalier par lequel descend Ana. Elle est en chemise de nuit blanche et nous apparaît comme une forme fantomatique... Carlos Saura nous assène une scène extrêmement violente par le truchement d'Ana qui assiste ( par le son) à la fois à l'orgasme et à la mort de son père.

Ana est, à la différence de ses sœurs, confrontée à l'adultère de son père qu'elle prend plusieurs fois en flagrant délit. Elle surprend aussi sa tante Paulina et Nicolà en train de s'embrasser et les menace ( ingénument bien sûr) avec un pistolet.... La mort, Ana va la côtoyer par trois fois.

1. Au début, avec la mort de son père.2. Elle assiste à l'agonie de sa mère.3. Elle découvre son cochon d'Inde , Roni, mourant dans sa cage.

Elle va aussi « l'administrer » , ou vouloir l'administrer, par trois fois.

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1. Elle a visiblement servi un verre de lait « empoisonné » à son père puisqu'elle le prend sur la table de chevet de la chambre et va le laver.

2. Elle propose à sa grand-mère de l'aider à mourir en lui offrant d'avaler le « poison ».

3. Elle cherche à tuer sa tante Paulina en lui offrant un verre de lait « empoisonné ».

3 La propriété de Nicolà et Amélia Ancien domaine agricole, cette vaste propriété avec sa cour et son porche d'entrée,

son bassin à jet d'eau, la richesse du mobilier, les tableaux, se rattache à la puissance passée des grands propriétaires régnant en maîtres absolus sur leurs domestiques. Or, de domestiques, il n' y en a plus. On apprend d'ailleurs que le couple ne peut plus subvenir à l'entretien d'un tel patrimoine et qu'il le vendra pour venir habiter à Madrid. Là encore, il s'agit d'illustrer la fin d'une époque.

5 La bande son.

1 Les musiques La musique a un statut bien particulier dans ce film. Trois musiques se font entendre, parfois en off, parfois diégétiques ( c'est-à-dire

intégrées à l'histoire). 1. « Porque te vas ». C'est la chanson à la mode qu' Ana met sur son électrophone

dans la salle de jeu. Elle représente la modernité, l'avenir ( air chanté par « Juliette », jeune chanteuse espagnole qui fait ses débuts à l'époque – la chanson est sortie l'année précédente , en 1974) . On note malgré tout que les paroles ,; en contrepoint, parlent d'abandon... Ana remettra la chanson ( seq 19) avant de prendre la décision d'empoisonner sa tante et en faisant mine de se maquiller face caméra. La chanson est là encore un support à l'insubordination. C'est sur cet air off que les fillettes sortent de chez elle pour aller à l'école à la fin.

2. « Canción y Danza n°5 » . C'est le morceau de piano préféré d'Ana qu'elle demande à sa mère d'interpréter pour elle. On entend cet air dès le début en liaison avec la « trahison » et la mort du père. C'est aussi l'air qu'elle entend dans sa tête après son altercation avec la tante Paulina. Cet air nostalgique est lié à la mère, pianiste contrariée ( musique mentale) . On l'entend en « In » lorsque la mère la joue au piano (Seq 13).

3. « Aïe Marie Cruz ». Par opposition à la première, c'est une vieille chanson ( donc représentative du passé) , nostalgie des années de bonheur pour la grand-mère mais aussi pour Rosa qui la fredonne un moment ( seq 9). Elle est diffusée à chaque fois que Ana met la vieille dame face aux photographies. On l'entend en « hors champ » pendant que les fillettes se déguisent ( Seq 11) avec les vêtements de la tante Paulina...( retour sur le passé)

2 Les bruits de la ville Son d'ambiance, ils viennent à plusieurs reprises en contrepoint du silence mortel de

l'intérieur. Quand Ana dans le jardin promène sa grand-mère, elle s'arrête soudain et se voit planer au dessus de la ville. Le vacarme est alors assourdissant ( Seq 8) . Le son devient mental et traduit la confusion, la douleur aussi qui règnent à l'intérieur même d'Ana, au point qu'elle songe au suicide ( voir analyse de séquence)

12 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

On retrouve la présence de la ville quand Maïté et Irène sont sur le balcon ( Seq 10). Il est question d'un garçon dont Irène est vraisemblablement amoureuse et qui habite de l'autre côté de la rue. Le son est à nouveau strident, mais il s'éteint dès qu'elles rentrent.

