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DÉPARTEMENT DES SCIENCES JURIDIQUES UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Programme de maîtrise en droit international JUR-7620 DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE LA PERSONNE L‛EAU, BIEN COMMUN DE L‛HUMANITÉ L‛ACCÈS À L‛EAU POTABLE EST-IL UN DROIT FONDAMENTAL? LES FONDEMENTS EN DROIT INTERNATIONAL ISABELLE DORÉ SYLVIE PAQUEROT REMIS À Daniel Turp Vendredi le 23 avril 1999

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DÉPARTEMENT DES SCIENCES JURIDIQUES UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

Programme de maîtrise en droit international

JUR-7620 DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE LA PERSONNE

L‛EAU, BIEN COMMUN DE L‛HUMANITÉ L‛ACCÈS À L‛EAU POTABLE EST-IL UN DROIT FONDAMENTAL?

LES FONDEMENTS EN DROIT INTERNATIONAL

ISABELLE DORÉ SYLVIE PAQUEROT

REMIS À Daniel Turp Vendredi le 23 avril 1999

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AVANT-PROPOS

Le débat qui fait rage au Québec autour de la question de l‛eau, puis l‛intervention récente du gouvernement fédéral dans ce dossier, en lien avec l‛éventualité d‛une exportation en vrac de l‛eau potable, auront été à l‛origine de l‛idée de ce travail.

Nous avions de grandes ambitions : examiner l‛ensemble du droit international lié à l‛eau pour ensuite analyser le droit canadien et québécois en la matière ainsi que le traité de libre-échange de l‛ALENA à la lumière des principes internationaux. L‛objectif, lui aussi, était clair pensions-nous : démontrer que l‛accès à l‛eau est un droit fondamental et qu‛à ce titre, nous pouvons exiger de nos gouvernements qu‛ils s‛appuient sur ce droit fondamental pour soustraire l‛eau à tout accord commercial.

Nos recherches nous auront rapidement rappelé les bienfaits de la modestie... et nos propres limites ! Rapidement « noyées » sous la somme d‛informations et de documentation existant sur le sujet, nous avons eu le plaisir d‛une vraie recherche : celui de la découverte.

Nous y avons découvert à quel point le droit international de l‛eau est complexe et éparpillé, fragmentaire et somme toute fort éloigné des préoccupations de droits humains fondamentaux, sauf pour ce qui est des développements les plus récents.

Le cadre d‛une session ne permettait pas de nous aventurer aussi loin que nous l‛aurions souhaité au départ et nous avons dû, en cours de route, abandonner la perspective canadienne en regard du libre-échange que nous envisagions d‛analyser.

Cependant, ce travail nous aura permis de mieux cerner les liens entre les différents secteurs du droit international, de comprendre un peu mieux les multiples relations qui existent entre droits fondamentaux, environnement et développement et surtout, de prendre la mesure des enjeux proprement idéologiques et politiques qui entourent la définition et la mise en œuvre des droits humains fondamentaux au plan international. Il nous aura fourni l‛éclairage préalable nécessaire pour aborder ultérieurement les questions plus directement liées au libre-échange, à la situation canadienne et québécoise... dans un autre cours peut-être !

Il faut, pour agir sur le monde, en mieux comprendre la complexité et, malgré une certaine frustration à ne pouvoir, faute de temps, pousser encore plus loin l‛analyse, nous ressortons de ce travail avec le sentiment d‛avoir, au moins un peu, élargi notre compréhension de cette complexité.

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TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS ....................................................................................................................................................2

TABLE DES MATIÈRES .......................................................................................................................................3

INTRODUCTION....................................................................................................................................................5

Une intervention internationale aux couleurs ambiguës ........................................................................8 Une question de survie… un droit fondamental......................................................................................12

PREMIÈRE PARTIE : UNE HISTOIRE AUSSI LONGUE QUE CELLE DE L‛HUMANITÉ…...........14

CHAPITRE 1 : HISTORIQUE ..................................................................................................................... 14 Les premiers balbutiements d‛un droit international public de l‛eau ................................................16

CHAPITRE 2 : ÉVOLUTION CONTEMPORAINE DU DROIT INTERNATIONAL DE L‛EAU .. 21 Une première tentative de systématisation...........................................................................................23 La convention de New York de 1997 ........................................................................................................25 D‛autres avancées parallèles pour combler des lacunes toujours béantes ......................................29

CHAPITRE 3 : LE PATRIMOINE COMMUN A DES RACINES PROFONDES .............................. 31 L‛origine des notions de «res nullius» et «res communis»...................................................................32 L‛articulation en droit international public du concept de patrimoine commun de l‛humanité.....33 Reconnaissance de l‛eau comme «patrimoine commun» ........................................................................35 La difficulté de définir l‛objet juridique ................................................................................................37 La nécessité d‛une vision globale et d‛un statut « international » de l‛eau ......................................38 Un Débat profondément politique entre deux conceptions : ..............................................................40

DEUXIÈME PARTIE : L‛ACCÈS À L‛EAU EN TANT QUE DROIT FONDAMENTAL ......................44

CHAPITRE 4 : DÉVELOPPEMENT, EAU ET DROITS FONDAMENTAUX : LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS........................................................................................... 46

L‛eau : au centre des enjeux de l‛environnement ...................................................................................46 De l‛environnement au développement .....................................................................................................47 L‛amorce de définition d‛un droit humain fondamental ........................................................................55

CHAPITRE 5 LES DROITS FONDAMENTAUX DITS DE SOLIDARITÉ ....................................... 57 Le droit à un environnement sain ..............................................................................................................58 Le droit au développement .........................................................................................................................61 Le droit à la paix ..........................................................................................................................................63 Le droit humanitaire....................................................................................................................................64 Le droit d‛accès à l‛eau au cœur de tous les droits de solidarité......................................................66

CHAPITRE 6 DROIT AUX RESSOURCES ET DROITS GARANTIS ............................................... 68 Le droit d‛accès à l‛eau potable comme droit fondamental .................................................................68 Une assise juridique dans les droits fondamentaux garantis au niveau international ...................69

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L‛aspect collectif : le droit des peuples de disposer librement de leur richesse ..........................70 Droit à la subsistance... parce que droit à la vie ...................................................................................72 Le droit d‛« être à l‛abri de la faim » ......................................................................................................75 Le droit à l‛égalité ........................................................................................................................................78 « Droit de jouir du meilleur état de santé physique » .........................................................................80 L‛eau et les droits culturels .......................................................................................................................82

TROISIÈME PARTIE : LES OBSTACLES À UNE MISE EN ŒUVRE COHÉRENTE ......................83

CHAPITRE 7 : ENTRE SOUVERAINETÉ ET RESPONSABILITÉ .................................................... 84 CHAPITRE 8 : PROPRIÉTÉ ET CONFLITS D‛USAGE ......................................................................... 90

L‛exemple du Québec...................................................................................................................................91 CHAPITRE 9 : LOI DU MARCHÉ OU LOI DES HOMMES ................................................................ 97

EN GUISE DE CONCLUSION ........................................................................................................................106

BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................................................109

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INTRODUCTION

L‛accès de base à l‛eau est un droit politique, économique et social fondamental, individuel et collectif, car de la jouissance de ce droit dépend la sécurité biologique, économique et sociale de chaque être humain et de toute communauté humaine. Riccardo Petrella Le Manifeste de l‛eau : pour un contrat mondial

Depuis l‛aube de l‛histoire humaine, les populations ont dû et su maîtriser la gestion de l‛eau pour vivre et pour se développer, mais les ressources disponibles sont restées essentiellement les mêmes alors que la population augmentait sans cesse. Dans certaines régions du monde, l‛eau est donc devenue un facteur limitant du développement et un enjeu stratégique. En regard des multiples utilisations dont elle fait l‛objet aujourd‛hui, c‛est la « rareté » de l‛eau qu‛on nous dit devoir maintenant apprendre à gérer pour assurer durablement une réponse aux besoins en eau que nécessitent la vie et la santé des populations tout autant que le développement.

C‛est le paradoxe de l‛eau qui, tout en étant la ressource la plus abondante de la planète - elle recouvre environ 71 % du globe - a, dans une proportion de 98 %, une teneur en sel trop élevée pour servir aux usages humains, qu‛il s‛agisse de consommation directe, d‛irrigation ou d‛usages industriels1. De fait, l‛eau douce accessible, celle que l‛on trouve dans les lacs, les rivières, ne compte que pour 0,25 % du total2. Le reste est salé, sous forme de glace ou emmagasiné dans des nappes trop profondes pour y accéder aisément.

Cette ressource n‛étant pas une « ressource » comme les autres - comme l‛air elle est nécessaire à la vie et sa nature est mobile - elle a représenté une source de préoccupation et d‛intervention à travers les siècles, tant d‛un point de vue géopolitique qu‛humain, social ou économique. Aujourd‛hui, les conséquences de son

1 Jacques Sironneau, “Le droit international de l‛eau existe-t-il ? Évolution et perspective pour la résolution des conflits d‛usages” (1998) Congrès international de Kaslik, Liban, page 1.

2 Loïc Fauchon, “Gestion future des ressources en eau dans l‛espace méditerranéen”, 1998, Congrès de Kaslik,Liban, page 1.

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inégale répartition sont d‛autant plus importantes que les besoins augmentent et que sa qualité se dégrade3. « Ces cinquante dernières années, la disponibilité en eau a diminué des trois quarts en Afrique et des deux tiers en Asie […] un Américain utilise 1 700 mètres cubes d‛eau par an, tandis que la moyenne, en Afrique, est de 250 mètres cubes par an. »4

Faut-il rappeler que « plus de 40 % de l‛eau des fleuves, des roches-réservoirs et des lacs se trouve concentrée dans six pays : le Brésil, la Russie, la Chine, le Canada, les États-Unis et l‛Inde »5, et que 80 pays, où vit 40 % de la population mondiale, sont confrontés à une pénurie d‛eau, l‛Afrique du Nord et le Moyen-Orient étant les pires6. Certaines régions sont donc clairement plus affectées que d‛autres par la « rareté » de l‛eau et nous prendrons à l‛occasion des exemples régionaux pour illustrer les enjeux, notamment dans le bassin méditerranéen7.

La seconde moitié du 20e siècle a vu la question de l‛eau, plus particulièrement de la disponibilité en eau douce, devenir incontestablement un sujet de préoccupation scientifique, économique, social, politique et juridique, tant au plan national qu‛international, partout sur la planète. Si on a pu croire auparavant l‛eau abondante, on ne peut aujourd‛hui maintenir l‛illusion. Comme le rappelle Federico Mayor : « chaque habitant de la planète consomme en moyenne deux fois plus d‛eau qu‛au début du siècle »8, et la population ne cesse d‛augmenter. « Il y a seulement 50 ans, pas un seul pays au monde n‛enregistrait un niveau d‛alimentation en eau « catastrophique ». Aujourd‛hui, près de 35 % de la population mondiale vit dans cette situation. En 2025, les deux tiers des habitants de la planète auront des réserves d‛eau faibles, sinon catastrophiques. »9

3 Par exemple, dans le bassin méditerranéen, les pays les plus riches en eau (France, Italie, Turquie et pays de l‛ex-Yougoslavie) cumulent plus des deux tiers des ressources en eau de la région, alors qu‛un certain nombre de pays se situe sous le seuil de pénurie absolue de 500m3/an par tête (Malte, Libye, Jordanie, Palestine, Tunisie, Israël). Voir Corinne Lepage, “Problèmes régionaux et principes internationaux” 1998, Congrès de Kaslik, Liban, page 2

4 Federico Mayor, (UNESCO), “Vers une nouvelle éthique de l‛eau” (1997) Premier forum mondial de l‛eau,Marrakech, 22 mars.

5 “Le monde de la soif” (1999) Courrier Unesco, février. 6 Riccardo Petrella, Le Manifeste de l‛eau : pour un contrat mondial (1998), Bruxelles, Labor, page 39. 7 Certains bassins, du point de vue des tensions suscitées à l‛égard de l‛eau, représentent des risques plus

importants que d‛autres par rapport à la paix et à la sécurité internationale : le conflit latent entre l‛Irak et l‛Iran au sujet du Chatt-El-Arab, les eaux du Jourdain et de l‛aquifère de la Montagne entre Israël et la Palestine, l‛attitude de la Turquie envers les riverains aval du Tigre et de l‛Euphrate, les riverains du la Malawi en Afrique, etc. Sironneau, supra note 1, page 4.

8 Courrier Unesco, février 1999. 9 “Le monde de la soif”, supra note 5.

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Nos modes de développement donc, tout autant que la croissance démographique, augmentent la pression sur une ressource vitale que l‛on sait désormais limitée et les facteurs aggravants sont nombreux : au plan environnemental, les changements climatiques, la désertification, la disparition des zones humides tampons, la dégradation des sols arables ; au plan économique, la mondialisation des échanges, l‛essor de l‛agro-industrie ; au plan culturel, l‛urbanisation, le passage de l‛agriculture de subsistance à celle de rente ; au plan social, la migration et la croissance démographique fulgurante, l‛essor du tourisme dans certaines régions...10

Par ailleurs, les problèmes de disponibilité quantitative sont eux-mêmes aggravés par une inquiétante dégradation de la qualité de l‛eau.

Les conséquences sont graves à plus d‛un titre. 50 % de la population des pays en voie de développement souffre de maladies liées à l‛eau, 5 % seulement des eaux usées sont épurées ; l‛accès à l‛eau potable devient de plus en plus coûteux ; l‛eau est en train de devenir un bien stratégique11. Chaque année, 6 millions d‛enfants meurent d‛avoir bu de l‛eau contaminée12.

Si les prélèvements ont été multipliés par six entre 1900 et 1995 et par deux depuis 1975, les gaspillages selon les pays et selon les usages vont, eux, de 30 à 50 % d‛après les experts13. Par exemple, l‛agriculture génère 80 % de la demande actuelle mais la moitié de l‛eau consommée y est perdue. Pour les autres usages, on considère un niveau de perte moyen de 30 à 40 %. L‛eau douce ne manque donc pas selon plusieurs, mais elle est l‛objet d‛un gaspillage considérable14.

Par ailleurs, les besoins en eau induits par la production industrielle sont souvent méconnus. Pour faire une voiture, il faut 400 000 litres d‛eau15 ; cela prend environ 9 400 litres d‛eau seulement pour fabriquer les quatre pneus de ladite voiture et 1,4 milliard de litres d‛eau pour produire la quantité de papier journal utilisée au cours d‛une seule journée dans le monde16.

10 L‛Égypte est un bon exemple d‛une conjonction de plusieurs de ces facteurs puisque 63 millions de personnes y vivent sur 4% seulement de la superficie habitable ; Hubert Lang, “La Déclaration de Petersberg”, 1998, Congrès de Kaslik, Liban, page 1.

11 Lang, Id., p.1 12 Daniel Baudru et Bernard Maris, “Quatre modèles de gestion” (1997) Le Monde diplomatique, novembre,

page 24. 13 Petrella, supra note 6, page 41. 14 Fauchon, supra note 2, p. 1. 15 Petrella, supra note 6, page 43. 16 Houria Tazi Sadeq, “La demande monte, l‛offre baisse” (1999) Courrier UNESCO, février.

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Ces problèmes sont reliés les uns aux autres, aggravant l‛ampleur des conséquences sur la disponibilité de la ressource et sa qualité. Ils finissent par former un véritable cercle vicieux, comme en fait foi l‛exemple qui suit, puisé parmi de nombreux autres :

[…] les eaux usées de Santiago, au Chili, forment la quasi-intégralité du Rio Mapocho pendant la saison sèche ; or, ces eaux irriguent 16 000 hectares plantés en légumes et en salades, qui sont destinés au marché urbain. Résultat : Santiago a connu une augmentation des cas de fièvre typhoïde au milieu des années 80.17

L‛enjeu principal devient donc l‛économie de la ressource existante, car le véritable paradoxe de l‛eau est en fait humain : « nous gaspillons une ressource sans laquelle nous ne pourrions pas vivre »18, et la multiplication des conflits intra-étatiques, et interétatiques ainsi que leur intensité sont des signes indicateurs de la faiblesse du système de régulation collective : « Sur les 214 bassins hydrographiques du monde mentionnés dans Corson, 155 sont partagés entre deux pays, 36 entre trois nations, 23 bassins sont partagés entre un nombre de pays allant jusqu‛à douze : ainsi le Nil (neuf pays), le Zaïre (neuf), le Mékong (six), l‛Amazone (sept), le Zambèze (huit). »19

Une intervention internationale aux couleurs ambiguës

On voit donc assez bien, à travers ce portrait superficiel et fragmentaire, pourquoi depuis pratiquement un quart de siècle, la question de l‛eau retient l‛attention de nombreuses organisations internationales. La Décennie internationale de l‛eau 1981-1990, instituée suite à la Conférence de Mar Del Plata20, a pris fin depuis presque une décennie et son principal objectif, celui de donner accès à l‛eau potable à tous les êtres humains pour l‛an 2 000, est loin d‛être atteint, malgré les efforts en ce sens.

17 Mark Fortier, “L‛eau : quand l‛abondance se fait rare” (1997) Le Temps fou, no 20, page 13. 18 “Eau douce : à quel prix?“ (1999) Courrier UNESCO, février. 19 Riccardo Petrella, supra note 6, pages 49 et 55. 20 La première grande conférence mondiale sur l‛eau, organisée par les Nations Unies en 1977, a eu lieu à Mar

Del Plata en Argentine. Nous n‛avons pas réussi a obtenir le texte de cette conférence. Cependant, comme le signale Mohamed Larbi Bouguerra, “Déjà en 1977, la conférence des Nations Unies de Mar Del Plata proclamait”tout le monde a le droit d‛accéder à l‛eau potable en quantité et en qualité égales pour ses besoins essentiels”.” (1997) Le Monde diplomatique, novembre, page 24.

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Cette ressource, vitale entre toutes, a fait l‛objet de maintes discussions, résolutions et conventions au plan international, mais avant les années 1970, le plus souvent, pour ne pas dire presque exclusivement, on retrouve cette préoccupation au sein du droit international général ou du droit international du commerce.

En juin 1992, lors du Sommet de la Terre tenu à Rio de Janeiro21, les enjeux liés à l‛eau douce ont encore une fois été scrutés, examinés, discutés... et une journée mondiale de l‛eau a été instituée. La Commission sur le développement durable des Nations unies (CDD), créée pour assurer le suivi des décisions de Rio, a depuis repris à son compte cette préoccupation et mis en place de nombreux groupes de travail sur différents aspects de cette problématique complexe.

Les intervenants dans ce dossier se sont multipliés tant au plan des institutions internationales que des acteurs sociaux ou économiques, et les différents intérêts en présence sont parfois ambigus, parfois difficiles à identifier. Ainsi en est-il du Conseil mondial de l‛eau, qui d‛un côté travaille avec les organisations internationales « publiques » (FAO, PNUE, PNUD, UNESCO, UNICEF, OMM, OMS, etc.) avec lesquelles il a créé une Commission mondiale pour l‛eau pour le 21e siècle, présidée par le vice-président de la Banque mondiale, et dont le principal objectif est de développer une « Vision mondiale de l‛eau », mais qui, d‛un autre côté, est financée en partie par la Lyonnaise des eaux22. De même, l‛Académie de l‛eau collabore avec la Banque mondiale, pour l‛élaboration d‛une Charte sociale de l‛eau, en vue de la Conférence internationale de La Haye prévue pour le 22 mars 2000. Tous ces organismes, tous ces groupes s‛entendent sur un constat : le caractère stratégique et vital de la question de l‛eau. Au-delà cependant des divergences s‛installent et. depuis un peu plus d‛une décennie, l‛emprise de l‛idéologie du libéralisme, du « tout au marché », se fait sentir là aussi.

Ainsi, notamment à partir de la moitié des années 80, les organismes multilatéraux internationaux tels que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et leurs associés, tels que la Banque asiatique pour le développement, la Banque latino-américaine pour le développement ainsi que l‛OCDE, ont commencé à parler de plus en plus fréquemment et clairement de l‛eau en tant que « bien économique ». [...] Dans sa très grande majorité, le monde de l‛économie (les industriels, les financiers, les assureurs,...) a encouragé et soutenu une telle approche. Sans qu‛il y

21 De son nom officiel, la Conférence des Nations unies sur le développement et l‛environnement.22 Valérie Peugeot, “L‛eau, patrimoine commun” (1998) Transversales Science Culture, no 54, novembre-

décembre, page 13.

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ait « conspiration délibérée », force est de constater que depuis une dizaine d‛années, il y a - dans le domaine de l‛eau - une grande convergence, voire similitude, entre les visions et les prescriptions d‛action des grands organismes multilatéraux mondiaux et le monde des affaires.23.

Les intérêts en jeu sont énormes, tant au plan de l‛usage de l‛eau dans la production qu‛au plan de la distribution de la ressource elle-même. Les grandes transnationales de l‛eau sont donc aussi des acteurs qu‛il faut considérer dans ce portrait des intérêts en présence. Ainsi, la Compagnie générale des eaux, la Lyonnaise des eaux et Bouygues, les trois géants français de ce secteur, sont « devenus les maîtres de l‛eau sur la planète, avec des taux de rentabilité nette de 15 % à 25 % hors France. »24

À côté de la régulation mondiale de l‛ « or bleu » se pose la question de sa fourniture et de sa gestion privée par les mégagroupes qui adossent leur puissance et leur développement à cette rente par des contrats trentenaires. Or, l‛un des principes fondamentaux d‛une gestion démocratique est que tout ce que l‛eau rapporte devrait, au centime près, retourner à elle en dépollution, assainissement, investissement, etc.25

En fait, quatre thèses s‛affrontent concernant les enjeux de l‛eau. La première est celle de l‛eau facteur limitant du développement, si on le veut durable. C‛est en vertu de cette première thèse que la notion de patrimoine commun de l‛humanité paraît la plus appropriée. Selon cette thèse, un très grand nombre de pays ne pourront accéder à l‛autosuffisance alimentaire par manque d‛eau d‛irrigation. Selon cette école d‛inspiration anglo-saxonne, « l‛ensemble des prélèvements humains représente un quart de l‛évaporation terrestre et atteindra bientôt le maximum écologiquement acceptable ».26

La deuxième thèse est celle de l‛eau « premier aménageur de l‛espace humain », qui considère que la politique de l‛eau doit s‛établir par pays et par régions, notamment en termes de bassins versants. C‛est la politique des grands travaux ; l‛approche en termes d‛emploi y est privilégiée et l‛eau devient un outil majeur d‛aménagement du

23 Riccardo Petrella, supra note 6, page 23. 24 Daniel Baudru et Maris, supra note 12, page 24. 25 Idem. La rente dont les auteurs parlent c‛est en fait “l‛avantage comparatif” dont bénéficient ces firmes

privées qui gèrent un bien gratuit. Nous reviendrons plus loin sur cette question. 26 Loïc Fauchon, supra note 2, pp 2-3.

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territoire27. Celle-ci se concilie aisément avec la troisième thèse qui s‛appuie sur la prééminence donnée à l‛indépendance nationale en matière de ressources dites « naturelles » ; c‛est celle de l‛eau enjeu géostratégique, qui demeure accrochée à la doctrine de la souveraineté absolue, sur laquelle nous reviendrons plus loin... C‛est celle d‛Israël, assurément. La quatrième thèse enfin, la plus connue, est celle de l‛eau bien économique, celle du bon usage de l‛eau. Sans aller jusqu‛au concept de marché global de l‛eau, chacun admet que l‛eau a un prix et que la gratuité peut en bien des cas être annonciatrice de pénurie28.

On voit assez bien que si certaines de ces thèses peuvent être conciliables, d‛autres sont fondamentalement contradictoires, notamment la première et la dernière, puisque la nécessité d‛une perspective de long terme, à l‛échelle du siècle et de plusieurs générations, pour la pérennité de la ressource, demeure inconnue des règles du marché et de la compétitivité qui lui est inhérente. Ces quatre thèses sous-tendent la plupart des décisions, actions et interventions en matière d‛eau au plan international à l‛heure actuelle, la dernière étant à l‛évidence largement reprise ces dernières années.

Encore en juin 1995, le magazine The Economist écrivait que « la Colombie Britannique a de l‛eau en abondance et la plus grande partie de cette eau se perd dans la mer « ...ends in the sea... » [...] Le fleuve exemplaire ce serait donc le Colorado qui s‛engouffre tout entier dans les 560 000 piscines de la Californie ! »29.Cet exemple montre à l‛évidence que la prise en compte de la complexité des écosystèmes est loin d‛être acquise.

Les exemples les plus criants de cette incapacité à soumettre nos modes de développement aux conditions d‛un développement durable, viable ou soutenable sont sans nul doute les États-Unis et Israël. Dans le premier cas, il faut savoir que « l‛Ogallala, le plus important aquifère des États-Unis, est en voie d‛épuisement, menaçant l‛agriculture des Hautes Plaines, depuis le Texas jusqu‛au Nebraska. Dans ces régions, le déficit de pompage est de 17 milliards de m3/an [...]. »30 Dans le

27 Idem. 28 Idem. Certains y vont de plus en plus allègrement et la comparaison avec le pétrole est reprise de plus en

plus souvent : «imagine-t-on que l‛extraction du pétrole et sa transformation restent entre les mains de régies municipales? S‛offusque-t-on vraiment que des groupes pétroliers fassent des bénéfices inconsidérés à partir de ressources naturelles et de services publics? Si tel était le cas, cela se saurait…» Loïc Fauchon, supra note 2, page 5.

29 Cité dans L‛Agora, Le Sang de la terre, no spécial vol.6, no 2, 1999, page 4. 30 Jean-Pierre Villeneuve, Alain Rousseau et Sophie Duchesne (Eds), Symposium sur la gestion de l‛eau au

Québec (1998), Actes du symposium tenu en décembre 1997, Québec, INRS-Eau, 3 volumes, vol. 1.

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second, est-il utile de rappeler que plus que n‛importe où sur la planète, la question de l‛eau au Proche et Moyen-Orient, est représentée par les mots guerre, conflit, bataille de l‛eau, pénurie, sécheresse, manque d‛eau.

Devant la « rareté » de cette ressource vitale, certains proposent des solutions axées sur la solidarité, d‛autres sur la compétition et les seconds semblent avoir le vent dans les voiles, risquant de réduire l‛enjeu de l‛eau à l‛équation suivante : « la guerre ou le marché ».31 Mais avant même de parler de guerre, la question qui se pose est de savoir si une grande partie de l‛humanité ne va pas mourir de soif avant de mourir de faim ?

L‛explosion incontrôlée de la demande de l‛industrie, de l‛agriculture, du tourisme et des ménages des pays riches a conduit à la pollution de certaines nappes phréatiques et à de formidables gaspillages annonciateurs de sévères pénuries. Celles-ci sont déjà le lot quotidien de plus de 1,4 milliard d‛humains privés d‛accès à l‛eau potable. Qui sera l‛arbitre entre les besoins de l‛ensemble des habitants de la planète et des intérêts particuliers ? Le marché, accélérateur des inégalités, ne saurait jouer ce rôle. Le temps est désormais compté pour une autre approche – coopérative et internationale – de la gestion de ce qui doit rester ou redevenir un bien commun de l‛humanité.32

Une question de survie… un droit fondamental

Pour notre part, nous souhaitons démontrer qu‛il existe d‛ores et déjà certains fondements au sein du droit international des droits de la personne pour considérer l‛accès à l‛eau potable comme un droit fondamental, inhérent et inaliénable donc, à toute personne humaine. Puisque aujourd‛hui encore, selon les données du PNUD, 15 millions d‛êtres humains meurent chaque année d‛une absence d‛accès à l‛eau potable33, il nous semble que là se situe la question principale.

Si les enjeux de l‛eau peuvent être liés au droit à un environnement sain, ils interpellent aussi les droits fondamentaux au titre du droit des peuples à disposer de leurs ressources naturelles et du droit au libre développement, en plus, clairement, de constituer un élément non substituable du droit à la vie et à des

31 Titre d‛un article de Jean-Paul Besset dans Le Monde, 28 mars 1997. 32 Mohamed Larbi Bouguerra, supra note 20, page 24. 33 Programme des nations unies pour le développement (PNUD), Rapport sur le Développement humain.

Éradiquer la pauvreté, Washington, 1997.

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« conditions d‛existence » ayant une incidence, par ailleurs, sur d‛autres droits reconnus tels que le droit à la santé, le droit à un logement adéquat, le droit à l‛éducation, etc. Il importe de tenir compte de cette caractéristique spécifique de l‛eau qui lui confère un statut particulier entre toutes les ressources naturelles dont les peuples peuvent disposer pour leur subsistance.

La question est complexe. Elle chevauche plusieurs champs du droit international. Il nous paraissait cependant essentiel d‛en examiner toutes les ramifications pour mieux comprendre et éclairer les enjeux qu‛interpellent les débats dans la perspective canadienne et québécoise. Ainsi, bien que privilégiés, le Canada et le Québec ne peuvent se situer en dehors de la réalité mondiale et ils ne peuvent non plus, faire fi des tendances qui se dessinent au plan international. L‛affrontement idéologique qui se cristallise nous ramène clairement aux enjeux des débats nationaux : si nous reconnaissons le droit d‛accès à l‛eau comme droit fondamental, les États n‛auraient-ils pas la possibilité, voire même l‛obligation, de déclarer nulle et non avenue toute clause de traité commercial qui enfreindrait ce droit ? Et si l‛eau est considérée comme patrimoine commun de l‛humanité, quelles seraient alors les obligations des États ? Le fait, en soi, que même dans un pays aussi « nanti » de cette ressource les débats font rage, illustre à quel point les enjeux sont globaux et la problématique transversale.

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PREMIÈRE PARTIE : UNE HISTOIRE AUSSI LONGUE QUE CELLE DE L‛HUMANITÉ…

CHAPITRE 1 : HISTORIQUE

Avant même toute activité humaine organisée, le premier usage de l‛eau reste celui de la vie : humaine, végétale, animale... Déjà dans les textes anciens, le problème de son usage était abordé et parfois résolu avec simplicité : lorsqu‛il s‛agissait de cours d‛eau, l‛aval avait des droits sur l‛amont34. Les premiers travaux d‛irrigation remontent d‛ailleurs aux Sumériens, quelque 4 000 à 3 500 ans avant notre ère ; la construction d‛un barrage sur le Nil pour satisfaire aux besoins d‛irrigation intervient à peine cinq cents ans plus tard et en 2 000 avant notre ère, apparaissent les premiers travaux de dérivation des eaux du Nil à travers un canal de 19 kilomètres35.

Les interventions humaines pour garantir l‛accès à l‛eau sont donc « vieilles comme le monde » et la mise en place de règles de droit pour régler les conflits d‛usage, presque autant. C‛est en effet vers l‛an 600 avant JC que sont inscrites dans la constitution athénienne, sous Solon, les lois de l‛eau. Solon étant considéré parfois comme le « premier législateur d‛Occident et le créateur de l‛État de droit », c‛est dire à quel point l‛eau fut un des tout premiers objets du droit36.

Quelques siècles plus tard, c‛est le philosophe Platon qui précisera les règles devant s‛appliquer à l‛eau, que nous aurions encore intérêt à mettre en œuvre aujourd‛hui :

L‛eau est la chose la plus nécessaire à l‛entretien de la vie, mais il est aisé de la corrompre [...] Car pour la terre, le soleil, les vents, ils ne sont point sujets à être empoisonnés, ni détournés, ni dérobés, tandis que tout cela peut arriver à l‛eau, qui, pour cette raison, a besoin que la loi vienne à son secours. Voilà la loi que je propose : Quiconque aura corrompu l‛eau d‛autrui, eau de source ou eau de pluie ramassée, en y jetant certaines drogues, ou l‛aura détournée en creusant, ou enfin dérobée, le propriétaire portera sa plainte devant les […] Et celui qui sera convaincu d‛avoir

34 Père Basile Basile, “Le contexte juridique et éducatif du congrès” (1998) Congrès de Kaslik, Liban, page 2. 35 Hélène Laberge, “Le temps de l‛eau” (1999) L‛Agora, supra note 29, page 21. 36 Idem.

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corrompu l‛eau, outre la réparation du dommage, sera tenu de nettoyer la source ou le réservoir […].37

Les Romains, par la suite, construiront de nombreux aqueducs, reprenant à leur compte l‛idée que l‛eau est essentielle, et introduiront dans leur droit l‛idée de bien commun.

Depuis le début de notre ère, le tribunal de Valence38, en Espagne, qui existe depuis plus de mille ans, peut servir d‛exemple d‛une gestion fondée sur la considération de l‛eau comme bien commun ; d‛une gestion coopérative et responsable qui permette de limiter les intérêts individuels dans la mesure où l‛intérêt collectif et la préservation des ressources le requièrent.

À l‛opposé, plus près de nous dans le temps : « Dans le cas de la mer d‛Aral, les citoyens, à l‛échelle locale comme à l‛échelle des nations touchées, au lieu de coopérer pour gérer sagement une ressource limitée, ont rivalisé pour en abuser »39.

Compétition ou coopération, aujourd‛hui comme hier, définissent les deux grands pôles de tension autour d‛une ressource essentielle à tous qu‛il faut partager. On les retrouve d‛ailleurs dans l‛évolution du droit international de l‛eau sous différentes formes. Il existe donc quelques repères du passé qui peuvent nous indiquer la voie à suivre pour gérer cette ressource essentielle à la vie, dont les paramètres fondamentaux ne sont guère différents des grandes tendances actuelles. L‛histoire humaine se construit en prenant le passé pour assise et « le corpus juridique international que les États ont lentement élaboré, à partir de principes vieux de plusieurs siècles »40 sert de guide concret et pratique.

37 Platon, Les lois, livre VII, 400 av. JC., rapporté par Hélène Laberge, Id.38 Le Tribunal de l‛eau de Valence a été créé en 960 par le calife de Cordoue Abderraman III pour garantir

que tous les cultivateurs de la vallée de la Turia reçoivent l‛eau dont ils avaient besoin. Encore aujourd‛hui, les huit syndics de ce tribunal tranchent les litiges sur le parvis de la cathédrale de Valence. Voir “Valence : 10 siècles d‛eaux tranquilles” (1999) Courrier UNESCO, février.

39 Jacques Dufresne, “L‛eau : quand un gouvernement s‛en lave les mains” (1999), L‛Agora, supra note 29, page 5.

40 Joseph W. Dellapenna, “Eaux sans frontières : le marché ou la coutume” (1999) Courrier UNESCO, février.

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Les premiers balbutiements d‛un droit international public de l‛eau

Le droit international de l‛eau, lui, s‛est d‛abord porté sur la navigation, puis l‛hydroélectricité. En 805, l‛empereur Charlemagne octroie à un monastère la liberté de naviguer sur le Rhin et depuis cette date, environ 3 800 actes, déclarations ou traités dans le domaine de l‛utilisation des eaux internationales ont pris place, dont 1 783 de 1900 à 1983.41

Au plan historique, des traités importants pour retracer les fondements du droit international contemporain ont été signés entre 1648 - date du traité de Westphalie - et le début du 19e siècle, mais ceux-ci portaient essentiellement sur la liberté de navigation, « selon une approche libérale de développement sans entrave des échanges commerciaux »42. C‛est surtout aux 19e et 20e siècles que de tels instruments ont connu une croissance exponentielle43.

