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1 DU LATIN AU GASCON - En 56 avant J.C., l’Aquitaine entame une longue période de « romanisation épanouie », au cours de laquelle le latin devient la langue dominante plus ou moins bien pratiquée d’ailleurs dans les couches moyennes de la société qui l’adapte à ses besoins les plus concrets. Jusqu’au début du V ème siècle, la civilisation gréco-latine résistera à diverses tentatives d’invasions de « barbares » et va constituer un solide socle intellectuel. Mais c’est à ce moment là, qu’après les Vandales, s’implantent plus durablement les Wisigoths qui ne peuvent cependant pas s’opposer à l’implantation des Mérovingiens, au début du VI ème siècle. Autant d’événements qui entraînent une lente dégradation de la civilisation romaine, malgré les efforts de l’épiscopat romain pour s’y opposer. C’est pourquoi, à la fin du VI ème siècle, le sud de l’Aquitaine romaine connaît la migration du peuple gascon, (ou vascon) venu de la haute vallée de l’Ebre, donc de toute la partie nord de l’Espagne, d’où il est chassé par les Wisigoths, vers 578. Malgré de nombreuses tentatives des rois francs pour la contenir ou dominer les Gascons, notamment en 638, les gascons se sont implantés au début du VII ème siècle, jusqu’au nord de la vallée de la Garonne. Pour désigner cette région, la chronique parle déjà en 602, de « Vasconia », la Gascogne, ce qui prouve l’implantation solide des Gascons dans ce secteur où, pendant au moins mille ans, ils constituent leur dialecte appelé l’aquitain. Il s’est trouvé renforcé car, à la fin du II ème siècle, les Aquitains ont obtenu des Romains leur séparation d’avec les Gaulois afin de constituer « la province des neuf peuples». (Photo 1). Photo 1 : Implantation des Gascons.

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DULATINAUGASCON - En 56 avant J.C., l’Aquitaine entame une longue période de «romanisationépanouie»,aucoursdelaquellelelatindevientlalanguedominanteplusoumoinsbienpratiquéed’ailleursdanslescouchesmoyennesdelasociétéquil’adapteàsesbesoinsles plus concrets. Jusqu’au début du Vème siècle, la civilisation gréco-latine résistera àdiverses tentatives d’invasions de «barbares» et va constituer un solide socleintellectuel. Mais c’est à ce moment là, qu’après les Vandales, s’implantent plusdurablementlesWisigothsquinepeuventcependantpass’opposeràl’implantationdesMérovingiens, au début duVIème siècle. Autant d’événements qui entraînent une lentedégradationdelacivilisationromaine,malgréleseffortsdel’épiscopatromainpours’yopposer.C’estpourquoi,àlafinduVIèmesiècle,lesuddel’Aquitaineromaineconnaîtlamigrationdupeuplegascon,(ouvascon)venudelahautevalléedel’Ebre,doncdetoutelapartienorddel’Espagne,d’oùilestchasséparlesWisigoths,vers578. MalgrédenombreusestentativesdesroisfrancspourlaconteniroudominerlesGascons, notamment en 638, les gascons se sont implantés au début du VIIème siècle,jusqu’aunorddelavalléedelaGaronne.Pourdésignercetterégion,lachroniqueparledéjà en 602, de «Vasconia», la Gascogne, ce qui prouve l’implantation solide desGascons dans ce secteur où, pendant aumoinsmille ans, ils constituent leur dialecteappelé l’aquitain. Il s’est trouvé renforcé car, à la fin du IIème siècle, les Aquitains ontobtenudesRomains leurséparationd’avec lesGauloisafindeconstituer«laprovincedesneufpeuples».(Photo1).

Photo1:ImplantationdesGascons.

