DR FR71 L'illusion du négatif

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Deleuze DR FR71 L'illusion du négatif

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  • 5/28/2018 DR FR71 L'illusion du ngatif

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    La diffrence, l'affirmation et la ngation, 71 .L'illusion du ngatif, 74 .L'limination du ngatif et l'ternel retour, 77

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    La diffrence, l'affirmation et la ngation, 71

    La diffrencea son exprience cruciale:chaque fois que nous nous trouvons

    devant ou dans une limitation,devant ou dans une opposition,nous devons demander ce qu'une telle situation suppose.

    Elle suppose un fourmillement de diffrences,un pluralisme des diffrences libres,sauvages ou non domptes,un espaceet un temps

    proprement diffrentiels, originels,qui persistent travers les simplificationsde la limite ou de l'opposition.

    Pour que des oppositionsde forcesou des limitationsde formesse dessinent,il faut d'abord un lment rel

    plus profondqui se dfinitet se dterminecomme une multiplicitinformelleet potentielle.

    Les oppositionssont grossirement taillesdans un milieu fin de perspectives chevauchantes,de distances, de divergences et de disparits communicantes,de potentielset d'intensits htrognes;

    et il ne s'agit pas d'abord de rsoudre des tensionsdans l'identique,

    mais de distribuer des disparatesdans une multiplicit.

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    Les limitationscorrespondent une simple puissancede la premire dimension

    dans un espace

    une seule dimensionet une seule direction,

    comme dans l'exemple de Leibnizinvoquant des bateaux emports par le courant,il peut y avoir des chocs,

    mais ces chocsont ncessairement valeur de limitationet d'galisation,non pas de neutralisation ni d'opposition.

    Quant l'opposition,elle reprsente son tourla puissancede la seconde dimension,comme un talement des chosesdans un espaceplan,

    comme une polarisation rduite un seul plan ;et la synthseelle-Mmese fait seulement dans une fausse profondeur,c'est- dire

    dans une troisime dimensionfictivequi s'ajoute aux autreset se contente de ddoubler le plan.

    Ce qui nous chappe de toute faon,c'est la profondeuroriginelle,intensive,qui est la matrice de l'espacetout entier et la premire affirmationde la diffrence;

    en elle vit et bouillonne

    l'tat de libres diffrencesce qui n'apparatra qu'ensuitecomme limitationlinaireet oppositionplane.

    Partout les couples,les polarits supposentdes faisceauxet des rseaux ;

    les oppositionsorganises,

    des rayonnements en toutes directions.

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    Les images stroscopiquesne forment une oppositionque plane et plate ;

    elles renvoient tout autrement

    un tagement de plans coexistants mobiles, une disparation dans la profondeuroriginelle.

    Partout la profondeurde la diffrenceest premire;

    et il ne sert de rien de retrouverla profondeurcomme troisime dimension,

    si on ne l'a pas mise au dbutcomme enveloppant les deux autres,

    et s'enveloppant elle-Mmecomme troisime.

    L'espaceet le tempsne manifestent des oppositions(et des limitations)qu' la surface,mais supposent dans leur profondeurrelledes diffrences autrement volumineuses,affirmes et distribues,qui ne se laissent pas rduire la platitude du ngatif.

    Comme dans le miroir de Lewis Carrollo tout est contraire et inverse la surface,mais diffrent en paisseur.

    Nous verrons qu'il en est ainsi de tout espace,gomtrique, physique, biopsychique, social et linguistique(combien peu certaine cet gard apparat la dclarationde principede Troubetzko :

    l'idede diffrencesuppose l'ided'opposition... ).

    Il y a une fausse profondeurdu combat,mais, sous le combat,l'espacede jeu des diffrences.

    Le ngatifest l'imagede la diffrence,mais son imageaplatie et renverse,comme la bougie dans l'oeil du boeuf

    l'oeil du dialecticienrvant d'un vain combat ?

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    En ce sens encore,Leibnizva plus loin,c'est--dire plus profondque Hegel,lorsqu'il distribue dans le fondles points remarquables

    et les lments diffrentielsd'une multiplicit,et lorsqu'il dcouvre un jeu

    dans la cration du monde :

    on dirait donc que la premire dimension,celle de la limite,malgr toute son imperfection,reste plus proche de la profondeuroriginelle.