Le Traité de Vienne du 9 juin 1815 internationalisant un certain nombre de fleuves d‛Europe restreindra quelque peu cette libéralisation en réservant cette liberté aux seuls riverains, alors que la Convention de Barcelone du 20 avril 1921, qui définit le régime des voies d‛eau navigables d‛intérêt international, appliquera la liberté de navigation en faveur de toutes les parties à la convention.

Les pays européens transposeront ce principe de liberté de navigation à certains fleuves africains44 et, dans la seconde moitié du 20e siècle, avec la décolonisation, plusieurs conventions reprendront dans d‛autres parties du monde, ce principe de liberté de navigation, soit réservée aux riverains, soit générale45.

41 Sironneau, supra note 1, page 1. Les données qu‛il présente sont tirées du Répertoire systématique par bassin, de traités, déclarations, textes législatifs et jurisprudence concernant les ressources en eau international, FAO, Études législatives no 15, Rome, 1978. Voir aussi Raphaëlle Fauvel-Simier, “L‛eau et la géostratégie mondiale à l‛aube du XXIe siècle” (1998) Centre d‛analyse sur la sécurité européenne, 5 février, page 7.

42 Paul Reuter, Droit international public, 1983 Paris, PUF, Thémis, pp. 372 et suiv. Voir aussi Philippe El Fadl, “Les conventions internationales sur l‛eau”, (1998) Congrès de Kaslik, Liban, pp.3-6 et Charles Rousseau, Droit international public (1970) Paris, Dalloz, pp. 203-223.

43 286 traités sont encore actuellement en vigueur mais ils ne concernent qu‛une minorité des bassins internationaux (61/200), voir Sironneau, supra note 1, page 2.

44 Dante A. Caponera, “Les eaux partagées et le droit international” (1998) Congrès de Kaslik, Liban, page 2, cite pour sa part le Congo, le Niger et le Zambèse, internationalisés par l‛Acte de Berlin déjà en 1885. Voir aussi Philippe El Fadl, supra note 42, page 4.

45 Sironneau, supra note 1, page 3 : sur le Mékong en 1954, sur le Nil en 1959, sur l‛indus en 1960, sur le Niger en 1963 et sur le fleuve Sénégal en 1964.

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À partir du début du 20e siècle, certaines conventions prendront aussi en compte les aménagements hydroélectriques ou hydrauliques, surtout, au début, afin qu‛ils ne portent pas atteinte à la navigabilité et à la flottabilité46. Par la suite, la considération de l‛hydroélectricité prendra de l‛ampleur et inclura d‛autres volets, tels que la solidarité en cas de sécheresse exceptionnelle dans un des États et d‛abondance dans l‛autre47.

Le 20e siècle a aussi vu apparaître d‛autres types de préoccupations liées à l‛utilisation des eaux internationales, au fur et à mesure du développement, notamment la lutte contre la pollution, la maîtrise des crues, les usages concurrents et la répartition des débits.

À l‛égard de la préservation, les premières conventions apparaissent vers la fin du 19e siècle48. Celles-ci se préoccupent surtout des pêches et de la santé publique. Ce sont les accords entre le Canada et les États-Unis qui seront parmi les premiers accords internationaux qui introduiront une interdiction de pollution des cours d‛eau de portée générale. Ainsi, on retrouve cette « obligation de comportement » dans le Traité relatif aux eaux limitrophes entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, du 11 janvier 190749. On retrouvera aussi dans certains traités, plus tard au 20e siècle, une « obligation de coopération » en regard de la préservation, comme dans le Traité relatif à la qualité de l‛eau des Grands Lacs du 22 novembre 1978, où les règles formulées sont de procédure plutôt que de fond50. C‛est vers la même période, d‛ailleurs, qu‛apparaissent les conventions les plus importantes concernant les rejets.

On retrouve surtout les conventions à l‛égard de la répartition des débits en Asie mineure et au Moyen-Orient, où la faiblesse des ressources en eaux exige une

46 C‛est la France qui sera la première à introduire cette préoccupation dans le cas de la convention bilatérale concernant l‛aménagement hydraulique du Rhône à Pougny-Chancy. Cette préoccupation sera reprise dans la Convention de Paris du 23 juillet 1921., Sironneau, supra note 1, page 3.

47 C‛est le cas du Traité de Washington du 3 février 1944 conclu entre les États-Unis et le Mexique concernant les eaux du Colorado, du Tijuana et du Rio Grande qui mettait en place une commission pour la construction de barrages en commun, Sironneau, supra note 1, page 4.

48 À titre d‛exemple, on peut signaler la Convention italo-suisse du 13 juin 1906 ou l‛Acte final de la délimitation de la frontière internationale des Pyrénées entre la France et l‛Espagne du 11 juillet 1868. Voir à ce sujet Charles Rousseau, supra note 42; ou Patricia Buirette “Genèse d‛un droit fluvial général” (1991) RGDIP, pp. 6-69.

49 Voir notamment l‛article IV, paragraphe 2. 50 Philippe El Fadl, supra note 42, p.2

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coopération concernant la répartition des prélèvements pour l‛agriculture. La plupart des conventions répartissent les eaux sur une base égalitaire entre les États riverains, en se fondant, déjà, sur le principe d‛un « droit de participation équitable et raisonnable ». On retrouve aussi un principe de répartition sur une base quantitative et un principe de répartition sur une base territoriale dans d‛autres conventions, ce dernier permettant du même coup de répartir les îles de cours d‛eau communs51.

Il faut aussi mentionner que si l‛importance des eaux souterraines et la complexité des aquifères n‛ont fait l‛objet de préoccupations qu‛assez récemment - puisque les connaissances scientifiques ne permettaient pas d‛en comprendre les tenants et aboutissants - elles ont tout de même été l‛objet de traités de manière indirecte, à travers la délimitation de certaines frontières, depuis aussi loin que le 18e siècle52.C‛est d‛ailleurs là que l‛on retrouve le plus clairement la préoccupation de la consommation humaine puisque certains accords de frontières « cèdent » des zones permettant aux populations d‛avoir accès à des sources à proximité de leur lieu d‛installation53. Sauf de rares exceptions, les interactions entre eaux de surface et eaux souterraines et la préoccupation pour les risques de pollution de ces dernières n‛apparaîtront que dans la seconde moitié du 20e siècle54.

Mais, historiquement, le plus remarquable c‛est que : « le domaine du droit international de l‛eau s‛est limité à certains usages et surtout éprouve des difficultés à promouvoir des règles censées prohiber l‛usage de l‛eau comme arme de destruction. »55 Alors même que la préoccupation de conflits et de tensions liés à l‛utilisation de l‛eau ne date pas d‛hier.

« Water » and « War » are two topics being assessed together with increasing frequency... international law is poorly developed, contradictory and unenforceable. [...] recent articles in the academic literature point to Water not only as a cause of historic armed conflict,

51 Idem. Cet auteur cite notamment l‛exemple du partage des eaux de la mer d‛aras (1927) et plusieurs autres exemples de conventions concernant les différentes modalités de répartition..

52 Philippe El Fadl, supra note 42, page 6, mentionne à cet égard le traité de frontière entre la France et l‛Espagne du 27 août 1785.

53 Idem. L‛auteur mentionne notamment un accord italo-égyptien du 6 décembre 1925 qui cède le puit de Ramlaà l‛Égypte pour l‛approvisionnement en eau de la population de Sollum.

54 Julio Barberis, “Le régime juridique international des eaux souterraines” (1987) Annuaire français de droit international, pp. 130-162.

55 Sironneau, supra note 1, page 1.

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but as the resource which will bring combatants to the battlefield in the 21st century.56

Le nombre impressionnant de traités signés en matière d‛utilisation de cours d‛eau peut en fait être considéré comme un indice de conflits potentiels qui ont trouvé une solution pacifique. Ils indiquent une relation entre la stabilité politique d‛une région et l‛accès à l‛eau. La question de l‛eau est donc, et ce depuis longtemps, un enjeu de sécurité au plan international même si les guerres proprement dites, dont le partage de l‛eau peut être une des causes, ne sont pas monnaie courante dans l‛histoire.

In order to cut through the prevailing anecdotal approach to the history of water conflicts, we investigated those cases of international conflict where armed exchange was threatened or took place over water resource per se [...] 412 crises for the period 1918-1994, seven disputes were water was a cause, even partially.57

L‛eau n‛a jamais été et ne sera jamais réductible à un espace exactement circonscrit par une autorité unique – à moins qu‛un véritable gouvernement mondial puisse être envisageable – et a donc dû, à travers toutes les périodes de l‛histoire, faire l‛objet de négociations et d‛aménagements. Avant l‛avènement des États Nations comme forme usuelle d‛organisation des sociétés, les groupes humains devaient établir des ententes entre eux afin de satisfaire les besoins de chacun en eau, à chaque fois qu‛ils se partageaient à l‛évidence une ressource commune. Qu‛il s‛agisse des peuples dont les racines suivent le cours du Nil ou des Cités États européennes, qu‛il s‛agisse des sources des oasis ou des grandes steppes asiatiques, c‛est probablement avec l‛eau que la conscience de l‛interdépendance à l‛égard des ressources naturelles est apparue en premier. S‛il a fallu une bonne dose de connaissance scientifique avant de savoir que la déforestation en Amérique Latine pouvait avoir des impacts sur l‛ensemble de la planète, les grandes épidémies liées à l‛eau remontent à beaucoup plus loin.

56 Aaron T. Wolf and Jesse H. Hamner, “Trends in Transboundary water - disputes and dispute resolution”, 1998, Congrès de Kaslik, Liban, 3 pages.

57 Aaron T. Wolf and Jesse H. Hamner. Id., Les sept conflits contemporains identifiés sont les suivants :Entre l‛Inde et le Pakistan en 1948, de février 1951 à septembre 1953, entre la Syrie et Israël ; de janvier à avril 1958 entre l‛Égypte et le Soudan, de juin 1963 à mars 1964 entre la Somalie et l‛Éthiopie, de mars 1965 à juillet 1966 entre Israël et la Syrie, entre la Syrie et l‛Irak de avril à août 1975, enfin de avril 1989 à juillet 1991, entre la Mauritanie et le Sénégal. Les auteurs soulignent par ailleurs que le plus ancien conflit connu, qui prit véritablement la forme d‛une guerre, fut entre les cités états sumériennes de Lagash et Umma, il y a 4 500 ans.

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Les êtres humains et leurs sociétés, quelle qu‛en soit la forme, ont donc dû développer différentes modalités pour aménager cette interdépendance et au début du 20e siècle, les deux principes communément acceptés étaient, d‛une part, que l‛on ne doit pas utiliser l‛eau de manière à interférer sérieusement dans les possibilités des autres riverains de l‛utiliser et, d‛autre part, que l‛eau ne doit pas avoir été substantiellement modifiée lorsqu'elle atteint l‛aval ; ancêtres, en quelque sorte, du principe de l‛utilisation raisonnable et équitable qui demeure valable encore aujourd‛hui.

In 1911 the « international Law Institute (ILI), in its Madrid Declaration, stated that “Riparian states with common streams are in a position of permanent physical dependence on each other”. The institute set two essential rules deriving from such an interdependence : Firstly, when a stream forms a frontier of two states.. ». neither State may, on its own territory, utilize or allow the utilization of the water in such a way as to seriously interfere with its utilization by the other State or by individuals, corporations, etc. The second ILI rule stipulated that the essential character of the stream, when it reaches a downstream territory, should not have been seriously modified.58

58 Aaron T. Wolf and Jesse H. Hamner, supra note 56, page 1.

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CHAPITRE 2 : ÉVOLUTION CONTEMPORAINE DU DROIT INTERNATIONAL DE L‛EAU

Il n‛existe pas à proprement parler de véritable droit international des cours d‛eau mais plutôt une mosaïque de textes juxtaposés où apparaissent parfois des tendances et des principes d‛un droit appelé à se renforcer dans les années qui viennent [...] où le souci de la souveraineté nationale semble toutefois l‛emporter sur le souci de la protection de la ressource en eau. André Wulf, Académie de l‛eau

En matière de droit international de l‛eau, les théories juridiques de la souveraineté territoriale absolue et de l‛intégrité territoriale absolue, la « doctrine Harmon »,selon laquelle les États riverains ont le droit absolu au flux naturel et non diminué, ni en quantité ni en qualité, ne sont plus admises et ont été peu à peu remplacées par celles de la communauté d‛intérêts et de la souveraineté territoriale limitée59.Ces dernières se sont développées à travers un ensemble de principes interreliés, issu de la coutume et de la jurisprudence.

La coutume internationale a ainsi précisé certains principes importants avec le temps : l‛obligation de coopérer et de négocier avec l‛intention d‛aboutir à un accord ; l‛interdiction de réaliser des aménagements susceptibles d‛avoir des conséquences dommageables appréciables et durables au détriment d‛autres États ; l‛obligation de consultation préalable et l‛utilisation équitable des ressources partagées, y compris s‛agissant des eaux souterraines. De cette coutume, ont émergé des principes généraux du droit international de l‛eau parmi lesquels : l‛obligation de ne pas abuser de ses droits - sicutere tuo ut alienum non laedas - ou plus précisément d‛utiliser son bien de telle sorte qu‛il ne nuise pas à autrui ; les règles de bon voisinage ; la bonne foi.60

L‛obligation de consultation préalable, l‛obligation de coopérer et de négocier de bonne foi, l‛interdiction des pratiques pouvant causer un préjudice et le principe de l‛utilisation des ressources d‛eaux partagées, sont issus du droit coutumier, alors que les principes généraux puisés dans les systèmes juridiques seraient : ne pas porter atteinte aux droits et aux intérêts des autres pays ; ne pas abuser de ses

59 Caponera, supra note 44, page3. 60 Sironneau, supra note 1, page 2.

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droits ; les États du même bassin doivent favoriser les relations de bon voisinage ; les lois internes de l‛eau de chaque État du bassin seront formulées et appliquées de manière à ne pas engendrer de conflits. La jurisprudence internationale, quant à elle, a précisé les principes du partage équitable, de l‛utilisation équitable ou de la répartition équitable61. La pratique a aussi permis, très tôt, de constater l‛impossibilité d‛appliquer, en matière d‛eau, le principe de réciprocité entre État d‛aval et État d‛amont puisque l‛eau coule toujours dans le même sens.

Les principes généraux du droit international, se fondant sur la coutume et les conventions62, ont donc établi progressivement des règles visant à prévenir les conflits d‛usage de l‛eau, surtout à partir des règles coutumières de bon voisinage qui induisent l‛obligation générale pour un État de ne pas abuser de ses droits au détriment de ses voisins63. Celles-ci se sont additionnées, avec le temps, de principes issus de la préoccupation d‛assurer un développement durable et donc du principe de précaution, fondé sur le fait qu‛une politique de l‛environnement, pour être efficace, doit être préventive.

Une trentaine de décisions jurisprudentielles, depuis le 19e siècle, ont complété ces principes, notamment par le principe de la communauté d‛intérêts entre États riverains64. C‛est, par exemple, dans une décision arbitrale impliquant le Canada et les États-Unis qu‛a été posé le principe de l‛utilisation non dommageable de son territoire : « Aucun État n‛a le droit d‛user de son territoire ou d‛en permettre l‛usage de manière que des nuisances soient génératrices d‛un préjudice sur le territoire d‛un État voisin et si les conséquences en sont sérieuses »65. Une autre sentence arbitrale posera un peu plus tard le principe d‛indemnisation, encore dans une décision concernant le Canada, constructeur d‛un barrage, qui se verra confirmer l‛obligation d‛indemniser le préjudice transfrontalier causé aux États-Unis dans l‛usage du cours d‛eau66.

Le principe de non-modification du régime des eaux se verra, lui, confirmé par la Cour permanente de justice internationale en ces termes : « chaque État (étant) libre d‛en modifier le cours, de l‛élargir ou de le transformer et même d‛en

61 Selon Caponera, supra note 44, pages 2 et 3. 62 Philippe El Fadl souligne à cet égard que la plupart des principes du droit international de l‛eau sont le fruit

de conventions bilatérales et multilatérales ; supra note 42, page 7. 63 Corinne Lepage, supra note 3, page 3. 64 Cour permanente de justice internationale, juridiction de la Commission internationale de l‛Oder. 65 Sironneau, affaire de la Fonderie du Trail, 11 mars 1941, supra note 1.66 Sironneau, affaire du Barrage de Gut, 27 septembre 1968, supra note 1.

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augmenter le débit à l‛aide de nouvelles adductions pourvu que la dérivation des eaux, l‛affluent visé par le traité et son débit n‛en soient pas modifiés. »67

C‛est aussi par la jurisprudence que s‛est établi peu à peu le principe d‛une souveraineté limitée dans le cas des ressources en eau : « le droit d‛utiliser unilatéralement la part d‛un fleuve qui le traverse dans la limite où cette utilisation est de nature à ne provoquer sur le territoire d‛un autre État qu‛un préjudice restreint, une incommodité minime qui entre dans le cadre de celle qu‛implique le bon voisinage. »68 Ce principe avait d‛ailleurs déjà été énoncé dans une sentence arbitrale du début du siècle sous l‛appellation d‛usage « innocent »69.

Le principe de l‛utilisation équitable et raisonnable, qui a entre autres servi de base à la limitation de la souveraineté sur les ressources naturelles, tire lui-même ses origines des règles générales qui régissent le bon voisinage et de celles qui interdisent l‛abus de droit, complété par la règle de l‛utilisation non dommageable du territoire (sic utere tuo aleinemum non laedas) dégagée en 1941 dans la sentence arbitrale de la Fonderie du Trail et confirmée en 1949 par la Cour internationale de justice dans l‛affaire du détroit de Corfou70.

On constate pourtant encore un éparpillement des préoccupations dans différentes conventions et la multiplication des enjeux liés à l‛eau que doit prendre en considération le droit international rend encore plus criantes les difficultés à mettre en œuvre un véritable corpus de règles cohérentes.

Une première tentative de systématisation

C‛est avec les règles d‛Helsinki, en 1966,71 que commence à se manifester concrètement une volonté de systématisation des règles internationales à portée générale concernant l‛eau, qui résultent de la pratique des États.

67 Cour permanente de justice internationale, Pays-Bas c. Belgique, Utilisation des eaux de la Meuse, 28 juin 1937. Sironneau, supra note 1., p.2

68 France c. Espagne, Affaire du Lac Lanoux, 16 novembre 1957. Citée par Sironneau, supra note 1.69 Affaire Faber, sentence du 13 janvier 1903 relative aux fleuves Zulia et Catatumbo, cité par Sironneau,

supra note 1.70 Royaume-Uni c. Albanie, Arrêt du 9 avril 1949, CIJ, Rec.1949, page 4. 71 International Law Association, Règles d‛Helsinki de 1966, ILA Report of the fifty Second Conference,

Londres, 1967.

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For the first time it confirmed, in terms of judicial area, what naturalists, engineers and economists had previously accepted : that the basin as a physical whole and not only the river of the waters must be the object of legal regulation. [But] ILC rules were too elastics and favors the interests of stronger states.72

Mais celles-ci ont leurs limites, que ne corrige pas automatiquement leur systématisation. Ainsi, selon certains auteurs, ces règles ne font que renforcer les intérêts des États déjà dominants.

Les règles d‛Helsinki reprendront en ces termes le principe de l‛utilisation équitable et raisonnable : « chaque État du bassin a, sur son territoire, un droit de participation raisonnable et équitable aux avantages que présente l‛utilisation des eaux d‛un bassin de drainage international. »73

On retrouve aussi déjà, dans les règles d‛Helsinki, le principe de la non-hiérarchie « préalable » entre les différentes utilisations d‛un cours d‛eau,74 mais :

De fait, il s‛est instaurée une hiérarchie entre les principes d‛utilisation équitable et raisonnable et sic utere tuo ut alienum non ladeas, le premier l‛emportant sur le second en cas de conflit. Un tel choix signifie que les préoccupations économiques de la communauté internationale passent avant sa volonté de préserver l‛environnement.75

Ce choix d‛une prépondérance des intérêts économiques de facto était prévisible dans l‛ordre international tel qu‛il s‛est constitué historiquement, au-delà du constat bien terre-à-terre que dans une perspective prenant en compte les contradictions irréductibles entre différents intérêts - ici usages - la non-hiérarchisation dans l‛ordre juridique entraîne nécessairement une hiérarchie de fait.

Il est vrai, et ceci permet d‛expliquer cela, que dès l‛origine, l‛espace politique et l‛espace économique n‛avaient pas eu le même statut. L‛ordre recherché et imposé à tous les peuples asservis ou États indépendants est un ordre des échanges. [...] Elle s‛articule logiquement au dogme originaire du libéralisme. Les physiocrates avaient amorcé le débat en affirmant que

72 Gwyn Rowley, “The tragedy of the common waters : Towards the deepening crisis within the Jordan Basin” 1998, Congrès de Kaslik, Liban, pages 4 et 5.

73 Article 4 74 Article 6. 75 Philippe El Fadl, supra note 42, page 8.

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la liberté du commerce des grains à l‛intérieur et à l‛extérieur permettrait d‛accroître le produit net, source des revenus du souverain.76

Ce sont les règles d‛Helsinki qui, les premières, mettront de l‛avant le concept de bassin de drainage international, défini comme « une zone géographique s‛étendant à deux ou plusieurs États et déterminée par les limites de l‛aire d‛alimentation du système hydrographique, y compris les eaux superficielles et souterraines, s‛écoulant dans une embouchure commune. »77 Plus que le « cours d‛eau », en effet, cette notion permet d‛introduire concrètement les paramètres de la solidarité et de la communauté d‛intérêts. Ainsi, par exemple, l‛article 7 des règles d‛Helsinki prévoyait qu‛un État du bassin ne peut se voir refuser l‛utilisation raisonnable des eaux dans le seul but de réserver ces eaux pour un usage futur au profit d‛un autre État du bassin78. Malheureusement, comme nous le verrons maintenant, la Convention de 1997 ne reprend pas ce concept, le seul véritablement utile, en ce qui concerne la nature de la ressource en eau, à notre avis.

La convention de New York de 1997

Suite aux efforts déployés en vue d‛une systématisation du droit international de l‛eau, l‛Assemblée générale des Nations Unies, en 1970, recommandera à la Commission du droit international d‛entreprendre « l‛étude du droit relatif aux utilisations des voies d‛eau internationales à des fins autres que la navigation, en vue du développement progressif et de la codification de ce droit. »79 Ce travail de longue haleine aboutira, en 1997, à l‛adoption de la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d‛eau internationaux à des fins autres que la navigation,dite Convention de New York80.

Celle-ci, à l‛égard du concept de bassin, illustre assez bien l‛absence de cohérence parfois dramatique entre les différentes agences des Nations Unies, puisque la Conférence internationale sur l‛eau et l‛environnement à Dublin en 1992, avait, elle, mis l‛accent sur la mise en valeur et la gestion intégrées des ressources en eau. De

76 Monique Chemillier-Gendreau, Entre humanité et souveraineté : essai sur la fonction du droit international(1995) Paris, La Découverte, pp. 146-148.

77 Patricia Buirette, supra note 48, pp.20 et ss. 78 Patricia Buirette, Idem, page 37, les caractères gras sont de nous. 79 Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 2669 (XXV), 8 décembre 1970. 80 Assemblée générale des Nations Unies, Résolution A/51/869, 21 mai 1997. 3 pays ont voté contre : Le

Burundi, la Chine et la Turquie ; et 27 se sont abstenus : Andorre, Argentine, Azerbaïdjan, Belgique, Bolivie, Bulgarie, Colombie, Cuba, Équateur, Égypte, Espagne, Éthiopie, France Ghana, Guatemala, Inde, Israël, Mali, Monaco, Mongolie, Ouzbékistan, Pakistan, Panama, Paraguay, Pérou, Rwanda, Tanzanie.

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même, le Programme des Nations Unies pour l‛environnement (PNUE) utilise le concept de bassin depuis déjà le milieu des années 198081, puisque le plan d‛action issu de la Conférence de Stockholm (1972) prévoyait la mise en œuvre de projets sur la base des bassins82.

Il se dégage de la pratique internationale que les États ont droit sur leur territoire à l‛utilisation raisonnable et équitable des eaux d‛un cours d‛eau international83. Ce principe pose une limite à la souveraineté absolue d‛un État sur ses ressources naturelles. Ce principe est complété par l‛obligation faite de ne pas causer de dommages appréciables aux autres États du fait de l‛utilisation du cours d‛eau84. La Convention de New York introduit aussi l‛obligation générale de coopérer à son article 8 et d‛échanger régulièrement des données et des informations disponibles sur le cours d‛eau, à son article 9, afin de garantir l‛application du principe de l‛utilisation équitable et raisonnable.

Le principe de souveraineté limitée avait d‛ailleurs été confirmé dans la Déclaration de Rio sur l‛environnement et le développement, en 1992 en ces termes :

Conformément à la Charte des Nations Unies et au principe du droit international, les États ont le droit souverain d‛exploiter leurs propres ressources conformément à leur propre politique en matière d‛environnement et de développement, et ils ont le devoir de veiller à ce que les activités qui relèvent de leur compétence ou de leur pouvoir ne portent pas atteinte à l‛environnement d‛autres États ou de zones situées au-delà des limites de leur juridiction nationale.85

La Convention de New York, comme les règles d‛Helsinki avant elle, dresse une liste de facteurs pertinents pour déterminer l‛application du principe de l‛utilisation raisonnable et équitable86 tels que les facteurs naturels, les besoins économiques et sociaux, la population... sans qu‛aucune priorité ne soit donnée à un facteur plus qu‛à un autre. Une seule indication est fournie par l‛article 10 (2) de la Convention,

81 PNUE, Plan d‛ensemble pour une gestion écologiquement rationnelle des eaux intérieures (EMINWA), 1986. 82 Sironneau, supra note 1, page 7. 83 Article 5 Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d‛eau internationaux à des fins autres que

la navigaton (1997) International Legal Material 36. Pp. 700 à 720 (New York). Cette Convention sera désignée comme la Convention de New York dans le texte et les notes.

84 Convention de New York. Id., article 7. 85 Nations Unies, Déclaration sur l‛environnement et le développement (1992) Rio, 13 juin, principe 2. 86 article 6, Convention de New York.

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selon lequel : « En cas de conflit entre des utilisations d‛un cours d‛eau [...] une attention spéciale [est] accordée à la satisfaction des besoins essentiels. »

L‛économie générale de la Convention de 1997 repose sur les principes d‛unité de la ressource en eau et du respect mutuel des États, et les limites à la souveraineté que pose cette Convention découlent de la reconnaissance que l‛eau est une ressource naturelle partagée, « res communis », dans la mesure où son utilisation dans un État a des effets sur son utilisation dans un autre État.87

Par contre, d‛autres auteurs soutiennent que la convention ne pallie aucunement aux faiblesses des principes précédents puisqu‛elle n‛établit aucun guide, aucune balise permettant de trancher entre des usages concurrents.

Let us briefly consider the looseness and arbitrary nature of this UN document. It is asserted that : « the convention applies to the uses, protection, preservation and management of international watercourses that are used for purposes other than navigation. However, there is a continued use of the terms « watercourses » and « international watercourse » rather than river basin [...] crucial concern with the finite limitations of development and the possibility of « breaking »environments. »88

Ceci, malgré le fait qu‛à l‛article 2, on spécifie que : « l‛expression « cours d‛eau » s‛entend d‛un système d‛eaux de surface et d‛eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point d‛arrivée commun ».

Tous les auteurs ne partagent cependant pas cette impression, certains considérant au contraire que la Convention de New York représente une grande avancée précisément parce que « les cours d‛eaux ne sont plus considérés isolément, mais comme faisant partie d‛un système global »89. Le même auteur reconnaît cependant quelques paragraphes plus loin qu‛« actuellement, il n‛existe aucune convention internationale qui porterait sur l‛eau douce « dans sa

87 Sironneau, supra note 1, page 7. 88 Rowley, supra note 72, pages 6-7 89 Philippe El Fadl, supra note 42, page 11.

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globalité » .» Notamment, les normes portant sur la qualité et les normes d‛émission font défaut, sauf dans le cas de l‛Union européenne90.

Cette convention ne couvre pas non plus la question des eaux souterraines sauf si elles constituent un ensemble unitaire avec les eaux de surface. Un projet de traité dit de « Bellagio »91 applique de façon spécifique aux eaux souterraines les principes dégagés par les règles d‛Helsinki, à savoir « l‛unité de gestion » et la « communauté d‛intérêts », « l‛utilisation optimale et la conservation sur une base raisonnable et équitable incluant la protection de l‛environnement souterrain. »

De fait, les principales lacunes des instruments existants identifiées par les spécialistes de la question seraient : le fait qu‛aucun rôle n‛est reconnu aux organisations internationales existantes pour faire appliquer concrètement les règles ; que rien n‛est prévu non plus pour les dérivations d‛eau de bassin à bassin ni pour les nappes fossiles, alors que ces dernières représentent une part importante des ressources disponibles en eau douce92.

Si l‛objectif d‛une telle convention est de « trouver un équilibre entre l‛indépendance des États riverains et leur souveraineté sur leurs ressources naturelles ; un équilibre également entre les États d‛amont et les États d‛aval mais aussi entre les différentes utilisations de l‛eau »93, on peut dire que la Convention de New York représente une avancée significative mais insuffisante94 et que les considérations de souveraineté nationale demeurent un obstacle majeur à une approche intégrée95. D‛ailleurs, le fait qu‛elle ait été approuvée par 104 voix contre trois et qu‛elle n‛entrera en vigueur qu‛après la 35e ratification, montre à l‛envie à

90 El Fadl, Id., p. 12. 91 D. Dayton et A.E. Utton, Transboundary Groundwaters : the Bellagio Draft Treaty, 1989, édition revue et

augmentée, CIRT, Washington DC. 92 À titre d‛exemple, on peut penser au grand fleuve artificiel construit par la Libye qui achemine

quotidiennement 2 millions de m3 d‛eau dans des conduites de béton sur une distance de 2000 km, du désert du Fezzan vers la côte et provoque l‛inquiétude de l‛Égypte à cause des quantités d‛eau soustraites à une nappe souterraine fossile transfrontalière. Voir Christian Chesnot, La bataille de l‛eau au Proche-Orient,1993, Paris, l‛Harmattan, page 151. Voir aussi Sironneau, supra note 1, page 10.

93 Sironneau, supra note 1, page 7. 94 Raya M. Stephan, “le droit international peut-il aider à résoudre le cas du bassin du Jourdain ?” (1998)

Congrès de Kaslik, Liban, page 2. 95 Il reste cependant, comme le soulignent de nombreux auteurs, que la doctrine “ Harmon ”(Déclaration de

l‛Attorney Harmon des USA, 12 décembre 1895, à propos du Rio Grande) de la souveraineté absolue devrait progressivement s‛effacer au profit d‛un principe de souveraineté limitée, par la mise en œuvre des principes maintenant clairement codifiés d‛usage équitable, d‛obligation de coopérer et de communauté d‛intérêts.

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quel point les États sont réticents à se soumettre à des règles écrites et codifiées96.

D‛ailleurs, certains en reconnaissent les faiblesses, tout en espérant que s‛établisse largement au moins cette base minimale. Ainsi, La Déclaration de Petersberg, issue d‛un Forum de dialogue international sur « La politique mondiale de l‛eau ; coopération au service d‛une gestion transfrontière des ressources en eau », organisé par l‛Allemagne en coopération avec la Banque mondiale, a été soumise à la Conférence internationale sur l‛eau de Paris et à la sixième réunion de la Commission du développement durable des Nations Unies. Reprenant le caractère essentiel d‛une gestion intégrée, cette Déclaration recommandait de prendre des mesures pour compléter la Convention de New York, par des accords régionaux ou bilatéraux, et de soutenir l‛incorporation des principes de cette convention dans les législations nationales97. Cette Déclaration reprenait par ailleurs la nécessité de considérer l‛eau comme un bien économique – comme le dicte l‛air du temps - et collectif98 et l‛importance du recouvrement des coûts grâce à des tarifs appropriés.

D‛autres avancées parallèles pour combler des lacunes toujours béantes

Au titre des développements récents du droit international de l‛eau, il convient aussi de souligner l‛adoption, le 17 mars 1992 à Helsinki, de la Convention sur la protection et l‛utilisation des cours d‛eau transfrontières et des lacs internationaux99, dans le cadre de la Commission économique pour l‛Europe des Nations Unies. Celle-ci a été ratifiée, à ce jour, par 26 États100. Bien qu‛il s‛agisse d‛un instrument régional, il reste que cette convention reprend plusieurs des principes que nous avons évoqués précédemment : le principe de précaution à son article 2(5a), le principe de pollueur payeur à son article2(5b). En ce qui concerne la gestion et la protection de la ressource, elle réitère les principes de coopération et de concertation aux articles 9 et 10, d‛usage raisonnable et équitable à l‛article 2(2c), de gestion patrimoniale des eaux transfrontières visant à ne pas compromettre les usages des générations futures à l‛article 2(5c), en ce qui

96 Joseph W. Dellapenna, supra note 40.97 Hubert Lang, supra note 10, page 4. 98 Les caractères gras sont de nous. 99 Commission économique pour l‛Europe des Nations Unies Convention sur la protection et l‛utilisation des

cours d‛eau transfrontières et des lacs internationaux, 1992, Helsinki, 17 mars. 100 Le Canada, comme les États-Unis, font partie de cette Commission.

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concerne les conflits d‛usage. Elle introduit aussi un important principe d‛information du public à l‛article 16.

Au fil des diverses conventions bilatérales ou multilatérales par ailleurs, plusieurs commissions ont été créées dans le but de réglementer certains bassins internationaux, mais au regard du droit international, un principe général fait qu‛il n‛y a pas d‛obligation pour un État à y participer. C‛est le cas par exemple de la Commission du Nil où ne participent qu‛une minorité des neufs pays riverains101.

Si la nécessité de se doter d‛un droit public international de l‛eau semble maintenant admise, les faiblesses des instruments existants restent nombreuses et importantes à l‛aulne des enjeux réels pour la population mondiale. Les conséquences de l‛absence de mécanismes efficaces de mise en œuvre et de contrôle sont évidentes et dramatiques dans certaines parties du monde, notamment le Proche-Orient, puisqu‛elles aboutissent, ultimement, à l‛épuisement des ressources.

Le second principe est celui de l‛intégration totale, par lequel toutes les puissances traversées par le fleuve se trouvent sur un pied d‛égalité, système qui au moindre incident diplomatique se bloque. Le principe de bonne conduite qui l‛assortit - chacun doit s‛efforcer de faire un usage équitable de la ressource eau - saute au moindre conflit. C‛est ainsi que les cinq accords signés entre Israël et les pays arabes, tous des modèles du genre, sont restés lettre morte. L‛eau devient alors un intensificateur du conflit global.102

… L‛intérêt commun et intergénérationnel dépasse, à l‛évidence, le cadre des frontières nationales.

101 D‛ailleurs, comme le souligne Caponera, supra note 44, la plupart des traités ne sont pas respectés, page 2. 102 Valérie Peugeot, supra note 22, p. 12.