Enfin, les sons urbains reviennent à la fin, lorsqu'elles quittent la maison, mixés avec la chanson « Porque te vas » en off: C'est pour Ana ( et ses sœurs) le symbole sinon de la liberté ( elles se rendent dans une institution religieuse), au moins d'une ouverture sur le monde extérieur...

3 Les dialogues/ monologues Les monologues , sortes d'apartés destinés au spectateur, que constituent les

interventions d'Ana adulte sont à considérer d'une façon particulière. ( voir texte intégral joint).

On remarque que, si la grand-mère est aphasique, Ana de son côté est très peu bavarde, sauf avec son baigneur. C'est un trait de caractère du personnage que l'on peut faire ressortir.

Rosa s'avère au contraire trop bavarde ( ce que lui reproche Paulina -Seq 19). C'est elle qui finalement nous apporte le plus d'informations sur la vie du couple et particulièrement sur le père.

Certains dialogues sont réitérés au cours du film : – L'histoire d'Amandine racontée par la mère d'abord, puis par Paulina juste après....(

Seq 13) ce qui provoque le rejet violent de Paulina par Ana.

– La reprise du dialogue entre Anselmo et Maria ( Seq 13) dans la saynète qu'elles improvisent ( Seq 11). On constate une inversion temporelle dans le film puisque la scène qui inspire les fillettes a bien sûr eu lieu avant....

Enfin, le rapprochement entre le premier et le dernier dialogue échangé entre Irene et Ana est révélateur. Alors qu'elles descendent les marchent pour se rendre dans la salle mortuaire ( Seq 7) Ana dit::

« J'ai entendu quelqu'un parler avec Papa. Je suis entrée dans la chambre et papa était mort. Alors Maman est venue. »

« Maman est morte » répond Irene.Le film se termine par un dialogue entre les deux sœurs dans lequel Irene raconte son

rêve pendant le petit déjeuner.« ...la voiture s'est approchée. Deux hommes sont sortis de la maison. L'un d'eux a

demandé:– Tu as fait bonne chasse?

L'autre a répondu:– Très bonne. Voyez ce que j'apporte...

Ils m'ont traînée et poussée vers la maison. On est entré dans la cuisine. C'était sale. Il y avait une vieille poêle et quelques casseroles. Ils m'ont poussée dans une pièce. Ils ont fermé à clef. Ils m'ont apporté à manger. J'ai refusé. J'ai pensé qu'ils s'étaient servis de la poêle. Ils m'ont demandé notre numéro de téléphone. Je leur ai donné, j'avais peur qu'ils me tuent. Ils ont appelé, mais Papa et Maman n'étaient pas là.... »

« Papa et Maman sont morts » dit Ana« Pas dans mon rêve » répond Irene.Elle poursuit...... « ils m'ont dit:– il est temps de te tuer.

13 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

Il m'ont attachée à un poteau avec des cordes. Ils ont appuyé le pistolet contre ma tempe. Quand il allaient me tuer, je me suis réveillée. »

On perçoit là le retournement et l'évolution de la situation. Ana a intégré la mort de ses parents. Le cauchemar est sans doute derrière elle maintenant....comme Irene, elle s'est réveillée....à la vie.