    Le seul tort de Leibniz

    ne serait-il pas d'avoir li la diffrenceau ngatifde limitation,

    parce qu'il maintenaitla domination du vieux principe,

    parce qu'il liait les sries une conditionde convergence,

    sans voir que la divergenceelle-Mmetait objetd'affirmation,

    ou que les incompossibilitsappartenaient un Mmemondeet s'affirmaient,comme le plus grand crimeet la plus grande vertu,d'un seul et Mmemondede l'ternel retour?

    Ce n'est pas la diffrencequi suppose l'opposition,

    mais l'oppositionqui suppose la diffrence;

    et loin de la rsoudre,c'est--dire de la conduire jusqu' un fondement,l'oppositiontrahit et dnature la diffrence.

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    Nous disons non seulementQue la diffrenceen soin'est pas dj contradiction,mais qu'elle ne se laisse pas rduire et mener la contradiction,

    parce que celle-ciest moins profonde,et non pas plus profonde qu'elle.

    Car quelle conditionla diffrenceest-elle ainsi mene,

    projete dans un espaceplan ?

    Prcisment quand on l'a mise de forcedans une identitpralable,quand on l'a mise sur cette pente de l'identique

    qui la porte ncessairemento l'identitveut,et la fait se rflchiro veut l'identit,c'est--dire dans le ngatif1.

    On a souvent remarquce qui se passe au dbut de la Phnomnologie,le coup de pouce de la dialectiquehglienne:

    l'iciet le maintenantsont poss comme des identits vides,des universalits abstraitesqui prtendent entraner la diffrenceavec elles,

    mais justement la diffrencene suit pas du tout,et reste accroche

    dans la profondeur

    de son espacepropre,

    dans l'ici-maintenantd'une ralit diffrentielle

    1Louis ALTHUSSER dnonce dans la philosophie de Hegella toute-puissance de l'identit, c'est--dire la simplicit d'un principeinterne : La simplicit de la contradiction hglienne n'est en effet possible que par la simplicit du principe interne qui constituel'essence de toute priode historique. C'est parce qu'il est en droit possible de rduire la totalit, l'infinie diversit d'une socit historiquedonne... un principe interne simple, que cette Mmesimplicit, acquise ainsi de droit la contradiction, peut s'y rflchir. C'estpourquoi il reproche au cercle hglien de n'avoir qu'un seul centre, o toutes les figures se rflchissent et se conservent. L. A . opposeHegelun principe de la contradiction multiple ou surdtermine, qu'il croit trouver chez Marx : Les diffrences qui constituentchacune des instances en jeu..., si elles se fondent dans une unit relle, ne se dissipent pas comme un pur phnomnedans l'unitintrieure d'une contradiction simple. (Reste que, selon L. A . , c'est encore la contradiction qui se trouve surdtermine etdiffrentielle, et c'est l'ensemble de ses diffrencesqui se fondent lgitimement dans une contradiction principale.)Cf. Pour Marx,Contradiction et surdtermination (Maspro, 1965 ).pp. 100 - 103.

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    toujours faite de singularits.

    Il arrivait des penseurs, dit-on,d'expliquer que le mouvement tait impossible,et cela n'empchait pas le mouvement de se faire.

    Avec Hegel, c'est le contraire :il fait le mouvement,et Mmele mouvement de l'infini,

    mais comme il le faitavec des motset des reprsentations,c'est un faux mouvement,et rien ne suit.

    Il en est ainsi chaque foisqu'il y a mdiation, ou reprsentation .

    Le reprsentant dit :Tout le monde reconnat que... ,mais il y a toujours une singularitnon reprsentequi ne reconnat pas,

    parce que prcismentelle n'est pas

    tout le mondeou l'universel.

    Tout le monde reconnat l'universel,

    puisqu'il est lui-Mmel'universel,

    mais le singulierne le reconnat pas,c'est--dire la profonde conscience sensiblequi est pourtant cense en faire les frais.

    Le malheur de parlern'est pas de parler,mais de parler pour les autres,ou de reprsenter quelque chose.

    La conscience sensible(c'est--dire le quelque chose,la diffrenceou T X XXtx) s'obstine.

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    On peut toujours mdiatiser,passer dans l'antithse,combiner la synthse,mais la thse ne suit pas,subsiste dans son immdiatet,

    dans sa diffrencequi fait en soi le vrai mouvement.

    La diffrenceest le vrai contenu de la thse,l'enttement de la thse.

    Le ngatif, la ngativit,ne capture Mmepas le phnomnede la diffrence,mais en reoit seulementle fantme ou l'piphnomne,

    et toute la Phnomnologieest une piphnomnologie.