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CHAPITRE 3 : LE PATRIMOINE COMMUN A DES RACINES PROFONDES

Si vous cherchez la source du fleuve Yosthino vous la trouverez dans les gouttes d‛eau sur la mousse. Proverbe japonais

Un des aspects stratégiques dans toutes les problématiques entourant l‛eau, depuis toujours pourrions-nous dire, reste encore aujourd‛hui celui de son statut. À qui appartient l‛eau? Qui a des droits sur l‛eau? Qui est responsable de l‛eau?… Lors de la Conférence de Stockholm en 1972, le concept d‛indivis mondial fut utilisé pour qualifier l‛air, l‛eau, les océans. Cependant, depuis le milieu des années 1980, on assiste bel et bien à un affrontement, au plan international, de deux visions sur cette question, et, comme en bien d‛autres domaines, la vision libérale du monde a le vent dans les voiles.

À l‛opposé de la logique même du développement durable que l‛on retrouve notamment dans le rapport Brundtland103 et qui met l‛accent sur l‛interdépendance et la complexité des écosystèmes dont la pérennité doit être assurée pour les générations futures, induisant un droit/responsabilité partagé en matière d‛utilisation des ressources naturelles, la logique de la «loi du marché» voudrait qu‛il faille «cesser de penser que l‛eau est une ressource différentes des autres. Plutôt que de consentir au gaspillage de l‛eau, il faut la traiter comme une simple marchandise et lui fixer un prix, suivant les recettes du marché, ce qui nous forcera à l‛employer à meilleur escient.»104

Posée autrement, la question pourrait être la suivante : les ressources naturelles - si l‛on considère que l‛eau est une ressource naturelle105 - seront-elles mieux gérées, de façon optimale106, si leur allocation et leur utilisation répond aux règles

103 Commission mondiale sur l‛environnement et le développement durable, Notre avenir à tous (1987) Montréal, Éditions du Fleuve (1988), 432 pages.

104 Andrew Coyne, chroniqueur au National Post, cité par Marc Chevrier, “Déporteurs d‛eau ou maîtres de notre patrimoine? Le commerce de l‛eau à l‛heure de l‛ALENA” (1999) L‛Agora, L‛eau, le sang de la terre, numéro spécial, vol. 6, no 2, page 7.

105 Nous reviendrons plus loin sur cette question spécifique que nous ne prenons pas pour acquise mais simplement pour fin de démonstration.

106 Le concept même d‛optimum relève de la logique du développement durable plutôt que de celle du marché; il est venu remplacer en quelque sorte celui de maximum pour tenir compte de la nécessité de préserver pour le futur. Cependant nous la prenons pour acquise dans la mesure où même le libéralisme dans ses courants les

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des échanges sur le marché, elles-mêmes fondées sur l‛appropriation privées des moyens de production, ou si elles sont soumises à des règles politiquement déterminées, fondées sur l‛idée de patrimoine collectif?

Il s‛agit donc bel et bien d‛un affrontement idéologique. Pour notre part, nous nous limiterons ici à essayer de déterminer si l‛idée de «patrimoine collectif de l‛humanité» a un fondement quelconque en droit international.

L‛origine des notions de «res nullius» et «res communis»

Ces notions sont articulées au départ en droit romain. Elles visent des choses qui ne sont pas dans le commerce. Les «res nullius humani juris» sont des choses qui sont «[…] soustraites à la propriété par la force des choses ou pour des raisons d‛ordre public.»107 La notion de «res communis» pour sa part, vise les choses qui, du fait de leur valeur indispensable à la vie108, «appartiennent à tout le genre humain»109 et vise à les soustraire du régime de propriété propre aux biens : «Les jurisconsultes disent, avec Cicéron : « Vous n‛empêcherez point le fleuve de couler, parce qu‛il est un bien commun à tous, sans être la propriété de personne.” Il en est de même de l‛air, parce qu‛il n‛est pas saisissable ».110

Plusieurs pays, de tradition de droit romain, ont repris les concepts de res nulliuset de res communis dans leur droit interne. En Belgique par exemple, la protection du bien commun héritée du droit romain est consacrée dans une disposition du Code civil de 1804. L‛Article 714 du Code civil belge la reprend : «Il est des choses qui n‛appartiennent à personne et dont l‛usage est commun à tous».111 À cet égard, l‛Italie et la France peuvent aussi représenter une référence conceptuelle : «[…]

plus radicaux, a dû intégrer, du moins au niveau du discours, l‛idée de la pérennité des ressources pour être crédible.

107 Benoît, Jadot, “L‛environnement n‛appartient à personne et l‛usage qui en est fait est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d‛en jouir” (1996) in Ost, F. et S. Gurtwirth, (dir.), Quel avenir pour le droit de l‛environnement?, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis.p. 95

108 Ost, François. (1996) ‘‛Au delà de l‛objet et du sujet, un projet pour le milieu‛‛. in OST F. et GURTWIRT, S. (dir.) (1996) Quel avenir pour le droit de l‛environnement?. Bruxelles : Facultés universitaires Saint-Louis, p.99

109 biens (Viller, p.251, in REMOND GUILLOUD. M. (1989). Du droit de détruire. Essai sur le droit de l‛environnement. Paris : Presses Universitaires de France.,p.148)

110 Rèmond-Guilloud, M. Id, p.149. 111 Benoît Jadot, voir supra note 107, p.94

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l‛eau ne devant pas être considérée ni comme une propriété privée, ni comme une res nullius mais devant tendre à devenir une res communis.»112

Le concept de la res communis se retrouve en droit de l‛environnement, à travers la notion de patrimoine commun113et de bien commun.

L‛articulation en droit international public du concept de patrimoine commun de l‛humanité

Historiquement, la souveraineté des États a été limitée dans le cadre de l‛exploitation de ressources naturelles, dans l‛intérêt de l‛ensemble des nations. «[…] le mot est couramment utilisé pour qualifier l‛ensemble des biens, culturels et naturels qui, en raison de leur valeurs que la collectivité leur reconnaît, doivent être sauvegardés et transmis à ceux qui nous succéderont.»114

En fait, le patrimoine «fait appel à l‛idée d‛un héritage légué par les générations qui nous ont précédé et que nous devons transmettre intact aux générations qui nous suivent.»115 C‛est le cas par exemple des baleines. «Le préambule de la convention baleinière de 1946, sans parler de patrimoine reconnaît […] l‛intérêt des nations du monde « à sauvegarder au profit des générations futures, les grandes ressources naturelles représentées par l‛espèce baleinière ».»116

On retrouve encore une fois cette idée de patrimoine dans le droit interne des pays de tradition de droit romain, notamment à l‛article premier de la loi sur l‛eau de 1993 en France : «L‛eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d‛intérêt général […].»117

112 André Wulf, “Le droit des cours d‛eau internationaux, un droit émergent” (1998), Congrès de Kaslik, Liban, pages 1 et 2.

113 Rèmond-Guilloud, M. supra note 109, p.148. 114 KLEMM, Cyrille. “Environnement et patrimoine” in Ost, F. et S. Gurwirth, (1996) Quel avenir pour le droit de

l‛environnement? Bruxelles, Facultés universitaires Saint Louis, page145. 115 PRIEUR, M. cité dans KLEMM, Cyrille de, Id.,p. 145 116 KLEMM, Cyrille de, Id, p.151. 117 J. Plantey et Marie Comiti, “La Provence, un cas d‛illustration de la pratique conjointe des droits

traditionnels et d‛un système juridique moderne, liés aux différentes étapes de la mise en valeur de la ressource en eau” (1998) Congrès de Kaslik, Liban, page 1.

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Plusieurs éléments ont été qualifiés spécifiquement de «patrimoine commun de l‛humanité» en droit international général, notamment la Lune et les corps célestes118, ainsi que «la zone» protégée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui stipule que : «La zone et ses ressources sont le patrimoine commun de l‛humanité»119. La «Zone» ainsi définie vise essentiellement les fonds marins et leur sous-sol qui se trouvent à l‛extérieur des limites de la juridiction nationale «[…] les ressources minérales solides, liquides ou gazeuses in situ qui se trouvent sur les fonds marins ou dans le sous sous-sol, y compris les nodules phylométalliques.»120

Les principes de base qui découlent de cette reconnaissance à titre de patrimoine commun de l‛humanité sont que la ressource est libre de toute appropriation privée ou étatique; que la gestion du bien commun se fait sous l‛égide d‛une organisation internationale et non des États individuellement; que tout bénéfice économique doit être partagé par l‛ensemble de l‛humanité; que l‛utilisation n‛est permise qu‛à des fins pacifiques uniquement; que l‛intégrité du bien doit être protégée.121

118 Accord régissant les activités des États sur le Lune et les autres corps célestes (1979) N-Y, 5 décembre, Art. 11

119 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982), tirée du volume J.V. Morin, Rigaldies, Turp Droitinternational public, document 20, article 135. Nous soulignons que la 60e ratification de cette Convention a été obtenue en novembre 1993, date de son entrée en vigueur et que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l‛Allemagne ont refusé de la ratifier. Chemillier-Gendreau, M. supra note 76, p.39

120 article 133 121 Inspirés par les articles de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, supra note 119,

notamment l‛article 141, et par le texte de Ved P. Nanda, (1995) International Environmental Law and Policy,New York :Transnational Publishers, p. 12 et suiv. Art. 135 : La zone et ses ressources sont le patrimoine commun de l‛humanité. Art.137 (1) : ‘‛empêche tout appropriation privée ou étatique de la zone ou de ses ressources. Art.137(2) déclare :‛‛ l‛humanité tout entière, (…) investie de tous les droits sur les ressources de la zone.‛‛ ‘‛Ces ressources (vise : toutes les ressources minérales solides, liquides ou gazeuses in situ qui se trouvent sur les fonds marins ou dans le sous sous-sol (….)‛‛art. 133) sont inaliénables‛‛, (sauf pour les minéraux extraits conformément aux règles établies)

Art. 140 (1) ‘‛Les activités menées dans la zone le sont (…), dans l‛intérêt de l‛humanité tout entière indépendamment de la situation géographique des États (…)‛‛ Art. 140 (2) ‘‛L‛Autorité (organe international responsable) assure le partage équitable, sur une base non discriminatoire, des avantages financiers et autres avantages économiques tirés des activités menées dans la zone (…)‛‛ Art. 141 ‘‛Utilisation de la zone à des fins exclusivement pacifiques‛‛ Autre éléments pertinents : Il prévoit la création d‛une “Entreprise”, organisme subsidiaire international chargé d‛assurer l‛exploration et l‛exploitation des ressource; la protection efficace du milieu marin et le pouvoir de réglementation de l‛Autorité à cette fin; sur les question de développement économique associés à la Zone, deux des dix principes retenus (non hiérarchiques) sont de “favoriser la formation de prix justes pour les minéraux pour les producteurs et consommateurs” et ”de “mettre en valeur le patrimoine commun dans l‛intérêt de l‛humanité tout entière”.

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On retrouve d‛ailleurs certains de ces principes dans la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de l‛Unesco, qui applique cette notion aux «biens uniques et irremplaçables» en vue de leur «transmission aux générations futures».122

The concept of the global commons as evolved from this idea of resources held in common for common use. […] The global commons are defined as areas “beyond the jurisdiction and sovereignty of any state, but [which] for the benefits of all” and usage of which physically affects human beings around the world. 123

Reconnaissance de l‛eau comme «patrimoine commun»

La Déclaration de Strasbourg adoptée par le Conseil de l‛Europe, reconnaît explicitement la ressource eau comme «patrimoine commun». Son partage interdit donc son appropriation privative ou étatique124. Elle le présente comme un principe nécessaire à «[…] la gestion démocratique de l‛eau [laquelle passe] par des pratiques participatives et transparentes».125

Elle reprend un certain nombre de modalités qui y sont intimement liées. Elle associe aux pouvoirs publics la responsabilité de garantir une répartition équitable de l‛eau entre ses différents usages et d‛assurer la représentation des citoyens dans les instances de décision des services d‛eau. Elle lie la protection des milieux aquatiques à «une gestion intégrée fondée sur le respect des écosystèmes dans une perspective patrimoniale et en vertu du principe de précaution»126. Elle promeut une gestion transfrontalière des ressources en eau.

La Déclaration de Strasbourg s‛appuie sur des précédents dans les droits nationaux de tradition romaine pour reconnaître l‛eau en tant que patrimoine commun de l‛humanité. Ainsi, certaines conventions internationales portant sur l‛eau reprennent cette idée que l‛eau est :

122 Conférence générale de l‛UNESCO, Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel(1972), Paris, 17e session, novembre; notamment article 4.

123 Nanda, Ved. P., supra note 121, p.11 124 CONSEIL DE L‛EUROPE, La Déclaration de Strasbourg, (1998) Solidarité Eau Europe, Commission de

l‛environnement, de l‛aménagement du territoire et des pouvoirs locaux, Assemblée parlementaire du Conseil de l‛Europe, 18 pages.

125 Id., principe no. 1. 126 Id. ,principe no. 2.

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[…] un bien public dont la collectivité doit maîtriser l‛usage[…] souvent inspiré de la loi sur l‛eau française de 1964-92 : [...] on peut rappeler ces principes : l‛eau est un bien patrimonial de la collectivité ; sa gestion doit être organisée dans le cadre du bassin hydrographique, qui est techniquement incontournable ; elle est définie et conduite par une structure de concertation où sont représentés tous les partenaires concernés par la gestion de l‛eau ; elle met en œuvre des moyens d‛incitation économique d‛une ampleur suffisante pour rendre les contraintes de la politique de gestion de l‛eau supportables pour les usagers de l‛eau.127

D‛ailleurs, pour certains, ce n‛est pas seulement l‛eau en tant que telle qui est considérée «bien commun», mais aussi les moyens techniques mis en œuvre pour y avoir accès : «Comme d‛autres grands réseaux d‛infrastructure (transport, télécommunication, eau potable...) le système d‛assainissement fait partie du patrimoine collectif indispensable au développement économique de la Cité».128

Ces principes directeurs, acceptables par tous, pourraient être à la base d‛une gestion internationale de l‛eau. On peut d‛ailleurs prétendre que peu à peu, concrètement et par la force des choses, si le concept de patrimoine demeure flou, celui de communauté d‛intérêts vient renforcer l‛idée d‛un bien commun ou d‛un patrimoine commun, la différence entre les deux se situant essentiellement dans la durée. Ainsi, le droit international de l‛eau a-t-il stipulé à l‛occasion que : «le cours des fleuves était «la propriété commune et inaliénable de toutes les contrées arrosées par leurs eaux».»129 Cette idée s‛est élargie avec le temps à de nombreux pays, dans leurs accords multilatéraux ou bilatéraux.

[...] le fonctionnement de l‛Autorité du Bassin du fleuve Niger repose sur des principes généralement admis en droit international. Mieux, l‛eau drainée par ce Bassin est considérée comme un bien commun devant servir équitablement à tous les riverains, d‛où la création d‛un fonds commun pour sa mise en valeur[…].130

127 Georges Lacroix, «Contribution de l‛Institut méditerranéen de l‛eau» (1998) Congrès de Kaslik, Liban, page 2. Les caractères gras sont de nous.

128 J.L. Arnoult et J.C. Seropian, “Rejets industriels dans un réseau d‛assainissement urbain en respect des contraintes légales et réglementaires” (1998), Congrès de Kaslik, Liban, page 1. Les caractères gras sont de nous.

129 Charles Rousseau, supra note 42, page 204, référant au Décret du 16 novembre 1792 adopté par le Conseil exécutif provisoire de la Convention, fondé sur l‛idée d‛un droit naturel d‛accès de tous les riverains à la mer et énoncé à l‛encontre d‛un droit positif existant.

130 Amadou Tcheko, “Le régime juridique du bassin du Niger” 1998, Congrès de Kaslik, Liban, page 3.

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La difficulté de définir l‛objet juridique

Au-delà de l‛affrontement des perspective idéologiques, la nature même de l‛eau rend difficile son intégration complète à des catégories particulières de biens considérées par le droit et soumises à des règles générales à ce titre.

Pour les juristes occidentaux, le droit de l‛eau a de tout temps constitué un véritable casse-tête, qu‛ils ont à grand peine tenté de résoudre en s‛appuyant sur la persistance d‛une double confusion : ainsi le droit de l‛eau a longtemps été assimilé à celui de la terre, de même qu‛étaient souvent confondues les notions de “propriété” et d‛“usage”. Aujourd‛hui, en dépit de quelques avancées récentes, le droit de l‛eau demeure confus, extrêmement complexe.131

L‛eau est un bien échappant aux critères traditionnels, un bien sui generis. C‛est un élément qui se renouvelle constamment (cycle hydrologique), qui a donc un caractère de permanence et de durée. Il est mobile dans l‛espace, à travers la variation de quantité et débit, et redevient stable dans le temps par le jaillissement continu de la source. Il revêt les caractères des biens immeubles sur lesquels il s‛écoule. «L‛eau s‛y incorpore et devient même l‛élément essentiel de la propriété, puisqu‛en son absence la terre est frappée d‛une stérilité pouvant aller jusqu‛à l‛absolu».132

La deuxième propriété physique de l‛eau importante à considérer pour la définir juridiquement est son pouvoir auto-épurateur qui s‛inscrit dans sa nature mobile. C‛est un corps mobile, donc essentiellement un bien meuble qu‛on ne peut arrêter de couler de façon permanente. L‛eau échappe donc au pouvoir de domination, à la propriété, d‛où l‛adage romain res mobilis, res vilis (chose mobilière chose sans valeur). Considérée à l‛origine comme un bien non susceptible de propriété, elle devient, au contraire, un élément primordial de la richesse des États, grâce au développement de plus en plus poussé des techniques modernes de maîtrise et d‛utilisation de l‛eau (sa mobilité produit de l‛énergie).133

De ces particularités physiques de l‛eau découlent plusieurs conséquences juridiques, et la dimension sociale de l‛eau a de tous temps nécessité la conception

131 Tarek Majzoub, “L‛Éthiopie, le Nil et le droit international public” (1998) Congrès de Kaslik, Liban, page 36. 132 Tarek Majzoub, Id., page 22. 133 Idem.

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et l‛application d‛instruments juridiques et administratifs permettant de régler les problèmes concernant l‛appropriation, l‛allocation et l‛usage de l‛eau.134

Comme aucun État ne peut battre monnaie à volonté sans s‛exposer à la dette, aucun État ne peut consommer l‛eau sans tenir compte des règles du cycle naturel... En termes clairs, l‛eau que chaque pays peut consommer sans compromettre le futur des peuples, est seulement le fruit et l‛intérêt est donné par le cycle naturel de l‛eau.135

La nécessité d‛une vision globale et d‛un statut « international » de l‛eau

Il semble évident que, à cause de la nature même de l‛eau, les principes qui lui sont appliqués doivent s‛inscrire au plan international et mondial. En effet,

L‛eau, dans son perpétuel mouvement du cycle naturel suit un parcours qui la conduit usque ad sidera, usque ad inferos (jusqu‛aux cieux et jusqu‛au ventre de la terre). Sur la terre, il y a des espaces où le cycle naturel de l‛eau s‛accomplit et se renouvelle ; ces espaces ne sont pas limités par les bords des fleuves et des lacs. Le sol, le sous-sol et l‛atmosphère, où le cycle naturel de l‛eau subit les transformations qui permettent la régénération de l‛eau, forment tous ensemble, ce que l‛on peut définir comme le territoire hydraulique.136

Ainsi, si le principe de coexistence pacifique impose le respect de l‛intégrité territoriale des États souverains, expression physique du principe de souveraineté, le territoire hydraulique, lui, est par sa nature même transfrontalier et global. Par exemple, si les processus de pollution ont lieu dans l‛atmosphère comme dans le cas des pluies acides, les frontières étatiques n‛ont aucune pertinence.

L‛incapacité de déterminer une «frontière» à l‛eau, correspondant à sa nature propre, a forcé les États, peu à peu, à définir leur cadre légal intérieur pour tenir compte de la mobilité extrême de l‛eau, à travers notamment la notion de bassin versant. Cette contrainte, dont les scientifiques sont conscients depuis longtemps, a influencé l‛évolution du droit interne de nombreux pays. Il reste à l‛inscrire clairement dans le cadre du droit international.

134 P. Hubert, H. Bendjuodi et P. Givone, ‘‛Objets juridiques, objets hydrologiques et gestion des eaux‛‛, 1998Congrès International de Kaslik, Liban, page 1.

135 Francesco Lettera, “Droit, éducation et culture de l‛eau : l‛environnement hydraulique européen” 1998, Congrès de Kaslik, Liban, page 3.

136 Francesco Lettera, Id., page 2.

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La gestion intégrée est nécessaire parce que la somme des gestions individuelles conduit à des situations inacceptables au niveau de la collectivité. Elle doit conduire tous ceux dont les actions influencent le cycle de l‛eau à tenir compte, d‛une façon ou d‛une autre, de l‛intérêt général à l‛occasion de chacune de leurs décisions […] La définition d‛un espace de gestion est un problème délicat [...] devrait s‛inscrire en toute logique en prenant le globe terrestre dans sa globalité mais le réalisme conduit à choisir des unités hydrologiques de dimensions plus modestes, en particulier le bassin versant.137

Du fait de considérations intrinsèques et uniques à l'eau, la reconnaissance de son caractère particulier, à titre de bien commun s'impose en toute logique. Il suffit de rappeler que l'eau est «de nature différente des autres ressources auxquelles les êtres humains doivent recourir pour satisfaire leur besoins vitaux de base, individuels et collectifs»138. Cette ressource qu'on dit «fragile et non-renouvelable»139, est source de vie indispensable, «irremplaçable» et «non-substituable». Nous rejoignons l'idée avancée par d'autres à l'effet que «de par sa non-substituabilité, l'eau est [...] un bien fondamental total [...]».140. C'est, souligne-t-on ce que l'on vise par l'expression «bien social» et son corrollaire «bien commun de base de toute communauté humaine»141

Dans la hiérarchie de valeurs des ressources naturelles, l‛eau est au sommet de la pyramide. Le droit tend à considérer les rapports entre l‛eau et la collectivité dans le domaine du droit d‛usage plutôt que dans celui du droit de propriété. L‛eau n‛est plus res nullius, mais elle n‛est pas non plus une propriété privée ; elle est considérée comme un bien commun destiné à plusieurs utilisations.142

À l‛heure actuelle, quelques instances internationales utilisent le vocable «bien commun» pour qualifier l‛eau et lorsqu‛elles le font, c‛est généralement en soulignant ses implications ou ses composantes «économiques». Si l‛Europe précise que l‛eau est un capital social dans la Déclaration de Strasbourg, elle précise que sa

137 P. Hubert, H. Bendjuodi et P. Givone, supra note 134, page 2. 138 Petrella, Ricardo., supra note 6, p. 51. 139 Conférence internationale sur l‛eau et l‛environnement, Le développement dans la perspective du 21e siècle,

(1992) Rapport etDéclaration de Dublin, principe No 1. 140 Petrella, Ricardo, supra note 6, pp. 51-52 141 Idem142 Lettera, supra note 135, page 1.

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«[…] gestion doit respecter les critères d‛efficacité économique sans pour autant en faire une source spéculative de profits»143. L‛Assemblée générale de l‛ONU144,qualifie l‛eau non seulement de bien social, mais également de bien économique. Elle reprend en cela le principe dégagé à la Conférence internationale sur l‛eau et l‛environnement de Dublin145 de 1992. L‛Agenda 21, schéma directeur pour promouvoir le développement durable, issu de la Conférence des Nations Unies sur l‛environnement et le développement de 1992, tout en reconnaissant l‛eau à titre de bien social et économique, précisait pour sa part, que « (…) la priorité doit être donnée à la satisfaction des besoins de base et à la sauvegarde des écosystèmes »146.

Par ailleurs, certaines organisations internationales utilisent l‛expression de patrimoine commun pour qualifier l‛eau, par exemple l‛UNICEF, «Si l‛on considère l‛eau souterraine comme un héritage commun auquel chacun a le même droit fondamental...»147, toutefois, on ne peut prétendre pour autant que cette intégration dans le langage usuel puisse avoir des incidences juridiques.

Un Débat profondément politique entre deux conceptions :

Selon Ved P. Nanda, la notion de patrimoine commun de l‛humanité telle que reconnue jusqu‛à maintenant ne permet pas de façon certaine de définir ce qui tombe dans la catégorie de ce qu‛il appelle l‛héritage commun. Actuellement, seuls deux traités, relatifs à la lune et aux fonds marins, la reconnaissent et lui donnent une portée limitée : « The term is used in only two treaties and refer only to the underlying, nonliving resource, not to any secondary biomass that is supported by that resource. »148

143 CONSEIL DE L‛EUROPE, La Déclaration de Strasbourg, (1998), supra note 124, principe 3. 144 Assemblée générale des Nations Unies, Programme pour la mise en œuvre de l‛Agenda 21 (1997) 19e session

spéciale, New York, 1er juillet, p.15.145 Conférence internationale sur l‛eau et l‛environnement.(1992) Déclaration de Dublin, principe No.4 ‘‛ L‛eau,

utilisée à de multiples fins, a une valeur économique et devrait donc être reconnue comme bien économique‛‛. On précise : ‘‛ en vertu de ce principe il est primordial de reconnaître le droit fondamental de l‛homme à une eau salubre et une hygiène adéquate pour un prix abordable‛‛.

146 (traduction libre) Robinson, N.A., Hassan,P. et Burhenne-Guilmin, F. (1993) Agenda 21 and UNCED proceedings, New York, London, Rome : Oceana Publications, Inc., Vol. 4, paragraphe 18.8 de l’Agenda 21. Ce document, issus du Sommet de la Terre à Rio en 1992 n’a pas de valeur contraignante en droit international. Il ne fait que proposer des mesures d’action.

147 Unicef, “Eaux souterraines : ressources invisibles qu‛il est grand temps de protéger” (1998) Unicef Information/Publications, page 2. Les caractères gras sont de nous.

148 Ved P. Nanda, (1995) supra note 123, p. 12.

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Par ailleurs, toujours selon le même auteur, les États-Unis et plusieurs États n‛ont pas ratifié les deux Conventions internationales relatives au patrimoine commun de l‛humanité, ce qui lui donne un statut légal incertain. Il argumente de plus, à l‛appui de son interprétation, que les termes de la récente Convention sur les changements climatiques semblent aller dans le même sens. “In addition, the more recent Ozone Convention and Protocol fail to mention ‘‛common heritage‛‛. Further more, the UN General Assembly decided that the global climate should not be considered a part of the common heritage, and instead called it an issue of ‘‛common concern.”149

Cyrille de Klemm, gouverneur international du Conseil international du droit de l‛environnement, interprète la situation de façon identique : « Les grandes conventions internationales récentes sur la protection de l‛environnement, non seulement ne font pas référence à la notion de ”patrimoine”, mais elles évitent même de mentionner l‛existence d‛un intérêt commun »150. Il réfère notamment à la Convention de Vienne et au Protocole de Montréal sur la protection de la couche d‛ozone. Il ajoute plus loin que :

Lors des négociations de la Convention sur la diversité biologique, le concept de patrimoine commun de l‛humanité a été rejeté d‛emblée […] Il en découlait une série de conséquences juridiques importantes, notamment en matière de droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques, qui se voyaient dévolus à la communauté mondiale, et réciproquement , d‛obligation pour celle-ci de financer la conservation de ces ressources en fonction des priorités scientifiques. Le projet s‛est heurté à une réalité politique. La Convention de Rio consacre un quasi appropriation nationale de la diversité biologique sans égard aux difficultés considérables qui risquent, de ce fait, de paralyser sa mise en œuvre.151

Il existe bien malgré tout, selon lui, l‛idée d‛un « patrimoine à transmettre » incluse dans la Convention sur les Changements climatiques ainsi que dans la Convention sur la diversité biologique.

Le préambule de la Convention sur les Changements climatiques énonce clairement la volonté des parties de “préserver le système climatique pour les générations présentes et futures‛‛ tandis que celui de la Convention sur la diversité biologique souligne que les parties sont ‘‛déterminées à conserver

149 Id., p.12. Il cite Birnie and Boyle, p.121 150 KLEMM, Cyrille de, supra note 70., p.151. 151 Id. page 152.

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et à utiliser durablement la diversité biologique au profit des générations présentes et futures.152

Que le concept de patrimoine commun de l‛humanité soit encore controversé en droit international, principalement en ce qui concerne les ressources naturelles, ne fait aucun doute. Cependant, de plus en plus « l‛intérêt et l‛émergence d‛un droit des cours d‛eau internationaux voire d‛un droit de la protection des eaux, patrimoine commun de l‛humanité » 153 semblent acquis pour certains. Ce qui implique, du point de vue de cet auteur que :

L‛accès à l‛utilisation de l‛eau par la collectivité ne peut être considéré seulement comme affirmation du droit de boire en tant qu‛exigence fondamentale pour assurer la vie ou l‛affirmation des droits de liberté économique assurés aux citoyens et aux entreprises par les constitutions [...] le droit des eaux régit l‛ensemble des devoirs et dans un État démocratique, les devoirs ne sont pas un acte de soumission au pouvoir souverain mais plutôt un acte de solidarité dans l‛espace par rapport à son prochain, et dans le temps pour les générations futures [...] les lois qui assurent la protection des eaux pourront avoir du succès seulement quand la culture de l‛eau deviendra patrimoine de chacun […] 154

Les tenants de l‛eau patrimoine commun considèrent qu‛il faudrait « exclure l‛eau de toutes transactions internationales, la mettre hors du champ de l‛Organisation mondiale du commerce (OMC) et des traités sur les investissements internationaux, et d‛autre part, penser à gérer son partage au niveau mondial »155.L‛eau échappe aux biens marchands. À l‛opposé, d‛autres soutiennent que :

Une bonne partie de nos problèmes de gestion de l‛eau en Europe réside en une confrontation entre l‛action publique étatique et les lois du marché. C‛est toute la notion de patrimoine commun donc le partage des ressources en eau qui est posé. Dans les années 50 à 60, le développement des ressources en eau passe par l‛État. Or, dans les année Reagan ou Thatcher, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont privilégié un système basé sur la privatisation sans réel droit de l‛eau. A contrario, en Europe, on est dans la notion de patrimoine commun. Seul l‛usage peut faire l‛objet d‛une discussion et d‛une négociation. On retourne en

152 Id., page 151. 153 Lettera, supra note 135, page 2. 154 Lettera, pages 2-3. 155 Valérie Peugeot, supra note 22, pp. 12.

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quelque sorte au passé : au Moyen Âge, il y avait conciliation entre la coutume et le droit romain (notion de patrimoine commun) pour le partage de l‛eau. En ce qui concerne les transferts d‛eau, un Rapport du Conseil d‛État […] à propos du partage des eaux du Rhône avec Barcelone précise que l‛eau reste une affaire d‛État, ce qui paraît dommageable.156

Le débat sur l‛eau au Québec donne un bel exemple des deux tendances qui s‛affrontent au plan mondial. Les grandes entreprises étrangères y contrôlent les deux tiers des emplois dans le secteur de l‛eau embouteillée, une industrie de plus de 100 millions$ par année157. Or, celles-ci poussent à l‛exportation des eaux, « nouvelle manne financière, à l‛image de ce que fut le pétrole pour les pays arabes[...] »158

En déclarant l‛eau non pas propriété d‛un État ou d‛un peuple, mais de l‛humanité, en permettant à ce peuple - en l‛espèce québécois - de consommer l‛eau autant que ses besoins l‛exigent mais en lui interdisant de l‛aliéner sur sa seule décision permettrait de mettre en place un prix de vente qui inclut une taxe spécifique destinée à être versée au fonds mondial de l‛eau159.

On voit dans ces raisonnements l‛affrontement de deux idéologies autour de la résolution de la question de l‛eau et de son statut de patrimoine commun de l‛humanité. D‛une part, ceux et celles qui souhaitent, à partir d‛une notion juridique déjà ancienne, celle de res communis, redéployer les interventions en soustrayant l‛eau au marché, et d‛autre part, ceux et celles qui, comme l‛auteure citée, souhaitent extraire l‛eau de cette notion de res communis pour en faire une marchandise, dont l‛allocation dépendra des lois du marché.

La qualification de l‛eau à titre de marchandise constituerait selon nous, un recul marqué au niveau des droits fondamentaux de la personne garantis en droit international. En effet, on peut penser comme Riccardo Petrella : […] que la transformation de l‛eau en bien économique ne se traduirait pas par l‛accessibilité universelle de l‛eau pour l‛entièreté de la population mondiale, mais par la gestion économiquement rationnelle, optimale, d‛une ressource limitée dont l‛accessibilité serait réglée par la solvabilité des usagers en compétition pour des usages concurrents et/ou alternatifs.160

156 Raphaëlle Fauvel-Simier, supra note 41, les caractères gras sont de nous. 157 Marc Chevrier, supra note 104., page 8. 158 Valérie Peugeot, supra note 22, page 12 159 Idem.160Petrella, Ricardo, supra note 6, p. 52.

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DEUXIÈME PARTIE : L‛ACCÈS À L‛EAU EN TANT QUE DROIT FONDAMENTAL

L‛accès à l‛eau est un droit. Il nous faut donc une Convention qui arrête le principe fondamental d‛une coopération pour assurer un partage équitable Adnan Badran, Directeur général adjoint de l‛Unesco

D‛entrée de jeu, faut-il le préciser, ce n‛est pas l‛eau en tant que telle qui est considérée comme un droit fondamental, mais l‛accès à l‛eau et à l‛assainissement.

Le droit d‛accès à l‛eau potable est maintenant reconnu dans le cadre de nombreuses conférences internationales. Avant même la Conférence de Rio, le Forum de Montréal, réalisé en 1990 à l‛initiative d‛OXFAM-QUÉBEC, et comptant la participation d‛une centaine de personnes venant de 29 pays, a produit un document intitulé La Charte de Montréal sur l‛eau potable et l‛assainissement161, lequel définit succinctement la nature de ce droit. «L‛accès à l‛eau étant une condition de survie, nous affirmons que toute personne a le droit d‛avoir accès à l‛eau en quantité suffisante, afin d‛assurer ses besoins essentiels.»162

Cette Charte aborde également les différentes composantes que sous-tend le droit d‛accès à l‛eau potable, notamment la responsabilité individuelle et collective liée au respect de ce droit et le principe de partage équitable de la ressource issus du droit international :

Le droit d‛accès à l‛eau est indissociable des autres droits de la personne. Il ne peut faire l‛objet d‛aucune discrimination et implique un respect par tous. Il s‛agit de s‛assurer que la gestion et l‛approvisionnement en eau soient faits de façon équitable et efficace, au moyen de systèmes pérennes, et de manière à renforcer l‛autonomie des populations concernées. [...] L‛accès à l‛eau pour tous exige des efforts visant la préservation, en terme de quantité et de qualité, de cette ressource

161 La Charte de Montréal a servi de document de réflexion et de référence dans le cadre de la Consultation mondiale sur l‛eau potable et l‛assainissement tenue à New Delhi en 1990. Charte de Montréal sur l‛assainissement et l‛eau potable (1990) Montréal, Oxfam-Québec et Secrétariat

international de l‛eau. 162 Premier paragraphe de la Déclaration.