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LegascondeviendradoncalorslalanguepratiquéedanstoutelaGuyenne. Elleensera,depuis leXIIème siècle, la langueofficielle, avecAliénord’Aquitainenotamment. Cette langue appartient au domaine linguistique d’oc. Mais elle s’endistingue parce qu’elle contient des traces d’un ancien langage des Basques, aveclesquelslesGasconspartagentdesoriginescommunes.Mais,aprèslavictoire,en1453duroideFrancecontrelesAnglais,ilvaimposersonautoritésurl’Aquitaine.C’estalorsque pouvoircentralroyal vatout fairepour installer le français faceà la langued’oc.Cependant, solidement pratiqué depuis huit siècles, le gascon va rester la langue desaffaires,dupeupleetduclergéqui,poursefairecomprendreduplusgrandnombre,vacontinuerdeleparler. Mais,petit àpetit le français s’impose. Sibienqu’onparleragasconmaisqu’onécrira en français, d’autant plus que le fameux édit de Villers-Cotterêts, signé parFrançoisIeren1539,obligeraàrédigertouslesactesofficielsenfrançais.Ilestvraiquele latin avait commencé à être supplanté par le gascon dans l’écrit administratifbordelais.Sibienque,progressivement,onneparlerapluscomplètementgasconmaisonneparlerapasnonplus entièrement français.Ainsi se créera, notammentdans lesmilieuxpopulaires,unlangageparticulier:lePichadey. LANAISSANCEDUPICHADEY Le gascon va subir huitmodifications phonétiques dans la zone nord où il estutilisé.L’uned’ellesentraînerasurlamutationdelaprononciationdu«f»latinen«h».C’est ainsi, par exemple, que le mot «focum», le feu, donnera «huc», en gascon. Or,curieusement, cette transformation tient dans les limites approximatives de l’actueldépartementdelaGironde,unezoneoùs’estlargementpratiquélepichadey.(Photo2)

Photo2:zonedemutationdu«f»latinen«h»gasconcorrespondantàlapratiquedupichadey(hachurée).

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C’estdanslequartierbordelaisSaint-Michel,célèbrepourleclocherdesonéglise,quecemoyend’expressionvarésisterlepluslongtempsaufrançais.Unquartierdelaville qui se trouve sur une petite hauteur, en latin «pujatorium». Unmot, qui, seloncertainshistoriens,seraitdevenuengascon«puyaduy»puis«pichadey».D’oùlenomdonné au dialecte largement utilisé dans ce quartier. Pour d’autres, «Pichadey»viendraitde l’espagnol«Pichar» (fuites), à rapprocherdupotde chambre,«loupotapichat»,engascon.Enfin,pourlelinguisteSiminPalay,cemotauraitétéapportéparlesvignerons voisins qui venaient commercer à Saint-Michel. Car ce quartier, ce futlongtempslecentred’uneforteactivitéartisanaleetcommerciale. Leboisyarrivaitdu fleuve toutprochesibienqu’ilyavait làunemultitudedecharpentiers,detonneliers,demenuisiers.LaruedesFauresétaitcelledesforgerons,larue de la Rousselle regroupait les sécheries de viande et de poisson, utilisant du selentreposépas loin,quaidesSalinières.Alors,on imaginebienque la fouledesmarins,desartisans,desmarchandslesplusvariésetdesbourgeoisattiréspar lesaffaires–etpeut-être bien par d’autres rencontres- se retrouvait dans les nombreux cabarets quiservaientàboire,commeondisait«àpotsetàpintes». Un brassage de population qui enracina le pichadey et favorisa son expansiongrâceauxéchangescommerciauxquiconvergeaientence lieutrèsactif.Cepichadeyadonc été utilisé couramment dans Bordeaux et tout autour, dans leMédoc et dans lavalléede laGaronne, jusqu’àAgen, toutesrégionsquiavaient-etquionttoujours-desrelations commerciales suivies avecBordeaux.Et sur leBassinqui est aussi etdepuisdes siècles, une zone commerciale privilégiée pour Bordeaux, le pichadey a été parléjusqu’à 1950 environ.M.Maubourguet, un ancien commerçant arcachonnais,m’a dit:«Autrefois,ici,toutlemondeparlaitcommeça».Toutlemonde,sansdoutepas.Maisilestcertainquedesmotsdepichadeyétaientlargementutilisésici. QUERESTE-T-ILAUJOURD’HUIDUPICHADEY? Unrapidesondageeffectuéparmilesquatre-vingtsparticipantsàlarencontredel’Académie montre que des mots venus du pichadey sont largement connus. Royans(sardines);Caner(mourir);Quatreheures(goûter);Rapia(avare);Touiller(remuer);Drolle (garçon);Gueille (chiffon): Plier(envelopper, empaqueter);Dailler (déranger,gêner).Parcontre lorsqu’ilestdemandéaupublicd’exprimerspontanémentdesmotsde pichadey, leur expressionmanque. Cependant, la suitemontrera que desmots luisont largement compris et connus: Mounaque (poupée); Ligasse (mauvaise lie);Lisseuse (repasseuse);Casseron (petite seiche);Charron (moule);Branque (fou), etc.Cesdeuxconstatsquiprouventque,mêmeàl’étatdefossile,cepichadeyestencoredanslessouvenirslinguistiquesdebeaucoupd’habitantsduPaysdeBuchcarcettelanguealongtempsimprégnélelangagelocal.