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    L'illusion du ngatif, 74 .

    Ce que la philosophie de la diffrencerefuse :omnis determinatio negatio...

    On refuse l'alternative gnralede la reprsentationinfinie :

    ou bien l'indtermin, l'indiffrent, l'indiffrenci,

    ou bien une diffrencedj dtermine comme ngation,impliquant et enveloppant le ngatif

    (par l Mmeon refuse aussil'alternative particulire :

    ngatifde limitationou ngatifd'opposition).

    Dans son essence,la diffrenceest objetd'affirmation,affirmationelle-Mme.

    Dans son essence,l'affirmationest elle Mmediffrence.

    Mais ici, la philosophie de la diffrencene risque-t-elle pas d'apparatrecomme une nouvelle ligure de la belle me?

    C'est la belle meen effetqui voit partout des diffrences,qui en appelle des diffrences respectables,

    conciliables,fdrables,

    l o l'histoire continue se faire coup de contradictions sanglantes.

    La belle mese comporte comme un juge de paix

    jet sur un champ de bataille,qui verrait de simples diffrends ,

    peut-tre des malentendus,dans les luttes inexpiables.

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    Pourtant, inversement,pour renvoyer le gotdes diffrences pures la belle me,

    et souder le sort des diffrences relles

    celui du ngatifet de la contradiction,

    il ne suffit pas de se durcir bon compte,et d'invoquer les complmentarits bien connuesde l'affirmationet de la ngation,de la vie et de la mort,de la cration et de la destruction

    comme si elles suffisaient fonderune dialectiquede la ngativit.

    Car de telles complmentarits

    ne nous font rien connatre encoredu rapport d'un terme avec l'autre

    (l'affirmationdterminersultet-ellc d'une diffrencedj ngativeet ngatrice,

    ou bien le ngatifrsulte-t-il d'une affirmationdj diffrentielle ?).

    Trs gnralementnous disons qu'il y a deux manires d'en appeleraux destructions ncessaires :

    celle du pote,qui parle au nom d'une puissancecratrice,apte renverser tous les ordreset toutes les reprsentations

    pour afiirmer la Diffrencedans l'tat de rvolution permanentede l'ternel retour;

    et celle du politique,qui se soucie d'abord de nier ce qui diffre,

    pour conserver, prolonger un ordre tabli dans l'histoire,ou pour tablir un ordre historiquequi sollicite dj dans le monde les formesde sa reprsentation.

    Il se peut que les deux concident,dans un moment particulirement agit,mais ils ne sont jamais le Mme.

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    Nul moins que Nietzschene peut passer pour une belle me.

    Son meest extrmement belle,mais non pas au sens de belle me;

    nul plus que lui n'a le sens de la cruaut,le got de la destruction.

    Mais prcisment,dans toute son oeuvre,il ne cesse d'opposer deux conceptionsdu rapport affirmation-ngation.

    Dans un cas,la ngation

    est bien le moteur et la puissance.

    L'affirmationen rsultedisons comme un ersatz.

    Et peut-tren'est-ce pas trop de deux ngations

    pour faire un fantme d'affirmation,un ersatz d'affirmation.

    Mais comment l'affirmationrsulterait-elle de la ngationsi elle ne conservait pas ce qui est ni ?Aussi bien Nietzschesignale-t-il le conservatismeeffrayant d'une telle conception.

    L'affirmationest bien produite,mais pour dire oui tout ce qui est ngatifet ngateur, tout ce qui peul tre ni.

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    Ainsi l'Ane de Zarathoustra dit oui ;Mais pour lui, affirmer,c'est porter,assumer,se charger.

    Il porte tout :les fardeaux dont on le charge(les valeurs divines),ceux dont il se charge lui-Mme(les valeurs humaines),et le poids de ses muscles fatigusquand il n'a plus rien porter(l'absence de valeurs)2.

    Il y a un got terrible

    de la responsabilit chez cet neou ce boeuf dialecticien,et un arrire-got moral,comme si l'on ne pouvait affirmerqu' forced'expier,comme s'il fallait

    passer par les malheursde la scissionet du dchirement

    pour arriver lire oui .

    Comme si la Diffrencetait le malet dj le ngatif,qui ne pouvait produire l'affirmationqu'en expiant,c'est--direen se chargeant la fois du poids du ni

    et, de la ngationMme.

