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1 Delphine RAGOT La Place du Droit Communautaire dans le droit maritime français DESS de Droit Maritime et des Transports dirigé par Monsieur Christian Scapel Année 2002 - 2003 Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’Aix-Marseille Faculté de Droit et de Sciences Politiques 3, avenue Robert Schuman 13628 Aix-en-Provence Cedex 1 Tél. 04 42 17 28 34 - Fax : 04 42 17 25 34

Droit communautaire et droit francais - Memoireyvon.jaouen.free.fr/II-Marins/Legislation-Internationale/Europe... · 3 Section II : Les Procédures Administratives adoptées Par le

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Delphine RAGOT

La Place du Droit Communautaire dans le droit maritime français

DESS de Droit Maritime et des Transports dirigé par Monsieur Christian Scapel

Année 2002 - 2003

Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’Aix-Marseille Faculté de Droit et de Sciences Politiques

3, avenue Robert Schuman 13628 Aix-en-Provence Cedex 1

Tél. 04 42 17 28 34 - Fax : 04 42 17 25 34

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SOMMAIRE INTRODUCTION p.1 PARTIE I : UNE POLITIQUE MARITIME POUR L’EXPANSION DU MARCHE INTERIEUR p.5 CHAPITRE I : L’Etablissement des Deux Principales Libertés de Circulation du Marché Intérieur p.7 Section I : La Libre Prestation de Services p.7 Section II : La Liberté d’Etablissement p.26 CHAPITRE II : L’Instauration d’une Action contre les Pratiques Tarifaires Déloyales p.42 Section I : Une Politique de Protection des Armateurs Communautaires p.43 Section II : Une Politique pour une Action Coordonnée des Etats Membres p.49 PARTIE II : UNE POLITIQUE MARITIME POUR LA STABILISATION DU MARCHE INTERIEUR p.56 CHAPITRE I : La Prédominance de la Concurrence dans la Politique Communautaire des Transports Maritimes p.59 Section I : La Spécificité des Ententes Maritimes p.60 Section II : L’Encadrement des Ententes Maritimes p.73 CHAPITRE II : Le Renforcement des Règles de Concurrence dans la Politique communautaire des Transports maritimes p.79 Section I : La Volonté de Sauvegarde des Conférences Maritimes p.80

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Section II : Les Procédures Administratives adoptées Par le Règlement n° 4056/86 p.87 CHAPITRE III : La Volonté d’Affirmation d’une Politique de Concurrence Maritime Communautaire Saine p.104 Section I : Le Contrôle des Aides d’Etats apportées aux Transporteurs Maritimes p.104 Section II : La Condamnation de l’Exploitation Abusive Des Activités Portuaires p.112 CONCLUSION p.126 ANNEXES BIBLIOGRAPHIE TABLE DES MATIERES

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INTRODUCTION A l’aube d’un nouvel élargissement de l’Union européenne, il est important de bien comprendre l’affirmation de cette dimension européenne compte tenu des compétences exercées par l’Union dans de multiples domaines intéressant : le transport, les ports, la pêche, l’environnement, la sécurité….pour ne citer que ces premiers. Le but de ce travail est ici de s’interroger sur les multiples développements du droit communautaire dans le droit maritime français. En effet, selon le Doyen Ripert, au sujet de ce qu’il appelait « la règle de morale », « le droit communautaire rode aujourd’hui en permanence autour de la demeure du droit maritime français avec peut être la différence que si la jurisprudence ou le législateur peuvent s’opposer aux exigences de la règle de morale en matière de droit des obligations, nul ne peut s’opposer aux exigences du droit communautaire »1. Et ces exigences sont aujourd’hui nombreuses. Elles concernent tout aussi bien le respect des règles de concurrence des articles 81 et 82 du Traité par les opérateurs maritimes comme le contrôle exercé par l’Etat, contrôle poussé dans la tradition française, sur l’économie des transports maritimes, mais encore, elles s’appliquent aux conditions d’attribution du pavillon et commencent à guider l’action des entreprises. Avant de se pencher sur le point de savoir si en l’état actuel de l’évolution du droit communautaire et de sa place dans le droit maritime français et celui des autres droits nationaux des pays membres, ne pouvons nous pas commencer à réfléchir sur la possibilité de parler d’une « mer communautaire » (section II), mais avant cela il nous faut rappeler la naissance de la politique maritime et ses fondements juridiques (section I). SECTION I NAISSANCE ET FONDEMENTS JURIDIQUES Contrairement aux autres activités économiques, les transports maritimes ont une situation juridique toute particulière puisqu’ils disposent d’une base juridique propre dans le Traité. En effet, ils sont expressément mentionnés à l’article à l’article 80 du Traité (ancien article 84). Ce traitement est partagé avec le transport aérien à l’article 80§2. Cette disposition est insérée à la fin du titre IV, consacré aux transports mais en vertu de l’article 80§1, il ne s’applique pas au transport maritime (ainsi qu’au transport aérien). Cependant, les rédacteurs du Traité ne pensaient certainement pas que malgré la réserve insérée à l’article 80§1, leur texte allait avoir des conséquences sur les transports maritimes, secteur longtemps marqué en France par un nationalisme remontant déjà à l’Ordonnance de la Marine ; cette protection n’a pas duré. Malgré cette précision sur la situation du transport maritime, le Traité révèle quelques ambiguïtés.

1 Extrait tiré de L’I.M.T.M. 2000/2001 p.144.

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Comment interpréter l’article 80§2 dans sa version de 1957 selon laquelle « Le Conseil statuant à l’unanimité, pourra décider si, dans quelle mesure et par quelle procédure, des dispositions appropriées pourront être prises pour la navigation maritime et aérienne » ? La difficulté est double car comment réunir l’unanimité dans un domaine de dimension mondiale et quelle est la marge réelle d’appréciation par le Conseil ? En fait la réponse à ces interrogations va être donnée par la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) dans un arrêt du 4 avril 1974, célèbre affaire dite des « marins français »2. Les faits sont simples : en 1973, la Commission introduit un recours en manquement contre la France, l’article 3 du Code de la marine marchande réservant les emplois maritimes à des ressortissants français. Cette disposition apparaît comme contraire à l’article 48 (nouvel article 38) sur la libre circulation des travailleurs qui énonce le libre accès aux emplois nationaux aux ressortissants communautaires. Le problème de droit posé dans cette affaire permet de répondre aux ambiguïtés soulevées par le Traité à savoir : les règles générales du Traité s’appliquent-elles au transport maritime et implicitement s’imposent-elles au Conseil ? A cette question, la Cour répond positivement estimant que ces règles générales s’appliquent même au transport maritime, jusqu’ici resté temporairement exclu de la politique des transports et en conséquence elle en déduit l’illicéité de la disposition française. Les premières bases de la communautarisation des transports maritimes sont posées par la jurisprudence et au bénéfice des marins. Cette communautarisation va très vite s’accélérer avec d’une part, la première révision de l’article 84§2 (nouvel article 80§2) du Traité par l’Acte unique européen en 1986 qui introduit la majorité qualifiée ; et d’autre part, avec la deuxième révision par le traité sur l’Union en 1992 qui ajoute aux précédentes procédures celle de coopération associant étroitement le Parlement européen à la décision. Ainsi, dans sa version actuelle, l’article 80§2 dispose : « le Conseil, statuant à la majorité qualifiée… » ; les dispositions de procédure de l’article 71§1 et §3 (ancien article 5) trouvant à s’appliquer. A la première révision textuelle, il faut ajouter (même si nous consacrerons plus loin de plus amples développements à ce sujet) que cette même année, le Conseil adopte quatre règlements du 22 décembre 1986 qui ont une incidence considérable sur le droit maritime français eu égard à la tradition de protectionnisme. La communautarisation des activités maritimes est lancée avec pour base juridique propre l’article 80 et très vite elle sera mise en œuvre avec la sécurité maritime qui est devenue un des axes directeurs essentiels de la politique commune des transports maritimes. SECTION II UN ENJEU : LA CREATION D’UNE MER COMMUNAUTAIRE C’est un sujet qui amène avant tout autre développement à se demander si l’on peut parler de « frontières maritimes européennes » ou de « mer communautaire »3 car dans quel périmètre cette sécurité doit-elle s’exercer, qui doit en décider ?

2 CJCE 4 avril 1974, Commission c/ République française, aff. 167/73 : Rec. CJCE, p.359 3 I.M.T.M. 2000/2001 p.18

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Selon les propos de Monsieur Paul RONCIERE, secrétaire général de la mer, la réponse est double. Oui, pour quatre raisons : Tout d’abord car, d’un point de vue géographique, il existe une continuité des eaux européennes du golfe de Botnie à la Méditerranée. Ensuite, parce qu’il n’y a plus de barrière au libre mouvement des ressortissants de l’Union européenne, des marchandises, des travailleurs et des capitaux. Les frontières européennes sont aujourd’hui celles extérieures des quinze pays membres et demain peut être encore plus. A cela, nous pouvons ajouter l’espace Schengen sur le passage des ressortissants extérieurs à l’Union qui n’englobe pas encore l’ensemble des pays de l’Union mais qui accueille des pays extérieurs comme l’Islande et la Norvège. Enfin, nous pouvons encore dire oui dans la mesure où il existe une politique commune dans les eaux dites « communautaires » dont le meilleur exemple est donné par le domaine de la pêche avec « l’Europe bleue ». Mais ces affirmations méritent pour certaines d’être atténuées, en particulier pour ce qui est des frontières. Selon la définition classique enseignée en droit, une frontière est la limite à partir de laquelle s’exerce la souveraineté de chaque Etat. Or, l’Europe n’est pas un Etat fédéral. Cela est vrai aussi pour les frontières maritimes dans la mesure où les eaux sous juridiction de chaque Etat ont un statut différent selon leur proximité du littoral : eaux territoriales, zone contiguë et zone économique exclusive. Dans ces zones et à l’intérieur des frontières maritimes, chaque Etat exerce ses compétences, parfois en respectant des règles européennes en application du principe de subsidiarité. Ainsi, la protection des frontières continue de reposer sur des outils nationaux même s’il y a des projets et une volonté au niveau européen de mettre en commun des moyens. Comme le montre les récents évènements de pollution par hydrocarbures avec l’Erika ou de clandestins avec l’East Sea, l’ensemble des Etats maritimes de l’Union doivent se donner les moyens de protéger les zones qui relèvent de leur souveraineté car rien n’exclut que tels évènements arrivent de nouveau quand ils ne se sont pas déjà reproduits comme le montre la catastrophe du Prestige au large des côtes de la Galice. En l’an 2000, le professeur Pierre BONASSIES parlait du droit maritime français comme d’un « droit renouvelé »4 de par l’action volontaire et conjointe du Doyen RODIERE et du Garde des sceaux de l’époque, Jean FOYER, action qui a mis trois ans pour redonner un souffle au droit maritime français. A cela, il ajoute que ce renouveau est aussi le fait d’une nécessité imposée par les évènements de l’époque pour ne citer que le plus classique : « le Torrey Canyon ». Mais tout en parlant de droit rénové, il parle aussi de ce droit comme d’un « droit dominé », expression qu’il emprunte à un article de Jean FOYER5, et ce par rapport au droit communautaire. Cependant, s’il apparaît que le droit maritime français est dominé par l’influence du droit communautaire, cette domination ne revêt pas la même intensité selon les domaines du droit maritime concernés. En effet, il paraît paradoxal de constater que si le domaine de la sécurité maritime, aspect non économique, fût l’un des premiers envers lequel le législateur communautaire a fourni un effort législatif, c’est pourtant dans le domaine du Marché intérieur que le travail tant du législateur que du juge communautaire semble le plus abouti. 4 I.M.T.M. 2000/2001 p.132 5 I.M.T.M. 2000/2001 p.132, expression empruntée à Monsieur Jean FOYER

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En effet, les institutions communautaires, soucieuses du respect et de la bonne application des dispositions du Traité vont déployer un travail important. Le transport maritime est une activité internationale permettant des échanges de marchandises d’un volume considérable. Malgré la diminution des armements communautaires, depuis une cinquantaine d’années, l’importance du trafic n’a cessé de croître. Or, cette situation comporte des dangers pour l’accomplissement du marché intérieur qui revêt une importance toute particulière. Dès lors depuis le début des années 80, l’objectif des institutions a été tout d’abord de mener une politique pour le développement du marché des transports maritimes qui s’est essentiellement matérialisée par l’adoption des règlements de 1986 (Partie I). Mais cette politique d’ouverture axée sur le tout marché n’a pas suffit et c’est la raison pour laquelle, par la suite, les actions de la Communauté visaient d’avantage à stabiliser la situation tout en continuant de mener une politique d’ouverture (Partie II).

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Partie I UNE POLITIQUE MARITIME POUR L’EXPANSION DU MARCHE INTERIEUR

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UNE POLITIQUE MARITIME POUR L’EXPANSION DU MARCHE INTERIEUR C’est avec l’Acte unique européen de 1986 que s’est dessinée la réalisation de ce grand marché intérieur dans le domaine des transports et pour ne pas citer que celui-ci, dans le domaine plus vaste des services (article 7A devenu article 14 Traité). Les transports maritimes ne pouvant pas échapper à ce mouvement, l’action de la Communauté a d’abord eu comme objectif de permettre l’établissement des deux principales libertés de circulation (Chapitre I). Afin de sauvegarder l’ouverture du marché, la Communauté, affaiblie dans ses positions commerciales vis-à-vis du reste du monde, a mis au point une action visant à lutter contre les pratiques anti-concurrentielles (Chapitre II).

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CHAPITRE PREMIER : L’ETABLISSEMENT DE DEUX PRINCIPALES LIBERTES DE CIRCULATION DANS LE DOMAINE MARITIME Pour que le domaine du transport maritime puisse bénéficier de cette ouverture du Marché intérieur, l’action de la Communauté devait leur garantir tant la libre prestation de services (Section I) que la liberté d’établissement (Section II) en éliminant les frontières. SECTION I LA LIBRE PRESTATION DE SERVICES C’est l’article 59 (devenu article 49) du Traité qui pose le principe de la libre prestation de services. Mais, si l’on pousse un peu plus loin la lecture des articles, on se rend compte que l’article 61§1 (devenu article 51§1) énonce que « la libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif au transport ». Or, l’importance des services dans le domaine des transports est telle que le Conseil est intervenu pour rendre cette liberté effective tant dans les relations entre les Etats (§I) qu’au sein de ceux-ci : le cabotage (§2). §I DANS LES RELATIONS ENTRE LES ETATS C’est par le règlement n°4055/86, du 22 décembre 1986, « portant application du principe de libre prestation des services aux transports maritimes entre Etats membres, et entre Etats membres et pays tiers »6que le Conseil rend libre l’accès aux marchés maritimes internationaux, mettant fin à certaines interventions des Etats visant à diriger l’activité maritime (réservations nationales et bilatérales de cargaisons). Relevons que ce règlement a été modifié par un autre règlement (CEE) n° 3573/90 du Conseil, du 4 décembre 1990, en raison de l’unification allemande. Se situant dans la perspective de l’article 7A (devenu article 14) du Traité qui fait du marché intérieur un espace sans frontière, ce règlement a pour objectif de « faire tomber » les frontières afin de dynamiser l’activité. Pour atteindre cet objectif, il pose un certain nombre de principes (A). On peut d’ores et déjà relever que la forme de l’acte utilisé est un règlement, acte directement applicable qui s’impose aux Etats membres devant obligatoirement adapter leur législation. Ce principe de libre prestation de services engendre des effets mesurés afin de ne pas bouleverser les habitudes maritimes (B). A Le principe posé par le règlement Si le Conseil a adopté un règlement aux contours bien définis quant au domaine d’application et aux modalités applicables (1), la Cour de justice des Communautés européennes a rapidement été amenée à sanctionner un nombre de pratiques qui rendaient discriminatoire l’accès aux ports en raison de la nationalité (2). 1/ Le champ d’application du règlement

6 Règlement (CEE) n° 4055/86, JOCE n° L 378, 31 décembre 1987, p.1

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On l’étudiera successivement quant aux bénéficiaires, quant au marché envisagé et enfin quant aux secteurs exclus. a) Les bénéficiaires L’accès au marché communautaire est trop important pour l’offrir à n’importe quel armateur ce qui nécessite de préciser la notion « d’armateur communautaire ». Seul ce dernier peut se prévaloir de la libre prestation de services. Mais, sur ce point le droit communautaire n’a pas encore donné de définition définitive et unique (même si cela semble en bonne voie comme nous le verrons plus).Par conséquent, chaque texte donne sa propre définition du bénéficiaire. Pour sa part, le règlement n° 4055/86 offre le bénéfice de la libre prestation de services aux ressortissants des Etats membres établis dans la Communauté7 quel que soit le pavillon utilisé (article 1§2), aux ressortissants d’un Etat membre établis hors Communauté, et aux transports maritimes établis hors Communauté et contrôlés par des ressortissants d’un Etat membre, si leurs navires sont immatriculés dans cet Etat membre conformément à sa législation (article 2)8. Cette dernière hypothèse est en fait destinée à prendre en compte l’aménagement d’une part de la flotte grecque, c’est pour cette raison qu’elle est dite « clause grecque ». Pour le reste, le règlement a retenu, pour caractériser l’armateur communautaire, le critère fondé sur la nationalité et l’établissement. Un critère suffisamment large pour permettre d’appliquer cette qualification à des personnes morales dont la majorité du capital serait, par le jeu de prises de contrôle, détenue par des intérêts extra communautaires. Le Conseil peut d’ailleurs faire bénéficier du règlement des armateurs ressortissants d’Etats tiers établis dans la Communauté (article 7). L’article 9 de ce règlement ne manque pas de préciser que jusqu’à la disparition des restrictions à la libre prestation de services, celles-ci sont appliquées sans distinction de nationalité. Mais le règlement ne s’est pas limité aux personnes, il a aussi précisé le champ d’application géographique sur lequel s’exerce cette liberté. b) Le marché géographique Comme Françoise Odier9, on peut considérer que le marché intérieur des transports maritimes bénéficie d’une assise « territoriale élargie aux lignes dont l’origine ou la destination est communautaire ». En effet, le règlement s’applique aux relations maritimes marchandes entre Etats membres et entre Etats membres et pays tiers. Sont ainsi considérés : - les transports intracommunautaires c’est-à-dire les transports de voyageurs ou de marchandises par mer entre un port d’un Etat membre et un port ou une installation offshore d’un autre Etat membre. - le trafic avec des pays tiers c’est-à-dire les transports de voyageurs ou de marchandises par mer entre un port d’un Etat membre et un port ou une installation offshore d’un pays tiers (article 4). C’est un cas unique dans le droit communautaire des transports mais inévitable car l’activité maritime internationale se développe avec des destinations extracommunautaires pour

7 Référence article 58 alinéa 1 (devenu article 48 alinéa 1) du Traité. 8 Référence article 7 du règlement n° 4055/86. 9 Conseiller juridique du Comité central des armateurs de France, Professeur à Paris I.

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l’essentiel10. Cette situation a bien entendu des répercussions sur les relations bilatérales des Etats membres avec les Etats tiers. c) Les domaines exclus Cette ouverture des marchés maritimes n’est pas entière. En effet, à la lecture du règlement, on peut constater que deux principaux secteurs ne bénéficient pas de cette ouverture. En premier lieu, le règlement ne libère pas l’accès aux transports pour le compte d’un gouvernement. Cette situation peut se comprendre aisément dans la mesure où cette activité peut occasionnellement être liée à l’autorité publique au sens de l’article 55 alinéa1er (devenu article 45 alinéa1er) du Traité. Ensuite, il est important de relever que l’ouverture ne vise que les liaisons internationales et non le trafic entre ports d’un même Etat : le cabotage. En fait, comme nous le verrons plus loin, l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des Etats membres est remplie par la mise en oeuvre du règlement (CEE) n° 3577/92 du 7 décembre 199211. Comme nous allons le voir, la suppression des frontières est immédiate et sévèrement contrôlée par les autorités communautaires compétentes. Les principes qui viennent d’être exposés montrent que toute pratique contraire à cette libre prestation de services sera sanctionnée par la Cour de justices des Communautés européennes qui en assure le respect. 2/ La garantie du respect de la libre prestation de services Avec l’entrée en vigueur de ce règlement au 1er janvier 1987, toute entrave à la libre prestation de services dans le domaine des transports maritimes est une infraction au droit communautaire. Ainsi, c’est par un arrêt de principe de 1989 que la Cour de justice des Communautés européennes va confirmer l’établissement de la libre prestation de services dans les transports maritimes (a). Puis un certain nombre de pratiques rendant discriminatoire l’accès aux ports en raison de la nationalité permettra à cette dernière de se prononcer sur la portée de cette liberté (b). a) La confirmation jurisprudentielle de la libre prestation de services C’est par un arrêt (aujourd’hui considéré comme un arrêt de principe en la matière) « Corsica Ferries France c/ Direction générale des douanes françaises » du 13 décembre 198912 que la Cour de justice des Communautés européennes vient confirmer la libre prestation de services en matières de transports maritimes. Dans cet arrêt était contesté un décret du 12 mai 1981, inséré dans les dispositions de l’article 212-20 du Code des ports maritimes français qui prévoyait que la taxe sur les passagers perçue sur les navires desservant les ports maritimes de la Corse s’élèverait à 5,35 francs par passager à destination d’un port de la Corse, de la France continentale ou de la Sardaigne, tandis que ladite taxe s’élèverait à la somme par passager en provenance ou à destination d’un port situé en Europe, autre que les ports cités au-dessus. En application de ce texte, les navires exploitant le trafic France continentale/ Corse ne payaient, à l’occasion de leur séjour dans un port de la Corse, qu’un droit de port simple par 10 ATHANASSIOU GARIFALIA, « Aspects juridiques de la concurrence maritime », Pédone 1996 11 www.europa.eu.int , Transports – Transports maritimes : régime général 12 CJCE 13 décembre 1989, « Corsica Ferries France », affaire C-49/89 : Rec. CJCE, p.4441

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passager débarqué, tandis que les navires exploitant le trafic Corse/ Italie payaient un droit double, puisque perçu par passager embarqué aussi bien que débarqué. Un armateur français, estimant ce régime comme constitutif d’une discrimination en raison de la nationalité contraire au principe de la libre prestation de services, porte l’affaire devant les tribunaux français. Après un long périple judiciaire où même le Tribunal des conflits est intervenu, la Cour de cassation, par un arrêt du 17 janvier 1989, interroge, par une question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes sur le point de savoir si le droit communautaire autoriserait un tel système de taxation. Dans sa décision, la Cour de justice commence par insister sur l’importance des articles du Traité relatifs aux libertés de circulation, observant que « toute entrave, même d’importance mineure à cette liberté, est prohibée ». Elle ajoute qu’une telle entrave peut notamment résulter des mesures fiscales nationales qui affectent l’exercice, par un opérateur économique, de cette liberté. Cependant, en ce qui concerne les transports maritimes, elle observe que les mesures nécessaires à la réalisation de la libre prestation de services n’ont été adoptées que par le règlement n° 4055/86 du 22 décembre 1986, entré en vigueur le 1er janvier 1987. Elle en déduit que le litige soumis à la Cour de cassation concernant des droits perçus antérieurement au 1er janvier 1987, le droit communautaire n’interdisait pas la perception des taxes en cause. Cet arrêt comporte un double enseignement. D’une part, la Cour de justice confirme que la libre prestation de services en matière de transports maritimes n’existe que depuis le jour où le Conseil a adopté, par son règlement, les mesures prévues par l’article 84 alinéa 2 (devenu article 80 alinéa 2) du Traité. Par conséquent, c’est le règlement n° 4055/86 qui rend applicable le principe et non l’article 59 (devenu article 49) du Traité. D’autre part, cette décision implique que les pratiques antérieures ne peuvent être déclarées contraires au droit communautaire mais que nécessairement, depuis le 1er janvier 1987, toute pratique de taxation analogue à celle appliquée par l’administration française en Corse est contraire aux dispositions du droit communautaire. Mais la Cour de justice des Communautés européennes ne s’arrête pas là, au-delà de cette confirmation de principe de la libre prestation de services en matière de transports maritimes, elle vient préciser la portée de ce principe au travers d’autres litiges. b) La portée jurisprudentielle de cette liberté En 1989, La Cour de justice n’avait pas eu à se prononcer sur l’interprétation du droit communautaire dérivé eu égard au régime de taxation portuaire, la question ne lui étant pas posée. Mais, par le jeu d’une action en manquement de la Commission contre la France, cette question a été soumise à la Cour de justice dans un arrêt « Commission c/ France » du 5 octobre 199413. Dans cette affaire, la France était poursuivie au titre des articles R. 212-19 et R. 212-20 du code des ports maritimes, dans sa version résultant du décret n° 92- 1089 du 1er octobre 199214, instituant une taxe sur les passagers dont le montant était moins élevé pour les transports de passagers effectués à destination d’un port d’un autre Etat membre, exception faite des transports effectués à destination de la Sardaigne depuis la Corse, et qui, pour les 13 CJCE 5 octobre 1994, « Commission c/ France », aff. C-38/193 : Rec. CJCE,1994-I p.5145 14 JO 7 octobre 1992

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transports entre ports français, n’était perçue qu’à l’embarquement, tandis que pour les transports entre un port français et un port d’un autre Etat membre, était perçue à la fois à l’embarquement et au débarquement. La Cour de justice qui commence par constater que la libre prestation de services est applicable aux transports maritimes entre Etats membres depuis l’entrée en vigueur du règlement n° 4055/86, en déduit (attendu 17) que la pratique suivant laquelle les transports entre ports français n’étaient soumis qu’à une taxe, offrait « un avantage particulier au marché intérieur et aux transports internes d’un Etat membre » par rapport aux autres liaisons soumises à une double taxe d’embarquement et de débarquement et qu’en conséquence cette pratique est constitutive d’un manquement aux obligations découlant du règlement n° 4055/86. Il est intéressant d’observer que la Cour de justice ne fonde pas l’atteinte à la libre prestation de services sur le constat d’une pratique discriminatoire en raison de la nationalité, elle s’appuie sur le fait que la législation concernée a « pour effet de rendre la prestation de services entre Etats membres plus difficile que celle purement interne à un Etat membre »15. Nous pouvons remarquer que cette solution rapproche le régime juridique du transport maritime du régime général de la libre prestation de services tel qu’il a évolué et qu’il en ressort de l’arrêt du 25 juillet 91 « Collective Antenne Voorziening Gouda »16 : une réglementation qui, si elle n’institue pas une discrimination fondée sur la nationalité, mais crée de facto une discrimination indirecte, est contraire au principe de libre prestation de services. A l’époque, ce nouvel arrêt s’inscrivait dans l’élargissement progressif des exigences des règles communautaires relatives à cette liberté qui laissait subsister un certain doute quant la substance de la discrimination et ou de l’entrave. Dans un arrêt rendu quelques mois plus tôt, l’arrêt « Corsica Ferries II » du 17 mai 199417, la Cour de justice a été saisie d’une question préjudicielle sur la portée du principe de libre prestation de services en matière de transports maritimes à propos de pratiques restreignant indirectement l’accès aux ports18. Le litige concernant de nouveau le port de Gênes et opposant la société italienne Corsica Ferries à la corporation des pilotes du port de Gênes a permis à la Cour de préciser une nouvelle fois la portée de ce principe1919. Le contentieux portait sur la tarification des services de pilotage pratiquée dans le port de Gênes, qui prévoyait des réductions pour les navires se livrant à du cabotage, réservées de fait aux seuls navires battant pavillon italien. La société Corsica Ferries, italienne mais exploitant des navires sous pavillon panaméen, s’estimait victime de pratiques discriminatoires. La Cour de justice, envisageant cette difficulté au regard de la libre prestation de services, constate, en premier lieu, que le principe est applicable et précisait que la situation relève bien du droit communautaire, n’étant purement interne. Ensuite, elle a envisagé si le régime tarifaire en cause est compatible avec le règlement n° 4055/86 dans la mesure où celui-ci admet un tarif préférentiel pour les navires admis au cabotage. En l’espèce, la Cour voit dans cette différence de traitement, une discrimination indirecte entre les opérateurs économiques en raison de la nationalité, car les navires battant pavillon national sont exploités le plus souvent par des opérateurs nationaux, alors que les transporteurs des autres Etats membres

15 Europe, décembre 1994, Comm. n° 465 de FG et DS. 16 CJCE 25 juillet 1991 « Gouda », affaire C-288/89 : Rec. CJCE 1991-I, p.4007 17 CJCE 17 mai 1994 « Corsica Ferries II », affaire C-18/93 : Rec. CJCE 1994-I, p.1783 18 Pierre BONASSIES, DMF 1994, p.668. 19 Europe, juillet 1994, Comm. n° 284.

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n’exploitent pas en général des navires immatriculés dans le premier Etat. Par ailleurs, elle note que le régime préférentiel est attaché au pavillon, donc peut bénéficier à un ressortissant non italien qui arme des navires sous pavillon italien, et peut défavoriser des italiens sous pavillon tiers (cas du requérant), mais elle considère que ces éléments sans incidence. Enfin, afin de voir l’évolution jurisprudentielle de la portée de ce principe, il nous faut terminer par un arrêt concernant une nouvelle fois le port de Gênes mais cette fois au sujet de la tarification appliquée par les lamaneurs. Dans cet arrêt « Corsica Ferries France SA » du 18 juin 9820, le débat portait sur les tarifs des lamaneurs du port de Gênes dont la Société Corsica Ferries contestait aussi le montant au regard de l’article 59 (devenu article 49) du Traité et du règlement n° 4055/86 sur la libre prestation de services dans les transports maritimes (après contestation au regard de la liberté de circulation des marchandises). En l’espèce, le régime de fixation des prix ne comportait aucune discrimination mais pouvait éventuellement être analysé comme une entrave. La Cour se refuse de développer l’analyse sur ce point car elle estime que d’éventuelles entraves à la libre prestation de services seraient en tout état de cause justifiées, faisant jouer l’exception de sécurité publique de l’article 56 (devenu article 46) du Traité au motif que le service de lamanage constitue un service technique nautique essentiel au maintien de la sécurité dans les eaux portuaires présentant les caractéristiques d’un service public. On peut s’étonner que la Cour ait fait jouer cette exception alors qu’elle a toujours précisé que la notion de sécurité publique devait faire l’objet d’une interprétation restrictive. Ce dernier arrêt apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel précisant la portée du principe de libre prestation de services en matière de transport maritime. Aujourd’hui, l’application de ce principe par la Cour de justice ne pose plus de problèmes particuliers comme en témoigne cet arrêt « Gha Naftiliaki EPE » du 14 novembre 2002 (affaire C-435/00 Annexe I) dans lequel la Cour de justice a estimé qu’en application de l’article 1er du règlement n° 4055/86, la libre prestation de services est applicable aux ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de services. Dès lors, sur cette base, des armateurs grecs qui effectuaient des trajets, au départ de Rhodes vers la Turquie, ont contesté les droits portuaires qui étaient exigés ; la législation grecque déterminant des droits en fonction du lieu de destination du navire paraît être en contradiction avec l’article 1er du règlement. C’est cette interprétation que la Cour retient, concluant que ce même article s’oppose à l’application dans un Etat membre des droits portuaires différents pour les liaisons internes et pour celles entre un Etat membre et un pays tiers dans la mesure où cette différence n’est pas objectivement justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général d’intérêt On sait qu’en affirmant la libre prestation de services en matière de transport maritime, le règlement n° 4055/86 avait pour but d’entraîner une suppression immédiate des frontières dans l’exercice traditionnel du transport. En revanche, pour ce qui de certains usages maritimes, le règlement contrôle d’avantage l’application du principe. B Une application contrôlée du principe à l’égard de certaines habitudes maritimes Certains usages maritimes comme les réservations unilatérales de cargaison et les accords bilatéraux de partage de cargaison, vont directement à l’encontre du règlement n° 4055/86.

20 CJCE 18 juin 1998, « Corsica Ferries France SA », affaire C-266/96 : Rec. CJCE.

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Par conséquent, pour ce qui est des premières, le règlement a planifié leur disparition selon un calendrier détaillé (1). Quant aux seconds, le règlement opère une distinction selon laquelle il y a soit abolition, soit adaptation de l’instrument en cause (2). 1/ La disparition des réservations unilatérales de cargaison Pour ces réservations, il convient d’analyser les mesures retenues par le règlement n° 4055/86 à leur égard (a), pour ensuite faire un bilan de l’application concrète de ces mesures en France (b). a) Le dispositif du règlement n° 4055/86 En application du principe de libre prestation de services dans les transports maritimes, le règlement devait organiser la suppression des réservations unilatérales imposées par certains Etats membres pour l’acheminement de certaines marchandises. C’est en son article 2 que le règlement a programmé la disparition de ces réservations selon un calendrier allant jusqu’en 1993 et prévu en trois étapes, elles sont progressivement levées : Le 31 décembre 1989, le transport entre Etats membres effectué par des navires battant pavillon d’un Etat membre ; le 31 décembre 1991, le transport entre Etats membres et pays tiers effectué par des navires battant pavillon d’un Etat membre et enfin le 1er janvier 1993, le transport entre Etats membres et entre Etats membres et pays tiers effectué par d’autres navires21. Ces dispositions ne concernent que trois Etats : l’Espagne, le Portugal et la France qui seuls pratiquent la réservation de cargaison dans la Communauté. Parmi les cargaisons unilatéralement réservées par la France au pavillon français, les approvisionnements en pétrole ne devaient pas être affectés, en application d’une loi du 30 mars 1928 (nous la verrons plus en détail a-2) et de son décret d’application du 23 avril 1937, modifiés à plusieurs reprises ultérieurement. Et selon un décret du 28 juin 1935, les transports de bananes, non plus, ne devaient pas être affectés. Parmi les trois Etats concernés, il semble que l’Espagne et le Portugal se soient conformés aux mesures prises par le règlement. En revanche, selon une enquête de la Commission, la France, malgré l’évolution de sa législation dans ce domaine, semble ne pas avoir respecté le calendrier établi et reste, par conséquent, en infraction. b) Le bilan de l’application de ces dispositions en France En vertu de trois lois anciennes, remontant pour deux d’entre elles presque au début du XXe siècle, la France est le seul Etat de la Communauté continuant la pratique de ces réservations unilatérales ou formes assimilables. Ces lois sont relatives au transport du charbon 22 et du pétrole23. Pour ce qui est du premier, il fait l’objet d’une procédure de manquement, action qui n’est pas la seule à permettre par voie judiciaire d’obtenir que les Etats respectent leurs obligations communautaires, puisque les voies de recours devant les juridictions nationales sont disponibles à cet effet, mais c’est le

21 Calendrier article 2 règlement n° 4055/86, www.europa.eu.int 22 Loi du 18 août 1936 réservant aux navires français 40% des importations du charbon français. 23 Loi du 30 mars 1928, et loi du 31 décembre 1992 qui fait obligation aux raffineries d’avoir à leur disposition une capacité de transport de produits pétroliers navigant sous pavillon français proportionnelle aux quantités de pétrole brut qu’elles reçoivent.

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moyen le plus général car il peut être mis en oeuvre tant par la Commission que par un autre Etat membre, sans exigence particulière d’intérêt pour agir24. Aujourd’hui, pour le charbon, la mise en conformité avec le droit communautaire a été acquise par la loi n° 96-151 du 26 février 199625. Dans son article 4, elle substitue à la réservation nationale de cargaison de 40%, une réservation de 40% en faveur des navires des ressortissants d’un Etat partie à l’accord EEE. Pour ce qui est des hydrocarbures, ils sont sujets à une plainte de la Commission remontant à 199326. A leur égard, une thèse a été avancée selon laquelle on pourrait penser que les réservations pour le compte du gouvernement échappent au principe de la libre prestation de services car ces activités participeraient, même occasionnellement, à l’exercice de l’autorité publique, en application de l’article 55§1 (devenu article 45§1) du Traité27. En effet, les transports effectués pour le compte du Gouvernement sont à ce titre réservés au pavillon français, échappant à la libéralisation. L’article 55§1 du Traité, auquel le règlement n°4055/86 renvoie, maintient les restrictions à la libre prestation de services édictées à propos d’activités « participant dans un Etat membre, même occasionnellement, à l’exercice de l’autorité publique ». En revanche pour ce qui est des relations avec certains pays, en particulier les pays à commerce d’Etat, le seul moyen qui permette d’assurer une portion du trafic maritime aux flottes occidentales consiste à conclure des accords bilatéraux de partage de trafic. Mais au titre du règlement n° 4055/86, ces méthodes ont été réorganisées quand elles n’ont pas été directement supprimées. 2/ Entre abolition et adaptation des accords bilatéraux de partage de cargaison De manière générale ces pays tiers en cause refusent de négocier les échanges dans un cadre multilatéral. De plus, il ne faut pas oublier que les relations issues de la décolonisation ont favorisé la conclusion de ce type d’accords bilatéraux. Comme nous allons le voir, non seulement la brusque suppression de ces accords pouvait engendrer des difficultés pour les Etats membres, mais leur articulation avec le code de conduite des Conférences pouvait s’avérer presque impossible à réaliser. Ainsi, le règlement n° 4055/86 en a organisé soit leur disparition, soit leur adaptation mais en opérant pour cela une distinction entre les accords existants, ceux conclus avant l’entrée en vigueur du règlement et les accords futurs (a). Malgré les efforts déployés pour prévenir et organiser la conformité de ces accords au droit communautaire, la pratique va nous montrer les difficultés de mise en œuvre qu’engendrent les exigences du règlement n°4055/86 (b). a) L’adaptation des accords existants Avant tout, il nous faut préciser que ces accords ont posé un problème pour deux raisons principales au moins. D’une part, ils limitent les possibilités d’offre de l’Etat membre ; et d’autre part, très souvent, ils comportent une clause de nationalité qui interdit l’accès aux flottes d’autres Etats membres. De plus, on peut constater que ces accords bilatéraux qui visent à partager le trafic sont moins nombreux dans le transport maritime que le domaine aérien où ils forment le droit commun.

24 « Introduction au droit de l’Union européenne » 2001. Professeur Dutheil de la Rochère 25 JORF, 27 février 1996, p. 3094 26 Lettre de mise à demeure de la Commission du 27 juillet 1993 27 Françoise ODIER, « Quel avenir pour les transports maritimes au sein de l’Union européenne ?» ADMA 1994, p.180

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Quand ces accords existent, le règlement n°4055/86 a mis en place deux régimes juridiques. Soit l’accord se conforme au code de conduite CNUCED avec la clé de partage de cargaison 40/20/40 (40% pour Etat de départ, 40% pour Etat d’arrivée et 20% pour les tiers), soit c’est un accord qui a instauré des règles très protectionnistes et le règlement prévoit une double possibilité : soit l’accord est résilié (article 3), soit il faut négocier l’adaptation de cet accord (article 4§1). Pour les premiers, c’est-à-dire les trafics régis par le Code de conduite CNUCED, les Etats membres qui y sont parties doivent respecter les obligations qui leur incombent en vertu du règlement n° 954/79 portant ratification du Code de conduite des conférences maritimes. Ainsi, dans la clé de répartition 40/20/40, les Etats membres doivent librement pouvoir accéder à 40% du trafic. Pour les seconds, et plus particulièrement ceux régis par l’article 4§1 du règlement n° 4055/86, ceux qui ne font pas application des règles établies par le Code de conduite, les Etats membres parties à ces accords bilatéraux, doivent, avant le 1er janvier 1993, les adapter de manière à prévoir un accès équitable, libre et non discriminatoire de tous les ressortissants de la Communauté aux parts de cargaison revenant aux Etats membres concernés. En fait, le règlement fait peser une obligation de négociation sur l’Etat membre pour que soit admis la présence de ressortissants communautaires sur la part de trafic que lui donne l’accord. La procédure est assez simple : chaque Etat doit immédiatement notifier les mesures d’adaptation qu’il adopte aux Etats membres et à la Commission et remettre régulièrement (au début tous les six mois) un rapport à la Commission sur les progrès accomplis dans ce sens. On peut constater que les consultations prévues par la décision 77/58728 du Conseil instituant une procédure de consultation en ce qui concerne les relations entre Etats membres et pays tiers dans le domaine des transports maritimes ainsi que les actions relatives à ce domaine au sein des organisations internationales, trouvent à s’appliquer. Toute difficulté d’adaptation relative aux accords hors Code de conduite doit être signalée à la Commission et au Conseil pour que les mesures appropriées soient prises, conformément à la demande de l’Etat. Comme le précise Françoise ODIER dans son ouvrage, il est de notoriété publique que nombre de ces accords restaient en infraction avec le règlement. C’est la raison pour laquelle soit le Conseil modulait les règles établies avant le 1er janvier 1995, soit la Commission durcissait son approche en mettant en avant les articles 3 et 4§1 du règlement, ce qui avait pour conséquence d’engendrer la suppression de ces accords. Si pour les accords existants, il apparaissait évident que des mesures seraient prises, pourquoi ne pas avoir interdit ferment l’existence d’accords futurs. En effet, ces accords ont été autorisés que de manière très exceptionnelle, si et dans la mesure où les armements communautaires ne disposaient pas d’autre moyen pour prendre part au trafic concerné (article 5 du règlement n° 4055/86). L’article 6 a mis en place une procédure ad hoc. b) Les difficultés de mise en œuvre Nous examinerons successivement trois exemples qui montreront que si des problèmes se sont posés dès l’entrée en vigueur du règlement n° 4055/86, aujourd’hui encore ils persistent.

28 JOCE n° L 239, 17 septembre 1977, p.25

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En effet, cette procédure (article 6) a donné lieu à des divergences d’interprétation entre la Commission et le Conseil, divergences finalement tranchées par la Cour de justice des Communautés européenne dans un arrêt « Commission c/ Conseil » du 30 mai 198929. L’affaire intéressait le trafic entre l’Italie et l’Algérie qui réservait 80%, puis 90% du trafic à sa compagnie nationale de navigation. L’Italie a signalé cette difficulté aux autres Etats membres et à a Commission conformément à la décision 77/887 du Conseil de 1977. En mars 87, l’Italie qui négociait seule avec l’Algérie un accord, le notifiait à la Commission, conformément à l’article 6§5 du règlement n° 4055/86. La Commission considérait que si l’Italie avait ratifié le Code de conduite de 1974, ce qu’elle n’avait pas fait, elle aurait pu prendre une meilleure part au trafic en cause. Elle proposa donc au Conseil de n’accorder à l’Italie que l’autorisation de passer l’accord qu’à la condition qu’elle ratifie rapidement le Code de conduite. Le Conseil, dans une première décision n° 87/475 du 1er septembre 1987, s’écarta de cette solution et il adopta une décision le 17 septembre 87 (rapport d’audience n° 355/987 p.8)30 par laquelle il donnait son autorisation. La Commission jugea les conditions de cette dernière trop laxistes pourtant son recours a été rejeté. D’une part parce que l’accord en cause, assorti de modalités imposées par le Conseil, n’est pas contraire au droit communautaire ; et d’autre part, cet accord assure un accès non discriminatoire des compagnies maritimes des autres Etats membres aux cargaisons attribuées à l’Italie. La Cour de justice, saisie en annulation, valide la décision du Conseil. Elle explique qu’aucun délai ne s’appliquait à la ratification du Code de conduite par les Etats membres, l’accord signé présentant les mêmes avantages que le Code. Dans un arrêt plus récent du 11 juin 199831, la Cour de justice constate qu’en maintenant en vigueur un accord de partage des cargaisons conclu le 12 février 1985 et entré en vigueur le 17 août 1987 entre la Malaisie et l’Union Belgo-Luxembourgeoise, la Belgique et le Luxembourg ont manqué aux obligations qui leur incombaient en vertu du règlement n° 4055/86. En l’espèce, l’accord conclu prévoyait une participation des deux parties à « droit égal » aux cargaisons composant leurs échanges extérieurs. La Commission a considéré que cet accord, de par sa date d’entrée en vigueur, était un accord « futur » visé par l’article 5 du règlement et que par conséquent aucune raison ne justifiait sa conclusion. Elle est intervenue à plusieurs reprises auprès de la Belgique et du Luxembourg pour en demander la modification. Face à l’échec de son action, elle a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice. La Belgique et le Luxembourg ne contestant nullement la qualification donnée à l’accord et ne cherchant pas à le justifier, la Cour a constaté le manquement commis. Enfin, c’est dans deux arrêts du 4 juillet 200032 que le Portugal a été rappelé au respect des obligations imposées par le règlement n° 4055/86. Dans la première décision, étaient en cause des accords conclus en 1979 entre le Portugal et divers Etats africains dont l’Angola et le Sénégal. Ces derniers prévoyaient une répartition par parts égales des transports entre les pays concernés. Le Portugal, n’ayant pas réussi à modifier les accords visés dans les délais impartis, la Cour de justice a constaté le manquement aux obligations qui lui incombaient en verte du règlement.