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vitale de notre planète. Cela concerne tous les pays sans exception, tous les milieux, tous les secteurs allant de l‛agriculture à l‛industrie, et tous les niveaux allant de la gestion individuelle à la gestion nationale et internationale.163

Les ONG, à travers cette Charte, posaient les balises du travail des Nations Unies pour la dernière décennie du millénaire pour parvenir à une articulation concrète du droit d‛accès à l‛eau en tant que droit humain fondamental. Depuis, les enjeux de l‛eau ont été peu à peu intégrés dans différents volets des préoccupations de la communauté internationale et soulevés dans de multiples sommets ou conférences dont l‛eau n‛était pourtant pas l‛objet principal.

163 Paragraphe 2.

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CHAPITRE 4 : DÉVELOPPEMENT, EAU ET DROITS FONDAMENTAUX : LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS

L‛élargissement de la problématique de l‛eau au sein des institutions internationales a connu une évolution progressive depuis les années 1970. D‛abord prise en compte dans le cadre des enjeux environnementaux en 1972 à Stockholm, elle fut ensuite abordée de manière plus directe et spécifique à Plata Del Mar en 1977. La prise de conscience par la communauté internationale du caractère transversal de la problématique environnementale de l‛eau semble alors acquise. La décision de décréter une Décennie internationale et de mettre une priorité sur l‛objectif de donner accès à l‛eau potable à tous les êtres humains pour l‛an 2 000 semble en effet issue de la conférence de Plata Del Mar.

L‛eau : au centre des enjeux de l‛environnement

L‛eau s‛inscrit, pendant cette Décennie internationale de l‛eau potable et de l‛assainissement (1981-1990), au cœur des problématiques environnementales. La Commission Brundtland précisait en 1987 que :

La consommation mondiale de l‛eau a doublé entre 1940 et 1980 et on s‛attend à ce qu‛elle double encore d‛ici l‛an 2000, les deux tiers des quantités prévues allant à l‛agriculture. Et pourtant, 80 pays représentant 40 % de la population mondiale souffrent déjà de sérieuse pénurie d‛eau. Il y aura une compétition croissante pour de l‛eau destinée à l‛irrigation, à des usages industriels et à l‛économie domestique. Des différends relatifs à des eaux fluviales ont déjà surgi [...]164

Puis, l‛Agenda 21, issu de la Conférence des Nations Unies sur l‛environnement et le développement tenue à Rio en 1992, traitera de façon complète, à son chapitre 18, des mesures propres à assurer le respect de l‛objectif général qui y est contenu d‛assurer l‛eau potable à toute personne : « The commonly agreed premise was that all peoples, whatever their stage of development and their social and economic

164 Commission mondiale sur l‛environnement et le développement durable, Notre avenir à tous, supra note 103,p.351.

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conditions, have the right to have access to drinking water in quantities and of a quality equal to their basic need ».165

L‛Agenda 21 comporte également une série de principes et d‛objectifs qui articulent les différents éléments qu‛impliquent le droit d‛accès à l‛eau. La préservation de la ressource, essentielle à la mise en œuvre du droit reconnu par la communauté internationale à diverses occasions166, est assurée par la gestion intégrée des ressources en eau proposée dans ce document :

18.8 Integrated water management is based on the perception of water as an integral part of the ecosystem, a natural resource and a social and economic good, whose quantity and quality determine the nature of its utilisation. To this end, water resources have to be protected, taking into account the functioning of aquatic ecosystems and the perennially of the resource, in order to satisfy or reconcile water needs in human activities. In developing and using water resources, priority has to be given to the satisfaction of basic needs and the safeguarding of ecosystems. Beyond the requirements, however, water users should be charged appropriately.167

Mais la multiplication des démarches entreprises au niveau international depuis plus de vingt ans (1972-1992), notamment avec cette Décennie internationale de l‛eau potable et de l‛assainissement (1981-1990), n‛a toujours pas permis d‛assurer à chaque être humain le minimum vital essentiel à sa survie : une eau potable.

De l‛environnement au développement

L‛évolution remarquable de ce dossier dans les préoccupations des institutions internationales dépassera cependant largement la perspective environnementale à partir du début de la dernière décennie du millénaire. L‛interdépendance prendra alors un sens tout à fait concret et le nombre d‛agences de l‛ONU intervenant dans la problématique de l‛eau ne cessera de se multiplier : l‛UNESCO, l‛OMM, l‛OMS, la Banque mondiale, le PNUD, l‛UNICEF, etc.168 se sentiront toutes une responsabilité directe et, de leur perspective propre, traiteront de la problématique de l‛eau.

165 Agenda 21, supra note 146, paragraphe 18.47. 166 Agenda 21, Id., paragraphe 18.47.167 Agenda 21. Id.168 La liste est loin d‛être exhaustive et la somme phénoménale d‛informations disponibles ne nous permet

aucunement d‛en établir l‛ensemble.

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Ainsi, l‛Organisation des Nations Unis tiendra, pendant les années 1990, une série de grandes conférences et sommets visant à forger un consensus mondial à propos des priorités d‛un nouvel ordre du jour pour le développement pour le 21e siècle qui tous, aborderont d‛une manière ou d‛une autre la problématique de l‛eau. Au-delà des préoccupations liées à la préservation de l‛environnement, l‛interdépendance avec les enjeux de développement fut peu à peu posée : Sommet mondial des enfants en 1990 ; Conférence des Nations Unies sur l‛environnement et le développement en 1992 à Rio, bien entendu ; puis Conférence mondiale sur les droits de l‛homme à Vienne en 1993 ; Conférence internationale sur la population et le développement en 1994 au Caire ; Sommet mondial pour le développement socialen 1995 à Copenhague ; 4e Conférence mondiale sur les femmes à Beijing la même année ; 2e Conférence des Nations Unies sur les établissements humains à Istanbul en 1996 ; Sommet mondial de l‛alimentation à Rome la même année. Toutes, sans exception, ont intégré la problématique de l‛eau à leurs travaux169.

Bien qu‛il n‛existe pas de recette universelle pour un développement couronné de succès, les conférences montrent la convergence de plus en plus grande des vues selon lesquelles la démocratie, le développement et le respect de tous les droits de l‛homme et de toutes les libertés fondamentales, notamment le droit au développement, sont interdépendants et se renforcent mutuellement [...] On accepte de plus en plus un concept commun de développement, axé sur les êtres humains, leurs besoins, leurs droits, leurs aspirations, engendré par une croissance économique durable à l‛échelle mondiale et soutenu par un système équitable et revitalisé de coopération multilatérale.170

Parmi les sept objectifs prioritaires fixés pour l‛an 2 000 par le Sommet mondial des enfants, on retrouve nommément l‛accès à l‛eau potable mais aussi trois autres objectifs qui y sont liés : une réduction du tiers des taux de mortalité pour les nourrissons et les moins de cinq ans ; une diminution de moitié des taux de

169 Ont aussi eu lieu d‛autres grandes conférences qui ont aussi traité de l‛eau, mais plus sectorielles ou spécialisées : Conférence mondiale sur le développement durable des petits États insulaires en développement (1994), Conférence mondiale sur la prévention des catastrophes naturelles (1994) ; Conférence des Nations Unies sur le commerce te le développement (CNUCED) en 1996).

170 ONU, Conférences mondiales (1997) Département de l‛information, 23 mai, page 2. Les caractères gras sont de nous.

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mortalité maternelle ; l‛accès universel à l‛éducation de base171. C‛est dire que plus de la moitié des objectifs prioritaires de ce sommet concernait l‛eau, directement ou indirectement.

La Déclaration et le programme d‛action de Vienne réitérera, en 1993, certains principes qui sous-tendent le droit d‛accès à l‛eau et à l‛assainissement : à l‛article 1, que « les droits de l‛homme et les libertés fondamentales sont inhérents à tous les êtres humains » et que « leur promotion et leur protection incombent au premier chef aux gouvernements »; à l‛article 5, que « Tous les droits de l‛homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. » ; à l‛article 10 que « La conférence mondiale sur les droits de l‛homme réaffirme que le droit au développement, tel qu‛il est établi dans la Déclaration sur le droit au développement, est un droit universel et inaliénable qui fait partie intégrante des droits fondamentaux de la personne humaine » ; à l‛article 11, paragraphe 3, que « Chacun a le droit de jouir des fruits du progrès scientifique et de ses applications. » ; à l‛article 25, que « La Conférence mondiale sur les droits de l‛homme affirme que l‛extrême pauvreté et l‛exclusion sociale constituent une violation de la dignité humaine… »172.

Sans nommer directement la problématique de l‛accès à l‛eau potable, la Conférence de Vienne ouvre cependant la porte à la réflexion qui se développera les années suivantes visant à définir les droits d‛accès à l‛eau potable et à l‛assainissement en tant que droits de l‛homme au sein des institutions des Nations Unies vouées à cette dimension spécifique173.

Subséquemment, les conférences sur la population (1994) et sur les établissements humains (1996) aborderont la question de l‛eau, sous deux aspects principalement : d‛une part, bien sûr, du point de vue de l‛évolution démographique, préoccupante à

171 Idem ; sur l‛éducation, nous y reviendrons plus loin mais qu‛il suffise de mentionner que l‛absence d‛accès à l‛eau fait en sorte que de nombreux enfants consacrent plusieurs heures par jour à aller chercher de l‛eau, ce qui les empêche d‛être à l‛école, surtout les petites filles.

172 Nations Unies, Déclaration et programme d‛action de Vienne (1993) Conférence mondiale sur les droits de l‛homme, A/CONF.157/23, 12 juillet, 24 pages.

173 Le Conseil économique et social en 1995 par sa résolution 1995/46, Water supply and sanitation, 56e session, 27 juillet ; puis la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités qui donnera mandat au rapporteur spécial sur les droits économiques, sociaux et culturels d‛examiner cette question en 1997 (Résolution 1997/18 Promotion de la réalisation du droit d‛accès de tous à l‛eau potable et aux services d‛assainissement) ; le rapport de ce dernier remis en 1998 (E/CN.4/Sub.2/1998 !7) et selon toutes probabilités la Commission des droits de l‛homme lors de la présente session.

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cet égard puisque les augmentations de population les plus fortes prévisibles se situent dans des régions où la ressource en eau est déjà soit rare, soit en dégradation avancée. Mais, par ailleurs, à l‛occasion de ces conférences, ont aussi été développés et articulés les liens étroits entre droit au logement et droit d‛accès à l‛eau, le second étant considéré comme un élément de définition même d‛un logement adéquat174. De même les enjeux interpellant le droit à la santé liés à l‛assainissement de l‛eau en zones fortement urbanisées ont été abordés175. Ainsi, la Conférence sur la population et le développement du Caire affirmera-t-elle que : « L‛approvisionnement en eau est l‛un des problèmes les plus graves que connaissent les villes des pays en développement. »176

En 1995, la 4e Conférence mondiale sur les femmes reprendra, elle aussi, cet enjeu en soulignant l‛importance d‛examiner le rôle spécifique des femmes dans l‛utilisation et la préservation des ressources en eau et de garantir leur accès égal aux infrastructures, qu‛il s‛agisse de l‛eau potable en elle-même ou d‛un logement adéquat, comprenant cet accès à l‛eau. On retrouve d‛ailleurs cette considération du rôle spécifique des femmes dans de nombreuses déclarations liées à l‛eau. La conférence de Beijing reprendra d‛ailleurs à son compte la priorité qui traverse l‛ensemble des interventions dans ce domaine depuis Plata Del Mar : « que l‛on assure qu‛une eau propre soit disponible et accessible à tous d‛ici l‛an 2000 [...] et que l‛on établisse des plans de conservation des eaux et des plans de nettoyage de l‛eau polluée »177.

En ce qui concerne le Sommet mondial sur l‛alimentation de Rome, bien que l‛eau ne soit pas explicitement mentionnée dans la déclaration finale, il en est abondamment question dans le rapport, et la capacité de production agricole étant directement liée à la disponibilité en eau, il va de soi que la préservation des ressources hydriques est un élément incontournable de la sécurité alimentaire. Cependant, il

174 Nations Unies, Y a-t-il un droit au logement ? (1996) Département de l‛information, février, page 5, citant l‛Observation générale no 4 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels qui tente de préciser la portée de l‛expression “logement convenable” : “Chacun a droit à un accès viable aux ressources communes, à l‛eau potable, à l‛énergie nécessaire pour faire la cuisine, se chauffer et s‛éclairer, aux services d‛assainissement et à l‛eau courante, à la conservation des aliments, à l‛élimination des déchets, au drainage des lieux et aux services d‛urgence.”.

175 «We shall also promote healthy living environments, especially through the provision of adequate quantities of safe water and effective management of waste.» Nations Unies, Déclaration d‛Istanbul sur les établissements humains (1996)

176 Nations Unies, Conférence internationale sur la population et le développement (1994) A/CONF.171/13/Rev.1.

177 Nations Unies, Déclaration de la 4e Conférence mondiale sur les femmes (1995) Beijing, article 256l).

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faut souligner que cette déclaration, s‛engageant à poursuivre l‛objectif de sécurité alimentaire pour tous à travers un « système de commerce international orienté sur le marché », repose la question du développement « durable »178 et de la répartition des ressources. En effet, comme plusieurs auteurs le soulèvent régulièrement, la production agricole mondiale intégrée à la mondialisation des marchés a tendance à favoriser, même dans des zones à stress hydrique élevé, la production de denrées ou de produits demandant une forte irrigation179. Les contradictions existantes entre compétitivité et durabilité ont été amplement démontrées180, y compris en matière de production agricole et alimentaire.

L‛intensification de l‛agriculture méditerranéenne est liée à son intégration dans le marché mondial. Une telle évolution est à la source de deux types de pression sur la ressource en eau : une pression quantitative risquant de compromettre la durabilité de l‛offre, une pression qualitative conduisant à une dégradation de la qualité des eaux marines et continentales (eutrophisation, etc.)181

Mais c‛est dans le cadre du Sommet mondial pour le développement social, à Copenhague en 1995, que les liens à opérer entre les différents aspects de la problématique de l‛eau furent les mieux circonscrits. Réitérant que « la liaison entre pauvreté et destruction de l‛environnement naturel a été officiellement reconnue il y a plus de vingt ans à la Conférence des Nations Unies sur l‛environnement tenue en 1972 à Stockholm » et que « la réduction et l‛élimination de la pauvreté - objectif implicite de la Charte des Nations Unies de 1945 - constituent l‛un des trois thèmes essentiels que doivent aborder les chefs d‛État et de gouvernement lors du Sommet mondial pour le développement humain », la Déclaration issue de ce sommet reprendra, pour l‛essentiel, les différents éléments sur lesquels se fonde la reconnaissance du droit d‛accès à l‛eau en tant que droit humain fondamental, en lui-même et en tant que partie d‛autres droits fondamentaux. Affirmant que « les êtres humains ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec l‛environnement, et ce sont eux qui sont au cœur de

178 Nations Unies, Sommet mondial de l‛alimentation (1996) Déclaration et plan d‛action, Rome, 13-17 novembre : “...through a fair and market oriented world trade system”.

179 Voir Petrella, supra note 6.180 Voir notamment, René Dumont, Un monde intolérable : le libéralisme en question (1988) Paris , Seuil Point,

principalement pp. 21-72 ; Jean-Marie Harribey, Le développement soutenable (1998) Paris, Économica, principalement chapitre 3 “L‛environnement subordonné à l‛économie”, pp. 49-64 ; et Wolfgang Sachs et Gustavo Esteva, Des ruines du développement (1996) Montréal, Écosociété, principalement chapitre 7 “Sécurité, le nouveau nom du développement”, pp. 65-72.

181 Corinne Lepage, supra note 3, page 4.

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nos efforts pour un développement durable »182, cette déclaration reconnaît que pauvreté, dégradation de l‛environnement, maladies endémiques, constituent de fait des atteintes à la dignité humaine183 et les États, au titre des engagements, reconnaîtront la nécessité de répondre aux besoins fondamentaux de base :

Nous axerons nos efforts et nos politiques sur l‛élimination des causes profondes de la pauvreté et la satisfaction des besoins fondamentaux de tous. Il s‛agira notamment d‛éliminer la faim et la malnutrition,d‛assurer la sécurité alimentaire, d‛offrir un enseignement, un emploi et des moyens de subsistance adéquats, de fournir des soins de santéprimaires, y compris des soins de santé en matière de reproduction et d‛assurer un logement adéquat, l‛approvisionnement en eau potable et des installations sanitaires ainsi que la participation de tous à la vie sociale et culturelle.184

C‛est d‛ailleurs dans le cadre du Sommet de Copenhague que le PNUD proposera un « pacte de type “ 20-20 ” »185 qui sera amplement repris par la suite. Il s‛agissait pour l‛essentiel d‛établir un « pacte mondial par lequel tous les pays s‛engageraient à faire accéder l‛ensemble de leurs ressortissants à un niveau de développement satisfaisant - au minimum - leurs besoins essentiels »186. Au titre des objectifs prioritaires identifiés, au nombre de sept, on retrouve encore une fois l‛accès de tous à l‛eau potable et aux services d‛assainissement.

Par la suite, l‛Assemblée générale des Nations Unies reprendra à son compte la reconnaissance de ces exigences pour mettre véritablement en œuvre les droits humains fondamentaux lorsqu‛elle :

[...] réaffirme qu‛éliminer la pauvreté c‛est avant tout répondre aux besoins fondamentaux de l‛individu, besoins étroitement liés entre eux et portant sur la nutrition, la santé, l‛eau et l‛assainissement, l‛éducation,

182 Nations Unies, Déclaration de Copenhague sur le développement social (1995) Copenhague, 19 avril 1995, A/CONF.166/9, parag. 8.

183 Paragraphe 23. 184 Engagement 2, paragraphe b). Les caractères gras sont de nous ; ils soulignent les différents éléments

qu‛interpelle la disponibilité en eau potable, au-delà de la mention explicite qui en est faite. 185 Nommé ainsi parce qu‛il était proposé essentiellement que les pays effectuent un redéploiement de leurs

budgets - notamment militaires - vers le développement social, pour atteindre 20% sur les objectifs identifiés comme prioritaires et que les pays donateurs s‛assurent pour leur part que 20% de leur aide soit affectée à ces objectifs prioritaires.

186 PNUD, Un agenda pour le sommet social (1994), Rapport sur le développement humain Vue d‛ensemble, page 11.

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l‛emploi, le logement et la participation de tous dans des conditions d‛égalité à la vie politique, économique, sociale et culturelle ;187

On voit bien à travers le vocabulaire utilisé que si le caractère fondamental de l‛accès à l‛eau et à des services d‛assainissement s‛est peu à peu imposé au plan international, des réticences existent pour nommer explicitement le « droit » d‛accès à l‛eau. Comme pour plusieurs autres droits exigeant l‛accès à des biens, notamment le droit au logement, certains États refusent de les consacrer à titre de droits, préférant les voir considérés au titre de « besoins », soient-ils « fondamentaux », dans l‛objectif avoué de ne pas ouvrir de possibilité de recours juridiques. C‛est le cas, notamment des États-Unis qui arguaient, en 1996, à propos du logement que :

[...] sans avoir d‛objection fondamentale à l‛objectif visant à garantir à tous l‛accès à un logement convenable, les États-Unis s‛inquiétaient des prolongements qu‛aurait sur le plan du droit international un droit au logement explicitement proclamé. [...] Nous tenons à ce que l‛on ne confonde pas des besoins, des aspirations et des objectifs avec des droits clairement établis.188

Parallèlement à cette inscription transversale de la problématique de l‛eau dans l‛ensemble des grandes conférences mondiales, la complexité même du sujet entraîne, dans la même période, une multiplication des conférences, sommets, congrès internationaux portant spécifiquement sur la question de l‛eau, tant au plan mondial que régional et l‛élaboration de déclarations et plan d‛action qui lui sont spécifiquement dédiés. Au-delà de celles des ONG, on peut relever la Déclaration de Dublin sur l‛eau dans la perspective d‛un développement durable qui précéda de peu le Sommet de Rio en 1992 ; la Charte méditerranéenne de l‛eau adoptée à Rome le 30 octobre 1992 ; la Déclaration de Strasbourg sur l‛eau source de citoyenneté, de paix et de développement régional, adoptée en 1998 par l‛Assemblée parlementaire du Conseil de l‛Europe ; la Déclaration de Paris sur l‛eau et le développement durable, présentée en 1998 à la 6e Commission sur le développement durable des Nations Unies ; la Déclaration de Marrakech du 22 mars 1997 issue du premier Forum mondial sur l‛eau.

187 Assemblée générale des Nations Unies, Suite donnée au Sommet mondial pour le développement social(1997) 56e séance, 26 novembre, A/52/L.25 et Add.1.

188 Nations Unies, Y a-t-il un droit au logement ? supra note 174, page 3.

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Malgré une telle intégration des enjeux liés à l‛eau et un tel déploiement de ressources, toutefois, la situation réelle, à la fin de la décennie 1990, demeure préoccupante et le nombre d‛êtres humains n‛ayant toujours pas accès à l‛eau potable dépasse toujours le milliard. Les institutions internationales multiplient les interventions et les cris d‛alarme mais les résultats concrets se font attendre, augmentant d‛autant les risques divers liés à la raréfaction de l‛eau.

En 1997, la Commission pour le développement durable des Nations Unies constatait : « They may put global food supplies in jeopardy, and lead to economic stagnation in many areas of the world. The result could be a series of local and regional crises with global implications. »189

La même année, le secrétaire général des Nations Unies exprime ses préoccupations à l‛Assemblée générale des Nations Unies relatives à la question de l‛eau douce, affirmant que : « Si des mesures ne sont pas immédiatement prises, la situation s‛aggravera à l‛avenir […] les schémas actuels de développement et d‛utilisation des ressources en eau sont, pour la plupart, non soutenables. »190

Et, toujours la même année, le Préambule de la Déclaration de Marrakech stipule que : « Amongst the natural resources, water is the most critical. It can and should be used to promote the economic and social advancement of all peoples of the earth, in accordance with the Purposes and Principles of the United Nations as set forth in the United Nation Charter and the Declaration of Human Rights. »191

Vingt ans après Plata Del Mar, les préoccupations fondamentales restent les mêmes et n‛ont toujours pas trouvé de solution, puisqu‛à la fin de la session spéciale de l‛ONU, consacrée à l‛eau en juin 1997, le programme de mise en œuvre de l‛Agenda 21 stipule que : « l‛évaluation économique de l‛eau se fasse dans le contexte des implications sociales et économiques de la ressource [devant] refléter la satisfaction des besoins de base », et recommande que l‛on accorde « la priorité absolue aux graves problèmes d‛eau douce auxquels sont confrontées de

189 Rapport du Secrétaire général de la Commission sur le développement durable, Comprehensive assessment of the freshwater resources of the world (1997) Commission sur le développement durable. 5e session. 7-25 avril, E/CN.17/1997/9 paragraphe 3.

190 Nations Unies, Évaluation générale des ressources en eau douce dans le monde : Rapport du secrétaire général des Nations Unies (1997) Commission pour le développement durable, New York, 5e session, 5-25 avril.

191 Premier forum mondial de l‛eau (1997), Marrakech.

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nombreuses régions du monde »192. On voit là de manière très claire la tendance à considérer l‛eau du point de vue économique, limitée par ailleurs à partir de considérations plus anciennes : celles de son caractère vital pour tous les êtres humains.

L‛amorce de définition d‛un droit humain fondamental

C‛est aussi en 1997 que, saisie de cette question, la Sous-Commission sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités de l‛ONU, dans le cadre de la Résolution 1997/18, proposera que la mise en œuvre du droit d‛accès à l‛eau soit abordée dans la même optique que celle du droit au développement reconnu par l‛Assemblée générale en 1986, dans le cadre de la Déclaration sur le droit au développement : « Affirms that the global multidimensional approach, as defined in the Declaration on the Right to Development, should constitute a basis for work to be carried out on the promotion of the realisation of the right to access of everyone to drinking water supply and sanitation services. »193

Dans cette perspective, le fait que le droit d‛accès à l‛eau potable soit également attaché à la collectivité, au peuple, en constitue un des aspects importants.

L‛accès de base pour toute collectivité humaine signifie de pouvoir accéder à des prélèvements d‛eau nécessaires et indispensables pour les besoins du développement économique et social local, par l‛usage de l‛eau disponible localement ou par voie de partage et de solidarité de l‛eau disponible dans les autres régions avoisinantes et lointaines.194

L‛Agenda 21 accordait déjà une certaine reconnaissance à cet aspect collectif du droit d‛accès à l‛eau : « It should be ensured that all communities of all countries […], will have access to safe water in sufficient quantities and adequate sanitation to meet their needs and maintain the essential qualities of their local environment. »195

Au fil des conférences et des sommets, des déclarations et des plans d‛action, la clarification des enjeux a permis de dégager les balises nécessaires pour envisager

192 Programme pour la mise en œuvre de l‛Agenda 21, supra note 144.193 Résolution 41/128 du 4 décembre 1986. 194 Cette articulation est celle de Riccardo Petrella, supra note 6, p.84. Les caractères gras sont de nous. 195 Paragraphe 18.72 de l‛Agenda 21 , supra note 146.

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l‛accès à l‛eau et à l‛assainissement comme relevant des droits humains fondamentaux.

La nature du droit d‛accès à l‛eau, ainsi globalement circonscrite dans ses composantes individuelles et collectives, rencontre à notre avis les critères propres à la détermination du caractère juridique « d‛un droit »196. Il a un « titulaire certain » : l‛être humain et/ou les peuples/communautés humaines. « Son objet est précis et possible »; il s‛agit d‛assurer à toute personne le droit d‛avoir accès à l‛eau en quantité suffisante, afin d‛assurer ses besoins essentiels etd‛assurer aux peuples/communautés humaines de tous les pays le droit d‛accès à l‛eau dans le cadre de activités essentielles à leur fonctionnement197. Enfin, il est par sa nature « opposable » à un tiers : l‛État, responsable de prendre des mesures permettant d‛assurer l‛approvisionnement en eau potable à l‛ensemble de sa population198.

196 Selon Sudre, F., Droit international et européen des droits de l‛homme. (1989) Paris, Presses Universitaires de France; les caractères essentiels à la définition d‛un droit sont les suivant :“(..) tout droit doit avoir un titulaire certain, un objet précis et possible, et doit être opposable à une ou plusieurs personnes déterminées tenues de les respecter ”. Il cite Rivero, p.164.

197 L‛Agenda 21, supra note 146, en traite globalement au paragraphe 18.72 cité plus haut dans le texte. 198 L‛Agenda 21, Id., aborde notamment aux paragraphes 18.12 et 18.50 les mesures que tous les États

pourraient mettre en pratique pour assurer un approvisionnement en eau adéquat. Nous soumettons que l‛engagement des États d‛assurer le respect des droits économiques et sociaux, dont les droits à un niveau de vie suffisant, au meilleur état de santé physique, d‛être à l‛abri de la faim, donnent une base juridique à la responsabilité des États eu égard à l‛eau potable. Nous vous référons au chapitre 6 qui aborde la portée des différents droits concernés par cette question.

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CHAPITRE 5 LES DROITS FONDAMENTAUX DITS DE SOLIDARITÉ

Parmi d‛autres grands enjeux du siècle à venir, le problème de l‛eau nous contraint à repenser les concepts de sécurité et d‛interdépendance. Il nous aide à mieux distinguer les liens qui existent entre le développement et la paix, à reconnaître la dimension mondiale du développement durable, à admettre la nécessité de mieux partager les connaissances et les ressources. Federico Mayor, UNESCO.199

Si le droit d‛accès à l‛eau comporte des assises importantes au niveau des droits fondamentaux garantis par la Déclaration Universelle des droits de l‛Homme et les deux Pactes, sur lesquels nous reviendrons plus loin, il a aussi un sens propre et distinct de ces droits. Il comporte des similitudes importantes avec des droits fondamentaux reconnus récemment au plan international.

Le droit à l‛environnement sain, le droit à la paix et le droit au développement sont reconnus depuis peu dans plusieurs résolutions de l‛Assemblée générale des Nations Unies. Du fait de leur reconnaissance ultérieure à celle des droits civils et politiques, puis économiques, sociaux et culturels, ces droits sont souvent associés à une nouvelle catégorie de droits fondamentaux, les droits dits de « troisième génération » ou de « solidarité »200. Cependant, on peut argumenter que cette classification en « générations » est de moins en moins pertinente avec la reconnaissance (Vienne 1993) du caractère indivisible et interdépendant des droits fondamentaux, qui implique la réalisation de tous pour la mise en œuvre de chacun.

Il y a, quant au caractère de droit fondamental de ces droits dits de solidarité, des controverses. Les plus conservateurs considèrent qu‛ils ne répondent pas aux critères de détermination du caractère juridique d‛un droit201, alors que d‛autres les conçoivent comme « composantes » essentielles de la mise en œuvre de tous les autres droits fondamentaux reconnus.

199 “Vers une nouvelle éthique de l‛eau” (1997) Premier forum mondial de l‛eau, Marrakech, 22 mars. 200 Schabas, W.A., Précis du droit international des droits de la personne (1997) Cowansville, Les Éditions Yvon

Blais, p.40. 201 C‛est le cas de Sudre. Supra note 196, P.163 et suivantes.

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Touchant aux grandes préoccupations de notre temps (paix, développement, environnement), les droits de solidarité traduisent « une certaine conception de la vie en société »; à la fois opposables à l‛État et exigibles de lui, ils ne pourraient « être réalisés qu‛avec la conjonction des efforts de tous les partenaire sociaux ».202

Complexes, ces droits, encore plus que les droits fondamentaux traditionnellement reconnus, portent en eux-mêmes un caractère de dualité. À la fois droits et devoirs, ils interpellent en même temps le collectif et l‛individuel : « ces droits sont essentiellement de nature mixte en ce sens qu‛ils participent des exigences des individus et des peuples et appartiennent autant au domaine des droits civils et politiques que des droits économiques, sociaux et culturels ».203

C‛est en ce sens que la Déclaration de Rio, dont la conférence a réuni le plus grand nombre de gouvernements participants parmi tous les Sommets de l‛ONU, affirme : « La paix, le développement et la protection de l‛environnement sont interdépendants et indissociables. » 204

Le droit à un environnement sain

Parmi les droits dits de solidarité, le droit à un environnement sain, reconnu en 1972 par la Déclaration de Stockholm, adoptée par l‛Assemblée générale des Nations Unies, est probablement celui qui connaît la plus certaine reconnaissance en droit national et international. Ainsi, au niveau national, le droit de toute personne à un environnement de qualité était, déjà avant Rio, consacré dans plus d‛une vingtaine de Constitutions205.

202 Idem203 Keba M‛Baye in Sudre, F. supra note 196, p. 183. 204 Déclaration de Rio, supra note 85, article 25. 205 Alexander Charles Kiss, “Le droit à la qualité de l‛environnement : un droit de l‛homme?” (1991)

Environnement international :Manuel pédagogique, Ste-Foy, Télé-Université, annexe. Les pays identifiés par l‛auteur sont l‛Albanie, la Bulgarie, la Chine, la Colombie, les Comores, l‛Espagne, les États-Unis, la France, la Grèce, la Hongrie, l‛Inde, l‛Indonésie, l‛Iran, le Panama, le Paraguay, les Pays-Bas, le Pérou, les Philippines, la Pologne, le Portugal, la République de Corée, la République Démocratique allemande, la République du Vietnam, la Roumanie, le Sri Lanka, la Suisse, la Tchécoslovaquie, la Thaïlande, la Russie, le Venezuela, la Yougoslavie. Il est à noter que le Canada n‛a pas inclus ce droit dans la Constitution.

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Au plan international régional, la Charte africaine des droits de l‛homme et des peuples 206 et le Protocole de San Salvador additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l‛homme, adopté le 17 novembre 1998, le consacrent, à titre de droit collectif dans le premier cas et dans le second à titre de droit individuel207.

Plus que tout autre peut-être, le droit à l‛environnement sain est défini en terme de « droit/devoir » à la protection de l‛environnement au plan individuel et collectif. La Déclaration de Stockholm proclame en ce sens :

l‛homme a un droit fondamental à la liberté, à l‛égalité ainsi qu‛à des conditions de vie adéquates, dans un environnement de qualité qui permet de vivre une vie dans la dignité et le bien-être […] et il a la responsabilité solennelle de protéger et d‛améliorer l‛environnement pour les générations présentes et futures.208

Elle précise également que: « To achieve this environmental goal will demand the acceptance of responsibility by citizens, communities and by enterprises and institutions at every level, all sharing equitably in common efforts. »209

Il s‛agit sans doute du droit/devoir le mieux explicité du droit international dans la mesure où chaque être humain a un droit d‛accès et d‛usage, un droit de bénéficier, directement lié à un devoir de citoyenneté active dans la protection de l‛environnement et des ressources. Le droit fondamental, attaché individuellement à chaque être humain, inhérent à chacun et inaliénable, n‛est possible que dans la réalisation d‛un droit/devoir de nature à la fois individuelle et collective, le devoir de préservation de tous pour chacun. Il existe donc un droit fondamental à bénéficier des ressources et d‛un environnement sain dont le corollaire est le droit individuel et collectif à ce que ces ressources et cet environnement soient conservés.

206 Adoptée en 1981 à Nairobi, à son article 24 : “Tous les peuples ont le droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement”.

207 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1976) 993 R.T.N.U. 3 [1976] R.T. Can No. 46, R.E.I.Q. (1984-1989) No. 1976 (3) p.808 (entré en vigueur le 23 mars 1976). L‛article 11(1)(2) : l‛inclus dans les droits économiques, sociaux et culturels.

208 Déclaration of the United Nations Conference on the Human Environment (1972) Stockholm. In Monitor, M.R. (1991) International Environmental Law. Deventer : Kluwer Law and Taxation Publishers. 571 principe 1

209 Idem, partie 1 paragraphe 6.

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Au soutien de ce droit/devoir, s‛inscrit un droit à l‛information nécessaire pour accomplir ce devoir de préservation:

les citoyens doivent donc pouvoir jouer un rôle qui n‛est pas simplement celui de l‛exécutant mais aussi celui du décideur. [...] Par son double aspect contenant à la fois droits et devoirs, le droit à la conservation de l‛environnement y apporte une innovation de taille : il sort les citoyens d‛un statut passif de bénéficiaires et leur fait partager des responsabilités dans la gestion des intérêts de la collectivité toute entière. Un tel apport est bénéfique non seulement aux droits de l‛homme mais aussi à la démocratie, si tant est que l‛on puisse séparer les deux210.

C‛est essentiellement la dimension de prévention qui a engendré un tel développement de ce droit particulier puisque, dans la réalité et dans la plupart des cas de figure, les citoyens et citoyennes doivent pouvoir intervenir avant le fait, les dommages causés aux ressources et à l‛environnement étant souvent irrécupérables ou fort onéreux à corriger. D‛ailleurs, une « Convention sur le devoir d‛informer » en matière d‛environnement a été signée en juin 1998 par les ministres de 55 pays, sous l‛égide de la Commission économique des Nations Unies pour l‛Europe, qui prévoit le droit pour toute personne, sans motiver sa décision, de demander des informations et de les obtenir dans un délai d‛un mois211.

