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20 JUIN 2013 EN MARCHE 7 Soins de santé et indemnités En Marche : Dans quel contexte la Loi Leburton a-t-elle été prise ? Jean Hallet : Le gouvernement Lefèvre- Spaak, coalition formée de socialistes et de sociaux-chrétiens (2), se voulait être celui de la réconciliation. La Belgique avait vécu la décolonisation du Congo, puis la grève générale de l’hiver 60-61 déclenchée contre le programme d'austérité du gouverne- ment précédent (ndlr : gouvernement Eys- kens). Le gouvernement voulait concilier l’efficacité économique et la justice sociale. Et dans le domaine de la santé, il souhaitait généraliser l’assurance soins de santé à toute la population et garantir aux patients d’être bien soignés à un prix raisonnable. En fait, depuis son instauration dans l’im- médiate après-guerre, l’assurance-mala- die, comme on l’appelait à l’époque, com- portait des lacunes ; elle n’avait pas été achevée. Les dépenses médicales n’arrê- taient pas d’augmenter et les recettes étaient insuffisantes pour couvrir les de- mandes. Le système présentait aussi des défauts notoires : certaines prestations de santé étaient remboursées insuffisamment et certaines catégories d’habitants étaient peu ou pas protégés contre la maladie. Enfin, n’était toujours pas réglée la ques- tion de savoir si les mutualités (les orga- nismes assureurs), dépositaires des cotisa- tions de leurs membres, pouvaient garder leur autonomie et être responsables des ré- sultats de leur gestion. Dans la pratique, cela pouvait signifier qu’en cas de déficit, les mutualités devraient réclamer des coti- sations complémentaires à leurs membres et, à l’inverse, en cas de boni, pourraient leur offrir des avantages supplémentaires. EM : Sur ce point, deux visions s’oppo- saient, entre les milieux chrétiens et so- cialistes. JH : Effectivement, à l’Alliance nationale des Mutualités chrétiennes (ANMC), on es- timait important que des subventions de l’Etat soient accordées aux mutualités pour concrétiser la solidarité nationale. Mais on refusait l’idée que ces subventions cou- vrent automatiquement les déficits. Cela n’inciterait pas les mutualités à une gestion rigoureuse. Aux yeux des socialistes, au contraire, l’autonomie et la responsabilité financière des mutualités n’étaient pas in- diquées dans un système obligatoire où la solidarité entre tous les assurés doit être la priorité, quelle que soit leur mutualité. Plusieurs ministres avaient tenté de mettre en œuvre une réforme ambitieuse dans les années 50 mais sans succès, en raison des conflits liés à cette divergence de points de vue. La Loi du 9 août 1963 est finalement le résultat d’un compromis : dans le secteur des indemnités d’incapacité de travail, l’Etat allait compenser intégralement les dépenses payées par les mutualités à leurs affiliés. Dans celui des soins de santé, les mutualités disposeraient des cotisations de leurs membres, et le budget de l’Etat pré- voirait un montant pour compenser des différences objectives de risques. L’accord politique se situait donc bien dans la conci- liation entre responsabilité et solidarité. Encore eut-il fallu par la suite que les sub- sides soient suffisants. Les déficits chro- niques des finances publiques ont entravé la mise en œuvre du compromis. EM : La loi de 1963 scinde “l’assurance- maladie” en deux secteurs distincts : les soins de santé et les indemnités, le tout chapeauté par un parastatal : l’Ins- titut national d’assurance maladie inva- lidité. JH : Pour les soins de santé, l’objectif était d’étendre la couverture sociale à toute la population et en premier lieu aux fonction- naires et aux indépendants. Pour les in- demnités, il s’agissait d’octroyer des reve- nus de remplacement aux travailleurs mis en incapacité de travail par la maladie ou l’accident. EM : Améliorer la couverture en soins de santé et assurer la maîtrise budgétaire du secteur faisaient aussi partie des ob- jectifs de la réforme. Quelle était la si- tuation auparavant ? JH : Avant 1963, les médecins fixaient libre- ment leurs honoraires mais il n’y avait pas de rapport convenu entre les tarifs et les remboursements. Ce qui faisait que les remboursements couraient derrière les ho- noraires qui augmentaient à leur tour. Il fal- lait arrêter cette spirale et réguler le sys- tème par des conventions. Il fallait que les médecins prennent leurs responsabilités dans l’assurance maladie, qu’ils acceptent de négocier les tarifs avec les mutuelles, de fixer la valeur relative des actes. Une disci- pline collective qui leur était étrangère à ce moment-là. EM : La sécurité tarifaire que nous connaissons actuellement grâce aux conventions signées entre prestataires de soins et mutualités date donc de cette époque. Cette avancée a-t-elle été facile à mettre en place ? JH : Que du contraire. Pourtant, le ministre Leburton avait consulté les dirigeants des associations médicales belges de l’époque. Mais un mouvement d’opposition s’est dé- veloppé en leur sein. Certains médecins percevaient la réforme comme une menace pour leur liberté. Pourtant, le fait de fixer des tarifs ne remet en cause ni la liberté thé- rapeutique, ni la liberté de choix du méde- cin, ni la stricte confidentialité, ni le respect du secret médical. Mais on assistait là un tournant de la médecine libérale. Jusqu’alors, on faisait appel au sens de la responsabilité personnelle du médecin dans la fixation de ses honoraires. Avec des résultats incertains. On est alors passé à la responsabilité collective, ce dont certains médecins, emmenés par le fougueux Dr André Wynen, ne voulaient pas entendre parler. EM : Des médecins ont fait un ou deux jours de grève durant l’été 63 mais cela n’a pas empêché la loi d’être adoptée. En échange, le gouvernement avait promis de déposer un projet de loi pour préciser les relations entre les médecins et “l’as- surance-maladie”. La situation s’est-elle alors apaisée ? JH : Non. Les mouvements de protestation se sont amplifiés, allant jusqu’à la grève des soins. Une grève qui a duré de longues se- maines durant l’hiver 64, et dont certains patients ont vraiment souffert. Le gouver- nement crut même devoir rappeler sous les drapeaux les médecins réservistes. Pour éviter cette réquisition, certains ont fui à l’étranger! La concertation était dans une impasse, la crise s’avérait profonde. Les dif- ficultés étaient surtout liées aux divisions entre les syndicats de médecins. Et, au sein des Chambres syndicales, entre ceux qui voulaient coopérer et ceux qui s’y refu- saient. Les partenaires sociaux (patrons et syndi- cats) ont alors suggéré une grande réunion d'urgence sous la présidence du Premier ministre. Par un hasard de circonstances, Louis Van Helshoecht, à l'époque Secré- taire général de l'ANMC, et son adjoint Ro- bert Van den Heuvel, se trouvaient bloqués à l'étranger. C'est à moi qu'il incomba de re- présenter les Mutualités chrétiennes dans la rencontre avec les représentants du gou- vernement, des autres mutualités, des syn- dicats, des employeurs et des médecins. Lors de cette première séance, je fus stupé- fait de la méconnaissance de la réalité poli- tique et des problèmes sociaux chez cer- tains interlocuteurs. C'est pourquoi j'ai ob- tenu que dès la séance suivante, les repré- sentants des mutualités siègent en face des médecins et non plus en bout de table. Ceux-ci ont compris alors avec qui ils de- vraient dorénavant négocier. Cette symbo- lique a été utile pour la suite des discus- sions. Les négociations diurnes et noc- turnes furent longues et fatigantes. Elles ont finalement débouché sur un accord en juin 1964. Cet accord dit de la St-Jean confirme le rôle des mutualités et organise la participation des médecins au fonction- nement de l'Inami. C’est une sorte de traité de paix entre le gouvernement, les syndicats médicaux et les mutualités. Depuis ce moment-là, une habitude de concertation s’est installée. Elle a permis, au fil du temps, de nouer des conventions. Cet accord a aussi consolidé le rôle impor- tant des mutualités dans trois domaines : la défense des intérêts des affiliés, la gestion du système de soins de santé et l’apport d’expertise à l’élaboration de la politique de santé. Avec comme programme le bien- fondé, la maîtrise financière, l’accessibilité et la qualité du système de santé. Un sys- tème qui constitue un exemple pour de nombreux pays, faut-il le rappeler. // ENTRETIEN : JOËLLE DELVAUX (1) Engagé à l’Alliance nationale des Mutualité chrétiennes (ANMC) en 1961 comme attaché de direc- tion, Jean Hallet a été nommé Secrétaire général francophone de l’Alliance en juin 1964. Il est devenu Secrétaire général en 1976 lorsque son collègue Robert Van den Heuvel est devenu Président. Un poste auquel Jean Hallet a accédé en 1991 et qu’il a conservé jusqu’à son départ à la pension en 1993. (2) D’avril 1961 à mai 1965. DOSSIER Lorsque nous devons bénéficier de soins, consulter un médecin, prendre des médicaments ou être hospita- lisé, une bonne part des frais nous est remboursée. Si nous ne pouvons plus travailler pour raisons de santé, nous recevons une indemnité. Ces droits sociaux ne tombent pas du ciel. Ils sont cimentés par la solidarité. L’organisation actuelle de notre système d’assurance soins de santé et indemnités trouve son origine dans une loi, la Loi Leburton, qui aura 50 ans le 9 août 2013. Pour marquer l’évènement, En Marche ouvre les pages de l’histoire, plonge dans les arcanes du système actuel et jette un regard aiguisé sur l’avenir. Un témoin privilégié Ils étaient une quinzaine autour du ministre de la Prévoyance sociale, Edmond Leburton, à élaborer la loi organisant notre système de santé. Jean Hallet, à l’époque attaché de direction aux Mutualités chrétiennes (1) , est l’un de ces arti- sans. Et le dernier d’entre eux à pouvoir témoigner de cette importante réforme et de la manière dont se sont déroulées les négociations politiques dans un cli- mat social difficile. Rencontre. 50 ans de protection solidaire Soins de santé et indemnités // DOSSIER RÉALISÉ PAR CATHERINE DALOZE, JOËLLE DELVAUX, OLIVIER GILLIS ET CHRISTEL TECCHIATO © Matthieu Cornélis