29 CJCE 30 mai 1989, « Commission c/ Conseil », affaire C-355/87 : Rec. CJCE, p.1517 30 JOCE, n° L 272, 25 septembre 1987, p.37 31 CJCE 11 juin 1998 : Rec. CJCE, p.3557 32 CJCE 4 juillet 2000 : Recueil CJCE, p.5171 et p.5215

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Le Portugal avait pourtant soulevé divers arguments comme le fait qu’un des accords était proche entre lui et ses co-contractants ou encore que l’existence d’une situation politique instable expliquait son retard ; mais tous ont été rejetés en bloc par la Cour de justice. Dans la seconde décision, il s’agissait d’un accord de partage de cargaison conclu en 1979 entre le Portugal et la Yougoslavie (la situation étant un peu plus complexe du fait du démembrement de la Yougoslavie. Le problème des accords de partage ayant été réglé pour ce qui concerne la Slovénie). Là encore, la Cour de justice a estimé que le Portugal n’avait pas respecté les obligations qui découlent du règlement n° 4055/86 sur la libre prestation de services. Pour conclure, nous pouvons observer que toutes ces affaires montrent que la réponse à ces difficultés doit être par le haut : les négociations communes. L’objectif est de garantir un minimum de cohérence pour l’action extérieure de la Communauté en matière de transport maritime ; objectif qui figure dans la proposition de décision du Conseil faite par la Commission le 14 mars 199733. Même si quelques progrès ont été accomplis, aujourd’hui, le Parlement n’a toujours pas rendu son avis (alors que c’est chose faite pour le Comité économique et social qui a rendu son avis le 1er octobre 1997)34. Le but étant toujours de contourner les résistances des Etats. L’importance donnée aux problèmes de la libre prestation de services dans les relations entre les Etats a légèrement laissé dans l’ombre les engagements pris au regard de la libre prestation de services en matière de cabotage. §II DANS LES RELATIONS AU SEIN DES ETATS : LE CABOTAGE C’est certainement le régime du cabotage qui révèle peut être l’impossibilité dans laquelle les Etats membres se trouvent pour définir une vision unique du trafic intra-européen. L’ouverture des trafics de cabotage, c’est-à-dire de cabotage national ou possibilité d’effectuer des prestations de services entre deux ports d’un même Etat sans restriction de pavillon ou de nationalité aurait dû être intégrée dans le cadre du règlement n° 4055/86 mais la difficulté de trouver un terrain d’entente a retardé la mise en place du régime. En 1986, aucun accord n’a pu être conclu dans le domaine du cabotage en raison de l’opposition entre les Etats du Nord et ceux de l’Europe du Sud. Il faudra attendre 1992, et plus précisément le règlement n° 3577/92 du 7décembre 199235, pour avoir un texte définitif sur l’application de la libre prestation de services aux transports maritimes à l’intérieur des Etats membres, règlement d’une grande portée selon le professeur Pierre Bonassies (annexe II) Ce règlement est l’adoption d’un compromis qui avant d’aboutir a longtemps opposé les Etats membres ayant d’importants services de cabotage qui refusaient l’ouverture des services intérieurs à ceux qui avaient une vision plutôt libérale du dossier36.C’est la raison pour laquelle, le règlement a prévu une ouverture progressive, à partir du 1er janvier 1993, des cabotages nationaux au bénéfice des navires battant pavillon d’un Etat membre. De plus, ajoutons que ce texte s’intègre parfaitement dans la nouvelle approche de la

33 Proposition de la Commission COM (96) 707 final SYN97/0012, JO C-113, 11 avril 1997 34 Avis du Comité économique et social, JO C335, 21 novembre 1997 35 JOCE n° L364, 12 décembre 1992 36 Sur le régime du cabotage avant la communautarisation, Robert REZENTHEL, « Le cabotage maritime et la défense des intérêts portuaires » Le Quotidien Juiridique n°70, 16 juin 1990, p.8

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Direction générale des transports, définie dans le livre blanc sur « le développement futur de la politique commune des transports ». Etant donnée la complexité du problème, nous retiendrons un découpage des plus classiques en deux temps avec l’exposé des principes du règlement (A) pour s’intéresser ensuite à l’examen des limites et dérogations apportées au « régime général » (B). A Les principes : une liberté encadrée Ce règlement a eu pour principal objectif, si ça n’est que d’abolir les restrictions à la libre prestation de services, le rééquilibrage entre les modes de transport. En effet, aux yeux de la Commission, le « cabotage maritime » constitue une alternative possible « au tout par la route » devant être considéré comme un mode de transport intégré. Devant l’opposition entre les différents Etats, cette dernière n’a pu être atténuée que par l’adoption d’un texte qui, tout en posant le principe de libre accès aux trafics de cabotage, définit rigoureusement les contours de cette nouvelle liberté37 quant aux différents types de cabotage concernés (1) et quant aux bénéficiaires (2). 1/ La définition du cabotage Ce règlement a la particularité de limiter l’étendue de cette liberté (a) dans la mesure où il opère une distinction autour de cinq types de cabotage (b). a) L’étendue de la liberté Le règlement n° 3577/92 donne une définition commune du cabotage en son article 1§1, suivant laquelle par cabotage maritime, il faut entendre la libre prestation de services de transport maritime à l’intérieur d’un Etat membre (qui devra être effective à partir du 1er janvier 93), A l’époque, ce règlement s’inscrivait dans la logique des nouvelles exigences du transport en Europe et en particulier des problèmes environnementaux ressentis de plus en plus vivement au sein des institutions européennes. Dans cette optique, la Commission a estimé que le « cabotage maritime » devait être considéré comme une alternative économique comportant un transport de bout en bout viable et pas seulement se limiter à la fourniture de transbordement et de liaisons avec les zones périphériques. Allant jusqu’au bout de son raisonnement, la Commission a introduit dans la définition du transport combiné le transport maritime. Malgré ce choix, les ambiguïtés relatives au cabotage sont restées nombreuses ; en pratique, le cabotage est considéré comme la mise en œuvre de la libre prestation de services de transport maritime à l’intérieur des Etats membres et s’inscrit juridiquement dans le cadre du règlement n° 4055/86. Par ailleurs, il paraissait difficile pour le Conseil d’adopter une réglementation sur le cabotage maritime sans mettre en place son propre pavillon « EUROS » auquel le règlement n° 3577/92 y fait différence. A l’origine, les deux projets de règlements étaient étroitement liés comme le montrent les idées forces soulevées pendant la phase d’élaboration de ces deux textes (www.europa.eu.int). Enfin, la définition du « cabotage » est à ne pas confondre avec celle de la notion de « short sea shipping » qui fait l’objet d’études communautaires et constitue un type de trafic court et non une navigation administrativement définie. 37 M-L ARBAULT, « le cabotage maritime dans la réglementation communautaire : un plagiat de la libéralisation des services de transport terrestre ». Transports n° 368, novembre/décembre 1994, p.387

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b) La distinction autour du cabotage On peut considérer que trois grands types de trafic ont été répertoriés au sein desquels, il est parfois nécessaire de faire des sous distinctions. Ainsi, il y a le trafic off shore, la navigation au tramping et le cabotage dit « continental » au sein duquel on peut distinguer entre le cabotage « continental consécutif » pratiqué par des lignes régulières de navigation et le cabotage « non consécutif » pour le transport de marchandises et enfin le cabotage insulaire ou la desserte des îles ou territoires isolés au sein duquel il faut là aussi faire une distinction entre le cabotage insulaire par lignes régulières ou « tramps » et toute autre desserte des îles et les services réguliers de ferries. De son côté, cette multiplicité d’activités a conduit la Commission à distinguer le cabotage continental et la desserte des îles, le transport de marchandises et celui de passagers, le cabotage consécutif et celui non consécutif. L’échelonnement du calendrier tient donc compte des difficultés d’adaptation de des différents secteurs. Il résulte donc de ces distinctions les étapes suivantes : La libre prestation de services s’applique à tous les services de cabotage n’ayant aucune caractéristique particulière dès le 1er janvier 1993. La libre prestation de services s’applique aux transports de marchandises stratégiques comme le pétrole, les produits pétroliers et l’eau potable, le 1er janvier 1997 et pour la navigation des navires dont le tonnage est inférieur à 650 tonneaux de jauge brute à partir du 1er janvier 1998. La desserte des îles sera ouverte à partir du 1er janvier 1999. La Grèce, exemptée pour des raisons de cohésion économique et sociale, entrera dans ce régime de libre prestation de services à partir du 1er janvier 2004. Mais les contours bien définis des mesures de ce règlement n° 3577/92 ne se limitent pas à ces détails exhaustifs. 2/ Un cabotage réservé En effet, le règlement pose certaines conditions quant au type d’armateur (a) pouvant bénéficier de ces dispositions et quant au type de navire (b). a) La définition des armateurs communautaires En son article 2§2, le règlement n° 3577/92 visent trois catégories d’armateurs susceptibles d’être qualifiés comme communautaires. Il donne une définition en distinguant les ressortissants d’un Etat membre et les compagnies de navigation établies conformément à la législation d’un Etat membre. Le critère retenu est soit l’établissement, soit l’immatriculation, mais ce dernier régime n’étant pas encore bien harmonisé, malgré une volonté, dans les différents Etats membres, des problèmes de concurrence peuvent rapidement se poser. De plus, si de tels problèmes se rencontraient, rien dans le règlement ne permet d’anticiper la réponse que pourrait donner la Cour de justice des Communautés européennes. Les professionnels ne sont guère satisfaits de l’insécurité juridique qui en résulte, tournant de plus en plus ces difficultés en investissant leurs capitaux dans des compagnies maritimes d’Etats tiers.

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Ainsi, peuvent être considérés comme armateurs communautaires : les compagnies maritimes ayant leur siège social dans un des Etats membres ; viennent ensuite, les compagnies maritimes qui, bien qu’ayant leur siège social hors Communauté, ont leur principal établissement dans un Etat membre et dont le contrôle effectif est exercé dans cet Etat membre. Enfin, sont également considérés comme armateurs communautaires, les compagnies maritimes établies hors de la Communauté, mais contrôlées par des ressortissants d’un Etat membre. Il ressort de cette définition détaillée du bénéficiaire du règlement que si les relations entre Etats, soumises au règlement n°4055/86 sont ouvertes à la concurrence d’armateurs extracommunautaires, il n’en va pas de même pour le cabotage « national ». Ne pourrait-on pas penser comme Françoise ODIER, qui à l’époque a constaté qu’il y avait deux régimes d’accès aux liaisons intracommunautaires, ce qui empêche de parler de cabotage « européen ». b) La définition des navires communautaires Dans le règlement n° 3577/92, il est sous-entendu que le cabotage ne peut être exploité que par des armateurs utilisant, soit des navires immatriculés dans un Etat membre,soit des navires immatriculés dans le registre EUROS qui aujourd’hui pose problème, faute d’accord entre les Etats membres. Par conséquent, ne peuvent avoir accès au cabotage communautaire que les navires qui remplissent, dans l’Eta membre où ils sont immatriculés, les conditions requises pour le cabotage national. Cette dernière condition vise certainement les pavillons « bis » des Etats membres qui dénient pour la plupart l’accès au cabotage national aux navires immatriculés au second registre. On en déduit qu’un navire communautaire, selon le règlement n° 3577/92, est un navire national excepté un navire de pavillon « bis ». Mais ce même texte encourage pourtant l’ouverture aux pavillons « bis » avant le 31 décembre 1996. On peut regretter que le problème de la nationalité de l’équipage ait été occulté alors qu’il est susceptible de créer des distorsions importantes dans la gestion des navires, en ce qui concerne la politique social. Ces distorsions pourraient avoir des conséquences indéniables sur la concurrence entre les armateurs communautaires et aujourd’hui encore décisives pour l’évolution du cabotage. Ces aspects non résolus par le règlement ne sont pas sans conséquences pour les armateurs. Ils risquent de paralyser des décisions ayant des effets négatifs sur les flottes européennes de caboteurs et de laisser le trafic aux navires ne battant pas pavillon européen qui peuvent naviguer sans réelles contraintes entre ports de l’Union européenne. Toutes ces difficultés répertoriées permettent de mieux comprendre les différents types d’exception retenus par le règlement n° 3577/92. B Les exceptions : une liberté limitée Le règlement est entré en vigueur le 1er janvier 1993 mais les nombreuses dérogations qu’il énumère (1), en raison de l’impossibilité de trouver un compromis entre les pays du Nord et les pays du Sud de l’Union (il a été adopté à la majorité qualifiée), ne le rendront définitivement effectif qu’à partir du 1er janvier 2004. L’opposition tient au fait que les premiers ont une approche libérale tandis que les seconds désirent une harmonisation préalable des conditions d’exploitation. Malgré le compromis réalisé par le règlement,

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aujourd’hui, les difficultés d’application auxquelles la Cour de justice est confrontée, sont encore vives (2). 1/ Les régimes dérogatoires : modalités d’application Les exceptions consacrées par les dispositions du règlement revêtent principalement trois formes : la clause de sauvegarde (a), les dérogations en fonction du cabotage pratiqué (b) et ce que l’on pourrait appeler « l’exception de service public » (c). a) La clause de sauvegarde L’article 2§5 du règlement n° 3577/92 définit « la perturbation du marché intérieur des transports » comme « l’apparition sur le marché de problèmes spécifiques de nature à entraîner un excédent grave et durable de l’offre sur la demande en raison des activités de cabotage et impliquant une menace sérieuse pour l’équilibre financier et la survie d’un nombre important d’armateurs communautaires ». Dans ce contexte, des mesures de sauvegarde peuvent être mises en place, soit par l’Etat membre concerné, à l’aide de mesures unilatérales ne pouvant pas dépasser trois mois, soit par la Commission, après demande expresse d’un Etat et consultation des autres Etats membres et communication au Conseil. Dès lors, la Commission doit statuer dans un délai de 30 jours « ouvrables à compter de la réception de la demande correspondante d’un Etat… » et elle peut prendre des mesures pouvant comporter l’exclusion temporaire de la zone concernée du champ d’application du règlement n° 3577/92. Cette exclusion ne peut pas dépasser douze mois mais la Commission peut décider d’un renouvellement. Si urgence véritable il y a, un Etat peut appliquer d’office les mesures conservatoires qui peuvent s’appliquer pendant trois mois mais une telle initiative doit impérativement être notifiée à la Commission qui peut suspendre la mesure prise. L’Espagne a été le premier pays à bénéficier de cette clause de sauvegarde qui lui a permis, pendant un an, d’exclure de la partie continentale de son territoire du champ d’application du règlement. Cette exclusion a été autorisée par une décision n° 93/125 du 18 février 1993 de la Commission38, valable jusqu’en août 93 (courte autorisation qui s’explique par l’entrée en vigueur d’un décret royal autorisant l’immatriculation des navires et des compagnies pratiquant le cabotage dans le registre spécial des Canaries), puis prolongée jusqu’au 17 février 1994. La décision se fonde sur une analyse approfondie de la situation en cause, en considérant que « la position concurrentielle de la marine marchande espagnole ne se situait pas au niveau de celle de plusieurs autres flottes de la Communauté dont les coûts d’exploitation ont pu être réduits par l’utilisation de registres spéciaux ». On en déduit que les caboteurs espagnols immatriculés dans le registre espagnol ordinaire ou, aux conditions de l’époque, dans le registre spécial des Canaries, sont défavorisés d’un point de vue la concurrence par rapport à des navires étrangers. Cette décision montre combien les armateurs espagnols sont dépendants de ce cabotage et comment une libéralisation trop brutale conduirait à une instabilité financière notable. Pae ailleurs, à la lecture de la décision, on peut relever que la motivation est très détaillée afin d’éviter tout abus. 38 JOCE n° L173, 16 juillet 1993, p.33 et Décision 93/396 du 13 juillet 1993 qui prolonge de 6 mois l’exclusion

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Cette première mesure d’exception n’est pas la seule, la distinction opérée par le règlement n° 3577/92 quant aux différents types de cabotage induit nécessairement différents régimes applications, des régimes dérogatoires. b) Les Dérogations en fonction du cabotage Le règlement définit, en les distinguant, « le cabotage continental » du « cabotage avec les îles » Le cabotage continental désigne « le transport par mer de passagers ou de marchandises entre des ports situés sur la partie continentale ou sur le territoire principal d’un seul et même Etat membre sans escale dans les îles ». Quant au cabotage insulaire, c’est « le transport par mer de passagers ou de marchandises entre des ports situés sur la partie continentale et sur une ou plusieurs des îles d’un seul et même Etat membre » ou encore « entre des ports situés sur des îles d’un seul et même Etat membre ». En ce qui concerne le cabotage continental, c’est l’article 6§1 du règlement qui détaille le régime dérogatoire. Il s’agit de dérogations temporaires à l’ouverture, aménagées pour les Etats membres du sud de l’Europe, pour certains services maritimes effectués en Méditerranée et le long des côtes espagnoles, portugaises et françaises. Ces services visent tout d’abord les croisières dont l’ouverture est fixée au 1er janvier 1995, ensuite le transport de marchandises stratégiques qui bénéficie d’un régime spécial jusqu’au 1er janvier 1997, puis les services effectués par les navires jaugeant moins de 650 tonneaux jusqu’au 1er janvier 1998 et enfin les services réguliers de passagers, de transport par transbordeur dont l’ouverture est programmée au 1er janvier 1999. En fait, dans les Etats où le cabotage était fermé, est instauré un régime certes dérogatoire mais surtout transitoire, ce qui concerne essentiellement les Etats du Sud alors que dans les Etats membres du Nord, l’ouverture du cabotage était déjà presque réalisée, le règlement venant confirmer. Ainsi, comme le souligne Françoise Odier, on peut parler d’une « Europe du cabotage à géométrie variable ». Pour ce qui est de la desserte des îles, ce sont les articles 6§1 et §3 qui ont vocation à s’appliquer. Commençons par relever le cabotage avec certaines îles qui sont exempts de l’application du règlement n°3577/92 jusqu’au 1er janvier 1999. Il s’agit du cabotage avec les îles de la Méditerranée, le cabotage concernant les archipels des Canaries, des Açores et de Madère et enfin du cabotage avec Ceuta et Melilla qui sont traités de la même manière que les ports des îles, sans oublier les îles le long de la côte atlantique et les départements français d’Outre-Mer. Cette dérogation a été prorogée par faveur pour la Grèce jusqu’au 1er janvier 2004 pour les services réguliers de transport de passagers et de transport par transbordeur, ainsi que pour les services effectués par des navires jaugeant moins de 650 tonnes brutes39. Ce régime très favorable est justifié par un souci de cohésion économique et sociale. Plus généralement, il est important de relever que l’article 3§2 du règlement dispose que « pour les navires pratiquant le cabotage avec les îles, toutes les questions relatives à 39 En septembre 2000, la Grèce a déclaré renoncer au privilège qui lui a été accordé (privilège dont la légalité communautaire aurait d’ailleurs pu être contestée), le cabotage entre les îles grecques est donc désormais ouvert à toutes les flottes communautaires.

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l’équipage relèvent de la responsabilité de l’Etat dans lequel le navire accomplit un service de transport maritime », donc de l’Etat d’accueil40. Notons que pour ce qui est de la liaison avec une île qui s’inscrit dans le cadre d’un cabotage consécutif avec un navire jaugeant plus de 650 tonneaux, dans ce cas, le régime connaît un infléchissement au profit de la loi de l’Etat du pavillon. Cette hypothèse concerne essentiellement des ports d’une certaine envergure comme le Pirée, la Crête ou encore Rotterdam. Même si ces mesures ont pour objet de protéger la qualité du service du cabotage avec les îles, elles relèvent un peu du protectionnisme dissuadant l’entrée d’armements étrangers sur « le marché des îles »41. En plus de toutes ces mesures, une exception au principe de libre prestation de services peut être soulevée avec la notion de service public. c) La notion de service public comme exception Les règles élaborées par le règlement n° 3577/92 prévoient une exception en faveur des navires de cabotage qui assurent une prestation de service public. C’est l’article 4§1qui offre la possibilité pour un Etat membre d’imposer des obligations de service public en tant que condition à la prestation de services de cabotage. Les obligations de service public sont définies comme des « obligations que, s’il considérait son propre intérêt commercial, l’armateur communautaire en question n’assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions ». Cependant, les Etats membres doivent tout de même s’en tenir à des exigences concernant les ports à desservir, la continuité, la régularité, la fréquence, la capacité à accomplir le service, l’équipage du navire et les tarifs appliqués. Mais le règlement ne s’arrête pas là, puisqu’il offre la possibilité aux Etats membres de conclure des « contrats de service public » dans le but de fournir au public des services de transport suffisants. Ces contrats peuvent porter sur des services de transport qui répondent à des normes fixées comme la continuité, la régularité, la capacité et la qualité. Ce peut être aussi des services de transport complémentaires ou à des prix et conditions déterminés notamment pour certaines catégories de voyageurs ou liaisons. Les règles élaborées par le règlement sont non discriminatoires entre les armateurs communautaires mais la valeur d’une telle exception soulève un problème délicat dans la mesure où la notion de service public n’a toujours pas le même contenu et la même signification pour les différents Etats membres. De l’avis général de la doctrine, il s’agit moins d’un cabotage européen qu’une communautarisation en cours des cabotages nationaux et l’incidence de la libéralisation a été modeste. Dans un rapport au Conseil42, la Commission souligne que seule une petite partie des cargaisons est devenue légalement disponible.

40 En ce qui concerne la France, un décret du 16 mars 1999 (semaine juridique 99, III.20062) est venu préciser les exigences du droit français 41 G. RENAUX « Transport par mer, cabotage maritime, libéralisation progressive » Bulletin des Transports n° 2481, p.419.

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Le règlement souffre en particulier du fait qu’il n’ait toujours pas été adapté au registre communautaire, adaptation à l’époque très compromise. Ce règlement devait trouver sa véritable signification à travers sa mise en œuvre qui s’est révélée être complexe. Aujourd’hui encore, la Cour de justice des Communautés européennes est confrontée à de réelles difficultés. 2/ Une mise en œuvre difficile Pour illustrer cette difficulté, nous retiendrons deux affaires récentes sur lesquelles la Cour de justice s’est penchée. La première affaire montre combien la volonté de chaque Etat membre joue pour rendre l’application d’un règlement communautaire effective (a). Quant à la deuxième, elle est une illustration parfaite de ce que la définition notion de service public n’est pas la même dans chaque Etat (b). a) L’arrêt « Commission c/ France » du 13 juillet 200043 Selon le règlement n° 3577/92 du 7 décembre 1992, la libre prestation de services de transport maritime s’appliquait aux armateurs communautaires à partir du 1er janvier 1993. Certaines dérogations, s’étalant jusqu’au 1er janvier, voire même au-delà, étaient permises Ce règlement obligeait la France à modifier le Code des douanes dont l’article 257§1, réservait au pavillon français les transports effectués entre les ports de France métropolitaine, sauf autorisation particulière accordée par le Ministre compétent ; et l’article 258. Cette modification n’ayant pas été faite en temps voulu, la Commission a introduit un recours en manquement et la Cour a constaté ce dit manquement. Il aura fallu à la France une condamnation pour mettre sa législation en conformité avec le droit communautaire. La France n’a d’ailleurs pas contesté que la rédaction du Code des douanes n’était pas conforme au règlement. Elle a simplement fait valoir que la législation française était en cours de modification ; ajoutant que pour assurer l’application temporaire de la réglementation communautaire, elle avait diffusé une circulaire44 reprenant le contenu du règlement et, ajouté, dans le Code des douanes, une note de bas de page faisant référence à de règlement n° 3577/92. La Cour de justice a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle un « Etat ne doit pas maintenir inchangée une réglementation contraire au droit communautaire au prétexte que ce droit, étant directement applicable, enlève tout effet à cette réglementation ». Elle ajoute « que l’incompatibilité de la législation nationale ne peut être définitivement éliminée qu’au moyen de dispositions internes à caractère contraignant ayant la même valeur juridique que celles qui doivent être modifiées, citant ses arrêts du 26 avril 1988 « Commission c/ Allemagne » et du 15 octobre 1986 « Commission c/ Italie ». La Cour a donc conclu que la France avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu du règlement n° 3577/92. 42 Doc COM (95) 383 final du 6 septembre 1995 « Rapport de la Commission au Conseil : mise en œuvre du règlement n°3577/92 concernant l’application du principe de libre prestation de services aux transports maritimes à l’intérieur des Etats membres ». 43 CJCE 13 juillet 2000, « Commission c/ France », affaire C-160/99 : Rec. CJCE 2000, p.6137 et Revue Scapel 2000, p.130 44 Circulaire du 19 mars 1993, Bulletin officiel des Douanes

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Mais aujourd’hui, ce problème est dépassé puisque la France a réglé le problème des articles 257 et 258 du Code des douanes par une loi du 6 janvier 2001 n° 2001-43, en son article 8 dont l’intitulé exact est « loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports ». Ainsi, la modification faite, le cabotage national n’est plus réservé aux seuls navires français, mais aux navires battant pavillon d’un Etat membre de la Communauté ou d’un Etat membre de l’Espace Economique Européen (Islande, Suisse et Norvège). Reste peut être une difficulté qui est encore loin d’être résolue, c’est celle de la notion de service public dans la mesure où il n’y a pas eu d’harmonisation de cette notion. La Communauté en est au stade des prémices à travers quelques règlements. b) L’arrêt « Analir c/ Administration générale espagnole » du 20 février 2001 En application du règlement n° 3577/92 du 7 décembre 1992, la libre prestation de services s’est appliquée au cabotage maritime à partir du 1er janvier 1993, avec une période transitoire allant jusqu’au 1er janvier 1999. Afin que le service public du transport soit correctement assuré, l’article 4 du règlement permet aux Etats membres de conclure des contrats de service public avec des compagnies de navigation pour qu’elles assurent des services réguliers avec les îles ou d’imposer, moyennant compensation, des obligations de service public aux compagnies assurant des liaisons avec les îles. L’Espagne, par un décret du 19 septembre 1997, a défini diverses dispositions d’adaptation. Analir a introduit un recours en annulation de ce décret devant la juridiction espagnole qui a posé trois questions préjudicielles à la Cour de justice des Communautés européennes. Par la première question, il était demandé à la Cour d’indiquer si un Etat membre pouvait soumettre la prestation de services de cabotage à l’obtention d’une autorisation préalable. La Cour a répondu de manière positive en l’assortissant de certaines conditions. Il faut faire la démonstration d’un besoin réel de service public en raison de l’insuffisance des services réguliers de transport dans une situation de libre concurrence et de ce que ce régime d’autorisation préalable est nécessaire et proportionné au but poursuivi, définition de critères objectifs et non discriminatoires et connus à l’avance pour la délivrance de l’autorisation. Par la deuxième question, il était demandé à la Cour si cette autorisation préalable pour pouvait être subordonnée au respect de certaines conditions, distinctes de celles visées par le règlement. La Cour a estimé qu’un Etat membre pouvait inclure dans les conditions d’octroi et de maintien d’une autorisation administrative préalable comme moyen d’imposer des obligations de service public à un armateur communautaire, une condition permettant d’apprécier sa solvabilité, telle que l’exigence selon laquelle il doit être à jour dans ses dettes d’impôt ou de sécurité sociale. Enfin, dans la dernière question soulevée relative à l’interprétation de l’article 4§1 du règlement, la Cour a estimé que cet article permet à un Etat membre, sur une même ligne ou un même trajet maritime, d’imposer des obligations de service public à des entreprises de navigation et de conclure de façon concomitante avec d’autres entreprises des contrats de service public au sens de l’article 2 point 3 du règlement, pour la participation au même trafic régulier à destination ou en provenance d’îles ainsi qu’entre des îles.

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Cet arrêt souligne encore une fois le problème lié à la notion de service public qui n’a pas le même contenu, ni la même signification dans les différents Etats membres. On peut simplement relever qu’une définition avait été donnée dans l’article 2 du règlement n° 1191/69 du 26 juin 196945, modifié par le règlement n° 1893/91 du 20 juin 199146 : « Les obligations de service public sont constituées par les obligations que l’entreprise de transport n’assurerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions ». Mais on peut relever que cette définition ne tient compte que de l’aspect commercial du problème sans faire référence à la notion d’intérêt général. Pour conclure, on peut s’intéresser à une communication de la Commission du 5juillet 199547, dans laquelle elle souligne « que seule une partie de la cargaison est devenue légalement disponible », se fixant comme objectif d’améliorer la compétitivité dans le secteur du transport maritime à courte distance dans la mesure où ce mode de transport consomme moins d’énergie et une alternative non polluante au transport routier. Suite à cette communication, les efforts ont continué à se faire ressentir avec l’adoption d’une résolution par le Conseil du 11 mars 199648 par laquelle il approuve la décision de la Commission et encourage les autres institutions à travailler dans ce sens. En mai 1997, la Commission a présenté un rapport d’avancement (SEC (97) 877). Lors du conseil transport du 18 juin 1997, le Conseil a adopté sur ce rapport dans lequel il invite la Commission à présenter un pareil rapport tous les deux ans afin de stimuler la promotion du transport maritime à courte distance. C’est dans ce contexte que la Commission a, en juin 1999, présenté une nouvelle communication (COM (99) 317 final) qui comprend un deuxième rapport d’avancement continuant une analyse sur les avantages de ce mode de transport. Un autre rapport était attendu en juin 2001, mais en vain. La réalisation du Marché intérieur ne passe pas par le respect de la seule libre prestation de services. A l’égard des transports maritimes, la Communauté a tenu à éliminer les frontières en assurant aussi le libre établissement. SECTION II LA LIBERTE D’ETABLISSEMENT C’est certainement dans ce domaine précis que réside la spécificité maritime. Cette liberté est postulée par l’article 43 (ex-article 52) du Traité. En ce qui concerne le transport maritime, ne devons-nous pas peut-être parler davantage de droit d’établissement que de liberté. Le transport maritime est un domaine en recul, les armateurs quittant les pavillons nationaux et les flottes restant réduites. Aujourd’hui, ce sont davantage les pavillons de libre immatriculation des navires, les pavillons de complaisance et les pavillons bis qui attirent les navires. En effet, les navires ne

45 JOCE n° L156, 28 juin 1969 46 JOCE n° L169, 29 juillet 91 47 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social, au Comité des régions « Le Transport maritime à courte distance, perspectives et défis » Doc COM (95) 317 final, 5 juillet 1995 48 JO n° L99, 2 avril 1996

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sont soumis à aucune exigence particulière que ça soit pour les coûts de navigabilité nettement inférieurs ou terme de personnel. Ainsi, la politique commune tente de susciter l’établissement par une politique qui rend attractif les pavillons communautaires, enrayant le phénomène d’évasion vers les autres types de pavillons. Dès lors, comme nous allons le voir, la politique commune menée a pour objectif de tenter la réalisation de la difficile harmonisation des différents pavillons des Etats membres (§I) afin d’entamer la communautarisation des ces derniers (§II). §I LA TENTATIVE D’HARMONISATION DES PAVILLONS NATIONAUX Tout navire a une nationalité qui s’exprime par le port du pavillon de l’Etat dans lequel il est immatriculé. Chaque Etat fixe souverainement les conditions d’attribution de son pavillon. La Convention de Genève sur la haute mer de 1958 et la Convention sur le droit de la mer de 1982 reconnaissent ces prérogatives aux Etats. L’Union européenne n’étant pas un Etat, il ne saurait y avoir de pavillon européen, cette compétence exclusive appartient aux Etats membres ; en revanche, ils doivent l’exercer dans le respect du droit communautaire et plus particulièrement ici dans le respect de la liberté d’établissement Ayant une nationalité, il est, en principe, soumis à la législation de cet Etat. Cette précision est essentielle dans la mesure où pour ce qui de la fiscalité et des charges sociales, il relève du droit national tout comme la navigabilité, la formation et la nationalité de l’équipage pour lesquelles il doit aussi se conformer à des exigences strictes. Pour une majorité de la doctrine de droit maritime, la nationalité des navires exprime une idée forte, celle « celle d’un lien réciproque entre l’Etat du pavillon et le navire, l’Etat du pavillon protégeant le navire et le navire devant respecter la réglementation du pavillon » (A). Mais à côté, depuis quelques années, les Etats ont développé la pratique des pavillons bis. Elle a eu pour effet de diminuer la portée juridique de la nationalité des navires mais le droit de choisir un pareil pavillon a été largement ouvert afin de respecter le principe de libre établissement (B). A La nécessaire ouverture du pavillon national Comme le souligne A. VIALARD « le pavillon national est dans son acception traditionnelle doublement contraire à la liberté d’établissement »49. Contraire à cette liberté, parce que le pavillon national ou plus exactement l’inscription à un registre national est dans la majorité des Etats réservée à des navires appartenant à des nationaux entraînant l’impossibilité pour un ressortissant communautaire d’y inscrire son navire (1). Ensuite, il va à l’encontre de cette liberté dans la mesure où l’immatriculation répond à des conditions variables selon les Etats membres, ce qui empêche le transfert vers un autre pavillon (2). C’est sur ces deux terrains que la politique commune a mené son action tendant à faire disparaître les entraves tant au regard de l’inscription que du changement de pavillon. 1/ L’abolition des entraves à l’inscription des registres Dans cette lutte des obstacles à l’immatriculation des navires dans n’importe quels Etats membres de son choix pour un ressortissant communautaire, le rôle joué par la Cour de justice

49 A. VIALARD, « L’Europe et les pavillons des navires » : ADMA, 1995, p. 39 et suivantes et p. 50

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des Communautés européennes est important dans la mesure où elle a été à plusieurs reprises saisie pour apporter des solutions qui ont souvent bouleversé certaines habitudes (a). On sait qu’il appartient aux Etats membres de déterminer les conditions d’immatriculation et d’octroi du pavillon mais le respect du droit communautaire vient limiter la compétence des Etats ; l’intervention de la Cour de justice pour rappeler leurs obligations aux Etats membres a entraîné une modification au sein des diverses législations comme nous allons le constater avec le cas précis de la France (b). a) Le rôle notable de la Cour de justice C’est dans un arrêt « Factortame » du 25 juillet 199150 que la Cour de justice a été confrontée au problème essentiel de la condition de nationalité du propriétaire pour l’immatriculation de son navire. En effet, l’exigence de la nationalité du propriétaire pour obtenir l’immatriculation d’un navire est requise dans la plupart des Etats de la Communauté. Au Royaume-Uni, elle a été introduite par le Merchant Shipping Act de 1988. C’est cette exigence qui a été contestée dans cette affaire. Dans son arrêt, la Cour de justice a précisé que la condition de la nationalité britannique pour l’immatriculation d’un navire par son propriétaire (affréteurs, exploitants) est une condition discriminatoire au regard de la liberté d’établissement dans la mesure où elle prive les ressortissants communautaires du droit de s’établir au Royaume-Uni, conformément à l’article 43 du Traité. Dans une autre affaire relative à l’obligation de résidence pour le propriétaire dans l’Etat d’immatriculation voulu pour son navire, la Cour de justice s’est prononcée. C’est dans un arrêt « Commission c/ Royaume-Uni » du 4 octobre 198951 que la Cour de justice a estimé que l’obligation de résidence au Royaume-Uni est contraire au principe de libre établissement de l’article 43 du Traité, bien qu’elle soit imposée aux britanniques. Cette situation étant acquise pour les activités liées à la pêche, elle a été transposée pour les autres activités maritimes ; les autres Etats membres devant s’y conformer en adaptant leur législation nationale. Par ailleurs, en condamnant la législation britannique comme contraire au droit communautaire pour avoir fait dépendre l’octroi du pavillon national de la nationalité et de la résidence du propriétaire du navire, la Cour de justice a indirectement influencé la définition du lien substantiel qui doit unir le navire à l’Etat qui confère le pavillon. Ainsi, avec cette solution il était possible pour une compagnie maritime d’établir une filiale sur le territoire d’un autre Etat membre afin de bénéficier du pavillon national (et de revendiquer par la suite sa participation au cabotage du pays d’établissement). En revanche, pour ce qui est de ce lien substantiel entre le navire et l’Etat du pavillon, l’exigence selon laquelle l’exploitation et la gestion du navire doivent être assurées à partir du territoire de l’Etat d’immatriculation n’apparaît pas contraire à l’article 43. Comme l’a précisé la Cour de justice dans un arrêt toujours de 1991, « l’immatriculation peut être subordonnée à l’existence d’un lieu réel et effectif entre le navire et l’Etat membre. L’Etat membre qui immatricule et confère la nationalité doit pouvoir contrôler le navire ». On en déduit que dans le cadre d’un ressortissant qui établit une filiale dans un Etat membre d’accueil, son navire dépendra de la législation de cet Etat d’accueil pour le contrôle. 50 CJCE 25 juillet 1991, « Factortame », affaire C-221-89 : Rec. CJCE 1991-I, p.3903 51 CJCE 4octobe 1989, « Commission c/ Royaume-Uni », affaire C-246/89 : Rec. CJCE 1989, p.4585

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Enfin, dans le cadre de cette évolution de la jurisprudence de la Cour de justice à l’égard de la liberté d’établissement, il convient de citer encore deux affaires plus ou moins récentes. Tout d’abord, il s’agit de l’arrêt « Commission contre France » du 7 mars 1996 (affaire C-334/94) dont le premier recours porte sur le régime de francisation des navires (l’opération administrative qui permet à un navire de battre pavillon français). L’article 291du Code des douanes subordonne la francisation à une condition de contrôle par des français. Pour résumer, la loi énonce que le navire doit appartenir, soit pour moitié au moins à des français, soit pour le tout à des sociétés ayant leur siège social en France et dirigées par des français. Dans son recours, la Commission avait fait la distinction selon que le navire était l’instrument d’une activité économique. La Cour reprend cette même distinction et se prononce. Pour ce qui est des navires « à but économique », la Cour se réfère à sa jurisprudence antérieure (arrêt « Factortame) estimant qu’il y a une discrimination contraire à l’article 6 du Traité qui constitue une entrave à la liberté d’établissement. Ensuite, elle se prononce sur les navires utilisés dans le cadre d’un loisir, estimant que le fait d’avoir des activités de loisirs est un corollaire de cette liberté. Dès lors la Cour en conclut que le seul fait de réserver à ses nationaux le droit d’immatriculer un navire en France est contraire au principe de libre établissement sur le territoire de la Communauté. Cet arrêt a été confirmé par deux affaires rendues un an plus tard concernant cette fois ci la Grèce et l’Irlande. Il s’agit des arrêts « Commission contre Irlande » du 12 juin 1997 (recueil 1997, p.3327) et « Commission contre Grèce » du 27 novembre 1997. Pour en terminer avec cette évolution jurisprudentielle, il convient de se pencher sur un arrêt « Commission contre Belgique » du 8 juillet 1999 (Affaire C-203/98) qui pose le même problème que dans l’affaire « Factortame » et les autres. Dans cette affaire, était en cause la réglementation belge sur l’immatriculation des navires qui indiquait que les personnes physiques étrangères devaient résider depuis au moins un an en Belgique pour pouvoir faire immatriculer un navire. Pour les personnes morales, elles devaient avoir leur siège d’exploitation, une agence ou un bureau depuis un an aussi. Les dispositions de cette loi n’ayant pas été abrogées pour les ressortissants communautaires, la Belgique a fait l’objet d’une procédure en manquement de la part de la Commission. La Cour qui examine cette affaire en conclut que la Belgique a manqué à ses obligations qui lui incombent en vertu de l’article 52 (devenu article 43) du Traité et de l’article 12 du Traité qui interdit les discriminations en fonction de la nationalité. Il est intéressant de se pencher sur les effets de ces décisions en France et de savoir quel a été le travail d’adaptation fourni pour mettre sa législation en conformité car il semble désormais qu’avec la loi de 1996 la France soit en conformité avec la réglementation communautaire à cet égard. b) L’obligation d’adaptation des législations nationales : le cas de la France En effet, cette modification de la législation était indispensable pour la France afin de respecter ce principe de libre établissement. Non seulement le législateur français s’est conformé au droit communautaire en respectant le principe de liberté d’établissement, en tenant compte de l’Accord de Porto de 1989, créant l’Espace Economique Européen, mais en plus, il a pris en compte la spécificité du droit maritime. La francisation est la procédure par laquelle est permise l’attribution du pavillon français à un navire. L’immatriculation dans un port français est un préalable à la francisation, le lieu d’immatriculation d’un navire est son port d’attache.

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Cette francisation suppose la réunion et la justification des conditions de fond, à savoir le paiement du droit de francisation et de navigation, la délivrance de l’acte de francisation. L’article 219 du Code des douanes, depuis la loi du 8 décembre 1948 et la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires, modifiée par la loi du 29 avril 1975, mettent l’accent sur la propriété. Dans son article 3 (loi de 67), la loi énonce que la francisation est réservée aux navires qui appartiennent pour moitié au moins à des français résidents ou ayant un domicile en France pour toutes les affaires administratives et judiciaires se rapportant à la propriété et à l’état du navire. Afin de mettre sa législation en conformité avec le droit communautaire quant à la condition de nationalité, le législateur est intervenu par une loi n° 96-151 du 26 février 199652 relative aux transports. Cette loi remplace la condition de nationalité française par celle de ressortissant d’un Etat membre ou de société ayant leur siège social sur le territoire d’un Etat membre. Pour ce qui est d’un ressortissant de l’Espace Economique Européen, la condition de nationalité française disparaît aussi mais pour les seuls navires armés au commerce ou à la plaisance. Si le législateur n’a pas souhaité ouvrir la francisation à aux navires de l’Islande ou de la Norvège, son refus repose sur trois principaux arguments. Tout d’abord, il considère que la pêche est délibérément exclue de l’Espace Economique Européen ; ensuite, parce que cet Espace repose sur un traité international, l’exception de réciprocité doit jouer. Or, ni la Norvège, ni l’Islande n’ouvrent leur registre d’immatriculation à des navires français. Enfin, il souligne que la compétitivité des armements de pêche norvégiens et islandais. Enfin, le législateur n’a pas manqué de préciser que pour les sociétés ayant leur siège en dehors du territoire français, « l’exploitation et l’utilisation du navire doivent être dirigées et contrôlées à partir d’un établissement stable situé sur le territoire français ». Dès lors la législation française apparaît comme conformes aux exigences de la liberté d’établissement telles que précisées par la Cour de justice des Communautés européennes. Par ailleurs, nous pouvons relever qu’à l’égard des règles relatives aux transports maritimes d’intérêt national, un effet d’adaptation de la part du législateur a été accompli. En effet, depuis la loi n° 69-441 du 20 mai 1969, le Gouvernement français a le droit de disposer des services des armateurs français ou de l’usage des navires nécessaires aux transports maritimes qui présentent un intérêt national. Dans sa loi du 26 février 1996, le législateur français n’a pas oublié d’adapter ces règles au principe de liberté d’établissement énoncé par le Traité, en édictant que « ces dispositions sont également applicables aux armateurs de nationalité étrangère des navires battant pavillon français ». Là où le droit communautaire a mis fin à « ce qui subsistait de l’Acte de navigation de 1793 » dans le domaine des conditions d’attribution du pavillon lequel ressortait de la compétence des Etats (compétence même affirmée par le droit international public), il est aussi intervenu quant aux conditions de changement du pavillon. 2/ L’abolition des entraves au changement de pavillon Cette disparition des entraves au libre changement de pavillon est le fruit d’un Règlement n° 613-91 du Conseil du 4 mars 199153 relatif au changement de registre des navires à l’intérieur 52 JORF, 27 février 1996, p.3094 53 JOCE n° L 68, 13 mars 1991, p.1

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de la Communauté. Avant de constater que ce règlement consacre pleinement le principe « de confiance mutuelle » très important dans le droit communautaire (b), nous allons nous consacrer à une analyse du règlement (a). a) Le contenu du règlement du Conseil Ce règlement a pour objectif principal de limiter les obstacles techniques à l’immatriculation dans un autre Etat membre. Ces obstacles sont essentiellement liés aux changements de pavillon et de nationalité du navire. Mais surtout, s’il a pour but de faciliter les transferts de navires entre registres nationaux des Etats membres, c’est en particulier sans mettre en cause le niveau élevé de sécurité des navires. Tout d’abord, il nous faut préciser que ce règlement exclut de son champ d’application le transport de passagers. En revanche, il s’applique aux navires de charge d’une jauge brute supérieure ou égale à 500 tonneaux et satisfaisant aux conventions MARPOL de 73/78 et SOLAS de 74 ainsi qu’à leurs amendements afin de rajeunir les flottes communautaires et de favoriser la sécurité. Ensuite, pour bénéficier des dispositions du règlement, les navires doivent être immatriculés dans un Etat membre depuis au moins six mois et avoir accompli un service actif durant cette même période. Cette mesure permet à l’Etat d’origine d’assurer les contrôles indispensables pour pouvoir bénéficier d’un transfert simplifié d’immatriculation. En fin le navire doit posséder un certificat en cours de validité prouvant sa conformité aux normes de navigabilité minimales obligatoires. Dès lors ce règlement rend plus effective la liberté d’établissement, objectif de l’article 43 du Traité, notamment en facilitant pour l’armateur installé la possibilité de se procurer des navires dans d’autres Etats membres, mais tout repose sur un principe fondamental en droit communautaire, « la confiance mutuelle », en l’occurrence entre l’Etat d’origine et l’Etat d’accueil. b) La consécration du principe de « confiance mutuelle » C’est très certainement là que réside la force du règlement. En effet, la libre circulation étant réservée aux navires qui respectent la réglementation internationale de la sécurité maritime, ils ne peuvent en principe pas se voir refusés le changement de registre d’immatriculation par l’Etat d’accueil, en particulier pour des raisons techniques. L’Etat d’accueil doit faire confiance à l’Etat d’origine. Le règlement met en œuvre le principe de confiance mutuelle afin de faciliter ce transfert. C’est la raison pour laquelle le règlement prévoient notamment que les certificats de conformité aux deux conventions Marpol et Solas, délivrés par l’Etat membre d’origine, seront considérés comme ayant « une valeur communautaire ». Par conséquent, un autre Etat d’accueil ne pourra pas s’opposer à l’immatriculation sur son registre d’un navire conforme aux prescriptions. Néanmoins, le règlement précise que cet Etat d’accueil bénéficie du droit de faire une inspection visant à vérifier que l’état du navire et son équipement correspond réellement à ses certificats, et aux déclarations de conformité aux conventions internationales. Le règlement permet aussi à l’Etat d’accueil d’imposer des exigences additionnelles, s’il est lié par des accords régionaux sur la protection de l’environnement marin. Dans l’hypothèse où le principe de confiance mutuelle serait mis mal à l’aise par le refus de l’Etat d’accueil, ce refus doit être notifié à la Commission qui pourra, après avis d’un comité composé de représentants des Etats membres, confirmer ou annuler la décision de l’Etat en

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cause. En cas de désaccord du comité, cette confirmation ou annulation ne peut être décidée que par le Conseil. La Commission bénéficie désormais du contrôle des décisions nationales en matière d’immatriculation d’un navire sur un autre registre lors d’un transfert. Pour conclure, on peut dire que ce règlement fonde le principe de confiance mutuelle en créant des mécanismes assurant un niveau de respect de navigabilité des navires. Si l’ouverture des registres nationaux des Etats membres était rendue obligatoire dans le souci de respecter la liberté d’établissement, elle l’est devenue aussi pour les pavillons bis, ouverture qui loin d’être réalisée dans les Etats membres B L’ouverture nécessaire des pavillons bis Parallèlement au phénomène des pavillons de complaisance dont on connaît leur renommé, s’est développé le phénomène des pavillons « bis » (qui ont une base territoriale « extra métropolitaine » identifiable) dont leur ouverture, comme pour les pavillons nationaux, représente un enjeu considérable (1). Pourtant, si les pavillons bis de certains Etats membres se sont ouverts à la liberté d’établissement, c’est loin d’être le cas de tous. En, en l’état actuel de la situation il semble intéressant de se tourner vers les pavillons internationaux de certains Etats membres qui répondent de manière assez respectueuse aux exigences du droit communautaire (2). 1/ L’enjeu de l’ouverture des pavillons « bis » La création de ce nouveau type de pavillon est très certainement liée à la lourdeur financière des coûts sociaux dans le régime des pavillons nationaux (a). Nous verrons dans quelle mesure la liberté d’établissement les touche, le régime qui leur est vraiment appliqué (b). a) La création des pavillons « bis » La raison pour laquelle de nombreux armateurs ont placé leurs navires sous des pavillons de « libre immatriculation », c’est pour échapper à une réglementation sociale très onéreuse. Ainsi, un certain nombre de professionnels se sont demandés comment serait-il possible, sans abandonner le pavillon national de l’Etat d’origine, d’arriver aux mêmes conditions financières que celles proposées par les pavillons de complaisance. C’est ainsi qu’est né le pavillon bis, au gré de cette réflexion. Les pavillons bis sont distincts des pavillons de complaisance dans la mesure où les premiers sont généralement soumis aux mêmes règles de sécurité que les navires sous pavillon national ; les règles internationales sur le statut des marins sont respectées ; en revanche, les règles sociales nationales sont plus souples. Leur légalité internationale a été reconnue : un Etat est libre d’attribuer son pavillon, sous réserve de qui a déjà été dit du point de vue du droit communautaire ; il peut en diversifier les conditions d’attribution. La grande majorité des Etats membres se sont dotés de pavillon bis. Leur légalité du point de vue communautaire a été affirmée, mais comment les traiter au regard du respect de la liberté d’établissement. b) Le régime juridique applicable Du point de vue du droit communautaire, les pavillons bis des Etats membres imposent généralement l’obligation d’escale et ils sont liés à un territoire assimilé à un TOM pour ce qui est par exemple du pavillon Kerguelen, pavillon bis de la France. Or, on sait qu’en

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application des articles 299§3 (ex-article 227§3) et 186 (ex-article 135) du Traité, le droit communautaire ne s’y applique pas, et plus particulièrement l’article 43 du Traité. Ce pavillon bis (Kerguelen) ne forme pas un titre juridique autorisant l’installation aux Kerguelen des ressortissants communautaires. En application de la loi du 26 février 1996, l’immatriculation dans les Terres australes et antarctiques françaises peut être réservée à des français. En raison de l’article 299§5 (ex-article 227§5) du Traité, on peut appliquer le même raisonnement pour ce qui est du pavillon bis britannique, l’île de Man. En revanche, les îles Canaries et de Madère, rattachées respectivement à l’Espagne et au Portugal sont soumises à l’application de la liberté d’établissement. Par conséquent, les registres d’origine espagnole et portugaise qui s’y rattachent doivent être ouverts aux ressortissants communautaires. Si la liberté d’établissement semble partiellement appliquée en fonction des pavillons bis, les pavillons internationaux représentent un modèle assurant un meilleur respect bien mieux comme le montre l’exemple de l’Allemagne, est riche d’enseignements. 2/ Les pavillons internationaux a) Définition et présentation Par registres internationaux, on entend des registres qui n’ont pas de base territoriale rattachable. Ils ont comme seul point commun avec les pavillons bis de permettre à l’armateur d’exploiter les navires dans des conditions moins coûteuses. Aussi leur ouverture est-elle tout aussi importante que celle des pavillons bis. Les pavillons internationaux qui correspondent pour l’essentiel aux modèles allemand et danois, n’ont pas d’assise territoriale spécifique. Ils sont, par conséquent, ouverts à tout ressortissant communautaire remplissant les conditions d’accès, pourvu qu’elles ne soient pas discriminatoires. b) Le modèle allemand La Cour constitutionnelle allemande a su encadrer le registre international allemand d’immatriculation des navires qui organise l’extra territorialité des marins ne résidant pas en Allemagne. La loi du 23 mars 1983 a un but tout à légitime en voulant maintenir dans le cadre juridique allemand des emplois qualifiés. Mais la loi doit respecter le principe de liberté d’établissement pour ceux qui ne résident pas en Allemagne. Ainsi, le juge allemand peut appliquer vis-à-vis des marins étrangers embarqués, une loi étrangère, tout en veillant au respect des principes fondamentaux du droit allemand du travail. Que ça soit pour le pavillon bis ou le pavillon dit international, le principe de liberté d’établissement est loin d’être acquis et sa mise en œuvre demandera un effort particulier auprès des législateurs de chaque Etat membre. Malgré les difficultés qui se posent pour susciter le respect de la liberté d’établissement, l’action de la Communauté s’est tournée vers une politique allant au-delà de la simple élimination des obstacles à l’inscription et au changement de pavillon, qui relève d’avantage

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de la communautarisation des pavillons, en particulier avec le projet « EUROS » lancé dès 1989. §II VERS UNE COMMUNAUTARISATION DES PAVILLONS NATIONAUX Cette communautarisation des registres nationaux a commencé dès 1989, les institutions ont tenté mettre en place un registre communautaire « EUROS », parallèlement aux registres nationaux des Etats membres, avec un double objectif : continuer la lutte d’évasion vers les pavillons de complaisance des navires communautaires et conférer des avantages pour la diminution des coûts. Malheureusement, ce projet a échoué quelques années plus tard (A). De ce fait, préservant les acquis de ce projet, la politique de la Communauté s’est orientée vers un travail plus précis d’uniformisation des conditions d’accès aux différents registres des Etats membres tout en suscitant le respect de la liberté d’établissement (B). A Le projet de registre communautaire d’immatriculation des navires : EUROS Malgré l’échec de ce projet, il en demeure aujourd’hui des résultats pour la création possible d’un pavillon communautaire. Ainsi, ce projet voulait maintenir une flotte communautaire compétitive en essayant d’attirer de nouveaux navires communautaires ; oeuvrant dans ce sens, le projet était ambitieux (1). Mais cette ambition a été fortement gênée par le respect obligatoire de règles fortement contraignantes (2). 1/ Un projet ambitieux Pour espérer que ce projet soit viable, il devait impérativement envisager d’alléger les coûts d’exploitation (a). Mais le projet ne s’arrêtait pas là, il comportait d’autres avantages, toujours dans un souci de rendre plus effective la liberté d’établissement (b). a) La nécessité d’un allègement des coûts d’exploitation Le projet de pavillon communautaire « EUROS » a été présenté par la Commission le 3 août 198954. C’est un véritable compromis pour enrayer le déclin de la flotte communautaire tout en renforçant la présence de la Communauté sur le marché mondial. Pour respecter ce compromis, il fallait avant tout envisager un allègement des coûts d’exploitation. Cet allègement provient tout d’abord du régime social minimal à respecter à bord du navire, situé à l’époque au niveau fixé par la recommandation 109 de l’Organisation internationale du Travail quant aux salaires, aux temps et conditions de travail en ce qui concerne les ressortissants extracommunautaires. Dans la version de 1992 de la proposition, l’article 18 prévoyait la restitution à l’employeur de l’impôt sur le revenu des marins. Cette mesure avait vocation à faire reprendre les débats au Conseil. En fait, elle consiste à admettre des subventions destinées aux armateurs, accordées par les Etats. Mais un certain nombre d’Etats répugnaient ainsi à subventionner pour éviter la fuite vers des pavillons de complaisance. Lors de la présentation de son programme par la présidence française le 1er janvier 1995, l’annonce d’un texte destiné à donner un contenu à ce registre laissait espérer des dispositions futures et imminentes, il n’en a pas été ainsi dans la mesure où l’échéance a été reculée.