En ce qui concerne le droit à l‛environnement, la Cour internationale de justice a d‛ailleurs rappelé récemment l‛importance d‛une vision globale et du principe de précaution : « [...] dans le domaine de l‛environnement, la vigilance et la prévention s‛imposent en raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l‛environnement et des limites inhérentes au mécanisme même de réparation de ce type de dommages. »212

210 Alexandre Charles Kiss, supra note 205.211 «ONU-Environnement : signature d‛une convention régionale et de 2 protocoles» (1998) Genève, dépêche

AFP, 15 juin. La Déclaration de Rio sur l‛environnement et le développement. Principe de gestion des forêts, supra note 85, reconnaît dans le cadre du principe 10, qu‛‛‛au niveau national chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l‛environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leur collectivité et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision‛‛

212 Cour internationale de Justice, Slovaquie c. Hongrie portant sur le Danube, arrêt du 25 septembre 1997. Les caractères gras sont de nous. Sironneau, voir supra note 1.

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L‛eau est, à l‛évidence, une composante essentielle de l‛environnement global, puisque sans eau, plus de vie. Elle est à la fois un élément parmi d‛autres de l‛équilibre des écosystèmes mais aussi, plus fondamentalement, une condition de leur existence même. C‛est peut-être ce qui explique, entre autres facteurs213,qu‛au plan international, l‛eau soit traitée parallèlement pour elle-même et au sein des discussions portant sur l‛environnement.

Cette dynamique s‛est développée très tôt, puisque peu après la Conférence de Stockholm de 1972, la communauté internationale tenait une Conférence mondiale sur l‛eau à Mar del Plata en 1977. Du fait du rôle essentiel de l‛eau pour la survie même de l‛environnement, on en traitera par la suite, à la fois de façon spécifique mais également dans la perspective du développement durable.

Ainsi la Conférence internationale sur l‛eau et l‛environnement, tenue à Dublin, peu avant le Sommet de Rio, a dégagé les principes suivants eut égard à l‛eau : l‛eau douce, ressource fragile, est indispensable à la vie, au développement et à l‛environnement ; la gestion et la mise en valeur des ressources en eau doivent associer usagers, planificateurs et décideurs à tous les échelons ; les femmes jouent un rôle essentiel dans l‛approvisionnement, la gestion et la préservation de l‛eau : enfin, l‛eau a une valeur économique et devrait donc être reconnue comme un bien économique214. Les discussions de cette conférence prendront largement en compte l‛interdépendance des écosystèmes ainsi que les conséquences du développement et des activités humaines, soulignant que « certains facteurs, naturels ou humains, doivent être pris en compte pour une gestion durable de cette ressource vitale » : le fait que les nappes souterraines, les aquifères ne sont pas des ressources renouvelables, le fait que la pollution entraîne l‛eutrophisation, les transformations des modes d‛agriculture, etc.215

Le droit au développement

L‛articulation concrète du droit au développement, récemment reconnu, a été réalisée à travers une série de conférences et de forums internationaux et fût abordée conjointement à différents domaines, que ce soit l‛environnement, l‛eau, les

213 L‛urgence et la gravité de la situation quant aux conséquences humaines des problèmes liés à l‛eau en est aussi un facteur, nous en sommes conscientes.

214 Conférence internationale sur l‛eau et l‛environnement, Dublin, supra note 139. Nous reviendrons plus en détail sur cette question de bien économique, relativement récente.

215 Idem.

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populations, les femmes ou les enfants. Nous en avons fait une présentation sommaire au chapitre 4.

L‛Assemblée générale des Nations Unies a consacré le droit au développement à titre de droit fondamental en 1986, dans le cadre de la Déclaration sur le droit au développement. Elle le définit ainsi :

le droit au développement est un droit inaliénable de l‛homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l‛homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés et de bénéficier de ce développement216.

Selon ce même document, la réalisation de ce droit engage les États à « assurer notamment l‛égalité des chances de tous dans l‛accès aux ressources de base, à l‛éducation, aux services de santé, au logement et à une répartition équitable du revenu », ainsi que la participation des femmes. Elle implique également l‛adoption de politiques économiques et sociales de nature à éliminer les injustices sociales217.

Le droit au développement a été reconnu à d‛autres occasions, particulièrement dans le cadre de La Déclaration de Vienne issue de la Conférence mondiale sur les droits humains tenue à Vienne en juin 1993 qui le consacre à titre de droit universel et inaliénable218, ainsi que par la Commission de droits de l‛Homme de l‛ONU en 1996219.

Il trouve une base juridique notamment à l‛article 28 de la Déclaration Universelle des droits de l‛Homme, qui précise « toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet », mais également dans le droit des peuples à disposer d‛eux-mêmes garanti par les deux Pactes à l‛article 1 qui précise : « en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».

216 Résolution 41/128 du 4 décembre 1986, article 1(1). 217 Idem, article 8 218 Article 10. 219 Résolution 1996/15 du 11 avril 1996, intitulée Le droit au développement.

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Le droit au développement revêt une caractéristique assez particulière, qui vient préciser la nature complexe et duale de ce droit de solidarité puisque la Déclaration sur le droit au développement contient une disposition spécifique sur la responsabilité de la personne pour assurer le respect du droit au développement : « l‛être humain est le sujet central du développement et doit donc être le participant actif et le bénéficiaire du droit au développement […] Il a la responsabilité du développement individuellement et collectivement […] » 220

Avec le Sommet de Rio, l‛interdépendance entre ce droit et l‛environnement est consacrée avec l‛adoption du concept de développement durable221. En effet, il devient évident qu‛un droit au développement ne peut être conçu selon un « modèle de développement » qui conduit à l‛épuisement des ressources, dans une perspective de respect du droit de chacun à un environnement sain.

Déjà en 1972, la communauté internationale déclarait à l‛occasion de la Conférence de Stockholm :

« […] nature conservation including wildlife must […] receive importance in planning for economic development »222. Vingt ans plus tard, elle précise que « le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l‛environnement des générations présente et future ».‛223

Le droit à la paix

Le droit à la paix, élément interdépendant et indissociable224 de la réalisation des « droits de solidarité », a été consacré par l‛Assemblée générale de l‛ONU à titre de droit sacré des peuples de la Terre225, précisant que « […] préserver le droit

220 Article 2, paragraphes 1 et 2. 221 Déclaration de Rio sur l‛environnement et le développement, supra note 85, dans la partie « Principes de

gestion des forêts », principe 4 : ‘‛Pour parvenir au développement durable, la protection de l‛environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérées isolément‛‛

222 Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l‛environnement humain , supra note 208, principe 4 Au principe 5, il est précisé que : ‘‛ The non renewable ressources of the earth must be employed in such a

way as to guard against the danger of their future exhaustion (…)‛‛ Déclaration de Rio sur l‛environnement et le Développement. Principes de gestion des forêts (1992) Sommet Planète Terre, supra note 85, principe 3.

224 Idem, principe 25 ‘‛La paix, le développement et la protection de l‛environnement sont interdépendants et indissociables‛‛

225. Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur le droit des peuples à la paix (1984) Résolution 39/11 du 12 novembre, principe 3.

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des peuples à la paix et promouvoir la réalisation de ce droit constituent une obligation fondamentale de chaque État »226. La paix est un élément central de la construction même de l‛Organisation des Nations Unies227.

À de multiples occasions, la communauté internationale a souligné et précisé l‛importance du lien entre des conditions pacifiques et stables d‛existence et le respect des droits fondamentaux. Au Sommet de Rio, la guerre a été dénoncée comme « une action intrinsèquement destructrice sur le développement durable »et il fût fait mention de l‛obligation des États de respecter le droit international relatif à la protection de l‛environnement même en cas de conflit armé228. Le droit au développement a également été associé à l‛obligation pour les États de « faire tout en leur possible pour réaliser le désarmement général et complet »229.

La problématique de l‛eau, de son partage, est depuis longtemps reconnue comme source potentielle de conflits autant intra-étatiques, qu‛interétatiques. On rapporte l‛existence de 50 lieux de conflits interétatiques irrésolus dans le monde en lien avec l‛eau230. Ils se rapportent à différents aspects de la gestion de l‛eau ; barrage, inondations et irrigation (Bangladesh, Inde, Népal), détournement d‛eau de l‛aquifère cisjordanien (Israël, Jordanie, Liban et Syrie) et de l‛Okawango (Namibie, Angola, Botswana)231. Ces conflits mettent tous en jeu le respect de la dignité humaine et le droit d‛accès à l‛eau potable des individus et communautés.

Le droit humanitaire

L‛eau peut non seulement être source de conflits, elle peut également devenir un outil de chantage en cas de conflits armés. Le droit international humanitaire a développé une série de prescriptions à ce sujet.

226 Idem, principe 2. 227 Charte des Nations Unies (1945) R.T.Can., no.7, voir le préambule. 228 Déclaration de Rio sur l‛environnement et le Développement. Principes de gestion des forêts, supra note 85,

principe 24 229 Assemblée générale des Nations Unies. Déclaration sur le droit au développement (1986) Résolution 41/28

du 4 décembre, principe 7. 230 Petrella, supra note 6, p. 36. 231 Nous précisons tout comme Riccardo Petrella, que l‛eau n‛est qu‛un élément parmi d‛autre de dispute entre les

États arabes et Israël, Petrella, supra note 6, p.41.

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En 1966, les règles dites d‛Helsinki, proposées par l‛Association de droit international (ILA), relatives aux usages des eaux de cours d‛eau internationaux, visent à :

prohiber l‛empoisonnement de l‛eau, indispensable pour la bonne santé et la survie des populations civiles, ainsi que le fait de la rendre impropre à l‛alimentation humaine. En outre, elles viseraient à interdire le détournement des cours d‛eau si une telle action est susceptible de causer des souffrances disproportionnées à la population civile ou des dommages substantiels à l‛environnement. De plus, les installations d‛approvisionnement en eau indispensables au maintien de conditions minimales de survie ne doivent pas être arrêtées ou détruites (art. 2) et la destruction d‛installations hydrauliques présentant des risques tels que barrages et digues est interdite (art. 5). Par ailleurs, les dispositions d‛un traité de paix ne sauraient avoir pour conséquence de priver une population de ses ressources en eau, qui sont nécessaires pour son économie et conditionnent sa survie.232

Mais, on a dû attendre le premier protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 (art. 54,2) :

Il est interdit d‛attaquer, de détruire, d‛enlever ou de mettre hors d‛usage des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que des denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d‛eau potable et les ouvrages d‛irrigation, en vue d‛en priver, en raison de leur valeur de subsistance, la population civile ou la partie adverse, quel que soit le motif dont on s‛inspire, que ce soit pour affamer des personnes civiles, provoquer leur déplacement ou pour toute autre raison.233

Et l‛article 56 du même protocole stipule que :

Les ouvrages d‛art ou installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production d‛énergie électrique, ne seront pas l‛objet d‛attaques, même

232 Sironneau, supra note 1, page 6. 233 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des

conflits armés internationaux (Protocole I), adoptée par la Conférence diplomatique pour l‛élaboration de Conventions internationales destinées à protéger les victimes de la guerre, adopté le 8 juin 1977 et entré en vigueur le 7 décembre 1978.

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s‛ils constituent des objectifs militaires, lorsque de telles attaques peuvent provoquer la libération de ces forces et, en conséquence, causer des pertes sévères dans la population civile...

Plus près de nous encore, on peut constater un début de préoccupation pour la destruction de l‛environnement en temps de guerre dans la résolution A/47/37 des Nations Unies qui, suite à la guerre du Golfe, a tenté de prohiber toute destruction de l‛environnement qui ne serait pas strictement justifiée par des fins militaires234.

Si la vie et la dignité humaine sont les fondements du droit international des droits de la personne, il faudra bien reconnaître que les famines, le manque d‛eau potable et la pollution tuent autant d‛êtres humains que les guerres ou les violences ethniques... La sécurité humaine, souligne le PNUD dans son rapport de 1994, est indivisible. Pourtant,

D‛une manière générale, si certains instruments conventionnels reconnaissent enfin l‛eau comme étant un bien économique et social, il n‛en demeure pas moins qu‛aucun n‛est réellement allé jusqu‛à proclamer un « droit à l‛eau ». Ainsi, malgré l‛inégalité d‛accès à l‛eau potable entre les différents États, les conventions internationales n‛ont, jusqu‛à aujourd‛hui, pas mis l‛accent sur une « mise à disposition d‛eau saine pour tous » et plus particulièrement pour les plus démunis.235

Le droit d‛accès à l‛eau au cœur de tous les droits de solidarité

Le droit d‛accès à l‛eau est essentiellement, comme les droits de solidarité, un droit mixte : droit individuel, collectif, civil et politique, social, économique et culturel, il est essentiel pour l‛être humain et la vie en société. Il touche l‛ensemble des secteurs sociaux, économiques et culturels. La conférence de Dublin identifiait clairement ces caractéristiques : « L‛eau douce - ressource fragile et non renouvelable - est indispensable à la vie, au développement et à l‛environnement »236.

Il met l‛emphase sur la responsabilité de tous, individus et sociétés, pour assurer sa réalisation, dont le corollaire est la protection adéquate de cette ressource.

234 Sironneau, supra note 1, page 6. 235 Philippe El Fadl, supra note 42, page 12. 236 Principe 1 de la Conférence de Dublin, supra note 139.

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C‛est donc un droit/devoir, tout comme le droit à l‛environnement sain et le droit au développement, qui exigent une participation active de tous et de toutes237. Il implique des notions d‛équité, de partage de la ressource et des perspectives de gestion à long terme de façon à la préserver.

Il nécessite, au même titre que le droit à l‛environnement sain, l‛articulation de droits procéduraux : droit d‛être informé, d‛avoir des recours devant les tribunaux et de participer aux processus de décisions portant sur tout projet concernant l‛eau. « It is important that stakeholders at all levels be involved in a transparent approach for policy-making , planning and management, as a « bottom-up » and « top-down » process. »238

La Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités propose d‛ailleurs que l‛approche multidimensionnelle adoptée dans le cadre de la Déclaration sur le droit au développement soit retenue pour aborder la question du droit d‛accès à l‛eau :

[…] Les gouvernements préconisent l‛instauration d‛un dialogue sous les auspices de la Commission du développement durable ayant pour but de réaliser un consensus, […] afin d‛envisager la mise en œuvre d‛une stratégie d‛exploitation durable des ressources en eaux douces à des fins économiques et sociales qui tiennent compte des différents aspects de la question, tels que l‛approvisionnement en eau potable et assainissement, l‛utilisation de l‛eau pour l‛irrigation, le recyclage, la gestion des eaux usées ainsi que leur impact sur les écosystèmes.239

237 Plusieurs déclarations portant sur l‛eau, dont celle de Dublin et les subséquentes, insistent sur le rôle essentiel des femmes à cet égard. L‛un des quatre principes directeurs de la Conférence de Dublin, le principe No. 3, y réfère spécifiquement : ‘‛les femmes jouent un rôle essentiel dans l‛approvisionnement, la gestion et la préservation de l‛eau‛‛. Il est précisé que ‘‛l‛adoption et l‛application de ce principe exigent que l‛on s‛intéresse aux besoins particuliers des femmes et qu‛on leur donne les moyens et le pouvoir de participer, à tous les niveaux, aux programmes conduits dans le domaine de l‛eau, y compris la prise de décisions et la mise en œuvre, selon les modalités qu‛elles définiront elles-mêmes‛‛. Conférence de Dublin, supra note 139.

238 Rapport du secrétaire général du Conseil Économique et Social, Strategic approaches to freshwater management (1998) Commission sur le développement durable E/CN.17/1998/2/add.1, paragraphe 29.

239 Repris dans Assemblée générale des Nations Unies, supra note 144, p.15 Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Promotion de la réalisation du droit d‛accès de tous à l‛eau potable et aux services d‛assainissement (1997) Résolution 1997/18, 35e session, 27 août (adoptée sans vote), point 1.

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CHAPITRE 6 DROIT AUX RESSOURCES ET DROITS GARANTIS

Si l‛accès à l‛eau est aujourd‛hui considéré comme un droit fondamental, il nous incombe à tous de réfléchir aux responsabilités qu‛implique l‛exercice de ce droit. Federico Mayor, UNESCO

Le droit d‛accès à l‛eau potable comme droit fondamental

Le droit fondamental à l‛eau potable est de plus en plus présent sur la scène internationale. Il fut au cœur de la Décennie internationale de l‛eau, lancée en 1981 par les Nations Unies à la suite de la Conférence mondiale de l‛eau de 1977 tenue à Mar del Plata à l‛initiative de l‛Assemblée générale des Nations Unies. Il sera également présent dans le cadre des conférences subséquentes de la communauté internationale portant spécifiquement sur l‛eau et, comme nous l‛avons vu, dans le cadre de l‛ensemble des conférences et sommets de l‛Organisation des Nations Unies.

Le document officiel de la Consultation mondiale sur l‛eau potable et l‛assainissement tenue à New Delhi en 1990, « […] formalised the need to provide, on a sustainable basis, access to safe water in sufficient quantities and proper sanitation for all, emphasising the ‘some for all rather than more for some approach. »240, reprenant ainsi les principes dégagés antérieurement.

Puis, la Déclaration de Dublin issue de la Conférence internationale sur l‛eau et l‛environnement, qui a précédé le Sommet de Rio en 1992, en fait l‛un de ses principes : « il est primordial de reconnaître le droit fondamental de l‛homme à une eau salubre et une hygiène adéquate pour un prix abordable. »241

L‛Agenda 21, document de principes issu de la Conférence des Nations Unies sur l‛environnement et le développement, intégrera lui-même par la suite la

240Robinson, N.A., Hassan, P. et Burhenne-Guilmin, F. (1993) Agenda 21 and UNCED proceedings. Supra note 146, paragraphe 18.48

241 principe No.4.

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reconnaissance du droit fondamental d‛accès à l‛eau et à l‛assainissement242. Il précise : « […] the general objective is to make certain that adequate supplies of water of good quality are maintained for the entire population of this planet […] »243. L‛Agenda 21 souligne également que, dans le cadre du développement de l‛agriculture et de zones d‛irrigation : « It should be ensured that all communities of all countries […], will have access to safe water in sufficient quantities and adequate sanitation to meet their needs and maintain the essential qualities of their local environment. »244

Récemment, le droit d‛accès à l‛eau potable en tant que droit humain fondamental sera abordé directement, en tant que tel, par le système des droits de l‛homme des Nations Unies, à travers la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités, dans le cadre de la Résolution 1997/18, laquelle affirme « […] the right of each woman, man and child to access to drinking water supply and sanitation services in order to live in dignity, security and peace. »245

Une assise juridique dans les droits fondamentaux garantis au niveau international

Dès le début des années 70, une prise de conscience des dommages causés à l‛environnement se fait au plan international. L‛Assemblée générale des Nations Unies établit alors les bases d‛une approche globale du lien entre environnement et droits de la personne, dans le cadre de la Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l‛environnement humain en déclarant : « Both aspects in the environment, the natural and the man made, are essential to his well being and to the enjoyment of basic human rights – even the right to life itself. » 246

Cette approche permet, de l‛avis de plusieurs, d‛établir les fondements juridiques du droit à l‛environnement sain à titre d‛aspect essentiel à la mise en œuvre du droit à la vie garanti par les documents internationaux247. Or, comme nous le verrons, l‛accès à l‛eau potable et ses corollaires, tels la protection de la ressource

242 Robinson, N.A., Hassan, P. et Burhenne-Guilmin, F. (1993) Agenda 21 and UNCED proceedings. Supra note 146, paragraphe 18.47 de l‛Agenda 21

243 Idem, paragraphe 18.6. 244 Idem, paragraphe 18.72. 245 Neuvième paragraphe de la Résolution de la Sous-Commission, supra note 239.246 Déclaration of the United Nations Conference on the Human Environment (1972) supra note 208,247 Ned P. Vanda, supra note 121, p.68.

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eau, son partage équitable et des services sanitaires appropriés sont, de la même façon, essentiels à la mise en œuvre de nombreux droits fondamentaux, notamment le droit à la vie.

Les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de la personne ont pour base commune « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables. »248 Les droits fondamentaux, précise-t-on dans le préambule du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, « […] découlent de la dignité inhérente à la personne humaine. »

Les États parties à l‛Organisation des Nations Unies ont une responsabilité internationale à l‛égard des droits fondamentaux. La Charte constitutive des Nations Unies du 26 juin 1945 fait explicitement référence à la protection de ces droits249 : « elle a été interprétée comme engageant les États parties à agir en coopération avec l‛ONU pour favoriser le respect universel et effectif des droits de la personne et des libertés fondamentales pour tous sans distinction de sexe, de race, de langue ou de religion. »250

L‛aspect collectif : le droit des peuples de disposer librement de leur richesse

La proclamation du principe de la souveraineté permanente des États sur leurs richesses et leurs ressources naturelles a pris corps pour la première fois en 1952

248 Déclaration Universelle des droits de l‛Homme, A.G.Res. 217 A (III). DOC. N. U. A/810 (1948) Préambule, paragraphe 1, Pacte International relatif aux droits civils et politiques, R.E.I.Q. (1984-89), no 1976 (5), page 817, Préambule, paragraphe. 1 et Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,supra note 207.

249 la Charte des Nations Unies fait référence aux droits fondamentaux à neufs reprises, et notamment au paragraphe 2 de son Préambule, à l‛article 1(3), et à l‛article 55. Article 1 “Les buts des Nations Unies sont les suivants : […] 3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d‛ordre économique, social, intellectuel, humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l‛homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.”. Schabas, W. A. (1997). Supra note 200, p.50.

250 Schabas, idem. L‛auteur énonce au soutien de cet énoncé “bien que l‛on doutait à l‛origine du caractère obligatoire des dispositions de la Charte des Nations Unies relatives aux droits et libertés, la Cour internationale de Justice a consacré la juridiction de celles-ci dans plusieurs de ses arrêts, et notamment dans les affaires de la Barcelona Traction Light and Power Company (Belgique-Espagne), Fond (2e phase), 5 février 1970 (1970) C.I.J. Recueil 3 ; Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis/ Iran), Fond, 24 mai 1980 (1980) C.I.J. Recueil 3; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua/États-Unis), Fond, 27 juin 1986, (1986) C.I.J., Recueil 14.

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dans des résolutions de l‛Assemblée générale des Nations Unies où il est question, entre autres, du « droit des peuples d‛utiliser et d‛exploiter librement leurs richesses et leurs ressources naturelles [qui] est inhérent à leur souveraineté et conforme aux buts et aux principes de la Charte [des Nations Unies] ».251

Ensuite l‛article 1 (2) commun aux deux Pactes précisera :

Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l‛intérêt mutuel et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.

Certes, on peut penser que ce droit collectif général ne trouve dans les faits que peu d‛applications concrètes à l‛heure actuelle, étant limité par les ajustements structurels et les règles de commerce international. Cependant, greffé à ce droit général se dégage un élément essentiel à la mise en œuvre et au respect des droits fondamentaux de nature individuelle ; le droit inaliénable aux moyens de subsistance garanti au niveau collectif.

Certains auteurs signalent d‛ailleurs que l‛affirmation de la souveraineté dans les deux pactes est assortie de deux sauvegardes, l‛une en faveur des pays occidentaux - la référence au droit international - et l‛autre en faveur des pays du tiers monde - le droit inaliénable sur les moyens de subsistance252.

Par ailleurs, le droit inaliénable sur les moyens de subsistance s‛articule à la reconnaissance du fait que cette subsistance - comprenant la réponse aux besoins de base tels que boire, se nourrir, se loger, se vêtir - s‛avère essentielle à la vie et à la dignité humaine consacrées dans la Déclaration universelle des droits de l‛homme.

251 Résolution de l‛Assemblée générale des Nations Unies no 523 (VI) du 12 janvier 1952 sur “le développement économique intégré et accords commerciaux” et Résolution no 626 (VI) du 21 décembre 1952 sur “le droit d‛exploiter librement les richesses et ressources naturelles”.

252 Voir à ce sujet Jean Touscoz, “La souveraineté économique, la justice internationale et le bien économique” (1991) Humanité et droit international, Pedone, Paris, pp. 316-317 et Tarek Majzoub, supra note102, page 13.

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Le droit inaliénable à la subsistance comprend donc, de manière indirecte, le maintien en l‛état d‛un environnement hydrique propre à produire et reproduire des ressources alimentaires destinées à la consommation.

Cependant, le droit d‛accès à l‛eau potable a aussi une composante proprement collective. Il est nécessaire non seulement à la subsistance des individus mais également à celle des peuples en tant que tels, puisqu‛il est à la base de toutes les activités humaines et sociales importantes. Les Pactes couvrent selon nous cet aspect, comme composante des droits collectifs fondamentaux, puisqu‛ils proclament « en aucun cas un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. »

Il faut signaler ici que, au cours du travail de rédaction de la Convention de New York253, la question qui se posait à la Commission du droit international était de savoir si la notion de souveraineté sur les ressources naturelles était appropriée pour une ressource présentant les caractéristiques physiques de l‛eau. La notion de souveraineté permanente sur les ressources naturelles ne peut pas, en tout état de cause, s‛appliquer de la même façon sur une ressource dont la caractéristique essentielle est la mobilité, sans compter que l‛eau s‛auto-renouvelle en comparaison avec d‛autres ressources naturelles, comme le pétrole, qui sont limitées254. De fait, les caractères contradictoires de l‛eau nécessitent une limitation de la souveraineté de l‛État et des limitations à l‛utilisation des cours d‛eau internationaux, pour répondre adéquatement à l‛autre exigence : celle de l‛accès aux ressources en eau pour tous les êtres humains. Nous vous référons au chapitre traitant de la notion de patrimoine commun de l‛humanité pour ce qui est de la mise en œuvre concrète de ces éléments.

Droit à la subsistance... parce que droit à la vie

L‛eau potable est une ressource vitale pour l‛être humain. Sans eau, la vie, pas seulement humaine d‛ailleurs, ne peut être protégée. « Chez l‛être humain, une perte d‛eau peut avoir des conséquences graves si elle atteint 10 % de la masse contenue dans le corps et peut entraîner la mort à partir de 20 % ».255

253 Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d‛eau internationaux à des fins autres que la navigation (1997), supra note 83.

254 Annuaire de la CDI, 1976, vol. II, 2e partie, page 147. 255 Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Le droit

d‛accès de tous à l‛eau potable et aux services d‛assainissement, établi par M. El Hadji Guissé, Rapporteur spécial, 50e session, E/CN.4/Sub.2/1998/7, 10 juin 1998, page 2.

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La Déclaration Universelle des droits de l‛homme reconnaît, à l‛article 3, « le droit inhérent et inaliénable à la vie, à la liberté et la sûreté de sa personne ». Elle comprend également « le droit de toute personne à un niveau de vie décent pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l‛alimentation, l‛habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires », à l‛article 25(1).

Le Rapporteur spécial Ed Hadji Guissé, soumet que dans le cadre de la Déclaration universelle, le droit à la vie « tend »‛, du fait de la présence du droit à un niveau de vie décent, « vers la notion du droit de vivre »256. D‛autres interprétations, associent également au droit à la vie, « le droit à une certaine qualité de vie »257. La Convention des Nations Unies sur les droits de l‛enfant renforce, selon nous, cette interprétation. Dans un même article, elle traite non seulement du droit inhérent à la vie, mais également d‛un engagement des États d‛assurer « dans toute la mesure possible la survie et le développement de l‛enfant ».258 Elle consacre, à l‛article 27,« le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social. »

Nous soumettons que, dans ce contexte, le droit à la vie ne saurait être interprété dans la perspective traditionnelle, c‛est-à-dire à titre de droit civil et politique exigeant de l‛État de s‛abstenir de porter atteinte à la vie de ses citoyens et citoyennes259 . En effet, bien qu‛on ne retrouve pas le droit à la vie dans le cadre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à la lumière de la Déclaration universelle des droits de l‛homme, on peut conclure qu‛« il est (…) tant un droit économique qu‛un droit civil et sa classification dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques plutôt que le Pacte international

256 Idem, paragraphe 12 de son rapport. 257 Schabas,W. (1997), supra note 200, p.41. 258 Convention des Nations Unies sur les droits de l‛enfant, tirée du document ‘‛Normes Internationales

relatives aux droits de l‛enfant‛‛produit par Défense des Enfants International, Genève, 1995. Document No.1, article 6. Il est important de souligner que cette Convention, entrée en vigueur en 1990, a été ratifiée par 190 États. Tiré de Marie, J.B. (1998) ‘‛Instruments internationaux relatif aux droits de l‛Homme : classification et état des ratifications au 1er janvier 1998‛‛. 9 Revue Universelle des droits de l‛Homme (R.U.D.H.) 56-74

259 Traditionnellement, l‛interprétation de la portée du droit à la vie protégé en vertu du Pacte International relatif aux droits civils et politiques était à l‛effet : que l‛État doit “[…] s‛abstenir d‛enlever la vie de ses citoyens.” Schabas, W. (1997), supra note 200, p.41.

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relatif aux droits économiques, sociaux et culturels témoigne d‛une certaine absurdité de distinction. »260

Suivant ce raisonnement, le droit de vivre de chaque être est dénié lorsque l‛accès à une eau potable n‛est pas assuré. L‛eau est une « ressource vitale », fragile et non renouvelable261: « […] Elle est, avec l‛air notamment, l‛un des éléments abiotiques de la biosphère nécessaires à l‛existence des êtres vivants. […] sans elle, la vie est impossible ; tout simplement ».262

Actuellement, ce droit de vivre est massivement dénié263 : 15 millions d‛êtres humains meurent chaque année par absence d‛eau264 ; plus de 1,4 milliard d‛êtres humains n‛ont pas accès à l‛eau potable265 et la moitié de la population mondiale « ne dispose pas de systèmes d‛assainissement appropriés »266. À plus long terme, on prévoit que la moitié de la population mondiale n‛aura pas accès à l‛eau potable, soit près de 4 milliards de personnes, dès 2025267.

Les conditions difficiles d‛approvisionnement en eau dans les zones arides ou semi-arides, touchent particulièrement les femmes et les petites filles vivant en milieu rural268. Elles doivent marcher pendant des kilomètres avant d‛atteindre un point d‛eau. Cette activité empêche les fillettes d‛aller à l‛école et porte atteinte à leur droit fondamental à l‛éducation garanti par plusieurs instruments internationaux269.

Aux yeux de l‛Assemblée générale des Nations Unies270, la demande croissante pour cette ressource vitale dans tous les secteurs de la vie sociale, nécessite de toute urgence la mise en œuvre des principes de développement durable et de gestion intégrée des bassins proposés dans de nombreux documents internationaux, pour

260 Idem261 Déclaration de Dublin , supra note 139, principe 1. 262 BOUMBÉ-BILLÉ, S. (1994) “l‛Agenda 21 et les eaux douces” in PRIEUR, M.; BOUMBÉ-BILLÉ, S (1994) Droit

de l‛environnement et développement durable, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, pp. 197-198. 263 Rapporteur spécial Guissé, supra note 255, paragraphe 13. 264 Chaque année, 6 millions d‛enfants meurent d‛avoir bu de l‛eau contaminée. PNUD,1997 et Petrella, supra note

6, p.7. 265 PNUD,1997 et Petrella, supra note 6, p.7. 266 Programme relatif à la poursuite de la mise en œuvre d‛Action 21, SUPRA NOTE 144, paragraphe 34. 267 Conférence internationale sur les ressources en eau du monde à l‛aube du XXIe siècle, Unesco, Paris, 3-6

juin 1998. 268 Rappporteur spécial Guissé, supra note 255, paragraphe 23. 269 Pacte International relatif aux économiques, sociaux et culturels, article 13 et Convention des Nations

Unies sur les droits de l‛enfant , supra note 258, article 28 270 Programme d‛Action relatif à la poursuite de la mise en œuvre d‛Action 21” supra note 144, p.15-16

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assurer la préservation de la ressource et l‛accès à l‛eau potable et à l‛assainissement à chaque être humain. Or, dans la perspective du respect des droits fondamentaux, dont le droit à la vie et le droit à l‛égalité, il est et sera tout aussi important de s‛assurer que les modalités de gestion/distribution de l‛eau aux niveaux national et international soient conçues de telle sorte qu‛elles ne provoquent aucun « apartheid social » et que les États ne puissent exclure certaines catégories d‛individus sous couvert de leur souveraineté nationale.

Le droit d‛« être à l‛abri de la faim »

On a défini ce droit consacré dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels271, comme « le droit de chaque être humain d‛avoir accès à une nourriture saine et nutritive […] de manière à pouvoir développer pleinement ses capacités physiques et mentales et les conserver »272,que l‛Assemblée générale des Nations Unies a repris dans sa résolution 3348(XXIX) du 17 décembre 1974 :

Chaque homme, chaque femme et enfant a le droit inaliénable d‛être libéré de la faim et de la malnutrition afin de se développer pleinement et de conserver ses facultés physiques et mentales. La société d‛aujourd‛hui possède déjà des ressources, des capacités organisationnelles et une technologie suffisante, et, partant, les moyens d‛atteindre cet objectif. En conséquence, l‛élimination définitive de la faim est un objectif commun de tous les pays de la collectivitéinternationale, notamment des pays développés et des autres États en mesure de fournir une aide.273

La Commission des droits de l‛homme a estimé « qu‛il est intolérable que plus de 800 millions de personnes dans le monde, en particulier dans les pays en développement, n‛aient pas suffisamment à manger pour satisfaire leurs besoins

271 article 11. 272 Résolution de la Commission des droits de l‛homme 1997/8 intitulée “Le droit à l‛alimentation”, paragraphe 2

qui réaffirme l‛article 1 de La Déclaration Universelle pour l‛élimination définitive de la faim et de la malnutrition, adoptée le 16 novembre 1974, par la Conférence mondiale de l‛alimentation convoquée par l‛Organisation des Nations Unies en application de la résolution 3180 (XXVIII) de l‛Assemblée générale en date du 17 décembre 1973; et que l‛Assemblée générale des Nations Unies a faite sienne dans sa résolution 3348(XXIX) du 17 décembre 1974.

273 Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 3348 (XXIX), Déclaration universelle pour l‛élimination définitive de la faim et de la malnutrition, 17 décembre 1974, article 1. Les caractères gras sont de nous.

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nutritionnels essentiels, ce qui porte atteinte à leurs droits de l‛homme fondamentaux. »274

Puisqu‛il est essentiel à la vie de l‛être humain, ce droit s‛inscrit dans l‛interprétation du droit fondamental à la vie développée plus haut, comme aspect du droit de vivre ou droit à la qualité de vie. L‛Assemblée générale des Nations Unies déclare en ce sens :

La crise alimentaire qui affecte les peuples des pays en développement où vivent la majeure partie de ceux qui souffrent de la faim et de la sous-alimentation et où plus des deux tiers de la population mondiale produisent un tiers environ des ressources alimentaires du monde - déséquilibre qui menace de s‛aggraver encore au cours de dix prochaines années - a non seulement de graves répercussions économiques et sociales, mais porte aussi profondément atteinte aux principes et aux valeurs de caractère plus fondamental qui s‛incarnent dans le droit à la vie et à la dignité humaine tel qu‛il est consacré dans la Déclaration Universelle des droits de l‛Homme.275

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, pour sa part, précise que des mesures de mise en œuvre concrètes de ce droit doivent être adoptées par les États individuellement et au niveau de la coopération internationale. Cela concerne notamment « la réforme des régimes agraires, et une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales. »276 La FAO – l‛Organisation des Nations Unies pour l‛alimentation et l‛agriculture - s‛occupe principalement de cette question au niveau international277.