    Toujours la vieille maldictionqui retentit du haut du principed'identit:

    seule sera sauve,non pas ce qui est simplement reprsent,mais la reprsentationinfinie(le concept)qui conserve tout le ngatif

    pour rendre enfin la diffrence l'identique.

    21. NIETZSCHE ne cesse de dnoncer l'assimilation de affirmer avec porter {cf. Par-del le bien el le mal, 213 : Penser, etprendre une chose au srieux, en assumer le poids, c'est tout un pour eux, ils n'en ont pas d'autre exprience. ) C'est que porter impliqueune fausse activit, une fausse affirmation qui se charge seulement des produits du nihilisme. Ainsi Nietzsche dfinit Kant et Hegelcomme des ouvriers de la philosophie , qui amassent "et conservent une masse norme de jugements de valeur tablis, mme s 'ils'agit pour eux de triompher du pass ; en ce sens, ils sont encore esclaves du ngatif( 211 ) .

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    De tous les sens de Aufheben,il n'y en a pas de plus importantque celui de soulever.

    Il y a bien un cercle de la dialectique,mais ce cercle infinin'a partout qu'un seul centrequi retient en lui tous les autres cercles,tous les autres centres momentans.

    Les reprises ou les rptitions de la dialectiqueexpriment seulement la conservation du tout,toutes les figureset tous les moments,dans une Mmoire gigantesque.

    La reprsentationinfinieest mmoire qui conserve.

    La rptitionn'y est plus qu'un conservatoire,une puissancede la mmoire elle-Mme.

    II y a bien une slection circulaire dialectique,Mais toujours l'avantage

    de ce qui se conserve dans la reprsentationinfinie,c'est--direde ce qui porte et de ce qui est port.

    La slection fonctionne rebours,et limine impitoyablementce qui rendrait le cercle tortueux,ou qui briserait la transparence du souvenir.

    Telles les ombres de la caverne,le porteur et le port

    entrent sans cesseet sortent pour rentrer,dans la reprsentationinfinie

    et voil qu'ils prtendent avoir pris sur euxla puissanceproprement dialectique.

    Mais d'aprs l'autre conception,l'affirmationest premire :

    elle affirme la diffrence,

    la distance.

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    La diffrenceest la lgre,l'arienne, l'affirmative.

    Affirmer n'est pas porter,

    mais tout le contraire :dcharger, allger.

    Ce n'est plus le ngatifqui produit,un fantme d'affirmation,comme un ersatz.

    C'est le Non qui rsulte de l'affirmation:il est son tour l'ombre,mais pluttau sens de consquence,

    on dirait de nachfolge.

    Le ngatif,c'est l'piphnomne.

    La ngation,telle dans une mare,est l'effet d'une affirmationtrop forte,trop diffrente.

    Et peut-trefaut-il deux affirmations

    pour produire l'ombre de la ngationcomme nachfolge;

    et peut-tre y a-t-il deux moments,qui sont la Diffrencecomme minuit et midi,o l'ombre Mmedisparat.

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    C'est en ce sens que Nietzscheopposele Oui el le Non de l'Ane,et le Oui el le Non de Dionysos-Zarathoustra

    le point de vue de l'esclave

    qui lire du non le fantme d'une affirmation,

    et le point de vue du matre qui tire du Oui une consquence de ngation,de destruction

    le point de vue des conservateursdos valeurs anciennes,et celui des crateurs de nouvelles valeurs3.

    31. l'au-del du bien el le mal, S 211. Sur le non du maitre, qui est consquence, par oppositionau non de l'esclave, qui estprincipe, cf. Gnalogie de la morale, I, 10.

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    L'limination du ngatif et l'ternel retour, 77

    Ceux que Nietzscheappelle les matressont coup sr

    dos hommes de puissance,mais non pasles hommes du pouvoir,

    puisque le pouvoirse juge l'attribution des valeurs en cours;

    il ne suffit pas l'esclavede prendre le pouvoir pour cesser d'tre esclave,

    c'est Mmela loi du cours

    ou de la surface du monded'tre men par les esclaves.

    La distinctiondes valeurs tablieset de la crationne doit pas davantage se comprendreau sens d'un relativisme historique,comme si les valeurs tabliesavaient t nouvelles leur poque,

    et les nouvellesdevaient s'tablir leur heure.

    Au contraire,il y a une diffrencede nature,

    comme entre l'ordre conservateurde la reprsentation,

    et un dsordre crateur,un chaos gnial,qui ne peut jamais que concider avec un moment de l'histoiresans se confondre avec lui.