3 ANNEXES

1 L' Espagne franquiste dans les années 1970 /75

Fait notoire, le film sort l'année même de la mort de Franco ( 20 Novembre 75). Nous assistons donc bien à la mort d'un régime en place depuis depuis le 1er Avril 1939 !, ( le général Franco prit le titre de « Caudillo » en 1937)

A partir de la fin des années cinquante et jusqu'à crise de 1972/73, le pays a connu un essor économique considérable, profitant comme ses voisins de l'expansion ambiante et du soutien des Etats-Unis desquels Franco ( anti communiste) s'était rapproché au profit de la guerre froide. Malgré l'impopularité du régime auprès des autres pays européens, les frontières s'étaient malgré tout ouvertes au commerce et surtout aux touristes qui apportaient, comme les expatriés, des devises importantes, mais aussi un vent de contestation. Celle-ci devenait de plus en plus ouverte et les monarchistes étaient parvenus à placer dès 1969 Juan Carlos à la tête de l'état. Franco, en le désignant comme son successeur, espérait ainsi s'attirer les bonnes grâces des pays de la CEE. Mais il se maintenait à la tête du gouvernement et la répression restait féroce.

Affiche de la CNT« Hier, il a tué, mais en Espagne c'est chaque jour que

l'on arrête arbitrairement,que l'on condamne aux peines de prison les plus folles (lors d'un prochain conseil de guerre à Barcelone, dix libertaires risquent en tout plus de 500 ans de prison.)Alors face à l'accentuation du terrorisme d'état en Espagne, face à a tentative de liquidation physique de tout le mouvement révolutionnaire, face aux tortures atroces qu'inflige la police à nos camarades du Mouvement Libertaire Espagnol comme à ceux de toutes les autres organisations d'extrême gauche, il faut rendre effectif le boycottage de l'Espagne fasciste et la solidarité envers les peuples ibériques opprimés !

Granado -Delgado ; Salvador Puig Antich * ; les cinq de Burgos... Et demain combien ? »

CNT – en exil – 1975

A l'étranger, les organisations anti franquistes multiplient les attaques. Le 20 décembre 1973, les indépendantistes basques de l'ETA assassinent le numéro deux du régime, l'amiral Luis Carrero Blanco. La répression s'accentue et les exécutions de prisonniers politiques se feront encore à la veille de la mort du Caudillo.

Le 22 novembre 1975, Juan Carlos accède au pouvoir, et le 27 décembre 1978 la ratification de l'actuelle constitution espagnole met fin à la dictature franquiste

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• Salvador Puig i Antich , militant anarchiste du MIL, fut exécuté par le régime franquiste après avoir été condamné par un tribunal militaire pour le meurtre à Barcelone d'un membre de la grade civile: Francisco Anguas Barragan. Son exécution, le 2 Mars 1974 à la prison Modelo de Barcelone, fut parmi les toutes dernières effectuées en Espagne par strangulation à l'aide d'un garrot..( un film sur sa vie fut réalisé par Manuel Huerga , présenté à Cannes en 2006 dans le section « un certain regard »)

15 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

2 Les personnages: Le repas

Autour de la table....

16 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

Les autres personnages:

3 Au sujet des pattes de poulet... Je voudrais revenir à Cria Cuervos qui est ressorti en France il y a peu. Pouvez-vous

m'expliquez la présence dans le frigo de pattes de poulets? J'y vois une sorte de clin d'oeil au cinéma surréaliste de Buñuel...

On en revient aux pattes de poulet dans tous les pays où je suis allé présenter Cria Cuervos. En Russie, aux États-Unis, la première chose que l'on m'a demandée c'est : « Qu'est-ce qu'elles font là ces pattes de poulet ? ». Pour moi c'est une torture ! Il est vrai que la patte de poulet peut avoir une signification magique, dans l'exorcisme par exemple, mais ce n'était pas mon intention première. Vous allez sans doute être très déçu mais ma mère avait l'habitude de faire des soupes avec ces pattes de poulet. Il y en avait donc toujours dans le frigo. Maintenant, vous pouvez penser ce que vous voulez...

Propos recueillis par Thomas Tertois ( interview de Carlos Saura)

17 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

4 É tude de séquence: le dédoublement d'Ana

1A 1B 1C

2 3 4

5A 5B 6

7 8 9

10 11 12

13 14A 14B

18 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

Cette séquence se situe au début du film, après celle de la veillée funèbre du père. Elle est intéressante car elle dénote bien l'univers et l'état d'esprit d'Ana.