54 Doc COM (89) 266 final, 3 août 1989 et proposition modifiée du règlement du Conseil instaurant un régime communautaire et prévoyant la navigation sous pavillon communautaire pour les navires. JOCE n° L 73, 19 mars 1991, p.11 et JOCE, n° L 19, 25 janvier 1992

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L’évolution lente et conflictuelle s’explique par l’ambiguïté de ce projet « EUROS ». Pour certains Etats comme le Danemark, la Grande-Bretagne ou la Grèce, le contenu des dispositions ne devraient pas comporter de mesures plus contraignantes que celles qui existent dans ces Etats où les contraintes sont pratiquement inexistantes, excepté en ce qui concerne le commandant du navire. La remarque de ces pays visait essentiellement la composition des équipages. Pour d’autres pays, comme la France, l’existence d’un pareil registre n’a de sens que si les navires battant pavillon des Etats de l’Union européenne doivent employer un nombre minimum de ressortissants communautaires. Ces deux positions recouvraient des intérêts maritimes intéressants mais tellement différents de telle sorte que la réalisation d’un compromis autour d’un allègement des coûts d’exploitation se révélait impossible en pratique. D’ailleurs, on peut relever que l’opposition à ce projet a été aussi ferme tant du point de vue des associations d’armateurs que parmi les différents gouvernements nationaux. Cependant, la conclusion d’un compromis pouvant toujours être espérée dans la mesure où d’autres avantages étaient envisagés par le projet. b) D’autres avantages dans le respect de la liberté d’établissement Le projet devait à terme tenter d’harmoniser les avantages que l’on peut trouver dans les pavillons bis et pavillons internationaux. En effet, ces deux types de pavillon n’offrent pas des avantages identiques aux armateurs des différents Etats membres, ni le même abaissement des coûts d’exploitation. En proposant d’autres avantages, la Commission voulait sortir de cette contradiction. Ainsi, il était prévu que l’inscription au registre d’immatriculation communautaire donnerait le droit de se livrer au cabotage et de participer au transport de l’aide alimentaire communautaire. Ensuite, tout navire qui serait immatriculé au registre « EUROS », pouvait se voir accorder le transfert sur le registre d’un autre Etat membre sans être contraint de satisfaire à des exigences techniques complémentaires. Avec ces différents avantages que pouvait conférer ce projet « EUROS », on pouvant atteindre une meilleure effectivité du principe de libre établissement au sein de la Communauté. Mais tous avantages ne pouvaient pas être mis en ouvre sans avoir leurs pendants du côté des obligations. 2/ Le respect obligatoire de certaines règles Ce projet comportait essentiellement deux types de règles contraignantes mais nécessaires pour préserver une flotte communautaire compétitive. Avec la multiplication des naufrages et problèmes de pollution, le respect des normes de sécurité était impératif (a) ; par ailleurs, un tel projet ne pouvait aboutir que s’il envisageait l’aspect de l’emploi de ressortissants communautaires (b). a) Le respect des normes de sécurité maritime Dans la proposition de 1989, on retrouvait toutes les normes communautaires jusque là élaborées relatives à la fiabilité et à la sécurité des navires. Ces dispositions concernaient

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principalement les normes techniques des conventions SOLAS et MARPOL à savoir toutes les conditions relatives aux certificats de navigabilité, au respect des inspections de navires, la surveillance des Etats sur les sociétés de classification afin qu’elles assurent l’opération de certification conformément aux dispositions du droit international. Nous entrerons dans le détail de toutes ces normes un peu plus, normes qui ont été aujourd’hui renforcées suite aux nombreux évènements récents de pollution en mer. Même si le respect des normes de sécurité est un gage obligatoire, le projet devait surtout comprendre des dispositions sur l’emploi de ressortissants communautaires afin de faire face à la main d’œuvre étrangère, souvent très bon marché mais dont la qualification n’est pas toujours bien assurée. b) Le respect de l’emploi de ressortissants communautaires C’est à l’article 7 du projet « EUROS » de la proposition de 1989 qu’était prévu le recrutement de personnel. Cet article disposait que « sur les navires immatriculés dans le registre « EUROS », tous les officiers et au moins la moitié du reste de l’équipage doivent être des ressortissants d’un Etat membre de la Communauté ». Cette contrainte a été maintenue par la suite : la solution consistant à limiter aux officiers l’exigence de nationalité communautaire avait été proposée les 9 et 10 novembre 1992 lors de la réunion entre la Commission et les Etats membres à Edimbourg55. En revanche, pour ce qui est de l’équipage, la solution proposée à l’article 7 n’a été qu’évoquée. Le refus de la solution retenue plaçait le projet de registre « EUROS » dans une situation délicate et surtout une situation offrant moins d’avantage que les pavillons bis, beaucoup moins exigeant au regard de l’emploi des gens de mer. Par conséquent, dans cette optique, les pavillons bis restaient toujours plus attractifs, les armateurs préférant une flexibilité complète des normes relatives à la nationalité aux avantages fiscaux. En 1996, la proposition a été définitivement retirée56 par la Commission dans la mesure où il est apparu impossible d’arriver à un réel compromis satisfaisant les intérêts en jeu et ceux de chacun des Etats membres. La même année, des relevés statistiques confirmaient pourtant l’urgence de la situation. On comptait seulement 14% du tonnage par mer annuellement transporté par des navires battant pavillon des Etats membres (contre 32% au début des années 70) alors que 56% des transports effectués par des ressortissants des Etats membres l’étaient sous des pavillons extracommunautaires. Mais la Commission n’a pas abandonné pour autant. Les efforts fournis étaient là et elle a réorienté sa politique afin de sauvegarder les acquis et de promouvoir de nouvelles idées pour garantir cette liberté d’établissement. B La réorientation vers une nouvelle harmonisation des registres nationaux Malgré l’abandon du projet « Euros » en 1996, une politique d’harmonisation des conditions d’inscription aux registres nationaux s’est implicitement amorcée, la Commission souhaite la développer d’avantage. Une telle politique va bien au-delà des effets ressortant du règlement

55 Europolitique n° 1818, 5décembre 1992 56 Recueil COM (96) 81 final, 13 mars 196, p.20

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613/91, elle ouvre une nouvelle perspective (1) qui devra s’accomplir dans le respect de certaines normes communes, aujourd’hui, largement renforcées (2). 1/ L’ouverture d’une nouvelle perspective… C’est en 1996 que la Commission a rendu publique sa proposition dans laquelle elle annonçait sa nouvelle politique pour l’harmonisation des conditions d’inscription aux registres nationaux (a) ; proposition que nous allons regarder de plus près afin de relever les nouveaux enjeux qu’elle peut engendrer (b). a) La proposition de la Commission Après l’échec du registre « EUROS », la Commission a envisagé une nouvelle politique. Au lieu de créer un registre tel le registre « EUROS », la Commission s’est orientée vers une définition commune des conditions applicables à tous les registres des Etats membres qu’il s’agisse d’une première inscription ou d’un changement. Elle a proposé de nouveaux critères communs pour tous ces registres. Tout d’abord, elle a commencé par préciser que ces conditions devaient garantir la sécurité des navires qui battent pavillon d’un Etat membre, une sécurité dont les enjeux n’ont cessé de croître depuis. Elles doivent aussi assurer la qualité des conditions de travail à bord ainsi que la protection de l’environnement. Ensuite, elle proposait que l’immatriculation ne soit accordée qu’à des navires certifiés techniquement au regard des exigences communautaires. Cette voie était déjà engagée avec l’adoption récente d’une directive n° 94/57 relative à la fiabilité des navires du 22décembre 199457. De plus, dans le même ordre idée, la Commission avait déjà annoncé que les registres de tous les Etats membres devaient prévoir des mécanismes garantissant la responsabilité financière, administrative, civile et pénale des propriétaires des navires afin de faciliter le contrôle des Etats lors de l’inscription. Enfin, quant à l’immatriculation même, la Commission suggérait que soient requises deux exigences essentielles. D’une part, elle estimait que l’immatriculation du navire devait être subordonnée à la réalisation d’une visite complète au cours de laquelle le respect de toutes les normes en vigueur serait contrôlé, exception faite pour un navire déjà inscrit dans un Etat membre qui demande un changement pour le registre d’un autre Etat membre. D’autre part, elle demandait à ce que l’Etat du pavillon soit en mesure de garantir que les équipages sur les navires qu’il immatricule soient détenteurs des brevets d’aptitude professionnelle requis. Cette proposition établie, elle n’a pas été sans susciter un nouvel enjeu à prendre en compte. b) L’enjeu de la proposition Pour établir de nouvelles conditions communes d’immatriculation pour les Etats membres, il faut garantir un minimum d’exigences communes relatives à l’aptitude des navires à naviguer dans la mesure où il faut « à tout prix » éviter la présence sur les registres nationaux de « navires présentant des dangers (navires poubelles) ».

57 Directive n° 94/57 du 22 décembre 1994, JOCE n° L 319, 12 décembre 94, p.20

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En effet, cette harmonisation doit bénéficier à la sécurité maritime, à la liberté d’établissement et faciliter le transfert d’un navire d’un registre d’un Etat membre à un autre. Tous ces paramètres sont pris en compte dans cette nouvelle proposition. Comme certains auteurs ont pu le faire à l’époque, cette démarche de la Commission est sans doute à rapprocher de celle faite dans le domaine des transports aérien avec « le certificat de transporteur aérien » du règlement n° 2407/92 du Conseil du 23 juillet 1992. Ce certificatif a pour objectif de sanctionner la capacité professionnelle à voler tout en conditionnant la délivrance d’une « licence d’exploitation » qui sanctionne elle la capacité à transporter. Le but recherché par cette nouvelle proposition dans le domaine maritime est assez proche dans la mesure où l’immatriculation sur le registre d’un Etat membre devrait remplir pleinement cette fonction d’agrément à la navigation. Mais cela ne pourra se faire sans une application convergente des règles de droit international dans les Etats membres et notamment certaines résolutions de l’Organisation maritime internationale qui peuvent être rendues obligatoires par la législation communautaire, sans avoir à attendre nécessairement que les Etats membres s’y conforment d’eux même en adaptant leur législation. 2/ Dans le respect de normes toujours en cours d’harmonisation Dès lors, avec ce qui vient d’être exposée, on en déduit que pour pouvoir être immatriculé sous le pavillon d’un Etat membre, un navire doit présenter un certain nombre de garanties de fiabilité. Or, parmi ces garanties, une majorité d’entre elles ont déjà fait l’objet d’un début d’harmonisation par le législateur communautaire. Pour l’essentiel de ces garanties, il s’agit de manière générale de la sécurité maritime (a) et de la qualification des équipages (b). a) Les normes communes de sécurité maritime En relation avec ce qui vient d’être exposé, on constate qu’un navire ne devrait être immatriculé et pouvoir conserver celle-ci que s’il répond à des normes de navigabilité communes. Or cette perspective est déjà à moitié remplie puisque l’action de la Communauté dans ce domaine n’a cessé et ne cesse de progresser. La voie de l’harmonisation est déjà lancée et ce dans deux voies distinctes. Une première voie a été ouverte avec la directive n° 94/57 du Conseil du 22 décembre 1994 établissant « des règles et des normes communes concernant les organismes habilités à effectuer les inspections et la visite des navires et les activités pertinentes des administrations maritimes », les Etats membres et les sociétés de classification devant prendre des mesures pour se conformer aux conventions internationales. Cette directive a été modifiée par une directive n° 97/58 de la Commission du 26 septembre 1997. L’objectif de cette directive est d’arrêter les mesures qui doivent être prises par les Etats membres et les organismes concernés par l’inspection, la visite et la certification des navires, en vue d’appliquer efficacement les conventions internationales. Cette directive impose aux Etats membres de s’assurer que les navires battant son pavillon sont construits et entretenus conformément aux exigences concernant la coque, les machines, les installations électriques et les dispositifs de commande, établies par un organisme agréé.

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Depuis cette dernière directive, le 15 septembre 2000, la Commission a présenté une proposition de directive au Parlement et au Conseil modifiant la directive de 1994 (COM (2000) 489 JO C365 du 19 décembre 2000). Elle a pour but d’adapter la directive de 1994 à la mise en place du comité de sécurité maritime et de faciliter sa mise à jour. Lors de la première lecture, le Parlement a approuvé cette proposition ajoutant quelques amendements, eux-mêmes approuvés à leur tour par la Commission. Par ailleurs, on peut relever que le 21 mars 2000, la Commission a présenté une autre proposition de directive modifiant la directive de 1994 (COM (2000) 142 JO C212E du 25 juillet 2000 qui fait partie d’un document global sur la sécurité maritime du transport pétrolier. Elle vise essentiellement l’octroi et le retrait de l’agrément des sociétés de classification, une sanction nouvelle, la qualité des performances des organismes agréés, les conditions de la responsabilité financière de ce même organisme, des critères qualitatifs plus stricts, de nouvelles obligations pour les Etats membres, en tant qu’Etats du pavillon. Le 26 février 2001, le Conseil a adopté une position commune. De plus, précisons que pour ce qui est des navires pétroliers, toutes ces dispositions ont été renforcées par la législation communautaire dite « Erika I » et « Erika II ». Quant à la deuxième voie, elle a été ouverte avec une directive du 18 juin 1998 par laquelle les Etats membres se sont mis d’accord sur une définition pour les normes communes de classification des navires transportant des passagers, reposant sur une différenciation des bâtiments en fonction de la zone maritime et de la spécificité des conditions locales de navigation. Aujourd’hui, le domaine de la sécurité maritime fait l‘objet d’une attention toute particulière en raison des récents évènements. Ces derniers ont amené la Communauté à renforcer toutes ces dispositions. Ainsi, avec l’avancement pris dans ce domaine, implicitement, les mesures adoptées ont des répercussions sur la possibilité de voir un jour un véritable pavillon communautaire. Mais le travail d’harmonisation ne s’est pas limité à la sécurité maritime, il touche aussi ce que l’on regroupe sous un terme général les gens de mer. b) Les normes communes relatives aux marins Ces normes touchant deux secteurs précis, celui de la qualification et celui de l’emploi. Quant au secteur de la qualification des marins, un niveau minimal a été requis et précisé avec la proposition de directive du Conseil « concernant le niveau minimal de formation des professions maritimes58 ». Ce niveau minimal a été harmonisé par la directive n° 94/58 du Conseil du 21 novembre 1994 concernant « le niveau minimal de formation des gens de mer »59 ; le but étant d’améliorer la sécurité des transports maritimes. Cette directive a été modifiée par une autre directive n° 98/35 du Conseil du 25 mai 1998, afin de prendre en compte les nouvelles prescriptions de formation, de délivrance des brevets et de veille adoptées par la conférence de l’OMT en 1995 révisant la Convention STWC. Ce niveau minimal exige des Etats membres qu’ils prennent les mesures nécessaires pour que leur formation soit au moins conforme aux prescriptions de la Convention internationale sur les Normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets du 7 juillet 1978, entrée

58 COM (93) 217 final, 26 mai 1993 59 JOCE n° L 319, 12 décembre 1994, p.28

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en vigueur le 28 avril 1984 (Convention STWC) et pour qu’ils soient titulaires d’un brevet attestant leur aptitude à exercer leur fonction. Ce texte s’applique au capitaine, aux officiers, à l’opérateur radio électricien, aux matelots, mécaniciens et canotiers. Par ailleurs, le champ d’application de cette directive est très précis puisqu’en relèvent les navires conçus pour la navigation en mer et battant pavillon d’un Etat membre, excepté les navires de guerre, les navires de pêche, les navires de plaisance et les constructions en bois privatives. Quant au secteur de l’emploi, celui-ci s’avère être un secteur plus sensible. Parmi les conditions attachées à l’immatriculation, il est important d’imposer des mesures garantissant l’emploi d’un certain nombre de marins communautaires. A cet égard, la Commission envisage des allègements fiscaux en faveur des marins ainsi qu’une réduction des charges sociales. En fait, l’idée de la Commission est de rendre non seulement attractif le pavillon national mais aussi de conserver les marins communautaires qui présentent davantage de garanties en termes de sécurité. Ainsi, dans une proposition de directive du 29 avril 199860, relative aux conditions requises en ce qui concerne les équipages des navires. Dans cette proposition, il est fait état d’un certain nombre de données constatées lors de la conférence internationale sur les gens de la mer de l’Union européenne, qui s’est tenue à Dublin en décembre 1996. Le constat fût le suivant : le nombre de marins communautaires employés à bord des navires battant pavillon d’un Etat membre a diminué de 37% en dix ans (1985-1995), alors que le nombre de marins non ressortissants a augmenté de 14%. De plus, on relève que 51% des pertes d’emploi sont causées par des transferts de pavillons. Pour conclure sur le domaine de la liberté d’établissement, on constate qu’il est difficile de concilier tous les enjeux qu’elle soulève. Face à cette liberté, nous pouvons peut- être nous pencher sur un facteur de complication, la définition de l’armateur communautaire. La question qui se pose est de savoir si l’harmonisation des conditions relatives au droit de naviguer doit s’étendre au droit de transporter. Cette position aurait pour conséquence la nécessité de fixer des conditions quant au propriétaire du navire afin que les Etats membres puissent exercer leur autorité sur les navires arborant leur pavillon. Dans sa proposition initiale en 1989, la Commission estimait qu’une société ne pouvait pas prétendre à la qualité « d’armateur communautaire » si la moitié des actions et/ou des parts au conseil d’administration n’étaient pas détenues par des ressortissants communautaires. Malgré l’abandon en 1996 de cette proposition, cette question est toujours d’actualité dans la recherche d’une définition de l’armateur communautaire. Pour revenir essentiellement sur le débat de fond, la relation liberté d’établissement et le pavillon, le risque actuel qui est engendré par les différentes dispositions vues, est de renforcer les obligations pesant sur les navires immatriculés dans les Etats membres et ainsi d’encourager la fuite vers les pavillons bis, voire de complaisance. Ce risque pourrait disparaître si l’on donnait une interprétation aux différents textes comme s’appliquant entièrement aux pavillons bis aussi, mais sur ce point l’harmonisation est encore loin d’être entièrement réalisée.

60 COM (2000) 437 final, JO C337 E, 28 novembre 2000

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Comme on vient de le voir, la politique menée par les institutions communautaires vise à défendre sa flotte contre les pratiques appliquées au sein même de la Communauté. Mais l’action de cette dernière ne s’arrête aux menaces éventuelles intérieures, elle tient à assurer la défense des pavillons communautaires et de manière plus générale, celle du Marché intérieur contre les armements et menaces extérieures à la Communauté. Le Marché intérieur est ouvert depuis le 1er janvier 1993 ; la réalisation de cette ouverture est en partie due au respect des deux libertés communautaires de libre prestation de services et de liberté d’établissement.

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CHAPITRE II L’INSTAURATION D UNE ACTION CONTRE LES PRATIQUES TARIFAIRES DELOYALES Une fois l’ouverture du Marché intérieur amorcée, il est important que l’action de la Communauté prenne en considération la présence de concurrents extérieurs. En effet, il existe de réelles pressions concurrentielles dues en particulier à l’excédent de tonnage et aux coûts d’exploitation souvent élevés pesant sur la compétitivité des armateurs de la Communauté. Ces derniers sont victimes de diverses pratiques abusives de la part de concurrents extérieurs. Malgré la philosophie très libérale qui anime et guide l’action de la Communauté, la Commission a entrepris d’instituer un mécanisme protecteur des intérêts communautaires afin Afin que ce marché ouvert ne devienne pas un Marché « offert » selon une expression empruntée à Françoise Odier (dans son article sur « l’Espace européen »). Une observation prolongée depuis 1979 sur les lignes d’Extrême-Orient, d’Amérique centrale et d’Afrique, a révélé un certain nombre de tactiques employées par les transporteurs d’Etats à économie dirigée ou financés par des Etats. Ces pratiques relevaient souvent d’un bradage excessif des prix ou de la liquidation de cargaisons très rémunératrices. Ce genre d’actions n’est pas inconnu de la Commission dans la mesure où l’article 91 (aujourd’hui abrogé) du Traité lui permettait d’adopter des mesures afin de lutter contre la pratique « antidumping ». Ainsi, en 1985, lors de l’élaboration d’une politique commune des transports maritimes, la Commission a pris conscience du réel danger que pouvaient engendrer ces pratiques tarifaires déloyales. C’est la raison pour laquelle elle a estimé qu’une action concertée des Etats membres pouvait s’avérer utile. Inspirée par les dispositions du GATT, en matière de droits compensateurs et antidumping, lors de l’élaboration des règlements de 1986, un volet composé de deux règlements fût consacré à ces pratiques afin de sauvegarder les résultats de l’élimination des frontières à l’égard des flottes communautaires et de permettre aux Etats membres de réagir efficacement et de façon coordonnée à l’encontre de mesures protectionnistes d’Etats tiers. Ainsi, le premier règlement n° 4057/86 du Conseil du 22 décembre 1986, « relatif aux pratiques tarifaires déloyales dans les transports maritimes »61 donne les moyens à la Communauté d’une défense commerciale (section I) tandis que le deuxième règlement n° 4058/86, concernant « une action coordonnée en vue de sauvegarder le libre accès au trafic transocéanique » prévoit l’adoption de contre mesures dans certaines hypothèses et à certaines conditions (Section II). 61 JOCE n° L 378, 31 décembre 1986, p.14

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SECTION I UNE POLITIQUE DE PROTECTION DES ARMATEURS COMMUNAUTAIRES Il est apparu que certaines pratiques tarifaires déloyales émanaient de compagnies de pays tiers, ayant pour conséquence principale de gêner, voire d’empêcher la présence des armateurs communautaires sur le trafic maritime international. Plus particulièrement, ces pratiques consistaient à soumettre certaines marchandises à des taux de fret anormalement inférieurs aux taux les plus bas déjà pratiqués sur ces marchandises. Cependant le règlement n° 4057/8662 rend ces pratiques tarifaires légales par l’octroi d’avantages non commerciaux par un Etat hors Communauté. Par conséquent, face à de telles offensives commerciales de la part d’Etats tiers, les institutions communautaires ont adopté dans le règlement n° 4057/86, des instruments juridiques pour se défendre (I). Instruments qui permettent de penser qu’ils ont eu un effet dissuasif auprès des armateurs peu scrupuleux dans la mesure où la Communauté a eu recours à leur mise en œuvre une seule fois lors de l’affaire « Hyundai Merchant Marine) en 1987 (II). §I LES INSTRUMENTS JURIDIQUES DE DEFENSE COMMERCIALE DU REGLEMENT Pour l’essentiel, ce règlement s’inspire de la réglementation existant en matière de dumping. Ainsi, comme nous allons le voir, il prévoit la possibilité pour les institutions communautaires d’appliquer des droits compensateurs à l’issu d’une longue procédure (B) à l’encontre des marchandises introduites dans la Communauté par un exportateur étranger à un prix qui ne correspond pas à leur coût réel (A). A Le champ d’application du règlement Comme on l’a déjà souligné, ce règlement met en place un système de mesures afin de protéger les armateurs de la Communauté. A cet égard, il convient de préciser le domaine d’application personnel du règlement (1). Ensuite, on pourra relever que ce règlement définit de manière assez étroite ce qu’il entend par « pratiques tarifaires déloyales » (2). 1/ Le champ d’application personnel du règlement C’est en son article 3 que le règlement n° 4057/86 précise les personnes qui peuvent bénéficier des dispositions qu’il énonce. Tout d’abord, le texte protège les intérêts des armateurs et plus précisément « l’armateur communautaire » dont il donne une définition à l’article 3,e. Par opposition, il s’applique à l’encontre des armateurs ressortissants de pays tiers qui regroupent les compagnies autres que celles qui sont bénéficiaires. Ensuite, la victime des pratiques tarifaires déloyales visées par le règlement s’entend « de toute compagnie maritime de transport de marchandises établie dans un Etat membre de la Communauté, au sens du Traité » (article 3,d). Cette formule, très large en soi, peut concerner une compagnie dont les capitaux, l’équipage, le capitaine, le pavillon et le navire sont étrangers à la Communauté. La référence finale à l’interprétation du Traité ne semble malheureusement pas en restreindre la portée.

62 JOCE n° L378, 31 décembre 1986, p.21

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Cette légèreté a deux conséquences directes. D’une part l’armateur bénéficiaire se trouve protégé par le règlement. D’autre part, échappant à la qualification « d’armateurs ressortissants de pays tiers », il échappe au dispositif, lequel est prévu à l’encontre de ces seuls armateurs. De plus, cette définition comporte un inconvénient majeur. Elle permet la protection de compagnies maritimes pour lesquelles la Communauté n’a aucun intérêt à protéger dans la mesure où il n’est exigé aucun lien substantiel au marché intérieur. Dès lors, le règlement peut s’appliquer en faveur d’une entreprise dont tous les éléments sont étrangers à la Communauté et par là-même, cela peut induire des tentatives de détournement du règlement par établissement dans un Etat membre. Enfin, il est fait référence à la clause dite « grecque ». La victime peut aussi s’entendre « des ressortissants d’Etats membres établis hors de la Communauté » et des compagnies maritimes établies hors de la Communauté si elles sont contrôlées par des ressortissants d’un Etat membre, et si leurs navires sont établis dans un Etat membre conformément à la législation de ce dernier. Après avoir défini le champ d’application personnel du règlement, il convient de s’intéresser au champ d’application matériel et plus précisément ce que le règlement entend par « pratiques tarifaires déloyales ». 2/ Le champ d’application matériel On peut s’intéresser à cette notion en commençant par voir sa définition quant à son contenu puis quant à son effet. Quant à son contenu, la pratique tarifaire déloyale consiste en une offre régulière de taux de fret inférieurs aux taux de fret normaux pratiqués pendant au moins six mois. Cette pratique relève du règlement lorsque ces taux inférieurs viennent de ce que l’armateur en cause bénéficie d’avantages non commerciaux octroyés par un Etat non membre de la Communauté. Par conséquent, on peut déduire de cette définition, que l’approche de la pratique de tarification déloyale est double. Il faut une origine à cette pratique qui réside dans l’octroi par un Etat d’un avantage non commercial dont la manifestation réelle est un taux de fret anormalement bas. C’est à l’article 3,b que sont visés les « avantages non commerciaux » mais sans aucune précision particulière. On peut dès lors penser qu’il s’agit d’un avantage direct ou indirect qui peut être de nature fiscale. De manière générale, sont visés par ce terme les subventions, les dégrèvements fiscaux et les aménagements financiers anormaux qui, faussant les coûts d’exploitation d’un armateur, le placent dans une situation anormalement avantageuse au regard de ses autres concurrents. C’est à l’article 3,c qu’est précisé le taux de fret normal par référence auquel s’apprécie la pratique tarifaire déloyale. Cet article distingue « le taux de fret normal » et « le taux de fret normal reconstruit ». En fait le premier calcul s’appuie sur une étude des tarifs appliqués par la concurrence ne profitant pas d’avantage non commercial tandis que le second est analytique : « ou sinon, du taux reconstruit, lequel est déterminé sur la base des coûts supportés par des compagnies comparables ne bénéficiant pas d’avantages visés au point b augmentés d’une marge bénéficiaire raisonnable. Ce coût est calculé sur la base d’ensemble

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des frais, tant fixes que variables, encourus dans les conditions normales du transport maritime, auquel on ajoute un montant raisonnable pour tenir compte des frais généraux »63. Quant à son effet, la pratique tarifaire déloyale est celle qui perturbe gravement la structure du trafic d’une ligne à destination, en provenance ou à l’intérieur de la Communauté, et, de ce fait porte, ou menace de porter un préjudice important, aux armateurs de la Communauté opérant sur cette ligne, accessoirement aux intérêts de la Communauté (article 1er). Dès lors, on en déduit qu’il faut une pratique qui engendre un préjudice. Le préjudice devient ainsi la condition impérative pour que s’enclenche le mécanisme de défense. C’est l’article 4§2 qui précise que le préjudice doit être important mais qu’une simple menace de préjudice, si elle est claire et prévisible suffit. Enfin, les intérêts communautaires doivent être touchés par cette pratique. Si toutes ces conditions sont réunies, alors les institutions communautaires compétentes peuvent se rassembler pour mettre en œuvre la procédure qui si elle aboutit permettra l’application de la sanction constituée par des droits compensateurs. B L’architecture du dispositif de lutte du règlement Avant même d’envisager en quoi consiste la sanction retenue par le règlement n° 4057/86(2) cette sanction ne peut être appliquée qu’à l’issue d’une procédure longue et contraignante à laquelle participe un certain nombre d’institutions communautaires (1). 1/ La procédure de déclenchement des sanctions Pour montrer à quel point cette procédure est fastidieuse, on peut recenser jusqu’à six articles consacrés au déroulement de la procédure de déclenchement des sanctions. Il s’agit d’une procédure administrative de contrôle. Des droits compensateurs sont infligés par le Conseil sur proposition de la Commission à l’armateur convaincu de pratiques tarifaires déloyales. La décision du Conseil qui est supposée prendre en compte tous les intérêts liés au commerce maritime et à la politique portuaire des Etats membres concernés, est l’aboutissement d’une instruction lourde et complexe (article 12). Cette règle a pour objectif d’inciter le Conseil à la prudence, en l’empêchant de statuer contre l’opinion de l’un des Etats membres. Par ailleurs, comme l’a souligné le professeur Pierre BONASSIES, on peut penser qu’un Etat qui serait en désaccord avec la proposition de la Commission pourrait invoquer ici les dispositions de l’article 75§3 du Traité (devenu article 71§2), lesquelles exigent l’unanimité pour certaines décisions du Conseil concernant les transports et affectant particulièrement un Etat membre, dispositions applicables au domaine des transports maritimes. Le règlement, en son article 5, commence par prévoir les conditions de recevabilité de la plainte de l’armateur victime de ces pratiques. Ensuite, en son article 6, il organise les consultations des Etats membres et en son article 7, il précise l’ouverture et le déroulement de l’enquête diligentée par la Commission. L’article 8 du règlement n° 4057/86 précise qu’il s’agit d’une procédure sur plainte respectueuse du principe du contradictoire qui vise à respecter les droits de l’armateur qui en fait l’objet, et du principe de la confidentialité par rapport aux informations divulguées à cette occasion, en liaison avec un comité consultatif représentant les Etats membres. 63 J. BOURDANT, « La lettre contre des pratiques tarifaires déloyales des armements des pays tiers » in Lebullenger et Le Morvan « La Communauté européenne et la Mer ». Il consacre une partie à la présentation de ces calculs

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Cette procédure peut aboutir à l’imposition de droits compensateurs mais l’article 10 du règlement précise que la Commission peut arrêter l’enquête administrative si des engagements acceptables sont pris par l’intéressé. Par conséquent, le règlement prévoit une forme de transaction suivant laquelle les engagements offerts et jugés acceptables par la Commission peuvent mettre fin à l’enquête. En revanche, si l’enquête aboutit, la Communauté peut imposer un droit compensateur à la victime des pratiques tarifaires déloyales. 2/ L’application des sanctions C’est l’article 2 du règlement n° 4057/86 qui énonce que « pour faire face aux pratiques tarifaires déloyales … qui causent un préjudice important, la Communauté peut imposer un droit compensateur ». Ce droit est autorisé par le Conseil qui statue sur proposition de la Commission. Il est infligé à l’armateur responsable du préjudice par voie de règlement. Ce dernier doit indiquer plusieurs mentions comme le montant et le type du droit imposé, les marchandises transportées, le nom et le pays d’origine de l’armateur étranger visé et les motifs qui fonde cette décision. Par ailleurs, les articles 13§1 et §2 du règlement n° 4057/86 viennent préciser que le montant des droits compensateurs ne doit pas dépasser la différence entre le taux de fret effectivement pratiqué et le taux de fret normal, voire être inférieur si cela suffit pour réparer le préjudice. Enfin, comme le soulève l’article 12 du règlement, lorsque le Conseil statue, il doit prendre en compte les considérations de politique du commerce extérieur, les intérêts portuaires et les considérations de la politique maritime des Etats membres concernés. Pour conclure, nous pouvons relever, qu’à l’époque, ce règlement n° 4057/86 est venu se superposer à un certain nombre de législations nationales des Etats membres. En effet, il s’avère que plusieurs Etats membres, soucieux de résister de manière coordonnée aux offensives anormales d’armements extracommunautaires, avaient déjà adopté des textes nationaux semblables. Pour le cas de la France, elle avait déjà adopté un arsenal de mesures identiques dans une loi n° 83-1119 du 23 décembre 1983 relative « aux mesures pouvant être prises en cas d’atteinte aux intérêts maritimes et commerciaux de la France »64. Par conséquent, ce règlement présentait un véritable intérêt pour les Etats membres qui ne s’étaient pas encore dotés d’un pareil dispositif de mesures. D’un point de vue des institutions communautaires, ce règlement n° 4057/86 manifestait la volonté ferme et cohérente de la Communauté de ne pas être victime d’agissements déloyaux des flottes concurrentes pouvant fortement atteindre les flottes communautaires. Il semble que cette volonté ait été respectée, malgré la lourdeur de la procédure, puisque les institutions communautaires n’ont été amenées qu’une seule fois à mettre ce dispositif en œuvre. §II L’EFFET DISSUASIF DE CE DISPOSITIF DE DEFENSE Même si le règlement n’a pas tardé à être appliqué, il n’a connu qu’une seule application avec l’affaire « Hyundai Merchant Marine » (A), cette situation a donc poussé la Commission, s’interrogeant sur le déroulement de la procédure et plus généralement sur l’utilité du contrôle, à envisager une révision du règlement n° 4057/86 (B).

64 JORF, loi du 23 décembre 1983, 24 décembre 1983, p.3711

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A Une application concrète : l’affaire « Hyundai » Le règlement n° 4057/86 a fait l’objet d’une importante décision de Conseil (règlement n°15/89 du 4 janvier 1989, JOCE n° L 4 du 5 janvier 1989) (1) dont nous nous intéresserons plus particulièrement aux fondements (2). 1/ Le déroulement de l’affaire Six mois après l’entrée en vigueur du règlement n° 4057/86 le 1er janvier 1987, dès l’été 1987, en juillet plus précisément, la Commission fût saisie d’une plainte par le Comité des associations d’armateurs de la Communauté européenne (CAACE), représentant huit armements de sept Etats membres, dont la Compagnie Générale Maritime. Cette plainte était dirigée contre un armement sud-coréen, la compagnie Hyundai Merchant Marine à propos du transport de ligne conteneur entre l’Europe et l’Australie. Cette compagnie était accusée de mener une politique de pratiques tarifaires déloyales sur cette ligne. Le Conseil a reçu cette plainte, sanctionnant l’armateur extracommunautaire en prononçant par règlement n° 15/89 du 4 janvier 1989, un droit compensateur sur les transports maritimes en conteneurs effectués entre la Communauté et l’Australie par la compagnie Hyundai. Le droit compensateur s’élevait ainsi à un montant de 450 écus, soit approximativement 3000 francs à l’époque, par conteneur de vingt pieds et de 900 écus, soit approximativement 6000 francs, par conteneur de 40 pieds chargés par Hyundai dans un port de la Communauté à destination de l’Australie. Nous pouvons préciser que ce règlement a été adopté par le Conseil, sur proposition de la Commission, laquelle avait ouvert en 1987, une procédure sur des pratiques déloyales alléguées contre cette compagnie. Le Conseil a considéré que cette compagnie Hyundai avait bénéficié d’avantages non commerciaux de la part de l’Etat coréen, et qu’un préjudice important en était résulté pour les armateurs de la Communauté. 2/ Le fondement de la décision du Conseil Pour fonder sa décision, la Commission avait commencé par relever que les taux de fret pratiqués par la compagnie Hyundai sont inférieurs d’environ 26% aux taux habituellement appliqués, soit 450 écus par conteneur de vingt pieds. Ensuite, le Conseil constate les avantages non commerciaux dont avait bénéficié la compagnie. A cet égard, il relève qu’il s’agit tout d’abord de mesures de réservation unilatérale de fret accordant aux compagnies coréennes le droit exclusif de transporter certaines cargaisons de vrac à destination ou au départ de la Corée, empêchant les transporteurs non coréens de faire du transport combiné ou de restrictions interdisant aux entreprises non coréennes de s’engager en Corée dans des activités de transport maritime et activités annexes. Ensuite, il constate qu’il s’agit aussi de mesures fiscales, plus particulièrement des aides fiscales et financières accordées par l’Etat coréen à ses entreprises maritimes dont des exemptions de taxes lors de l’acquisition de navires et des moratoires sur le remboursement des emprunts faits en vue de l’acquisition de navires construits en Corée. Pour terminer son examen, le Conseil estime qu’il considère comme entraînant « un avantage non commercial », la participation de la compagnie coréenne à un plan de rationalisation lancé par le gouvernement coréen qui comprenait diverses mesures d’incitation à des fusions.

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Lors du « prononcé » du montant des droits compensateurs et afin de garantir la perception, le chargement dans un port de la Communauté avait été subordonné à la constitution d’une garantie égale au montant total des droits. Pour conclure, nous pouvons préciser que cette décision du Conseil (règlement n° 15/89 du 4 janvier 1989) a fait l’objet d’un recours en annulation auprès des institutions communautaires mais il est resté sans suite, il semble avoir été abandonné. Il s’agit de la seule et unique application du règlement ayant abouti à ce jour. Mais dix ans déjà après son entrée en vigueur en 1987, la Commission avait suggéré de le réviser. B La proposition de révision abandonnée du règlement n° 4057/86 Avant de voir quelles ont été les suggestions de la Commission pour la révision du règlement n° 4057/86 (2), nous allons nous pencher sur les raisons de cette proposition de révision (1). 1/ Les raisons de cette proposition de révision En ce qui concerne les raisons pour lesquelles le règlement a été d’une application limitée, plusieurs causes ont été avancées. Tout d’abord, on peut constater que pour que cette procédure soit mise en œuvre et qu’elle aboutisse, il faut une plainte des armateurs communautaires. Or, il est apparu que ces derniers n’ont pas jugé opportun de faire jouer ce dispositif, les armateurs ayant peut-être d’autres préoccupations et certainement pas le temps de faire cette démarche. Ensuite sachant que même la plainte lancée, la lourdeur de la procédure est omniprésente. Or, une procédure longue exerce certainement un effet dissuasif. Enfin, comme l’a très justement relevé Madame ATHANASSIOU, dans son ouvrage « Aspects juridiques de la concurrence maritime » (p.450), le règlement peut apparaître paradoxal. Si nous nous situons dans l’esprit des règlements de 1986, ils ont vocation à organiser le transport maritime au regard des principes fondamentaux du droit communautaire dans la perspective de l’ouverture du Marché intérieur dès le 1er janvier 1993. Or, il s’avère que ce règlement instaure un mécanisme qui fait une large place aux institutions communautaires et aux Etats membres ménageant ainsi un interventionnisme, voire un protectionnisme allant directement à l’encontre de l’esprit des règlements de 1986. Dès lors, la Commission envisageait une révision mais elle a été abandonnée. 2/ Les prémices de cette révision du règlement n° 4057/86 C’est dans une communication du 13 mars 1996, intitulée « Vers une nouvelle stratégie maritime », que la Commission pensait réviser ce règlement. Elle se demande quelle la réelle efficacité de cette procédure instituée par le règlement, notamment au regard de l’évolution des comportements sur les différents marchés. La question qui est posée est la suivante : est-ce que les compagnies vont réellement se risquer, même avec l’aide de l’Etat, à pratiquer des taux de fret inférieurs à ceux habituellement pratiqués pour conquérir de nouvelles parts de marchés. Il semble que la réponse penche en faveur de la négative. La Commission estime dès lors que l’évolution de la situation va moins vers la compétition que vers la coopération.

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Par conséquent, il apparaît que le règlement est très certainement dépassé. Une révision est suggérée mais elle n’aboutira pas. Tandis que deux des quatre règlements de 1986 ont été modifiés (règlement n° 4055/86 sur la libre prestation de services modifié par un règlement n° 3573/90 du Conseil du 4 décembre 1990 et règlement n° 4056 sur les modalités d’application des articles 85 et 86 modifié par un règlement n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002) celui-ci fait partie de ceux auxquels aucune modification n’a été apportée. Dans sa politique de sauvegarde des flottes des Etats membres, l’action de la Communauté ne s’est pas limitée à mettre en place un dispositif de mesures pour une défense commerciale appropriée aux attaques, elle a aussi adopté un système de contre-mesures dans un deuxième règlement n° 4058/86 afin de sauvegarder l’accès au trafic transocéanique. Ce règlement vise à contrecarrer les mesures prises par un Etat tiers qui limiteraient ou qui présenteraient le risque de limiter le libre accès des compagnies maritimes communautaires au transport des marchandises sur des trafics de lignes régulières. Nous pouvons d’ores et déjà préciser que ce règlement n° 4058/86 « concernant une action coordonnée en vue de sauvegarder le libre accès au trafic transocéanique » se rapproche de la loi française du 24 décembre 1983 et de son décret d’application du 22 février 1985 sur les mesures de rétorsion. En effet, cette loi prévoit que, lorsque des mesures ou pratiques discriminatoires sont établies par un Etat étranger (répartition unilatérale de cargaison…) C’est-à-dire des pratiques qui portent atteinte au principe de concurrence commerciale loyale en matière de transports, des mesures peuvent être prises afin d’en réduire ou supprimer les effets. Dans l’ensemble, il s’agit de mesures relatives à l’interdiction de décharger en France ou aux prélèvements financiers sur les navires (Ces dispositions n’ont jamais été appliquées à ce jour). SECTION II UNE POLITIQUE POUR UNE ACTION COORDONNEE DES ETATS MEMBRES Ce règlement n° 4058/86 du Conseil du 22 décembre 1986 concernant « une action coordonnée en vue de sauvegarder le libre accès au trafic transocéanique »65 affiche clairement son but : permettre aux Etats membres de réagir de façon coordonnée à l’encontre des mesures protectionnistes des Etats tiers. C’est vers le début des années soixante-dix que la Communauté a ressenti le besoin de pouvoir s’opposer aux actions menées par les Etats tiers, en particulier lorsque ces derniers imposaient des réservations de marchandises en faveur de leurs nationaux. Ces pratiques qui relèvent d’une politique de protectionnisme et d’interventionnisme avaient pour conséquence principale de fausser le jeu de la concurrence dans les trafics entre ces Etats et les Etats membres. Pourtant ces pratiques n’ont cessé d’augmenter et de se multiplier, tant en ce qui concerne le transport de vrac que pour celui de ligne. Par ailleurs, nous pouvons préciser que l’entrée en vigueur du Code de conduite des conférences maritimes n’a fait qu’accentuer ce phénomène. Afin d’y faire face, le règlement n° 4058/86, dans lequel apparaît cette notion de contre-mesure, notion bien connue du droit

65 JOCE n° L 378 , 31 décembre 1986, p.21

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international public, institue une véritable action coordonnée des Etats membres pour se défendre. Les dispositions de ce règlement prévoient notamment la possibilité pour certaines institutions communautaires et les Etats membres d’adopter des sanctions économiques ou de menacer de telles sanctions, les compagnies maritimes d’Etats tiers, responsables d’une situation telle que l’accès aux marchés sur lesquelles elles opèrent est fermé à la possible activité de compagnies maritimes « communautaires ». Afin de mieux comprendre le système mis en place par ce règlement n° 4058/86, il est important de remonter un peu en arrière. En fait, le dispositif instauré par ce règlement n’est autre que le prolongement de la décision n° 77/587 du Conseil du 13 septembre 199766 sur la procédure de consultation. Les dispositions de cette décision proposaient aux Etats membres, avant d’adopter une attitude commune, de commencer par se concerter et s’informer réciproquement sur les mesures néfastes à éliminer. La consultation prévue devait intervenir, soit avant la signature d’accords, soit après l’échange d’informations. Pour la mise en œuvre de cette décision, le Conseil avait demandé, aux Etats membres de collecter un nombre de renseignements sur tous les transports qui participaient aux transports maritimes de ligne dans les zones d’exploitation entre les Etats membres et l’Afrique de l’est et entre les Etats membres et l’Amérique centrale. Cette décision d’une validité de deux ans a été prolongée et surtout étendue aux trafics de ligne opérant entre les Etats membres et le Moyen-Orient par une décision n° 80/1181 du Conseil du 14 décembre 198067. Et, c’est par une décision n° 81/189 du Conseil du 26 mars 198168 que la collecte de renseignements a été autorisée. Enfin, c’est en 1983 avec la décision n° 83/57369 du Conseil que cette procédure de consultation fût assortie de l’obligation de concertation entre les Etats membres sur toute contre-mesure qu’ils pourraient prendre à l’égard des pays tiers visés et de la possibilité d’une décision sur l’application conjointe de contre-mesure. En 1985, lors de l’élaboration des règlements de 1986 et plus particulièrement du règlement n° 4058/86, la Commission proposa d’améliorer ce dispositif de consultation. Dès lors ce règlement n’est autre que le prolongement du dispositif institué par la décision n° 77/587 (§I). Mais comme pour le règlement n° 4057/86, le succès du dispositif instauré est limité dans la mesure où il n’a été mis en œuvre qu’une seule fois (§II). §I LA PROMOTION D’UNE ACTION COORDONNEE Comparativement au règlement n° 4057/86, le champ d’application du règlement n° 4058/86 entendu assez largement, ici, est toutefois délimité avec plus de précisions, en particulier quant aux personnes qu’il vise (A). Ensuite, les formes de cette action coordonnée sont doubles, la Commission privilégiant la négociation diplomatique et ce n’est qu’en cas d’échec de celle-ci que des contres mesures peuvent être prises (B). A Le champ d’application du règlement… Ce règlement n° 4058/86 offre, tant à l’égard des bénéficiaires (1) qu’à l’égard des transports qu’il vise (2), un domaine d’application étendu.