On a constaté plus avant que le droit inaliénable aux moyens de subsistance est consacré dans plusieurs instruments internationaux et on peut aisément déduire que si celui-ci s‛applique à l‛alimentation, il s‛applique d‛autant plus à l‛eau, en tant que source d‛alimentation ou, mieux, en tant que tel278.

274 Résolution 1997/8, Le Droit à l‛alimentation, supra note 272. 275 Idem276 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, supra note 207, à l‛article 11(2) b. 277 Elle sera l‛initiatrice du Sommet mondial sur l‛alimentation, qui a donné lieu à la Déclaration de Rome sur la

sécurité alimentaire mondiale, Rome, 13-17 Novembre 1996. 278S‛il fallait donner une hiérarchie aux “aliments” nécessaires à la vie et à la survie, l‛eau arriverait au premier

rang.

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Qui aujourd‛hui pourrait contester que l‛eau participe des besoins nutritifs essentiels de l‛être humain, pris dans leur sens premier de ce que l‛on doit consommer pour survivre ? Le droit à la sécurité alimentaire de tout être est en effet lié directement à l‛approvisionnement en eau potable et à l‛assainissement de cette ressource vitale et ce, à de multiples niveaux.

Tout d‛abord, l‛eau potable est indispensable au fonctionnement de notre organisme ; sa nutrition dépend directement d‛une nourriture appropriée et de l‛eau potable279. Elle a également un lien direct et essentiel avec l‛agriculture et les pêcheries. À elle seule, l‛agriculture consomme par le biais de l‛irrigation près de 80 % des ressources disponibles alors que pour les besoins domestiques, elle se situe à 6 %280. Par ailleurs, l‛eau et sa qualité ont un impact direct sur les possibilités d‛alimentation. C‛est en ce sens que la Déclaration universelle pour l‛élimination définitive de la faim et de la malnutrition, affirme que :

Aujourd‛hui plus que jamais, l‛utilisation des ressources de la mer et des eaux intérieures est en train de devenir une source importante d‛aliments et de bien-être économique. Il convient donc de favoriser et d‛assurer l‛exploitation rationnelle de ces ressources, de préférence pour la consommation humaine directe, pour contribuer à la satisfaction des besoins alimentaires de tous les peuples.281

Du fait de facteurs tels que : la surexploitation agricole, la pollution industrielle et l‛absence d‛une planification-gestion à long terme, une grande quantité d‛eau (particulièrement les eaux souterraines ) a été gaspillée282. Il y a maintenant pénurie d‛eau à plusieurs endroits dans le monde.

Or, les menaces de violations du droit fondamental à la sécurité alimentaire vont de pair avec les problématiques liées à l‛eau potable. Les besoins de la population croissante en matière de nourriture vont exiger une augmentation de l‛activité agricole et imposer un stress hydrique supplémentaire.

279 Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire internationale, supra note 277, Engagement No2, Article 18. 280 Rapporteur spécial, El Hadji Guissé, supra note 255, paragraphe 8. 281 Article 5. Les caractères gras sont de nous. 282 Petrella, supra note 6, p.48.

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Même s‛il existe une certaine controverse au plan international quant à la responsabilité des États en matière de garantie de « biens économiques »283, la faim, elle, fait l‛objet de déclarations particulières quant à la responsabilité des États : « Les États parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu‛a toute personne d‛être à l‛abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de la coopération internationale, les mesures nécessaires, y compris des programmes concrets [...] »284

La Déclaration universelle pour l‛élimination définitive de la faim et de la malnutrition, stipule quant à elle que : « C‛est aux gouvernements qu‛il incombe fondamentalement de collaborer en vue d‛accroître la production alimentaire et de parvenir à une répartition plus équitable et plus efficace des produits vivriers entre les divers pays et au sein de ceux-ci. [...] »285

Nous soumettons que le fait de vouloir répondre aux besoins domestiques par les règles du marché peut entrer en contradiction assez rapidement avec cette responsabilité étatique.

Le droit à l‛égalité

Le droit fondamental à l‛égalité, qui possède différentes définitions selon les instruments internationaux286, est directement concerné par la problématique de l‛accès à l‛eau potable et à l‛assainissement.

283 Voir à ce sujet les discussions entourant le “droit au logement”, Nations Unies, Y a-t-il un droit au logement ? supra note 174; où d‛aucuns argumentent que le seul droit consacré est celui à un revenu suffisant pour acheter les biens essentiels énumérés qui sont par ailleurs de la responsabilité du marché et non des États. Le libellé de l‛article 11, paragraphe 1 du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, laisse ouverte cette interprétation libérale soutenue fortement par les États-Unis.

284 Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, supra note 207, article 11 (2). 285 Article 2. Les caractères gras sont de nous. 286 Le Pacte international relatif aux droit civils et politiques , supra note 248, ne garantit pas de façon

générale l‛égalité dans la jouissance des droits qui y sont consacrés, il limite cette garantie sur la base du sexe. L‛article 3 précise : les États partie au présent Pacte s‛engagent à assurer le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits civils et politiques énoncés dans le (…) Pacte. Sous un angle général, il garantit plutôt, à l‛article 26, l‛égalité devant la loi et à l‛égale protection de la loi sans aucune discrimination fondée sur des motifs similaires à ceux que l‛on retrouve à la Déclaration universelle.Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, supra note 207, contient quant à lui une seule disposition à ce sujet, en vertu de laquelle ‘‛les États (…) s‛engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans aucune discrimination (…)‛‛ (Article 2(2)) La Convention des Nations Unies sur les droits de l‛enfants de 1989, supra notre 258, à l‛article 2, oblige ‘‛les États à respecter les droits qui sont énoncés dans la (…) Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de

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La Déclaration universelle des droits de l‛homme établit que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »287. Elle consacre « le droit de chacun de se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés dans la […] Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d‛opinion politique ou de toute autre opinion, d‛origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »288

Actuellement, l‛eau, l‛accès à l‛eau, est facteur de graves inégalités. Selon la disponibilité de la ressource ou les moyens technologiques déployés, les quantités annuelles d‛eau utilisées peuvent varier substantiellement, dans des rapports allant parfois de 1 à 35289. Très inégalement répartie au départ, les disparités tendent à s‛accroître avec la raréfaction de la ressource et les tensions tendent à s‛exacerber, qui seront le plus souvent résolues au bénéfice du plus fort290. Pour donner un exemple, les pays de l‛ex-Yougoslavie bénéficient de 10 000m3/an/habitant et la bande de Gaza de 100m3/an/habitant... Et les difficultés commencent à survenir à partir de 1 000m3/an/habitant291. Ailleurs, en Afrique du sud, « […] 600 000 fermiers blancs pratiquant l‛irrigation consomment 60 % des ressources d‛eau du pays, tandis que 15 millions de Noirs n‛ont aucun accès direct à l‛eau »292.

« L‛eau est un vecteur d‛inégalités profondes car sa répartition géographique place États et populations dans une situation de disparités dont on a du mal à imaginer l‛importance ».293 Ces écarts augmentent et augmenteront avec la croissance de la population et certains facteurs climatiques tels que l‛effet de serre qui risque de pénaliser particulièrement les régions déjà sèches.

couleur de sexe, de langue de religion, d‛opinion politique ou autre de l‛enfant, de ses parents ou de ses représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de tout autre situation.‛‛

287 Article premier. 288 Article 2(1). 289 Corinne Lepage, supra note 3, page 3. Elle illustre la situation dans le bassin méditerranéen où certains pays

(Malte) ne peuvent fournir à leur population qu‛un volume de 100m3 par an alors que d‛autres (Égypte, Libye) consomme plus de 1 100m3 par an par personne. Voir aussi Loïc Fauchon, supra, page 1.

290 Voir à ce sujet Sironneau, supra note 1.291 Raphaëlle Fauvel-Simier, supra note 41, page 1. 292 Dufresne, Jacques. Supra note 39, p.13 293 Loïc Fauchon, supra note 2.

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Le respect du droit à l‛égalité exige donc que des mesures de préservation et de distribution équitables et non discriminatoires de la ressource eau soient adoptées et respectées aux niveaux national et international afin d‛assurer à chaque personne et à chaque communauté l‛accès de base à cette ressource. Nous soulignons que la première organisation des droits de l‛homme de l‛ONU à se préoccuper de la problématique de l‛eau et à reconnaître le droit à l‛eau potable à titre de droit fondamental, est la Sous-Commission pour la prévention de la discrimination et la protection des minorités294.

« Droit de jouir du meilleur état de santé physique »295

Selon l‛organisation mondiale de la santé, les maladies associées de l‛eau tuent un enfant dans le monde toutes les huit secondes et 25 000 personnes par jour. La seule diarrhée représente la mort de 4 à 5 millions de nourrissons et le paludisme près de 3 millions. Choléra, trachomie, dingue, filariose, onchocercose, poliomyélite, amibiase, fièvre jaune... la liste est longue de ces maladies, dont l‛eau stagnante ou polluée est la cause originelle. La réalité est là, près du quart de l‛humanité n‛a pas aujourd‛hui accès à une eau saine et le double à un assainissement convenable.296

De fait, l‛Organisation mondiale de la santé estime que 80% des maladies et le tiers des décès sont causés par de l‛eau contaminée dans les pays en développement297.

La Déclaration Universelle des droits de l‛Homme, la première, a traité de la question de la santé à l‛article 25(1) : « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé ». Par la suite, le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels stipulera que :

Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu‛a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental qu‛elle soit capable d‛atteindre. Les mesures que les États parties au présent Pacte prendront en vue d‛assurer le plein exercice de ce droit devrontcomprendre les mesures nécessaires pour assurer : a) la diminution de la mortinatalité et de la mortalité infantile, ainsi que le développement sain

294 Résolution 1997/18 intitulée Promotion of the realization of the right of access of everyone to drinking water supply and sanitation services.

295 Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, supra note 207, art.11 et 12. 296 Loïc Fauchon, supra note 2, page 1. 297 Idem et Agenda 21, supra note 146, par. 18.47.

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de l‛enfant ; b) l‛amélioration de tous les aspects de l‛hygiène du milieuet de l‛hygiène industrielle ; c) la prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques, endémiques [...]298

L‛absence d‛accès à une eau potable de qualité et d‛installations sanitaires, parce qu‛elle atteint à la santé, atteint aussi d‛autres droits humains fondamentaux, y compris le droit à l‛éducation et le droit au développement, puisque aucun pays ne peut se développer durablement sans une population en santé : « Diarrhoeal episodes leave millions more children underweight, mentally and physically stunted, easy prey for deadly diseases and so drained of energy that they are ill equipped for the primary task of childhood : learning. »299

Par ailleurs, la Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social, adoptée par la communauté internationale, a pour objectif « de satisfaire aux normes les plus élevées en matière de santé et de protéger la santé de la population tout entière si possible gratuitement. »300

« Il est extrêmement préoccupant de constater que plus d‛un cinquième de la population mondiale n‛a toujours pas accès à l‛eau potable et que la moitié de la population mondiale ne dispose pas de systèmes d‛assainissement appropriés »,soulignait encore récemment l‛Assemblée générale des Nations Unies301. Cette préoccupation est directement liée à l‛incidence sur la santé des êtres humains d‛un manque d‛eau ou d‛une eau de mauvaise qualité puisque « […] La qualité d‛approvisionnement en eau et en aliments ainsi que des services d‛assainissement et d‛hygiène publique est déterminante pour la santé. Relevons qu‛à travers les siècles, dans le monde entier, de nombreuses épidémies ont été directement liées à la qualité de l‛eau. »302

Malgré ces préoccupations maintes fois exprimées ; malgré la Décennie de l‛eau; malgré l‛importance des investissements consentis, la situation continue à cet égard d‛être extrêmement grave pour une part importante de la population mondiale. « Actuellement, la pollution des eaux de surface atteint des niveaux considérables

298 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, supra note 207, article 12. Les caractères gras sont de nous.

299 Akhtar Hameed Khan, “The Sanitation Gap : Development‛s Deadly Menace” (1997) Unicef,information/Publications.

300 Cité par le rapporteur spécial Guissé, supra note 255.301 Programme relatif à la poursuite de la mise en œuvre d‛Action 21”, supra note 144, p.15. 302 Rapporteur spécial Guissé, supra note 255, paragraphe 21.

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dans l‛ensemble du monde »303. Elle concerne aussi de plus en plus les eaux souterraines qui représentent la réserve d‛eau la plus importante du monde304.

L‛eau et les droits culturels

L‛eau est depuis toujours étroitement imbriquée dans la culture humaine. Il suffit de penser à l‛Afrique où, divinisée « […] depuis l‛Antiquité pharaonique, l‛eau participe à la fécondité des champs, à la fécondité des êtres et des choses »305. Plus près de nous, aux États-Unis, le Chef autochtone Seattle déclarait,

Nous faisons partie de la terre, et elle fait partie de nous... le flot étincelant du torrent n'est pas seulement de l‛eau, mais le sang de nos ancêtres. Si nous vous vendons de la terre, vous devrez apprendre à vos enfants qu‛elle est sacrée que chaque reflet fugitif dans l‛eau claire évoque des souvenirs dans l‛histoire de mon peuple. Dans le murmure de l‛eau parle la voix du père de mon père.306

Les grandes religions lui accordent également une place importante. Il suffit de penser à la cérémonie du baptême dans la culture chrétienne. Au plan symbolique, « l‛eau, par son être même, évoque le cosmos. Elle réfléchit l‛univers ; elle renvoie à cette totalité à laquelle elle appartient; à sa manière, elle dévoile certains traits du cosmos. En un mot, l‛eau est un symbole cosmique. »307 Elle est depuis toujours source d‛inspiration des poètes et écrivains et fait partie de nos expressions imagées les plus « courantes ». Aussi, l‛eau, comprise depuis toujours par l‛intuition et l‛âme humaine comme une composante sacrée de la vie, relève également des droits culturels garantis par les documents internationaux308… Ce que le droit met des siècles à intégrer, la culture l‛a depuis longtemps perçu et rendu.

303 Petrella, supra note 6, p.50. 304 Rapporteur Spécial Guissé, supra note 255, paragraphe 17. Il cite le deuxième rapport de la Commission du

droit international. 305 Idem, paragraphe 15 306 Tiré de Perron, Jacques. ‘‛Du Nil au Saint-Laurent‛‛. in L‛Agora. supra note 29, p.32. 307 Proulx, Jean. « Plaidoyer pour les eaux oubliées ». in L‛Agora, supra note 29, p. 30 308 L‛article 27 de la Déclaration Universelle des droits de l‛Homme supra note 248, garantit à toute personne

“le droit de prendre part à la vie culturelle de la communauté”. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels le protège également à l‛article 15.

La Déclaration des principes de la coopération culturelle internationale, à laquelle réfère le rapporteur spécial Guissé semble être des plus pertinentes en l‛espèce. Elle précise 1) que toute culture a une dignité et une valeur qui doivent être respectés et sauvegardés. 2) Tout peuple a le droit et le devoir de développer sa culture. 3)Dans leur variété féconde, leur diversité et l‛influence réciproque qu‛elles exercent les unes sur les autres, toutes les cultures font partie du patrimoine commun de l‛humanité‛‛. Rapporteur Spécial Guissé, supra note 255, paragraphe 15.

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TROISIÈME PARTIE : LES OBSTACLES À UNE MISE EN ŒUVRE COHÉRENTE

L‛eau, c‛est toujours la vie, l‛eau c‛est parfois la mort. Mais l‛eau c‛est aussi le pouvoir, l‛eau c‛est aussi l‛argent. Car l‛eau est un bien, Mesdames et Messieurs, et ce sera demain encore plus qu‛aujourd‛hui, une richesse. Loïc Fauchon, PDG, Société des Eaux de Marseille

Nous avons pu saisir, dans les chapitres précédents, l‛évolution de la problématique de l‛eau au plan international, de la régulation des rapports entre États en vertu de règles de bon voisinage, vers une prise en compte dans le corpus plus large des droits fondamentaux, qui interpelle non seulement les États dans leurs rapports entre eux mais aussi leur responsabilité à l‛égard de la dignité humaine.

Nous avons pu constater que la gravité et la complexité des enjeux liés à l‛eau sont connus et posés depuis pratiquement un quart de siècle, si l‛on considère les Conférences de Stockholm (1972) et de Mar del Plata (1977) comme le point de départ de l‛élargissement de la problématique et de l‛intégration aux préoccupations d‛environnement, de développement, de droits fondamentaux.

Pourtant, au seuil du troisième millénaire, les avancées sont somme toute minimes en regard de l‛ampleur du problème et de la priorité que la communauté internationale a semblé, du moins dans le discours, vouloir lui accorder. Le secteur du droit international général s‛est enrichi d‛une convention en 1997, qui présente cependant de nombreuses faiblesses et ne sera probablement pas effective avant une dizaine d‛années, et l‛intégration du droit d‛accès à l‛eau potable dans le corpus des droits humains fondamentaux rencontre encore en 1999 des réticences.

Malgré donc, une conscience claire du caractère absolument fondamental de l‛enjeu, tant du point de vue de la vie humaine que de la paix et de la sécurité, objectif principal des Nations Unies rappelons-le, des obstacles empêchent encore aujourd‛hui une mise en œuvre effective des objectifs affirmés par la communauté internationale. Au nombre de ceux-ci, nous nous attarderons à examiner brièvement les enjeux liés à la souveraineté, à la propriété et, de manière concomitante, à la prééminence de la loi du marché, tout en étant parfaitement conscientes que cette analyse mérite d‛être approfondie ultérieurement.

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CHAPITRE 7 : ENTRE SOUVERAINETÉ ET RESPONSABILITÉ

Nous l‛avons bien vu dans les chapitres précédents, le caractère quasi sacré de la souveraineté des États dans le droit international a constitué un obstacle, historiquement, à l‛élaboration de règles propres à assurer une gestion équitable de l‛eau, compte tenu de la nature de cette ressource vitale. L‛inégale répartition d‛une part, mais surtout, d‛autre part, la non-concordance entre frontières géographiques des États et cycle naturel de l‛eau, ont exigé de dépasser les concepts traditionnellement applicables en matière de souveraineté des peuples sur les ressources naturelles, comme l‛a constaté la Commission du droit international elle-même dans son travail de préparation de la Convention de New York.

À cause du caractère vital de l‛eau, l‛inégale répartition de cette ressource entre régions et pays exige une coopération et un partage, du point de vue de l‛obligation des États de préserver la dignité humaine et de garantir un développement durable à l‛échelle de la planète.

Ainsi, l‛inégale répartition des ressources en eau fait en sorte que pour maintenir leur développement dans le cadre actuel des relations internationales, certains pays doivent recourir à des technologies qui, malheureusement, risquent à terme de provoquer une pression encore plus grande encore sur la ressource, ne faisant ainsi que reporter le problème de sa pérennité. Le cas d‛Israël est à cet égard patent, du point de vue de moyens effectifs de mise en œuvre d‛un droit international fondé sur l‛équité mais aussi, du point de vue des limites qu‛imposent objectivementles exigences du développement durable.

[...] « the world system based on sovereign states cannot possibly deal effectively with the problems of the endangered planet » (Ehrlich, Ehrlich and Holdren, 1978, page 94 [...] This changing and enlarging environment of world politics serves to pinpoint the increasingly failing Westphalian model of a system of independent sovereign states (Cox 1994). Set against such globalisation tendencies it does appear possible that geo-economics might well be set to supersede conventional geopolitics as an overarching concern of the 21st century. ... The creation and subsequent colossal growth and development of Israel into a modern industrial state, with a gross national product of some $85,5 billion, a population of over 5,5 million, [...] in the dominantly semi-arid conditions about the eastern margins of the Mediterranean, is now having profound economic and environmental consequences upon the entire region and

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lends some support to the environmental-determinist‛s base argument of particular environmental constraints. ... at present Israel‛s annual consumption of water exceeds the rational rate of replenishment.309

Si tous les pays n‛ont pas suffisamment d‛eau pour permettre n‛importe quel type de développement, il est des besoins fondamentaux, de base, dont la satisfaction doit être garantie. De plus, si la répartition des productions exigeantes en eau doit, dans le long terme, suivre la répartition des ressources en eau, cela supposerait en préalable que la production et l‛échange, en ce qui a trait à la satisfaction des besoins essentiels, puissent être soumis à des règles que les États ne puissent pas enfreindre selon leur bon vouloir en vertu de leur souveraineté. Par exemple, s‛il est un élément considéré comme majeur dans la conception traditionnelle de la souveraineté, c‛est bien l‛autosuffisance alimentaire, et celle-ci, par ailleurs, vise à garantir, de fait, des besoins vitaux.

Mais compte tenu de l‛importance de l‛autonomie alimentaire pour tout pays, on ne pourrait demander à la Libye ou à l‛Arabie Saoudite qu‛elles renoncent à leurs grands travaux qu‛à la condition de leur garantir un approvisionnement en céréales et en viande. Or, ces pays ont, tout près d‛eux, l‛exemple de l‛Irak qui est en ce moment l‛objet d‛un blocus.310

Plus encore cependant, si la limite de capacité portante des écosystèmes311 doit servir de balise réelle et incontournable au développement économique, alors même que lesdits écosystèmes ne correspondent pas, loin s‛en faut, aux limites territoriales des États, le principe même du développement durable exige une limitation de la souveraineté des États et des mécanismes qui fassent en sorte, au plan mondial, que cette limite à la souveraineté nationale ne se traduise pas par un néocolonialisme imposé par un rapport de forces inégalitaire. Or, on ne retrouve pas à l‛heure actuelle, au sein du droit international tel qu‛il s‛est historiquement constitué, les prémisses d‛une telle possibilité, au contraire puisque « [...] le traité, comme tous les contrats, est une forme juridique à travers laquelle le rapport de force préjuridique subit une transformation limitée [...] le contrat est une forme juridique qui reproduit les inégalités mais ne les corrige pas. »312 Les traités

309 Rowley, supra note 72, page 7. 310 Jacques Dufresne, supra note 39, page 5. 311 Il s‛agit d‛un des concepts les plus pédagogiques et les plus fonctionnels en matière d‛environnement et de

ressources, rendu populaire par le rapport de la Commission Brundtland, supra, note 59.312 Monique Chemillier-Gendreau, supra note 76 , pages 91 et 186.

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concernant les utilisations internationales des eaux ne font pas exception à cette évolution générale :

[...] power is an unfortunate guarantor of compliance [...] Agreements on the Nile generally favour Egypt, while those on the Jordan River favour Israel for similar reasons [...] 145 treaties in this century on water qua water [...] which govern the world‛s international watersheds, and the international law on which they are based, are in their respective infancies [...] two-thirds do not delineate specific allocations and fourth fifths have no enforcement mechanism [...] 313

Autrement dit, dans l‛état actuel des relations internationales et du droit international, nous sommes encore très loin de réunir les conditions d‛une mise en œuvre effective de règles pourtant essentielles à la survie même de l‛espèce humaine. La nature du droit international, tel qu‛il s‛est développé jusqu‛à maintenant, peut-elle utilement dépasser la reproduction des rapports de force dominants - ceux-ci, à terme, le rendant inefficace dans la poursuite d‛un développement durable équitable - alors que dans les faits « l‛égalité de droit fonctionne en fiction entre un État faible et une entreprise puissante »314 et de la même manière entre États de force inégale ?

The increased seriousness of many environmental problems provides one of the most intuitive plausible reasons for believing that the nation state and the system of states may be either in crisis or heading towards a crisis...the fragmented system of sovereign states are increasingly unable to guarantee the effective management of an interdependent world in general, and of the global environment in particular.315

Au total, nous nous retrouvons, au seuil du troisième millénaire, face à une acceptation pour le moins réticente d‛un concept de souveraineté limitée et surtout, comme c‛est le cas en général en droit international, devant une absence de mécanismes efficaces de mise en œuvre des principes élaborés, tant au plan bilatéral que multilatéral.

La communauté internationale commence seulement, depuis quelques années, à mettre l‛accent sur le caractère vital de l‛eau [...] [et les États]

313 Wolf et Hamner, supra note 56, p. 7 et 10. 314 Monique Chemillier-Gendreau, supra note 76., page 189. 315 Hurrel, A, “A Crisis of Ecological Viability ? Global Environmental Change and the Nation State” (1994)

Political Studies, 42, page 146.

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ont beaucoup de difficultés à renoncer à une partie de leur souveraineté [...] il est très rare que les conventions prévoient des mécanismes de contrôle ou la mise en place de sanctions en cas de non-respect de leurs dispositions par les parties. Pourtant, une telle renonciation s‛avère cruciale compte tenu de l‛importance de l‛eau et du fait qu‛elle soit une ressource commune à partager.316

Ce qui paraît cependant encore plus singulier en regard de l‛enjeu de la souveraineté dans la problématique de l‛eau, c‛est ce paradoxe devant lequel nous nous trouvons où les États sont fortement enclins à remettre entre les mains d‛intérêts privés l‛exercice des activités directement liées à la mise en œuvre d‛une souveraineté effective, en même temps qu‛entre eux, ils invoquent cette souveraineté pour refuser de se soumettre aux règles du droit international.

Le développement du commerce mondial de produits agricoles est de fait la réponse à l‛insuffisance de ressources en eau des pays confrontés à la pénurie. Nombreux sont ceux qui aujourd‛hui, pensent que le concept d‛autosuffisance alimentaire, pays par pays, est complètement dépassé, concept auquel nombre d‛États ont renoncé. 317

Mais est-ce vraiment si paradoxal ? N‛est-ce pas une limite inhérente au droit international moderne tel qu‛il s‛est construit et qu‛il s‛agirait plutôt aujourd‛hui de dépasser ?

Rarement défini avec précision, l‛ordre public désigne le mode de fonctionnement d‛une société à un moment donné, autrement dit son fondement radical. [La société internationale] s‛est édifiée sur un fondement radical imposé peu à peu à toutes les sociétés internes (l‛État intégré au capitalisme international). Mais le paradigme en est tacite. Il ne saurait être explicite car il entrerait en contradiction avec des normes sur lesquelles le droit international semble encore construit. Le droit des peuples à disposer d‛eux-mêmes n‛est pas transformé juridiquement en droit des peuples à devenir seulement des États. Quant à l‛obligation si prégnante d‛entrer dans le marché mondial par le canal du libéralisme, elle est à contre-texte du droit international et de la possibilité affirmée pour chaque État de faire choix de son régime politique, économique et social. La Cour internationale de justice l‛a souligné avec force dans son arrêt de 1986.318

316 Philippe El Fadl, supra, note 42, page 12. 317 Loïc Fauchon, supra note 2, pp. 2-3.318 Chemillier-Gendreau, supra note 76, page 52.

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En fait, l‛eau s‛inscrit dans une tendance générale de nos sociétés où l‛abdication des pouvoirs publics en faveur de sujets privés en ce qui concerne les pouvoirs de décision en matière d‛allocation des ressources et de redistribution de la richesse produite nie les principes mêmes de la démocratie319. « Dans la fièvre récente des privatisations, les gouvernements s‛affairent à négocier la vente des biens de l‛État, tombant ainsi dans l‛oubli de ce qui avait été la substance de la souveraineté. »320 En ce sens, l‛exercice de la souveraineté par les États représente ni plus ni moins qu‛une désappropriation de la souveraineté des peuples sur leurs ressources au profit d‛intérêts privés... Retour à une colonisation d‛un autre type ?

[...] l‛aspect peut-être le plus important de ce colonialisme postmoderne renvoie à l‛idée de vente explicite (explicit selling) du droit américain à travers le monde entier [...] il devient possible, sans occuper de territoire, et même sans investir de fonds dans le développement économique et social, de déterminer la forme de culture et d‛économie d‛autres nations en y important le système juridique qui commandera l‛organisation sociale.321

Ce double usage, contradictoire, de la souveraineté, explique peut-être le fait que l‛accent n‛ait toujours pas été mis sur l‛aspect de la gestion intégrée de l‛eau ; que pratiquement aucun effort n‛ait porté sur la connaissance des ressources en eau; que, si les conventions internationales permettent souvent d‛éviter des conflits entre États, leur efficacité soit si limitée lorsqu‛il s‛agit du règlement de ceux-ci. L‛eau étant à l‛évidence une ressource partagée, les objectifs qui lui sont attachés de répartition équitable cohérente avec le droit d‛accès à l‛eau pour tous les êtres humains de même que de préservation de la ressource ne peuvent être atteints qu‛au niveau mondial. Satisfaire les besoins en préservant la ressource exige une limitation sans ambiguïté et assortie de mécanismes efficaces de mise en œuvre, de la souveraineté des États.

Le cadre méditerranéen, du point de vue par exemple, de la distribution à domicile de l‛eau potable pour la consommation humaine, du transport international des eaux, en même temps bien entendu que de la mise en place de systèmes de

319 Nous ne pouvons reprendre l‛ensemble de la démonstration à cet égard ici mais celle de Riccardo Petrella, lorsqu‛il analyse les faits concernant les seigneurs de l‛eau - seigneurs de la guerre, de l‛argent et de la technologie - est particulièrement convainquante, voir supra note 6, pp. 45-102.

320 Chemillier-Gendreau, supra note 76, page 311. 321 Mireille Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial (1998) Paris, Seuil, page 21.

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rationalisation des usages à prix équitables qui empêcheraient des échanges usuriers, représente un cas d‛école de cette obligation incontournable du dépassement de la souveraineté des États propre aux exigences d‛un développement véritablement durable. Ainsi :

Pour financer le changement du système hydraulique méditerranéen nous devons prévoir la constitution d‛un fonds commun alimenté par les contributions nationales et par un impôt supplémentaire « environnemental » sur les produits énergétiques (pétrole et matières premières nucléaires) et sur les produits du tourisme... 322

De même, toujours dans le cadre méditerranéen, la situation du Proche-Orient illustre bien les limites des paradigmes et des instruments existants : actuellement, c‛est Israël qui exploite la quasi totalité des eaux du bassin versant du Jourdain. Il exploite les réserves du Lac de Tibériade et rejette ses déchets agricoles au sud. Donc le sud des eaux du Jourdain est inutilisable. De plus 60 % de la consommation israélienne d‛eau provient des territoires occupés. Bien qu‛Israël se soit engagé par les accords de paix de 1994 à transférer à la Jordanie, un des pays les plus pauvres en eau de la région, 50 millions de m3 à partir du Lac de Tibériade, il ne fournit actuellement que 25 millions de m3. La Jordanie devra donc se tourner vers l‛exploitation d‛une nappe à sa frontière avec l‛Arabie Saoudite, ce qui d‛une part lui coûtera plus cher et d‛autre part mettra une pression supplémentaire sur une ressource non renouvelable, dans une région où le stress hydrique atteint plusieurs pays323.

On voit bien, avec la situation du Proche-Orient, le double problème auquel est confrontée la communauté internationale. D‛abord, le droit international fondé sur la souveraineté des États empêche de véritables politiques de développement durable à la dimension écosystémique pertinente mais aussi, par ailleurs, le principe de souveraineté des États a jusqu‛ici empêché la communauté internationale – dans l‛éventualité où telle aurait été sa volonté – de se doter de moyens efficaces d‛application des règles qu‛elle réussit à édicter. Ainsi, par exemple du principe de l‛usage équitable, non respecté en Israël puisqu‛il est admis que 90 % de l‛eau extraite de l‛Aquifère de la Montagne est utilisée par les Israéliens et seulement 10 % pour les besoins palestiniens324, mais que même une décision de la Cour internationale de justice ne parviendrait sans doute pas à mettre véritablement en œuvre. Là importe le principe cardinal de la bonne foi si cher à Kelsen.

322 Lettera, supra note 135, page 6. 323 Fauvel-Simier, supra note 41, pp 9-10. 324 Raya Stephan, supra note 94, p.3.

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CHAPITRE 8 : PROPRIÉTÉ ET CONFLITS D‛USAGE

La souveraineté, nous venons de le voir, peut constituer un obstacle à un usage équitable et durable de l‛eau, en ce qu‛elle permet à des groupes humains, situés sur un territoire donné, de s‛approprier la ressource, d‛exercer sur elle en quelque sorte des droits de propriétaire. Or, si l‛exercice de droits de propriété par des États peut représenter un obstacle à la mise en œuvre d‛une gestion véritablement intégrée de l‛eau permettant de réaliser le droit d‛accès à l‛eau pour tous les êtres humains, l‛appropriation privée aura les mêmes conséquences, en plus de générer, à ce niveau aussi, des conflits d‛usage.

«Vu la complexité et de l‛interdépendance des réserves d‛eau douce […]», on reconnaît maintenant au niveau international l‛importance d‛établir «[…] une gestion globale plutôt que fragmentaire [de cette ressource], une approche systémique plutôt que spécifique, qui tienne compte à la fois des multiples besoins de l‛homme et de son milieu naturel»325. Les aspects écosystémiques et démocratiques sont au cœur de cette «approche globale» qui vise à la fois la préservation, l‛accessibilité et la distribution équitable de cette ressource qu‛on dit «finie, donc épuisable et fragile ».326

De multiples conflits d‛usage limitent actuellement la mise en œuvre concrète de ces principes. Au Québec, on rapporte notamment «les conflits politiques et idéologiques autour d‛un certain nombre de principes qui touchent le droit des pauvres à l‛eau, la tarification des usages, l‛utilisation intensive des eaux souterraines, les partenariats, le principe pollueur ou usager payeur»327

On compte notamment, parmi les «obstacles», le droit national interne qui permet dans certains cas l‛appropriation privée de l‛eau. Celle-ci implique le droit d‛user et de disposer librement et complètement d‛un bien, en l‛occurrence l‛eau, sans considération pour la protection de la ressource, ou son partage, à moins de dispositions spécifiques.

325 Conférence de Dublin, Rapport de la Conférence, supra note 139, p.23, par. 4. 326 Agenda 21, supra note 146 : gestion holistique de la ressource eau –par. 18.6, participation des communautés

locales à la gestion de l‛eau et au processus décisionnel-par.18.50 b (ii) et(iii) et 18.54, et accès à l‛eau potable pour chaque individu et chaque communauté -par. 18.2, 18.47, 18.48, 18.73.

327 Beauchamps, M. A. « La résolution des conflits d‛usage ». ? in Symposium sur la gestion de l‛eau au Québec.Recueil de textes des Conférenciers.(1997) Québec :Édité par J.-P. Villeneuve, A.N. Rousseau et S. Duchesne. Vol. 1,p.253

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L‛exemple du Québec

Le droit général québécois assimile, sauf exception328, l‛eau de surface à un bien commun329. Il confère alors un droit d‛usage au propriétaire du sol riverain d‛un cours d‛eau, et limite son pouvoir d‛action. «[…] À la sortie du fonds, il doit rendre ces eaux à leur cours ordinaire sans qu‛il y ait de modification importante au niveau de la qualité ou de la quantité»330.