Dossier spécial : 50 ans de protection solidaire

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En Marche ouvre les pages de l'histoire, décode les arcanes du système actuel et jette un regard aiguisé sur l'avenir. Pour comprendre le ticket modérateur et bien d'autres choses...

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Page 1: Dossier spécial : 50 ans de protection solidaire

20 JUIN 2013 EN MARCHE7

Soins de santé et indemnités

En Marche : Dans quel contexte la LoiLeburton a-t-elle été prise? Jean Hallet : Le gouvernement Lefèvre-Spaak, coalition formée de socialistes et desociaux-chrétiens (2), se voulait être celuide la réconciliation. La Belgique avait vécula décolonisation du Congo, puis la grèvegénérale de l’hiver 60-61 déclenchée contrele programme d'austérité du gouverne-ment précédent (ndlr : gouvernement Eys-kens). Le gouvernement voulait concilierl’efficacité économique et la justice sociale.Et dans le domaine de la santé, il souhaitaitgénéraliser l’assurance soins de santé àtoute la population et garantir aux patientsd’être bien soignés à un prix raisonnable.

En fait, depuis son instauration dans l’im-médiate après-guerre, l’assurance-mala-die, comme on l’appelait à l’époque, com-portait des lacunes ; elle n’avait pas étéachevée. Les dépenses médicales n’arrê-taient pas d’augmenter et les recettesétaient insuffisantes pour couvrir les de-mandes. Le système présentait aussi desdéfauts notoires : certaines prestations desanté étaient remboursées insuffisammentet certaines catégories d’habitants étaientpeu ou pas protégés contre la maladie.

Enfin, n’était toujours pas réglée la ques-tion de savoir si les mutualités (les orga-nismes assureurs), dépositaires des cotisa-

tions de leurs membres, pouvaient garderleur autonomie et être responsables des ré-sultats de leur gestion. Dans la pratique,cela pouvait signifier qu’en cas de déficit,les mutualités devraient réclamer des coti-sations complémentaires à leurs membreset, à l’inverse, en cas de boni, pourraientleur offrir des avantages supplémentaires.

