5
Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 294–298 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chronique Droits sociaux des patients Régis Durand (Maître, Avocat au Barreau de Lyon) Cité internationale, 45, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon, France Disponible sur Internet le 7 septembre 2012 Résumé Cet article est une chronique de jurisprudence sur les droits sociaux des patients, s’agissant d’agents de la fonction publique. © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. Les agents de la fonction publique hospitalière peuvent, comme toute personne, vite passer du statut du soignant... à celui de soigné. Voici quelques décisions de jurisprudence traitant du vécu de l’exercice des droits sociaux : mi-temps thérapeutique et plein traitement ; disponibilité et modalités de la réintégration ; imputabilité au service d’un stress post-traumatique causé par le suicide d’un collègue ; grief de suspicion de toxicomanie ; modalités de licenciement d’un médecin de nationalité étrangère. 1. Mi-temps thérapeutique et plein traitement 1.1. Conseil d’État, 12 mars 2012, n o 340829, mentionné dans les tables du recueil Lebon 1.1.1. Texte Aux termes de l’article 41-1 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : « Les fonctionnaires autorisés à travailler à mi-temps pour raison thérapeutique perc ¸oivent l’intégralité de leur traitement ». Aux termes de l’article 47 de la même loi, applicable aux fonctionnaires autorisés à travailler à temps partiel en application de l’article 46 ou de l’article 46-1 : « Les fonctionnaires autorisés à travailler à temps partiel perc ¸oivent une fraction du traitement, de l’indemnité de résidence et des primes et indemnités de toutes natures afférentes soit au grade de l’agent et à l’échelon auquel Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ – see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2012.07.005

Droits sociaux des patients

  • Upload
    regis

  • View
    215

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Droits sociaux des patients

Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 294–298

Disponible en ligne surwww.sciencedirect.com

Chronique

Droits sociaux des patients

Régis Durand (Maître, Avocat au Barreau de Lyon)Cité internationale, 45, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon, France

Disponible sur Internet le 7 septembre 2012

Résumé

Cet article est une chronique de jurisprudence sur les droits sociaux des patients, s’agissant d’agents dela fonction publique.© 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.

Les agents de la fonction publique hospitalière peuvent, comme toute personne, vite passer dustatut du soignant. . . à celui de soigné. Voici quelques décisions de jurisprudence traitant du vécude l’exercice des droits sociaux :

• mi-temps thérapeutique et plein traitement ;• disponibilité et modalités de la réintégration ;• imputabilité au service d’un stress post-traumatique causé par le suicide d’un collègue ;• grief de suspicion de toxicomanie ;• modalités de licenciement d’un médecin de nationalité étrangère.

1. Mi-temps thérapeutique et plein traitement

1.1. Conseil d’État, 12 mars 2012, no 340829, mentionné dans les tables du recueil Lebon

1.1.1. TexteAux termes de l’article 41-1 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives

à la fonction publique hospitalière : « Les fonctionnaires autorisés à travailler à mi-temps pourraison thérapeutique percoivent l’intégralité de leur traitement ».

Aux termes de l’article 47 de la même loi, applicable aux fonctionnaires autorisés à travaillerà temps partiel en application de l’article 46 ou de l’article 46-1 : « Les fonctionnaires autorisés àtravailler à temps partiel percoivent une fraction du traitement, de l’indemnité de résidence et desprimes et indemnités de toutes natures afférentes soit au grade de l’agent et à l’échelon auquel

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2012.07.005

Page 2: Droits sociaux des patients

R. Durand / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 294–298 295

il est parvenu, soit à l’emploi auquel il a été nommé. Cette fraction est égale au rapport entrela durée hebdomadaire du service effectué et la durée résultant des obligations hebdomadairesde service réglementairement fixées pour les agents de même grade exercant à temps plein lesmêmes fonctions dans l’établissement. Toutefois, dans le cas de services représentant 80 ou 90 %du temps plein, cette fraction est égale respectivement aux six septièmes ou aux trente-deux trentecinquièmes du traitement, des primes et indemnités mentionnés à l’alinéa précédent ».