66 JOCE n° L 239, 17 septembre 1977, décision instituant une procédure de consultation en ce qui concerne les relations entre Etats membres et pays tiers dans le domaine des transports maritimes au sein des organisations nationales. 67 JOCE n° L 350, 23 décembre 1980, p.44 68 JOCE n° L 88, 2 avril 1981, p 32 69 JOCE n° L 322, 28 novembre 1983, p.37

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1/ Etendue quant aux bénéficiaires En son article 1, le règlement désigne comme bénéficiaires de la protection communautaire à la fois les compagnies maritimes des Etats membres et « les navires immatriculés dans un Etat membre conformément à sa législation ». Autrement dit, le règlement vise à défendre le libre accès aux lignes internationales aux compagnies maritimes des Etats membres ou aux navires immatriculés dans un Etat membre. De plus, les compagnies maritimes d’autres Etats de l’OCDE peuvent également bénéficier de cette procédure, sous condition de réciprocité (article 8), étendant l’action coordonnée. En son article 2, le règlement apporte des précisions quant à l’armateur tiers qui peut être « une compagnie maritime nationale », soit une compagnie maritime d’un Etat tiers qui assure un service entre son propre pays et un ou plusieurs Etats membres ou « une compagnie maritime tierce », soit une compagnie maritime d’un pays tiers qui assure un service entre un pays tiers et un ou plusieurs Etats membres. Enfin, en on article 4b, le règlement étend encore son champ d’application aux compagnies maritimes ressortissantes d’autres pays que le pays auteur des mesures en cause, si elles bénéficient de ces mesures. Mais ce champ d’application étendu ne se limite pas aux seuls bénéficiaires, il est aussi étendu quant aux transports visés englobant une certaine diversité. 2/ Etendue quant aux transports visés En application de l’article 1er in fine, les transports concernés et soumis à ce règlement sont relativement nombreux. Ainsi, le règlement est applicable aux transports de ligne sur des trafics « codistes », sauf lorsque la mesure est prise conformément à la Convention des Nations Unies relative au Code de conduite des Conférences maritimes ; et, aux transports de ligne sur des trafics « non codistes ». Il s’applique ensuite aux trafics de vrac et de toutes autres cargaisons par des services de tramp, aux transports de passagers mais aussi aux transports de personnes ou de marchandises vers ou entre des installations « offshore ». Pour pouvoir déclencher cette action coordonnée, il faut une mesure venant d’un pays tiers. Cette mesure doit être ouvertement discriminatoire comme la réservation unilatérale de cargaison. En revanche, un avantage conféré à une compagnie telle une aide de l’Etat est une mesure indirectement discriminatoire et semble donc ne pas suffire pour déclencher l’action coordonnée. B Les formes de l’action coordonnée Comme nous allons le voir, les formes de cette action coordonnée revêtent un aspect double dans la mesure où l’adoption de contre-mesures n’intervient que de manière subsidiaire (2), la Commission privilégiant le jeu des négociations diplomatiques (1). 1/ La prédominance de la diplomatie Selon l’article 4 du règlement n° 4058/86, l’action coordonnée peut revêtir une forme « douce » en procédant à des négociations diplomatiques qui précèdent l’adoption de possibles contre-mesures.

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A cette fin, la Commission peut envoyer une note diplomatique ou une mission après de l’Etat tiers concerné et mis en cause. Le règlement par entente diplomatique, très connu lui aussi du droit international public, privilégié. Ainsi, l’action coordonnée commence par des représentations diplomatiques. Si celles-ci échouent, le Conseil peut alors prendre des contre-mesures à l’encontre de la compagnie maritime concernée, elles ne sont que subsidiaires. 2/ Le caractère subsidiaire des contre-mesures Les contre-mesures sont adoptées à l’encontre des compagnies maritimes à qui bénéficient les dispositions adoptées par l’Etat tiers mis en cause. Ainsi, ces mesures peuvent prendre trois formes. Tout d’abord, la Communauté et les Etats membres peuvent une contre-mesure imposant une obligation d’obtenir une permission de chargement, de transport ou de déchargement de la cargaison. Cette permission peut être subordonnée à des conditions ou obligations plus particulières. Ensuite, cette contre-mesure peut prendre la forme d’un contingentement ou encore celle d’une imposition de taxes ou de droits. Les contre-mesures peuvent être prises isolément ou conjointement. Non seulement elles ne peuvent pas empêcher la Communauté européenne et ses Etats membres de remplir leurs obligations au regard du droit international, mais elles ne doivent pas engendrer de détournement de trafic à l’intérieur de la Communauté. De plus, ces contre-mesures doivent tenir compte de tous les intérêts en jeu sans en négliger aucun ; Le Conseil étant lui aussi tenu de se conformer à cette contrainte lorsqu’il statue sur une action coordonnée. Ce dernier point nous amène à nous intéresser de plus près de la procédure. Le règlement n° 4058/86 donne donc priorité au règlement diplomatique de l’ouverture des marchés internationaux, dont l’accès aux compagnies communautaires reste encore assez limité. Il ne confère pas à la Commission le droit d’engager une procédure autoritaire, il offre la possibilité aux Etats membres d’opposer une réaction commune aux mesures prises par des Etats tiers, mesures contraires aux intérêts du transport maritime. §II L’EFFICACITE LIMITEE DE CETTE ACTION COORDONNEE Dans l’hypothèse où les négociations diplomatiques échouent et qu’il inévitable d’en arriver à l’adoption de contre-mesures, deux types de procédures ont été envisagés par le règlement n° 4058/86 (A). En pratique, même si ce règlement est perçu et considéré par une majorité de la doctrine comme le perfectionnement du dispositif de consultation institué par la décision n° 77/587, sa tentative de mise en œuvre n’a à ce jour jamais abouti (B). A Les procédures possibles Le règlement n° 4058/86 instaure deux types de procédures à deux niveaux. Une première procédure, « la procédure impérative » se déroule au niveau communautaire, l’action coordonnée est décidée dans ce cas par le Conseil (1). La deuxième procédure se situe au niveau national (au niveau de chaque Etat membre), dans l’hypothèse où les institutions

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communautaires seraient inactives. Cette deuxième procédure n’est par conséquent que supplétive (2). 1/ La procédure au niveau des institutions communautaires En application de l’article 3 du règlement n° 4058/86, l’action coordonnée intervient à la demande d’un Etat membre. Le Conseil statue sur proposition de la Commission, laquelle lui est transmise sous un délai d’un mois (très exactement quatre semaines) après le dépôt de la plainte. L’action coordonnée est décidée par le Conseil qui, suivant l’article 80§2 (ex-article 84§2) du Traité, statue à la majorité qualifiée (comme l’avait prévu l’Acte unique européen en 1986) sur proposition ou recommandation de la Commission, sollicitée en ce sens par un Etat membre. Le cas échéant, en application de l’article 5 du règlement, la décision du Conseil peut comporter une série d’indications, touchant en particulier aux circonstances qui ont motivé la prise de contre-mesures, au trafic ou à tous les ports auxquels elles s’appliquent, mais encore au pavillon ou à la compagnie maritime du pays tiers visé, au volume ou à la valeur des cargaisons qui peuvent être chargées ou déchargées dans les ports des Etats membres, au nombre maximal des dessertes en provenance et à destination des ports et des Etats membres, au montant ou au pourcentage et à la base d’imposition des taxes et droits à prélever et à leur mode de perception, enfin et surtout à la période de validité de la contre-mesure. L’article 5§2, ajoutant que même si la législation nationale d’un Etat membre ne prévoit pas la possibilité pour celui-ci de prendre des contre-mesures, le Conseil peut l’en autoriser. Cependant, il peut arriver que le Conseil ne prenne pas de décision et c’est généralement dans ces deux types de cas que les Etats membres peuvent intervenir à leur niveau. 2/ La procédure au niveau des Etats membres C’est à l’article 6 du règlement n° 4058/86 qu’est prévue la procédure à l’échelon national. Ainsi, la première hypothèse dans la quelle les Etats membres peuvent adopter et appliquer des mesures nationales est celle où le Conseil n’a pas adopté de proposition d’action coordonnée dans les deux mois. Quant à la deuxième hypothèse où les Etats membres peuvent encore intervenir à leur niveau, c’est celle où il y a une situation d’urgence. Dans ce cas, les décisions prises par les Etats membres n’interviennent qu’à titre provisoire. Dans les deux situations envisagées, les Etats membres peuvent appliquer les mesures qu’ils jugent devoir imposer individuellement ou collectivement. En tout état de cause, les mesures adoptées par les Etats membres doivent obligatoirement être notifiées à la Commission et aux autres Etats membres. Malgré, l’élaboration d’un dispositif très complet, peut-être trop (pouvons-nous le supposer), la mise en œuvre de cette action coordonnée n’a été sollicitée qu’une seule fois et elle n’a même pas abouti.

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B L’échec de la mise en œuvre Cet échec s’est manifesté lors de l’affaire dite « des Bureaux centraux de fret », en 1987. Après une brève présentation de cette affaire (1), lors de l’exposé des raisons pour lesquelles cette affaire n’a pas abouti, nous pourrons peut être faire un rapprochement avec la procédure qui avait été instaurée par le règlement n° 4057/86 (2). 1/ Présentation de l’affaire dite « des Bureaux centraux de fret » (BCF) Cette affaire est la seule et unique fois où l’action coordonnée prévue par le règlement n° 4058/86 a été invoquée concernant des trafics avec les Etats d’Afrique non pas de l’est mais de l’ouest, à l’initiative du Danemark. Ainsi, en 1987, le Danemark dépose une plainte auprès de la Commission, estimant ne pas pouvoir accéder librement aux marchés avec les Etats de l’Afrique de l’ouest en raison des pratiques opérées par les Bureaux centraux de fret qui avaient été institués notamment par l’Argentine, le Brésil, l’Indonésie, le Pérou, l’Irak, Malte, le Bénin, le Cameroun, le Congo, la Côte-d’Ivoire, le Gabon, le Sénégal, la Tanzanie, le Togo et le Zaïre. Dans sa plainte, le Danemark dénonce le rôle par des bureaux. Ils avaient eu pour rôle d’allouer les cargaisons sur les lignes entre l’Afrique de l’ouest et les Etats membres, ayant le pouvoir d’imposer des amendes sur les déchargements non attribués. Exerçant un pareil contrôle, ils pouvaient donc limiter l’accès aux marchés bilatéraux. Une fois la plainte déposée par le Danemark, des négociations diplomatiques furent enclenchées, dès la fin de l’année 1987. On a compté jusqu’à trois grandes négociations diplomatiques mais elles furent sans succès, n’aboutissant pas. Il a été rapporté que certains bureaux centraux de fret avaient été fermés en raison des pressions exercées par la Commission. Malgré l’échec des négociations diplomatiques, aucune contre-mesure ne fût décidée par le Conseil. 2/ Les raisons de cet échec La question qui se pose immédiatement est celle de savoir pourquoi aucune contre-mesure ne fût adoptée par le Conseil et pourquoi pas au niveau national comme le prévoit le règlement n° 4058/86 avec ses deux procédures qu’il instaure. Il faut peut être penser qu’à l’époque, encore un certain nombre d’Etats membres avaient des relations très privilégiées avec ces pays d’Afrique de l’ouest. Ainsi, cela permet de comprendre qu’ils n’étaient pas désireux de nuire à ces bonnes relations en adoptant des contre-mesures. Par ailleurs depuis la vague de décolonisation en Afrique et plus particulièrement en Afrique de l’ouest, au début des années soixante-dix, la Communauté a établi, dans son chapitre « Relation extérieures », tout un programme d’échange et d’aide au développement avec ces pays au travers des Accords de Lomé, récemment révisés avec les Accords de Cotonou en 1999/2000. Par conséquent, il apparaît difficile d’appliquer des sanctions aux pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (Les pays dits « ACP »). Cependant, on peut relever qu’en 1995 lors du Conseil du 19 juin 1995 qui s’est tenu au Luxembourg, les ministres ont demandé à la Commission de lui présenter dès que possible des propositions au sujet des relations extérieures avec les pays d’Afrique de l’ouest.

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Aujourd’hui, ses relations sont toujours entretenues, la Communauté étant désireuse de leur fournir encore d’avantage d’aide dans la poursuite de leur développement. Il y a certes cette première raison qui est certainement celle qui doit l’emporter dans la mesure où les intérêts économiques en jeu sont considérables. Mais d’un point de vue matériel, on peut être rapprocher cette procédure de celle du règlement n° 4057/86 dont la mise en œuvre a été unique de par la complexité des mécanismes en cause ayant un effet dissuasif. D’ailleurs, dans sa proposition du 13 mars 1996 « Vers une nouvelle stratégie maritime », à côté de la proposition de réexamen de la procédure du règlement n° 4057/86 était proposée celle de l’action coordonnée.

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PARTIE II UNE POLITIQUE MARITIME POUR LA STABILISATION DU MARCHE INTERIEUR

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UNE POLITIQUE MARITIME POUR LA STABILISATION DU MARCHE INTERIEUR Après une étude approfondie de trois des quatre règlements du 22 décembre 1986, cette nouvelle partie va nous amener à nous pencher sur l’étude du règlement n° 4056/86 déterminant les modalités d’application des articles 85 et 86 (devenus articles 81 et 82) du Traité aux transports maritimes70 qui concerne le domaine de la concurrence et plus particulièrement la place de la concurrence au sein de la politique communautaire des transports maritimes ; et les travaux ultérieurs accomplis. En effet, après l’adoption des règlements de 1986 qui ont marqué une étape décisive dans l’évolution de cette politique et la libéralisation du marché des transports maritimes, le domaine de prédilection des institutions communautaires a été celui de la concurrence auquel elles ont consacré une activité intense. Tout en continuant de développer et d’améliorer cette politique, il fallait sauvegarder les acquis en permettant une stabilisation du Marché. Le règlement n° 4056/86 a permis de fixer les bases d’une politique de concurrence en matière de transports maritimes. Dans ce domaine, le rôle joué par l’ancienne DG IV, aujourd’hui devenue DG TRAN, n’est pas passé inaperçu, elle a imposé une application rigoureuse de ce règlement dans le but de garantir « aux chargeurs des prix de transports maritimes aussi faibles que possibles »71 mais sans s’interroger sur la capacité des transporteurs maritimes européens à supporter une pareille décision. Cet objectif n’était pas nécessairement celui du droit de la concurrence et plus particulièrement celui du règlement n° 4056/86 qui incitait d’avantage à considérer les conférences maritimes comme des ententes et à les intégrer de manière conforme aux objectifs du Traité. Par ailleurs, le rôle joué par les autres institutions communautaires n’est pas négligeable dans la mesure où il a certainement contribué à une meilleure mise en œuvre des règles relatives à la concurrence. Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes a, par ses importantes décisions permis de faire évoluer la matière dans un sens favorable tentant de concilier les intérêts des chargeurs avec le respect des règles du Traité. Quant au Conseil, il a, dès le début des années 1990, mis au point et adopté un important règlement sur les consortiums. Une démarche constructive et autant que possible pragmatique de la part des institutions communautaires est d’autant plus importante qu’il faut encadrer le comportement des armateurs. En effet, dans l’économie de marché classique, l’armateur était entièrement libre de son action. Peu importait le type de transport maritime choisi (transport de marchandises, affrètement au voyage…), il déterminait librement les prix qu’il voulait appliquer sous la seule pression de la concurrence. De plus, il choisissait librement les trafics. A cette époque, c’était le règne absolu de ce que l’on a pu appeler le modèle du « Free flow of shipping »72. Mais au fil du temps, vers le début du XX ème siècle, les armateurs avaient de leur propre initiative limité leur liberté sur les lignes régulières, en concluant des accords dénommés « conférences maritimes ». Cette première limitation a engendré une multiplication des limites qui furent mises en place par les politiques maritimes des différents Etats.

70 JOCE n° L 378, 31 décembre 1986 71 ATHANASSIOU GARIFALIA, « Aspects juridiques de la Concurrence maritime », Pédone 1996. 72 Pierre BONASSIES, Observations au DMF, sous CJCE du 19 juin 1984, DMF 1985, p.83 et DMF 1988, p.5

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Aujourd’hui, toutes ces limites tendent à s’effacer et même pour certaines à disparaître, en raison d’une part du phénomène de la mondialisation ; d’autre part, en ce qui nous concerne principalement ici du droit communautaire. Le Marché étant désormais ouvert, la nécessité d’encadrer son évolution, tout en respectant les principes du droit communautaire et en tenant compte des apports de chaque modification du Traité initiale, est grande. Ainsi, en matière de transports maritimes, l’action de la Communauté s’est orientée vers un établissement des règles de concurrence dans le secteur des conférences maritimes de lignes régulières, même si elles ne représentent pas l’essentiel des flottes communautaires. Les autres types de restrictions n’ont certainement pas autant tiré avantage de l’action de la Communauté comme les conférences maritimes mais la Communauté a tout de même tenté de les protéger d’une concurrence extérieure. De manière générale, l’action de la Communauté a relevé pour une majeure partie des articles 81 et 82 (ex articles 85 et 86) et suivants du Traité, composant avec les principes établis du droit international en la matière. Ainsi, l’action de la Communauté, afin de respecter une application de la politique communautaire appliquée aux transports maritimes, guidée par l’article 7A (devenu article 14) du Traité, s’est tournée vers le domaine de la concurrence, devenu le principal terrain de son action jusqu’à la fin du XX ème siècle (chapitre I). En témoigne, l’adoption du règlement n° 4056/86, avec toujours cette volonté de renforcer son action pour une meilleure intégration des règles de concurrence dans le transport maritime (chapitre II). Mais les mesures adoptées jusqu’au début des années 90, n’avaient pas appréhendé la possible apparition de nouvelles pratiques, comme ce fût le cas, dans le milieu du transport maritime pour lesquelles il est apparu nécessaire de continuer l’action de la Communauté (chapitre III).

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CHAPITRE I LA PREDOMINANCE DE LA CONCURRENCE DANS LA POLITIQUE COMMUNAUTAIRE DES TRANSPORTS MARITIMES Avant l’adoption du règlement n° 4056/86, on s’est rendu compte que certaines pratiques internationales dans le domaine des transports maritimes, comme la pratique du regroupement commercial, étaient contraires aux articles 81 et 82 (ex articles 85 et 86) du Traité (section I). Par ailleurs, au-delà de ces pratiques, le droit international, dans son code de conduite légitimait des comportements qui au regard du droit communautaire se sont eux aussi révélés en contradiction avec des règles bien établies par le Traité. Ainsi, une des premières actions de la Communauté, à travers un règlement de 1979, fût de tenter de concilier ces pratiques internationales avec la politique communautaire voulue pour les transports maritimes (section II).

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SECTION I LA SPECIFICITE DES ENTENTES MARITIMES A cet égard, on distingue généralement deux types d’ententes : les conférences maritimes et les consortiums apparus plus tard. Dans la pratique, ces deux formes d’ententes sont souvent perçues de manière assez proche dans la mesure où les deuxièmes peuvent être considérées comme le prolongement des premières. Le système des conférences maritimes a connu une grave crise du fait de l’évolution des moyens techniques et plus particulièrement de la conteneurisation (§I), cette crise ayant permis de mettre en avant un second type de pratiques : les consortiums dont l’objet n’est pas tout à fait semblable à celui des conférences (§II). §I LA REMISE EN CAUSE DU SYSTEME DES CONFERENCES MARITIMES Les conférences maritimes sont un phénomène ancien dont la création remonte à la deuxième moitié du XIX ème siècle. Après une présentation générale de ce système des conférences maritimes (A), nous verrons que ce système, certes marqué par une certaine diversité des formes que peuvent avoir ces conférences, n’a pas su s’adapter et évoluer avec les progrès techniques liés aux modes du transport maritime (B). A Présentation du système des conférences maritimes Il importe d’étudier d’une part la notion même de conférences maritimes (1) ; et d’autre part, le régime juridique qui leur est appliqué (2). 1/ La notion de conférences maritimes Après avoir donné une définition de ces conférences maritimes (a), nous verrons quelles sont leurs principales caractéristiques (b). a) Définition des conférences maritimes Les échanges maritimes s’adaptent difficilement aux lois du marché. Les transporteurs ont pris l’habitude d’éviter la libre concurrence en structurant l’exploitation du trafic maritime par la conclusion de conférences maritimes. C’est un phénomène classique dans l’économie libérale de voir les entreprises limiter elle-même leur liberté d’action pour faire face et même éviter les conséquences de la concurrence. Ces accords portent généralement le nom d’ententes qui sont aujourd’hui, dans la plupart des Etats soient interdites, soit contrôlées. C’est ce phénomène qu’a connu le monde maritime avec les accords qualifiés de conférences maritimes. La création de ces conférences remonte à la fin du XIX ème siècle dont la première fût celle formée en 1875 sur le trafic Grande-Bretagne / Calcutta. Très vite, elles se sont multipliées, on en compte aujourd’hui plus de 300 dont 100 dans les seuls ports des Etats-Unis. Fondamentalement, il s’agit d’une entente entre armateurs dans le but de limiter les effets néfastes de la concurrence sur une ligne maritime donnée. C’est au début des années 1980 que ce mode d’exploitation du trafic maritime régulier a été généralisé à une partie importante des grandes lignes. Ces conférences maritimes représentent un véritable ordre privé régulateur des marchés des échanges maritimes. Dans ce cadre, les armateurs regroupés occupent une réelle position collective et surtout permanente.

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Ainsi, la définition classique, la plus courante est la suivante. Une conférence maritime peut être définie comme « un accord entre armateurs exploitant un trafic maritime donné, accord dont l’objet est de réglementer les conditions d’exploitation de ce trafic »73. Dans cette perspective, force de constater que la conférence maritime, même si elle n’est pas entièrement institutionnalisée du fait qu’elle n’a pas la personnalité morale, se présente comme une véritable « institution » gérée et administrée par un secrétariat et une assemblée de membres susceptibles d’imposer des comportements aux membres et de régler les différends occasionnés. Ce mécanisme n’est pas nécessairement combattu par les différentes législations des Etats qui cherchent souvent à les encadrer afin de mieux les utiliser. b) Caractéristiques de conférences maritimes La définition retenue pour la conférence maritime reste très générale et elle ne peut que l’être dans la mesure où elle regroupe différentes ententes aux caractéristiques diverses comportant des effets plus ou moins anticoncurrentiels. Ces conférences sont formées à l’initiative des armateurs qui exploitent un certain trafic mais pour autant, il n’existe pas de conférence maritime pour toutes les routes maritimes. Ces conférences concernent essentiellement la plupart des grands trafics maritimes. Ainsi, il existe une conférence maritime pour chacun de ces grands trafics et parfois une conférence pour un sens et une autre pour l’autre sens comme c’est le cas sur la ligne Grande-Bretagne / Brésil ; les armateurs de cette ligne étant alors membres de deux conférences distinctes. De plus, on peut relever que la plupart du temps les conférences maritimes constituent des accords qui sont presque toujours multinationaux au sein desquels on retrouve des armateurs nationaux des Etats concernés par cet accord mais aussi des armateurs d’Etats tiers. Cependant, cela ne veut pas dire que tous les armateurs exploitant un trafic donné sont membres de la conférence couvrant ce trafic. Certains restent en dehors de la conférence, ils sont appelés les « outsiders ». Toujours dans cette même perspective, on trouve différentes sortes de conférences. Certaines sont dites fermées car leur accès est très difficile, en particulier pour un nouveau membre dont l’unanimité des armateurs sera en principe requise pour son acceptation au sein de cette conférence. En revanche, certaines conférences sont dites ouvertes car elles restent très aisément accessibles à un transporteur régulier qui souhaiterait devenir membre de cette conférence sur un trafic maritime donné. Cependant, s’il y a des variantes à ces conférences, un seul élément ne varie jamais, c’est son objet. Ces conférences ont toutes comme objectif une entente sur les taux de fret. Représentant un obstacle au jeu de la libre concurrence, ces conférences ne sont pas sans danger dans cette économie libérale qui règne de nos jours, c’est la raison pour laquelle elles ne sont pas indifférentes aux autorités publiques et ne restent pas sans contrôle. 2/ Le régime juridique des conférences maritimes Après un aperçu des principes généraux qui gouvernent ce système de conférences maritimes (a), nous nous intéresserons au régime juridique américain mis en place dans le cadre de la surveillance de cette pratique (b). a) Les « principes généraux » des conférences maritimes

73 Définition reprise dans le cours de droit maritime dispensé par le Professeur Pierre BONASSIES

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Du point de vue juridique, l’unanimité des spécialistes et de la doctrine est formelle sur le fait que ces conférences maritimes sont des accords entre entreprises ayant pour objet et pour effet de restreindre le libre jeu de la concurrence. Ainsi, en application du droit de la concurrence, on peut les qualifier d’ententes. Pourtant longtemps, ces pratiques ont échappé à l’application de ce droit de la concurrence dans la mesure où elles étaient protégées soit par leur caractère international, soit le fait des Etats qui, soucieux de protéger une situation déjà affaiblie de leurs armements nationaux, ont fait en sorte de les maintenir. Cependant, elles font tout de même l’objet d’un contrôle strict et rigoureux, en particulier de la part de l’administration américaine. Pour les autres pays, ces derniers ont mis en place des régimes de contrôle comme on va le voir au niveau communautaire. Pour le moment, nous nous pencherons sur le modèle américain, l’un des premiers pays à avoir mis en place une procédure de contrôle afin d’éviter que la concurrence ne soit pas trop faussée. b) Un modèle juridique de régime : le cas des Etats-Unis Les Etats-Unis ont été le premier pays à mettre en place un système de contrôle des conférences maritimes ce qui peut s’expliquer par le fait que les Etats-Unis ont toujours été un pays de chargeurs. En 1890, avait été adopté le Sherman Act qui établissait un corpus de règles de concurrence. Or, en 1910, un certain nombre de spécialistes se sont demandés si les règles de concurrence telles que posées dans le Sherman Act devaient s’appliquer aux transports maritimes. Si l’on avait appliqué ces règles de concurrence telles qu’elles sont énoncées par le Sherman Act, cela aurait pour conséquence directe d’entraîner l’illéicité des conférences maritimes comme contraire aux règles de concurrence. Dès lors une autre solution fût retenue. En 1916 est adopté le Shipping Act qui oblige les armateurs membres d’une conférence maritime à notifier leur entente à l’administration maritime, sachant que tout accord qui ne serait pas notifié, deviendrait nul. Par ailleurs, cette réglementation nouvelle permettait à l’administration maritime d’interdire certaines clauses dans les accords comme une clause qui serait discriminatoire ou encore une clause qui irait à l’encontre des intérêts commerciaux des Etats-Unis. Par la suite, cette réglementation a été renforcée afin de tenir compte de l’évolution des textes internationaux. Ainsi, en 1961, le Shipping Act a été modifié une première fois par le Bonner Act. Mais c’est surtout, la loi du 20 mars 1984 qui a été une modification notable dans la mesure où elle a augmenté les obligations qui s’imposaient aux conférences maritimes dans la mesure où le code de conduite avait été adopté en 1974. Nous pouvons retenir que l’administration américaine ne s’est pas privée de l’utilisation de la réglementation dont elle disposait en particulier à l’égard des armateurs étrangers membres d’une conférence desservant les Etats-Unis. Mais cette application peut être trop rigoureuse des règles de concurrence a engendré un important conflit à l’échelon international, les pays étrangers se plaignant de ce que l’administration américaine exerçait un contrôle trop strict allant même jusqu’à l’accuser d’abus. Par ce contrôle strict, l’administration américaine voulait pouvoir gérer les armements étrangers qui faisaient parties de conférences maritimes intéressant les Etats-Unis. C’est ainsi que de nombreux législateurs étrangers ont réagi en adoptant des mesures pour faire face à la réglementation américaine. Entre autres, nous pouvons constater que la France est intervenue par une loi du 26 juillet 1968 dont l’objet, par un ensemble de règles, est de faire face à la Federal Maritime Commission.

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On peut comprendre cette volonté de maîtriser les conférences maritimes de la part des différents Etats et donc ce conflit d’ampleur international dans la mesure où la conférence quels que soient ses membres et le trafic concerné, se rapporte toujours à une entente relative aux taux de frets, avec différentes variantes de la conférence. Pourtant, malgré les efforts de réglementation développés autour de cette pratique des conférences maritimes, en raison de l’évolution des moyens et des techniques, ces dernières vont connaître une crise importante. B La « non-adaptation » des conférences maritimes aux progrès techniques Il importe d’étudier d’une part les différentes formes de conférences maritimes (1) ; et d’autre part, de savoir quelle est la cause profonde de cette crise traversée par la pratique des conférences maritimes (2). 1/ La diversité de conférences maritimes Si l’on procède à un inventaire des différentes formes des conférences maritimes qui sont très nombreuses, on peut relever essentiellement deux grandes variantes que sont les accords dont l’objet même est la fixation des tarifs (a) et les accords de pool (b). Mais qu’il s’agisse de l’une de ces deux formes, l’accord est très souvent voire même systématiquement accompagné d’un mécanisme de fidélité (c). a) Les accords de « fixation des coûts de fret » Selon la définition donnée par Madame Athanassiou, «les conférences maritimes constituent… des cartels des prix par excellence »74. En effet, malgré l’extrême variété des conférences maritimes, il est un minimum que l’on retrouve dans toutes ces conférences, c’est qu’il s’agit d’un accord de fixation de taux minima de fret. Ces conférences ont toutes vocation à harmoniser les taux de fret ainsi que leur mode de calcul, les conditions de règlement, l’établissement des connaissements et les taux de commission des courtiers. En fait, les armateurs membres d’une conférence s’entendent pour établi un tarif, généralement très complexe, définissant pour chaque catégorie de marchandises les taux de fret applicables sur le trafic visé. Pour assurer la gestion du système, un secrétariat central au siège de la conférence a été établi. Sa compétence est encadrée puisqu’il est autorisé à accorder aux membres de la conférence des dérogations à leur obligation de respecter le tarif convenu. A côté de ce secrétariat général, on trouve aussi des secrétariats locaux, titulaires de pouvoirs délégués et qui sont aussi compétents pour mettre en œuvre le contrôle très strict sur l’application du tarif arrêté par la conférence. Si une infraction est constatée alors l’armateur peut se voir contraint de payer une amende ou des dommages-intérêts. Toutes ces règles sont impératives et, pour les faire respecter, les conférences prévoient des régimes d’enquête susceptibles de mener à des sanctions comme l’application d’amendes, généralement d’un montant relativement élevé. Cette pratique a pour effet de créer une rivalité entre armateurs dans la négociation avec les chargeurs ayant des répercussions sur la concurrence avec les transporteurs extérieurs qui ne sont autres que les outsiders. Mais on peut constater que d’autres conférences sont encore plus pointues allant plus loin dans l’organisation du trafic. Certaines définissent le nombre de navires que chaque armateur peut mettre en ligne, d’autres fixent les escales que chacun doit faire pendant le voyage et parfois même la fréquence des voyages.

74 ATHANASSIOU GARIFALIA, « Aspects juridiques de la Concurrence maritime », p.450

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Avec de telles pratiques, on se rend compte à quel degré le libre jeu de la concurrence est atteint et surtout faussé. Mais toutes les conférences maritimes ne faussent pas la concurrence avec la même intensité. b) Les accords de pool Comme on vient de le dire, le degré d’atteinte à la concurrence varie d’une conférence maritime à une autre. Dans certaines hypothèses, l’accord peut aller jusqu’à envisager les conditions d’exploitation du marché. L’harmonisation de ces conditions prend la forme d’accord de pool. Ces accords de pool sont plus complets dans la mesure où ils établissent entre les membres de la conférence une véritable société de fait, rappelons qu’une conférence n’a jamais la personnalité morale. Le pool peut se résumer au partage et / ou à la limitation des capacités transportées sur une ligne. Ces limitations de capacité ont pour conséquence principale d’engendrer une augmentation des tarifs significative. Au sein de ces accords de pool, on peut encore faire des distinctions, il existe différentes formes d’accords de pool. Il y a tout d’abord les « pools de cargaison ». Dans ce type d’accords, chaque armateur a le droit de transporter un certain pourcentage de marchandises réparties sur l’ensemble du pool. Quand le pourcentage autorisé est atteint, l’armateur doit en principe refuser de charger de la marchandise au risque s’il charge de la marchandise d’être condamné à payer des pénalités. Ce système a pour effet de consacrer la répartition du marché et de limiter la concurrence sur la base de la qualité du service proposé. Ensuite, il y a les « pools de recette ». Ce système consacre un partage des recettes réalisées sur l’ensemble des participants sur la totalité du fret, mais un partage dont les pourcentages sont déterminés à l’avance. Enfin, il existe des conférences maritimes qui comportent les deux types d’accords possibles c’est-à-dire que ces conférences combinent à la fois un pool de cargaison et un pool de recette. La conférence maritime même lorsqu’elle concerne un accord sur la fixation des tarifs, elle s’accompagne généralement d’un accord que l’on peut qualifier de fidélité. c) Les accords de fidélité C’est un mécanisme qui est destiné à retenir les chargeurs comme clients de la conférence. Dans la pratique, ce système se manifeste par le fait que la conférence maritime octroie un rabais aux chargeurs qui s’engagent à utiliser exclusivement des navires de ses membres pendant une période donnée. En quelque sorte, ces clients souscrivent avec les membres de la conférence un accord de fidélité. En principe, ils bénéficient de ristournes qui s’élèvent entre 5% et 10% du taux de fret ou encore, cette pratique peut se manifester par le bénéfice de taux réduits. Il résulte de ces différentes pratiques une stigmatisation du système dont les auteurs ne sont autres que ceux qui craignent des concurrents plus performants et innovants dans ce domaine. C’est ce qui s’est passé et ce qui a engendré la crise du système des conférences maritimes au profit d’autres pratiques plus modernes comme on le verra un peu plus loin.

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2/ Vers un déclin des conférences maritimes ? Avant de se consacrer à l’étude des causes et des circonstances de cette crise du système des conférences maritimes (b), nous nous intéresserons à l’appréciation critique de ce système (a). a) Appréciation critique du système des conférences maritimes De ce système, on peut dresser un bilan des plus classiques avec les avantages et les inconvénients. Pour commencer par les avantages que procure ce système des conférences maritimes, on peut retenir que du point de la concurrence, il permet de faire en sorte d’éviter qu’il y ait une concurrence « sauvage ». En effet, depuis les années 1980, et même un peu avant, le transport maritime connaît une grave crise avec un déclin certain des flottes importantes au profit d’autres flottes moins sûres. Dès lors, par le biais des conférences maritimes, on évite une concurrence trop grande qui nuirait à de nombreux armateurs. Ensuite, même les chargeurs y trouvent leur compte avec ce système dans la mesure où même de petits ports, géographiquement isolés peuvent être concernés par une conférence maritime. Quant aux inconvénients, ils existent. Tout d’abord, on reproche souvent aux conférences maritimes d’avoir une gestion trop rigide. Ensuite, ce système aboutit à réduire très fortement la concurrence voire même à la rendre inexistante ce qui engendre des taux de fret souvent bien trop élevés. Enfin, on critique ce système dans la mesure où il permet au transport maritime d’échapper à la concurrence alors qu’aujourd’hui la concurrence est considérée « comme le moyen normal du progrès économique ». Ici, le jeu de la concurrence est complètement faussé dans un secteur pourtant important. Cette critique combinée aux problèmes liés à l’évolution des techniques des modes de transport maritime a abouti à la crise du système des conférences maritimes. b) L’origine de cette crise du système des conférences maritimes Toutes les théories économiques modernes ont fait de la déréglementation un fil conducteur de toute activité et de tout secteur. Le transport maritime n’y a pas échappé, il subit les effets de ces différentes idées contemporaines. Ainsi, la remise en cause du fondement même de ce système de conférences est amorcée dès la fin des années 1980. Mais la cause essentielle de cette crise réside malgré tout dans le fait que ce système n’a pas su s’adapter aux progrès techniques et plus particulièrement à la création d’un nouveau moyen de transport pour les marchandises à bord des navires : la conteneurisation. Cette innovation vient bouleverser le fonctionnement traditionnel du trafic de ligne et annonce le déclin du système des conférences maritimes. De ce nouveau système qu’est la conteneurisation, un nombre non négligeable de conséquences s’impose. Ainsi, la conteneurisation a entraîné un sur effectif de manutentionnaires dans la mesure où pour manier ces conteneurs, des machines ont été mises au point permettant aussi d’accélérer la vitesse de cette manutention. Ensuite, ce système de conteneurisation a fait apparaître de nouveaux acteurs sur la scène du transport maritime, d’importants groupes indépendants se sont crées faisant concurrence aux conférences maritimes et venant déstabiliser l’équilibre mis en place par les armateurs. Dès lors, il leur a fallu faire face à cette innovation technique engendrant de nouveaux enjeux. C’est ainsi qu’est née la pratique des consortiums, pratique qui est aussi mise au point par les

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armateurs. Cette peut permet de comprendre la raison pour laquelle on parle parfois des consortiums comme « le prolongement » des conférences maritimes. §II LA NAISSANCE D’UNE NOUVELLE PRATIQUE : LES CONSORTIUMS Cette pratique est apparue dans les années 1960 avec la conteneurisation. En fait, cette pratique est souvent présentée comme une conséquence de la conteneurisation comme le précise M. Rémond Gouilloud75. Lors de l’ouverture du marché intérieur, on comptait à peu près une soixantaine de consortiums exerçant des activités à l’échelon mondial. Sur cette soixantaine de consortiums, on a pu relever que 39 d’entre eux exploitaient des trafics de lignes communautaires. Malgré une création qui remonte aux années soixante, la généralisation de ce système s’est faite vers la fin des années 80 entraînant des changements notables. Le principal problème qui s’est posé avec cette nouvelle pratique était de savoir, si de par leur structure ces consortiums ne devaient-ils pas être assujettis aux règles de concurrence énoncées par les articles 81 et 82 du Traité. Or cette question n’était pas évidente à résoudre étant donnée la formulation retenue dans le règlement 4056/86, comme nous le verrons un peu plus loin (A2a). C’est ainsi que dès les années 90, la Commission a commencé à mettre en place un début de réglementation pour répondre au problème soulevé par les consortiums (A). Ce n’est qu’en 2000, qu’est un règlement « définitif » a établi un régime propre aux consortiums même s’il s’avère dans la pratique que ce règlement n’est, pour une grande partie que la reprise du règlement de 1995 (B). A Les prémices d’une réglementation sur la pratique des consortiums Il importe d’une part de faire une présentation générale de cette pratique (1) pour s’intéresser par la suite au problème de l’assujettissement possible mais pas certain des consortiums aux règles de concurrence énoncées par le Traité (2). 1/ Présentation de la pratique des consortiums Il convient tout d’abord de donner ne définition de cette pratique (a), pour ensuite étudier leur structure (b). a) Définition des consortiums Les consortiums sont des groupements d’armateurs dont l’objectif est de mettre en commun, non seulement les moyens de transport dont disposent leurs membres mais aussi de mettre au point une gestion coordonnée de ces moyens. Ainsi, l’objet de ces consortiums n’est pas de réguler l’exploitation d’une ligne en fixant des coûts de fret comme c’était le cas pour les conférences maritimes. Cette pratique se définit essentiellement comme un accord de mise en commun, par les compagnies membres des navires, des moyens de manutention, des parcs de conteneurs et des installations des terminaux. Cette pratique a pour conséquence d’engendrer de coûts énormes en termes d’investissements dans des navires de plus en plus grands, dans des parcs à conteneurs et dans un matériel de manutention spécialisé, ce qui était impossible voire même inaccessible pour les armateurs.

75 REMOND GOUILLOUD, « Droit maritime », p.253

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Dès lors, les compagnies maritimes ont procédé soit à des fusions, soit à des rapprochements dans le cadre de ces consortiums. Comme le souligne le Professeur Pierre BONASSIES, c’est ainsi qu’est née en 1966 le consortium de « l’Atlantic Container Line », créé pour desservir l’Europe et les Etats-Unis, sans oublier la participation de la Compagnie Générale Transatlantique à la création de ce consortium. La conteneurisation a donc entraîne ce nouveau type de regroupement au profit d’un renouveau de l’industrie maritime. Comme pour les conférences maritimes, il est nécessaire de se pencher sur l’étude de leur structure dans la mesure où les consortiums peuvent revêtir différents aspects. b) La structure des consortiums Malgré la diversité de structures des consortiums, on peut faire une distinction entre trois grands types de regroupements. Premièrement, il y a les consortiums considérés comme « fortement intégrés », comme c’est le cas pour « l’Atlantic Container Line ». De manière générale, ce genre de groupement utilise des navires qui lui sont frétés par les armateurs membres. La caractéristique principale de ce type de groupement c’est la centralisation. Tout d’abord, toutes les compagnies maritimes membres de ce groupement voient leur nom disparaître derrière celui du groupement, on ne connaît que le nom du groupement. Ensuite, il n’y a qu’un seul et unique réseau d’agences qui travaillent pour le groupe. Enfin, aussi bien la gestion commerciale que l’exploitation technique du groupement sont centralisées. Deuxièmement, on trouve les consortiums qualifiés de « groupements semi-intégrés ». Une première différence qui peut être relevée en comparaison avec le premier type de groupements, est que les compagnies maritimes qui constituent ce groupement gardent leur dénomination sociale, elles ne s’effacent pas au profit du nom du groupement. Ensuite, on peut noter que la gestion commerciale du groupement n’est pas centralisée. En fait cette gestion est répartie localement, chaque compagnie membre bénéficiant d’une partie de cette gestion. De ce fait, il n’y a pas de concurrence entre les membres. Enfin, il est intéressant de constater que dans ce type de groupement, il n’y a pas comme c’est le cas pour les « groupements intégrés » d’affectation des moyens de transport à une entité unique. En fait, dans ce genre de groupements, il y a simplement une mise en commun des moyens de transport ce qui signifie que les navires appartenant à chaque membre sont mis à la disposition de l’ensemble des membres. D’un point de vue juridique, cette situation engendre un nombre fort important de conclusions de contrats portant sur une partie de la disponibilité des navires concernés. D’une part, chaque armateur membre affrète des espaces de transport sur les navires d’autres armateurs membres, proportionnellement aux parts de trafic qui lui sont attribuées ; et d’autre part, ce même armateur frète des espaces de transport sur ses propres navires aux autres armateurs membres. Ces contrats sont généralement accompagnés de nombreuses clauses, remarquées pour leur complexité. Enfin, et c’est le dernier type de groupement que l’on peut rencontrer. Ce sont les « groupements souples ». Ce type de groupement est principalement caractérisé par une forte liberté. Cette liberté se traduit par le fait que chaque armateur est libre de choisir la clientèle qu’il veut à condition tout de même qu’elle se trouve dans la zone géographique couverte par le consortium. Là aussi, les armateurs membres disposent des moyens de transport nécessaires

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mis en commun. On retrouve à peu près la même architecture que dans le type de groupement précédent avec des contrats d’affrètement croisés. Aujourd’hui, la pratique des consortiums est assez répandue malgré un certain nombre de questions qui se posent encore à leur égard. L’une des plus importantes questions qui se posait il y a encore une dizaine d’années, était celle de savoir si les règles de concurrence établies par le Traité de Rome leur étaient applicables. Cette question semble aujourd’hui à peu près résolue dans sa globalité. 2/ La question de l’application des règles de concurrence aux consortiums Avant de se pencher sur la solution apportée à cette question de l’application des règles de concurrence aux consortiums (b), il convient avant tout d’exposer le problème qui s’est posé (a). a) Position du problème S’est posé le problème de savoir si les règles de concurrence devaient s’appliquer à ce type de groupements dans la mesure où leur organisation où pourrait aboutir à un tel résultat. En effet, en application du règlement n° 4056/86(que nous allons étudier un peu plus loin), ce dernier ne soumet pas à l’article 81 (ex article 85) du Traité et donc exclut l’application des règles de concurrence aux accords qui ont pour objet « l’échange ou l’utilisation en commun, pour l’exploitation des transports, de navires ou d’espaces sur les navires ». Dès lors, les consortiums qui, par des contrats d’affrètements croisés, organisent un tel « échange » ou une telle « utilisation » ne seraient pas soumis à l’application des règles de concurrence qui découlent du Traité. Mais de par leur organisation ne vont-ils pas parfois au-delà d’un simple « échange » ou « utilisation ». En effet, il s’avère que certains cas, les consortiums intègrent très fortement les compagnies maritimes qui le constituent dans la mesure où, comme on vient de le voir, le consortium peut attribuer à un armateur une zone d’activité exclusive. Par conséquent dans ce type d’hypothèses d’une intégration poussée des armements, ne faudrait-il pas appliquer les règles de concurrence. Du moins, on ne voit pas ce qui justifierait le fait que ces règles ne s’appliquent pas, il n’y a aucune raison de les exclure du champ d’application de ces règles de concurrence. Ainsi, dans ce genre de situations, en application de la procédure prévue à l’article 12 du règlement n° 4056/86, il serait logique que les consortiums concernés demandent une exemption individuelle à la Commission. Il semble que dans la pratique certains consortiums ont eu cette démarche. Mais c’était avant que la Commission ne prévoie une réglementation propre aux consortiums. b) Le non-assujettissement des consortiums aux règles de concurrence Dès le début des années 1990, avec le problème posé et la possibilité de demander une exemption à la Commission sur le fondement du règlement n° 4056/86, cette dernière, afin de ne pas être débordée sous les demandes individuelles d’exemption, a envisagé d’accorder une dérogation aux consortiums, semblable à celle mise en œuvre pour les conférences maritimes. Ainsi, dans un règlement du Conseil du 25 février 1992, la Commission se voit offrir la possibilité d’accorder une dérogation aux consortiums pour ne pas être soumis aux règles de concurrence établies par le Traité.

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Ce règlement précise qu’il vise « les accords qui ont pour objet de promouvoir ou d’établir une coopération pour l’exploitation en commun de services, de transport maritime entre compagnies maritimes de ligne, dans le but de rationaliser leurs opérations au moyen d’arrangements techniques, opérationnels et/ou commerciaux, à l’exception de la fixation des prix ». Ainsi, un cadre réglementaire est posé pour les consortiums se rapprochant des mesures prises pour les conférences maritimes dans la mesure où ces consortiums pourront eux aussi demander une exemption individuelle afin de ne pas être assujettis aux règles de concurrence qui découlent du Traité. C’est un premier travail de construction « législative » pour ce type de groupements. Mais le travail des institutions communautaires ne va pas s’arrêter à ce premier règlement, c’est le début d’une longue construction réglementaire qui s’ouvre avec ce premier règlement de 1992 au profit des consortiums. B La mise en place d’une dérogation automatique pour les consortiums Il importe d’étudier d’une part le travail accompli par les institutions communautaires dans l’établissement d’une dérogation à l’application des règles de concurrence au profit des consortiums (1) ; et d’autre part de se pencher sur les conditions relativement strictes qui sont posées pour qu’un consortium puisse bénéficier de cette exemption (2). 1/ La dérogation accordée à l’interdiction des ententes de l’article 81 du Traité… Nous allons tout d’abord nous intéresser au cheminement de la réglementation posée à l’égard des consortiums (a) pour ensuite s’intéresser au contenu même du dernier règlement en vigueur (b). a) L’établissement d’une réglementation pour les consortiums C’est à partir du règlement n° 479/92 du 22 février 199276 que la construction d’un cadre réglementaire s’est faite pour permettre aux consortiums de bénéficier d’une exemption à l’application des règles de concurrence du Traité. Ce règlement autorise la Commission à définir les conditions dans lesquelles les consortiums maritimes bénéficieront d’une exemption. Dans un deuxième temps, la Commission a promulgué un autre texte. Il s’agit du règlement n° 870/95 du 20 avril 199577 qui a mis en place un véritable système d’exemption au profit des consortiums, système que nous allons voir juste après. Il s’agit d’un règlement définissant avec précision les activités couvertes par l’exemption ainsi que les conditions et obligations à respecter. Mais ce règlement de 1995 étant arrivé à expiration, il a été remplacé par un autre texte. Il s’agit du règlement n° 823/2000 du 19 avril 2000 (JOCE n° 100 du 20 avril 2000) qui reprend dans une grande proportion les dispositions du règlement de 1995. Comme l’a relevée le professeur Pierre Bonassies, la modification la plus importante étant peut-être celle concernant la substitution, dans le texte français, du pluriel « consortiums » au pluriel « consortia ».