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    La diffrencede nature la plus profondeest entre les formes moyenneset les formes extrmes (valeurs nouvelles) :

    on n'atteint pas l'extrme

    en portant l'infiniles formes moyennes,

    en se servant de leur oppositiondans le fini

    pour affirmer leur identitdans l'infini.

    Dans la reprsentationinfinie,la pseudo-affirmationne nous fait pas sortir des formes moyennes.

    Aussi bien Nietzschereproche-t-il tous les procds de slectionfonds sur l'oppositionou le combat,de tourner l'avantage de la moyenneet de jouer au bnfice du grand nombre .

    Il appartient l'ternel retourd'oprer la vraie slection,

    parce qu'il limine au contraireles formes moyenneset dgage la forme suprieurede tout ce qui est .

    L'extrme n'est pas l'identitdes contraires,mais bien pluttl'univocit du diffrent;

    la forme suprieuren'est pas la forme infinie,

    mais bien pluttl'ternel informelde l'ternel retourlui-Mme travers les mtamorphoseset les transformations.

    L'ternel retour fait la diffrence,parce qu'il cre la forme suprieure.

    L'ternel retourse sert de la ngationcomme nachfolge,

    et invente une nouvelle formule de la ngationde la ngation:est ni, doit tre ni tout ce qui peut tre ni.

  • 5/28/2018 DR FR71 L'illusion du ngatif

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    Le gnie de l'ternel retourn'est pas dans la mmoire,mais dans le gaspillage,dans l'oubli devenu actif.

    Tout ce qui est ngatifet tout ce qui nie,toutes ces affirmations moyennesqui portent le ngatif,tous ces ples Oui mal venusqui sortent du non,tout ce qui ne supporte pas l'preuve de l'ternel retour,tout cela doit tre ni.

    Si l'ternel retourest une roue,encore faut-il doter celle-ci

    d'un mouvement centrifuge violent,qui expulse tout ce qui peut tre ni,ce qui ne supporte pas l'preuve.

    Nietzschen'annonce qu'une punition lgre ceux qui ne croiront pas l'ternel retour:

    ils ne sentiront, et n'auront qu'une vie fugitive!Ils se sentiront,ils se sauront pour ce qu'ils sont

    des piphnomnes ;tel sera leur Savoir absolu.

    Ainsi la ngationcomme consquencersulte de la pleine affirmation,consume tout ce qui est ngatif,et se consume elle-Mmeau centre mobile de l'ternel retour.

    Car si l'ternel retourest un cercle,c'est la Diffrencequi est au centre,

    et le Mmeseulement au pourtour

    cercle chaque instant dcentr,constamment tortueux,qui ne tourne qu'autourde l'ingal.

    La ngation,c'est la diffrence,mais la diffrencevue du petit ct,vue d'en bas.

  • 5/28/2018 DR FR71 L'illusion du ngatif

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    Redresse au contraire,de haut en bas,la diffrence, c'est l'affirmation.

    Mais cette proposition

    a beaucoup de sens ;

    que la diffrenceest objetd'affirmation;que l'affirmationMmeest multiple ;qu'elle est cration,mais aussi qu'elle doit tre cre,comme affirmant la diffrence,comme tant diffrenceen elle-Mme.

    Ce n'est pas le ngatifqui est le moteur.

    Bien pluttil y a des lments diffrentiels positifs,qui dterminent la foisla gense de l'affirmationet de la diffrenceaffirme.

    Qu'il y ait une gense de l'affirmationcomme telle,c'est ce qui nous chappe chaque foisque nous laissons l'affirmation

    dans l'indtermin,ou que nous mettons la dterminationdans le ngatif.

    La ngationrsulte de l'affirmation:cela veut dire que la ngationsurgit la suite de l'affirmation,ou ct d'elle,mais seulement comme l'ombrede l'lment gntique plus profond

    de cette puissanceou de cette volont qui engendre l'affirmationet la diffrencedans l'affirmation.

    Ceux qui portent le ngatifne savent pas ce qu'ils font :ils prennent l'ombre

    pour la ralit,ils nourrissent les fantmes,ils coupent la consquence des prmisses,ils donnent l'piphnomne

    la valeurdu phnomneet de l'essence.

  • 5/28/2018 DR FR71 L'illusion du ngatif

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    La reprsentationlaisse chapperle monde affirm de la diffrence.