1.1.2. AnalyseIl résulte de ces dispositions qu’un fonctionnaire autorisé à travailler à temps partiel sur le

fondement de l’article 46 ou de l’article 46-1 de la loi du 9 janvier 1986 ne percoit qu’une fractiondu traitement d’un agent de même grade exercant à temps plein les mêmes fonctions alors que,en revanche, le fonctionnaire autorisé à travailler à mi-temps pour raison thérapeutique sur lefondement de l’article 41-1 de la même loi a, dans tous les cas, droit à l’intégralité de ce traitement.

Il s’ensuit que la décision placant l’agent sous le régime du mi-temps thérapeutique met finau régime du travail à temps partiel et qu’en l’absence de dispositions prévoyant qu’il soit tenucompte du régime antérieur de temps partiel, l’intéressé a droit de percevoir, dans cette position,l’intégralité du traitement d’un agent du même grade exercant à temps plein les mêmes fonctions.

1.1.3. Situation de faitPar une décision du 26 juillet 2006, le centre hospitalier de Tréguier a autorisé Mme A, infir-

mière, à travailler à temps partiel pour la période du 13 juin 2006 au 12 juin 2007 et que, par unedécision du 6 novembre 2006, le centre hospitalier a, d’une part, placé l’intéressée en congé demaladie pendant la période du 20 mai 2006 au 27 octobre 2006, et l’a, d’autre part, autorisée àtravailler à mi-temps pour motif thérapeutique pendant la période du 28 octobre 2006 au 27 janvier2007.

En refusant, par sa décision du 22 mars 2007, de verser à Mme A un plein traitement au titrede la période du 28 octobre 2006 au 27 janvier 2007 durant laquelle la décision du 6 novembre2006 l’avait autorisée à travailler à mi-temps pour motif thérapeutique au motif que l’intéresséen’avait droit qu’au traitement correspondant au travail à temps partiel qui avait fait l’objet de ladécision du 26 juillet 2006, le centre hospitalier de Tréguier a fait une inexacte application desdispositions de l’article 41-1 de la loi du 9 janvier 1986.

1.1.4. InjonctionL’exécution de la présente décision implique que la demande de Mme A tendant à ce qu’un

plein traitement lui soit versé au titre de la période du 28 octobre 2006 au 27 janvier 2007 soitréexaminée au regard des motifs de la présente décision. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre aucentre hospitalier de Tréguier de procéder à ce réexamen dans le délai d’un mois à compter de lanotification de la présente décision. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortircette injonction d’une astreinte.

2. Disponibilité et modalités de la réintégration

2.1. Conseil d’État, 12 mars 2012, no 332091

2.1.1. TextesAux termes de l’article 62 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives

à la fonction publique hospitalière : « La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé

Page 3: Droits sociaux des patients

296 R. Durand / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 294–298

hors de son établissement, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l’avancementet à la retraite. La disponibilité est prononcée soit à la demande de l’intéressé, soit d’office [. . .].Le fonctionnaire mis en disponibilité qui refuse successivement trois postes qui lui sont proposésen vue de sa réintégration peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire.Un décret en Conseil d’État détermine les cas et conditions de mise en disponibilité, sa duréeainsi que les modalités de réintégration des fonctionnaires intéressés à l’expiration de la périodede disponibilité ».

Aux termes de l’article 37 du décret du 13 octobre 1988 relatif à certaines positions des fonc-tionnaires hospitaliers : « Deux mois au moins avant l’expiration de la période de disponibilité encours, le fonctionnaire doit solliciter soit le renouvellement de sa disponibilité soit sa réintégration.La réintégration est de droit à la première vacance lorsque la disponibilité n’a pas excédé troisans. Le fonctionnaire qui ne peut être réintégré faute de poste vacant est maintenu en disponibilitéjusqu’à sa réintégration et au plus tard jusqu’à ce que trois postes lui aient été proposés ».