76 JOCE n° L 055, 29 février 1992 77 JOCE n° L 089, 21 avril 1995

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Après avoir expliqué quel a été le travail des institutions pour mettre en place une réglementation au profit des consortiums, nous allons pouvoir nous intéresser d’un peu plus près au contenu. b) Présentation des dispositions du règlement n° 823/200078 Avant tout, il est important de poser la définition retenue par le règlement sur les consortiums. Ainsi, le consortium est défini comme « un accord entre au moins deux transporteurs exploitant de navires, qui assurent des services internationaux réguliers de ligne pour le transport exclusif de marchandises, principalement par conteneurs, sur un ou plusieurs trafics, et dont l’objet est d’établir une coopération pour l’exploitation en commun d’un service de transport maritime améliorant le service offert… et cela au moyen d’arrangements techniques, opérationnels et/ou commerciaux, à l’exception de la fixation des prix ». Les consortiums sont donc des accords portant sur la gestion des flottes (navires et conteneurs) en vue de diminuer le coût de la prestation de transport, ils diffèrent donc des conférences maritimes, accords qui portent sur les taux de fret et les caractéristiques du service rendu à l’usager. De cette définition, on en déduit qu’un consortium ne peut être autorisé que s’il est créé entre des transporteurs qui exploitent personnellement leurs navires. On entend par exploitation personnelle, des navires dont les transporteurs sont propriétaires ou qu’ils affrètent à temps ou coque nue. Par ailleurs, cette définition interdit de manière très explicite tout consortium qui aboutirait à la fixation des tarifs de fret. De plus, l’article 6 du règlement n° 832/2000, concernant la dimension qu’un consortium ne doit pas dépasser pour obtenir la dérogation à l’interdiction qui frappe en principe les ententes en droit communautaire, est venu apporter une précision en ce qui concerne le cas d’un consortium membre d’une conférence maritime dans la mesure où cette dernière peut avoir pour objet de fixer les taux de fret. Dans cette hypothèse, il résulte de cette réglementation que le consortium ne peut pas établir des taux de fret même s’il est membre d’une conférence maritime qui peut, elle et seulement elle, fixer ces taux. Le consortium qui correspond à cette définition c’est-à-dire qui entre dans les critères posés par cette dernière, ce dernier se voit accordé une dérogation automatique à l’interdiction des ententes posée par l’article 81 du Traité ; cette dérogation est de plein droit. Mais il est important de préciser que l’article 9 alinéa 5 du règlement n° 823/2000 ajoute que même si l’exemption est de plein droit, sur demande de la part de la Commission, le consortium qui en bénéficie doit pouvoir être en mesure de démontrer à la Commission qu’il remplit les conditions posées par le règlement. A cet égard, le consortium dispose d’un préavis d’un mois. Ensuite, dans son article 2, le règlement donne une liste limitative des activités pour lesquelles la dérogation est valable. Cette liste concerne la coordination des horaires, l’échange, la vente ou l’affrètement croisés d’espaces, l’utilisation en commun de navires ou d’installations portuaires, la mise à disposition d’équipements (conteneurs, châssis…), la participation à des pools de tonnage, de recettes ou de résultats. En matière de gestion des capacités, seuls sont couverts par l’exemption les « ajustements temporaires de capacités » alors que les gels de capacité (« arrangements de non-utilisation de la capacité existante ») sont exclus de cette exemption.

78 JOCE du 20 avril 2000

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Enfin, les accords entre consortiums (ou leurs membres) desservant une même ligne ne bénéficient pas de cette exemption. Une fois la présentation du règlement faite et la définition des consortiums donnée, il est intéressant de se pencher un peu plus sur le régime d’exemption mis en place par ce règlement n° 823/2000 c’est-à-dire d’examiner dans quelles conditions cette dérogation peut être obtenue et quelles sont les obligations à respecter. 2/ Mais une dérogation automatique très encadrée : conditions Nous allons tout d’abord nous intéresser aux conditions de la délivrance de cette dérogation (a) pour ensuite faire un bilan de la pratique des consortiums (b). a) Les conditions de cette dérogation automatique En effet, l’exemption qui est accordée aux consortiums est soumise à certaines limitations ou du moins à des conditions très précises contenues dans le règlement n° 823/2000. Avant de commencer ce développement, il est important de relever que dans l’article 6, il est précisé qu’une concurrence effective doit s’exercer entre les membres du consortium en matière de prix et de service, de même qu’entre le consortium et les compagnies non membres du consortium opérant sur un même trafic. Tout d’abord, le règlement introduit l’obligation de prévoir la possibilité pour les membres d’un consortium d’une «independant action ». Cela signifie que chaque membre doit pouvoir rester libre d’accorder à ses clients des « arrangements de service ». Le règlement vient préciser, dans son article 1er, cette condition en disant qu’il s’agit d’un engagement du transporteur de fournir à un chargeur un service individualisé en contrepartie d’une promesse pour ce dernier, de faire transporter une quantité donnée de marchandises pendant une période donnée. A cela le règlement ajoute, dans son article 8, que chaque membre doit pour pouvoir rester libre de procéder, dans un délai de six mois, à une action de « marketing » indépendante quand bien même il y a une structure commune de commercialisation établie. Ce que souhaite le règlement à travers ces différentes limitations, c’est qu’il reste tout de même un minimum de concurrence entre les membres mêmes du consortium ; le règlement ajoutant dans son article 5 l’hypothèse où ce consortium serait membre d’une conférence maritime, alors il faut qu’il subsiste une concurrence suffisante dans la conférence. Enfin, le règlement énonce dans son article 9 que tout membre d’un consortium peut se retirer mais à condition qu’il se soit écoulé une période de dix-huit mois (ou de trente mois pour les consortiums les plus intégrés) et que le membre concerné donne un préavis de six mois. Enfin, en son article 9alinéa 4, le règlement énonce que les consortiums ne doivent pas adopter de pratiques se traduisant par une discrimination entre les ports, les transporteurs ou les usagers. Quant aux parts de marché exploitées par le consortium, le règlement vient là aussi poser certaines conditions en ses articles 7 et 8. Tandis que le règlement de 1995 limitait à 30% la part de trafic qu’un consortium pouvait exploiter sur les ports desservis (35% pour un consortium opérant hors conférence), le nouveau texte se réfère à une « part de marché calculée en volume de marchandises transportées (tonnes fret ou équivalent vingt pieds) », laquelle part doit être inférieure à 30% (35% pour les consortiums hors conférence). Cette modification a été opérée afin de prendre en considération, pour apprécier le risque d’atteinte à la concurrence présenté par un consortium, non seulement le trafic direct entre les

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ports desservis, mais également la concurrence éventuelle d’autres service maritimes de ligne à partir de ports substituables, voire même la concurrence avec d’autres modes de transports. L’article 9, quant à lui, précise que les membres du consortium doivent sur une base individuelle pourvoir négocier des accords avec les chargeurs. Enfin, le règlement impose quelques obligations aux membres mêmes du consortium qui relèvent du domaine de la transparence, de la consultation et de l’information pour l’essentiel. b) Les conséquences de la pratique des consortiums Il est incontestable et une grande majorité de la doctrine est unanime pour dire que la pratique des consortiums a contribué fortement au progrès économique et technologique de l’industrie maritime. En effet cette pratique a permis de faciliter et d’inciter à l’utilisation des conteneurs. Dès lors, cette pratique a mis en avant la rapidité des livraisons et la régularité des services. Par ailleurs, cette nouvelle pratique a fourni certains avantages aux compagnies maritimes ; en particulier en termes de coûts puisque les capacités de navires sont largement optimisées. C’est dans l’ensemble un bilan positif qui ressort de la pratique des consortiums. Aujourd’hui, est apparu un nouveau phénomène, celui des « alliances ». Ces dernières sont constituées d’armateurs qui exploitent le même trafic, certains armateurs étant déjà membres d’une conférence maritime ou d’un consortium. De manière générale, il ressort que cette pratique établit des liens d’une grande souplesse entre ses membres ce qui explique peut être la raison pour laquelle ces alliances sont nettement moins structurées que les conférences ou consortiums. C’est peut-être aussi cette souplesse qui explique que la Commission ne se soit pas encore intéressée à l’organisation de ces alliances et de savoir si elles devaient être soumises aux règles de concurrence du Traité ou s’il faudra dans l’avenir établir une réglementation du même type que celles faites pour les conférences et les consortiums. Avec toutes ces pratiques, aussi diverses soient elles (conférences, consortiums…), la politique communautaire de la concurrence applicable en matière de transports maritimes est semée d’obstacles. Notamment, lors de l’élaboration, elle a buté sur des usages internationaux et plus particulièrement sur le Code de conduite des Conférences maritimes de 1974. Il fallait encadrer au niveau communautaire toutes ces pratiques tout en prenant en considération et en intégrant le travail déjà accompli au niveau international dans la mesure où c’est le droit international qui a précédé le droit communautaire en matière de réglementation de toutes ces pratiques. Ainsi, cette politique communautaire de la concurrence en matière de transports maritimes a pu se développer avec un règlement n° 954/7979, considéré comme le premier fondement de la construction de cette politique, avant le grand règlement n° 4056/86.

79 JOCE n° L 121, 17 mai 1979

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Section II L’ENCADREMENT TEXTUEL DES ENTENTES MARITIMES Dans la perspective de réguler les pratiques commerciales des armateurs, c’est le droit international qui a précédé le droit communautaire. Et c’est au sujet de la pratique des conférences maritimes qu’une première internationale fût élaborée. A la fin de la vague de décolonisation des années 70, les pays nouvellement indépendants se sont plaints de ce que la pratique des conférences maritimes, pour l’essentiel, les désavantageait, les empêchait de participer activement à l’activité et nuisait à l’acheminement de leurs exportations et importations. Dès lors le 6 avril 1974, fût conclue la convention de la Conférence des Nations-Unies pour le développement (la CNUCED) qui porte Code de conduite des Conférences maritimes même si l’entrée en vigueur ne se fera que quelques dix années plus tard, en octobre 1983 lors de la réunion des conditions nécessaires c’est-à-dire l’adhésion de vingt-quatre Etats, représentant 25% du tonnage mondial (§I). La relève fût prise au niveau communautaire, mais non sans difficultés dans la mesure où la rédaction du Code telle qu’elle a été faite en 1974, apparaissait comme contraire aux fondements mêmes de la Communauté. Par conséquent, c’est à la suite de longues négociations et un effort de compromis que le Conseil a adopté le règlement n° 954/79 du 15 mai 1979 afin de traduire l’acquis international au niveau communautaire tout en respectant les principes généraux du droit communautaires (§II). §I L’ENCADREMENT INTERNATIONAL : LE CODE DE CONDUITE DES CONFERENCES MARITIMES A cet égard, il importe d’étudier dans quelle mesure il a été nécessaire de créer, à l’échelon international, un cadre réglementaire au fonctionnement des conférences maritimes (A), pour ensuite s’intéresser au contenu même de cette réglementation (B). A La nécessité d’un cadre international pour l’activité des conférences maritimes Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les raisons qui ont poussé la Communauté internationale à établir une réglementation (1), puis dans un deuxième temps, nous verrons quels ont été les moyens mis en œuvre pour établir cette réglementation (2). 1/ Les raisons de cet encadrement S’il s’est avéré nécessaire de développer une réglementation internationale à l’égard des conférences maritimes, c’est en raison des conséquences de la décolonisation. Suite à cette vague de décolonisation dans les années 70, l’émergence des pays nouvellement indépendants a été importante, suffisamment du moins pour pousser la Communauté internationale a rédigé un texte permettant à ces nouveaux pays de pouvoir participer et de se faire une place dans le système conférentiel. Il est important ici de faire une parenthèse pour dire que le titre de ce Code est trompeur dans la mesure où il va au-delà d’une simple réglementation du fonctionnement des conférences maritimes.

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Tous ces nouveaux pays ont fortement critiqué cette pratique des conférences maritimes dans la mesure où elles avaient pour conséquence principale d’empêcher ces pays de participer au commerce maritime. Dès lors, ce Code fût adopté en 1974 à Genève à l’initiative de la CNUCED dont on connaît son rôle notable pour les pays en voie de développement. Ainsi, afin de répondre à la demande générale et aux critiques formulées par ces pays émergents sur la scène du commerce maritime internationale, ce Code inclut non seulement des règles destinées à guider le comportement des conférences maritimes mais aussi des règles de partage de trafic afin que ces pays soient le moins lésés possibles. Ce partage de trafic a été caractérisé par la règle des 40/40/20 énoncée à l’article 2 du Code. Cependant, le code ne s’est pas limité à énoncer de simples règles pour harmoniser les conditions du trafic maritime international. Ce Code qui contient avant tout une réglementation sur la pratique des conférences maritimes, donne les moyens avec lesquels cette réglementation s’appliquera. 2/ Les moyens de cet encadrement : les principes directeurs Pour cette partie qui nous concerne, le Code est plus fidèle à son intitulé car il contient une véritable réglementation sur le fonctionnement des conférences maritimes qui doit être mise en œuvre dans le respect de certains principes. On peut essentiellement retenir trois grands principes guidant l’activité des conférences maritimes. Tout d’abord est posé le principe d’ouverture des conférences maritimes qui reconnaît toute compagnie maritime d’un Etat le droit d’être membre à part entière d’une conférence maritime. C’est un principe selon lequel une compagnie maritime nationale peut être membre d’une conférence maritime qui assure le trafic extérieur de son pays à une double condition : que cette compagnie puisse participer de manière effective à ce trafic et qu’elle adhère aux règles posées par le Code sur les conférences, s’engageant à les respecter. Ensuite est posé le principe de coopération, principe qui doit s’appliquer tant à l’égard des chargeurs que des Etats visés par la conférence. Vis-à-vis des chargeurs, la conférence à l’obligation de respecter une mise en place d’un mécanisme de consultation. Il s’agit de permettre une consultation efficace des organisations de chargeurs pour leur demander des conseils sur toutes les questions qui concernent l’organisation et sur les modifications éventuelles à apporter aux taux de fret ou aux mécanismes ces accords de fidélité. Vis-à-vis des Etats concernés, il s’agit d’autoriser toutes les autorités administratives des Etats visés par la conférence à participer aux consultations sans pour autant bénéficier d’un droit de décision sur l’adoption de mesures à prendre. Enfin, est institué un principe de transparence. C’est un principe selon lequel au sein des bureaux administratifs des compagnies maritimes doivent pouvoir être consultés tout ce qui concerne, les barèmes, les règlements intérieurs des conférences et les tarifs, ces dernières informations devant également être mises à la disposition de tout chargeur qui le demande. Ce principe a pour objectif de protéger les droits des chargeurs en instituant un mécanisme de consultations obligatoires quant aux décisions portant sur le fret. De plus l’application de ce principe oblige les conférences maritimes à fournir un rapport annuel sur leurs activités et les autorités administratives des Etats visés peuvent y accéder sur demande.

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Après avoir situé le contexte dans lequel a été rédigé ce Code et exposé les principes directeurs encadrant l’activité des conférences maritimes, il est important d’étudier le fonctionnement et le contenu de la réglementation sur l’organisation des conférences maritimes. B L’établissement d’une réglementation sur l’activité des conférences maritimes Tout d’abord, il convient de préciser ce fonctionnement, quelles ont été les principales règles retenues dans le Code pour l’activité de ces conférences (1). Après quoi, nous pourrons étudier la portée de ce Code c’est-à-dire d’exposer les retombées (2). 1/ Précisions sur le contenu de la réglementation des conférences maritimes Ce qui sûr, c’est que ce Code est perçu comme la réglementation principale au niveau international du fonctionnement des conférences maritimes afin d’éviter tout abus possible. En raison d’un éventuel abus dans la pratique de ces dernières, l’accès des compagnies nationales aux conférences est garanti mais à condition que ces compagnies soient en mesure de pouvoir offrir un service régulier. Par rapport au fonctionnement même des conférences maritimes, on peut reconnaître aux rédacteurs du Code une précision poussée des règles qu’il édicte. Ainsi, en son article 12, le Code énonce une première obligation selon laquelle les taux de fret sont fixés au niveau le plus bas possible à condition qu’ils permettent toutefois aux armateurs de bénéficier d’un profit correct. Ensuite, le Code met en avant un principe très important : le principe de non discrimination. En effet, les barèmes de frets ne doivent être discriminatoires, ils doivent traiter de la même manière les chargeurs qui sont dans une situation identique. Au-delà de ces règles générales relatives à une certaine égalité de traitement que l’on peut retrouver assez facilement dans un certain nombre de conventions, traités et autres types de textes, le Code pose des règles plus spécifiques. Ainsi, en son article 14, le Code institue « un système de préavis » au cas où les taux de fret augmenteraient. Cet article pose une obligation générale d’information selon laquelle, en vue d’une augmentation générale des taux de fret, les conférences doivent informer les organisations de chargeurs et éventuellement les autorités administratives compétentes des pays desservis par la conférence si la législation nationale de l’Etat concerné le prévoit. Cette règle rejoint le principe de transparence exposé ci-dessus et permet de garantir une consultation des organisations de chargeurs. De plus pour ce qui est des augmentations, la conférence est compétente pour fixer une nouvelle augmentation mais elle doit respecter un délai de minimum de dix mois entre deux augmentations. Enfin, le Code de conduite des conférences maritimes s’est intéressé de près au mécanisme des accords de fidélité. Ils bénéficient de garanties au profit des chargeurs, le Code posant comme obligation fondamentale que ces accords doivent énoncer de manière claire et explicite les droits et obligations qui reviennent respectivement aux chargeurs et aux compagnies maritimes. De l’avis général, ce Code a été bien perçu dans la mesure où il respecte la nature même des conférences maritimes. Cependant les retombées ont été dans l’ensemble mitigées. 2/ La portée du Code de conduite des conférences maritimes

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D’un point de vue matériel, le Code est satisfaisant car les règles posées consacrent l’intérêt général au détriment de la logique marchande. Ce Code a permis de redéfinir les échanges maritimes internationaux au profit des pays nouvellement indépendants en voie de développement. En contrepartie de cet aspect positif, quelques inconvénients existent. Tout d’abord, son champ d’application est assez restreint même s’il ne se résume pas au seul fonctionnement des conférences maritimes, définissant aussi des règles sur le partage des trafics. Mais lors de son entrée en vigueur en 1983, la pratique des consortiums commence à se répandre. De plus, il ne faut pas oublier qu’un certain nombre de pays, importants par la grandeur de leurs armements n’ont adhéré au Code, ce qui est regrettable. Il en va ainsi pour le Japon, l’Australie, le Canada et les Etats-Unis. A ce jour, il a été ratifié par 63 Etats. Pour ce qui est de la France, c’est par une loi du 21 mai 1985 qu’elle a été autorisée à le ratifier. C’est une loi du 22 mai 1985 qui a précisé les modalités d’application de ce Code. La ratification a lieu le 25 septembre 1985 et la publication du Code a été faite dans un décret du 1er septembre 1987. En revanche, un problème s’est posé à l’égard de la Communauté européenne quant à l’harmonisation entre les règles du Code de conduite des Conférences maritimes et celles du droit communautaire. Finalement, le problème a été résolu aux termes d’un effort de compromis. §II L’ENCADREMENT COMMUNAUTAIRE : LE REGLEMENT N° 954/79 DU 15 MAI 1979 L’enjeu capital pour la mise en place d’un « Marché commun maritime » a été de trouver « une traduction » européenne du Code de conduite des Conférences maritime. C’est en 1979 que la Communauté européenne décide de ratifier le Code de conduite des Conférences maritimes adopté sous l’égide de la CNUCED en 1974. Or, ce texte met en cause les dispositions de Traité de Rome relatives à la concurrence et vient s’opposer à la législation de quelques Etats membres. Dès lors cette « traduction » à l’échelon communautaire s’annonce difficile (A). Mais finalement après de longues négociations, un compromis sera trouvé et mis en œuvre par le règlement n° 954/79 traduisant le contenu de ce Code de conduite au niveau communautaire (B). A La difficile « traduction » communautaire du Code de conduite A cet égard, il convient, d’une part, d’étudier les raisons pour lesquelles il semblait quasi impossible pour la Communauté de ratifier de Code de conduite (1) ; et d’autre part de s’intéresser à la résolution du problème (2). 1/ Les raisons de cette difficulté de « traduction » La signature et la ratification du Code de conduite des conférences maritimes par les Etats membres de la Communauté se sont avérées être des missions délicates dans la mesure où le régime juridique communautaire en matière de transports maritimes était incompatible. En effet, tout d’abord, à l’époque où le Code de conduite des conférences maritimes est adopté par la CNUCED en 1974, la pratique de conférences maritimes est contraire aux principes mêmes du Traité et plus particulièrement à l’article 81§1 du Traité qui interdit formellement les ententes. Or, d’un point de vue du droit communautaire, au début des années

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70, les conférences maritimes sont perçues comme des ententes et l’adoption au niveau international de règles relatives à cette pratique vient la légitimer. De plus, ce Code offre la possibilité aux compagnies nationales de réserver des parts de marché, ce qui est apparu contraire non seulement au principe de libre prestation de services mais aussi aux règles de concurrence de l’article 81§1 lu en combinaison avec l’article 86§2 du Traité. Dès lors, il apparaissait impossible pour la Communauté d’adhérer un pareil Code dans la mesure où l’article 307§2 interdit formellement aux Etats membres de ne pas prendre d’engagements internationaux contraires à leurs obligations au regard du droit communautaire. Finalement, la Communauté a pu contourner cette difficulté par l’adoption du règlement n° 954/79 du 15 mai 1979. 2/ Une difficulté résolue : l’adoption du règlement n° 954/79 Ce qui posait essentiellement problème c’est que le Code avait prévu une répartition des trafics selon un critère national. Or, en droit communautaire, il existe un principe selon lequel toute discrimination est interdite. L’adoption au Code de conduite tel qu’il est rédigé, est apparue comme contraire aux principes généraux du droit communautaire. C’est la raison pour laquelle le Conseil, afin de sortir de cette impasse et de concilier les intérêts de la Communauté avec les règles internationales, a adopté le règlement n° 954/79 du 15 mai 1979. Mais avant d’arriver à cette étape de l’adoption d’un règlement traduisant le Code de conduite dans le droit communautaire, un travail énorme fût fourni. En effet, ce règlement est le fruit d’un véritable compromis entre les impératifs de la Communauté et les contraintes du Code de conduite des conférences maritimes qui a abouti après quatre années de dures et intenses négociations. En application de ce règlement, la Commission a donc encouragé les Etats membres à ratifier le Code de conduite de 1974, une fois le risque de discrimination entre les différents armements des Etats membres de la Communauté évincé. Pour la France qui a ratifié ce Code comme nous l’avons précisé ci-dessus, c’est par un avis du 28 février 1985 que cette ratification a été autorisée80. Ainsi, une fois les conditions exposées les conditions dans lesquelles la Communauté a pu arriver à trouver un compromis, il convient de présenter dans les grandes lignes quels sont les points forts du règlement n° 954/79. B Présentation du règlement n° 954/79 du 15 mai 1979 A cet égard, il importe d’étudier le contenu même du règlement (1), et quelles ont été les conséquences de ce règlement (2). 1/ Le contenu du règlement

80 JOCE n° L 71, 12 mars 1985, p.18

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Un des points les plus importants de ce règlement est sans doute la réserve qu’il institue. En effet, le règlement prévoit que lors de la ratification du Code de conduite par les Etats membres, ces derniers devront respecter une double réserve. En premier lieu, les Etats n’appliqueront pas la règle du partage des cargaisons 40/40/20 au trafic intracommunautaire. Ensuite, les Etats membres doivent se réserver le droit de mettre en commun les parts de trafic attribuées aux pavillons des Etats membres de la Communauté. Cette règle veut dire que sur un trafic donné entre un Etat membre et un Etat tiers, l’Etat membre devra éventuellement partager avec les navires d’autres Etats membres. En second lieu, il semble que le règlement tende à élargir l’espace maritime communautaire à l’ensemble des Etats membres de l’OCDE parties au Code de conduite dans la mesure où il prévoit aussi que la règle de partage des cargaisons 40/40/20 ne s’appliquera pas aux relations entre les Etats membres de la Communauté et les Etats membres de l’OCDE, parties au Code de conduite, sous réserve de réciprocité. Nous pouvons ajouter que cette réserve a été appliquée par la France lors de la ratification du Code de conduite. Ainsi le décret de ratification du 1er septembre 1987 est accompagné du texte de la réserve. Dès lors, il semble que ce règlement n° 954/79 ne fait qu’ajuster le Code de conduite pour le rendre compatible aux principes généraux du droit communautaire. 2/ La portée du règlement Tout d’abord, il est important de relever que sans l’adoption de ce règlement, le Code de conduite des conférences maritimes n’aurait peut être jamais pu entrer en vigueur à cette date, c’est-à-dire en 1983 dans la mesure où il fallait que soit réunis 24 Etats au minimum représentant 25% du tonnage mondial. Ainsi, avec l’adoption du règlement n° 954/79 par le Conseil, les Etats membres ont pu apporté leur ratification et permettre au Code d’entrer en vigueur dès le 6 octobre 1983. D’un point du droit communautaire et plus particulièrement de l’application des règles de concurrence aux transports maritimes, ce règlement représente certainement la « première pierre de l’édifice » dont nous disposons aujourd’hui. En effet, il est non seulement le point de départ de la politique commune des transports et des avancées opérées relatives aux règles de concurrence applicables dans le domaine des transports maritimes. Ce règlement est incontestablement la manifestation d’un besoin de mettre en œuvre une véritable politique de la concurrence dans le domaine des transports maritimes. Cette politique va prendre toute son ampleur et se développer avec le règlement n° 4056/86 portant sur les modalités d’application des articles 81 et 82 (ex articles 85 et 86) du Traité.

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CHAPITRE II LE RENFORCEMENT DES REGLES DE CONCURRENCE DANS LA POLITIQUE COMMUNAUTAIRES DES TRANSPORTS MARITIMES Les accords entre armateurs sont fréquents, c’est une pratique traditionnelle dans le monde maritime. A l’époque, ces accords ont été perçus comme l’un des moyens les plus probables de discipliner la profession. Les plus connus parmi la variété d’accords qui existent sont les conférences maritimes. Mais un problème est rapidement apparu avec ce type de pratique, c’est l’abus dans la mesure où ces accords peuvent porter atteinte au libre jeu de la concurrence. Dès lors, ces conférences ont fait l’objet d’une attention particulière de la part des administrations nationales compétentes dont la première fût celle des Etats-Unis. Mais très vite, les institutions communautaires se sont préoccupées de ce phénomène estimant que les articles 81 et 82 (ex articles 85 et 86) du Traité avaient vocation à s’appliquer dans la mesure où il a été reconnu que les transports maritimes étaient soumis à l’application des dispositions du Traité par l’Acte Unique européen, en vigueur depuis 1987. Depuis, les transports maritimes se trouvent intégrés dans l’ordre communautaire. L’article 84§2 (devenu article 80§2) qui leur réservait une place particulière parmi les transports a subi une double modification. D’une part, les décisions du Conseil statuant en matière de transports maritimes sont prises à la majorité qualifiée ; d’autre part, la procédure destinée à réaliser les objectifs du Traité dans de transports est étendue aux transports maritimes : article 84§2 alinéa 2 (devenu article 80§2 alinéa 2). Il s’agit des dispositions de procédure prévues à l’article 75 alinéa1er et 3 (devenu article 71). A cet égard, le préambule du règlement n° 4056/86 du 22 décembre 1986 le rappelle. C’est à partir de ce constat que le règlement n° 4056/86 a été rédigé dont la double base juridique repose sur les articles 84§1 (devenu article 80§1) et 87 (devenu article 83). Quant au contexte dans lequel il a été adopté, à cette époque, le monde maritime international était perturbé dans la mesure où l’importance des conférences maritimes s’était affaiblie en raison d’une part, des « outsiders » que sont les armements concurrents indépendants ; et d’autre part, par la pratique de certains Etats consistant à réserver le fret à leurs compagnies nationales. Jusqu’ici aucun grand texte communautaire ne régissait véritablement l’application des règles de concurrence dans le domaine des transports maritimes, si ça n’est le règlement n° 954/79 portant application du Code de conduite des Conférences maritimes de 1974 qui avait mis en avant le besoin de réglementer ces pratiques. Quant au règlement 17/6281 régissant la concurrence en général, il excluait de son champ d’application les transports ; le règlement n° 1017/68 ne visait que les transports terrestres. Dès lors, se manifestait un réel besoin de réglementation pour les transports maritimes qui permette aux institutions communautaires de surveiller des comportements qui pouvaient

81 JOCE n° L 13, 21 février 1962

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avoir des effets négatifs au regard des règles de concurrence du Traité dans le Marché commun. Ainsi, le règlement n° 4056/86 du 22 décembre 1986 « déterminant les modalités d’application des articles 85 et 86 du Traité aux transports maritimes » est le premier texte qui s’intéresse véritablement au domaine de la concurrence maritime. Ce règlement a été modifié par le règlement n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, « relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité82

Il est considéré comme l’instrument de la politique de la concurrence et des transports maritimes permettant de combler le vide juridique du droit antérieur comme l’avait soulevé l’arrêt « Asjes » de la Cour de justice du 30 avril 198683, arrêt rendu en matière de transports aériens mais dont les conclusions ont été jugées valables pour les transports maritimes, en déterminant les modalités d’application des articles 85 et 86 du Traité. En outre, ce règlement n° 4056/86 autorise des exemptions de groupe au profit des conférences maritimes manifestant ainsi la volonté de les préserver (section I) et il met en place des procédures particulières pour un respect raisonnable des articles 81 et 82 du Traité (Section II). SECTION I LA VOLONTE DE SAUVEGARDE DES CONFERENCES MARITIMES Le règlement n° 4056/86 a pour objectif de permettre une juste application des règles de concurrence aux ententes maritimes c’est-à-dire de rendre leur exercice dans certaines conditions compatible avec le Marché commun (§I). Mais, dès lors que des comportements bénéficiant d’une exemption ont des effets qui deviennent incompatibles avec les articles 81§3 et 82, le règlement prévoit un retour à l’application du droit commun (§II). §I LA COMPATIBILITE DE CERTAINES ENTENTES MARITIMES AVEC LE MARCHE COMMUN A cet égard, il importe d’étudier le champ d’application de l’exemption accordée par le règlement n° 4056/86 (A) ainsi que les conditions et obligations qui encadrent l’accord de cette exemption (B). A Le champ d’application du règlement n° 4056/86 Après avoir fait une présentation générale des définitions données par le règlement (1) quant à l’étendue du champ d’application (a) et quant à la définition même des conférences maritimes (b), il convient de s’intéresser au domaine de l’exemption qui peut être accordée par la Commission (2) avec les domaines couverts (a) et ceux qui sont exclus du bénéfice de cette exemption (b). 1/ Présentation des définitions du règlement

82 JOCE n° L 001, 4 janvier 2003 83 Recueil CJCE 1986, p.1425

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a) Définition de l’étendue du champ d’application Le règlement n° 4056/86 commence par définir son champ d’application. Ainsi, en son article 1§2, les opérations visées sont les transports maritimes internationaux dont le port de départ et/ou de destination se situe dans la Communauté. Dès lors, on en déduit que les transports nationaux comme les transports internationaux qui ne concernent pas un port de la Communauté sont exclus du champ d’application de ce règlement ; le contrôle des ententes formées dans ce cadre devant être soumis au droit respectif (le règlement sur le cabotage sera adopté six ans après). En revanche, ce qui peut apparaître choquant au demeurant, c’est l’exclusion faite à l’article 1er§3a des activités de tramping. En effet, les services de transports de marchandises en vrac assurés de manière non régulière ne sont pas soumis au règlement. En fait, le règlement insiste sur le fait que dans cette hypothèse, les taux de fret sont en la matière « librement négociés cas par cas conformément aux conditions de l’offre et la demande ». Néanmoins, ce secteur n’est pas à l’abri d’un intérêt éventuel de la Commission au regard du respect des règles de concurrence du Traité. Par ailleurs, le règlement vise aussi bien l’exemption des ententes maritimes qui peuvent se former pour le transport de marchandises que pour le transport de personnes. Cependant, le règlement opère une distinction entre les comportements qui peuvent s’apparenter à des ententes mais qui n’affectent pas la concurrence et au contraire ceux qui y portent sévèrement atteinte. Ainsi, parmi ceux qui n’altèrent pas la concurrence, l’article 2§1a à f du règlement vise les ententes dites « techniques » qui sont définies comme suit : « des accords, décisions et pratiques concertées qui ont seulement pour effet de mettre en œuvre les améliorations techniques ou la coopération techniques ». Ces accords peuvent prévoir l’application uniforme de normes ou de types pour les navires, le matériel et les installations fixes, ou encore l’échange ou l’utilisation en commun, pour l’exploitation des transports, de navires, d’espaces sur les navires ou autres moyens de transport, de personnel, de matériel ou d’installations fixes et enfin ce peut être un accord de coordination des horaires de transport sur des itinéraires successifs. De tels accords n’engendrent aucune restriction de concurrence et de ce fait ils échappent tant à l’application de l’article 81 du Traité qu’à celle du règlement n° 4056/86. En revanche, le règlement n° 4056/86 vise les conférences maritimes qui sont considérées comme une pratique anticoncurrentielle et qui de ce fait affectent les échanges entre Etats membres. Mais par ce règlement, le Conseil cherche à montrer que ces conférences maritimes peuvent se présenter comme un « élément stabilisateur de nature à garantir des services fiables aux chargeurs, contribuant à assurer une offre de services de transports maritimes réguliers ». Ainsi, le règlement permet le maintient des conférences maritimes mais en les encadrant par des conditions et obligations à respecter pour bénéficier de l’exemption. Mais avant tout, il donne une définition précise de ces conférences. b) La définition des « conférences maritimes » C’est à l’article 1§2 alinéa b que le règlement donne la définition d’une conférence maritime. Ainsi, une conférence maritime est « un groupe d’au moins deux transporteurs exploitants de navires qui assurent des services internationaux réguliers pour le transport de marchandises sur une ligne ou des lignes particulières dans des limites géographiques déterminées et qui a

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conclu un accord ou un arrangement, quelle qu’en soit la nature, dans le cadre duquel ces transporteurs opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou communs et toutes autres conditions de transport concertées pour la fourniture des services réguliers ». Mais le règlement ne s’arrête pas là en définissant à l’alinéa suivant « l’usager » soit toute entreprise contractant avec une conférence ou une compagnie maritime en vue d’un transport de marchandises ; l’entreprise qui conclut un pareil accord est assimilée à celle qui l’a conclu. Après une présentation générale du règlement n° 4056/86, il convient de se pencher plus particulièrement sur le domaine de l’exemption dont peut bénéficier une conférence maritime. 2/ Le domaine de l’exemption A cet égard, il convient de préciser quelles sont toutes les ententes maritimes qui sont couvertes par cette exemption (a) et de relever une exclusion intéressante du bénéfice de l’exemption du règlement (b). a) Les ententes maritimes couvertes par l’exemption En droit communautaire, l’entente est interdite à titre de principe. Le règlement se limite donc pour le cadre de cette exemption à définir les accords qui peuvent en bénéficier. C’est l’article 3 du règlement n° 4056/86 qui définit les types d’accords pouvant bénéficier de cette exemption. Ces accords sont essentiellement ceux formés entre transporteurs concernant l’exploitation de services réguliers de transport maritime, l’exemption concerne donc des accords à caractère commercial. Par ailleurs, il convient de préciser que ce ne sont pas les conférences maritimes en soi qui sont exemptées mais ce sont les accords passés en leur sein c’est-à-dire les accords conclus entre leurs membres, voire même des décisions dont l’objet principal est la fixation des prix et des conditions de transport. L’article 3 du règlement n° 4056/86 énonce que cette exemption concerne aussi les accords conclus dont l’objectif est soit la coordination des horaires des navires ou de leurs dates de voyage ou d’escale, soit la détermination de la fréquence des voyages ou des escales, soit la coordination ou la répartition des voyages ou des escales entre membres de la conférence, soit la régulation de la capacité de transport offerte par chacun des membres ou enfin, soit la répartition entre ces membres du tonnage transporté ou de la recette. Dès lors, le règlement accorde à ces différentes pratiques le bénéfice de l’exemption mais comme on le verra un peu après c’est uniquement si leurs auteurs respectent certaines conditions et obligations qui leur sont imposées par le règlement. Avant de s’intéresser à ces conditions et obligations à la charge des auteurs de ces différentes pratiques, il convient d’exposer une exclusion un peu particulière. b) L’exclusion des transports terrestres effectués dans le cadre d’un transport multimodal Comme on vient de le voir, le règlement s’applique aux prestations de transport maritime mais selon la Commission, il ne permet pas le bénéfice de l’exemption pour les transports terrestres accomplis dans le cadre d’un transport multimodal. La Commission, dans une communication de juin 1994 ainsi que dans deux décisions, précise que les transports terrestres d’un transport multimodal sont couverts non pas par le règlement n° 4065/86 du 22 décembre 1986 mais par le règlement n° 1017/68 qui porte application des règles de concurrence aux transports terrestres.

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Cependant, une exemption individuelle peut être donnée par application directe des articles 81 et 82 du Traité au profit de groupements d’armateurs qui n’ont pas pour unique objectif de publier un tarif terrestre commun mais qui veulent aussi lancer une coopération technique bénéficiant aux chargeurs. La solution n’est pas encore tout à fait fixée en la matière. Mais différentes décisions le font progresser. Ainsi, la décision « Trans Atlantic Agreement » du 19 octobre 199484 et dans la décision « Far Eastern Freight Conference » du 21 décembre 199485 ont fait l’objet d’un recours auprès du Tribunal de première instance des Communautés européennes (décision que nous verrons de manière plus approfondie un peu plus loin). Par une première décision du 13 mars 1993, le Tribunal a suspendu l’application de la décision dite « TAA » et a exposé des doutes sur l’interprétation de la Commission quant au fait que le règlement n° 4056/86 ne soit pas application à la partie terrestre d’un transport multimodal. L’ordonnance de suspension rendue a fait elle aussi l’objet d’un appel formé par la Commission auprès de la Cour de justice. Aujourd’hui, le dernier arrêt en date au sujet de ces affaires a été rendu par le Tribunal de première instance des Communautés européennes le 28 février 2000. Pour la décision « FEFC » en ce qui concerne la partie terrestre du transport, le Tribunal est conduit à revenir sur le champ d’application respectif des différents règlements pour confirmer que le règlement n° 1017/68 était effectivement applicable à cette partie. Dès lors, on peut en déduire que la Commission était donc fondée à déclarer inapplicable l’article 3 du règlement n° 4056/86. Cela vient confirmer le champ d’application très délimité de ce règlement n° 4056/86 et le fait que le bénéfice de cette exemption doit être étroitement encadré comme c’est le cas avec les obligations et conditions qui incombent aux auteurs de ces accords désireux d’obtenir une exemption. B Les conditions et obligations du règlement n° 4056/86 A cet égard, il convient de préciser la condition essentielle à respecter pour bénéficier de cette exemption (1) et de relever qu’il existe aussi un certain nombre d’obligations à respecter (2). 1/ La condition principale pour le bénéfice de l’exemption Il s’agit ici de ce que l’on peut appeler une condition négative. C’est l’article 4 du règlement n° 4056/86 qui pose comme condition le respect du principe de non-discrimination par les ententes exemptées. En d’autres termes, le bénéfice de l’exemption suppose que la pratique exemptée ne porte pas atteinte aux intérêts en cause dans la zone géographique couverte, pour des marchandises identiques du fait d’une discrimination fondée sur le pays d’origine ou de destination. C’est ainsi que cet article interdit formellement que les prix et les conditions de transport diffèrent en fonction du pays d’origine ou de destination, selon le port de chargement ou de déchargement, auquel cas l’article 81§2 du Traité selon lequel « les accords ou décisions interdits en vertu du premier paragraphe de l’article 81, sont nuls de plein droit » pourrait s’appliquer. En revanche, on pourrait penser qu’une discrimination pourrait être tolérée si les auteurs de l’accord en cause démontraient qu’elle pourrait être justifiée par un intérêt économique. Or, 84 Décision « Trans Atlantic Agreement », IV/34446, 19 octobre 1994, JOCE n° L376, 31 décembre 1994 85 Décision « Far Eastern Freight Conference », IV/33218, 21 décembre 1994, JOCE n° L 378, 21 décembre 1994

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une telle démonstration n’est pas permise par le droit communautaire et comme nous venons de le préciser l’entente qui fait apparaître une discrimination est donc nulle de plein droit. Cette condition n’est pas à elle seule suffisante pour qu’un accord puisse bénéficier de l’exemption du règlement, faut-il encore que ses auteurs assument quelques obligations. 2/ Les obligations des auteurs de l’accord en cause Diverses obligations variables suivant les situations, doivent être respectées pour bénéficier de l’exemption. C’est l’article 5 du règlement n° 4056/86 qui énumère certaines obligations de comportement qui peuvent incomber aux auteurs de ces accords. Tout d’abord, des consultations doivent être organisées entre les usagers et les conférences maritimes, à la demande de l’un d’eux, sur des questions qui concernent les prix, les conditions et la qualité des services de transports proposés. Ensuite, on peut constater qu’un certain nombre d’obligations encadrent aussi les accords de fidélité. Ainsi, il est possible aux conférences et aux usagers de passer de tels accords. Pour admettre cette pratique, au titre de l’article 81§3, l’article 5§2 du règlement n° 4056/86 fait donc peser des obligations relatives aux ristournes consenties et aux cargaisons. Pour ce qui concerne les « ristournes immédiates », chaque partie doit pouvoir mettre fin à l’accord de fidélité à tout moment, sans être contrainte à payer des pénalités mais en remettant un préavis d’un délai de six mois maximum. Dans l’hypothèse où le tarif de la conférence a déjà fait l’objet d’un différend alors ce délai est réduit à trois mois. Pour ce qui est des « ristournes différées », l’article 5§2 a alinéa 2 énonce que : « la période de fidélité sur laquelle sont calculées la ristourne et la période subséquente de fidélité exigée avant paiement de cette ristourne ne peut excéder une durée de six mois ; cette durée est portée à trois mois lorsque le tarif de la conférence fait l’objet d’un litige ». Enfin la conférence doit dresser deux types de listes : une liste des cargaisons qui sont exclues de l’accord de fidélité et une liste des hypothèses dans lesquelles les usagers sont déliés de leurs obligations de fidélité. A l’égard de cette dernière, dans la liste de ces hypothèses doit apparaître : les cas où les envois sont expédiés au départ ou à destination d’un port dans la zone desservie par la conférence et dont la desserte n’est pas publiée, les cas où le délai d’attente dans un port dépasse une durée qui doit être définie par port et par produit, après consultation des usagers touchés par la desserte confirmée d’un port mais encore « les services à quai et transports terrestres non couverts par le fret », « la publication des tarifs », il s’agit ici d’une obligation de transparence qui doit être mise en œuvre soit par la mise à disposition, soit par la consultation sur place des tarifs et enfin « les sentences arbitrales et les recommandations de conciliation » qui mettrent fin à un litige relatif aux pratiques des conférences maritimes. Si toutes ces conditions sont remplies alors, la Commission peut procéder à la délivrance de l’exemption. Cette dernière a une compétence exclusive pour la délivrance mais aussi pour surveiller le respect des obligations qui incombent aux auteurs de ces accords. La Commission peut accorder une exemption soit à la suite d’une plainte lorsqu’elle est parvenue à la conclusion que l’accord concerné peut bénéficier de cette exemption (article 11§4), soit, selon l’article 12 du règlement n° 4056/86, à la demande d’une entreprise. Dans cette deuxième hypothèse, si la Commission ne répond pas dans les 90 jours après la publication de la demande au journal officiel des Communautés européennes, l’exemption est réputée accordée.

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Une décision d’exemption en principe accordée pour une durée de six ans, elle peut être rétroactive, elle peut être renouvelée comme elle peut être révoquée. §II INCOMPATIBILITE : LE RETOUR A L’APPLICATION DU DROIT COMMUN DES REGLES DE CONCURRENCE EN MATIERE DE TRANSPORTS MARITIMES Sitôt que la Commission se rend compte que les obligations posées par le règlement n° 4056/86 ne sont pas respectées, elle peut adresser des recommandations aux intéressés. Si cette situation perdure continuant à porter atteinte au libre jeu de la concurrence, la Commission peut soit adopter une décision par laquelle elle oblige les intéressés à ne pas faire certains actes, soit retirer le bénéfice de l’exemption, soit accorder une exemption individuelle. Ici, la violation d’une obligation n’engendre pas la nullité de plein droit de l‘accord concerné. Par conséquent, on peut constater que la Commission exerce un véritable pouvoir de contrôle sur la conformité de la pratique au règlement d’exemption de groupe qui a été accordée. Dès que cette conformité semble ne plus être respectée, le règlement n° 4056/86 a pris en compte ce genre d’hypothèses dans lesquelles les accords bénéficiant d’une exemption de groupe ont des effets incompatibles avec les articles 82 (A) et 81§3 (B) du Traité. A Les effets incompatibles d’un accord avec l’article 82 du Traité A cet égard, il convient de se pencher sur la solution apportée par ce règlement dans ce genre d’hypothèses (1) pour ensuite constater que cette solution a été confirmée par la jurisprudence et même complétée (2). 1/ Le dispositif réglementaire : article 8 du règlement n° 4056/86 S’il s’avère qu’un accord conclu dans le cadre d’une conférence maritime se révèle être un abus de position dominante, l’article 8 prévoit certaines mesures à cet égard. Nous pouvons préciser, qu’en matière de transport maritime, la position dominante « collective » est fréquemment invoquée contre les conférences. L’article 8 énonce que la Commission peut retirer soit d’office, soit sur plainte une exemption de groupe. Dans ce cas, elle est autorisée à prendre toutes mesures nécessaires et en son pouvoir pour faire cesser l’atteinte à l’article 82. Dans cette perspective, elle peut faire précéder ses décisions de recommandations dans le but de faire cesser le comportement portant atteinte à une concurrence effective dans l’espace européen ou dans une partie substantielle de celui-ci. Cette solution a été à plusieurs reprises confirmée et complétée par des arrêts rendus par la Cour de justice des Communautés européennes. 2/ La confirmation jurisprudentielle C’est dans un arrêt « Ahmad Saeed » de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 avril 1989 que la Cour a confirmé les solutions retenues à l’article 8 du règlement n° 4056/86. Dans cet arrêt la Cour de justice a estimé que « s’il est constaté qu’une entreprise a fait abus de sa position dominante sur la marché, et que le commerce entre Etats membres est susceptible d’en être affecté, l’interdiction prévue par l’article 86 (devenu article 82) du Traité frappe le comportement de l’entreprise en cause ».