EM : Sur ce point, deux visions s’oppo-saient, entre les milieux chrétiens et so-cialistes. JH : Effectivement, à l’Alliance nationaledes Mutualités chrétiennes (ANMC), on es-timait important que des subventions del’Etat soient accordées aux mutualités pourconcrétiser la solidarité nationale. Mais onrefusait l’idée que ces subventions cou-vrent automatiquement les déficits. Celan’inciterait pas les mutualités à une gestionrigoureuse. Aux yeux des socialistes, aucontraire, l’autonomie et la responsabilitéfinancière des mutualités n’étaient pas in-diquées dans un système obligatoire où lasolidarité entre tous les assurés doit être lapriorité, quelle que soit leur mutualité.

Plusieurs ministres avaient tenté de mettreen œuvre une réforme ambitieuse dans lesannées 50 mais sans succès, en raison desconflits liés à cette divergence de points devue. La Loi du 9 août 1963 est finalement lerésultat d’un compromis: dans le secteurdes indemnités d’incapacité de travail,l’Etat allait compenser intégralement lesdépenses payées par les mutualités à leursaffiliés. Dans celui des soins de santé, lesmutualités disposeraient des cotisations deleurs membres, et le budget de l’Etat pré-voirait un montant pour compenser desdifférences objectives de risques. L’accordpolitique se situait donc bien dans la conci-liation entre responsabilité et solidarité.Encore eut-il fallu par la suite que les sub-sides soient suffisants. Les déficits chro-niques des finances publiques ont entravéla mise en œuvre du compromis.

EM : La loi de 1963 scinde “l’assurance-maladie” en deux secteurs distincts :les soins de santé et les indemnités, letout chapeauté par un parastatal : l’Ins-titut national d’assurance maladie inva-lidité. JH : Pour les soins de santé, l’objectif étaitd’étendre la couverture sociale à toute lapopulation et en premier lieu aux fonction-naires et aux indépendants. Pour les in-demnités, il s’agissait d’octroyer des reve-

nus de remplacement aux travailleurs misen incapacité de travail par la maladie oul’accident.

EM : Améliorer la couverture en soins desanté et assurer la maîtrise budgétairedu secteur faisaient aussi partie des ob-jectifs de la réforme. Quelle était la si-tuation auparavant? JH :Avant 1963, les médecins fixaient libre-ment leurs honoraires mais il n’y avait pasde rapport convenu entre les tarifs et lesremboursements. Ce qui faisait que lesremboursements couraient derrière les ho-noraires qui augmentaient à leur tour. Il fal-lait arrêter cette spirale et réguler le sys-tème par des conventions. Il fallait que lesmédecins prennent leurs responsabilitésdans l’assurance maladie, qu’ils acceptentde négocier les tarifs avec les mutuelles, defixer la valeur relative des actes. Une disci-pline collective qui leur était étrangère à cemoment-là.

EM : La sécurité tarifaire que nousconnaissons actuellement grâce auxconventions signées entre prestatairesde soins et mutualités date donc de cetteépoque. Cette avancée a-t-elle été facileà mettre en place? JH : Que du contraire. Pourtant, le ministreLeburton avait consulté les dirigeants desassociations médicales belges de l’époque.Mais un mouvement d’opposition s’est dé-veloppé en leur sein. Certains médecinspercevaient la réforme comme une menacepour leur liberté. Pourtant, le fait de fixerdes tarifs ne remet en cause ni la liberté thé-rapeutique, ni la liberté de choix du méde-cin, ni la stricte confidentialité, ni le respectdu secret médical. Mais on assistait là untournant de la médecine libérale.Jusqu’alors, on faisait appel au sens de laresponsabilité personnelle du médecindans la fixation de ses honoraires. Avec desrésultats incertains. On est alors passé à laresponsabilité collective, ce dont certainsmédecins, emmenés par le fougueux DrAndré Wynen, ne voulaient pas entendreparler.

EM : Des médecins ont fait un ou deuxjours de grève durant l’été 63 mais celan’a pas empêché la loi d’être adoptée. Enéchange, le gouvernement avait promisde déposer un projet de loi pour préciserles relations entre les médecins et “l’as-surance-maladie”. La situation s’est-ellealors apaisée ? JH :Non. Les mouvements de protestationse sont amplifiés, allant jusqu’à la grève dessoins. Une grève qui a duré de longues se-

maines durant l’hiver 64, et dont certainspatients ont vraiment souffert. Le gouver-nement crut même devoir rappeler sous lesdrapeaux les médecins réservistes. Pouréviter cette réquisition, certains ont fui àl’étranger! La concertation était dans uneimpasse, la crise s’avérait profonde. Les dif-ficultés étaient surtout liées aux divisionsentre les syndicats de médecins. Et, au seindes Chambres syndicales, entre ceux quivoulaient coopérer et ceux qui s’y refu-saient.

Les partenaires sociaux (patrons et syndi-cats) ont alors suggéré une grande réuniond'urgence sous la présidence du Premierministre. Par un hasard de circonstances,Louis Van Helshoecht, à l'époque Secré-taire général de l'ANMC, et son adjoint Ro-bert Van den Heuvel, se trouvaient bloquésà l'étranger. C'est à moi qu'il incomba de re-présenter les Mutualités chrétiennes dansla rencontre avec les représentants du gou-vernement, des autres mutualités, des syn-dicats, des employeurs et des médecins.Lors de cette première séance, je fus stupé-fait de la méconnaissance de la réalité poli-tique et des problèmes sociaux chez cer-tains interlocuteurs. C'est pourquoi j'ai ob-tenu que dès la séance suivante, les repré-sentants des mutualités siègent en face desmédecins et non plus en bout de table.Ceux-ci ont compris alors avec qui ils de-vraient dorénavant négocier. Cette symbo-lique a été utile pour la suite des discus-sions. Les négociations diurnes et noc-turnes furent longues et fatigantes. Ellesont finalement débouché sur un accord enjuin 1964. Cet accord dit de la St-Jeanconfirme le rôle des mutualités et organisela participation des médecins au fonction-nement de l'Inami.C’est une sorte de traité de paix entre legouvernement, les syndicats médicaux etles mutualités. Depuis ce moment-là, unehabitude de concertation s’est installée.Elle a permis, au fil du temps, de nouer desconventions.

Cet accord a aussi consolidé le rôle impor-tant des mutualités dans trois domaines : ladéfense des intérêts des affiliés, la gestiondu système de soins de santé et l’apportd’expertise à l’élaboration de la politiquede santé. Avec comme programme le bien-fondé, la maîtrise financière, l’accessibilitéet la qualité du système de santé. Un sys-tème qui constitue un exemple pour denombreux pays, faut-il le rappeler.