Plan 1: Plan long en plongée (fait sur grue) qui balaie l'espace dans un vaste travelling gauche droite se terminant sur Ana poussant le fauteuil. C'est un plan qui nous permet de situer et de bien reconnaître la grande maison avec son parc :un monde clos coupé de la rue et de la circulation. On peut remarquer au début du plan des drapeaux espagnols mais aussi américains . ( ils seront plus visibles dans un autre plan un peu identique plus tard).

Le bruit de la ville est très présent et la circulation intense. La palissade séparant ces deux mondes nous est montrée. Ana et ses soeurs sont enfermées, confinées dans un monde traditionnel représenté en l'occurrence ici par la présence de la grand-mère. Irene fait du de vélo autour d'une piscine vide et vraisemblablement hors d'usage. Elle tourne en rond. On aperçoit fugitivement Maïté qui joue à la marelle. Pas de communication, chacun des quatre personnages est dans son monde ….On perçoit comme un temps arrêté, figé par rapport à la vie trépidante de l'extérieur. Cela va nous être confirmé par la suite.

Plan 2. Plan rapproché dans l'axe sur Ana qui arrête de pousser le fauteuil et s'avance vers la caméra. Le regard d'Ana nous envoie sur le suivant. Le son de la rue est moins présent.

Plan 3: Contre plongée. Feuillages des arbres sur fond de ciel. Mouvement de panoramique.

Plan 4 : Contrechamp sur Ana qui a laissé le fauteuil et qui ferme les yeux en regardant le ciel. Passage fugitif d'Irène sur son vélo faisant comme un effet de volet ( transition marquant le passage à un moment onirique, hors du temps.)

Plan 5A/5B: Contre plongée. Le mouvement de caméra en zoom-travelling avant se poursuit et on découvre un bâtiment à terrasse avec un personnage tout en haut. on reconnaît Ana! Elle s'est « dédoublée ». Notre personnage a donc un capacité d'imagination, très forte, ce qui explique toutes les apparitions de la mère dans le film. Le son de la ville revient de pus en plus fort.

Plan 6: Contre champ. Plan serré sur Ana. Regard d'Ana vers la terrasse. L'image de la grand-mère est devenue floue en arrière plan ( Ana est déconnectée du monde présent)

Plan 7: Contre champ en contre plongée . Plan serré d' Ana sur la terrasse se détachant en pull rouge sur fond de ciel bleu.

Plan 8: Contre champ en plongée. Ana en amorce du haut de la terrasse contemple le parc. Le son montant de la ville devient de plus en plus fort.

Plan 9: Ana au sol. Elle ferme très fort les yeux ( ce qu'elle refera pour faire apparaître sa mère plus tard). Les bruits de klaxons et de sirènes deviennent très forts, presque insupportables.( son mental)

Plan 9: GP sur Ana en haut de la terrasse...Le bruit de la ville devient assourdissant. Elle se lance dans le vide. Suicide?

Plan 10. Long plan en trajectoire sur la ville. Ana paraît voler comme un oiseau. On finit par survoler à nouveau le parc.

Plan 11: GP sur Ana qui rêve et « se voit » survoler la ville...Plan 12: Plongée. Mouvement de trajectoire assez désordonné qui donne le vertige.

Survol qui se termine en plongée sur le parc. Plan 13A: Retour au sol ( l'oiseau s'est posé). Plan serré sur Ana ( idem plan 5).

Nouveau passage fugitif d'Irène sur son vélo ( même effet de transition). Le rêve est fini. Ana regarde le sol. Retour à la réalité.

Plan 13B: Ana s'en va en sautillant dans l'allée. Le lien est immédiat avec la scène suivante, celle du poison caché dans la cave....

19 Collège au cinéma 53. Dossier pédagogique complémentaire

4 EXPLOITATION PÉDAGOGIQUE

1 Préparation au film Présentation de ce qu'était le franquisme. ( étude de l'affiche jointe...)Présentation du réalisateur, de son engagement.? Sur le plan cinématographique: qu'est-ce qu'un « flash back » un « flash forward »?Comment les distingue-t-on classiquement dans un film?Sans déflorer le sujet, on peut déjà donner à lire et commenter le synopsis du film. En

lien avec l'affiche ( constater la force du lien qui doit unir la mère et la fille).Étude préalable du générique ( voir ci après)Étude de la bande annonce ( voir site)

2 Présentation des personnages: autour de la table Voir fiche en annexeOn fera retrouver par les élèves les noms et qualités des personnages en présence.On pourra faire un plan de la table et expliquer le positionnement de chacun. ( Paulina

face aux deux plus petites. Le miroir derrière elle. La grand mère et Irene en bout de table...)