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Dès lors, on en déduit que cette solution vient confirmer et compléter les dispositions de l’article 8 du règlement n° 4056/86 dans la mesure où si la Commission n’est pas intervenue, sur la base des pouvoirs qu’elle détient en vertu du Traité et de ses règles d’application, il appartient aux autorités administratives ou juridictionnelles nationales compétentes de tirer toutes les conséquences qui s’imposent de l’application de l’interdiction. Et, le cas échéant, ces mêmes autorités peuvent conclure au constat de la nullité de l’accord en cause, en se fondant sur leur propre législation nationale respective. De plus, le règlement n° 4056/86 ne s’est pas limité à poser des règles au seul regard de l’article 82 du Traité. Il a aussi mis en œuvre un corpus de règles au regard d’un accord qui aurait des effets contraire à l’article 81§1. B Les effets incompatibles d’un accord au regard de l’article 81§1 A cet égard, il convient, d’une part de se pencher sur le contrôle exercé sur les ententes exemptées (1) ; et d’autre part, de relever que la Commission n’a pas un véritable pouvoir discrétionnaire en la matière ou du moins que ce dernier est fortement limité (2). 1/ Le contrôle des ententes exemptées La Commission est chargée de veiller au respect des obligations dont les exemptions sont assorties. Elle a également pour mission d’empêcher que l’exemption ne produise des effets incompatibles avec l’article 81§3 du Traité. C’est l’article 7§2 du règlement n° 4056/86 qui a vocation à s’appliquer ici. Ainsi, il énonce la démarche à suivre si les effets d’un accord s’avèrent être incompatibles avec l’article 81§3 du Traité. Plus particulièrement, il énonce un certain nombre de circonstances particulières dans lesquelles des comportements exemptés se révèlent être contraire à l’article 81§3 du Traité. Ces effets peuvent résulter de « circonstances particulières », tenant notamment à certains agissements d’une conférence, du marché ou d’un pays tiers décrits à l’article 7§2 b du règlement n° 4056/86. La liste énoncée par cet article n’est pas limitative. Ainsi, cela concerne tout acte d’une conférence ou toute modification des conditions du marché, dans un trafic donné, entraînant l’absence ou l’élimination d’une concurrence effective ou potentielle telles que des pratiques restrictives fermant le trafic à la concurrence. Peut aussi être visé tout acte d’une conférence susceptible de faire obstacle au progrès technique ou économique ou à la participation des usagers au profit qui en résulte. Enfin, cela concerne tout acte d’un pays tiers qui entrave le fonctionnement des « outsiders » sur un trafic donné, qui impose aux membres de la conférence des tarifs abusifs, qui impose d’autres modalités qui font obstacle au progrès technique, économique, social…Cette dernière hypothèse envisagée par le règlement correspond à la situation où le comportement d’un pays tiers prive d’effet utile l’article 81 du Traité. Dès lors ces pratiques qui ont pour effet d’éliminer ou de risquer d’éliminer la concurrence, ce qui les rend incompatibles avec les dispositions de l’article 81§3 du Traité, sont de nouveau de la compétence de la Commission. Mais cette compétence, le Conseil a voulu l’encadrer à travers le règlement n° 4056/86. 2/ Le pouvoir encadré de la Commission

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La Commission intervient là aussi soit d’office, soit sur plainte. Si l’agissement en cause est imputable à un Etat tiers, des consultations suivies de négociations sont prévues. Si cet agissement est le simple fait d’une entente, la Commission lui retire le bénéfice de l’exemption de groupe pour éventuellement lui accorder une exemption individuelle mais à des conditions qui peuvent être plus importantes et des obligations supplémentaires dans le but de permettre l’accès du marché aux compagnies non membres de la conférence. Ainsi, il apparaît que dans le règlement n° 4056/86, le Conseil pose, pour le domaine des transports maritimes, précisément les conditions et obligations que doivent respecter les auteurs des accords bénéficiant d’une exemption. Et c’est lors du contrôle de cette exemption octroyée à un accord que l’on peut relever que la Commission qui dispose d’un certain pouvoir à cet égard, ne dispose pas cependant d’un pouvoir discrétionnaire « entier ». En effet, en application de l’article 7§2 du règlement n° 4056/86, la Commission doit prendre toute mesure nécessaire pour remédier à l’atteinte à condition de respecter le principe de proportionnalité c’est-à-dire que la mesure prise par la Commission doit être proportionnelle à la gravité de l’atteinte. Ce principe directeur est fondamental en droit communautaire et doit guider la Commission dans ses décisions. Si l’atteinte à la concurrence est particulièrement grave, le règlement prévoit donc la possibilité d’un retrait de l’exemption de groupe pour l’octroi d’une exemption individuelle mais à des conditions plus strictes ainsi que d’autres sanctions qui s’expriment à travers l’application de procédures administratives dont les règles sont assez strictes. SECTION II LES PROCEDURES ADMINISTRTIVES ADOPTEES PAR LE REGLEMENT N° 4056/86 Le règlement n° 4056/86 attache une importance particulière au contrôle des comportements d’entreprises, contrôle principalement confié à la Commission qui dispose, à cet égard et afin de le réaliser le mieux possible, d’un certain nombre de pouvoirs (pouvoirs d’enquête, de décision et de sanction). Toutes les règles de procédures sont contenues dans le règlement 4056/86 et dans le règlement n° 4260/88 du 16 décembre 198886. Elles sont d’une importance particulière puisque c’est du respect de ces règles que dépend une application respectueuse du règlement. Ce sont les articles 15 à 26 du règlement qui définissent les différents pouvoirs d’enquête de la Commission. Ces articles reprennent dans une large partie les dispositions des règlements n° 17/6287 modifié par le règlement n° 1216/99 du 10 juin 1999 portant application des articles 81 et 82 du Traité88 et n° 99/6389 qui concernent tous les secteurs auxquels les règles de concurrence du Traité s’appliquent, sauf disposition contraire et expresse. Ainsi, si le règlement n° 4056/86 propose une certaine variété de procédures administratives applicable au secteur maritime et des règles de procédure strictes (§I), il se révèle particulièrement important quant aux enjeux de la mise en œuvre des ces procédures (§II). 86 JOCE n° L 376, 31 décembre 1988, p.1 87 JOCE n° L58, 10 juillet 1962 88 JOCE, 15 juin 1999 89 JOC n° L 127, 20 août 1963

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§I PRESENTATION DES PROCEDURES ADMINISTRATIVES ET DES REGLES DE PROCEDURE A cet égard, il convient de voir quelles sont ces procédures administratives (A) après quoi nous exposerons de manière détaillé les règles de procédure (B). A Les procédures administratives Dans le cadre des ces procédures définies par le règlement n° 4056/86, il est important de relever que les dispositions qui y sont relatives sont calquées sur celles du règlement n° 17/62 portant application générale des règles de concurrence. Dès lors, on peut constater des ressemblances entre les dispositions du régime général de concurrence et celles du régime spécifique aux transports maritimes (1). Mais étant donnée l’adoption d’un règlement propre à l’application des règles de concurrence aux transports maritimes, on peut relever quelques particularités des dispositions applications aux pratiques maritimes dans l’exposé de ces procédures (2). 1/ Les ressemblances avec le régime général des règles de concurrence En effet, à la lecture des règlements n° 4056/86 et n° 17/62, on peut relever quelques similitudes dans les dispositions. Cette ressemblance se manifeste tout d’abord dans le domaine de la saisine de la Commission. Ainsi, elle peut agir d’office ou sur plainte. Ensuite, la Commission, comme dans le régime du règlement n°17/62, peut procéder à une enquête préliminaire lui permettant de recueillir les informations nécessaires et de procéder à quelques vérifications sur place. A l’issue de cette enquête, s’ouvre une procédure contradictoire au terme de laquelle elle peut statuer, elle peut décider d’une interdiction, infliger des amendes ou encore imposer des astreintes à une entreprise qui se serait élevée contre la procédure refusant de coopérer ou simplement parce qu’elle a conclu à une pratique contraire aux règles de concurrence énoncées par le Traité. De ces ressemblances avec le régime général, on peut en déduire que la jurisprudence relative au respect des droits procéduraux (respect du principe du contradictoire, respect des droits de la défense…), importante dans ce domaine, est applicable au domaine des transports maritimes. En revanche, au-delà de ces similitudes de régimes, il existe quelques différences, en particulier quant au régime de notification des ententes maritimes. 2/ Les particularités des procédures administratives applicables au secteur maritime Cette première différence se manifeste à travers la procédure consacrée à l’attestation négative. Le règlement n° 4056/86 ne permet pas aux entreprises désireuses de faire une demande à la Commission afin que celle-ci rende une décision par laquelle elle leur confirmerait que leur pratique n’est pas contraire aux articles 81§1 et 82 du Traité. Ensuite, une autre particularité peut être relevée quant au régime des exemptions. Ainsi, le règlement n° 4056/86 diffère du règlement n° 17/62 en ce qu’il dispense les opérateurs

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maritimes de l’obligation de notification d’une entente. En effet, alors que le régime général prévoit que toute exemption doit être précédée d’une notification, le régime applicable aux transports maritimes ne subordonne pas l’octroi d’une exemption à la notification. Cette notification est donc facultative. Aux termes de l’article 11§4, l’exemption peut être accordée par la Commission après la fin de la procédure. Par ailleurs, en application de l’article 12 du règlement n° 4056/86, les opérateurs maritimes peuvent faire une demande d’exemption individuelle par application de la procédure d’opposition. Cette procédure permet aux entreprises participant à une entente de solliciter l’avis de la Commission sur la conformité de la pratique à l’article 81§1 du Traité. Dans cette hypothèse, la Commission doit publier au journal officiel des Communautés européennes la demande. Dans un délai de 90 jours, si la Commission ne fait aucune remarque alors l’entente est exemptée pour la période antérieure à la notification et pour les six années suivantes. Si l’exemption résulte d’une décision, elle doit fixer la date à partir de laquelle l’exemption prend effet. Sinon, pour ce qui est de l’exemption individuelle, l’article 13§1 du règlement n° 4056/86, précise qu’elle est accordée pour une durée de six ans, assorties de conditions et obligations incombant aux intéressés. Enfin, en ce qui concerne le retrait et l’abrogation d’une exemption individuelle, les conditions dans lesquelles elle a été octroyée peuvent ne plus être remplies et dès lors la Commission peut décider de l’interdire au regard de l’article 81§1 du Traité sachant que cette interdiction peut être rétroactive. Par ailleurs, une décision expresse d’exemption individuelle peut être révoquée ou simplement modifiée si la situation le justifie. Pour conclure quant au rôle des Etats membres, leurs autorités nationales restent compétentes. La seule différence qui soit relevée à cet égard est le comité consultatif en matière d’entente et d’abus de position dominante dans le secteur des transports maritimes. En effet, ce comité doit être consulté avant toute décision issue d’une plainte, d’office ou de la procédure d’opposition. L’originalité de ce comité tient à sa composition mixte avec des fonctionnaires nationaux de la concurrence et des transports maritimes. Ainsi, exposées les différentes procédures avec leurs particularités, c’est l’article 10 du règlement n° 4056/86 qui fixent les règles de procédure suivies par la Commission, pour faire cesser, constater ou sanctionner une infraction aux articles 81 et 82 du Traité. Mais il ne faut pas oublier que la Commission n’agit pas nécessairement seule, elle agit « en liaison étroite et constante avec les Etats membres ». B Les règles de procédure A cet égard, il convient de s’intéresser, d’une part, à la phase qui précède la procédure d’instruction même au cours de laquelle s’exprime pleinement le pouvoir reconnu à la Commission (1) ; et d’autre part, au déroulement même de la procédure d’instruction à l’issue de laquelle la Commission prendra une décision susceptible de faire l’objet d’un recours juridictionnel (2). 1/ La phase préliminaire de la procédure d’instruction Cette phase préliminaire est importante, elle est caractérisée par les différents types de saisine de la Commission (a) et par le pouvoir d’enquête qui lui est reconnu (b). a) La saisine de la Commission

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C’est l’article 10 du règlement n° 4056/86 qui fait état de cette saisine. Ainsi, la Commission peut se saisir d’office, dès qu’elle a connaissance d’un problème et notamment à la suite d’un refus d’attestation négative ou sur les propres informations qu’elle a recueillies. Ensuite, elle peut être saisie sur plainte. Il s’agit soit de la plainte d’un Etat membre, soit de la plainte d’un opérateur maritime ou d’une entreprise qui a un intérêt légitime pour agir. Cette plainte peut donner lieu à trois types de décisions. Tout d’abord, cette plainte peut aboutir directement à une décision de classement par laquelle la Commission estime que l’affaire en cause n’a pas lieu d’être. Ensuite, l’issue de cette plainte peut faire l’objet d’une transaction ou d’une recommandation. Enfin, cette plainte peut donner lieu à la mise en œuvre de la procédure d’enquête. C’est là la deuxième étape dans cette phase préliminaire, lorsque la Commission juge que par le biais de cette plainte une pratique peut s’avérer contraire au respect des règles de concurrence du Traité. b) Le pouvoir d’enquête de la Commission La Commission qui dispose ainsi d’un important pouvoir d’enquête peut l’exercer soit auprès des Etats membres directement, soit auprès des entreprises en cause (ou associations d’entreprises). Cette enquête se déroule selon différentes modalités qui peuvent être cumulées si nécessaire. Ainsi, il peut être rédigé des lettres de griefs, des décisions de demande d’informations, la Commission pouvant aller jusqu’à procéder à une vérification sur les lieux mêmes de l’entreprise concernée. En application de l’article 16 du règlement n° 4056/86, le début de l’enquête est marqué par l’envoi d’une lettre par laquelle la Commission demande à l’intéressé de lui retourner certains renseignements. De plus, cette lettre doit préciser le type d’infractions qui auraient été commises au titre des articles 81 ou 82 du Traité. La Commission doit envoyer une lettre à l’Etat membre dont l’entreprise est ressortissante et tout autre Etat membre intéressé peut faire l’objet d’un envoi d’une lettre de demande de renseignements. Cette phase peut être très longue dans la mesure où la Commission peut envoyer d’autres demandes de renseignements auprès d’entreprises ou Etats membres susceptibles de pourvoir fournir des indications. Dès lors qu’une entreprise et/ou un Etat membre reçoivent une pareille demande, ils peuvent exiger d’avoir accès aux pièces du dossier et de bénéficier du droit au secret commercial pour les informations qu’ils pourraient divulguer ou pour les documents qu’ils pourraient fournir. Si la Commission estime que les informations données sont incomplètes ou si les délais de réponse expirés, elle peut procéder par voie de décision, acte obligatoire susceptible d’un recours juridictionnel. Elle doit envoyer copie de cette décision à l’Etat membre dans lequel l’entreprise en cause a son siège social. Ensuite, la Commission peut procéder à des vérifications sur place, éventuellement précédées d’un préavis mais dans la pratique c’est très rare. En revanche, pour procéder à ces vérifications, la Commission doit délivrer un mandat qui précise le but et l’objet de la vérification. A l’article 17 du règlement, il est précisé que la Commission peut mandater l’Etat membre dans lequel l’entreprise est établie. Dans cette perspective, l’entreprise en cause peut demander la présence d’un avocat qui s’assurera du respect des différents droits de la défense à respecter.

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L’entreprise peut s’opposer à ces vérifications ; en revanche, si elle accepte, elle est tenue de s’y soumettre conformément à ce qui lui sera demandée au cours du déroulement de ces vérifications. Dans le cas où une entreprise maintient son opposition, la Commission peut adopter une décision de vérification qui est obligatoire. Dans cette dernière hypothèse, la décision doit mentionner l’objet et le but de la vérification, la date, les sanctions et les recours éventuels. A cet égard, la Cour de justice et le Tribunal de première instance ont eu à plusieurs reprises à se prononcer pour protéger les droits de la défense des entreprises contrôlées. Ainsi, la Commission est tenue de respecter certaines obligations sous peine de nullité de la vérification. Enfin, les pouvoirs de vérification s’exercent sur tout le territoire de la Communauté et seulement sur ce territoire dans la mesure où il s’agit d’une compétence d’exécution limitée. Mais dans une décision n° 92/237 « Ukwal » du 6 avril 1992 de la Commission, il a été précisé que « ces pouvoirs de vérification peuvent s’exercer à l’égard de tout opérateur étranger si son activité relève du transport maritime à destination ou en provenance de la Communauté »90. Ainsi dans le cadre de cette procédure, peuvent être examinés et photocopiés tous les livres de l’entreprise, documents informatiques dont il est possible de demander des explications au personnel. Tous les originaux sont conservés dans l’entreprise, les copies étant emportées. Tout document examiné doit avoir un lien avec la vérification. En revanche, certains documents peuvent être considérés comme secrets, c’est le cas des lettres de correspondance avec d’autres entreprises ou avec ses avocats. La Commission peut accéder à tous les locaux et moyens de transports de l’entreprise. En revanche, dans le cadre de cette procédure, la Commission doit respecter certaines obligations comme informer au préalable l’autorité compétente de l’Etat membre sur le territoire duquel la vérification va être faite et apporter les preuves de l’identité des fonctionnaire qui vont procéder aux différentes vérifications, et présenter le mandat ou la décision autorisant cette opération. 2/ Le déroulement de la procédure administrative Une fois la procédure d’enquête achevée, la Commission engage la procédure administrative d’instruction, procédure durant laquelle la Commission peut toujours procéder au classement de l’affaire, (a) dont l’issue normale est caractérisée par une décision se prononçant sur l’existence, ou non, d’une infraction aux articles 81 et 82 du Traité(b). a) L’instruction de la plainte et décision de la Commission La Commission adresse aux entreprises soupçonnées une lettre de griefs qui vaut décision pouvant faire l’objet d’un recours juridictionnel. Dès lors, ces entreprises peuvent répondre par écrit et demander à être entendues sur le contenu de cette lettre et elles ont le droit d’accéder au dossier détenu par la Commission mais dans certaines conditions, ce droit est encadré. De même, les entreprises qui se sont plaintes peuvent aussi s’expliquer par oral ou par écrit ; en revanche, elles ne disposent pas de ce droit d’accès au dossier.

90 Décision 92/237 (CEE), JOCE n° L 121, 6 mai 1992

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Avant de prendre une décision, la Commission doit permettre eux entreprises de faire connaître leur position sur les griefs qui ont été exposés. C’est l’article 23 du règlement n° 4056/86 qui autorise l’audition des intéressés et des tiers. De plus, tout opérateur maritime qui justifie d’un intérêt légitime peut faire l’objet d’une audition. Ainsi, toutes les personnes convoquées comparaissent elles-mêmes ou elles peuvent mandater une personne pour les représenter. Elles sont généralement assistées d’avocats. Cette audition n’est pas publique et un procès verbal est rédigé pour les déclarations de chaque personne entendue. En application de l’article 15 du règlement n° 4056/86, après les auditions, la Commission doit convoquer le Comité consultatif des ententes et positions dominantes. Cette consultation est obligatoire avant que la Commission ne prenne toute décision de sanction. Ce comité est organe consultatif, chaque Etat membre y est représenté par deux fonctionnaires. Pour ce qui est de la France, elle a envoyé un représentant du Ministère des transports et un représentant de la direction de la concurrence et de la consommation. Lorsque le comité se réunit, moyennant un préavis de 14 jours, la convocation reçue est accompagnée des pièces du dossier considérées comme les plus importantes et de l’avant projet de décision. A l’issue de la réunion, un compte rendu est dressé, il n’est pas rendu public mais il est joint au projet de décision qui sera transmis à un collège de commissaires. L’avis rendu par ce comité est consultatif, les commissaires ne sont donc pas liés, ils sont seuls à pouvoir prendre une décision. b) La clôture de la procédure A l’issue de la réunion du Comité consultatif, deux possibilités se présentent : soit la Commission décide de classer l’affaire, soit, s’il elle ne le fait pas, alors la direction générale des transports, transmet un projet de décision au Collège des commissaires. Dès lors, ce collège peut décider de l’absence de l’infraction ou au contraire la constater, accorder une attestation négative permettant la délivrance d’une exemption individuelle ou enfin refuser cette exemption. Dans tous les cas, la décision rendue est susceptible d’un recours devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes. Ce dernier peut être amené, s’il est saisi, à exercer un contrôle sur le respect des règles de procédure, vérifiant que la décision publiée dans toutes les langues de l’Union correspond à la traduction rigoureuse de celle adoptée par le Collège des commissaires. En effet, il est important de procéder au contrôle du respect de ces règles de procédure puisque c’est à travers ces dernières que l’application du règlement se révèle et peut être apprécié. A cet égard, nous avons pu constater le pouvoir important reconnu à la Commission, dont l’issue du litige dépend pour beaucoup de sa position. Par ailleurs, c’est encore la Commission qui peut décider de la durée du litige en l’accélérant ou en usant de tous ses pouvoirs et en faisant traîner l’affaire. Ainsi, comme nous allons pouvoir le constater, dans le domaine des transports maritimes, les affaires qui ont été traitées vont montrer l’importance des dispositions relatives aux règles de procédure qui vont se révéler d’autant plus efficaces que dans les groupements maritimes en

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cause où interviennent des armateurs étrangers, les enquêtes déstabilisent les partenaires de pays tiers et contribuent à l’instabilité des ententes. §II LES ENJEUX DE LA MISE EN ŒUVRE : APPLICATIONS CONCRETES Depuis son entrée en vigueur le 1er juillet 1987, le règlement n° 4056/86 a fait l’objet de maintes applications devenant un élément concret de la pratique et du droit maritime communautaire. Les applications auxquelles il a donné lieu se sont succédées, la Commission a été amenée à plusieurs reprises à se prononcer, sur la base de ce règlement, sur un certain nombre d’ententes maritimes. C’est donc sur le fondement de ce règlement que la Commission comme les institutions juridictionnelles communautaires, ont été amenées, dans un premier temps, à condamner les pratiques commerciales contraires aux articles 81 et 82 (ex articles 85 et 86) du Traité et nécessairement au Marché commun (A) ; pour ensuite se prononcer sur la pratique des regroupements en conférence qui se sont eux aussi avérés incompatibles avec les dispositions relatives à la concurrence du Traité (B). A La condamnation des pratiques commerciales aux effets incompatibles avec les règles de concurrence du Traité C’est ainsi que le règlement n° 4056/86 a donné lieu à des applications concrètes dans plusieurs affaires. Nous en retiendrons essentiellement deux, avec tout d’abord, l’affaire dite « des Comités armatoriaux franco-ouest africains » (1) et ensuite, nous nous intéresserons à la décision « Cewal, Cowac, Ukwal » et ses suites (2). 1/ L’affaire « des Comités armatoriaux franco-ouest africain » Durant l’année 1992, la Commission a été amenée à condamner des systèmes qui avaient mis en place des pratiques manifestement contraires tant au regard de l’article 81 que de l’article 82 du Traité (a). Du fait de cette double infraction au droit communautaire, la Commission imposera une double sanction, faisant preuve d’une extrême sévérité (b). a) La double condamnation de pratiques anti-concurrentielles C’est l’affaire des conférences Europe/ Afrique de l’ouest qui a donné lieu a une première décision, prononcée le 1er avril 1992 contre « les Comités armatoriaux français »91. Dans cette affaire, les armateurs membres de la conférence MEWAC (Méditerranée est/ Côte ouest de l’Afrique) s’étaient vus imposer par les Etats africains un système de répartition des cargaisons selon la règle instaurée par le Code de conduite des Conférences maritimes de 1974, la règle des 40/40/20. Dans la plupart des Etats membres de la Communauté, le système était géré par des bureaux de fret africains détachés dans les ports concernés de la Communauté. En France, ce bureau était la Secrétama qui visait au départ des navires le manifeste, contrôlait le respect par chaque transporteur de sa part de trafic. Ces mécanismes s’appliquaient aussi aux « outsiders ».

91 Décision IV/32450, JOCE n° L 134, 18 mai 1992

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Un armateur danois qui éprouvait des difficultés certaines à entrer dans ce trafic, a saisi par plainte la Commission. Cette dernière a statué, estimant que les accords qui lui étaient soumis ne pouvaient pas bénéficier de la dérogation prévue au bénéfice des Conférences par le règlement n° 4056/86 dans la mesure où ils regroupaient des transporteurs « en conférences » et des transporteurs « hors conférence » et où ils ne prévoyaient pas la fixation des prix et conditions de transport. Ensuite, la Commission a commencé son analyse. Tout d’abord, au regard de l’article 81 du Traité, elle a considéré que ces accords faussaient gravement la concurrence dans la mesure où ils étaient porteurs de restrictions inutiles et permettaient l’élimination de la concurrence ; par conséquent ils étaient constitutifs d’une infraction. Ensuite, la Commission a relevé dans ces accords un abus de position dominante collective, exploitant une part importante du trafic, les transporteurs en cause étaient en situation de position dominante. Elle en a déduit un abus du fait que les comités avaient éliminé toute concurrence en participant à l’application de sanctions à l’égard des « outsiders » et en refusant l’entrée sur le trafic du fait de procédure de cooptation. Une seule conclusion s’impose à l’issue de ces constations, elles condamnent les transporteurs maritimes en cause. b) La sévérité des sanctions. La commission, compte tenu de la double infraction aux règles de concurrence du Traité, décide non seulement de mettre fin aux comités armatoriaux mais elle ajoute à cette première sanction des amendes d’un certain montant. Toutefois, ces amendes sont modulées en fonction du degré de participation dans l’entente, en constant que la responsabilité du groupe Delmas est particulièrement importante et aggravée du fait que le groupe contrôle une part de trafic nettement plus élevée que ses partenaires. En revanche, en ce qui concerne les Etats africains, la Commission estime, à leur égard, qu’ils sont un peu moins responsables, considérés d’avantage comme des victimes. Il s’agissait de la première amende imposée par la Commission en application de ce règlement n° 4056/86, le groupe Bolloré s’étant engagé pour l’avenir d’agir en conformité avec les règles du droit communautaire. On peut regretter que cette décision n’ait pas fait l’objet d’un recours devant les juridictions communautaires de la part des entreprises condamnées. C’est dans ce même contexte que la Commission a été amenée à se prononcer sur une deuxième affaire dont l’issue a été couronnée par un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en mars 2000. 2/ La décision « Cewal, Cowac, Ukwal » La Commission dans sa décision de 1992, va condamner la conférence « Cewal » pour abus de position dominante, les obliger à mettre fin à ces pratiques anti-concurrentielles et leur infliger des amendes (a). A la suite d’un recours devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes et d’un pourvoi devant la Cour de justice, la conférence va pouvoir obtenir l’annulation des amendes (b). a) La condamnation de pratiques anti-concurrentielles par la Commission

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A la suite d’une plainte, c’est par la décision n° 93/82 du 23 décembre 199292 que la Commission a été amenée à se prononcer sur le comportement des conférences maritimes, opérant sur le trafic de ligne entre la Communauté et la Côte ouest de l’Afrique. Dans cette affaire, la Commission était confrontée à deux problèmes au regard des articles 81et 82 du Traité. Respectivement, elle a dû se pencher sur l’examen d’ententes entre les conférences maritimes et sur le comportement de la conférence « Cewal » sur le trafic Zaïre/ Europe. Les trois conférences visées ont conclu des accords obligeant à chacun de ses membres à ne pas opérer en tant qu’armement indépendant dans la zone d’activité des deux autres. Ces accords sont donc pour la Commission considérés comme des accords de non concurrence cloisonnant le marché. Dès lors, elle décide d’obliger les conférences à mettre un terme à leurs accords. Ensuite, elle s’intéresse à la position des conférences. Elle relève que la conférence « Cewal » occupe 70% du marché port de l’Europe de l’ouest/Afrique et que par conséquent cette dernière occupe une position dominante collective. De plus, elle démontre que la conférence a abusé de sa position dominante, abus qui est caractérisé à trois reprises. Tout d’abord, la Commission relève que la conférence a conclu avec les autorités zairoises un accord pour éliminer la concurrence. Ensuite, elle constate que la conférence a proposé à un de ses membres de se mettre en concurrence directe avec un « outsider » en pratiquant des prix inférieurs. Enfin, elle relève un troisième dans la pratique de ristournes dans des conditions douteuses et anormales. Elle en déduit que toutes ces pratiques, contraires au règlement n° 4056/86, caractérisent l’abus qu’elle juge délibéré. Dès lors, par sa décision du 23 décembre 1992, la Commission a condamné les compagnies maritimes de cette conférence, en les invitant à mettre fin à leurs engagements de non concurrence et en leur infligeant des amendes d’un montant relativement élevé mais en tenant compte du degré de participation, condamnant plus lourdement la Compagnie maritime belge. Les quatre compagnies envers lesquelles les amendes avaient été infligées (Compagnie maritime belge, Dafra-Lines, Nedlloyd Lijnen et Deutsche Afrika Linien) ont engagé des recours pour demander l’annulation de cette décision. b) Une condamnation « révisée » par la Cour de justice Les recours engagés devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes par ces compagnies afin d’obtenir l’annulation de la décision rendue par la Commission, ont été rejetés par un arrêt du 8 octobre 199693. Cependant, tout en rejetant les recours formés, le Tribunal a révisé les montants des amendes en les réduisant. A la suite de ce rejet, trois des quatre entreprises ont formé un pourvoi en cassation devant la Cour de justice. Cette dernière, dans son arrêt du 16 mars 2000, confirme l’abus de position dominante relevé par le Tribunal de première instance qui l’a parfaitement caractérisé à l’encontre de la conférence « Cewal ».

92 JOCE n° L 3, 4 février 1993, p.20 93 Recueil, 1996, II-1201

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En revanche, la Cour de justice décide d’annuler les amendes, estimant que pendant la procédure d’enquête, lors de la communication des griefs, la Commission avait infligé des amendes à la conférence « Cewal » et non à ses membres. En effet, la Cour considère que l’obligation de communication des griefs est une application d’un principe fondamental du droit communautaire qui impose le respect des droits de la défense. Dès lors, elle en conclut qu’une communication qui se contente d’identifier comme auteur d’une infraction une entité collective ne permet pas aux entreprises de cette entité d’être informées correctement que des amendes leur seront personnellement et individuellement infligées, si l’infraction est caractérisée. Après cette première série d’affaires, la Commission a été confrontée à un dépôt de nouvelles plaintes au sujet de pratiques, toujours dans le cadre des conférences maritimes, dont l’objet diffère quelque peu de celui des pratiques commerciales vues ci-dessus. B La condamnation de la pratique du regroupement en conférences maritimes aux effets contraires aux règles de concurrence du Traité C’est à la suite d’un deuxième groupe de plaintes, dans les années 1990, que la Commission s’est prononcée sur les nouvelles pratiques de regroupement en conférences dans les affaires dites de l’accord du « Trans Atlantic Agreement (TAA) » et de l’accord de la « Far Eastern Freight Conference (FEFC) », des groupements en opérant sur différentes liaisons à partir de l’Europe. Ces deux principales affaires montrent que les modes de transport ont évolué, en particulier avec la conteneurisation qui dorénavant permet un service « de porte à porte » selon l’expression empruntée à Françoise Odier ; dans la mesure où se trouvent contestées les opérations de pré et post-acheminement des marchandises. Avant l’arrivée de la conteneurisation, les segments terrestres d’un transport relevaient d’un industriel qui pouvait en appeler au service d’un commissionnaire de transport pour s’en occuper. Désormais, cette partie terrestre est assurée par le transporteur maritime qui inclut le coût du transport terrestre sous traité auprès de camionneurs dans ses tarifs. Dès lors, la Commission a été saisie de plaintes. Dans la première affaire dite « TAA », il s’agissait d’une plainte émanant des chargeurs français et européens qui estimaient que l’impossibilité pour eux de choisir leur port d’embarquement et/ou leur mode de transport terrestre entre le port et l’usine de fabrication/production, engendrait une situation dans laquelle pouvait se manifester un abus de position dominante (1). Quant à la deuxième affaire dite « FEFC », la plainte déposant auprès de la Commission met clairement en avant le problème de la compatibilité d’une entente portant sur un service multi-modal avec la libéralisation du marché des transports et de manière général avec le Marché commun (2). Nous pouvons d’ores et déjà remarquer que ces deux affaires ont pour point commun de soulever le délicat problème de savoir quels sont les moyens qui seront apportés pour permettre au règlement n° 4056/86 de s’adapter à la pratique du transport maritime par conteneur. 1/ L’affaire de l’accord du « Trans Atlantic Agreement » Cet accord conclu en 1992 entre la plupart des transporteurs desservant l’Atlantique Nord est entré en vigueur le 31 août 1992. C’est un accord complexe, regroupant les armateurs antérieurement membres des deux conférences de l’Atlantique Nord, NEUSARA et USANERA et certains indépendants qui couvrait à peu près 85% du marché dans le sens Europe/Etats-Unis.

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A son égard, une enquête fût ouverte officiellement le 14 avril 1993, sur plainte de plusieurs chargeurs européens afin de pouvoir bénéficier des exemptions offertes par le règlement n° 4056/86.Cette enquête menée avec rigueur par la Commission, aboutira à une décision sévère en 1994 par laquelle elle refusera d’accorder tant une exemption de groupe qu’individuelle à cet accord (a). A la suite d’un recours en annulation accompagné d’une demande de sursis à exécution (article 185 devenu article 242 du Traité), en application de l’article 173 (devenu article 230) du Traité, introduit auprès du Tribunal de première instance des Communautés européennes, le Président du Tribunal se prononcera une première fois en 1995 sur le sursis, mais c’est essentiellement dans un arrêt de 2002, que ce dernier viendra confirmer l’analyse de la Commission dans l’affaire de l’accord « TAA » (b). a) Rigueur et sévérité de l’analyse de la Commission Comme nous allons le voir dans l’analyse faite par la Commission dans sa décision du 19 octobre 199494, cet accord est en fait une entente d’un type nouveau, allant bien au-delà de celles qui avaient été mises en œuvre auparavant puisqu’il porte à la fois sur les routes qui comprennent dorénavant le pré et le post-acheminement, les prix, les capacités et les types de contrat ce qui a pour effet d’engendrer une hausse des tarifs. Ainsi, la Commission va montrer que cette entente ne peut pas être assimilée à une conférence maritime et donc qu’elle ne pourra pas bénéficier de l’exemption comme le demandaient ses membres et ce à l’égard de trois principales critiques. Tout d’abord, la Commission va relever que l’objet de cet accord est d’établir un tarif de fret (accord de fixation des prix sur le transport maritime) qui n’est pas rigide dans la mesure où, d’une part, les membres de cet accord peuvent proposer des frets à un taux inférieur au tarif mais à condition de le signaler au moins dix jours à l’avance le secrétariat qui en informera les autres membres ; et d’autre part, des contrats de service de frets réduits peuvent être conclus avec des chargeurs importants pour un volume minimum qui est fixé annuellement. La Commission estime que cette fixation des tarifs engendre des taux de fret excessifs qui nuisent à la compétitivité internationale de la Communauté. Ensuite, la Commission va constater que cet accord a aussi pour objet de mettre en place un programme de gestion de capacité se traduisant par la non utilisation de la capacité sur le transport maritime qui implique un gel à hauteur possible de 25% des capacités. Selon la Commission, cette pratique revenait pour les membres à établir, pour une durée de deux ans, les capacités réellement disponibles pour chacun d’entre eux et la quantité que chacun était autorisé à transporter. Enfin, elle a observé que cet accord avait pour dernier objet de fixer les prix sur le transport terrestre pour ce qui est du pré et post acheminant, estimant que ces segments terrestres relevaient du champ d’application du règlement n° 1017/68 qui, en son article 2, interdit la fixation directe des prix. A partir de ce constat, la Commission va décider que l’accord « TAA » ne pouvait bénéficier ni de l’exemption de groupe prévue par le règlement n° 4056/86, ni de l’exemption individuelle prévue à l’article 12 alinéa 4 de ce même texte. Ainsi, au regard de l’exemption de groupe elle la refuse pour trois raisons.

94 Décision IV/34446, JOCE n° L 376, 31 décembre 1994, p.1

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Tout d’abord, la Commission décide que l’accord « TAA » n’est pas une véritable conférence maritime au sens de l’article 3 du règlement n° 4056/86 qui vise les conférences énoncées par le règlement portant application du Code de conduite des conférences maritimes de 1979 qui lui-même vise les conférences qui instituent un système de taux de fret uniforme, ce que ne fait pas cet accord. Ensuite, elle relève que les membres de cet accord sont classés en deux catégories, avec les membres « structurés » et ceux qui ne le sont pas. Cette distinction correspond respectivement aux membres des anciennes conférences de l’Atlantique Nord et les nouveaux membres, décidant que cette situation aboutit à créer un accord de tarifs entre une conférence et des indépendants, type d’accord qui ne ressort pas du champ d’application du règlement n° 4056/86. Enfin, elle constate que, prévoyant la fixation de tarifs pour les transports multi modaux, cet accord ne peut pas être couvert par le règlement n° 4056/86 dans le mesure où ce texte ne vise que les transports maritimes. Dès lors, elle estime que la fixation de tarifs concernant les segments terrestres relèvent du règlement n° 1017/68 qui prévoit une exemption de groupe mais au seul profit des accords techniques et ceux entre petites et moyennes entreprises, cette exemption ne pouvant pas s’appliquer au cas d’espèce. Dès lors, la Commission en déduit que cet accord « TAA » n’est pas une conférence maritime et que pour cette raison, il ne relève pas du règlement n° 4056/86. Par la suite, la Commission se penche sur l’exemption individuelle, au regard du règlement n° 4056/86, qu’elle va aussi refuser dans la mesure où chacune des quatre conditions inscrites dans l’article 85§1 (devenu article 81§1) du Traité auquel renvoie l’article 11 du règlement, ne sont pas remplies. En effet, la première condition concerne « l’amélioration de la production et de la distribution des produits, ou la promotion d’un progrès technique ou économique ». A cet égard, la Commission constate que cet accord ne remplit pas cette première condition, rejetant l’argument économique selon lequel l’entente garantit une stabilité des taux et offre des services plus fiables. Quant à la deuxième condition, elle entend « qu’une part équitable du profit qui en résulte soit réservé aux utilisateurs ». Or, la Commission estime que cet accord ne la remplit pas, observant les augmentations de fret dès 1993. La troisième condition concerne « les restrictions inscrites dans l’entente qui ne sont pas indispensables pour les objectifs à atteindre ». De nouveau la Commission relève que cette condition n’est pas remplie dans la mesure où l’accord n’a prévu aucun mécanisme de gestion des capacités sur le trafic visé alors que le risque de surcapacités est bien réel. Enfin, en ce qui concerne la dernière condition « ne pas donner à ses membres la possibilité d’éliminer la concurrence sur une partie substantielle des produits en cause », la Commission constate qu’il n’existe aucune concurrence réelle entre les membres de l’accord « TAA » et que la concurrence exercée par les indépendants est trop importante pour avoir de réels effets restrictifs. Dès lors, la Commission conclut au refus de l’attribution d’une exemption individuelle tant au regard du règlement n° 4056/86 que du règlement n° 1017/68 ne remplissant pas à cet égard les conditions requises. De cette décision de la Commission, on peut relever trois principales observations sur l’accord « TAA ». Tout d’abord, cet accord est en situation d’abus de position dominante sur le marché des liaisons entre l’Europe et les Etats-Unis. Ensuite, que cet accord forme une entente contraire à l’article 85§1 du Traité, de par le gel des capacités. Enfin, n’étant pas une

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conférence maritime, il ne peut pas se prévaloir de l’application à son égard du règlement n° 4056/86. Dès le mois de décembre 1994, l’accord « TAA » a pris en considération la décision rendue par la Commission puisqu’il a été remplacé par l’accord du « Trans Atlantic Container Agreement » (TACA) », notifié à la Commission, qui contrôlait près de 75% du marché des conteneurs sur le même trafic supprimant la distinction entre membres. Soumis à un examen de la Federal Maritime Commission aux Etats-Unis le 5 juillet 1994, il abandonne le gel des capacités, puis soumis à un deuxième examen de la Commission qui a d’abord émis de nombreuses réserves à son égard, en particulier pour ce qui est de la fixation des tarifs multimodaux95, elle a finalement décidé, à la suite d’un examen préliminaire, que le nouvel accord « TACA » semblait relever de l’article 81§1 sans pour autant pouvoir bénéficier de l’exemption de l’article 81§3. A la suite d’un recours96 devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, le Président du Tribunal a, par ordonnance du 10 mars 1995, prononcé le sursis à l’exécution de la décision de la Commission du 19 octobre 1994 pour ce qui est de la fixation des tarifs pour le transport multimodal. La Commission a alors formé un pourvoi tendant à la levée de la suspension de sa décision qui a été rejeté par le Président de la Cour de justice dans une décision du 19 juillet 199597. Après différents épisodes procéduraux, c’est dans un arrêt du 28 février 200298, que le Tribunal de première instance se prononce sur les accords « TAA » et « TACA ». b) La confirmation jurisprudentielle de l’analyse de la Commission Par ces deux premiers rendus le même jour, le Tribunal rejette pour l’essentiel les recours intentés contre les deux décisions de la Commission, la décision « TAA » du 19 octobre 1994 et la décision « TACA » du 26 novembre 1996. A l’égard de la décision « TACA », la Commission juge le recours irrecevable au terme d’un raisonnement consistant à comparer le règlement n° 1017/68 avec les autres règlements de procédure sur le problème particulier de l’incidence de la notification sur le prononcé d’amendes éventuelles. Ainsi, le Tribunal refuse de voir dans « l’immunité d’amende attachée à la notification des ententes un principe général du droit communautaire » et il déclare par conséquent irrecevable « le recours en annulation de la décision de la Commission qui refusait cette immunité d’amende par notification d’une entente au motif qu’un tel acte ne modifie pas la situation juridique des intéressés »99. Dans le régime de droit commun, la notification justifie une immunité de l’amende qui peut éventuellement être retirée lorsque l’accord en cause notifié est manifestement contraire à l’article 81§1 du Traité. Ce mécanisme n’ayant pas été repris par le règlement n° 1017/68, la Commission avait, dans cette affaire, estimé que le règlement était finalement applicable aux segments terrestres du transport de conteneurs. Or, le tribunal, après examen de ce même règlement, décide que la notification de l’accord du « TACA » n’a pas conféré à ses membres une immunité quant aux possibles amendes, par conséquent la décision attaquée ne modifie en rien la situation juridique des requérants et le recours est donc irrecevable.

95 Europolitique n° 2052, 24 juin 1995 et n° 2062 96 TPICE, « Atlantic Container Line », affaire T-395/94 97 CJCE, Ordonnance du 19 juillet 1995, affaire C-149/95 : Rec.I, p.2165 98 TPICE, 28 février 2002, affaire C-395/94 et affaire C-18/97 99 Extraits tirés de la décision même du Tribunal, affaire C-18/97

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En revanche, le Tribunal déclare recevable le recours formé contre la décision « TAA ». Dans cette affaire, le débat portait tout d’abord sur l’application de l’article 81§1 du Traité à l’accord « TAA ». Les requérantes contestaient l’applicabilité de cet article à l’accord en cause dans la mesure où il ne concernait que des transports de marchandises entre la communauté et des Etats tiers. Le Tribunal de première instance rejette ce premier argument, estimant que l’accord portait sur la fixation de prix et non pas sur le refus d’utiliser les capacités existantes. A cet égard, il relève que la Commission avait constaté que l’accord avait engendré une restriction sensible de la concurrence à l’intérieur du Marché commun et qu’il affectait le commerce entre Etats membres. Ensuite, les débats avaient porté sur la possible application de l’article 3 du règlement n° 4056/86 qui prévoit une exemption de groupe en faveur des conférences maritimes. Sur ce point, le Tribunal commence par rappeler la définition d’une conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86, pour conclure que l’accord « TAA », en établissant un régime tarifaire différencié en fonction de « l’origine » de ses membres, était « un accord du genre nouveau qui ne pouvait pas être considéré comme une conférence maritime au sens du droit international et du droit communautaire »100 ; et par là même, le Tribunal vient confirmer le refus de la Commission d’accorder le bénéfice de l’exemption de groupe de l’article 3 du règlement n° 4056/86. Enfin, les débats se sont déplacés sur le terrain de l’application éventuelle de l’article 81§3 du Traité à cet accord, le Tribunal rappelant à cet égard qu’il n’existe pas de règle spécifique pour les transports maritimes. Pour la Commission qui a distingué la partie maritime du transport de la partie terrestre, l’exemption individuelle devait également être refusée au profit de l’accord « TAA » dans la mesure où la condition essentielle sur « l’absence d’élimination de la concurrence » n’était pas remplie. Le Tribunal, encore une fois, vient confirmer l’analyse de la Commission, après avoir vérifié la délimitation tant matérielle que géographique des « marchés pertinents » et examiné les effets de l’accord sur la concurrence. En revanche, dans l’affaire de l’accord « Far Eastern Freight Conference », le Tribunal de première instance qui rend un arrêt le même jour, au regard de l’application éventuelle de l’article 81§3 du Traité, s’intéressera d’avantage aux trois premières conditions. 2/ La particularité de l’affaire « Far Eastern Freight Conference » Malgré une plainte plus ancienne déposée auprès de la Commission le 28 avril 1989 et le fait qu’elle a fait l’objet d’une décision postérieure à celle rendue pour l’affaire du « TAA », dans cette affaire quelque peu différente, la Commission a souhaité confirmer sa position selon laquelle, ces nouveaux types d’accords sont l’expression d’une nouvelle génération de conférences devant être soumises aux règles de concurrence traditionnelles du Traité et non au règlement n° 4056/86, même si dans cette affaire la Commission va décider que l’accord en cause ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’une exemption individuelle (a). Une position que le Tribunal de première instance a lui aussi confirmée dans la mesure où il a aussi rejeté le recours formé contre la décision rendue par la Commission (b). a) L’affirmation de la nécessité de soumettre ces « nouvelles conférences » aux règles de concurrence du Traité

100 Décision T-395/94 du 28 février 2002

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Dans cette affaire, la plainte a été déposée par le Conseil allemand des chargeurs maritimes contre le « FEFC », les utilisateurs des services de transport dans la Communauté s’opposant à l’octroi d’une exemption en faveur de la fixation des prix terrestres par les conférences. Ils faisaient valoir que la fixation commune opérée par les membres des conférences et les taux facturés pour la partie terrestre du transport n’étaient pas en rapport avec les coûts du transport terrestre mais qu’ils avantageaient les petits armateurs. A ce premier argument, ils ajoutaient que les augmentations tarifaires pour les opérations de pré et post-acheminement appliquées par les conférences étaient sans rapport avec les augmentations du coût du transport terrestre observées dans les différents Etats membres. Ainsi, ils demandaient l’application du seul règlement n°1017/68 pour les transports multimodaux qui, en son article 2, interdit non seulement toute pratique restrictive de concurrence, mais qui refuse aussi toute exemption pour les activités de la FEFC, en matière de transports terrestres. Dès lors le problème posé dans cette affaire était de savoir si une entente qui met en œuvre un transport multimodal est conforme aux exigences requises par le Marché commun. A cette question, la Commission va réitérer sa position et refuser le bénéfice d’une exemption pour ce type d’accords dans une décision du 21 décembre 1994101. Ainsi, avant de se prononcer, la Commission a dû se pencher sur la question de l’applicabilité du règlement n° 4056/86 au segment terrestre. Après avoir analysé l’article 1§2 de ce règlement qui définit son champ d’application, la Commission en déduit qu’il n’est pas applicable à la situation en cause. En effet, c’est le règlement lui-même qui énonce qu’il limite son champ d’application aux « transports maritimes internationaux au départ ou à destination d’un ou plusieurs ports de la Communauté… ». La Commission en conclut donc que pour ce qui est de la fixation des tarifs de pré et post acheminement, il faut appliquer le règlement n° 1017/68 relatif aux transports de surface102. Dès lors l’applicabilité du règlement n° 4056/86 est exclue dans la mesure où cet accord ne peut pas être considéré comme une conférence maritime, une exemption de groupe inscrite dans le règlement n° 4056/86 ne pouvait donc pas être envisagée et il ne restait plus à la Commission qu’à se prononcer sur l’attribution d’une éventuelle exemption individuelle au titre des règles du Traité. Avant de se prononcer sur le bénéfice de cette exemption, la Commission a examiné avec attention la situation. Elle relève l’existence d’une collusion tarifaire pour ce qui est de la partie terrestre du transport. De cette existence, elle analyse la situation au regard des quatre conditions posées par l’article 81§3 du Traité. Tout d’abord, elle en a déduit que la fixation commune de taux de fret ne répondait pas à la condition du progrès économique dans la mesure où cet établissement de normes communes pour le calcul et l’application des taux de fret ne contribuait pas à améliorer la qualité du service maritime. Ensuite, elle considère qu’aucune preuve n’est rapportée pour démontrer que la concurrence par les tarifs sur la partie terrestre a des effets néfastes pour la stabilité du marché en cause. Enfin, elle observe que la fixation commune de tarifs sert avant tout au maintien de taux de fret élevés, ce qui est contraire à l’intérêt des usagers et chargeurs. Dès lors, constatant que trois des quatre conditions ne sont pas remplies, à savoir les conditions relatives au progrès économique, l’affectation d’une partie équitable du profit aux consommateurs et l’absence de restrictions non indispensables, la Commission juge qu’il est inutile de savoir si la quatrième

101 JOCE n° L 378, 31 décembre 1994 102 JOCE n ° L 175, 23 juillet 1968, p.1

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est remplie c’est-à-dire de noter si l’accord en cause offrait ou non aux parties la possibilité d’éliminer la concurrence. Par conséquent, elle en conclut qu’il serait absurde d’accorder à ces conférences une exemption qui leur permettrait de fixer des tarifs communs pour une partie la partie des services de transport terrestre et interdit l’accord. Faisant preuve d’une extrême sévérité, la Commission inflige des amendes d’un montant élevé aux armateurs, avec une première amende de 134 000 euros pour la CMA CGM à 1 240 000 euros pour P&O Nedlloyd. Dès lors, comme pour l’affaire du « TAA », le même schéma procédural se reproduit. C’est par un arrêt du Tribunal de première instance des communautés européennes que l’analyse de la Commission est une nouvelle fois confirmée. b) La nouvelle confirmation jurisprudentielle C’est par un troisième arrêt du 28 février 2002 (la même date que pour l’affaire du « TAA » que le Tribunal se prononce et confirme l’existence d’une nouvelle génération de conférences maritimes devant être soumises aux règles de concurrence traditionnelles du Traité et non au règlement n° 4056/86. Nous pouvons préciser que par une nouvelle décision du 16 avril 2000103, la Commission est intervenue dans l’affaire du « Far East Trade Tariff Charges and Surcharges Agreement » dont les navires desservaient les lignes entre l’Europe et l’Asie venant confirmer la solution précédemment affirmée. C’est une nouvelle fois une décision marquée par la rigueur de la Commission qui s’impose. Pour ce qui est de l’arrêt rendu par le tribunal, il suit le même schéma que pour celui rendu pour l’affaire du « TAA » en commençant par se prononcer sur la recevabilité du recours. Dans l’affaire du « FEFC », rappelons que la Commission a considéré que les membres de la conférence n’ont ni respecté les dispositions de l’articles 81§1 du Traité, ni celles du règlement n° 1017/68 en fixant de manière collective des prix de services de transports terrestres aux chargeurs de la Communauté, dans le cadre de transports multimodaux de conteneurs. Pour ce qui est de la recevabilité de ce recours, la Tribunal le juge recevable Ensuite, il s’intéresse à l’applicabilité de l’article 81§1 du Traité pour laquelle il retient le même raisonnement que dans l’affaire « TAA ». C’est-à-dire qu’il considère que cette fixation commune des tarifs est une entente contraire à cette disposition, insistant plus particulièrement sur des détails relatifs à la délimitation du marché pertinent dans la mesure où cette affaire présente la particularité de soulever un cas un peu plus complexe qu’est le transport multimodal de conteneurs. Par la suite, il se penche sur une application éventuelle du règlement n° 4056/86 qui prévoit une exemption de groupe. A cet égard, le Tribunal insiste sur les données plus particulières de cette affaire dans la mesure où sont en cause les segments terrestres et il confirma l’analyse de la Commission. Il revient sur le champ d’application des deux règlements visés pour en conclure que c’était le règlement n° 1017/68 qui était effectivement applicable aux segments terrestres. Il confirme donc que la Commission pouvait déclarer le règlement n° 4056/86 inapplicable.