Toutefois, lorsque l‛eau est souterraine, elle peut devenir un bien privé, selon le droit traditionnel. En effet, la propriété du sol emporte celle du sous-sol, ce qui inclut l‛eau qui y est contenue331. Bien que des règles spécifiques, telles que l‛abus de droit et les règles de bon voisinage puissent venir baliser ce droit, il n‛en demeure pas moins qu‛il limite la reconnaissance de cette ressource à titre de bien social et commun. Avec le nouveau Code civil du Québec, on peut espérer que cette situation évoluera vers une reconnaissance du caractère mobile de l‛eau, de son «écoulement», ce permettrait de donner aux eaux souterraines une qualification similaire aux eaux de surface332.

Pour l‛instant, les problèmes liés à l‛appropriation privée de ces eaux jumelés à l‛absence d‛instance appelée à régler équitablement les conflits d‛usage sont plus que jamais d‛actualité. Le cas de la municipalité de Franklin est patent à ce titre333.En 1996-1997, une compagnie privée d‛embouteillage s‛est vu octroyer un permis afin d‛exercer des activités de pompage d‛une nappe d‛eau souterraine par la municipalité de Franklin et le ministère de l‛Environnement, ce à quoi des citoyennes et citoyens, préoccupés de voir les puits s‛assécher, se sont farouchement opposés.

328 Le propriétaire peut user et disposer d‛une source dans son fonds, selon l‛article 980 C.c.Q. À contrario. lorsqu‛il s‛agit de lacs et étangs entièrement sur son fonds, il peut utiliser l‛eau mais, il doit en assurer la qualité (article 980 al.2 C.c.Q.)

329 article 913 C.c.Q. 330 article 980 al. 2 C.c.Q 331 l‛article 951 C.c.Q énonce ce principe. Il précise à l‛al. 2 ‘‛ le propriétaire peut faire , au-dessus et au-

dessous , toutes les constructions, ouvrages et plantations qu‛il juge à propos; il est tenu de respecter les droits publics sur les mines, sur les nappes d‛eau et sur les rivières souterraines‛‛

332 Lorne Giroux, ‛‛Le droit de l‛eau; à qui appartient l‛eau? in Symposium sur la gestion de l‛eau au Québec. Actes du Symposium L‛état de l‛eau au Québec (1997) Québec :Édité par J.-P. Villeneuve, A.N. Rousseau et S. Duchesne. Vol. 2, pp. 83-85 4et 91.

Me Louise Ouellet, dont les propos sont rapportés dans le même document, p. 262, voit quant à elle dans l‛article 982 C.c.Q. une limite potentielle au droit absolu de propriété sur les nappes d‛eau souterraine. Cet article conférerait en effet un droit de recours à celui qui a l‛usage d‛une nappe souterraine afin d‛en empêcher la pollution ou l‛épuisement.

333 Dolbec, Lise. « La Saga de Franklin » (1999) in L‛Agora, supra note 29.pp.14-17.

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Ce cas illustre le caractère essentiel du partage démocratique de l‛information pour en arriver à une véritable gestion intégrée de la ressource ‘‛eau‛‛334.

En effet, on souligne qu‛il n‛y avait pas de forum pour permettre aux gens de se réunir et de débattre adéquatement de la question335. On fait état du contrôle des informations pertinentes par la compagnie ainsi que du manque de compétences des petites municipalités à qui le gouvernement a délégué ses pouvoirs, à l‛égard des questions aussi complexes. Le manque d‛objectivité et de transparence336 dont font preuve les intervenants dans de telles situation renvoient au problème identifié précedemment de non hiérarchie entre les usages et d‛une hiérarchie de fait qui s‛installe, celle de la priorité à l‛économie337.

De la même façon, l‛appropriation étatique de l‛eau peut constituer, au même titre que l‛appropriation privée, un obstacle à la mise en œuvre des principes de gestion intégrée, équitable, démocratique et écosystémique mentionnés plus haut, dans la mesure où les intérêts en jeu s‛opposent. Rappelons que le droit international général consacre le droit souverain des États sur leurs ressources naturelles338.Or, comme nous l‛avons déjà mentionné, la ressource «eau» possède un caractère essentiellement mobile et une unicité qui découle de la complexité et de l‛interdépendance des réserves d‛eau, qui lui confèrent un caractère particulier, unique qui la distingue des autres ressources. L‛eau ne devrait donc pas relever de la « propriété souveraine » des États. Nous avons déjà traité de la notion de patrimoine commun de l‛humanité et de sa pertinence à l‛égard de l‛eau. Rappelons ici qu‛elle impliquerait de la part des États le devoir de gérer cette ressource dans l‛intérêt de l‛humanité toute entière, seule propriétaire de la ressource.

L‛articulation concrète du patrimoine commun de l‛humanité soulève des questions importantes qui concernent la définition même des acteurs impliqués – l‛humanité comme titulaire juridique et patrimonial de la ressource eau339- et ses «tiers» vis-

334 Nous vous référons à ce sujet au chapitre 5, p.61, qui traite de la « Convention sur le devoir d‛informer » signée en juin 1998 par 55 États. Rappelons que le Canada et les USA sont membres de la Commission économique pour l‛Europe. Par ailleurs, la Déclaration de Rio sur l‛environnement et le développement, supra note 85, avait déjà signalé l‛importance de ce principe. Voir à cet effet le principe 10 de la Déclaration.

335 Lorne Giroux, L‛État de l‛eau au Québec. Le statut juridique. Atelier in Symposium sur la gestion de l‛eau au Québec. Recueil de texte des conférenciers (1997) Québec :Édité par J.-P. Villeneuve, A.N. Rousseau et S. Duchesne. Vol. 1, pp. 270

336 Dolbec, Lise, supra note 332. p.15-18 337 Chemillier-Gendreau, supra note 76. Voir l‛analyse développée à la page 24 du présent document. 338 Voir les Pactes, supra notes 207 et 248, à l‛article 2. 339 Voir Klemm, Cyrille, ‘‛Environnement et patrimoine‛‛. Supra note 114, p. 160.

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à-vis, «individus et collectivités», impliqués dans la gestion, la préservation et la jouissance du bien. Elle implique la détermination d‛un mode de représentation de l‛humanité au niveau national et international340. Elle implique également qu‛un cadre juridique clair établisse les obligations et droits des acteurs impliqués et qu‛une instance compétente, aux règles transparentes, soit désignée pour trancher tout conflit relatif à l‛eau341. Cela exige enfin, selon nous, de dépasser la cadre d‛appopriation privée ou étatique de la ressource eau, suivant l‛exemple donné par la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer (1982)342.

On retrouve en droit interne, un régime qui permettrait de sortir du cadre de l‛appropriation privée et d‛articuler, dans une perspective globale, la préservation de l‛eau à titre de patrimoine commun et ses multiples usages. Il s‛agit du régime de l‛usufruit. Plusieurs auteurs l‛ont examiné sous l‛angle de la protection de l‛environnement défini comme patrimoine commun et ont jugé son apport potentiel positif343.

L‛usufruit implique le droit de jouir d‛une chose et l‛obligation de la conserver, donc de ne pas la détruire ou l‛altérer. On soutient qu‛il présente les «[…] éléments essentiels d‛un régime d‛«usage commun »[…]»344, qui contribue à assurer la protection efficace de l‛environnement, et son caractère de patrimoine commun345.

En vertu du principe de l‛usufruit défini comme le droit d‛user et de jouir de la chose d‛autrui en en préservant la substance346, l‛usufruitier, titulaire d‛un droit réel d‛usage347 a l‛obligation de conserver la substance de la chose348, de «respecter la destination naturelle du bien affecté à l‛usufruit»349; de prendre soin

340 Ost, F. et Gurwith, (dir) (1996) supra note 108, p. 90. 341 Cet aspect pourrait être étudié en profondeur. Petrella, supra note 6, parle d‛un tribunal mondial de l‛eau. Il

faudrait certainement prévoir des ‘‛sections à l‛échelle régionale ou nationale‛‛ afin de s‛assurer de son accessibilité au niveau des communautés de base…

342 Supra note 121- voir les détails du régime proposé par cette Convention aux art. 135 et ss. 343 voir Ost, F. et Gurwith, Id.344 Idem,. p. 90. 345 voir la démonstration de Benoît Jadot, ‛L‛environnement n‛appartient à personne et l‛usage qui en est fait est

commun à tous. Des lois de police règlent la manière d‛en jouir‛‛ in Ost, F. et Gurwith, pp. 107-126. 346 Extrait tiré de PAUL, Digest, 7.1 de usufructu 1, cité par Jacques SAMBON, ‘‛l‛usufruit, un modèle pour le

droit d‛usage du patrimoine environnemental‛‛ , in Ost, F. et Gurwith, supra note 114, p. 173. 347 Idem, p. 174. L‛auteur cite F. Zenati : Cette obligation ‘«(…)s‛entend comme la conservation du capital, de la

force productive , de la capacité frugifère, de la ressource (…) ». 348 Idem349 Idem, p. 177

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de la chose et de l‛entretenir de manière à éviter son dépérissement350. Il doit également rendre le bien au nu-propriétaire une fois le régime échu, et ce dans son état originel351. Le régime de l‛usufruit impose également des obligations au nu-propriétaire, seul titulaire du droit de propriété. «Il doit s‛abstenir de tout acte qui aurait pour effet direct ou indirect de porter atteinte à la jouissance de l‛usufruitier». Il ne peut donc pas endommager ou détruire le bien affecté à l‛usufruit, ce qui normalement relève de son droit de propriété352.

Benoît Jadot aborde en profondeur les aspects positifs du régime de l‛usufruit à l‛égard de la protection de l‛environnement. Concernant l‛interdiction de détruire des éléments de l‛environnement naturel ou de laisser l‛environnement se détériorer353 qui découle de l‛usufruit, il précise :

[…] cela signifie qu‛est interdit tout comportement ayant ou risquant d‛avoir pour effet de porter atteinte aux capacités auto-épuratrices du milieu ou de rompre l‛équilibre permettant le bon fonctionnement des écosystèmes, au point de mettre en péril la santé de l‛homme ou d‛empêcher les espèces d‛évoluer dans les conditions qui leurs sont nécessaires. 354

Il rappelle l‛importance de la règle de la prudence qu‛il présente «[…] comme une démarche nécessaire pour préserver le droit de jouissance de tous les usagers de l‛environnement, aussi bien ceux de demain, que ceux d‛aujourd‛hui.»355

Martine Rèmond-Guilloud356 en souligne également les bienfaits tout en insistant sur les difficultés d‛application en matière d‛environnement :

[…] l‛usufruit est une institution sage en ce qu‛il conduit, par delà les conflits d‛intérêts, à la préservation des choses qui en sont l‛objet. Le seul trait qui empêche de le transposer purement et simplement au droit moderne de l‛environnement est qu‛il suppose identifiée la personne du nu-

350 Jadot, Benoît supra note 107, p. 108. 351 Idem352 Jacques SAMBON, ‘‛l‛usufruit, un modèle pour le droit d‛usage du patrimoine environnemental‛‛, supra note

339, p. 185. 353 Jadot, supra note 107, p. 114. 354 Id. p. 108. 355 Id., page 111. 356 RÈMOND-GOUILLOUD, M. (1989) supra note 109, p. 134.

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propriétaire au nom duquel la jouissance de l‛usufruitier trouve ses limites.

Jacques Sambon soumet à ce sujet, qu‛en vertu d‛un tel régime :

[…] Chaque être humain serait […] dans la situation d‛un co-usufruitier du patrimoine environnemental. Co-usufruitier, c‛est-à-dire que l‛usufruit est multiple, indivis entre l‛ensemble de ses titulaires et que de surcroît, par dérogation au droit commun, il ne souffre aucune action en licitation-partage, s‛il est vrai que l‛appropriation privative - et, dès lors, l‛attribution exclusive du patrimoine dans sa globalité - est (…) « par nature‛», exclue. Il existe, dès lors une première « communauté d‛intérêt » celle des indivisaires du droit d‛usage ainsi reconnu. Il restera à appréhender comment cette communauté peut se référer à un tiers qui est la mesure de ses droits357.

Avec Sambon, c‛est donc «la figure de la communauté humaine en devenir, celle des générations futures»358 qui devient nu-propriétaire ou titulaire patrimonial.

Cyrille de Klemm souligne par ailleurs qu‛un titulaire patrimonial n‛est jamais une personne juridique, c‛est généralement une collectivité, de sorte qu‛il lui faut un représentant public359. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer360,en vertu de laquelle un organisme international agit au nom de l‛humanité, est unique en son genre (article 137.2). Autrement, lorsqu‛il s‛agit de biens ou d‛espaces qualifiés de patrimoine mondial de l‛humanité, les États conservent leur souveraineté, de sorte qu‛il n‛est attribué aucun représentant officiel au titulaire du patrimoine, l‛humanité.361.

Des conflits entre représentation de l‛humanité et intérêts particuliers des États peuvent survenir. Il est donc essentiel de désigner un représentant public de l‛humanité tout entière, ayant autorité au plan national et international, - l‛humanité en soi ne possède pas de personnalité juridique en droit national et international -

357 Idem.p. 189. 358 Ost, F. et Gurwith, (dir) supra note 108, p.90. (tiré de la présentation synthèse du contenu du chapitre 2). 359 Klemm, Cyrille, ‘‛Environnement et patrimoine‛‛, supra note 114. p.163. 360 Supra note 119. 361 Selon Klemm, supra note 114, Aucun des autres traités portant sur la conservation de biens qualifiés de

patrimoniaux ne désigne expressément, souveraineté oblige, d‛organismes habilités à assurer la représentation du titulaire patrimonial de ceux-ci.

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afin qu‛il puisse agir de façon à assurer la préservation de la ressource eau et sa gestion globale, équitable.

Faute d‛agir en ce sens et d‛empêcher l‛appropriation privée ou étatique de l‛eau on limiterait indûment le pouvoir d‛action des titulaires du patrimoine commun de l‛eau. Sans modification de la situation actuelle, les États pourraient être appelés à «représenter les intérêts généraux» eu égard à l‛eau, faute de représentant de l‛humanité officiel et légitime en droit national et international, tout en ayant des intérêts particuliers - à titre de ‘‛propriétaire‛‛ - de nature à entrer en contradiction avec leur responsabilité à l‛égard du patrimoine commun.

En effet, les intérêts de l‛État propriétaire ne coïncident pas nécessairement avec ceux du titulaire du patrimoine et, en cas de conflit, ces derniers auront du mal à l‛emporter. Quant aux biens qui sont propriété privée, leur sauvegarde dépendra presque toujours du pouvoir discrétionnaire de l‛administration. Dans les deux cas, lorsqu‛un arbitrage entre intérêts contradictoires est nécessaire, L‛État sera à la fois juge et partie. Ses décisions seront inévitablement influencées, plutôt que par des critères objectifs généralement inexistants, par l‛idée qu‛il peut se faire à un moment donné de la valeur patrimoniale d‛un bien par rapport aux autres intérêts en présence, ainsi que par la mesure dans laquelle l‛opinion publique du moment, et du lieu, du bien concerné reconnaît cette valeur patrimoniale et donc la légitimité de sa sauvegarde. Il n‛existe jamais d‛instance indépendante chargée de procéder à une pesée objective des intérêts en présence avant toute prise de décision susceptible d‛affecter des biens patrimoniaux.362

Si l‛enjeu de la définition de la propriété de l‛eau est névralgique du point de vue d‛une gestion véritablement intégrée de la ressource et de la responsabilité de sa pérennité, il est aussi au cœur du débat actuel entourant une possible marchandisation de l‛eau. La logique économique du marché repose essentiellement sur la propriété privée, soumise aux règles de l‛échange qui ne tolère aucune priorité ou hiérarchie autre que celle de la plus grande rentabilité. «Il faut savoir que le marché est inapte à traiter la question des biens collectifs – l‛eau comme l‛air, les bancs de poissons ou l‛ozone – en raison de l‛impossibilité de définir clairement des droits de propriété.»363

362 Klemm, Cyrille, supra note 114, p. 163-164.363 Baudru et Maris, supra note 12, page 24.

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CHAPITRE 9 : LOI DU MARCHÉ OU LOI DES HOMMES

En dépit de son arrogance extrême, le capitalisme est en crise profonde car il est encombré de l‛homme… Monique Chemillier-Gendreau

Nous l‛avons mentionné à plusieurs reprises, autour de l‛eau se cristallise un affrontement idéologique depuis un peu plus d‛une décennie. Reconnue d‛abord comme un élément vital de la survie humaine, puis comme un élément essentiel de l‛équilibre des écosystèmes, c‛est maintenant à titre de «bien économique» qu‛on nous propose des «solutions», nous ramenant ainsi aux sources de contradictions inhérentes à un ordre international qu‛il s‛agirait précisément de dépasser pour ouvrir un avenir possible.

[...] partant du phénomène préalablement constaté, la capture à l‛échelle mondiale, j‛ouvre la question : peut-on identifier dans le droit des outils qui en soient les moyens ou d‛autres qui en seraient les entraves ? [...] La religion de libéralisme économique a fonctionné sur deux plans touchant au droit international. Elle a, d‛une part, contribué à affaiblir les États, d‛abord dans leur fonction éventuelle d‛interventionnisme régulateur dans le champ interne [...] mais aussi dans leur fonction de résistance à l‛internationalisation de la capture. Elle a, d‛autre part, empêché que ne se constituât à l‛échelle internationale un équivalent de la loi.364

Cette cristallisation ne représente donc, en fait, que l‛exacerbation de contradictions déjà présentent dans les fondements mêmes des relations internationales et du droit international modernes.

On peut penser que le développement des droits dits de solidarité, parce que leur nature même pointe directement la complexité d‛une mise en œuvre concrète, a contribué à cette exacerbation, permettant de prendre la mesure réelle de l‛interdépendance et de l‛indivisibilité des droits fondamentaux issus du principe cardinal de la dignité humaine, et permettant aussi, du même coup, d‛éclairer substantiellement les contradictions entre le paradigme politique des droits humains fondamentaux et le paradigme économique du marché autorégulateur. Ainsi, dans le texte d‛un manifeste rendu public à l‛occasion de son centenaire le 10

364 Chemillier-Gendreau, supra note 76, page 179.

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mai 1998, la Ligue française des droits de l‛homme écrivait-elle fort justement «Laraison économique, au nom de laquelle on accepte que des millions de personnes soient réduites au chômage ou à la précarité, menace les libertés tout autant que la raison d‛État.»365

D‛ailleurs, sur d‛autres enjeux abordés par le droit international du point de vue des droits fondamentaux, ces contradictions ressortent avec autant d‛acuité. Ainsi du droit au logement, analysé sous l‛angle de l‛égale dignité de tous les êtres humains, source commune à tous les droits. S‛agissant de la mode des codes de conduites volontaires et des entreprises qui se drapent de l‛image de «citoyen corporatif responsable», Delmas-Marty souligne :

Comme en témoigne la charte Solidarité-énergie, signée avec le ministère du Logement en 1996, et commentée par les médias sous des titres flatteurs, l‛opération s‛est révélée un succès auprès du grand public. Toutefois, le nombre de coupures reste élevé et la «zone d‛intérêt commun», pour réelle qu‛elle soit, reste de portée limité. Les intérêts des distributeurs et ceux des ménages démunis demeurent globalement contradictoires. D‛où la nécessité d‛une intervention contraignante de l‛État ou de sanctions plus directes.366

Malgré cela, en ce qui concerne l‛eau, et plus directement le droit d‛accès à l‛eau potable et à l‛assainissement, les auteurs du rapport d‛évaluation des eaux douces du monde présenté à l‛ONU considèrent que : «il faut une approche plus orientée vers le marché pour gérer les fournitures d‛eau, et l‛eau doit être une marchandise dont le prix est fixé par l‛offre et la demande.»367 C‛est ce que nous propose, en substance, l‛accord de libre-échange nord-américain, l‛ALENA et «le droit [dès lors] ne mène plus la danse, n‛en déplaise à la caste des juristes. Il vient en position subalterne à l‛appui d‛une ample régulation sociale qui répond à une logique étrangère à celle du droit.»368 Pourtant,

L‛idée selon laquelle l‛eau doit être désormais considérée principalement comme un bien économique, une ressource monnayable et que, par conséquent, les lois du marché permettront de résoudre les problèmes de pénurie et de raréfaction, voire les guerres interétatiques, est une idée

365 Citée par Mireille Delmas-Marty, supra note 321, page 53. 366 Mireille Delmas-Marty, Id., page 64. 367 Élément relevé par Paul Lewis, “UN report warms of problems over dwindling water supplies” (1997) New

York Times, 20 janvier. 368 Chemillier-Gendreau, supra note 76, page 286.

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fort simpliste. Elle se base sur un choix de nature purement idéologique qui consiste à privilégier, parmi les multiples dimensions spécifiques de l‛eau, la valeur relative à la dimension économique au détriment de toutes les autres valeurs. Ce choix idéologique se fonde à son tour, sur l‛affirmation du marché en tant que mécanisme principal, supérieur à tout autre mécanisme (la régulation politique, la coopération, la solidarité) pour l‛allocation optimale des ressources matérielles et immatérielles disponibles et la redistribution la plus efficace de la richesse produite.369

D‛ailleurs, nous l‛avons vu précédemment, reconnues comme essentielles et prioritaires, les exigences imposées par le développement durable entrent souvent en conflit avec les priorités de la compétitivité des entreprises370. Dans la logique du marché d‛ailleurs, on peut considérer – à la limite de l‛insoutenable – que les dégâts environnementaux sont «productifs».

L‛OCDE estime que le marché mondial des biens et services touchant de près ou de loin le risque environnemental s‛est élevé à 200 milliards de dollars en 1990. La protection de l‛environnement est une grande industrie dont la croissance fulgurante indique que l‛éradication du risque écologique n‛est pas pour bientôt.371

Alors même que l‛histoire et l‛expérience ont démontré, à de multiples exemplaires, la contradiction souvent aiguë entre impératifs ou exigences du marché et objectifs sociaux ou politiques, tels que le respect des droits fondamentaux et l‛exigence du développement durable, c‛est à une marchandisation de l‛eau qu‛on nous convie pour résoudre les problèmes liés à sa surexploitation tout autant qu‛aux inégalités flagrantes d‛accès.

Le message est on ne peut plus clair et le premier Forum mondial de l‛eau, tenu à Marrakech en 1997 sous l‛égide du Conseil mondial de l‛eau, financé en partie par les multinationales de l‛eau rappelons-le, a levé toute ambiguïté. On y a entre autres précisé que la «rareté» devait nécessairement entraîner pour l‛eau un statut de bien économique dont le prix reflète la «nouvelle valeur» qui permettrait, par conséquent, d‛en faire une marchandise négociable sur un marché de type nouveau, lui-même essentiel pour éviter que l‛explosion du prix de l‛eau ne devienne un motif de guerre ou de paix… le marché ou la guerre, soulignions-nous au début de ce

369 Petrella, supra note 6, page 69. 370 Petrella, Id., page 12. 371 Mark Fortier, supra note 17, page 13.

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travail, d‛entrée de jeu. Dictée par les intérêts privés les plus puissants, nous nous retrouvons dans une situation de «décomposition du système juridique par le marché», où «le marché se substitue à la nation, s‛impose à l‛État, devient le droit»372.

En bref, puisque selon les prévisions de l‛OMM les 2/3 de la population subiront une situation de stress hydrique d‛ici 2025 et que seuls une trentaine de pays sont assurés des moyens de leur autosuffisance, seules les règles du marché peuvent nous garantir une juste répartition de l‛eau. «Les besoins en eau seront tels qu‛on peut dire sans se tromper, ajouta Hassan II, qu‛à l‛image du pétrole[...] l‛eau deviendra un jour commercialisable à l‛échelle mondiale, et des pays se mettront à vendre de l‛eau à des pays qui ne disposent pas de potentialité naturelle.»373

Mais le lucratif marché de l‛eau peut-il permettre véritablement d‛atteindre des objectifs de répartition équitable, d‛accessibilité universelle et de développement durable? On peut en douter sérieusement quand on examine la réalité concrète du marché privé déjà existant des services de distribution de l‛eau. Ainsi, en France, selon certaines études, la privatisation de la gestion de l‛eau n‛a pas eu les effets positifs promis par certains :

À Paris, par exemple, le prix de l‛eau a connu une hausse de 154% depuis la privatisation de 1984, alors que l‛inflation n‛a été que de 54% au cours de la même période. D‛année en année, l‛eau connaît une flambée de prix dans la majorité des villes françaises. En 1994, pour la troisième année consécutive, la hausse annuelle moyenne du prix de l‛eau a dépassé les 10%. […] Au palmarès de l‛eau la moins chère, les aqueducs municipaux occupent dix des douze premières places. […] La hausse vertigineuse des prix n‛est pas le seul inconvénient de la privatisation. Il existe également de très fortes disparités régionales […]374

Inutile de s‛étendre ici sur les nombreux scandales de corruption qui ont marqué ces dernières années les grandes industries françaises de l‛eau375. Plus important

372 Selon les termes de Mireille Delmas-Marty, supra note 321, page 23. 373 Jean-Paul Besset, “Le colloque de Marrakech a tiré la sonnette d‛alarme” (1997) Le Monde, 23 mars. 374 Léo-Paul Lauzon, François Patenaude et Martin Poirier, La privatisation de l‛eau au Québec. Première partie :

les expériences dans le monde (1996) Chaire d‛études socio-économiques, UQAM, page 31. Voir aussi, Frédéric Le Wino, “Le scandale du prix de l‛eau” (1994) Le Point, 30 avril; ainsi que, F. Morin, L‛oligopole de l‛eau et sa régulation (1996) Association internationale de techniciens, experts et chercheurs, janvier, 19 pages.

375 Le document de la chaire d‛études socio-économiques ci haut cité en fait abondamment mention.

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du point de vue de l‛intérêt public, il faut mettre en lumière le fait que les opérateurs privés de l‛eau, partout dans le monde, «captent une rente exorbitante» sur l‛eau, bien commun, qui représente un véritable détournement des gains de productivité à leur seul profit et réalisent une forme de «péréquation» entre leurs différentes activités. Ces sommes énormes peuvent aussi servir à «acheter» d‛autres services publics. Si les pouvoirs publics français, notamment locaux, n‛arrivent pas à exercer un contrôle réel à cet égard par manque d‛expertise et d‛informations,376 comment peut-on sérieusement soutenir qu‛il est dans l‛intérêt des pays en voie de développement de confier la gestion de leur eau à de tels «racketteurs»?

Comment peut-on considérer qu‛un tel mode d‛organisation de la gestion de l‛eau puisse répondre au besoin mondial d‛investissements massifs dans ce secteur? Le niveau d‛investissement requis pour répondre aux besoins en eau potable et en assainissement à l‛échelle de la planète exige que les ressources produites à partir de l‛eau retournent à l‛eau, à l‛inverse de la logique du marché dans laquelle s‛inscrivent les multinationales de l‛eau qui captent une rente importante à leur seul profit… et à celui de leurs actionnaires évidemment.

Il faut d‛urgence refonder les stratégies et les pratiques en vigueur en matière d‛utilisation de l‛eau sur les principes de durabilité et de solidarité humaine. [...] Il est manifeste que des politiques de prix conformes au principe de l‛équité sociale ont un rôle déterminant à jouer dans la revalorisation de l‛eau.377

Or, c‛est précisément sur cet argument fallacieux de l‛importance des investissements requis que s‛appuient les transnationales pour nous convaincre qu‛il faut privatiser cette ressource vitale et indispensable, seul le privé disposant des sommes nécessaires à de tels investissements… Peut-être est-il temps de se demander d‛où viennent ces ressources gargantuesques dont ils disposent, d‛autant que l‛expérience montre que le coût de l‛eau pour les individus est d‛autant plus élevé que l‛investissement collectif est défaillant.

376 Pour une démonstration du processus de captation d‛une rente, voir D. Baudru, La délégation des services publics locaux ou la captation d‛une rente (1996) Association internationale de techniciens, experts et chercheurs, 16 octobre, 12 pages

377 Federico Mayor (UNESCO), “Vers une nouvelle éthique de l‛eau” (1997) Premier forum mondial de l‛eau,Marrakech, 22 mars.

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Les modèles de gestion de l‛eau qui vont du semi-public comme en France, au pur privé comme au Chili, en passant par le modèle américain ou le modèle anglais, ont tous ceci en commun que «les groupes privés captent d‛énormes rentes de situation, proportionnelles à la durée des contrats.»378

[…]qu‛ils soient publics, privés ou mixtes, les services de l‛eau doivent être obligés de fournir ce bien et d‛appliquer des tarifs acceptables socialement. La meilleure solution est de confier leur mise en place et leur exploitation aux pouvoirs publics. […] la concurrence illimitée dans le domaine de la fourniture et du traitement de l‛eau va à l‛encontre de l‛intérêt public.379

Si les tenants du marché soulignent que même dans les quartiers défavorisés, les populations sont disposées à payer l‛eau et l‛assainissement et qu‛il faut donc moduler les prix en faveur des plus démunis, ils insistent aussi pour dire que l‛économie de la ressource existante, à cause de l‛absence de l‛élasticité de l‛offre en eau, exige des rendements et que, pour se faire, il faut développer des «programmes d‛eau non comptabilisée au-delà de la seule recherche de fuites : les branchements sauvages ou pirates, les factures non payées ou plus exactement jamais payées qui privent le gestionnaire du service de recettes absolument nécessaires à la maintenance du système d‛exploitation».380

Bien sûr, l‛eau a un prix, plus exactement son captage, son transport, sa distribution, sa dépollution, son rejet dans le milieu naturel, etc. Il ne s‛agit pas ici de mettre en doute l‛importance de réunir les ressources nécessaires, par la tarification, pour garantir l‛accès à l‛eau. Il y a cependant un monde entre affirmer que l‛eau a un prix et affirmer que le prix de l‛eau doit être déterminé par le marché. Même au Québec, où les citoyens et citoyennes ont souvent l‛impression d‛avoir un accès gratuit à l‛eau, il y a un coût associé à sa distribution, à son assainissement, etc. Ce prix n‛est cependant ni déterminé ni imposé selon les règles du marché, mais selon des règles déterminées politiquement. Celles-ci peuvent s‛établir en considérant que l‛eau ne peut être gratuite au-delà des besoins fondamentaux381.

378 Baudru et Maris, supra note 12, page 24. 379 Internationale des services publics, Programme de l‛ISP pour l‛eau (1993), Ferney-Voltaire, cité par

Bouguerra, supra note 20, page 25. 380 Loïc fauchon, supra note 2, page 4. 381 Jean Vergnes, “Le contexte général” (1998) Congrès de Kaslik, Liban, page1.

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Dans la logique du marché cependant, le citoyen et la citoyenne deviennent clients et bénéficient du service en fonction de leur capacité de payer, celle-ci devant permettre une rentabilisation rapide des investissements consentis. Or il apparaît minimalement que, pour mettre en œuvre véritablement le droit d‛accès à l‛eau potable pour les 1, 4 milliard d‛êtres humains qui n‛y ont pas accès, ce principe est tout à fait inopérant dans la mesure où leurs revenus sont insuffisants pour leur permettre l‛accès aux biens de base tels que logement, alimentation, eau, etc.

L‛idée d‛intérêt général entre en effet en antagonisme frontal avec le marché, qu‛il s‛agisse du marché traditionnel ou du marché mondial. Elle a vocation a prendre en compte des phénomènes que le marché ignore, mais dont la prise en considération rétrécit l‛espace du marché proprement dit : gestion du long terme, investissements lourds à rentabilité différée, préservation de biens rares et non renouvelables, gestion de l‛espace.382

La mise en œuvre de droits fondamentaux se traduit difficilement en «demande solvable», propre à la logique du marché, malgré le fait que dans pratiquement tous les textes récents au sujet de cette ressource vitale, les auteurs se sentent obligés de mettre ces deux termes en équation en rappelant la gravité du problème que le marché serait censé régler.

Il faut rappeler que l‛eau c‛est la vie et quand elle vient à manquer c‛est la mort. Aujourd‛hui, 7 millions de personnes par an meurent à cause de maladies liées à l‛eau (Sources OMS). Soit 1 personne toutes les 6 secondes, et 30 millions d‛autres sont en état de morbidité suite au manque d‛eau ou à la mauvaise qualité de l‛eau. L‛ensemble des dépenses consacrées à l‛eau dans les pays développés est de 500 à 550 milliards de $ (traitement, épuration, assainissement, distribution...). Pour établir une comparaison, L‛ensemble des aides consacrées à l‛eau pour le développement (sources Banque mondiale) est de 2,5 milliards de $, et cela pour les ¾ de l‛humanité383.

Et puis cette auteure, malgré le constat alarmant d‛une aussi mauvaise allocation des ressources financières nécessaires, affirmera sans démonstration et sans états d‛âme que la réponse à la question «Comment apporter des solutions techniques à des pays non solvables ?» c‛est «la loi du marché»384 ! ! ! Nous vivons

382 Chemillier-Gendreau, supra note 76, page 356. 383 Raphaëlle Fauvel-Simier, supra note 41, page 1. 384 Id., page 12.

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pourtant dans une économie de marché triomphante depuis de nombreuses années sans que l‛allocation des ressources ne se soit améliorée en faveur des pays qui en ont les besoins les plus criants, au contraire. Comme le démontre Monique Chemillier-Gendreau, le pillage des ressources des pays du sud vers les pays du nord est partie intégrante des échanges internationaux.385 Cette situation ne risque pas de se rétablir puisque les transnationales de l‛eau, qui, comme nous l‛avons déjà mentionné, captent une rente effarante sur cette ressource, n‛investiront dans les pays en développement que dans la mesure où leur investissement leur rapportera, ce qui ne saurait faire de doute dans le contexte actuel… «D‛autant que la privatisation des services des eaux figure de plus en plus souvent dans les clauses de prêts multilatéraux. En conséquence, l‛accès à l‛eau ne sera plus considéré comme un droit, mais comme une fonction du marché.»386

... la consommation d‛eau mise en bouteille par des sociétés privées augmente - et le plus souvent sous le nom d‛eau minérale, autrement dit eau souterraine. Ainsi aux États-Unis, cette consommation, pratiquement nulle au milieu du siècle, atteignait près de 3200 milliards de litres en 1984 et 11 166 milliards en 1997. Mais ce phénomène n‛est pas uniquement l‛apanage des classes moyennes des pays riches. Dans les pays en développement, les canalisations desservent rarement les quartiers les plus pauvres, et les habitants de ces quartiers n‛ont d‛autre choix que de payer des bouteilles d‛eau au prix fort.387

Pourtant, dans la logique économiciste elle-même, selon ses propres paradigmes, les règles du marché ne peuvent pas s‛appliquer à l‛eau, de par sa nature même, parce qu‛elle n‛est pas substituable : «Si l‛eau revêt une telle importance, c‛est qu‛elle constitue un facteur de production non substituable»388. C‛est précisément cette insubstituabilité de l‛eau qui explique l‛impossibilité de calculer des préférences marginales et donc de se reposer sur les ajustements par les prix du marché.389

385 Monique Chemillier-Gendreau, supra note 76, principalement chapitre 8 «La capture des biens», pp.177-196. 386 Unicef, “Eaux souterraines...”, supra note 147, page 2 387 Id., page 3. 388 Jacques Diouf (FAO), “L‛eau, patrimoine de l‛humanité”, (1997) Premier Forum mondial de l‛eau, Marrakech,

22 mars, page 6. 389 Valérie Peugeot, supra note 22, p. 13. Elle explique de plus, en page 15 que «même si les techniques se

multiplient (dessalement, évaporation, membrane) qui tendent à créer de l‛eau potable soit artificiellement, soit à partir de l‛eau de mer, ces techniques ne produisent jamais un véritable substitut de l‛eau - en termes économiques - puisque chacune d‛entre elles a des effets secondaires sur l‛écosystème global. Il n‛existe pas de substitut de l‛eau sans externalité.»