2.1.2. AnalyseLe fonctionnaire hospitalier en disponibilité depuis plus de trois ans ne bénéficie pas du droit à

la réintégration dès la première vacance, prévu par les dispositions du deuxième alinéa de l’article37 du décret du 13 octobre 1988.

En revanche, il a toutefois droit à ce que des mesures soient prises dans un délai raisonnable,courant du jour à compter duquel il a demandé sa réintégration, pour que trois postes lui soientproposés comme le prévoient les dispositions du troisième alinéa du même article.

À l’expiration de ce délai, le fonctionnaire a droit à ce que les emplois vacants correspondantà son grade lui soient proposés.

2.1.3. Les faitsMme A, adjoint des cadres hospitaliers au centre hospitalier Maréchal-Joffre de Perpignan

ultérieurement dénommé l’hôpital Saint-Jean, a été mise en disponibilité sur sa demande à compterdu 7 juin 1983 pour élever ses enfants puis pour suivre son conjoint.

Mme A avait demandé le 4 mars 1996 sa réintégration à compter du 7 juin 1996 et avait renou-velé sa demande le 2 avril 1996, mais le centre hospitalier, qui n’avait pas fait droit à ces demandes,a ensuite affecté le 13 octobre 1997 un autre agent dans un emploi vacant correspondant au graded’adjoint des cadres hospitaliers et équivalent à celui qu’occupait Mme A antérieurement à sadisponibilité.

En jugeant que cette fonctionnaire dont la disponibilité avait excédé trois ans avait droit àêtre nommée dans un emploi vacant, sans rechercher si le centre hospitalier avait, à la date de lavacance, disposé d’un délai raisonnable pour prendre des mesures afin de permettre la réintégrationdemandée par l’intéressée, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

L’emploi au bureau d’accueil dans lequel le centre hospitalier a affecté un autre agent le13 octobre 1997, et qui constituait par suite un emploi vacant, correspondait au grade d’adjoint descadres hospitaliers détenu par Mme A. À cette date, eu égard à l’importance de l’établissementet à la nature des fonctions pouvant être exercées par l’intéressée, le délai raisonnable dontdisposait le centre hospitalier pour prendre des mesures afin de permettre la réintégration de MmeA et qui courait depuis la date du 7 juin 1996 à compter de laquelle l’intéressée avait demandésa réintégration, était expiré sans qu’aucune proposition ne lui ait été faite. C’est dès lors enméconnaissance du droit de Mme A à être réintégrée dans un délai raisonnable que le centrehospitalier ne lui a pas proposé cet emploi.

Page 4: Droits sociaux des patients

R. Durand / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 294–298 297

Dès lors que Mme A était ainsi maintenue illégalement hors de la position d’activité à laquelleelle avait droit, il s’ensuit que les décisions des 21 janvier 2000 et 5 avril 2002 par lesquelles lecentre hospitalier a refusé à nouveau de la réintégrer sont entachées de la même illégalité. Parsuite, Mme A est fondée à demander l’annulation de ces deux décisions.

3. Imputabilité au service d’un stress post-traumatique causé par le suicide d’uncollègue et falsification du document

3.1. CAA Bordeaux, 9 mai 2012, no 11BX02684

M. X, qui n’avait fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire pendant vingt ans de service, s’estrendu coupable de faux et usage de faux en ayant falsifié un certificat médical en vue d’obtenirl’imputabilité au service d’un stress post-traumatique causé par le suicide d’un collègue, et a rédigédes demandes de reconnaissance d’imputabilité contenant des imprécisions ou contradictions surles circonstances exactes de sa présence lors du suicide de son collègue.