103 JOCE n° L 268, 20 octobre 2000, p.1

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Enfin, quant l’application éventuelle de l’article 81§3 du Traité pour ce qui est de l’octroi d’une exemption individuelle, le Tribunal analyse les trois premières conditions dans le détail venant encore confirmer l’analyse de la Commission selon laquelle l’accord en cause ne pouvait pas bénéficier de cette exemption, ne satisfaisant pas aux conditions posées. Pour conclure sur ces affaires et de manière générale sur les conférences maritimes, on peut commencer par relever la grande sévérité de la Commission et du Tribunal dans l’application rigoureuse du règlement n° 4056/86 aux différents types d’accords qui pour ceux exclus du bénéfice de ce règlement doivent être soumis aux règles de concurrence du Traité. Par ailleurs ces décisions, et plus particulièrement celle du Tribunal, viennent confirmer la conception étroite que la Commission adopte de la concurrence, conception qui semble prévaloir sur une véritable politique maritime qui aurait dû se forger dès 1986 avec les quatre règlements. Cependant, on peut considérer que la politique maritime a malgré tout pris le dessus dans la mesure où cette conception s’est avérée inadaptée à l’évolution « des conférences » et de manière générale aux groupements avec les consortiums pour lesquels un règlement a été adopté et modifié dernièrement en 2000. Ainsi, l’action de la Communauté en matière de concurrence dans les activités maritimes s’est poursuivie, toujours dans la perspective de préserver les acquis tout en les adaptant aux évolutions. Confrontées une nouvelle fois à l’apparition de pratiques contraires aux règles traditionnelles de concurrence du Traité, les institutions se sont penchées sur le problème de l’intervention publique des Etats membres vis-à-vis des armements et de l’activité portuaire, intervention qui a pour d’encadrer et de surveiller cette pratique.

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CHAPITRE III LA VOLONTE D’AFFIRMATION D’UNE POLITIQUE DE CONCURRENCE MARITIME COMMUNAUTAIRE SAINE Le début des années 1990 est marqué par l’apparition d’un certain nombre de nouvelles pratiques et comportements qui n’avaient pas été envisagés dans le cadre de l’adoption des règlements de 1986 ; pratiques qui vont s’avérer contraires aux règles de concurrence du Traité. Il s’agit essentiellement de la pratique des aides d’Etats de la part des différents Etats membres qui en tendance a abusé de ces aides. Dès lors, la Communauté s’est mobilisée pour faire face aux interférences des pouvoirs publics nationaux dans les activités maritimes avec une politique visant à encadrer de très près les aides publiques apportées aux transporteurs maritimes dans la mesure où elles viennent fausser le libre jeu de la concurrence (Section I). Mais l’action de la Communauté ne s’est pas limitée aux seuls domaines des transporteurs, elle a aussi appréhendé le problème des ports et des multiples activités qui y sont liées. En effet, les ports ont tendance à mettre en avant des situations de monopole essentiellement fondée sur des exigences de service public, situation qui semble contraire aux règles de concurrence traditionnelles du Traité dans la mesure où l’on peut considérer que, de manière générale, l’activité portuaire se rapproche fortement d’une activité marchande (Section II). SECTION I LE CONTROLE DES AIDES D’ETAT APPORTEES AUX TRANSPORTEURS MARITIMES Dans ce domaine, on peut considérer que le rôle joué par la Cour de justice des Communautés européennes est à la fois le fondement mais aussi le complément de la politique menée par la Commission. En effet, c’est par le jeu de questions préjudicielles posées à la Cour de justice que cette dernière a dû se prononcer sur la notion d’aides d’Etats et par voie de conséquence sur la compatibilité des ces aides avec le régime de concurrence et implicitement avec le Marché commun (§1). De son côté, dès 1989, la Commission avait arrêté dans une communication les principes directeurs de sa politique en matière d’aides d’Etats versées aux transporteurs quant à leur compatibilité avec le Marché commun (§II). §I L’IMPORTANCE DU ROLE DE LA COUR DE JUSTICE DANS LA QUALIFICATION D’AIDES D’ETAT La première intervention de la Cour de justice remonte à un arrêt de 1974 dans lequel elle affiche clairement une conception extensive de la notion d’aide d’Etat. Puis, au sujet de la création des registres bis dont on a vu les avantages qu’ils peuvent procurer, la Cour est de nouveau intervenue, dans un arrêt de 1993, pour préciser cette notion. C’est une affaire dans laquelle la Cour a dû se prononcer sur l’existence ou non d’une aide d’Etat (A). Dans cet arrêt de 1993, la Cour va montrer que confrontée au problème des registres internationaux,

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ces derniers n’ont pas nécessairement pour finalité d’engendrer des avantages pouvant être analysées comme des aides d’Etat (B). A Malgré une interprétation extensive de l’article 92 du Traité… A cet égard, il convient tout d’abord de situer le problème qui se pose quant à la notion d’aide d’Etat de manière générale (1) avant de s’intéresser aux faits de l’arrêt de 1993 (2). 1/ Les données du problème Avant tout, il convient de citer la disposition essentielle du Traité en matière d’interdiction des aides d’Etats. Il s’agit de l’article 92 (devenu article 87) du Traité. Plus précisément, l’article 92§1 (devenu article 87§1) du Traité énonce que « Sauf dérogations prévues par le présent Traité, sont incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Dans l’arrêt « Sloman Neptun » du 17 mars 1993104 qui concerne les registres bis, se posait le problème de savoir si les dispositions du Traité permettaient le recrutement de marins étrangers à des conditions de rémunération et de protection sociale moins favorables que celles prévues pour les ressortissants nationaux. Dans cette affaire, les requérants mettaient en cause la loi allemande de 1989 portant création du registre international. Une des questions préjudicielles posée à la Cour de justice consistait à savoir si certaines des dispositions de la loi allemande ne pouvaient pas être considérées comme mettant en avant une aide d’Etat. En matière de qualification d’aides d’Etats, la Cour s’était déjà prononcée dans un arrêt « Italie c/ Commission » du 2 juillet 1974105, arrêt dans lequel elle avant mis en avant sa conception extensive de la notion d’aides d’Etats. En effet, elle avait estimé qu’un dégrèvement de charges sociales devait être considéré comme une aide d’Etat dans la mesure où « tout avantage financier direct ou indirect, de nature sociale, économique…ou autre » est une aide. De son côté, dans l’arrêt de 1993, la Commission restait convaincue que les avantages conférés par la loi allemande de 1989, dans le cadre de la création d’un registre international relevaient de l’article 92§1 du Traité et que dès lors, ils devaient être interdits. Afin de comprendre la solution que donnera la Cour de justice dans l’arrêt de 1993, il convient avant tout d’en préciser les faits et le problème soulevé. 2/ Faits et procédure de l’arrêt de 1993 Dans cette affaire, un armateur allemand avait demandé au Conseil de l’entreprise une autorisation pour l’embauche d’un officier et de marins philippins, conformément à la loi allemande du 23 mars 1989 portant création du registre international allemand et de ses conditions. Cette demande pour l’embauche de personnels philippins a lieu dans le cadre d’un accord avec un syndicat philippin à un niveau inférieur de 20% aux conditions salariales

104 CJCE 17 mars 1993, « Sloman Neptun », affaires jointes C-72/91 et C-73/91 : Rec. I, p.927 105 CJCE 2 juillet 1974, « Italie c/ Commission », affaire C-173/73 : Rec. 1974, p.709

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allemandes. Le Conseil de l’entreprise opposa un refus estimant que s’il donnait son autorisation, cette situation engendrerait une violation du principe d’égalité. Dès lors, l’armateur allemand a saisi le tribunal de Brème, compétent en matière de litiges relatifs aux relations de travail. Durant le déroulement de la procédure, le tribunal a estimé que la loi allemande de 1989 était contraire aux règles du Traité et donc introduit un recours préjudiciel en interprétation auprès de la Cour de justice. Cette question tendait la compatibilité de la loi allemande avec les articles 92 (devenu article 87) et 117 (devenu article 136) du Traité. Dès lors, se posait la question de savoir si la discrimination instaurée par la loi allemande entre le traitement des nationaux et celui des étrangers constituait une aide publique interdite en application des dispositions du Traité. B La Cour de justice juge que la finalité du registre n’est pas la création d’une aide d’Etat A cet égard, il convient de préciser la solution apportée par la Cour à cette question préjudicielle mais seulement au regard de l’article 92 du Traité (1), après quoi nous nous intéresserons à la portée de cet arrêt (2). 1/ La solution de l’arrêt de 1993 Selon la Cour de justice, elle estime que la finalité du registre « n’est pas la création d’une exonération, d’une aide mais modifie le cadre d’établissement des relations contractuelles entre les salariés et les entreprises ». Ainsi, l’article 92§1 du Traité n’interdit pas l’allègement des charges sociales résultant de l’inscription du navire allemand au registre ISR. La Cour constate que « le régime en cause ne tend pas, de par sa finalité et son économie générale, à créer un avantage qui constituerait une charge supplémentaire pour l’Etat ou pour les organismes publics ». Par conséquent, un régime de registre bis, s’il entraîne une diminution des ressources des organismes de sécurité sociale, corrélativement, il a pour effet d’alléger les dépenses de ces organismes. Il n’y a donc pas de prélèvement sur les « ressources de l’Etat ». Dans cet arrêt, la Cour considère que le régime visé ne crée pas un avantage accordé par l’Etat allemand mais qu’il modifie seulement en faveur des entreprises de transports maritimes, le cadre des relations contractuelles entre l’entreprise et son personnel. Dès lors, elle en conclut qu’il ne s’agit pas d’une aide d’Etat au sens de l’article 92§1 (devenu article 87§1) du Traité. Cet arrêt est riche d’enseignements et ce à plusieurs égards. 2/ Portée et conséquences de cet arrêt On peut d’ores et déjà relever que dans cet arrêt la Cour de justice fait prévaloir le droit international privé sur le droit communautaire dans la mesure où, au lieu de confirmer l’interprétation extensive de la notion d’aide d’Etat, la Cour préfère confirmer le principe d’autonomie de la loi applicable au contrat de travail en considérant que « les conséquences qui en résultent à la différence de base de calcul des cotisations sociales… sont inhérentes à ce régime et ne constituent pas un moyen d’accorder aux entreprises concernées un avantage déterminé ». En effet, on peut relever que cette décision dissocie nettement le droit de la concurrence des dispositions applicables au contrat de travail. En fait, dans cet arrêt, le droit de la concurrence

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est indirectement manipulé pour contester la création des registres internationaux et non pour encadrer les relations entre l’employeur et son personnel en l’occurrence les marins qui restent toujours soumises à la loi du pavillon. Cet arrêt permet de bien faire la distinction entre les différentes politiques à savoir la politique de la concurrence et la politique sociale dont relèveraient d’avantage les conditions du contrat de travail en droit maritime. Depuis cet arrêt, la Cour adopte toujours la même position, restant ferme dans l’application de l’interdiction des aides d’Etat et n’hésitant pas à qualifier un avantage direct ou indirect d’aide d’Etat quand il s’agit d’une véritable question qui soulève un problème au regard des règles de concurrence du Traité. Cependant l’action menée en matière d’aides d’Etats ne s’est pas limitée aux seuls apports des décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes. Dans ce domaine, la Commission est aussi intervenue dès 1989 à travers une première communication. §II LA DOUBLE ORIENTATION DE LA POLITIQUE DE LA COMMISSION EN MATIERE D’AIDES D’ETAT La Commission s’est intéressée au problème des aides d’Etat à travers une communication de 1989 afin de fixer « les orientations pour l’examen des aides d’Etat en faveur des compagnies maritimes de la Communauté »106. Ainsi, cette première communication de la Commission se limite à préciser l’étendue du pouvoir discrétionnaire de la Commission lors de cet examen et à présumer la validité des aides qui remplissent les conditions posées (A). En revanche, la deuxième intervention de la Commission en matière d’aides d’Etat qui aura lieu en 1997, prendre d’avantage en considération tous les aspects économiques qu’engendrent ces aides (B). A Les premières orientations arrêtées par la Commission pour l’examen des aides d’Etat Dans cette perspective, il convient de se pencher, d’une part, sur les observations faites sur la pratique de ces aides en vue d’adapter le cadre de l’examen de ces dernières au regard des règles du Traité (1) ; et d’autre part, de s’intéresser aux conditions posées pour qu’une aide puisse être considérée comme compatible avec les exigences du Marché commun (2). 1/ Le bilan avantages/inconvénients des aides d’Etat Les aides accordées pas les Etats membres à leurs ressortissants sont de nature à fausser la concurrence entre ces derniers. Dès lors, l’objectif de la politique communautaire est de les encadrer et de les surveiller en permanence car si elles s’avèrent incompatibles avec le Marché commun, il faudra alors envisager leur interdiction. A cet égard, les articles 92 (devenu article 87) et suivants du Traité définissent non seulement les critères permettant d’apprécier leur compatibilité mais aussi la mission et les pouvoirs qui s’imposent aux institutions communautaires qui en sont chargés. Ainsi, en 1989, la Commission s’occupe de manière officielle du problème des aides d’Etat dans une communication relevant que certains Etats membres, pour faire face à une crise qui

106 Doc SEC (89) 921 final, COM VII/1489, p.20

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persiste dans les transports maritimes, ont accordé des aides financières au profit de leurs compagnies nationales. De manière générale, la Commission relève que ces aides visent à compenser les charges fiscales et sociales que supportent les armements et donc à améliorer leur compétitivité. Par ailleurs, nous pouvons ajouter que les Etats membres ne sont pas les seuls à subventionner leurs flottes nationales. En effet, c’est aussi le fait d’un certain nombre d’autres pays comme le Japon, les Etats-Unis ou encore l’Australie comme le montre la communication. Dans sa communication la Commission n’a pas contesté le fait que les aides d’Etats pouvaient avoir des effets positifs et bénéfiques. Elle a surtout estimé que ces aides devaient rester compatibles avec les dispositions concernées du Traité. Dès lors ont été définies les règles applicables à l’examen de la compatibilité des aides d’Etat au regard des règles du Traité. Cependant le principe énoncé par l’article 92§1 (devenu article 87§1) du Traité est clair : les aides d’Etat sont incompatibles avec le Marché commun. Toutefois, ce principe connaît des limites dans les paragraphes suivants (§2et §3). Ainsi, lors de l’examen de ces aides, la Commission doit prendre comme base de référence ces dispositions pour savoir si elles sont compatibles ou non. Pour ce qui est des aides qui existent déjà, la Commission a pour mission de les surveiller en suivant les principes énoncés dans une communication de 1978 en matière d’aides par secteur107. 2/ Les conditions de la compatibilité des aides avec le Marché commun Dans la communication de 1989, des règles ont été posées pour savoir si une aide peut être compatible ou non avec le Marché commun. Avant, il faut relever que des aides qui ont pour objet de maintenir une flotte sous pavillon d’un Etat membre de la Communauté et de garantir l’emploi à des marins ressortissants pourraient échapper à cette incompatibilité. Ainsi, la compatibilité des aides d’Etat s’apprécie à partir de la différence des coûts d’exploitation entre d’une part les navires d’Etats tiers ; et d’autre part, les navires de la Communauté compte tenu de la disparité des salaires entre les différents Etats membres. Dès lors, des aides pourraient être déclarées compatibles si elles remplissent trois conditions : Tout d’abord l’aide en cause ne doit pas « être disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis ». Ensuite, cette aide doit être « transparente, provisoire et de préférence dégressive ». Enfin, l’aide ne doit pas « contribuer à accroître ou maintenir la capacité des secteurs où elle est manifestement excédentaire ». De plus, la Commission a distingué sept formes d’aides, définissant pour chacune d’entre elles les conditions qu’elle doit remplir pour être compatible. Ainsi, elle vise les aides visant à réduire les coûts d’équipage, les aides à la relève des équipages, les aides à la formation, les aides accordées sous forme d’allègement s fiscaux, les aides au fonctionnement, les aides aux investissements et les aides accordées sous forme de participation des pouvoirs publics dans les capitaux des entreprises.

107 Doc COM 78/221 et Doc SEC (78)

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Ces premières initiatives se sont très vite révélées insuffisantes, c’est pourquoi dans sa communication du 13 mars 1996108, la Commission a envisagé de revoir sa politique en matière d’aide d’Etats. Elle aboutira à une nouvelle communication en 1997. B La remise en cause des orientations adoptées en 1989 A cet égard, il convient de commencer par s’intéresser au projet de révision des orientations dans la communication de la Commission de mars 1996 (1), pour ensuite se pencher sur la nouvelles communication de 1997 (2). 1/ le nouveau projet de la Commission en matière d’aides d’Etat C’est dans sa communication du 13 mars 1996 que la Commission envisage de revoir les orientations de l’action menée sur les aides d’Etat. Plus précisément, elle envisage de fonder son action sur un nouveau principe qu’est le lien économique et ce, en raison de la trop grande disparité des législations nationales qui conduit à l’impossibilité de mettre en œuvre une action d’aide communautaire. Dans cette perspective, les bénéficiaires de cette action ne concerneraient que les acteurs qui participent réellement à la vie économique de la Communauté c’est-à-dire établissement dans la Communauté et emploi de min d’œuvre dans la Communauté. Dès lors, avec cette nouvelle orientation de l’action en matière d’aides d’Etat, se pose le problème de la notion d’armement communautaire qui nécessitera d’être définie pour pouvoir bénéficier d’aides. Le projet de révision de la Commission s’affiche d’ores et déjà très ambitieux marquent la volonté d’une évolution rapide. Avec cette action, les aides versées aux armements communautaires permettraient de les mettre en compétition sur le marché mondial de manière plus intensive et cela permettrait de pouvoir développer l’octroi d’aides d’Etat sous formes d’allègements fiscaux qui maintiendraient les emplois de marins ressortissants de la Communauté. Quelque part, cette politique vise à préserver les flottes des Etats membres avec la mise place d’une véritable flotte communautaire, et donc à préserver une activité maritime propre à la Communauté et fortement compétitive. Ce projet a été concrétisé dans la communication de la Commission en 1997109. 2/ La réalisation de cette révision dans la communication de 1997 L’objectif de cette communication est très clairement affiché, il s’agit d’améliorer la transparence et de déterminer quels programmes d'aides d'État peuvent être mis en place pour soutenir les intérêts maritimes communautaires. Le but de la politique maritime de la Communauté a été d'assurer la liberté d'accès aux marchés des transports maritimes dans le monde entier pour les navires sûrs et non polluants, si possible immatriculés dans les États membres de la Communauté et ayant des équipages composés de ressortissants des États membres. Cette approche a permis d'ouvrir les marchés et d'offrir un large choix de transport maritime aux consommateurs. Toutefois, pour de 108 Doc COM de mars 96, déjà cité 109 Doc COM du 3 janvier 1997, JOCE C205 du 5 juillet 1997

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multiples raisons, le nombre de navires immatriculés dans les registres des États membres et le nombre de marins communautaires employés ont considérablement diminué. Le manque de compétitivité des pavillons communautaires a été reconnu à la fin des années 1980 et, en l'absence de mesures communautaires d'harmonisation, les États membres ont pris indépendamment des initiatives pour sauvegarder leurs intérêts maritimes. En 1989, la Commission a défini les premières orientations afin d'assurer une certaine convergence entre les actions des États membres. Ces orientations ont fait l'objet d'un réexamen, en tenant compte notamment des éléments fiscaux. S’agissant de la portée des objectifs révisés, les présentes orientations couvrent toutes les aides en faveur des transports maritimes octroyées par les États membres de la Communauté ou au moyen de ressources publiques. Cela comprend tout avantage financier, sous quelque forme que ce soit, financé par les pouvoirs publics, cette notion s'étendant aux entreprises publiques et aux banques contrôlées par l'État. Les présentes orientations ne couvrent pas les aides accordées aux chantiers navals au sens de la directive 90/684. Par ailleurs, elles ne font aucune distinction entre les types de bénéficiaires en fonction de leur nature juridique (entreprises, partenariats, particuliers) ni entre secteur public et secteur privé. Sauf exception, les aides d'État ne peuvent être octroyées que pour des navires inscrits aux registres d'États membres. Les objectifs sont les suivants: sauvegarder l’emploi communautaire dans l’ensemble du secteur maritime, préserver le savoir-faire de la Communauté et développer les aptitudes maritimes, enfin, il s’agit d’améliorer la sécurité. Par ailleurs dans ces nouvelles orientations, un volet est consacré au traitement fiscal des compagnies maritimes. En effet, de nombreux pays tiers ont une fiscalité avantageuse qui attire les armateurs qui y voient de bonnes raisons pour changer de pavillon et envisager des relocalisations. Pour lutter contre cette concurrence fiscale, de nombreux États membres ont pris des mesures visant à rendre leur environnement fiscal plus favorable aux compagnies maritimes. Ces allègements fiscaux sont considérés comme des aides d'État. L'objectif des aides d'État dans le cadre de la politique commune des transports étant de promouvoir la compétitivité des flottes communautaires sur le marché mondial des transports maritimes, les régimes d'allègements fiscaux exigent, sauf exception, l'existence d'un lien avec un pavillon communautaire. D'autre part, l'objectif étant également de faciliter le développement du secteur des transports maritimes et de l'emploi dans ce secteur dans l'intérêt de la Communauté, les avantages fiscaux doivent être limités aux activités de transport maritime. La fiscalité normale des États membres est maintenue pour les autres activités, la rémunération des actionnaires et des directeurs. Quant aux coûts salariaux, en matière d'aides d'État et réduction des coûts salariaux, les transports maritimes constituent un cas particulier puisque ces aides peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun (Communication de la Commission sur la surveillance des aides d'État et la réduction des coûts salariaux - Journal officiel C 1, 03.01.1997). Toutefois, les mesures de soutien au secteur maritime doivent avoir pour objectif de réduire les coûts et charges fiscaux supportés par les armateurs et marins communautaires à des niveaux comparables à ceux du reste du monde.

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La Commission prône dans ses orientations l'autorisation des actions suivantes: la réduction des cotisations sociales des marins de la Communauté naviguant sur des navires immatriculés dans un État membre ; et celle de l'impôt sur le revenu pour les marins de la Communauté naviguant sur des navires immatriculés dans un État membre. Pour ce qui est de la relève des équipages, les aides à la relève des équipages ont pour but de réduire les coûts découlant de l'emploi de marins communautaires à bord de navires naviguant dans des eaux lointaines. Ces aides peuvent être accordées sous forme de versements ou de remboursements des coûts de rapatriement des marins communautaires naviguant sur des navires immatriculés dans les États membres. Par ailleurs la communication envisage les aides aux investissements. Ainsi les investissements dans des navires neufs doivent respecter les règles relatives à la construction navale. D'autres aides à l'investissement peuvent être autorisées conformément à la politique communautaire en matière de sécurité maritime, dès lors qu'il s'agit: d'améliorer les équipements à bord et de promouvoir l'utilisation de navires fiables et non polluants. Lorsqu'une formation comprend des éléments d'aides d'État, elle doit être notifiée. Les aides d'État à la formation sont autorisées dès lors qu'elles répondent aux critères généraux de la Commission, tels que la proportionnalité, la non-discrimination et la transparence. Enfin, pour ce qui est des obligations de service public et des contrats, dans son appréciation des contrats relatifs à des obligations de service public, la Commission considère que le remboursement des pertes d'exploitation résultant directement de l'accomplissement de certaines obligations de service public ne constitue pas une aide d'État au sens de l'article 92 paragraphe 1 (devenu article 87§1) du traité. Une notification au titre de l'article 93 paragraphe 1 (devenu article 88§1) n'est donc pas nécessaire s’il y a eu adjudication publique, que l'appel d'offre a fait l'objet d'une publicité adéquate, et enfin il n'y a pas eu surcompensation ou subvention croisée. Reste la limitation des aides au regard desquelles les présentes orientations fixent un niveau d'aide maximale correspondant à l'annulation des charges fiscales et sociales applicables aux marins et à celle de la taxe sur le chiffre d'affaires des compagnies maritimes. La Commission apporte pour ultime précision que pour éviter toute distorsion de concurrence, des avantages supérieurs ne sauraient être accordés par d'autres systèmes d'aides. Aujourd’hui encore la mise en œuvre de toutes ces dispositions s’avère difficile rencontrant de nombreux obstacles mais la Commission n’envisage pas pour le moment une nouvelle révision de ces objectifs. Pour conclure, nous pouvons dire un mot des aides d’Etat à l’égard des ports qui sont tout autant condamnées par la Commission mais exception peut être faite comme en témoigne une récente décision du 22 décembre 1999 (JOCE 155 du 28 juin 2000). Cette décision vient confirmer la rigueur avec laquelle les institutions communautaires, et plus particulièrement la Commission, veillent au respect des règles concernant l’interdiction des aides nationales. Mais, à cette interdiction, il y a des exceptions dans la mesure où dans cette affaire, si la Commission a déclaré incompatibles avec la Marché commun, les aides directes ; en revanche, elle a autorisé les allègements fiscaux envisagés, d’impact limité, qui faciliteraient le transfert des équipements du secteur public vers le secteur privé. Or un tel transfert est conforme aux perspectives de la « politique portuaire commune ». Afin d’avoir un aperçu d’ensemble de cette volonté d’une politique de concurrence en matière de transports maritimes, il est impossible d’échapper au domaine portuaire de par son ampleur et du fait de toutes les attentions qu’il suscite vis-à-vis des institutions communautaires. A

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l’égard des ports et de leurs activités, les institutions sont fréquemment sollicitées afin de rendre leur activité conforme aux dispositions du Traité. Dans cette perspective, les ports font souvent l’objet de condamnation par les juridictions communautaires. SECTION II LA CONDAMNATION DE L’EXPLOITATION EXCLUSIVE DES ACTIVITES PORTUAIRES La compétitivité des grands ports face à la construction européenne reprend une importance toute particulière avec la directive110. Elle devrait pouvoir favoriser une meilleure application des règles de concurrence du Traité. Selon les dispositions du Traité, toute activité à caractère économique concernant une partie substantielle du Marché commun est soumise aux dispositions sur les conditions d’exercice de la concurrence, et même lorsque cette activité a les caractéristiques d’un « service d’intérêt économique général ». A cet égard, on sait que la Cour de justice des Communautés européennes a une conception très libérale tant de la notion « d’activité économique » que de celle « de condition d’affectation de la concurrence entre les Etats membres ». Cette position est confirmée au regard du port de Gênes envers lequel elle a estimé que le marché par lui représenté doit être considéré comme une partie substantielle du Marché Commun. Bien qu’une véritable politique portuaire communautaire ne soit pas encore réellement établie, l’activité des ports maritimes ne peut pas échapper à l’application des règles de concurrence du Traité dans la mesure où leur importance économique est incontestable. Dès lors, cette situation engendre inévitablement la question de savoir quelle est l’étendue du service public portuaire au regard du droit communautaire (§I). Nous verrons, au-delà de la législation et des différents textes communautaires, que la Cour de justice des Communautés européennes a joué un rôle important dans la qualification des activités portuaires au regard des articles 82 (ex article 86) et 86 (ex article 90) du Traité (§II). §I L’ETENDUE DU SERVICE PUBLIC PORTUAIRE FACE AU DROIT COMMUNAUTAIRE Si la théorie du service public présente un réel intérêt pour la préservation des activités d’intérêt général, elle se trouve confrontée depuis toujours au droit communautaire qui l’a longtemps ignorée. C’est la Cour de justice des Communautés européennes, première institution, qui l’a reconnue mais sans la consacrer pleinement. Aujourd’hui, la définition de ses contours se profile et d’avantage encore avec la nouvelle directive de 2002 sur « l’accès au marché des services portuaires » qui a donné un sens à l’expression « d’Obligations de Service Public ». En droit français, pour le Professeur DELVOVE, le service public « se définit moins par son objet que par son régime… ». Il considère qu’ « est service public l’activité que les pouvoirs publics ont entendu considérer comme tel »111. 110 Directive 2002 111 Définition tirée du cours de droit administratif du Professeur DEVOLVE, enseigné en licence à Paris II

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Par ailleurs, le droit français applique des règles spécifiques dérogatoires du droit commun en raison de la spécificité des missions exercées par les collectivités publiques et même pour les établissements publics à caractère industriel et commercial. Dès lors s’est posée la question de la compatibilité de ce régime dérogatoire dont bénéficie le service public portuaire au regard du droit communautaire (A). Mais il semble que les récentes décisions de la Cour de justice et des autres institutions permettent de mieux encadrer les missions de service public ou obligations qui peuvent être conférées aux différentes activités portuaires (B). A La question de la compatibilité du régime dérogatoire du service public portuaire avec le droit communautaire A cet égard, alors que le droit français considère « le droit applicable » aux activités de service public comme un régime à part entière du droit civil et commercial mais faisant partie du droit commun, les institutions communautaires et plus particulièrement la Cour de justice considère le régime du service public comme une exception qui nécessite donc une interprétation restrictive. Ainsi, s’élève entre les deux une divergence de points de vue quant à la conception de ce régime dans la mesure où le droit portuaire interne reste marqué par les règles de procédure préalable à la réalisation de travaux, à l’octroi d’autorisations ou encore à la fixation des tarifs de droits de port alors que le droit communautaire est fondé essentiellement sur les règles de concurrence (1). Cependant les institutions communautaires ne sont pas restées indifférentes à la notion de service public, la prenant en considération dans la mesure où dans une grande majorité des Etats membres, la notion de service public est très présente dans les activités portuaires (2). 1/ La divergence de conceptions entre le droit français et les institutions communautaires Dans cette perspective, il convient de dresser un bilan sur le régime dérogatoire appliqué au service portuaire en France (a), pour ensuite se consacrer à la réflexion menée par différentes institutions communautaires sur les « services d’intérêt général » (b). a) L’application actuelle du régime dérogatoire français au service public portuaire De ce que l’on peut retenir des textes français à l’égard des activités portuaires d’intérêt général, c’est qu’ils les qualifient assez souvent de service public mais pas nécessairement dans la mesure où les obligations imposées sont des obligations de service public. La situation du remorquage en France illustre ce propos. En effet, le remorquage n’est pas un service obligatoire comme l’énonce l’article 10 du règlement général de police des ports maritimes de commerce et de pêche qui dispose « que la capitainerie peut imposer aux capitaines l’assistance de remorqueurs ». Mais cette activité reste une mission de service public car la décision d’agrément du directeur du port comporte certaines mentions comme celle qui indique « l’obligation de satisfaire à toutes les demandes de service ». En revanche, il existe des activités portuaires pour lesquelles il n’y aucune difficulté pour les considérer comme des missions de service public. Il en va ainsi pour le pilotage, régi par la loi du 28 mars 1928 et ses décrets, qui constitue un service public dans la mesure où cette activité permet de garantir la sécurité et la navigation dans les ports. Il en va de même pour les activités de police, de gestion de la signalisation maritime ou du domaine public.

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Cependant, le Conseil d’Etat, depuis un arrêt du 28 juin 1939 « Chambre syndicale des entrepreneurs arrimeurs de chargement et de déchargement de navires »112, a maintenu une jurisprudence gênante à l’égard de ce qui vient d’être précisé selon laquelle « les opérations de chargement, de déchargement, de manutention et de transport des marchandises dans les ports et rades constituent des éléments du service public ». Aujourd’hui, le contexte de l’exploitation des ports a beaucoup évolué et une majorité de la doctrine administrative française considère que les critères du service public s’estompent. Par ailleurs, le service public français est caractérisé par la distinction qu’il opère entre le caractère administratif et le caractère industriel et commercial du service public. Ainsi, la jurisprudence administrative française considère que relèvent du service public à caractère administratif des activités comme l’organisation et le recrutement de la main-d’œuvre, la gestion du domaine public, ou encore l’aménagement, l’entretien et la sécurité des outillages portuaires. De manière générale, on peut considérer qu’il résulte de l’évolution de la jurisprudence française, une volonté de concilier les impératifs respectifs du service public et du secteur économique/privé. Cette volonté est peut être guidée par les différentes réflexions menées au niveau communautaire par certaines institutions à l’égard des services d’intérêt général. b) La réflexion communautaire sur les services d’intérêt économique général Cette réflexion résulte principalement de deux textes distincts, l’un est attribué à la Commission et l’autre ressort d’un avis du Comité économique et social. Quant au texte de la Commission sur les services d’intérêt général de 1996113, elle considère que ces services comprennent des activités de service, marchand ou non, considérés d’intérêt général par les autorités publiques qui sont soumises à des obligations spécifiques de service public. Quant au Comité économique et social, il s’est exprimé à ce sujet dans avis de 1999114. Il considère que les services d’intérêt général ne visent, à la différence de la Commission, que les activités marchandes qui s’exercent ou sont susceptibles de s’exercer sur un marché et caractérisant l’activité d’une entreprise, ces services sont soumis à des obligations de service public. Dès lors, pour le Comité, ils sont soumis à l’application des règles de concurrence du Traité estimant que c’est le cas des services dans le domaine des transports maritimes. De plus, le Comité économique et social apporte quelques précisions supplémentaires. Ainsi, il considère que ces services se caractérisent par l’objet de leur activité qui doit répondre à la satisfaction d’un besoin général de la collectivité ; la collectivité étant définie comme un groupe de personnes entre lesquelles il existe une relation d’égalité et de solidarité. Par ailleurs, la Commission estime que la notion de service public revêt un double sens désignant soit « l’organisme de production du service », soit la mission d’intérêt général qui leu est confiée et qui à ce titre peut être soumis à des obligations de service public pour permettre l’accomplissement de cette mission.

112 CE Section, 28 juin 1939, Req. n° 51416, Rec. P129 113 Doc n° L 96, affaire C-281/03, « les services d’intérêt général en Europe », JOCE n° C 281, 26 septembre 1996, p.3 114 Avis du Comité économique et social sur « les services d’intérêt général », doc n° 1999 C-368/17, JOCE n° L368 du 20 décembre 1999, p.51

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Quant à la notion de service universel, elle le définit comme « un ensemble d’exigences d’intérêt général auxquelles devraient être soumises certaines activités et les obligations qui en résultent. Cet « intérêt » communautaire pour définir les contours de la notion de service public révèle une réelle prise en considération de l’existence de cette notion dans un certain nombre de pays de la Communauté, la France en particulier. A cet égard, il convient de relever le rôle non négligeable et l’influence de la Cour de justice pour permettre de trouver une définition adéquate de cette notion ou du moins d’essayer de dessiner les contours d’une future « définition communautaire ». 2/ La prise en compte de la notion de service public à l’égard des ports Cette prise en considération de l’importance de la notion de service public, présente dans une grande partie des différentes législations des Etats membres, relève tant de la Commission (a) que de la Cour de justice des Communautés européennes (b). a) La position de la Commission La nécessité de prendre en compte la notion de service public est une donnée certaine pour la Commission. Ainsi, dans le livre vert « sur les ports maritimes », publié en 1997115, la Commission relève l’importance de cette notion au sein de l’activité et des installations portuaires dans les différents Etats membres. Pour illustrer notre propos, nous pouvons constater que dans son livre vert, la Commission estime que : « des infrastructures portuaires et maritimes tels… sont traditionnellement considérés, dans la grande majorité des Etats membres, comme des biens publics, tandis que la prestation d’un certain nombre de services portuaires s’accompagne également d’obligations de service public en raison de leur lien avec la sécurité portuaire et la protection de l’environnement ». De plus, on peut observer qu’elle ajoute qu’en ce qui concerne ces activités, malgré leur nature, elles ne doivent pas pour autant échapper à l’application des règles de concurrence et de manière générale aux dispositions du Traité dans leur ensemble même s’il est des hypothèses où elle doit faire un effort de conciliation entre les impératifs des dispositions du Traité et ceux des obligations de service public. C’est ce que la Commission énonce dans son livre vert, estimant que : « Outre les règles de concurrence, le régime des services portuaires doit être conforme aux principales libertés garanties par le Traité. Toutefois, la Commission doit également prendre en considération les impératifs de sécurité et les obligations de service public dont le but est d’assurer la continuité… pour faire face aux urgences ». Au-delà de cette prise en compte par la Commission de l’importance de la notion de service public, le rôle joué par la Cour de justice à cet égard a même permis de faire évoluer les considérations communautaires. b) La position de la Cour de justice des Communautés européennes

115 Livre vert de la Commission sur les ports maritimes, Doc COM (97) 678 final de la Commission du 10 décembre 1997, p.15 et suivantes.

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A l’égard de la Cour de justice, on peut relever la jurisprudence qu’elle a développée sur la nature juridique de certaines activités portuaires. Vis-à-vis de cette jurisprudence sur la nature juridique des activités portuaires que nous allons développer, il convient de faire une remarque liminaire. En effet, même si les autorités portuaires relèvent d’un statut de droit public, selon la Cour, elles doivent être considérées comme des entreprises dès lors qu’elles exercent des activités de caractère économique. A cet égard, la Cour de justice, dans un arrêt du 23 avril 1991 « Höfner »116, considère que « la notion d’entreprise se comprend de toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de fonctionnement ». Pour la Cour, elle précise, dans un arrêt du 19 janvier 1994 « Eurucontrol »117, que ce qui importe « c’est de rechercher la nature de l’activité principale d’une structure ». Une fois cette remarque faite, nous pouvons nous intéresser à la jurisprudence de la Cour de justice sur la nature de l’activité. Ainsi, dans un arrêt du 14 juillet 1971 « Muller et autres »118, elle a décidé que la gestion d’un port qui comprend l’organisation et l’exploitation constituait un service d’intérêt général économique. Dans une affaire plus récente que nous verrons de manière un peu plus approfondie plus loin, un arrêt du 17 juillet 1997 « GT- Link A/S et De Danske Statbaner »119, la Cour, restant très méfiante, estime que l’exploitation d’un port de commerce ne constitue pas nécessairement un service d’intérêt économique général. Cette jurisprudence ne se limite pas à la gestion des ports mais englobe aussi les activités portuaires. Ainsi, la Cour, dans un arrêt du 10 décembre 1991 « Merci Convenzionali Porto di Genova »120, considère que la manutention portuaire ne peut pas bénéficier de la qualification de service d’intérêt économique général. En revanche, pour ce qui est de la surveillance d’un appontement pétrolier, elle juge, dans un arrêt du 18 mars 1997 « Diego Cali »121, qu’il s’agit d’un pareil service. Enfin, dans un arrêt du 18 juin 1998 « Corsica Ferries France SA »122, pour ce qui est du lamanage, la Cour de justice décide que ce service présente les caractéristiques d’un service public. Dans cette affaire, il est intéressant de suivre et de relever son raisonnement. Tout d’abord, la Cour relève que : « le service de lamanage constitue un service technique nautique essentiel au maintien de la sécurité dans les eaux portuaires, qui présente les caractéristiques d’un service public ». Ensuite, la Cour va reconnaître que le lamanage est un service d’intérêt économique général. Ainsi, elle estime que : « les opérations de lamanage revêtent un intérêt économique général qui présente des caractéristiques spécifiques par rapport à celui que revêtent d’autres activités économiques et qui est susceptible de les faire entrer dans le champ d’application de l’article 90§2 (devenu article 86§2) du Traité. Dès lors, on peut en conclure que de cette décision, il ressort les prémices d’une définition du service public. Selon la Cour, on peut dire que le service public doit répondre à certain

116 CJCE 23 avril 1991, « Höfner et Elser », affaire C-41/90 : Rec. I, p.1979 117 CJCE 19 janvier 1994 « Eurocontrol », affaire C-364/94 : Rec. I, p.43 118 CJCE 14 juillet 1974, « Muller », affaire C-10/71 : Rec. I, p.723 119 CJCE 17 juillet 1997, « GT/ Link », affaire C-242/95 : Rec. I, p.4453 120 CJCE 10 décembre 1991, « Merci », affaire C-179/90 : Rec. I, p.5889 121 CJCE 18 mars 1998, « Cali », affaire C-343/95 : Rec. I, p.1547 122 CJCE 18 juin 98, « Corsica Ferries France SA », précité.