    La reprsentation

    n'a qu'un seul centre,une perspective unique et fuyante,

    par l Mmeune fausse profondeur;

    elle mdiatise tout,mais ne mobilise et ne meut rien.

    Le mouvementpour son compteimplique une pluralit de centres,

    une superposition de perspectives,un enchevtrement de points de vue,une coexistence de momentsqui dforment essentiellement la reprsentation:

    dj un tableau ou une sculpturesont de tels dformateursqui nous forcent faire le mouvement,c'est--dire combiner une vue rasante

    et une vue plongeante,ou monter et descendredans l'espace mesure qu'on avance.

  • 5/28/2018 DR FR71 L'illusion du ngatif

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    Suffit-il de multiplier les reprsentationspour obtenir un tel effet ?

    La reprsentationinfiniecomprend prcisment

    une infinit de reprsentations,

    soit qu'elle assure la convergencede tous les points de vuesur un Mmeobjetou un Mmemonde,

    soit qu'elle fasse de tous les momentsles proprits d'un MmeMoi.

    Mais elle garde ainsi

    un centre uniquequi recueille et reprsente tous les autres,comme une unit de sriequi ordonne,qui organise une fois pour toutesles termeset leurs rapports.

    C'est que la reprsentationinfinien'est pas sparable d'une loiqui la rend possible :

    la forme du conceptcomme forme d'identit,

    qui constitue tantt l'en-soi du reprsent(A est A),tantt le pour-soi du reprsentant(Moi = Moi).

    Le prfixe RE- dans le mot reprsentationsignifie cette forme conceptuelle de l'identique

    qui se subordonne les diffrences.

    Ce n'est donc pasen multipliant les reprsentationset les points de vue,qu'on atteint l'immdiatdfini comme sub-reprsentatif .

    Au contraire,c'est dj chaque reprsentationcomposantequi doit tre dforme,

    dvie,arrache son centre.

  • 5/28/2018 DR FR71 L'illusion du ngatif

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    Il faut que chaque point de vuesoit lui-Mmela chose,ou que la choseappartienne au point de vue.

    Il faut donc que la chosene soit rien d'identique,mais soit cartele dans une diffrence

    o s'vanouit l'identitde l'objetvu comme du sujetvoyant.

    Il faut que la diffrencedevienne l'lment,l'ultime unit,qu'elle renvoie donc d'autres diffrences

    qui jamais ne l'identifient,mais la diffrencient.

    Il faut que chaque terme d'une srie,tant dj diffrence,soit mis dans un rapport variable avec d'autres termes,et constitue par l d'autres sriesdnues de centreet de convergence.

    Il faut, dans la srieMme,affirmer la divergenceet le dcentrement.

    Chaque chose,chaque tredoit voir sa propre identitengloutie dans la diffrence,chacun n'tant plus qu'unediffrenceentre des diffrences.

    Il faut montrer la diffrenceallant diffrant.

    On sait que l'oeuvre d'art modernetend raliser ces conditions :

    elle devient en ce sens un vritable thtre,fait de mtamorphoseset de permutations.

    Thtre sans rien de fixe,

    ou labyrinthe sans fil (Ariane s'est pendue).

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    L'oeuvre d'art quitte le domaine de la reprsentationpour devenir exprience ,empirismetranscendantalou science du sensible.

    Il est trange qu'on ait pu fonder l'esthtique(comme science du sensible)sur ce qui peut tre reprsent dans le sensible.

    Ne vaut pas mieux,il est vrai,la dmarche inverse qui soustrait de la reprsentationle pur sensible,et tente de le dterminercomme ce qui reste une fois la reprsentationtc(par exemple un flux contradictoire,une rhapsodie de sensations).

    En vritl'empirismedevient transcendantal,et l'esthtique, une discipline apodictique,quand nous apprhendons directement dans le sensiblece qui ne peut tre que senti,l'tre Mmedu sensible:

    la diffrence,la diffrencede potentiel,

    la diffrenced'intensitcomme raisondu divers qualitatif.

    C'est dans la diffrenceque le phnomnefulgure,s'explique comme signe,et que le mouvement se produitcomme effet .

    Le monde intense des diffrences,o les qualits

    trouvent leur raisonet le sensible,son tre,est prcisment l'objetd'un empirismesuprieur.

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    Cet empirismeNous apprend une trange raison,le multiple et le chaos de la diffrence(les distributions nomades,les anarchies couronnes).

    Ce sont toujoursles diffrences qui se ressemblent,qui sont analogues,opposes ou identiques:

    la diffrenceest derrire toute chose,mais derrire la diffrenceil n'y a rien.