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De par sa non substituabilité, l‛eau est donc un bien fondamental total qui ne saurait être assujetti à un seul principe sectoriel de régulation, de légitimation, de valorisation. Elle relève des principes de fonctionnement de la société globalement considérée. C‛est précisément ce qu‛on appelle un bien social. Et, par conséquent, un bien commun de base de toute communauté humaine.390

… De là la pertinence de l‛inscrire clairement au titre de patrimoine commun de l‛humanité. L‛eau «bien économique/marchandise» ne saurait en aucun cas permettre une mise en œuvre adéquate du droit fondamental d‛accès à l‛eau potable et à l‛assainissement pour chaque être humain de cette planète.

390 Petrella, Id., page 70.

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EN GUISE DE CONCLUSION

Notre devenir - celui de nos familles, des habitants de Bruxelles et d‛Osaka comme des populations indigènes de l‛équateur, des peuples ouzbek, tadjik et turkmène de l‛Asie centrale et des Américains de Californie - réside moins dans le développement technologique et économique que dans la capacité des sociétés humaines à se doter de règles, institutions et moyens d‛action, définis et gérés en commun à différentes échelles, pour « vivre » ensemble dans un monde devenu complexe, interdépendant, diversifié, limité, fragile, mondial. Riccardo Petrella

Avec le développement scientifique et technique, la compréhension du cycle de l‛eau a permis des avancées importantes pour mieux maîtriser cette ressource vitale. Ainsi faut-il nous rappeler que nous sommes passés de la gestion des simples cours d‛eau visibles à celle des bassins, avec la compréhension du cycle de l‛eau. Cette compréhension nous laisse aussi entrevoir le risque éventuel d‛une appropriation de l‛eau atmosphérique, dont nous avons quelques difficultés à imaginer encore les conséquences sur ce cycle naturel complexe.

Par ailleurs, les capacités nouvelles d‛agir que donne le développement scientifique et technique sont généralement appropriées par les États et les entreprises les plus riches et les plus puissants. De fait, l‛accès aux fruits du développement scientifique et technique est tout aussi inégalement réparti que ne le sont les ressources naturelles à l‛échelle planétaire. Pourtant, comme le souligne la Déclaration universelle des droits de l‛homme, « toute personne a droit […] de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. ».391 Rappelons que cette inégalité, ici, est produite et renforcée par les modalités des échanges que les êtres humains ont eux-mêmes mis en place et qu‛elle ne relève pas d‛un ordre naturel.

Pour ajouter à la complexité des enjeux, il faut aussi souligner que le développement scientifique et technique entraîne aussi de nouveaux problèmes dont la résolution exige souvent des ressources financières imposantes. Pensons à la pollution, produit aussi du développement scientifique et technique, aux grands barrages, etc. Les ressources nécessaires pour corriger les effets pervers de modes de développement non viables, inutile d‛insister, sont tout aussi inégalement réparties que le reste.

391 Déclaration universelle des droits de l‛homme, supra note 248, article 27.

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On le voit, à travers l‛enjeu de l‛eau se trouvent interpellés de nombreux aspects constitutifs de la dignité humaine, telle que la concevaient les rédacteurs et rédactrices de la Déclaration universelle des droits de l‛homme, bien que nous n‛ayons pu, ici, qu‛en effleurer une partie. Transversale et globale, la problématique de l‛eau permet d‛appréhender concrètement « les grandeurs et les misères » d‛une société internationale dont l‛avenir n‛est pas encore clairement perceptible.

Le cas du Proche-Orient illustre avec éloquence les deux niveaux de l‛immense défi qui confronte la communauté internationale. D‛une part, le fait que la pérennité des ressources soit une condition préalable et incontournable pour un véritable partage équitable, exige une limitation de la souveraineté des États, jusqu‛ici pratiquement sacrée. Puis, à un second niveau, les conditions de mise en œuvre effective du droit international restent à construire, c‛est le moins que l‛on puisse dire!

Ainsi, malgré les efforts de concertation des pays du bassin méditerranéen, particulièrement affectés par les risques de stress hydrique, en vue d‛une gestion équitable de la ressource, la réticence de certains États à se soumettre au principe d‛une utilisation équitable et raisonnable – Turquie et Israël particulièrement – limite d‛autant les effets du travail consenti par ailleurs par les autres États392. On peut en dire autant du Nil.393 Il y a d‛ailleurs fort à parier que le renforcement du droit international en la matière ne serait que de peu d‛utilité si rien ne permet de soumettre Israël au respect du droit international.

Le maintien de la paix représente la raison d‛être, à toutes fins pratiques, de l‛Organisation des Nations Unies, et le respect des droits fondamentaux, tel que stipulé dans la Déclaration universelle des droits de l‛homme, une des conditions du maintien de la paix. La situation méditerranéenne illustre les limites de ce système alors que, « [...] de l‛aptitude de la société internationale à réagir pour imposer une répartition équitable de la ressource en eau, dépendra pour une bonne part le maintien de la sécurité mondiale. » 394

On constate que « La société internationale, en dépit de quelques apparences, s‛est développée jusqu‛ici dans l‛ignorance radicale de la démocratie et de l‛État de droit »395… Voilà le défi qui la confronte pour les prochaines décennies.

392 Raya, supra note 94.393 Supra note 101.394 Jacques Sironneau, supra note 1, page 10. Les caractères gras sont de nous. 395 Chemillier-Gendreau, supra note 76, page 349. On réfère ici à l‛État de droit dans le sens du ‘‛rule of law‛‛

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Des pistes sont ouvertes qu‛il s‛agit d‛explorer et de préciser. Elles exigent cependant de trancher clairement les finalités poursuivies au plan international.

Par exemple, dans le projet de convention proposé à l‛Unesco, on retrouve un certain nombre d‛éléments identifiés comme névralgiques tout au long de ce travail. L‛article 2 de ce projet stipule que : « l‛eau est un bien social et environnemental qui joue un rôle vital dans la satisfaction des besoins humains élémentaires, la santé, la sécurité de l‛alimentation, la réduction de la pauvreté et la protection des écosystèmes » 396 Tout en ouvrant la porte à une hiérarchie des usages, ce texte mériterait cependant d‛être plus précis et de consacrer des « droits » plutôt que de reconnaître des « besoins ».

On précise aussi dans ce projet que la gestion du cycle de l‛eau nécessite une approche intégrée et non sectorielle, qui tienne compte des besoins à long terme comme des besoins immédiats; qu‛une tarification progressive de l‛eau, traduisant le coût réel de la distribution, doit être mise en place, assortie d‛un système de péréquation du prix de l‛eau financé par des recettes de redevances « eau », permettant ainsi aux plus démunis de bénéficier des réseaux de distribution d‛eau et d‛assainissement397. Dans le même sens, on y reconnaît que l‛entité géographique qui se prête le mieux à la planification et à la gestion des ressources en eau est le bassin versant ; et « [...] à l‛échelle nationale, chaque État confie la gestion de l‛eau dans son ensemble à un seul ministère »398. Enfin, on y propose la création, sous l‛égide de l‛ONU, d‛un tribunal international de l‛eau 399

En préalable cependant, la construction d‛un véritable droit mondial de l‛eau doit être fondée sur la reconnaissance de l‛eau en tant que bien vital, patrimonial, commun mondial400. Le terme de vital, interpelle l‛enjeu de la hiérarchie du droit et des usages ; le terme patrimonial interpelle l‛enjeu de la durée, de la préservation pour les générations futures ; le terme commun interpelle l‛enjeu de la propriété ; le terme mondial, enfin, spécifie le seul espace pertinent qu‛induit la nature de l‛eau. Il ne s‛agit donc ni d‛une figure de style, ni de rhétorique, mais d‛une condition de base essentielle à la construction d‛un droit international de l‛eau cohérent avec le respect des droits humains fondamentaux.

396 El Fadl, supra note 42, page 16. 397 À l‛article 8, Idem, p. 17. 398 Idem, article 9. 399 Idem, article 12, p. 19. 400 Id., page 110.

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BIBLIOGRAPHIE401

1. DOCUMENTS OFFICIELS

1.1 Documents conventionnels internationaux

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NATIONS UNIES, Convention des Nations Unies sur les droits de l‛enfant, tirée du document « Normes Internationales relatives aux droits de l‛enfant‛ » produit par Défense des Enfants International, Genève, 1995. Document No.1.

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NATIONS UNIES, Pacte International relatif aux droits civils et politiques, R.E.I.Q. (1984-89), no 1976 (5), page 817,

NATIONS UNIES, Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d‛eau internationaux à des fins autres que la navigation (1997), International Legal Materials 36, pp. 700-720.

NATIONS UNIES, Accord régissant les activités des États sur le Lune et les autres corps célestes(1979) N-Y, 5 décembre, Art. 11

NATIONS UNIES, Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982), tirée du volume J.V. Morin, Rigaldies, Turp, Droit international public, document 20.

UNESCO, Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (1972), Paris, 17e

session, novembre.

401 La bibliographie qui suit comprend de nombreuses sources portant sur la situation canadienne, québécoise ainsi que l‛ALENA, bien que nous n‛ayons pu nous rendre jusqu‛à cette étape de l‛analyse. Nous les avons cependant maintenues dans la mesure où ces documents constituèrent notre éclairage de départ.

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1.2 Autres documents internationaux

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Déclaration Universelle des droits de l‛Homme,A.G. Res. 217 A (III). DOC. N. U. A/810 (1948)

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Résolution A/S-19/29, Programme relatif à la poursuite de la mise en œuvre d‛Action 21,28 juin 1997.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Résolution 1803 (XVII), Souveraineté permanente sur les ressources naturelles, 14 décembre 1962.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Déclaration universelle pour l‛élimination définitive de la faim et de la malnutrition (1974) Résolution 3348 (XXIX) 17 décembre.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES Le développement économique intégré et accords commerciaux (1952) Résolution no 523 (VI) du 12 janvier.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Le droit d‛exploiter librement les richesses et ressources naturelles (1952) Résolution no 626 (VI) du 21 décembre.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES. Déclaration sur le droit au développement (1986) Résolution 41/28 du 4 décembre

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Résolution 2669 (XXV), 8 décembre 1970.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, “Resolution 222 (XLIV) United Nations Conference on Environment and Development” (1989) in M. Molitor, International Environmental Law (1991) Boston, Kluwer, Law and Taxation Publishers, pp. 16-23.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Résolution A/51/869, (1997) 51e séance, 21 mai.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Suite donnée au Sommet mondial pour le développement social, Résolution 52/25 (1997) 56e séance, 26 novembre, A/52/L.25 et Add.1.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Programme pour la mise en œuvre de l‛Agenda 21(1997) 19e session spéciale, New York, 1er juillet.

BANQUE MONDIALE, L‛État dans un monde en mutation, Rapport sur le développement dans le monde (1997) Washington, Banque mondiale, 290 pages,

COMMISSION DES DROITS DE L‛HOMME Le droit à l‛alimentation (1997) Résolution 1997/8, 36e

séance, 3 avril.

COMMISSION DES DROITS DE L‛HOMME Le droit au développement.(1996) Résolution 1996/15 du 11 avril.

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COMMISSION DE COOPÉRATION ENVIRONNEMENTALE, Le droit et les politiques de l‛environnement en Amérique du Nord, (1998), Cowansville, Éd. Yvon Blais, 213 pages.

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (France), Rapport no 199 :PJL Convention sur la protection et l‛utilisation des cours d‛eau transfrontières et des lacs internationaux (1997) André Dulait, sénateur, Sénat 170, adoption le 29 janvier, 11 pages.

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CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR L‛EAU ET L‛ENVIRONNEMENT, Déclaration de Dublin et rapport de conférence, (1992) Conférence des Nations Unies sur l‛environnement et le développement, Dublin, janvier.

CONSEIL DE L‛EUROPE, La Déclaration de Strasbourg, (1998) Solidarité Eau Europe, Commission de l‛environnement, de l‛aménagement du territoire et des pouvoirs locaux, Assemblée parlementaire du Conseil de l‛Europe, 18 pages.

CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL, Résolution 1995/46, Water supply and sanitation, (1995) 56e

session, 27 juillet.

CONSEIL MONDIAL DE L‛EAU, L‛eau au XXIème siècles, (1998) Mars, Paris, Conseil mondial de l‛eau, 57 pages

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INTERNATIONAL LAW ASSOCIATION, Règles d‛Helsinki de 1966, ILA Report of the Fifty Second Conference, Londres, 1967.

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NATIONS UNIES, “Nairobi Declaration” (1982) in M. Molitor, International Environmental Law (1991) Boston, Kluwer, Law and Taxation Publishers, pp. 85-91.

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NATIONS UNIES, Déclaration et programme d‛action de Vienne (1993) Conférence mondiale sur les droits de l‛homme, A/CONF.157/23, 12 juillet, 24 pages.

NATIONS UNIES, Conférence internationale sur la population et le développement (1994) A/CONF.171/13/Rev.1.

NATIONS UNIES, Déclaration de la 4e Conférence mondiale sur les femmes (1995)

NATIONS UNIES, Déclaration de Copenhague sur le développement social (1995) Copenhague, 19 avril 1995, A/CONF.166/9

NATIONS UNIES, Sommet mondial de l‛alimentation (1996) Déclaration et plan d‛action, Rome, 13-17 novembre

NATIONS UNIES, Évaluation générale des ressources en eau douce dans le monde : Rapport du secrétaire général des Nations Unies (1997) Commission pour le développement durable, New York, 5e session, 5-25 avril.

NATIONS UNIES, Conférences mondiales (1997) Département de l‛information, 23 mai, 4 PAGES. (http ://www.un.org/french/events/introfr.htm)

NATIONS UNIES, Y a-t-il un droit au logement ? (1996) Département de l‛information, février, 6 pages. (www.un.org/french/ecosocdev/geninfo/habitat/dpil1778.htm)

PNUD, Un agenda pour le sommet social (1994), Rapport sur le développement humain, Vue d‛ensemble, 21 pages.

PNUE, Plan d‛ensemble pour une gestion écologiquement rationnelle des eaux intérieures (EMINWA), 1986.

SECRÉTARIAT INTERNATIONAL DE L‛EAU, SOS, Charte de Montréal sur l‛eau potable et l‛assainissement (1990) Forum international de Montréal, juin, 8 pages.

SECRÉTARIAT INTERNATIONAL DE L‛EAU et Les Entretiens de Montréal, L‛eau, des savoir-faire à partager, (1998) Montréal, Secrétariat international de l‛eau, 22 pages

SOMMET DE LA TERRE 1992, Agenda 21, un programme d‛action (1993) Genève, Centre pour notre avenir à tous (texte de Michael Keating), 70 pages.

SOUS-COMMISSION DE LA LUTTE CONTRE LES MESURES DISCRIMINATOIRES ET DE LA PROTECTION DES MINORITÉS, Promotion de la réalisation du droit d‛accès de tous à l‛eau potable et aux services d‛assainissement (1997), Résolution 1997/18 de la sous-commission, 35e session, 27 août (adoptée sans vote).

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SOUS-COMMISSION DE LA LUTTE CONTRE LES MESURES DISCRIMINATOIRES ET DE LA PROTECTION DES MINORITÉS, Le droit d‛accès de tous à l‛eau potable et aux services d‛assainissement, établi par M. El Hadji Guissé, Rapporteur spécial, en application de la résolution 1997/18 de la Sous-commission (1998) Conseil économique et social, 50e

session,10 juin, E/CN.4/Sub.2/1998/7, 8 pages.

UNESCO, Conférence internationale sur l‛eau : inquiétude pour les réserves mondiales d‛eau douce(1998) Paris, Communiqué, 3 juin.

UNESCO/OMM, Approvisionnement en eau : l‛OMM et l‛UNESCO unissent leurs efforts pour relever le défi (1999) Paris/Genève, Communiqué, 5 février.

UNICEF, “Eaux souterraines : ressources invisibles qu‛il est grand temps de protéger” (1998) Unicef Information/Publication: www.unicef.org/french/wwd98/index,htm)

Charte méditerranéenne de l‛eau (1992) Rome, 2e conférence méditerranéenne sur l‛eau, Ministres chargés de l‛eau dans les États du Bassin méditerranéen et Représentant de la Commission des communautés européennes, 30 octobre.

Charte de Montréal (1990) Montréal, Oxfam-Québec et Secrétariat international de l‛eau.

“Déclaration de Paris” (1998) Paris, UNESCO, Conférence internationale sur l‛eau et le développement durable, 21 mars.

“Déclaration de Dublin” (1992) Dublin, Conférence internationale sur l‛eau et l‛environnement : le développement dans la perspective du 21e siècle, 26-31 janvier

Déclaration de Marrakech (1997) Premier forum mondial de l‛eau, Conseil mondial de l‛eau, Marrakech.

1.3 Documents officiels nationaux

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ENVIRONNEMENT Canada, Politique fédérale relative aux eaux, (1987) Ottawa, Gouvernement du Canada, 37 pages.

MINISTÈRE DES AFFAIRES MUNICIPALES DU QUÉBEC, Proposition d‛un modèle québécois de privatisation des services d‛eaux (1996) Québec, Direction générale des infrastructures et du financement municipal, 26 pages.

SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE D‛ASSAINISSEMENT DES EAUX, Réflexion stratégique sur la gestion de l‛eau au Québec (1996) Québec, SQAE, 21 pages.

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VILLE DE MONTRÉAL, La gestion de l‛eau à Montréal (1996), décembre, livre vert, 34 pages.

VILLENEUVE, Jean-Pierre, Alain Rousseau et Sophie Duchesne (Eds), Symposium sur la gestion de l‛eau au Québec (1998), Actes du symposium tenu en décembre 1997, Québec, INRS-Eau, 3 volumes.

2. MONOGRAPHIES

BADIE, Bertrand, Un monde sans souveraineté : les États entre ruse et responsabilité (1999) Paris, Fayard, 304 pages.

BEAUCHAMP, André, Introduction à l‛éthique de l‛environnement (1993) Montréal, éditions Pauline, 222 pages.

BEAUD, Michel et Calliope et Mohamed Larbi Bouguerra, L‛État de l‛environnement dans le monde(1993) Pais, La Découverte et Fondation pour le progrès de l‛homme, 438 pages.

CHEMILLIER-GENDREAU, Monique, Humanité et souverainetés : essai sur la fonction du droit international (1995) Paris, La Découverte, 382 pages.

CHESNOT, Christian, La bataille de l‛eau au Proche-Orient (1993) Paris, l‛Harmattan.

CONSEIL CENTRAL DU MONTRÉAL MÉTROPOLITAIN, Document de réflexion sur la privatisation de l‛eau à Montréal (1996) Montréal, CSN, 9 pages.

DAYTON, D. et A.E. UTTON, Transboundary Groundwaters : the Bellagio Draft Treaty, 1989, édition revue et augmentée, CIRT, Washington DC.

DELMAS-MARTY, Mireille, Trois défis pour un droit mondial (1998) Paris, Seuil, 201 pages.

DUMONT, René, Un monde intolérable : le libéralisme en question (1988) Paris, Seuil, Point, 282 pages

FARID, Claire, John Jackson et Karen Clark, The Fate of the Great Lakes : Sustaining or Draining the Sweetwater Seas?, 1997, Toronto, Canadian Environmental Law Association and Great Lakes United, 96 pages.

GORZ, André (Michel Bosquet), Écologie et politique (1978) Paris, Seuil, Point, 245 pages.

HARRIBEY, Jean-Marie, Le développement soutenable (1998) Paris, Économica, 110 pages.

LAUZON, Léo-Paul, François Patenaude et Martin Poirier, La privatisation de l‛eau au Québec, Première partie : les expériences dans le monde (1996) Montréal, Chaire d‛études socio-économiques, UQAM, 71 pages.

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La privatisation de l‛eau au Québec, Deuxième partie : le cas de Montréal et du Québec(1997) Montréal, Chaire d‛études socio-économiques, UQAM, 110 pages.

NANDA, Ved P., International Law and Policy (1995) New-York, Transnational Publishers inc., 355 pages.

REUTER, Paul, Droit international public, 1983 Paris, PUF, Thémis, pp. 372 et suiv.

ROUSSEAU, Charles, Droit international public (1970) Paris, Dalloz, pp. 203-223.

ROUSSOPOULOS, Dimitrios, L‛écologie politique au-delà de l‛environnementalisme (1994) Montréal, Écosociété, 144 pages.

SACHS, Wolfgang et Gustavo Esteva, Des ruines du développement (1996) Montréal, Écosociété, 138 pages.

SUDRE, F., Droit international et européen des droits de l‛homme. (1989) Paris, Presses Universitaires de France.

YACOUB, Joseph, Réécrire la Déclaration universelle des droits de l‛homme (1998), Paris, Desclée de Brower, 107 pages.

3. ARTICLES ET OUVRAGES COLLECTIFS

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BONNIS, Gérard et Ronald Steenblik, “L‛eau, l‛agriculture et l‛environnement” (1998) L‛Observateur de l‛OCDE, no 212, juin-juillet 1998, pp. 28-30

BORGOGNON, Alain, “Les grands Lacs : un vaste réservoir toxique” (1991) Environnement international, manuel pédagogique, Sainte-Foy, Télé-université, 4 pages.

BAUDRU, Daniel et Bernard Maris, “Quatre modèles de gestion” (1997) Le Monde diplomatique,novembre, page 24.

BOUGUERRA, Mohamed Larbi, “Un être humain sur trois manque d‛eau potable : bataille planétaire pour l‛“or bleu”” (1997) Le Monde diplomatique, novembre pages 24-25.

BUIRETTE, Patricia, “Genèse d‛un droit fluvial international général : utilisations à des fins autres que la navigation” (1991) Revue générale de droit international public, janvier, pp. 6-69.

CHARTRAND, Luc, “Le mirage de l‛or bleu” (1997) L‛Actualité, 1er novembre, pp 33-44.

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CHEVRIER, Marc “Déporteurs d‛eau ou maîtres de notre patrimoine? Le commerce de l‛eau à l‛heure de l‛ALENA” (1999) L‛Agora, L‛eau, le sang de la terre, numéro spécial, vol. 6, no 2, pp. 7-8.

CORRIVEAU, Yves, “Développements récents et tendances : l‛environnement à l‛heure du rétro” (1998) printemps, Centre québécois du droit de l‛environnement, texte ronéo, 6 pages.

CRÉPEAU, François (dir.), Mondialisation des échanges et fonctions de l‛État (1997) Bruxelles, Bruylant, 294 pages.

DELLAPENNA, Joseph W., “Eaux sans frontières : le marché ou la coutume” (1999) Courrier UNESCO, février.

DUFRESNE, Jacques, “L‛eau : quand un gouvernement s‛en lave les mains” (1999, L‛Agora, vol. 6, no 2, pages 5-6.

ÉMOND-BÉDARD, Claire, Sylvie Paquerot et Suzanne Smith, Le Bassin hydrographique de la Baie James et le projet de GRAND CANAL (1991), Sciences de l‛environnement, UQTR, travail de session, 26 pages et annexes.

FORTIER, Mark, “L‛eau : quand l‛abondance se fait rare” (1997) Le Temps fou, no 20, pages 12-13.

HURREL, A, (1994) «A Crisis of Ecological Viability ? Global Environmental Change and the Nation State», Political Studies, 42, pages 146-165.

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LABERGE, Hélène, “Le temps de l‛eau” (1999) L‛Agora, numéro spécial, vol. 6, no 2, pages 21 à 23.

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TOUSCOZ, Jean, “La souveraineté économique, la justice internationale et le bien économique” (1991) Humanité et droit international, Pedone, Paris.

VAILLANCOURT, Jean-Guy et Bernard Perron, “L‛élargissement de la question écologique au Québec” (1998) Possibles, vol. 22, nos 3-4, pages 203-217.

“L‛eau, le sang de la terre” (1999) L‛Agora, (numéro spécial) vol. 6, no 2, 40 pages.

“Le monde de la soif” (1999) Courrier UNESCO, février.

“Eau douce : à quel prix?“ (1999) Courrier UNESCO, février

“Valence : 10 siècles d‛eaux tranquilles” (1999) Courrier UNESCO, février.

4. PRESSE

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BELLAVANCE, Yves, “Que craint la Commission sur la gestion de l‛eau?” (1999) Le Devoir, 12 mars.

BESSET, Jean-Paul, “Le colloque de Marrakech a tiré la sonnette d‛alarme” (1997), Le Monde, 23 mars.

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BISSON, Bruno, “Québec devra exporter une partie de son eau selon Pierre-Marc Johnson” (1997) La Presse, 12 décembre.

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“Deux débats publics sur l‛eau s‛amorcent simultanément à Montréal” (1999) La Presse, 16 mars.

“Plaidoyer contre l‛exportation d‛eau potable” (1999) La Presse, 19 mars.

CHAREST, Rémy, “La loi et l‛eau : aucun usage de l‛eau n‛a de priorité sur les autres dans la loi” (1997), Le Devoir, Dossier spécial, Cahier F, 6 et 7 décembre, page F-3.

CORBEIL, Michel, “Consultation en eaux troubles : la symposium sur la gestion de l‛eau n‛a rien pour calmer le débat qui commence à s‛imposer au Québec” (1997) Le Soleil, 9 septembre.

DANSEREAU, Pierre et Jean-Pierre Drapeau, “L‛eau, une ressource exportable? Il y a quelque chose d‛indécent à consommer autant d‛eau quand tant de gens sur la planète en sont privés” (1997) La Presse, 4 décembre.

DION, Jean, “Pas d‛eau exportée sans débat public exhaustif, assure Bouchard” (1997) Le Devoir, 21 avril, page A-3.

FRANCOEUR, Louis-Gilles, “Le BAPE prisonnier des règlements : Le Bureau d‛audiences publiques sur l‛environnement ne peut fournir aux citoyens son rapport d‛enquête sur la gestion des eaux du lac Noir” (1997), Le Devoir, 25 août.

“Gestion des eaux municipales : inutile de privatiser, l‛étude gouvernementale conclut que la gestion des villes est très performante” (1997), Le Devoir, 30 et 31 août, page A-5.

“Les projets d‛exportation d‛eau douce laissent Québec plutôt froid” (1997) Le Devoir, 30 août, page A-1.

“Le Conseil mondial de l‛eau voit le jour : en son sein les ONG et les gouvernements tenteront de se donner une vision commune” (1997) Le Devoir, 4 septembre, page A-3.

“Les projets d‛exportation d‛eau douce laissent Québec perplexe : le groupe Coutu ne jette pas l‛éponge, “on peut difficilement affirmer maintenant que l‛exportation d‛eau en vrac n‛est pas rentable”” (1997) Le Devoir, 5 septembre, page A-1.

“Escalade vers la guerre de l‛eau : la propension des pays à considérer l‛eau comme une ressource qui leur appartient est génératrice de conflits, constate Élizabeth Dowdeswell, directrice du Programme des Nations Unies en environnement” (1997) Le Devoir, 6 et 7 septembre.

“Vers une guerre Québec-Ottawa sur l‛eau potable” (1997) Le Devoir, 5 novembre.

“Eau Secours réclame un vaste débat sur l‛eau : la nouvelle coalition s‛inquiète du “flou politique” entourant le dossier de l‛eau” (1997) Le Devoir, 7 novembre.

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“Visions de l‛eau” (1997), Le Devoir, Dossier spécial, Cahier F, 6 et 7 décembre, page F-1.

“Québec n‛a aucune idée précise de l‛ampleur de la pollution industrielle : seules les papetières et les pétrolières fournissent au MEF, sur une base volontaire, des chiffres sur leurs rejets toxiques” (1997), Le Devoir, 10 décembre.

“Au delà du marketing des eaux : les participants cherchent à dépasser l‛approche utilitariste” (1997), Le Devoir, 12 décembre.

“Québec restreint l‛accès gratuit à plusieurs lacs” (1998), Le Devoir, 3 février.

“La future loi fédérale de l‛Environnement : vers une Charte des droits environnementaux?” (1998), Le Devoir, 13 mars.

“Hydro-Québec n‛a rien démontré : la rentabilité des exportations reste à établir, conclut le comité consultatif en environnement et collectivités de la société d‛État” (1998), Le Devoir, 22 avril, page A-1.

“La classification des rivières suscite de l‛opposition : plusieurs craignent une réduction des règles de protection” (1998), Le Devoir, 10 mai.

“Le BAPE mènera la consultation sur la politique de l‛eau : une victoire importante pour le ministre de l‛Environnement” (1998), Le Devoir, 18 septembre.

“Nouveau risque de conflit avec le Québec : la CMI a reçu le mandat de créer des “conseils hydrographiques internationaux”” (1998), Le Devoir, 25 novembre.

“Des audiences au sujet des petites centrales” (1998) Le Devoir, 21 octobre.

“Moratoire réclamé sur les exportations d‛eau” (1998) Le Devoir, 12 et 13 décembre, page A-2.

“L‛eau sale, l‛eau claire” (1999) Le Devoir, 20 janvier.

“André Beauchamp présidera la consultation nationale sur l‛eau” (1999) Le Devoir, 22 janvier.

“Deux groupes proposent un moratoire sur tout projet” (1999) Le Devoir, 23 et 24 janvier.

“Gestion de l‛eau : pas de moratoire pendant les audiences” ” (1999) Le Devoir, 27 janvier.

“Bégin est accusé d‛ignorer une promesse du premier ministre : l‛absence de moratoire n‛est pas de nature à augmenter la confiance du public, estime le Centre québécois du droit de l‛environnement” (1999) Le Devoir, 28 janvier.

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“Ottawa annonce une loi pour protéger les eaux souterraines et de surface : d‛ici là le fédéral enjoint aux provinces de suspendre par moratoire l‛émission de permis de prélèvement d‛eau à grande échelle” (1999) Le Devoir, 11 février.

“Le MEF est “inondé” de projets d‛exploitation des nappes souterraines” (1999) Le Devoir,17 mars.

“La commission sur l‛eau ne compte pas intervenir” (1999) Le Devoir, 18 mars.

“Québec songe à exporter son eau, malgré l‛avis de toutes les autres provinces” (1999) Le Devoir, 19 mars, page A-2.

GAGNÉ, Stéphane, “Gestion privée ou publique? À la veille d‛un symposium sur la gestion de l‛eau où en est-on dans le dossier des infrastructures urbaines?” (1997), Le Devoir, Dossier spécial, Cahier F, 6 et 7 décembre, page F-6.

“Les eaux souterraines, une ressource convoitée” (1997), Le Devoir, Dossier spécial, Cahier F, 6 et 7 décembre, page F-6.

GAGNON, Katia, “Un frein à l‛économie du Québec : le président d‛Hydro-Québec fustige les processus d‛évaluation environnementale” (1998) La Presse, 27 février.

GINGRAS, Stéphane, “L‛environnementalisme n‛a aucun effet négatif” (1997) La Presse, 15 septembre.

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“Projet d‛exportation d‛eau ensachée vers le Moyen-Orient” (1997) Le Devoir, 28 août.

LEWIS, Paul, “UN report warms of problems over dwindling water supplies” (1997) New York Times,20 janvier.

MCKAY, Scott, “Gestion de l‛eau : une situation irrationnelle” (1997) La Presse, 18 novembre.

NUOVO, Franco, “Plouf! L‛eau appartient à la population. Dirigeants et hommes d‛affaires ne devraient pas l‛oublier” (1997) Le Journal de Québec, 10 décembre, page 7.

O‛NEILL, Pierre, “L‛Environnement et la qualité de l‛eau figurent au premier rang des préoccupations des Québécois” (1997) Le Devoir, 10 décembre.

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“La question de l‛eau déroute les Québécois : en même temps qu‛ils confieraient la gestion de l‛eau au secteur privé, ils créeraient une société d‛État chargée de… la gestion de l‛eau” (1997) Le Devoir, 12 décembre.

PAQUIN, Gilles, “Environnement : le monde veut des lois “avec des dents” : un sondage international réalisé dans 30 pays révèle que les populations ne font pas confiance aux entreprises en ce domaine” (1998), La Presse, 5 juin.

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PELCHAT, Martin, “Paul Bégin invite les Québécois à mettre leur grain de sel dans l‛eau” (1999) La Presse, 27 janvier.

PERRON, Caroline, Gabrielle Pelletier, Robert Mercier, François Patenaude, Stéphane Gingras et Yves Corriveau, “Il ne faut pas enfermer le débat sur l‛eau… dans une bouteille” (1998) Le Devoir, 15 janvier, page A-7.

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PICHER, Claude, “Mahmoud Abou-Zeïd et l‛eau miraculeuse” (1997) La Presse, 4 septembre, page A-17.

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CAPONERA, Dante A., “Les eaux partagées et le droit international” (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

EL FADL, Philippe, “Les conventions internationales sur l‛eau”, (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

FAUVEL-SIMIER, Raphaëlle, “L‛eau et la géostratégie mondiale à l‛aube du XXIe siècle” (1998) Centre d‛analyse sur la sécurité européenne, 5 février, 12 pages.

HUBERT, P., H. Bendjuodi et P. Givone, “Objets juridiques, objets hydrologiques et gestion des eaux” (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

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LACROIX, Georges, “Contribution de l‛Institut méditerranéen de l‛eau” (1998) Congrès de Kaslik,Liban, 4 pages.

LANG, Hubert, “La Déclaration de Petersberg” (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

LETTERA, Francesco, “Droit, éducation et culture de l‛eau : l‛environnement hydraulique européen” (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

MAJZOUB, Tarek, “L‛Éthiopie, le Nil et le droit international public” (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

MAYOR, Federico (UNESCO), “Vers une nouvelle éthique de l‛eau” (1997) Premier forum mondial de l‛eau, Marrakech, 22 mars.

“Pour assurer l‛avenir, réformer la gestion de l‛eau” (1997) Premier forum mondial de l‛eau,Marrakech, mars.

PLANTEY, J. et Marie Comiti, “La Provence, un cas d‛illustration de la pratique conjointe des droits traditionnels et d‛un système juridique moderne, liés aux différentes étapes de la mise en valeur de la ressource en eau” (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

ROWLEY, Gwyn, “The tragedy of the common waters : Towards the deepening crisis within the Jordan Basin” (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

SIRONNEAU, Jacques, “Le droit international de l‛eau existe-t-il ? Évolution et perspective pour la résolution des conflits d‛usages” (1998) Congrès international de Kaslik, Liban.

STEPHAN, Raya M., “le droit international peut-il aider à résoudre le cas du bassin du Jourdain ?” (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

TCHEKO, Amadou, “Le régime juridique du bassin du Niger” (1998) Congrès de Kaslik, Liban.

WOLF, Aaron T. and Jesse H. Hamner, “Trends in Transboundary water - disputes and dispute resolution” (1998), Congrès de Kaslik, Liban, 3 pages.

WULF, André, “Le droit des cours d‛eau internationaux, un droit émergent” (1998), Congrès de Kaslik, Liban.