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Une première remarque basée sur le rapide historique ci-dessus: le pichadeyn’estenrienlegascon.Ilenestunevarianteappauvrie.Seconderemarquerelativeàlatranscriptiondesonexpression:commeleferaobserverMichelDoussy, l’orthographedupichadeyestphonétique,approximativeet fortdiversecar lepichadey futpendantlongtemps un langage oral. Son expression écrite est relativement récente puisqu’onpeutlasitueraveclespremiersécritsdeMesteVerdier,vers1800. LEFONCTIONNEMENTDUPICHADEY Restons dans le concret. Il y a quelques années, j’avais mis en scène deuxauthentiques Testerines (Photo 3) chargées dans «Sud-Ouest» et sur «Radio Côted’Argent»dedédramatiserquelquessituationsunpeutenduesdansl’actualitélocaledumoment.CesdeuxdamesavaientpournomsGermaineLatestude,pourl’uneetMalvinaBoyosse, pour l’autre. Cela, dans la tradition de l’expression du pichadey, puisque desécrivains dont nous reparlerons ont inventé des couples fameux comme Mariote etGuilaoumet ouM’ameSagasseetM’ameSardine. Cesdames Boïates, quiont connudenombreusescalamités,lesracontaient.Etellesprenaientlaparolesansvouloirvraimentlalâcher.

Photo3:deuxsympathiquesetauthentiquestesterines encostumelocallorsdesfêtesdes150ansduchemindeferBordeaux-LaTeste. Florilègeetavant-goûtdeleursmésaventures. - «M’ame Boyosse et les cloches muettes de Saint-Vincent: - «Té, ma pôvre,commeellesbarlumpentplus,lescloches,jem’oublielequatreheuresdudrolle». -M’ameBoyosseetladunesurlarouteentreLaqTesteetGujan,bouchéeparlemairetesterinpourdesraisonsdesécurité:«-M’aginezunpeu:d’uncôtélegonzedeLaTeste,ilrelevaitlesableetdel’autre,leGujaney,ill’enlevait». -M’ameBoyosseàl’opéradeGujan:Ellevoulutvengerl’honneurtesterindevantles propos peu amènesmais humoristiques dumaire gujanais, Michel Bézian, sur laqualitédesfêtesdeLaTeste:«-Tuparlesd’unopéra:tut’emmouscailles,pasqu’ilfautsetrimbalersonfauteuildanslenoir,enpleinmilieudesjoques». -M’ame Boyosse et l’anniversaire du chemin de fer Bordeaux- La Teste: «- Jem’étaisbienlisséunebellerobed’avant1900etunchapeauàplumesquejem’enétaisvu

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detoutetvoilàquec’étaittellement encombrantquejesuisrestéeencarrasséedansmasouillardeetpoursortir,jemesuismisenpichebistedanslacourdespoules» Il y en eut bien d’autres:Mme Boyosse aux prises avec la sanisette de la placeThiers àArcachon,MmeBoyosse aux cours d’ordinateurs,MmeBoyosse et le TGV,Mme