    Il appartient chaque diffrence

    de passer travers toutes les autres,et de se vouloir ou de se retrouver elle-Mme travers toutes les autres.

    C'est pourquoil'ternel retourne surgit pas en second,ou ne vient pas aprs,mais est dj prsent dans toute mtamorphose,contemporain de ce qu'il fait revenir.

    L'ternel retourJoyce prsentait le vicus of recirculationcomme faisant tourner un chaosmos ;

    et Nietzschedj disait que le chaos et l'ternel retourn'taient pas deux choses distinctes,

    se rapporte un monde de diffrencesimpliques les unes dans les autres,

    un monde compliqu,sans identit,proprement chaotique.mais une seule et Mmeaffirmation.

    Le monde n'est ni fini ni infini,comme dans la reprsentation:il est achev et illimit.

    L'ternel retourest l'illimit de l'achev lui-Mme,

    l'tre univoquequi su dit de la diffrence.

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    Dans l'ternel retour,la chao-errances'oppose la cohrence de la reprsentation;

    elle exclut la cohrenced'un sujetqui se reprsentecomme d'un objetreprsent.

    La rptitions'oppose la reprsentation,

    le prfixe a chang de sens,

    car dans un casla diffrencese dit seulement

    par rapport l'identique,

    mais dans l'autre casc'est l'univoquequi se dit par rapport au diffrent.

    La rptition,

    c'est l'tre informelde toutes les diffrences,la puissanceinformelle du fondqui porte chaque chose cette forme extrmeo sa reprsentationse dfait.

    Le disparsest l'ultime lment de la rptition,qui s'oppose l'identitde la reprsentation.

    Aussi le cercle de l'ternel retour,celui de la diffrence

    et de la rptition(qui dfait celui de l'identiqueet du contradictoire),

    est-il un cercle tortueux,qui ne dit le Mmeque de ce qui diffre.

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    Le pote Bloodexprime la profession de foide l'empirismetranscendantalcomme vritable esthtique:

    La natureest contingente, excessive et mystique essentiellement...Les choses sont tranges...L'univers est sauvage...Le Mmene revientque pour apporter du diffrent.

    Le cercle lent du tour du graveurne gagne que de l'paisseur d'un cheveu.

    Mais la diffrence

    se distribue sur la courbe tout entire,jamais exactement adquate4.

    4Cit par Jean WALL, Les philosophies pluralistes d'Angleterre et d'Amrique (Alcan, 1920), p. 37.Toute l'oeuvre de Jean Wahl est

    une profonde mditation sur la diffrence; sur les possibilits de l'empirisme d'en exprimer la nature potique, libre et sauvage ; surl'irrductibilit de la diffrence au simple ngatif ; sur les rapports non hgliens de l'affirmation et de la ngation.

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    Il arrive qu'on assigne un changement philosophique considrableentre deux moments reprsents

    par le pr-Kantismeetle postKantisme.

    Le premier se dfinirait par le ngatifde limitation,l'autre,

    par le ngatifd'opposition.

    L'un, par l'identit analytique,l'autre, par l'identit synthtique.

    L'un, du point de vue de la substance infinie,l'autre, du point de vue du Moi fini.

    Dans la grande analyse Leibnizienne,c'est dj le Moi finiqui s'introduit dans le dveloppement de l'infini,

    mais

    dans la grande synthse hglienne,c'est l'infiniqui se rintroduit dans l'opration du Moi fini.

    On doutera pourtant de l'importancede pareils changements.

    Pour une philosophie de la diffrence,il importe peu

    que le ngatifsoit conucomme ngatifdelimitationou d'opposition,

    etl'identit,comme analytiqueou synthtique,

    du moment que la diffrenceest de toute faonrduite au ngatifet subordonne l'identique.

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    L'unicitet l'identit de la substance divinesont en vrit le seul garantdu Moiunet identique,et Dieu se conservetant qu'on garde le Moi.

    Moi fini synthtiqueou substance divine analytique,c'est la Mmechose.

    C'est pourquoi les permutationsHomme-Dieusont si dcevanteset ne nous font pas bouger d'un pas.

    Nietzschesemble bien

    tre le premier voir quela mort de Dieune devient effectivequ'avec la dissolution du Moi.

    Ce qui se rvle alors,c'est l'tre,qui se dit de diffrencesqui ne sontni dans la substance

    ni dans un sujet :autant d'affirmations souterraines.