// ENTRETIEN : JOËLLE DELVAUX

(1) Engagé à l’Alliance nationale des Mutualité chrétiennes (ANMC) en 1961 comme attaché de direc-tion, Jean Hallet a été nommé Secrétaire général francophone de l’Alliance en juin 1964. Il est devenuSecrétaire général en 1976 lorsque son collègue Robert Van den Heuvel est devenu Président. Unposte auquel Jean Hallet a accédé en 1991 et qu’il a conservé jusqu’à son départ à la pension en 1993.(2) D’avril 1961 à mai 1965.

D O S S I E R

Lorsque nous devons bénéficier de soins, consulter un médecin, prendre des médicaments ou être hospita-lisé, une bonne part des frais nous est remboursée. Si nous ne pouvons plus travailler pour raisons de santé,nous recevons une indemnité. Ces droits sociaux ne tombent pas du ciel. Ils sont cimentés par la solidarité.L’organisation actuelle de notre système d’assurance soins de santé et indemnités trouve son origine dansune loi, la Loi Leburton, qui aura 50 ans le 9 août 2013. Pour marquer l’évènement, En Marche ouvre lespages de l’histoire, plonge dans les arcanes du système actuel et jette un regard aiguisé sur l’avenir.

Un témoin privilégiéIls étaient une quinzaine autour du ministre de la Prévoyance sociale, EdmondLeburton, à élaborer la loi organisant notre système de santé. Jean Hallet, àl’époque attaché de direction aux Mutualités chrétiennes(1), est l’un de ces arti-sans. Et le dernier d’entre eux à pouvoir témoigner de cette importante réformeet de la manière dont se sont déroulées les négociations politiques dans un cli-mat social difficile. Rencontre.

50 ans de protection solidaire

Soins de santé et indemnités

// DOSSIER RÉALISÉ PAR CATHERINE DALOZE, JOËLLE DELVAUX, OLIVIER GILLIS ET CHRISTEL TECCHIATO

© Matthieu Cornélis

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20 JUIN 2013 EN MARCHE120 JUIN 2013 EN MARCHE

1894

Les mutualités, des associations solidairesDepuis toujours, le besoin de sé-curité a poussé les êtres hu-mains à rechercher la protec-tion du groupe sous toutessortes de formes. Au 19ème

siècle, l’industrialisation crois-sante a provoqué le développe-ment d’une solidarité volontaire etinterpersonnelle organisée au seinde caisses de secours mutuel.

Les mutualités ont bénéficié pour la premièrefois d’une personnalité juridique et d’une re-connaissance gouvernementale en 1851. Al’époque, elles étaient très nombreuses etcomptaient très peu d’affiliés. En 1894, une loiinsuffle un dynamisme nouveau au sein dessociétés mutualistes. Elle leur offre la possibi-lité de se fédérer pour organiser des servicescommuns. Ceux-ci permettent un développe-ment important de l’action des mutualitésgrâce à une assiette plus large de cotisations :secours en cas de maladie et d’infirmité, inter-vention dans les soins spécialisés, dans lesfrais funéraires, primes de naissance et de ma-riage... Les premières à bénéficier de la recon-naissance officielle de l’Etat et de la personna-lité juridique après s’être fédérées furent lesMutualités chrétiennes (1906).

La loi de 1894 a régi l’action des mutualitéspendant près d’un siècle.

En 1990, une nouvelle loi est venue préciser lecadre d’action des mutualités en le plaçantdans le domaine de la santé telle que définiepar l’Organisation mondiale de la santé. Pourl’essentiel, tout en les adaptant à la nouvelleréalité sociale, elle conforte les mutualitésdans les missions qu’elles assument depuisleur création : assurer, informer et assisterleurs membres.

Dans un domaine aussi crucial que la santé, laloi réaffirme l’importance de confier la gestiondu système à des associations basées sur lasolidarité entre ses membres et non sur le pro-fit. Les mutualités se situent effectivement endehors du secteur marchand. Contrairementaux primes des contrats d’assurance, les coti-sations mutualistes ne sont pas calculées enfonction des risques que chaque membre peutcourir. Il n’y a pas non plus de possibilité departage de bonis éventuels réalisés dans le ca-dre de l’assurance complémentaire.

Plus que de simples organismes assureurs, lesmutualités agissent comme défenseurs desmembres et comme mouvement social grâceaux professionnels et aux nombreux béné-voles.

1912

Faire face à l’incapacité de travailAu 19ème siècle, l’invaliditéconstituait pour le mondeouvrier un risque plusrare mais bien plus graveque le risque de mala-die. Aussi, certaines

mutuelles décidèrent-ellesd’accorder un secours journa-lier aux victimes d’incapacité detravail. En 1912, une loi consolidale système mis en place par les

mutuelles en accordant un subside de l’Etat àcelles qui apporteraient un secours prolongé.A l’époque, la maladie chronique était assimi-lée à l’invalidité.

De nos jours, l’assurance indemnités inter-vient pour compenser, chez le travailleur, laperte de revenus occasionnée par une incapa-cité de travail. Celle-ci doit résulter d’une ma-ladie ou d’un accident qui ne sont pas recon-nus comme maladie professionnelle ou acci-dent de travail.

Deux régimes différents existent pour les sala-riés et pour les indépendants (les fonction-naires possèdent leur propre système d’in-demnisations).

L’assurance indemnités octroie aux ayants-droit des indemnités d’incapacité primaire(jusqu’à un an d’incapacité de travail) et desindemnités d’invalidité (dès la deuxième an-née d’incapacité de travail) dont les montantsvarient selon la situation familiale et la rému-nération perdue. Elle octroie aussi des alloca-tions de maternité, des allocations d’adop-tion, des allocations forfaitaires pour l’aidede tierce personne. En outre, le régime destravailleurs salariés prévoit, pour le père oucoparent, une allocation pour le congé denaissance. Pour la mère ou future mère, desindemnités sont octroyées en cas d’écarte-ment du travail pour cause de grossesse oud’allaitement. L’allocation pour frais funé-raires octroyée dans ce régime a été suppriméeau 31 décembre 2012.