Boyosseauxfêtesduport,etc. Nousétudieronsfonctionnementdupichadey aveccedialoguequinous racontepourquoiMmeGermaine Latestude est contente d’avoir échappé aux risques encourusdurantunebagarre(Ph.4) entrepinasayres,àGujan.MmeBoyossen’yétaitpasetelleexpliquepourquoi.Alors,MmeLatestudeluiraconteledéroulementhouleuxd’undeces«usetcoutumeslocaux»,commeavaitjolimenttitrél’événementChantalRoman.Ilestvrai, comme l’observera Mme Estrade, que les conflits entre Testerins et Gujanaiss’exacerbaient particulièrement lors des matchs de rugby. Il était courant que lessupportrices de chacun des camps adverses viennent, hiver comme été, équipées deleursparapluies,armesoffensivesoudéfensives,selonlatournurepriseparlepugilat.Ces coutumes, d’ailleurs, n’ont rien de particulier au Bassin car on retrouve lemêmegenrederivalitésentrelesportsdetoutesleslagunesdumondeoùchacundisputeauvoisin lesbons sitesdepêche relativement rares surunespace réduit.Toujours est-ilque ce jour-là, La Teste accusera l’équipage de la pinasse de Gujan d’avoirvolontairementgênésamanœuvre,auviragedeladernièrebouéecequientraîneraunejoliebagarre.(Photo4)

Photo4:PugilatsurleportdeLarroslorsd’unefêtedesbateauxenbois Dialogueépiqueetquiauraittoutàfaitpusetenirvoilà50ansentreMalvinaetGermaine:-Ah!Etadieu,M’âmeLatestudevousêtesbiend’attaquecematin!-Ca,vouspouvezledire,M’âmeBoyossequejesuisjouassedepasavoircanéaprèscequej’aivuhiertantôt.Maisquej’enaiencorelatêtecommeuncibotetquec’estpourçaquejesuisencoreencheveux,qu’ondiraituneclouque.-Ehbé!Quandmêmequevoussoyezjouasse,çanouschangeravousquirouscailleztoutletemps!-Vousn’allezpasmechercherpasquen’empêchequ’àGujanj’aibienfaillicaner!-Etdirequej’aimanquéça!Etpourquoi?-Hébé!Maginezunpeuquejesuisétéàlafêtedespinassottes,àGujan.-Etmoique j’ai paspum’envenir avec vouspasque jem’endeCaudrot, vous savezbien, là oùmon dernier fils, il reste pasqu’il fait lemaître d’école là-bas. Et c’était le

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baptême de son dernier drolle, celui que je vous ai dit qu’il est tout pigassous et quiarrêtepasdebrameretmêmedechoumiquer.Etmêmequejetrouveaussiqu’ilestunpeublanquignous.Jemedemandesimanoreellesaityfaire,m’enfin.Etalors,ledîner,c’étaittellementunehartérequecematinj’ensuisencorecomplètementescagassée.-Tépardi!-Etalors,dites:àcequ’ilparaîtqu’ilya eudelatumadeàGujan?Hébé!Gueyteautroucommevousêtes,vousavezdûaumoinsvouspitertropprèsdeladérouilléequeçam’étonneraitpasquevousayezramasséunebouffeetquel’émotionçaauraitpuvousfaireuneattaque.- Dites, heureusement que non! Mais figurez-vous, ma pôvre, qu’à la course au port deLarros, que j’étais là à tout bader,m’aginez que les pinassottes elles allaient à bomber,pasquelesdrolless’esquirchinaientàramerpourqueçatrissedevanttoutletrèfledanslestribunesetc’estjusteàcemomentquelabarcassedeGujan,dites-donc, elles’estmiseàtrafiquerjesaispasquoi,juste,maisalorsjustedevantlesnôtres.Vouspensezbienqu’ilsontprislegnac!-Non!-Si!-Etalors?-Alors,après,vousavezunegonzefumasse,unrougnous,jevousledis,unespècedegrandcassé,leplustignous,quis’estchopélaquinte,justesurleraidillonduport!Desuite,surunpilot,ils’estprisunboutdepignot,maisataoulepignot,pourallerlechibrersurl’arêteduGujanais.Mapôvre,l’autre,desuite,ilserend!Alors,ilsontcommencéàsetuster,àsefoutre un de ces bombages d’arête, dans l’eau, dites, que ça gisclait de partout et qu‘ilsétaienttouttrempe.Lesristeous,autour,ilssautaienttellementhautqu’onauraitditqu’ilsfaisaientlemascaret!Ilssesontmisunedecesroustes,unedecesbranléesqu’onseseraitcruauruby.J’enétaissisangglacéequ’onn’auraitmêmepaspufaireunesanquetteavec,tellementquej’aieuletremble!-Oh!Anti!Dion!Maism’estonnepas:lemondedeGujan,ilssontrougnous!Etalors?-Etalors?Pardine,ilssesontfaitquelquespetitesescarougnassesetpleindebrognesetaprèsilsse sont ramités et ils se sont mangés un plein toupin de tourin à l’ail, tousensemble. Letableauci-dessousdonneunetraduction,enlangagesoutenu,desproposdecesdames.Leschiffresentreparenthèsescorrespondentàdesremarquesparticulièressurdesmotsetdestournuresutilisésenpichadey:-Ah! Et adieu, (1) M’âme Latestude vousêtesbiend’attaquecematin!

