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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2013) 14, 155—158 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ACTUALITÉS Sous la direction de Florentin Clère Douleur chronique : vers une antalgie nutritionnelle ? Chronic pain: Towards a nutritional analgesia? L’Organisation mondiale de la santé fait de l’alimentation un facteur majeur d’influence de l’état de santé de la popula- tion mondiale. En effet, les habitudes alimentaires évoluent progressivement vers une consommation plus calorique, plus riche en graisses saturées et en sucre, plus pauvre en hydrates de carbone et en fibres. Cette évolution pourrait- elle avoir une influence sur la prise en charge de la douleur ? À la lecture de la synthèse [1] publiée par la revue Pain, c’est fort probable... En effet, le système nerveux central a des besoins nutritionnels spécifiques, certains acides gras ne pouvant être apportés que par l’alimentation. Par ailleurs certains déficits vitaminiques sont connus pour favoriser le développement de neuropathies périphériques (vitamine B12, folates) ou de douleurs musculosquelettiques (vitamine D). Enfin, certaines hypothèses nouvelles semblent promet- teuses : l’augmentation de la consommation des huiles végé- tales conduit à une augmentation des apports en acides gras polyinsaturés (AGP) de type omega-6, tandis que la diminution de la consommation de poisson limite les apports en AGP de type omega-3. Il en résulte un ratio omega-6/omega-3 estimé à 10/1 pour un chiffre idéal de 1/1. Ce ratio pourrait avoir une influence néfaste sur le contrôle de la douleur inflammatoire. La littérature scien- tifique a déjà pu démontrer qu’un supplément d’AGP de type omega-3 diminue l’intensité de la douleur articu- laire et la consommation d’AINS au cours des rhumatismes inflammatoires... les polyamines pourraient favoriser la sensibilisation du système nerveux central par le biais d’une activation des récepteurs NMDA. Un régime pauvre en polyamines pour- rait donc devenir une stratégie nutritionnelle utile, en renforc ¸ant l’efficacité des antagonistes des récepteurs NMDA. Il pourrait en être de même pour le magnésium, contenu dans le chocolat, l’avocat, la banane... Seule des études chez l’animal sont disponibles, ces hypothèses restent à prouver chez l’homme... les flavonoïdes (métabolites secondaires des plantes) sont réputés pour leurs propriétés antioxydantes et anti- inflammatoires : elles pourraient contribuer à diminuer les doses d’AINS nécessaires pour obtenir un effet antal- gique. D’un point de vue pharmacocinétique, d’autres aspects viennent encore complexifier la question : la consommation de graisses ralentit le transit et diminue l’absorption intesti- nale de certains médicaments ; les jus de fruits interfèrent avec le métabolisme et l’excrétion de plusieurs produits ; la caféine tend à diminuer l’effet antalgique de certaines molécules. La consommation de graisses, de jus de fruits et de caféine étant en progression au niveau mondial, leur influence ne peut que grandir... Pour l’ensemble de ces raisons, les auteurs de cet article suggèrent d’intégrer sys- tématiquement les aspects nutritionnels à l’évaluation du syndrome douloureux chronique, au même titre que d’autres éléments du mode de vie des patients, comme le niveau d’activité et le sommeil. En parallèle, ils exhortent les chercheurs à transférer leurs travaux de l’animal à l’être humain, afin de mieux cibler ce que pourrait être l’antalgie nutritionnelle de demain. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela- tion avec cet article. Référence [1] Bell RF, Borzan J, Kalso E, Simonnet G. Food, pain and drugs: does it matter what pain patients eat? Pain 2012;153: 1993—6. Florentin Clère Consultation pluridisciplinaire de la douleur, centre hospitalier, 216, avenue de Verdun, 36000 Châteauroux, France Adresse e-mail : [email protected] Rec ¸u le 19 mars 2013 ; accepté le 19 mars 2013 Disponible sur Internet le 4 mai 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.03.001 1624-5687/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Douleur chronique : vers une antalgie nutritionnelle ?