Si ces faits étaient de nature à justifier une sanction disciplinaire, eu égard à l’ensemble des don-nées de l’affaire et notamment aux circonstances, ainsi qu’il résulte de bulletins d’hospitalisationretrouvés, que les renseignements figurant sur le certificat médical litigieux sont exacts, et qu’ildoit être tenu pour établi que M. X est atteint d’un stress post-traumatique pour avoir tenté vaine-ment de raisonner son collègue pour l’empêcher d’attenter à ses jours, le ministre de l’intérieura, en prononcant à raison des faits relevés la révocation de l’intéressé, infligé à ce dernier unesanction manifestement disproportionnée.

4. Grief d’une présomption de toxicomanie

4.1. CAA Marseille, 3 avril 2012, no 09MA03555

4.1.1. FaitsM. Jean-Marie A, né en 1960 et engagé dans la Marine Nationale depuis 1981, nommé quartier

maître principal en 1996 et exercant les fonctions d’infirmier anesthésiste à l’hôpital d’instructiondes armées Sainte-Anne, s’est vu infliger le 4 juin 1998, sur une présomption de toxicomanie,une sanction disciplinaire de 20 jours d’arrêt, alors qu’il se trouvait, depuis la fin du mois d’avrilprécédent, dans un état de santé fragilisé par un « syndrome dépressif réactionnel à un conflitfamilial », selon les termes du médecin du travail de l’hôpital Sainte Anne consulté par l’intéresséle 4 mai 1998.

À la suite d’une demande présentée par M. A en avril 2000 auprès du tribunal administratif deNice tendant à l’annulation de cette sanction, le ministre l’a retirée comme non fondée le 14 août2000.

Cependant, depuis le 26 août 1998, M. A avait été placé en congé de longue durée pour un étatdépressif.

4.1.2. ProcédurePar jugement du 20 novembre 2003, le tribunal départemental des pensions des Bouches-du-

Rhône a décidé, après expertise diligentée auprès d’un neuropsychiatre, l’allocation à compter du17 septembre 1998 d’une pension d’invalidité au taux de 60 %, se décomposant en 40 % imputablesau service et 20 % imputables à l’état antérieur de l’intéressé, au titre d’un psychosyndrometraumatique.

Page 5: Droits sociaux des patients

298 R. Durand / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 294–298

À la suite de ce jugement, l’administration a poursuivi le placement en congé longue durée del’intéressé comme dû à une affection imputable au service.

À l’issue de ses droits à congé, il a été radié des cadres le 26 août 2006 pour inaptitude auservice avec droit à pension, avant la limite d’âge de son grade.

Estimant qu’une faute de l’administration était à l’origine de cette radiation prématurée descadres et lui avait causé des préjudices tant personnels que matériels, M. A a demandé à en êtreindemnisé.

Le ministre de la défense, qui a retiré la sanction infligée comme non fondée, qu’a commis uneerreur de fait entachant d’illégalité la sanction infligée à M. A. Toutefois, cette illégalité fautivene peut ouvrir droit à réparation au profit du requérant qu’à la condition qu’elle soit à l’origined’un préjudice personnel, direct et certain subi par lui.

Il résulte tant du rapport de l’expert diligenté par le tribunal départemental des pensions desBouches-du-Rhône que des énonciations du jugement rendu par cette juridiction que les diffi-cultés psychologiques de l’intéressé étaient temporaires et auraient été rapidement surmontéesmoyennant un soutien psychologique adapté si l’intéressé n’avait pas été accusé à tort de toxi-comanie. Ainsi, la sanction fondée sur cette accusation erronée doit être regardée comme ayantdirectement et entièrement causé le traumatisme durable affectant l’état de santé de M. A, qui ad’abord nécessité son placement en congé de longue durée pendant huit ans, puis a conduit à saradiation des cadres pour inaptitude physique.

L’administration doit, par suite, réparer intégralement l’ensemble des dommages, patrimoniauxou non, endurés du fait de la maladie causée à M. A.

Déclaration d’intérêts

L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.