1963

Des conventions avec les prestataires de soinsLa Loi Leburton de 1963coula les principes sur labase desquels fonctionneencore aujourd’hui l’assu-

rance obligatoire en soins desanté et indemnités (voir en page7 pour une lecture historique ).Elle a créé le cadre qui a permisd’étendre l’assurance soins desanté à l’ensemble de la popula-tion. Par ailleurs, elle a permis

de répondre à la principale critiquerelative au système antérieur: l’absence de sé-curité dans les tarifs et la non-maîtrise descoûts, tant pour le patient que pour la sécuritésociale (les remboursements suivaient les ta-rifs en perpétuelle augmentation). En effet, laloi a offert un cadre de négociation aux mutua-

lités et aux prestataires de soins pour établirdes conventions qui fixent les honoraires et lesremboursements. Ces conventions sont deve-nues la clé de voûte du système qui garantitainsi aux patients la “sécurité tarifaire”. La loiencadre donc la médecine libérale tout en réaf-firmant l’attachement aux principes que sontla liberté de choix du prestataire de soins par lepatient et la liberté thérapeutique dans le chefdu médecin.

Les mêmes valeurs et préoccupations ont pré-sidé à la loi de 2002 sur les droits du patient.En effet, cette législation a jeté les bases d’unsystème invitant les prestataires de soins à in-former les patients sur le plan médical et tari-faire et à dialoguer avec eux dans le respectmutuel.

1964

Le régime des indépendantsRapidement après les sala-riés, le champ d’applica-tion de l’assurance soinsde santé est élargi aux tra-vailleurs indépendantsen 1964 (elle l’est auxfonctionnaires, un an

après, en 1965). Cependant,seuls ce qu’on appelait alors “lesgros risques”(pour l’essentielles frais d’hospitalisation, radio-graphies...) font alors l’objetd’une assurance obligatoire pour

les indépendants. Ce n’est qu’en janvier 2008que l’assurance “petits risques”, couvrant lesconsultations médicales, les soins dentaires,les soins paramédicaux et les médicaments, estdevenue obligatoire pour tous les indépen-

dants. A ce moment-là, 80% d’entre euxétaient déjà couverts pour les petits risquesparce qu’ils avaient souscrit une assurance fa-cultative auprès de leur mutualité. L’obligationd’assurance a permis à tous les indépendantset les personnes à leur charge de bénéficier desmêmes remboursements pour les soins desanté que les salariés. Les cotisations socialesque versent les indépendants à leur caisse d’as-surance sociale ont été adaptées pour intégrerces nouveaux droits.

Quant au régime des indemnités d’incapacitéde travail, il fut étendu aux travailleurs indé-pendants en 1971. Ceux-ci bénéficient dès lorsd’indemnités d'incapacité de travail et dematernité, gérées par l’Inami, remboursées etpayées par les mutualités.

1972

Une quote-part personnelleDans les années 1970, l’im-pact des deux crises pétro-lières et la montée duchômage ont fait entrer

le pays dans une périoded’austérité. Dans le secteurdes soins de santé, il fallaitmaximiser l’accès auxsoins de qualité souscontrainte de ressources.C’est dans ce contextequ’ont été introduits les

premiers tickets modérateurs ou quotes-parts personnelles dans le coût des soins.Le ticket modérateur est la différence entrel’honoraire prévu par les conventions et ce quiest remboursé par la mutualité pour les presta-tions chez le médecin, à l’hôpital, pour les mé-dicaments, etc. Le ticket modérateur peut va-rier fortement d’une prestation à l’autre, entreles secteurs et selon qu’une personne bénéfi-cie ou non de l’intervention majorée (voir en-cart ci-dessous). Il s’agit donc d’une interven-tion financière directement à charge des pa-tients.

L'objectif du ticket modérateur consiste à res-ponsabiliser le patient par rapport à saconsommation de soins et à éviter qu’il “abusedu système”. Si la mise en place de méca-nismes tels que l’intervention majorée et lemaximum à facturer permettent un meilleuraccès à des populations plus vulnérables, onobserve cependant que l’existence de ticketsmodérateurs constitue un frein à l’accès auxsoins pour toute une série de personnes. Selonla dernière enquête réalisée par la MC à l’occa-sion des 50 ans de l’assurance soins de santé,11% des Belges doivent reporter des soins pourdes raisons financières. Cela concerne princi-palement les personnes en invalidité (31%),au chômage (28%) et des isolés avec enfants(23%).

En conclusion : certes l’intervention financièredu patient permet de conscientiser celui-ci aucoût des soins de santé. Mais elle ne peut avoirpour conséquence que certains groupes de pa-tients reportent des soins. Le système de santédoit donc être amélioré en tenant compte decette problématique.

1998

Une assurance soins de santé généraliséeDans tous les pays qui ontadopté le modèle bismarc-kien comme la Belgique,la sécurité sociale s'estpeu à peu généraliséepar l'extension à des ca-

tégories de population initia-lement non protégées (étu-diants, travailleurs indépen-dants, personnes handicapées,etc.). En Belgique, depuis le 1er

janvier 1998, tous les résidents ont accès ausystème d’assurance soins de santé. Au-jourd’hui, près de 99 % de la population estassurée.

L’universalisation progressive du droit auxsoins de santé mais également aux allocationsfamiliales se reflète dans le financement de lasécurité sociale. Ces dernières décennies, lapart des cotisations sociales a fortement dimi-

nué au profit d’autres sources de financementcomme la TVA ou encore les accises sur le ta-bac. Cette évolution pose la question de la soli-darité dans le financement de la sécurité so-ciale et de la nécessité de repenser celui-ci.

C’est dans cette optique qu’est née, ces der-nières années, l’idée d’introduire, comme c’estle cas en France, une cotisation sociale géné-ralisée (CSG). Celle-ci vise à faire cotiser pasuniquement les revenus liés au travail, maiségalement d’autres sources de financementcomme les revenus mobiliers et immobiliers.Le débat a été lancé au printemps 2010 par laministre des Affaires sociales et de la Santé pu-blique avec sa proposition de “Pacte social”:la part des cotisations sociales au financementde la sécurité sociale n’excéderait pas 50 %, etle manque à gagner serait compensé par desrecettes alternatives via l’impôt des sociétés ouencore par des formes de taxation du capital.