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2013) 14, 155—158

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

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ACTUALITÉSSous la direction de Florentin Clère

Douleur chronique : vers une antalgienutritionnelle ?

Chronic pain: Towards a nutritional analgesia?

L’Organisation mondiale de la santé fait de l’alimentation unfacteur majeur d’influence de l’état de santé de la popula-tion mondiale. En effet, les habitudes alimentaires évoluentprogressivement vers une consommation plus calorique, plusriche en graisses saturées et en sucre, plus pauvre enhydrates de carbone et en fibres. Cette évolution pourrait-elle avoir une influence sur la prise en charge de la douleur ?À la lecture de la synthèse [1] publiée par la revue Pain,c’est fort probable. . . En effet, le système nerveux central ades besoins nutritionnels spécifiques, certains acides gras nepouvant être apportés que par l’alimentation. Par ailleurscertains déficits vitaminiques sont connus pour favoriserle développement de neuropathies périphériques (vitamineB12, folates) ou de douleurs musculosquelettiques (vitamineD). Enfin, certaines hypothèses nouvelles semblent promet-teuses :• l’augmentation de la consommation des huiles végé-

tales conduit à une augmentation des apports en acidesgras polyinsaturés (AGP) de type omega-6, tandis quela diminution de la consommation de poisson limite lesapports en AGP de type omega-3. Il en résulte un ratioomega-6/omega-3 estimé à 10/1 pour un chiffre idéal de1/1. Ce ratio pourrait avoir une influence néfaste sur lecontrôle de la douleur inflammatoire. La littérature scien-tifique a déjà pu démontrer qu’un supplément d’AGP detype omega-3 diminue l’intensité de la douleur articu-laire et la consommation d’AINS au cours des rhumatismesinflammatoires. . .

• les polyamines pourraient favoriser la sensibilisation dusystème nerveux central par le biais d’une activation desrécepteurs NMDA. Un régime pauvre en polyamines pour-rait donc devenir une stratégie nutritionnelle utile, enrenforcant l’efficacité des antagonistes des récepteurs

NMDA. Il pourrait en être de même pour le magnésium,contenu dans le chocolat, l’avocat, la banane. . . Seuledes études chez l’animal sont disponibles, ces hypothèsesrestent à prouver chez l’homme. . . h

1624-5687/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits

les flavonoïdes (métabolites secondaires des plantes)sont réputés pour leurs propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires : elles pourraient contribuer à diminuerles doses d’AINS nécessaires pour obtenir un effet antal-gique.

D’un point de vue pharmacocinétique, d’autres aspectsiennent encore complexifier la question : la consommatione graisses ralentit le transit et diminue l’absorption intesti-ale de certains médicaments ; les jus de fruits interfèrentvec le métabolisme et l’excrétion de plusieurs produits ;a caféine tend à diminuer l’effet antalgique de certainesolécules. La consommation de graisses, de jus de fruits

t de caféine étant en progression au niveau mondial, leurnfluence ne peut que grandir. . . Pour l’ensemble de cesaisons, les auteurs de cet article suggèrent d’intégrer sys-ématiquement les aspects nutritionnels à l’évaluation duyndrome douloureux chronique, au même titre que d’autresléments du mode de vie des patients, comme le niveau’activité et le sommeil. En parallèle, ils exhortent leshercheurs à transférer leurs travaux de l’animal à l’êtreumain, afin de mieux cibler ce que pourrait être l’antalgieutritionnelle de demain.

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférence

1] Bell RF, Borzan J, Kalso E, Simonnet G. Food, pain anddrugs: does it matter what pain patients eat? Pain 2012;153:1993—6.

Florentin ClèreConsultation pluridisciplinaire de la douleur,

centre hospitalier, 216, avenue de Verdun,36000 Châteauroux, France

Adresse e-mail : [email protected]

Recu le 19 mars 2013 ; accepté le 19 mars 2013

Disponible sur Internet le 4 mai 2013

ttp://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.03.001

réservés.