    Si l'ternel retourest la plus haute pense,c'est -dire la plus intense,c'est parce que son extrme cohrence,au point le plus haut,exclut la cohrenced'un sujet pensant,

    d'un monde penscomme d'un Dieu garant5.

    5Dans deux articles qui renouvellent l'interprtation de Nietzsche, Pierre KLOSSOWSKI a dgag cet lment : Dieu est mort ne signifie pas que la divinit cesse en tant qu'une explicitation de l'existence, mais bien que le garant absolu de l'identit du moi responsabledisparat l'horizon de la conscience de Nietzsche, lequel, son tour, se confond avec cette disparition... Il ne reste plus ( la conscience)qu' dclarer que son identit mme est un cas maintenu arbitrairement comme ncessaire, quitte se prendre elle-mme pour cette roueuniverselle de la fortune, quitte embrasser s'il se peut la totalit des cas, le fortuit mme dans sa totalit ncessaire. Ce qui subsiste, c'estdonc l'tre, et le verbe tre, lequel ne s'applique jamais l'tre mme, mais au fortuit (Nietzsche, le polythisme et la parodie, dans Un sifuneste dsir, N.R.F., 1963, pp. 2 2 0 - 2 2 1 ) .i Est-ce dire que le sujet pensant perdrait son identit a partir d'une pense cohrentequi l'exclurait d'elle-mme 7... Quelle est ma part dans ce mouvement circulaire par rapport auquel je suis incohrent,par rapport cette pense si parfaitement cohrente qu'elle m'exclut a l'instant mme que je la pense ?... Comment porte-t-elle atteinte l'actualit du mol, de ce moi que pourtant elle exalte ? En librant les fluctuations qui le signifiaient en tant que moi de telle sorte que cen'est jamais que le rvolu qui retentit dans son prsent... Le Circulus viciosus drus n'est qu'une dnomination de ce signe qui prend ici une

    physionomie divine l'instar de Dionysos > (Oubli et anamnse dans l'exprience vcue de l'ternel retour du Mme, dans

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    Plutt qu' ce qui se passe avant et aprs Kant(et qui revient au Mme),nous devons nous intresser un moment prcis du Kantisme,moment furtif clatant

    qui ne se prolonge Mmepas chez Kant,qui se prolonge encore moins dans le postKantisme

    sauf peut-tre chez Hlderlin,dans l'exprience et l'ided'un dtournement catgorique .

    Car lorsque Kantmet en cause la thologie rationnelle,il introduit du Mmecoupune sorte de dsquilibre,de fissure ou de flure,

    une alination de droit,insurmontable en droit,dans le Moi purdu Je pense :

    lesujetne peut plus se reprsentersa propre spontanitque comme celle d'un Autre,

    et par linvoque en dernire instanceune mystrieuse cohrencequi exclut

    la sienne propre,celle dumondeet celle de Dieu .

    Cogitopour un moi dissous :

    le Moi du Je pense comporte dansson essenceune rceptivit d'intuition

    par rapport laquelle,dj, Je est un autre.

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    Peu importe que l'identit synthtique,puis la moralitde la raisonpratiquerestaurent l'intgritdu moi,du monde

    et de Dieu,et prparent les synthses postkantiennes;

    un court instantnous sommes entrs dans cette schizophrnie de droitqui caractrisela plus haute puissancede la pense,et qui ouvre directementl'tresur la diffrence,au mpris de toutes les mdiations,

    de toutes les rconciliations du concept.

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    1. NIETZSCHEne cesse de dnoncer l'assimilation de affirmer avec porter {cf. Par-del le bien el le mal, 213 : Penser, etprendre une chose au srieux, en assumer le poids, c'est tout un pour eux, ils n'en ont pas d'autre exprience. ) C'est que porter impliqueune fausse activit, une fausse affirmationqui se charge seulement des produits du nihilisme. Ainsi Nietzschedfinit Kantet Hegelcomme des ouvriers de la philosophie , qui amassent et conservent une masse norme de jugements de valeur tablis, Mmes'il s'agitpour eux de triompher du pass ; en ce sens, ils sont encore esclaves du ngatif( 211) .7fi DIFFRENCEET RPTITION

    1. Par-del le bien el le mal, 211. Sur le non du maitre, qui est consquence, par oppositionau non de l'esclave, qui estprincipe, cf. Gnalogie de la morale, I, 10.78 DIFFRENCEET RPTITION