1997

L’accessibilité financière renforcée En Belgique, à partir de la findes années 90, des me-sures ont progressive-ment été introduitespour pallier au fait

que l’assurance soinsde santé ne couvre que par-tiellement les coûts en ma-tière de santé (en moyenne75%), ce qui constitue uneréel problème pour les po-pulations plus vulnérables,tant sur le plan des revenusque de la santé.

Ainsi, le statut Vipo permettant d’être mieuxremboursé pour la plupart des soins médi-caux (hospitalisation, honoraires médicaux,médicaments...) a-t-il été élargi en 1997 à denouvelles catégories de la population. Rebap-tisé Bim (bénéficiaire de l’intervention majo-rée), ce statut a été complété, en 2007, parOmnio, un statut permettant aux ménages àrevenus modestes de bénéficier aussi desremboursements préférentiels. Dans la mêmeoptique, le tiers payant (qui permet au pa-tient de ne pas devoir avancer les frais desanté à l’hôpital ou en pharmacie et de payeruniquement sa quote-part) a été étendu auxconsultations et visites chez le médecin pour

les patients à faibles revenus. C’est le tierspayant social.

Par ailleurs, pour les malades chroniques etles ménages qui accumulent des dépenses desoins de santé élevées, des dispositifs ont éga-lement été mis sur pied tels que le maximumà facturer et les interventions spécifiquespour les malades chroniques (forfait de soins,forfait d’incontinence...).

En outre, d’autres dispositifs prévoyant desavantages financiers pour le patient ont étémis en place tels que le dossier médical glo-bal et les maisons médicales au forfait. Onpeut encore citer les mesures prises dans lebut de diminuer le prix des médicaments, im-plants et prothèses tout comme celles visant àlimiter les suppléments facturés aux patientshospitalisés. Enfin, des mécanismes ont éga-lement été développés pour les personnes quine bénéficient pas de l’assurance soins desanté telle que l’aide médicale urgente.

Malgré toutes ces mesures, de nombreusesétudes mettent en évidence les difficultés ren-contrées par certains ménages à assumer fi-nancièrement des soins de santé. L’accessibi-lité financière du système reste donc un défiimportant.1990

La démocratie interne des mutualitésTous les six ans, les mutuali-tés du pays doivent donnerl’occasion à leurs membres

majeurs de désigner leurs re-présentants dans les diffé-rentes instances mutualistesoù sont prises les décisions.En mai 2010, pour la qua-trième fois, la Mutualitéchrétienne a organisé des

élections en son sein autour duthème ‘Choisir aujourd’hui pour votre santé dedemain’.

Le rôle des élus dans le cadre de la démocratiemutualiste consiste essentiellement à s’assu-rer que la MC soit attentive à la santé et aubien-être de ses affiliés.

Le service aux membres est une préoccupa-tion majeure des élus : ils assurent l’ancragelocal de la mutualité. Chacun, selon ses cen-tres d’intérêt et ses compétences, apporte sacontribution à une Mutualité chrétienneproche de ses affiliés.

1944

La sécurité sociale, chef d’œuvre à protégerLe 28 décembre 1944, un ar-rêté-loi instaure la sécuritésociale. Il s’agit de la traduc-tion en termes légaux d’unprojet d’accord de solida-rité sociale négocié pen-dant la guerre par des re-

présentants patronaux et syndi-caux. Si la sécurité sociale a beau-coup évolué depuis, la loi de 1944n’en reste pas moins fondatrice denotre système actuel.

La sécurité a pour mission d’organiser solidai-rement :> la protection contre la perte ou l’insuffi-sance du revenu professionnel (invalidité,chômage et pensions);

> la couverture des soins de santé;> une partie du coût de l’enfant (allocationsfamiliales).

La sécurité sociale organise donc une couver-ture des risques sociaux en opérant une re-distribution verticale (ceux qui ont plus derevenus sont solidaires avec ceux qui en ontmoins) et horizontale (les personnes enbonne santé sont solidaires avec les per-sonnes malades, par exemple). Ce mélanged’assurance et de solidarité est au cœur dusystème belge de sécurité sociale.

En 2011, les dépenses de sécurité sociale s’éle-vaient, pour les prestations, à près de 70 mil-

liards d’euros répartis comme suit : 36% pourles soins de santé, 33% pour les pensions,15% pour les allocations de chômage, 9%pour les indemnités et 7% pour les allocationsfamiliales.

L'Office national de sécurité sociale pour lestravailleurs salariés (ONSS) et l'Institut natio-nal d'assurances sociales pour travailleurs in-dépendants (Inasti) sont les principaux orga-nismes de perception du financement. Ils per-coivent les cotisations sociales des em-ployeurs et des travailleurs (60% dufinancement), les subsides de l'Etat via les im-pôts (12%) ainsi qu’une part de financementalternatif via, entre autres, la TVA (22%). Ce fi-nancement est ensuite alloué aux différentssecteurs en fonction de leurs besoins. La ges-tion globale permet dès lors une solidaritéforte : les secteurs en déficit sont financés parceux en boni.

La gestion du système repose sur le modèle dela concertation sociale. Les partenaires so-ciaux identifient les besoins à couvrir, déci-dent des moyens à mettre en œuvre et assu-rent la maîtrise des coûts. Plus spécifiquementpour le secteur de la santé, les mutualités et lesprestataires de soins sont impliqués dans leprocessus décisionnel. Ainsi, la politique desanté colle au plus près des besoins des pa-tients, garantit une certaine démocratie parti-cipative et offre une stabilité.

2010

Obligatoire, complémentaire, facultative?La couverture des soins desanté et indemnités peutêtre divisée en trois partiesd’importances inégales:1. L’assurance obliga-

toire du système de sé-curité sociale constitue lacouverture la plus substan-tielle. Administrée par l’Inami,elle comprend deux régimes :le régime général qui s’adresseaux travailleurs salariés, aux

agents de l’Etat et aux personnes assimilées(allocataires sociaux, retraités, résidents...), etle régime des indépendants. L’exécution del’assurance obligatoire est confiée aux orga-nismes assureurs, à savoir les mutualités.

A l’exception des travailleurs de la SNCB quidisposent de leur propre caisse, les titulaireschoisissent librement leur mutualité parmi lescinq Unions nationales : chrétiennes , socia-listes, neutres, libérales ou libres (il existeaussi une caisse publique, la Caami).