3 É tude du générique Images constituées de cartons noirs / lettres rouges et de photos de famille sur fond de

piano ( thème n°2 ): Souvenirs d'enfance, d'une époque disparue. Histoires cachées derrières ces images... ( une photo est un instantané qui cache un avant et un après...ne pas oublier que C Saura était photographe).

Thématique de la mort et de la violence par les couleurs employées (Noir/ rouge)

4 É tude de séquences Le style de Carlos Saura est magnifique. On peut montrer comment il fait notamment

intervenir les scènes « rêvées » ( Flash back)Étude de la saynète théâtrale improvisée en relation avec la scène de ménage.Étude de la fin du film en relation avec le début ( voir supra dialogues Irene- Ana)

5 Les musiques du film Distinguer les statut du son au cinéma ( voir dossier complémentaire sur « Mon Oncle »( entre IN/ OFF/ Hors champ) . On peut aussi faire intervenir la notion de « son

mental », statut particulier du son off ( ce qu'entend Ana à plusieurs reprises – voir supra-)On peut faire écouter les musiques et demander ce à quoi elles font référence.( les trois

thématiques - voir supra)

6 Les relations familiales Les personnages sont peu nombreux. Il est aisé de les distinguer et de retracer dans un

premier temps les relations qui les lient.On peut ensuite travailler les personnages par couples ( voir supra)A cette occasion, on peut aborder la question du point de vue ( ici celui d'Ana). La

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relation Ana-Paulina est bien sûr très importante. C'est elle qui apporte toute la tension du film. On remarquera que Paulina n'est pas aussi insensible qu' Ana peut le penser. Cette affirmation laisse à penser que nous ne sommes pas complètement dans le point de vue d' Ana. Le point de vue visuel est en effet extérieur . Par exemple, lorsque Ana demande à se retirer (Seq 19 ) après le renvoi de Rosa par Paulina, on reste un moment en gros plan sur le visage défait de Paulina , les larmes lui montent aux yeux....

Le personnage du père : On le voit assez peu et pourtant on sait pas mal de choses sur lui. Définir ce personnage et justifier . ( on peut faire référence outre aux scènes où il est présent, aux dires de Rosa, aux photos, aux objets et vêtements....)

7 Thématique de la mort Retracer toutes les occurrences.... En déduire la symbolique politique et sociale.Ana, l'empoisonneuse. , Illustrez et expliquez.On peut aussi s'interroger plus particulièrement sur le sens de la mort du cochon d'inde

et le rite funéraire appliqué par Ana. ( par comparaison à la mort du père).

8 Une critique métaphorique du régime franquiste. A travers le caractère de personnages du film et les décors, relevez les éléments qui

renvoient à une analyse critique du régime....

portrait de Franco

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5 SOURCES ET SITES À CONSULTER http://. www.crdp.ac-lyon.fr/-Image-et-Son-.html

http://www.clubcultura.com/clubcine/clubcineastas/saura/ ( site officiel du réalisateur)

http://www.cinespagne.com/pagealaffiche/cria_cuervos.php(Fiche, interview du réalisateur, extrait du film et bande annonce)

http://www.abc-lefrance.com/ (Fiche sur le film)

http://www.idlune.net/cinema/cria-cuervos/( fiche critique)

http://www.cineclubdecaen.com/analyse/cinemaespagnol.htm( histoire du cinéma espagnol)

http://www.cineclubdecaen.com/realisat/saura/criacuervos.htmFiche sur Cria Cuervos

Yves MaussionCoordinateur cinéma audiovisuelAction culturelle . Rectorat de [email protected]

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