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nombre de critères tels « l’universalité, la continuité, la satisfaction d’exigence d’intérêt public, la réglementation et la surveillance par l’autorité publique ». A l’égard du service de lamanage, certains auteurs vont même jusqu’à le considérer comme un service universel123. Quant à la manutention ouvrière dont nous avons pas encore soulevé le problème à son égard bien que la jurisprudence se soit prononcée, elle fera l’objet d’un long développement un peu plus loin (§II A). Mais la création d’un service public ou d’obligations de service public dans le domaine portuaire a fait l’objet d’une surveillance toute particulière de la part des institutions communautaires qui sont venues poser des limites afin d’encadrer cette création. B L’encadrement des missions de service public portuaires Cet encadrement s’est révélé nécessaire pour éviter que le libre jeu de la concurrence ne soit faussé. C’est la raison pour laquelle, la Cour de justice a appliqué à diverses reprises les règles de concurrence du Traité aux activités portuaires (1). Plus récemment, ce sont le Conseil, le Parlement et la Commission qui ont souhaité garantir un meilleur respect de la concurrence entre les ports, ce souhait s’est traduit par la directive de 2002 « concernant l’accès au marché des services portuaires » qui met en avant les limites qui s’imposent aux activités portuaires (2). 1/ L’encadrement jurisprudentiel Avant tout, il convient de parler de l’article 90 (devenu article 82) du Traité qui dans un premier paragraphe apporte une limitation aux entreprises publiques ou investies d’obligations de services publiques, ces dernières devant respecter les règles de concurrence du Traité. Mais le deuxième paragraphe de ce même article apporte immédiatement un aménagement à ce principe dans la mesure où il permet dans des hypothèses très précises de pouvoir déroger à ce principe pour les entreprises publiques ou investies de missions de service public. Dès lors, nous pouvons déduire de cette disposition qu’une entreprise même de droit public ne peut pas exercer une activité en abusant de sa position dominante. Même si certaines dispositions du Traité confèrent à des entreprises chargées de la réalisation d’un service d’intérêt économique général, des droits exclusifs contraires aux règles de concurrence du Traité mais nécessaires pour l’accomplissement de la mission confiée, toute position dominante qui en résulterait pourrait être justifiée mais à condition qu’elle n’engendre pas un abus. Or, dans de nombreuses affaires, comme dans l’arrêt du 17 juillet 1997 « GT-Link », les ports maritimes autonomes occupent une position dominante grâce aux droits exclusifs que leur accorde la loi du 29 juin 1965 relative « à l’autonomie des ports maritimes ». Dès lors, on peut se demander dans quelle mesure les collectivités gestionnaires des ports peuvent-elles créer des services publics ou imposer des missions de service public. Cette question a été récemment soumise à la Cour de justice qui s’est prononcée. C’est dans un arrêt « Asociacion Profesional de Empresas Navieras de Lineas Regulares » du 20 février 2001124, à propos du cabotage maritime pour la desserte des îles espagnoles. 123 Référence DMF de mars 1999 et DMF 591 Spécial anniversaire de mars 1999, p.244 124 CJCE 20 février 2001, « Analir », affaire C-205/99

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Dans cet arrêt, la Cour de justice énonce très clairement que l’Etat et ses collectivités doivent obligatoirement justifier de la nécessité de créer un service public ou d’imposer des obligations de service public. Mais, on peut relever que la Cour, se fondant sur les dispositions du règlement n° 3577/92 du 7 décembre 1992, concernant l’application de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des Etats membres, décide que les Etats membres peuvent imposer des obligations de service public et instituer un régime d’autorisation administrative préalable à cet effet. Cependant, si la Cour de justice semble admettre qu’une collectivité territoriale puisse exiger une autorisation administrative même si aucun texte ne le prévoit, elle exige que cette mesure soit « expressément nécessaire pour la sauvegarde de l’intérêt général et plus particulièrement l’ordre public. Cette solution que la Cour avait très tôt consacrée vient d’être une nouvelle fois confirmée dans l’arrêt « association Eglise de scientologie de Paris » du 14 mars 2000125. C’est ainsi que dans l’arrêt du 20 février 2001, elle considère que : « l’exigence des obligations de service public vise à assurer la suffisance des services d’intérêt général ». Cette jurisprudence a été confirmée par l’action du Conseil, du Parlement et de la Commission dans une directive de 2002, concernant l’accès au marché des services portuaires. 2/ L’encadrement textuel En effet, c’est dans cette directive de 2002 qu’ont été pris en compte tous les éléments de cette jurisprudence relative « aux activités portuaires maritimes de service public ». Cette directive a pour objectif de libéraliser l’accès au marché des services portuaires dans les ports de la Communauté ayant un trafic international. Cette intention de proposer un cadre législatif à la réalisation de cet objectif se manifestait déjà dans le Livre vert de la Commission relatif aux ports et aux infrastructures maritimes de décembre 1997. Pour ce qui nous intéresse dans cette partie, nous relèverons tout d’abord que la directive, dans son article 4, donne un certain nombre de définitions dont celle « des services portuaires ». Ainsi, la directive, dans son article 4-6, entend par « services portuaires » : « tout service fourni dans un port et mentionné dans l’annexe ». Dans l’annexe, on peut constater que sont visés tout d’abord « les services techniques nautiques tels que le pilotage, le remorquage et l’amarrage », ensuite, sont concernées diverses opérations, telles que : « les opérations de manutention de fret comprenant le chargement et le déchargement, la manutention, l’arrimage, le transbordement et autres transports inter-terminaux ». Enfin, sont visés les « services passagers comprenant l’embarquement et le débarquement ». Sur cette définition, il convient de faire deux remarques. Tout d’abord, pour ce qui est du pilotage, il est prévu des limites à l’article 14 dont la possibilité pour « les Etats membres de subordonner l’octroi d’une autorisation au titre de l’article 6 à des critères particulièrement stricts relatifs à la sécurité maritime ». Ensuite, la deuxième remarque est relative à la manutention. Désormais la directive inclut la manutention dans les services portuaires sans pour autant la qualifier de service d’intérêt économique général. Il semble qu’il faut s’en tenir à la jurisprudence classique de la Cour de justice selon laquelle il faut considérer « la manutention comme une activité industrielle et commerciale ordinaire,

125 CJCE 14 mars 2000, « Association Eglise de scientologie de Paris », affaire C-54/99 : Rec. I

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sauf peut-être lorsqu’il y a lieu pour le gestionnaire du port d’assurer un service un service suffisant en cas de carence des entreprises du secteur privé »126. Ensuite, il convient de s’intéresser au « régime d’autorisation administrative préalable » mentionné à l’article 6 de la directive. Cet article vient fixer les modalités d’octroi des autorisations qui peuvent être précédées d’une sélection des candidats lorsque le nombre d’opérateurs est limité. Ces critères sont : « les qualifications professionnels du fournisseur et de son personnel, sa bonne situation financière et une couverture en assurances suffisante ». Ensuite, le deuxième critère porte sur « la sécurité maritime ou la sécurité du port ou de la voie d’accès au port, de ses installations, de ses équipements et de son personnel ». Enfin, le troisième critère porte sur « l’emploi et les questions sociales ». Pour conclure sur ce point, nous pouvons considérer que, désormais, c’est l’approche des institutions communautaires qui prévaut sur cette notion de « service portuaire public », comme en témoigne la récente directive de 2002 sur l’accès au marché des services portuaires. Si la Commission a pendant longtemps évité la mise en œuvre « d’une politique portuaire commune » dont on peut estimer que l’amorce est opérée ; c’est la Cour de justice des Communautés européennes qui depuis toujours à appliquer à diverses reprises, aux activités portuaires, les règles de concurrence du Traité et qui continue de le faire afin de faire progresser et d’encadrer l’évolution de cette notion de « service portuaire public » à l’égard des activités portuaires. C’est ainsi que nous allons pouvoir analyser quelques décisions relativement récentes de la Cour de justice eu égard à l’appréciation de certains comportements au regard des règles de concurrence du Traité. §II APPLICATIONS CONCRETES : LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES COMPORTEMENTS AU REGARD DES ARTICLES 81, 82 ET 86 DU TRAITE PAR LA COUR DE JUSTICE A cet égard, afin de faire un bilan de l’application des règles de concurrence par la Cour aux activités portuaires, nous allons nous consacrer principalement à l’étude d’une première décision qui vient confirmer la position de la Cour à l’égard de la perception des droits portuaires (A). Par la suite, nous nous intéresserons à l’évolution jurisprudentielle dans le domaine de la manutention portuaire qui semble marquée d’une certaine ambiguïté (B). A La confirmation jurisprudentielle quant à la perception des droits de port La dernière affaire intéressante en la matière est l’arrêt « GT-Link A/S » du 17 juillet 1997 » (cité dans le §I) qui met en avant une nouvelle contestation des sociétés de ferry danois à l’égard de la surtaxe à l’importation des marchandises perçue lors de l’utilisation des ports danois. Dans cet arrêt, cette contestation est examinée sous l’angle des règles de concurrence et la question posée consistait à savoir si une entreprise publique qui perçoit des taxes portuaires ou qui refuse d’imposer ces taxes à ses propres navires, ce comportement peut il être considéré comme constitutif d’un abus de position dominante contraire à l’article 82 du

126 Extrait de l’arrêt « Merci » du 10 décembre 1991

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Traité (1) ; et dans l’hypothèse d’une réponse affirmative, la nature de cet établissement portuaire lui permettrait-il de bénéficier de l’aménagement prévu à l’article 86§2 du Traité, la Cour rappelant à ce sujet que s’agissant d’une règle dérogatoire, elle doit être d’interprétation stricte (2). 1/ La qualification du comportement au regard de l’article 82 du Traité En premier lieu, il importe pour la Cour de déterminer s’il y un abus de position dominante. Dès lors, la Cour va commencer par vérifier si l’entreprise publique occupe une telle position. Après quoi, elle recherchera le marché en cause pour décider si le comportement en cause révèle un abus de position dominante. Une remarque liminaire s’impose puisque la Cour commence par rappeler que l’entreprise publique DSB est propriétaire de plusieurs ports danois dont celui de Gesder, et que les taxes portuaires litigieuses ont été imposées par un règlement ministériel. La Cour en déduit que l’article 86§1 (ex article 90§1) du Traité est applicable, la Cour faisant référence à la « théorie de l’abus automatique » tel qu’il a été consacré dans l’arrêt « Höfner » du 23 avril 1991. Quant à l’existence de la position dominante, la Cour se réfère à l’arrêt « Corsica Ferries » du 17 mai 1994127, rappelant qu’une entreprise qui détient un monopole légal dans une partie substantielle du Marché commun peut être considérée comme ayant un comportement constitutif d’une position dominante. Elle rappelle que tout dépend du marché en cause, mais il n’est pas exclu qu’un port puisse être considéré comme un marché à lui seul, en raison du volume de son trafic et de ses échanges maritimes avec l’Etat en cause. Ainsi, la Cour relève que le marché en cause est celui de l’organisation de services portuaires. Une fois le marché délimité, la Cour s’intéresse à l’existence d’une position dominante possible. A cet égard, elle relève que deux qualifications pouvaient être envisagées. Une première concernait le prix excessif et sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie, dès lors qu’il apparaissait que la DSB avait exempté ses propres services de ferry et ses partenaires commerciaux des taxes visées. En fait, le débat portant sur l’utilisation d’une infrastructure essentielle, la Cour va considérer que la position dominante réside dans « le droit de percevoir des taxes portuaires dues pour l’utilisation des installations portuaires ». Cette solution peut paraître quelque peu étonnante mais conforme. On sait que l’article 82 du Traité n’interdit pas en soi une position dominante, la Cour réprime seulement l’exploitation abusive de cette position dominante dans la mesure où elle permet à l’entreprise en cause d’exercer une influence néfaste sur les échanges entre Etats membres, elle fausse le libre jeu de la concurrence. Procédant à examen du comportement au regard de l’article 82alinéa 2 du Traité qui donne une liste limitative de pratiques abusives, la Cour constate, qu’en l’espèce, l’abus peut résulter d’une exonération discriminatoire en raison de prix avantageux exercés par l’entreprise en position dominante qui se révèlent être anormalement bas par rapports à ceux pratiqués par les entreprises concurrentes. Par ailleurs comme le souligne certains auteurs, bien que cette disposition ne soit pas soulevée dans cette affaire, l’exonération en cause aurait pu être envisagée sous l’angle de l’article 87 (ex article 92) sur les aides d’Etat puisqu’une exonération est considérée comme telle à certaines conditions.

127 CJCE 17 mai 1994, « Corsica Ferries », affaire C-18/93 : Rec. I, p.1783

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L’article 86§2 a également été soulevé par la société danoise demandant à la Cour si une exemption pouvait être envisagée. 2/ La confirmation jurisprudentielle de l’interprétation restrictive de l’article 86§2 du Traité Etant donné qu’il s’agit d’une entreprise publique, propriétaire d’un port de commerce, la Cour doit examiner si elle peut être considérée comme une entreprise investie de la gestion d’un service d’intérêt économique général, en vertu de l’article 86§2. Elle commence par insister sur le fait qu’il ne faut pas considérer que l’exploitation de tout port de commerce relève de la gestion d’un service d’intérêt économique général. En fait ce qui importe ici, c’est que dans l’hypothèse d’une réponse affirmative, il ne faut pas que l’application de l’article 82 du Traité vienne faire échec à l’accomplissement de la mission impartie. Ainsi, La Cour adopte une approche très restrictive malgré un arrêt « Diego Cali » du 18 mars 1997 qui laissait à croire une éventuelle extension des dérogations à l’application des règles de concurrence du Traité aux activités d’intérêt général. En effet, on peut relever que la Cour s’abstient de qualifier l’établissement, se contentant d’affirmer qu’aucun élément ne permet de conclure que l’application de l’article 82 du Traité à la perception de ces taxes litigieuses pourrait éventuellement faire échec à l’accomplissement de la mission particulière dont l’entreprise est investie. Dès lors, nous pouvons en conclure que la perception de droits de port ne peut déroger au droit communautaire que dans la mesure où elle est nécessaire à l’accomplissement de la mission particulière dont l’entreprise est investie, entreprise chargée de gérer un service d’intérêt économique général. Les problèmes liés à la perception des droits de port ne représentent pas le seul secteur dans le domaine portuaire auxquels la Cour de justice des Communautés européennes est confrontée par rapport à la difficile application des règles de concurrence du Traité. La Cour se montre aussi peu favorable au monopole qui peut exister dans le domaine de la manutention portuaire, domaine qui a fait récemment l’objet de décisions intéressantes. B L’évolution jurisprudentielle quant au domaine de la manutention portuaire A l’égard de la manutention portuaire, l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice apparaît quelque peu surprenante. En effet, en l’espace de deux ans, la Cour a été amenée à prendre partie à deux reprises, d’une manière très nuancée sur les problèmes liés à la manutention portuaire. Si dans un premier arrêt « Silvano Raso » du 12 février 1998128, elle semble faire une stricte application d’une jurisprudence remontant au premier arrêt dans ce domaine, l’arrêt « Merci » du 10 décembre 1991 (1), il apparaît que dans une décision « Bécu » du 16 septembre 1999129, elle soit plus nuancée (2). 1/ La Confirmation de la jurisprudence « Merci » A cet égard, il convient de constater que la Cour va d’abord se pencher sur le problème de la compatibilité de la loi italienne au regard des règles de concurrence du Traité (a). Après quoi, elle déterminera, si au regard des règles de concurrence, l’entreprise en cause peut fausser à son profit le libre jeu de la concurrence entre Etats membres abuse, l’occasion pour la Cour de 128 CJCE 12 février 1998, « Silvano Raso », affaire C-163/96 » 129 CJCE 16 septembre 1999, « JC Becu », affaire C-22/98 : Rec. I, p.5665

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confirmer les rapports étroits entre l’article 86§1 lu en combinaison avec l’article 82 du Traité et les droits exclusifs (b). a) Le problème de la compatibilité de la loi italienne au regard des articles 82 et 86 du Traité Le 31 octobre 1995, le tribunal pénal italien est saisi d’une procédure pénale contre les représentants de sociétés poursuivies pour placement illicite de main-d’œuvre. La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec le droit communautaire du monopôle détenu par l’ancienne compagnie portuaire, posant ainsi trois questions préjudicielles à la Cour de justice. Par ces questions, elle demande si le droit communautaire s’oppose à une disposition nationale qui réserve à une compagnie portuaire transformée, conformément à l’article 21 de la loi de 1994, le droit de mettre à la disposition des autres entreprises opérant dans le port où elle est établie, étant entendu que cette compagnie est également autorisée à exécuter elle-même des opérations portuaires. Rappelant sa jurisprudence « Port de Gênes », la Cour précise qu’une entreprise qui bénéficie d’un monopole consistant à mettre de la main-d’œuvre à disposition d’autres entreprises autorisées à effectuer des opérations portuaires, est investie d’un droit exclusif au sens de l’article 86§1 du Traité. Dès lors, la Cour s’interroge sur le point de savoir si la compagnie portuaire occupe une position dominante. La Cour considère qu’elle est bien en situation de position dominante dans la mesure où le monopole légal dont se réclame la compagnie portuaire du port de La Spezia concerne la manutention pour le compte de tiers des conteneurs dont l’importance du trafic dans ce port révèle qu’il s’agit du marché constituant une partie substantielle du Marché commun. La Cour en conclut que la compagnie portuaire occupe une position dominante au regard de l’article 82 du Traité. Par conséquent, on peut en conclure que la loi italienne de 1994 n’est toujours pas conforme aux règles communautaires puisque les anciennes compagnies portuaires, bien que transformées, conservent le droit exclusif de fournir de la main-d’œuvre temporaire aux entreprises autorisées à opérer dans le port, tout en les concurrençant sur le marché des services portuaires. Cette situation peut donc l’amener à abuser de son monopole. b) La confirmation jurisprudentielle des rapports étroits entre l’article 86§1lu en combinaison avec l’article 82 et les droits exclusifs La Cour rappelle que cette situation qui est envisagée par l’article 86§1 n’est pas incompatible avec l’article 82, elle le deviendrait si l’entreprise visée exploitait sa position dominante de manière abusive par le simple accomplissement du droit exclusif qui lui a été conféré. La Cour relève que c’est malheureusement dans cette situation que se trouve l’ancienne compagnie portuaire puisque bénéficiant d’un droit exclusif de fournir de la main-d’œuvre temporaire aux entreprises installées dans le port et concurrençant ces dernières sur le marché des services portuaires. La Cour précise que l’ancienne compagnie portuaire peut abuser de son monopole notamment en imposant à ses concurrents des prix excessifs pour la main-d’œuvre qu’elle fournit. Même s’il apparaît qu’en l’espèce la juridiction de renvoi n’a pas relevé d’abus, le monopole dont bénéficie la compagnie portuaire transformée du port de La Spezia, est contraire à l’article 86§1, lu en combinaison avec l’article 82 du Traité.

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La Cour en déduit que les articles 82 et 86 du Traité doivent être interprétés comme « s’opposant à une disposition nationale qui réserve…. lorsque cette compagnie nationale est elle-même autorisée à exécuter des opérations portuaires ». Pour conclure, nous pouvons d’une part, remarquer que cette décision intervient peu de temps après la publication de la décision de la Commission condamnant le système italien130 ; d’autre part, nous pouvons constater que ce nouvel arrêt, vient peu de temps après l’arrêt « Job » du 11 décembre 1997131 qui confirmait lui aussi la jurisprudence de l’arrêt « Merci ». En revanche, l’arrêt dont nous allons parler maintenant est quelque peu troublant au regard de la jurisprudence « Merci ». 2/ Une application très nuancée de la jurisprudence « Merci » Il convient d’une part, de constater que dans cet arrêt « Becu » du 16 septembre 1999, la Cour semble interpréter de manière restrictive l’article 86 du Traité (a) ; et d’autre part qu’elle semble faire une lecture ambivalente des articles 81 et 82 du Traité lus en combinaison avec l’article 86 du Traité (b). a) L’interprétation restrictive de l’article 86 du Traité Une loi belge de 1972 dispose que « nul ne peut faire effectuer un travail portuaire dans les zones portuaires par des travailleurs autres que les ouvriers portuaires reconnus ». Pour le port de Gand, les conditions de reconnaissance ont été définies par un arrêté de royal de 1977qui définit les limites géographiques de la zone portuaire du port. C’est sur la base de ce texte que la société SMEG et son directeur, Monsieur Becu, ont été assignés devant le tribunal correctionnel belge, puis en appel, au motif qu’ils avaient fait effectuer des travaux portuaires dans la zone de Gand par des ouvriers « non reconnus ». Saisie par la voie préjudicielle, la Cour a dû se prononcer sur l’application des articles 86 du Traité en liaison avec les articles 12, 81 et 82 du Traité. Malgré la solution du litige donnée par la Cour, elle commence par rappeler sa jurisprudence « Merci » de 1991 selon laquelle une entreprise titulaire de droits exclusifs au sens de l’article 86§1 du Traité peut être en situation d’abus de position dominante. Dans cet arrêt, la Cour exclut l’application de l’article 86§1 estimant qu’il ne concerne que des règles applicables à des entreprises et non à des travailleurs soumis à l’article 39 du Traité sur la libre circulation des travailleurs. Cependant, on peut relever que la Cour admet que l’arrêté royal belge accorde aux ouvriers portuaires reconnus des droits spéciaux et exclusifs, au sens de l’article 86§1, en leur réservant certains travaux dans des zones délimitées. En l’espèce, elle estime que ces ouvriers, soumis à une convention collective, se trouvent dans une relation de travail caractérisée par un contrat de travail qui fait d’eux des travailleurs. Dès lors, elle en conclut que l’existence d’un lien contractuel avec l’entreprise fait que ces travailleurs forment avec elle une unité économique, ne constituant pas par eux-mêmes des entreprises au sens de la jurisprudence établie. On en déduit que la Cour procède ici à une interprétation stricte de l’article 86§1 dans la mesure où il ne s’applique qu’aux seules entreprises.

130 Décision 97/744, 21 octobre 1997, JOCE n° L 301, 5 novembre 1997 131 CJCE 11 décembre 1997, « JOB », affaire C-55/96

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On peut ainsi comparer cette solution avec celle issue de l’arrêt « Silvano Raso » de 1998 dans lequel elle a condamné le monopôle des compagnies portuaires italiennes qui n’étaient en fait que des sociétés de main-d’œuvre, imposant aux opérateurs l’emploi de travailleurs reconnus. Dans cette affaire « Becu », les travailleurs ne sont certes pas employés par une compagnie mais de par leur statut particulier de travailleurs reconnus, titulaires de droits exclusifs, on pourrait penser qu’ils constituent une entité économique quasi obligatoire pour les opérateurs. Il semble que la Cour ne le perçoive pas de cette manière alors qu’elle aurait pu saisir cette occasion pour interpréter de manière extensive de la jurisprudence « Merci ». Si cette première partie de la décision peut surprendre, il en va de même à l’égard de la lecture faite par la Cour des articles 81 et 82, lus en combinaison avec l‘article 86§1 du Traité. b) La lecture ambivalente des articles 81 et 82, lus en combinaison avec l’article 86§1 du traité Tout d’abord, sur le terrain de l’article 81 qui vise les accords qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur des Etats membres, la Cour estime qu’il n’y a aucun doute quant au fait que l’obligation de recourir à des ouvriers portuaires reconnus impose aux entreprises de manutention des charges plus importantes qui se répercutent sur la marchandise. Ensuite, sur le terrain de l’article 82, on peut considérer que la législation belge qui oblige à recourir à des ouvriers portuaires reconnus pour l’exécution de travaux portuaires, rémunérés selon une tarification imposée a tendance à créer une distorsion de concurrence pour les opérateurs portuaires. Or, on peut constater que dans l’arrêt « Merci » de 1991, la Cour avait considéré qu’une telle situation était contraire à l’article 82 car cette réglementation pouvait fausser le libre jeu de la concurrence. Ainsi, nous pouvons en déduire que l’analyse de la Cour de justice fait preuve d’une réelle appréciation très restrictive des articles 81 et 82, lus en combinaison avec l’article 86§1 du Traité. Pour conclure, nous pouvons considérer que cette dernière décision vient très sérieusement limitée la portée de la jurisprudence « Merci » dans la mesure où l’application des règles de concurrence du Traité à l’activité de manutention portuaire semble réduite et du fait qu’un monopôle soit maintenu. De plus, on a pu constater que la nouvelle directive de 2002 concernant l’accès au marché des services portuaires vise parmi ces services la manutention portuaire. Or, cette directive a pour objectif la libéralisation du secteur des activités portuaires. Dès lors, ne pouvons nous pas considérer que la législation belge telle qu’elle est rédigée à l’heure actuelle, est en contradiction totale avec le droit communautaire ? A l’égard des ports, nous pouvons relever une étude intéressante menée par la direction du transport maritime, des ports et du littoral du ministère de l’équipement, des transports et du logement à propos « du Marché Unique et des ports européens » (annexe III). Pour conclure sur cette deuxième partie, nous pouvons constater que depuis l’adoption du règlement n° 4056/86, et son entrée en vigueur le 1er juillet 1987, la Commission a développé sa politique de concurrence pour le secteur maritime avec énergie. En revanche, pour l’application des règles de concurrence du traité de Rome (articles 81 et 82) au secteur maritime, on ne peut que regretter la complexité législative et procédurale.

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On sait que le règlement n° 17/62 de concurrence générale fût dans un premier temps applicable à une grande majorité des secteurs, dont les transports (terrestre, aérien et maritime). Mais rapidement, six mois après son adoption, les transports furent exclus de son champ d’application. Il aura donc fallu attendre un certain temps avant que les institutions n’adoptent un texte de concurrence propre aux transports. Ainsi, les institutions communautaires ont adopté un premier texte pour le transport terrestre ; il s’agit du règlement n° 1017/68, puis un second pour les transports maritimes, le règlement n° 4056/86 et enfin un troisième texte propre au domaine aérien, le règlement n° 3975/87. Quant à l’application des règles de concurrence aux consortiums, ce n’est qu’en 1995 que les institutions adoptent le règlement n° 870/95, arrivé à expiration en 2000. Il a donc été remplacé par un règlement n° 870/2000 à l’égard duquel, nous avons pu relever qu’il apporte que quelques modifications sans grand bouleversement. Par ailleurs, de cette étude approfondie, nous avons observé que c’est la Cour de justice des Communautés européennes qui a permis de tracer les grandes lignes de la politique communautaire maritime et qui continue dans ce sens, au travers de quelques grandes décisions fondamentales. L’enjeu de cette construction tant normative que jurisprudentielle est capital pour l’avenir de l’industrie maritime, d’autant plus qu’aujourd’hui, et ce en raison des grands naufrages aux larges des côtes européennes, l’action de la Communauté s’est beaucoup recentrée sur les progrès et les améliorations à apporter en matière de « sécurité maritime communautaire ».

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CONCLUSION Pour conclure sur cette étude détaillée de « la place du droit communautaire dans le droit maritime français », il convient de faire référence au dernier colloque de l’Institut Méditerranéen des Transports Maritimes qui s’est tenu à la faculté de droit d’Aix en Provence le 16 juin 2003132 au cours duquel des questions intéressant la matière ont été soulevées, en particulier au regard des récentes perspectives en matière de concurrence dans le secteur maritime (I) et du point de vue du Sénateur, Henri de Richemont , par rapport au pavillon et au cabotage en France, (II). I Les perspectives du droit communautaire dans le secteur maritime Par rapport à l’influence du droit communautaire de la concurrence dans le domaine maritime, nous pouvons constater que les institutions communautaires restent fidèles aux dispositions du règlement n° 4056/86 qui accordent une dérogation aux conférences maritimes, qui comme toute dérogation doit en principe être interprétée de manière restrictive. Mais lors de son intervention, le professeur Pierre Bonassies, dans le cadre de ce colloque, s’intéressant au « Droit maritime international et communautaire133, a soulevé un désaccord avec cette manière de faire estimant que « l’harmonisation… doit être un moyen et non un but ». A cet égard, il a relevé deux grandes décisions rendues récemment. La première série de décisions touche au domaine des conférences. Il s’agit des trois arrêts du 28 février 2002 du Tribunal de première instance des Communautés européenne que nous avons étudié un peu avant, dans lesquelles le Tribunal s’est prononcé sur les recours formés par des armateurs dans le cadre des conférences maritimes. Après un rappel des faits selon lesquels, la Commission avait, dans un premier temps, refusé l’exemption dans la mesure où l’accord en cause autorisait certains membres à appliquer leurs tarifs, ce qui avait pour conséquence que ce n’était plus une conférence au sens du Code de conduite des Conférences maritimes. Selon le professeur Pierre Bonassies, cette solution révélait une volonté d’interprétation restrictive du règlement n° 4056/86 de la Commission à laquelle il s’oppose. Ensuite, les membres du TACA, condamnés en 1994, avaient modifié leur accord en renonçant à appliquer un prix différencié et avaient élargi pour les chargeurs la possibilité de conclure des accords soit collectifs, soit individuels. Le tribunal, suivant l’analyse de la Commission refuse le bénéfice de l’exemption dont se prévalent les requérants.

132 I.M.T.M 16 Juin 2003, INFO DROIT IMTM 2003, « L’actualité du droit maritime et des transports », 133 IMTM 16 juin 2003 : Droit maritime international et communautaire « Du droit de la mer » (création par la France d’une zone écologique ; nouvelle réglementation communautaire sur la sécurité maritime) au droit communautaire de la concurrence (entente ; aides des Etats) » par Pierre BONASSIES, Professeur honoraire à la faculté de droit et de science politique d’Aix en Provence-Marseille III, 1er vice Président de l’IMTM.

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Aujourd’hui, la Commission autorise la conférence maritime car elle n’a aucune conséquence sur le trafic maritime mais elle délimite la dérogation accordée au TACA jusqu’en 2005 prévoyant que les parties ne peuvent sortir du cadre de cet accord. Selon, le professeur Bonassies qui s’est exprimé sur cette solution, il estime qu’ : « elle ne leur permet pas de s’adapter aux évolutions du Marché commun ». Quant à la deuxième décision, elle porte sur les aides d’Etat. Il s’agit d’un arrêt « Britany Ferries » du 3 octobre 2002 de la Cour de justice dans lequel elle refuse l’aide qui pourrait être offerte à cette compagnie. A cet égard, le Professeur Pierre Bonassies a relevé que la Commission était plutôt favorable aux aides d’Etat destinées au cabotage comme celles accordées pour le transport de courte distance. A cet égard, il a précis que la Commission avait récemment accordé une aide d’Etat considérable au profit de la SNCM pour le trafic France/Corse. Cette situation peut paraître assez paradoxale quand on sait que dans une communication du 13 février 2003, la Commission s’est attaquée aux aides d’Etat apportées aux pêcheurs et aux ostréiculteurs victimes du sinistre de l’Erika. A l’heure actuelle, la procédure n’a pas encore abouti. Sur ce dernier point, le professeur Pierre Bonassies relève « l’impérialisme de la Commission » dans la mesure où la direction de la pêche conteste les modestes aides apportées par la France à ses pêcheurs et il estime que c’est : « un bon moyen d’inciter la France d’en bas à regarder d’un mauvais oeil les institutions communautaires ». Par ailleurs, toujours dans le cadre de cette intervention, le professeur Pierre Bonassies s’est intéressé à la sécurité maritime de la navigation et à l’amélioration des droits des victimes d’un sinistre. En ce qui concerne ce domaine, l’année 2002 a été marquée par l’adoption d’un certain nombre de mesures en vue de promouvoir une meilleure sécurité maritime (annexe IV). Pour ce qui est du domaine de la sécurité maritime, il a précisé que les institutions communautaires s’étaient enrichies de deux nouveaux organes. Il y a d’une part, l’ « Agence européenne pour la sécurité maritime », instituée par le règlement du 27 juin 2002. C’est une institution qui à terme devrait pouvoir mener une politique autonome. Elle va être gérée par un conseil d’administration. Elle a pour rôle essentiel de seconder la Commission dans la préparation des textes relatifs à la sécurité maritime et elle est dotée de pouvoirs de contrôle des organes compétents en la matière au niveau des Etats membres. D’autre part, il y a la création « du Comité pour la sécurité maritime » par le règlement du 29 novembre 2002. Il s’agit d’un organe très technique, inspiré de celui qui existe en matière de politique agricole commune. Il pourra donner des avis à la Commission sur toute décision individuelle ou sur tout texte à caractère réglementaire en matière de sécurité maritime. Par ailleurs, il faut relever la directive du 27 juin 2002 relative « à la mise en place d’un texte communautaire sur le suivi du trafic des navires » qui porterait sur les principaux points suivants : Tout d’abord, tout navire faisant escale dans un port de la Communauté devra être équipé d’un système spécial d’enregistrement des données du voyage. Ensuite, tout Etat membre devra prendre des mesures de suivi du système mis en place par les Etats-Unis. Mais encore, tout capitaine d’un navire à destination ou au départ d’un port de la Communauté devra donner des informations sur les risques du transport aux autorités compétentes.

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Par ailleurs, les Etats membres devront prendre toutes les mesures pour que tout navire, peu importe le pavillon, signale tout accident pouvant compromettre la sécurité de la navigation ou du navire lui-même. De plus, ce texte devra prévoir les conditions de la conduite à tenir en cas de conditions météorologiques mauvaises pouvant présenter des risques. Le navire pourra éventuellement être interdit de sortir du port. A cet égard, le professeur Pierre Bonassies a estimé qu’il était difficile de pouvoir apprécier avec exactitude la mesure de cette interdiction mais on pense qu’elle peut réellement concerner tous les types de navire et pas seulement les pétroliers. Enfin, ce texte devra prévoir la création officielle de lieux de refuge. Il devrait appartenir à chaque Etat membre de préparer une liste des lieux relevant de leur juridiction, sous réserve de l’autorité du préfet de région ou local. A propos de ce texte, le professeur Pierre Bonassies a conclu en disant que : « les rédacteurs se sont repentis de leur audace en faisant un pas en arrière ». II Questions « Un pavillon attractif, un cabotage crédible, deux atouts pour la France »134 Le pavillon et la cabotage ont été deux aspects d’importance qui ont été soulevés dans le cadre cette étude à propos de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services. Dans le cadre du colloque de l’I.M.T.M. de juin de 2003, Le sénateur de Richement est intervenu à ce sujet pour faire un bilan de la situation de la France, exposant le rapport qui sera remis au Premier ministre (annexe V). Nous tracerons les grandes lignes des propos tenus. Pour ce qui est du pavillon, un triste constat s’impose à l’heure à actuelle puisque le pavillon français ne représente plus que 0,5% de la flotte mondiale. En France, on compte 220 navires contrôlés par des intérêts français mais qui se trouvent sous pavillon de complaisance et 120 autres navires sont immatriculés aux îles Kerguelen. A cet égard, il convient de mener une comparaison avec d’autres pays européens qui ont été confrontés eux aussi au problème du « dépavillonement », il y a 25 ans : Le sénateur a relevé trois idées à prendre en compte pour la France : Tout d’abord, en Europe, le « shipping » n’existe que s’il est « free taxe » c’est-à-dire sans taxes supplémentaires. Il estime qu’il ne peut y avoir de pavillon s’il y a une taxation. C’est la raison pour laquelle, le Danemark, l’Italie, le Luxembourg et d’autres (qui sont quasiment plus importants que le pavillon français) ont défiscalisé le salaire des marins. Les armateurs ont profité des sommes qu’ils avaient l’habitude de verser au fisc. Le Danemark ayant un système de retenue à la source, le salaire reste le même mais l’armateur ne paie plus un certain montant au fisc. C’est ainsi que la majeure partie des pays européens, il n’y a plus de taxe sur le salaire des marins. Ensuite, la deuxième idée intéressante concerne la « suppression des contraintes liées à la nationalité des équipages ». Là encore, on peut relever que la majeure partie des pays européens mette une condition minimum : un seul officier de la nationalité du pavillon. Cette pratique a pour effet de permettre d’embaucher de la marins étrangers venant de pays tiers par « des sociétés de maning » dont le contrat est soumis à la loi d’origine de cette société. 134 IMTM 16 juin 2003 : « Un pavillon attractif, un cabotage crédible, deux atouts pour la France », Présentation du rapport remis au Premier Ministre et ses suites par Henri de RICHEMONT, Sénateur, Avocat au barreau de Paris

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A cet égard, on peut constater que les armateurs danois et norvégiens vont négocier sur place des conventions collectives avec les organisations nationales de ces pays tiers. Les conditions d’emploi y sont généralement plus souples en prévoyant un minimum bien supérieur au minimum arrêté par l’Organisation internationale du Travail. Enfin, la troisième idée est relative à la création des registres internationaux. A cet égard, la France a crée un pavillon bis avec le pavillon « des Kerguelen » (à l’origine, il devait être à Djibouti) pour être en conformité avec le droit communautaire qui interdit, comme nous avons pu le voir, le prêt de main-d’oeuvre. Or, il a été constaté que le registre bis de la France est 30 à35% plus cher que tous les autres registres bis européen existants. Le sénateur a expliqué sans la création d’un GIE fiscal, s’il n’ y avait pas d’obligation pour les compagnies pétrolières françaises d’avoir au moins 5% de leurs employés sous pavillon français, il n’y aurait plus de personnel français à bord. Pour l’application d’un GIE fiscal, certaines conditions seraient nécessaires comme : tout armateur qui le demande doit s’engager à avoir un lieutenant français à bord et un second selon la taille du navire. Le contrôle technique du navire devrait avoir lieu en France afin de sauvegarder des emplois sur le territoire français. D’autres propositions ont été formulées. Ainsi a été soulevée la question de savoir s’il fallait créer un registre international. Pour le sénateur De Richemont, il faut créer un registre international français aussi compétitif que les autres registres internationaux européens avec comme conditions : la défiscalisation des salaires des marins pour les navires au long cours et le cabotage international, l’exonération des charges totales des marins, la suppression du quota de 35% des marins de nationalité française et la légalisation des sociétés de maning et la possibilité d’employer des marins étrangers. Pour conclure sur le domaine du pavillon, il semble que ce dernier soit plutôt contre la création d’un pavillon européen. Lors de cette intervention, le sénateur est intervenu au sujet du cabotage. A ce sujet, il a estimé qu’il y avait de véritables de difficultés dans les rapports entre armateurs et transporteurs. Selon ce dernier, si la cabotage ne marche pas, c’est parce qu’il n’y a pas de fréquence, ni de crédibilité, ni de pérennité. Pour assurer une ligne de cabotage, il estime qu’il faut au moins assurer trois départs par jour. Le but est de créer des autoroutes maritimes pour prolonger les autoroutes terrestres, cette initiative devant venir de l’Etat et non du secteur privé. A ce sujet des propositions ont été faites par le conseil interministériel sur demande du Premier ministre Raffarin. Il en résulte que huit navires, c’est 30 millions d’euros, soit un kilomètre d’autoroute. Des appels d’offres devraient être faites pendant deux ans. Il est prévu que l’exploitant de la ligne ne paierait de taux de fret qu’au bout de deux années, un taux minimum est proposé et au bout de cinq ans, l’exploitant pourra acheter cinq nouveaux navires et pouvoir se dégager de l’emprise de l’Etat. Selon le sénateur, ces trois critères devraient pouvoir être respectés mais il faudra un guichet unique pour diminuer au maximum les formalités administratives. Voilà ce que l’on peut retenir pour les derniers projets au niveau de la France, inspirés pour certains d’exemples d’autres pays européens.

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TABLES DES MATIERES INTRODUCTION p.1 PARTIE I : UNE POLITIQUE MARITIME POUR L’EXPANSION DU MARCHE INTERIEUR p.5 CHAPITRE I : L’Etablissement des Deux Principales Libertés de Circulation du Marché Intérieur p.7 Section I : La Libre Prestation de Services p.7 §I Dans les relations entre les Etats p.7 A Le principe posé par le règlement p.7 1 Le champ d’application du règlement p.7 a Les bénéficiaires p.8 b Le marché géographique p.8 c Les domaines exclus p.9 2 La garantie du respect de la libre prestation de services p.9 a La confirmation jurisprudentielle de la libre prestation de services p.9 b La portée jurisprudentielle de cette liberté p.10 B Une application contrôlée du principe à l’égard de certaines habitudes maritimes p.12 1 La disparition des réservations unilatérales de cargaisons p.13 a Le dispositif du règlement n° 4055/86 p.13 b Le bilan de l’application de ces dispositions en France p.13 2 Entre abolition et adaptation des accords bilatéraux de partage de cargaisons p.14 a L’adaptation des accords existants p.14 b Les difficultés de mise en œuvre p.15 §II Dans les relations au sein des Etats : le Cabotage p.17 A Les principes : une liberté encadrée p.18 1 La définition du cabotage p.18 a L’étendue de la liberté p.18 b La distinction autour du cabotage p.18 2 Un cabotage réservé p.19

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a La définition des armateurs communautaires p.19 b La définition des navires communautaires p.20 B Les exceptions : une liberté limitée p.20 1 Les régimes dérogatoires : Modalités d’application p.21 a La clause de sauvegarde p.21 b Les dérogations en fonction du cabotage p.22 c La notion de service public comme exception p.23 2 Une mise en œuvre difficile p.24 a L’arrêt « Commission c/ France » du 13 juillet 2000 p.24 b L’arrêt « Analir » du 20 février 2001 p.24 Section II : La Liberté d’Etablissement p.26 §I La tentative d’harmonisation des pavillons nationaux p.27 A La nécessaire ouverture du pavillon national p.27 1 L’abolition des entraves à l’inscription des registres p.27 a Le rôle notable de la Cour de justice des communautés européennes p.28 b L’obligation d’adaptation des registres nationaux : le cas de la France p.29 2 L’abolition des entraves au changement de pavillon p.30 a Le contenu du règlement du Conseil p.31 b La consécration du principe de « confiance mutuelle » p.31 B L’ouverture nécessaire des pavillons bis p.32 1 L’enjeu de l’ouverture des pavillons bis p.32 a La création des pavillons bis p.32 b Le régime juridique applicable p.32 2 Les pavillons internationaux p.33 a Définition et présentation p.33 b Le modèle allemand p.33 §II Vers une communautarisation des pavillons nationaux p.34 A Le projet de registre communautaire d’immatriculation des navires : EUROS p.34 1/ Un projet ambitieux p.34 a La nécessité d’un allègement des coûts d’exploitation p.34 b D’autres avantages dans le respect de la liberté d’établissement p.34 2/ Le respect obligatoire de certaines règles p.35

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a Le respect des normes de sécurité maritime p.35 b Le respect de l’emploi de ressortissants communautaires p.36 B La réorientation vers une nouvelle harmonisation des registres nationaux p.36 1/ L’ouverture d’une nouvelle perspective… p.37 a La proposition de la Commission p.37 b L’enjeu de la proposition p.37 2/ Dans le respect de normes toujours en cours d’harmonisation p.38 a Les normes communes de sécurité maritime p.38 b Les normes communes relatives aux marins p.39 CHAPITRE II : L’Instauration d’une Action contre les Pratiques Tarifaires Déloyales p.42 Section I : Une Politique de Protection des Armateurs Communautaires p.43 §I Les instruments juridiques de défense commerciale du règlement p.43 A Le champ d’application du règlement p.43 1/ Le champ d’application personnel du règlement p.43 2/ Le champ d’application matériel p.44 B L’architecture du dispositif de lutte du règlement p.45 1/ La procédure de déclenchement des sanctions p.45 2/ L’application des sanctions p.46 §II L’Effet dissuasif de ce dispositif de défense p.46 A Une application concrète : l’affaire « Hyundai » p.47 1/ Le déroulement de l’affaire p.47 2/ Le fondement de la décision du Conseil p.47 B La proposition de révision abandonnée du règlement n° 4057/86 p.48 1/ Les raisons de cette proposition de révision p.48 2/ Les prémices de cette révision du règlement n° 4057/86 p.48

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Section II : Une Politique pour une Action Coordonnée des Etats Membres p.49 §I La Promotion d’une action coordonnée p.50 A Le champ d’application du règlement… p.50 1/ Etendue quant aux bénéficiaires p.50 2/ Etendue quant aux transports visés p.50 B Les formes de l’action coordonnée p.51 1/ La prédominance de la diplomatie p51 2/ Le caractère subsidiaire des contre-mesures p.52 §II L’Efficacité limitée de cette action coordonnée p.52 A Les procédures possibles p.52 1/ La procédure au niveau des institutions communautaires p.53 2/ La procédure au niveau des Etats membres p.53 B L’échec de la mise en œuvre p.54 1/ Présentation de l’affaire dite « des Bureaux centraux de fret » (BCF) p.54 2/ Les raisons de cet échec p.54 PARTIE II : UNE POLITIQUE MARITIME POUR LA STABILISATION

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DU MARCHE INTERIEUR p.56 CHAPITRE I : La Prédominance de la Concurrence dans la Politique Communautaire des Transports Maritimes p.59 Section I : La Spécificité des Ententes Maritimes p.60 §I La remise en cause du système des conférences maritimes p.60 A Présentation du système des conférences maritimes p.60 1/ La notion de conférences maritimes p.60 a Définition des conférences maritimes p.60 b Caractéristiques de conférences maritimes p.61 .2/ Le régime juridique des conférences maritimes p.61 a Les « principes généraux » des conférences maritimes p.61 b Un modèle juridique de régime : le cas des Etats-Unis p.61 .B La « non-adaptation » des conférences maritimes aux progrès techniques p.63 1/ La diversité de conférences maritimes p.63 a Les accords de « fixation des coûts de fret » p.63 b Les accords de pool p.64 c Les accords de fidélité p.64 2/ Vers un déclin des conférences maritimes ? p.65 a Appréciation critique du système des conférences maritimes p.65 b L’origine de cette crise du système des conférences maritimes p.65 §II La Naissance d’une nouvelle pratique : les consortiums p.66 A Les prémices d’une réglementation sur la pratique des consortiums p.66 1/ Présentation de la pratique des consortiums p.66 a Définition des consortiums p.66 b La structure des consortiums p.67 2/ La question de l’application des règles de concurrence aux consortiums p.68 a Position du problème p.68 b Le non assujettissement des consortiums aux règles de concurrence p.68 B La mise en place d’une dérogation automatique pour les consortiums p.69 1/ La dérogation accordée à l’interdiction des ententes de l’article 81 du Traité… p.69 a L’établissement d’une réglementation pour les consortiums p.69

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b Présentation des dispositions du règlement n° 823/2000135 p.70 2/ Mais une dérogation automatique très encadrée : conditions p.71 a Les conditions de cette dérogation automatique p.71 b Les conséquences de la pratique des consortiums p.72 Section II : L’Encadrement des Ententes Maritimes p.73 §I L’Encadrement international : le Code de conduite des conférences maritimes p.73 A La nécessité d’un cadre international pour l’activité des conférences maritimes p.73 1/ Les raisons de cet encadrement p.73 .2/ Les moyens de cet encadrement : les principes directeurs p.74 B L’établissement d’une réglementation sur l’activité des conférences maritimes p.75 1/ Précisions sur le contenu de la réglementation des conférences maritimes p.75 2/ La portée du Code de conduite des conférences maritimes p.75 §II L’Encadrement communautaire : Le règlement n° 954/79 du 15 mai 1979 p.76 A La difficile « traduction » communautaire du Code de conduite p.76 1/ Les raisons de cette difficulté de « traduction » p.76 2/ Une difficulté résolue : l’adoption du règlement n° 954/79 p.77 B Présentation du règlement n° 954/79 du 15 mai 1979 p.77 1/ Le contenu du règlement p.77 2/ La portée du règlement p.78 CHAPITRE II : Le Renforcement des Règles de Concurrence dans la Politique communautaire des Transports maritimes p.79 Section I : La Volonté de Sauvegarde des Conférences Maritimes p.80

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§I La compatibilité de certaines ententes maritimes avec le Marché commun p.80 A Le champ d’application du règlement n° 4056/86 p.80 1/ Présentation des définitions du règlement p.80 a Définition de l’étendue du champ d’application p.80 b La définition des « conférences maritimes » p.81 2/ Le domaine de l’exemption p.82 a Les ententes maritimes couvertes par l’exemption p.82 b L’exclusion des transports terrestres effectués dans le cadre d’un transport multimodal p.82 B Les conditions et obligations du règlement n° 4056/86 p.83 1/ La condition principale pour le bénéfice de l’exemption p.83 2/ Les obligations des auteurs de l’accord en cause p84 §II Incompatibilité : le retour à l’application du droit commun des règles de concurrence en matière de transports maritimes p.85 A Les effets incompatibles d’un accord avec l’article 82 du Traité p.85 1/ Le dispositif réglementaire : article 8 du règlement n° 4056/86 p.85 2/ La confirmation jurisprudentielle p.85 B Les effets incompatibles d’un accord au regard de l’article 81§1 p.86 1/ Le contrôle des ententes exemptées p.86 2/ Le pouvoir encadré de la Commission p.86 Section II : Les Procédures Administratives adoptées Par le Règlement n° 4056/86 p.87 §I Présentation des procédures administratives et des règles de procédure p.88 A Les procédures administratives p.88 1/ Les ressemblances avec le régime général des règles de concurrence p.88 2/ Les particularités des procédures administratives applicables au secteur maritime p.88

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B Les règles de procédure p.89 1/ La phase préliminaire de la procédure d’instruction p.89 a La saisine de la Commission p.89 b Le pouvoir d’enquête de la Commission p.90 2/ Le déroulement de la procédure administrative p.91 a L’instruction de la plainte et décision de la Commission p.91 b La clôture de la procédure p.92 §II Les enjeux de la mise en œuvre : applications concrètes p.93 A La condamnation des pratiques commerciales aux effets incompatibles avec les règles de concurrence du Traité p.93 1/ L’affaire « des Comités armatoriaux franco-ouest africain » p.93 a La double condamnation de pratiques anti-concurrentielles p.93 b La sévérité des sanctions p.94 2/ La décision « Cewal, Cowac, Ukwal » p.94 a La condamnation de pratiques anti-concurrentielles par la Commission p.94 b Une condamnation « révisée » par la Cour de justice p.95 B La condamnation de la pratique du regroupement en conférences maritimes aux effets contraires aux règles de concurrence du Traité p.96 1/ L’affaire de l’accord du « Trans Atlantic Agreement » p.96 a Rigueur et sévérité de l’analyse de la Commission p.97 b La confirmation jurisprudentielle de l’analyse de la Commission p.99 2/ La particularité de l’affaire « Far Eastern Freight Conference » p.100 a L’affirmation de la nécessité de soumettre ces « nouvelles conférences » aux règles de concurrence du Traité p.100 b La nouvelle confirmation jurisprudentielle p.102 CHAPITRE III : La Volonté d’Affirmation d’une Politique de Concurrence Maritime Communautaire Saine p.104 Section I : Le Contrôle des Aides d’Etats apportées aux Transporteurs Maritimes p.104 §I L’Importance du rôle de la Cour de justice dans la qualification d’aides d’Etat p.104 A Malgré une interprétation extensive de l’article 92 du Traité… p.105 1/ Les données du problème p.105

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2/ Faits et procédure de l’arrêt de 1993 p.105 B La Cour de justice juge que la finalité du registre n’est pas la création d’une aide d’Etat p.106 1/ La solution de l’arrêt de 1993 p.106 2/ Portée et conséquences de cet arrêt p.106 . §II La double orientation de la politique de la Commission en matière d’aides d’Etat p.107 A Les premières orientations arrêtées par la Commission pour l’examen des aides d’Etat p.107 1/ Le bilan avantages/inconvénients des aides d’Etat p.107 2/ Les conditions de la compatibilité des aides avec le Marché commun p.108 B La remise en cause des orientations adoptées en 1989 p.109 1/ le nouveau projet de la Commission en matière d’aides d’Etat p.109 2/ La réalisation de cette révision dans la communication de 1997 p.109 Section II : La Condamnation de l’Exploitation Abusive Des Activités Portuaires p.112 §I L’Etendue du service public portuaire face au droit communautaire p.112 A La question de la compatibilité du régime dérogatoire du service public portuaire avec le droit communautaire p.113 1/ La divergence de conceptions entre le droit français et les institutions communautaires p.113 a L’application actuelle du régime dérogatoire français au service public portuaire p.113 b La réflexion communautaire sur les services d’intérêt économique général p.114 2/ La prise en compte de la notion de service public à l’égard des ports p.115 a La position de la Commission p.115 b La position de la Cour de justice des Communautés européennes p.115

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B L’encadrement des missions de service public portuaires p.117 1/ L’encadrement jurisprudentiel p.117 2/ L’encadrement textuel p.118 §II Applications concrètes : la qualification juridique des comportements au regard des articles 81, 82 et 86 du Traité par la Cour de justice p.119 A La confirmation jurisprudentielle quant à la perception des droits de port p.119 1/ La qualification du comportement au regard de l’article 82 du Traité p.120 2/ La confirmation jurisprudentielle de l’interprétation restrictive de l’article 86§2 du Traité p.120 B L’évolution jurisprudentielle quant au domaine de la manutention portuaire p.121 1/ La Confirmation de la jurisprudence « Merci » p.121 a Le problème de la compatibilité de la loi italienne au regard des articles 82 et 86 du Traité p.121 b La confirmation jurisprudentielle des rapports étroits entre l’article 86§1lu en combinaison avec l’article 82 et les droits exclusifs p.122 2/ Une application très nuancée de la jurisprudence « Merci » p.123 a L’interprétation restrictive de l’article 86 du Traité p.123 b La lecture ambivalente des articles 81 et 82, lus en combinaison avec l’article 86§1 du traité p.124

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www.europa.eu.int site du Ministère de l’équipement, des transports… www.ministère.gouv.fr