2. Au-delà de cette assurance obligatoire, lesmutualités offrent à leurs affiliés des avan-tages et services dans le domaine de lasanté. Ceux-ci ont pour but, soit d’améliorerl’accès aux soins de santé couverts par la sécu-rité sociale (par exemple en remboursant cer-taines quotes-parts personnelles des pa-tients), soit de couvrir des besoins non cou-verts par la sécurité sociale (par exemple, laconvalescence, la téléassistance à domicile...).C’est ce qu’on appelle plus communémentl’assurance complémentaire dont l’Office

de contrôle des mutualités contrôle le respectdes critères. Ces services existent grâce à la so-lidarité entre tous les affiliés de la mutualité :ils sont financés par leurs cotisations et c’estla raison pour laquelle la loi rend les cotisa-tions des membres obligatoires.

Les assemblées générales des mutualités,composées de membres bénévoles élus, impri-ment leur philosophie, fixent les montants decotisations, opèrent des choix dans les avan-tages et services en fonction de leurs prioritéset valeurs. En cela, on constate des différencessubstantielles entre les mutualités. Le choixd’affiliation n’est donc pas anodin. La Mutua-lité chrétienne fait le choix d’une assurancecomplémentaire forte, crédible, solide et soli-daire.

3. Pour permettre aux personnes qui le souhai-tent de bénéficier d’une couverture encoreplus complète, les mutualités leur offrent lapossibilité de souscrire des assurances facul-tatives. Il s’agit, pour l’essentiel, des assu-rances hospitalisation. A la MC, différentescouvertures sont offertes (Hospi +, Hospi +100,Hospi +200). Elles sont au libre choix du titu-laire et de sa famille. La prime varie selon l’âgede la personne assurée et l’importance de lacouverture souhaitée. Depuis janvier 2012, lesassurances mutualistes facultatives sont sou-mises à la plupart des règles qui s’appliquentaux assureurs privés. Fidèle à ses valeurs desolidarité, la MC a adopté pour principe essen-tiel de ne pas limiter son intervention et den’exclure personne pour cause de maladiepréexistante.

1894 1912 1944 1963 1964 1972 1990 1997 1998 2002 2008 2010

Loi permettant aux mutualités de se fédérer Instauration de la sécurité sociale des travailleurs salariés

Introduction des premiers tickets modérateurs

Le statut Vipo devient BIM

Loi sur les droits du patientLoi accordant des subsides aux mutuelles qui apportent un secours aux travailleurs invalides

L’assurance “gros risques” en soin de santé devient obligatoire pour les indépendants

L’assurance soins de santé est étendue aux résidents

Loi confirmant les missions et règlesde fonctionnement des mutualités

Loi sur les assurancesfacultatives des mutualités

L’assurance “petits risques” en soinsde santé devient obligatoire

Loi Leburton jetant les bases de l’assurance soins de santé et indemnités

1

Page 3: Dossier spécial : 50 ans de protection solidaire

20 JUIN 2013 EN MARCHE10

D O S S I E R

La première force du système belge de sécurité sociale se trouve d’abord dans son “importante légitimité” auprès de la population.Plus de 85% des Belges posait un regard positif sur le système en 2006 (1). Oserait-on s’avancer et dire que les fondements du sys-tème remportent encore l’adhésion ? Solidarité entre les malades et les bien-portants, entre les générations, entre ceux qui ont desenfants et ceux qui n’en ont pas, entre ceux qui travaillent et ceux qui ont perdu leur emploi, filet de protection contre la pauvreté...Ces principes continuent en tout cas d'exister, d’agir en toile de fond.

Et demain?

Passer des obstacles

Maintenir – et élargir – l’assiette solidaireAprès une longue crise politique, le gou-vernement fédéral a décidé, fin 2011, quecertaines politiques de santé, d’emploi…passeraient aux mains des entités fédé-rées. Depuis, on parle largement des en-jeux liés à ce “transfert de compétences”.Bientôt, parlements et gouvernements ré-gionaux et/ou communautaires auront lacharge de gérer des domaines qui, jusqu'àprésent, incombaient à l'Etat fédéral. Onpeut citer l’accueil résidentiel en maisonsde repos, les aides à la mobilité pour lespersonnes handicapées, le soutien auxmétiers de la santé de première ligne… Acôté des questions relatives au choix desentités qui accueilleront ces nouvellescompétences (Région? Communauté?), letransfert interroge le financement, la cohé-rence future et l’égalité de traitement entreles citoyens. Certes les déclarations d’in-tention du gouvernement fédéral soutien-nent que: “le patient paiera le même prixpour un même produit ou une même presta-tion, quelque soit l’endroit en Belgique où cesoin lui est prodigué”. Mais, avec l'éclate-ment des compétences vers les diverses en-tités, on peut craindre des divergencesdans les protections sociales. Les couver-

tures risquent de ne plus être identiquesque l'on soit wallon, flamand ou bruxel-lois, que l’on relève de l’une ou l’autreCommunauté. Un problème d'autant pluscriant pour Bruxelles où pourraient se cô-toyer des régimes très différents. Quoiqu’ilen soit, le transfert d’une part de la sécu-rité sociale est décidé. Il a ouvert unebrèche supplémentaire dans le système desolidarité conçu à l’échelle de la Belgique.Les espoirs se reportent en partie mainte-nant sur les accords de coopération entreentités.

Plus globalement, le financement de la sé-curité sociale inquiète. Les dépenses crois-sent, tant les techniques de soins se per-fectionnent, tant la population belgeavance en âge…. Mais la croissance des co-tisations sociales est en deçà. Elle ne per-met pas de couvrir l’évolution des dé-penses. D’autres sources de financement –comme la TVA ou les accises sur le tabac –sont déjà mobilisées (lire page 9 - 1998).Néanmoins, la question reste entière. Lesdébats sur l'assiette de participation de lapopulation et des entreprises à la sécuritésociale restent à faire et surtout à trancher.

Maintenir un cap

Vers des soins de qualité et accessibles à tousA l’occasion des 50 ans de l’assurance soinsde santé – indemnités, la Mutualité chré-tienne a mené une enquête auprès de sesmembres (voir aussi l’éditorial de Jean Her-messe en page 16). Elle témoigne d’unelarge satisfaction (plus de 90%) vis-à-visdes prestataires de soins. Néanmoins, l’en-quête relève que de plus en plus de pa-tients décident de reporter leurs soins. Lenombre de ménages qui y renoncent ou lespostposent pour des raisons financièresaugmente. A Bruxelles, 25% des habitantssignalent des difficultés pour se soigner.Parallèlement les assurances hospitalisa-tion privées se développent, que seuls cer-tains peuvent s’offrir. La Mutualité chré-tienne a pourtant la conviction qu’il estpossible de rembourser mieux certainssoins coûteux, qu’il est possible de dimi-nuer et réguler mieux certains prix, sans fa-

voriser une médecine à deux vitesses. Mais ily a plusieurs conditions à cela. Par exemple :l’offre de soins doit rester suffisante. Or, on lesait, l’âge moyen des généralistes ne cessed’augmenter. La première ligne de soins voitpoindre la pénurie. Veiller à sa survie et à sondéveloppement est une préoccupation essen-tielle pour l’avenir.

Ensuite, il s’agit de garantir le cadre deconcertation entre les mutualités et les pres-tataires de soins. Or, la 6ème réforme de l’Etatmenace. Jusqu’aujourd’hui, le modèle de ges-tion de la sécu permet à la concertation so-ciale (employeurs et syndicats) mais aussiaux acteurs de soins de santé (prestataires etorganismes assureurs) de définir les besoins,de décider des moyens à mettre en œu-vre. Il offre un gage de stabilité, contraire-ment au paysage politique qui change au gré

des élections. Il participe d’un système decompromis où les intérêts des patients sontreprésentés, une sorte de “win-win” là où lesintérêts divergent fortement parfois. L’atta-chement à ce modèle de gestion vient d’êtreréaffirmé pour l’avenir sur Bruxelles. Les au-tres entités doivent encore se prononcer.

Finalement, mettre tout le monde à l’abri desdifficultés demande une attention aux as-

pects pécuniaires, assurément, mais aussiune attention à d’autres facteurs. Les si-tuations de maladie, de handicap ou d’in-validité fragilisent énormément. Tandisque l’habitat, l’éducation, l’ouverture auxautres… déterminent aussi le bien-être.Les fronts sont multiples. La santé n’estpas qu’une question de remboursementde techniques médicales, ne l’oublionspas.

Eviter des travers

Contre la sélectivité au profit de quelques-unsLe secteur de la santé connaît déjà la priva-tisation. Elle se traduit entre autres par unglissement dans le financement des soins.Alors, ce ne sont plus les moyens publics(liés à la rémunération et aux cotisationsversées par les employeurs) qui financentla santé, mais des moyens individuels (viades assurances privées).

Or, privatiser peut augmenter les coûts àcharge du patient voire l’exclure de cer-taines prestations. On pense notammentau coût d’un consultation auprès de cer-tains médecins spécialistes pour lesquels ilest plus rapide d’obtenir un rendez-vous encabinet privé (au tarif hors conventionne-ment) qu’à l’hôpital où ils consultent égale-ment mais au tarif conventionné. La priva-tisation peut aussi induire un mode defonctionnement - via des primes d’assu-rance - où seule la solidarité des risquesjoue un rôle et non plus la solidarité des re-venus. On pourrait résumer l’approchecomme suit : plus le patient est à risque,plus il paye. Les trop grands risques sontexclus. On sélectionne les (futurs) ma-lades.

Ces écueils vont de pair avec l’importancecroissante d’un financement privé guidépar de seules logiques lucratives. Et ces der-nières ne sont pas absentes du domaine dessoins. Prenons l’exemple des maisons de re-

pos. Les organisations marchandes sontdéjà fort présentes dans certains secteursdes soins comme celui-là où les besoinssont criants. Faute d’une offre suffisante parles pouvoirs publics ou faute de moyens pu-blics suffisants pour les acteurs non mar-chands du privé (asbl), elles comblent unvide. On voit ainsi des seniories commer-ciales offrir des logements qui n’existent pasen suffisance dans le cadre des soins prodi-gués par les pouvoirs publics ou les associa-tions aux personnes âgées. En Wallonie et àBruxelles, le secteur commercial des mai-sons de repos est d’ailleurs majoritaire.

Le transfert du fédéral aux entités fédéréesde la compétence “maisons de repos”, sansque les moyens suffisants ne soient garan-tis, amène à s’interroger. Ne risque-t-on pasalors d’accentuer le phénomène de mar-chandisation?

En effet, la marchandisation croissantedans le domaine de la santé inquiète.Lorsque la solvabilité et l’ampleur ducompte en banque deviennent des critèresde sélection pour accéder à tel ou tel ser-vice, lorsque les principes du marché domi-nent, le renforcement des inégalités entrecitoyens menace ; et la concurrence donnele « la ». Nous voilà loin des intentions de laLoi de 1963, visant l’accès au plus grandnombre.

Il n’empêche: fragilisation et menaces rôdentautour de la sécu. Ainsi, voit-on apparaîtrequelques fissures, quelques écarts aux prin-cipes fondateurs. La mise en œuvre de la 6ème

réforme de l’Etat en témoigne, avec le transfertdu fédéral aux entités fédérées, de compé-tences dans les soins de santé notamment.

Certes la sécurité sociale, l’assurance soins desanté - indemnités… sont nées dans un

contexte bien différent d’aujourd’hui. Etjusqu’à présent, leurs fondements n’ont pasété désavoués. En attestent le chemin par-couru, les étapes franchies depuis plus d’unsiècle (voir historique et balises en pages 7, 8et 9). Mais la conjoncture change. Parfoismême, il y a comme un mauvais goût de re-tour en arrière, voire un détricotage desdroits. Le système de sécurité sociale belge estmis sous pression. L’Europe a pris en impor-tance, prônant la libre-circulation et la libreprestation de services, dans un marché dontla régulation se définit par l'efficacité de laconcurrence. La marchandisation s’est éten-due à des secteurs à vocation sociale. Les

mœurs ont évolué, marquées par l’individua-lisme et des comportements davantageconsuméristes. Jusque dans le vocabulaireambiant où “part de marché” et “compétiti-vité” remplacent d’autres slogans comme“protection sociale” ou “solidarité”. Quelchemin prendront à l’avenir les accords de“solidarité sociale” ? Sans aucun doute,deux, trois passages délicats seront à fran-chir, pour poursuivre dans la voie du “secoursmutuel”.

(1) “(In)sécurité sociale?”, Cahier de la Fon-derie, n°45, décembre 2011.