- Bonjour, Mme Latestude, vous êtes biendécidée,cematin!

-Vouspouvezledire,M’âmeBoyossequejesuis jouassedepasavoircanéaprèsceque j’aivuhier tantôt.Mais j’enaiencorelatêtecommeuncibot(2)quec’estpourça que je suis encore en cheveux qu’ondiraituneclouque.

-Jesuisjoyeuseden’êtrepasmorteaprèsceque j’ai vu hier après-midi. Mais ma têtetournecommeunetoupie.C’estpourquoijesuis complètement décoiffée et que jeressembleàunepoulequicouve.

-Eh bé! Quand même que vous soyezjouasse, ça nous changera vous qui

-Hébien!Celanouschangequevoussoyezde bonne humeur parce que d’habitude

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rouscailleztoutletemps!

vousronchonneztoujours.

- Vous n’allez pas me chercher pasquen’empêchequ’àGujanj’aibienfaillicaner!

-Neprovoquezpascariln’empêchequej’aibienfaillimouriràGujan!

-Hébé!Maginezunpeuquejesuisétéàlafêtedespinassottes,àGujan.

- Pensez que je suis allée à la fête desbateauxtraditionnelsàGujan.

- Et moi que j’ai pas pu m’envenir avecvous pasque je m’en reviens (3) deCaudrot, vous savez bien, là où mondernier fils, il reste (4) pasqu’il fait lemaîtred’écolelà-bas.Etc’étaitlebaptêmedesondernierdrolle, celuique jevousaidit qu’il est tout pigassous et qui arrêtepasdebrameretmêmedechoumiquer.Etmême que je trouve aussi qu’il un peublanquignous. Jeme demande sima noreellesaity faire,m’enfin.Etalors, ledîner,c’était tellement une hartére (5) que cematin j’en suis encore complètementescagassée.

-Etmoiquin’aipumejoindreàvouscarjesuis allée à Caudrot où mon dernier filshabitecarilyestprofesseurdesécoles.Celaà l’occasion du baptême de son derniergarçon.C’estceluidontjevousaiparléquiestcouvertdetachesderousseur.Ilnecessepas de pleurnicher et même de hurler. Deplus, je le trouve un peu pâlichon. Je medemande si ma belle-fille sait bien s’enoccuper. Mais que faire? Or, le déjeunerétaittellementcopieuxquecematinjesuistrèsfatiguée.

-Té,pardi! -Etmondieu!-Et alors, dites: à cequ’il paraît qu’il y aeu de la tumade (6) à Gujan? Hé bé!Gueyte au trou comme vous êtes, vousavezdûaumoinsvouspiter(7) tropprèsde la dérouillée que ça m’étonnerait pasque vous ayez ramassé une bouffe quel’émotion ça aurait pu vous faire uneattaqued’émotion.

- Dies-moi: on prétend qu’il y a eu deséchauffourées à Gujan? Curieuse commevous êtes, vous avez dû vous installer tropprès du lieu de la bagarre. N’auriez-vouspasreçuunegrossegiflequiauraitpuvousdéclencherunAVC.

- Dites, heureusement que non! Maisfigurez-vous,ma pôvre, qu’à la course auportdeLarros,que j’étais làà toutbader,m’aginezque lespinassottesellesallaientà bomber, pasque les drolless’esquirchinaient à ramer pour que çatrisse devant tout le trèfle dans lestribunesetc’est justeàcemomentque labarcasse de Gujan, dites-donc, elle s’estmise à trafiquer je sais pas quoi, juste,mais alors juste devant les nôtres. Vouspensezbienqu’ilsontprislegnac!(8)

- Songez, ma pauvre amie, que durant lacourse, alors que j’admirais les bateaux enbois qui allaient très vite car les jeuness’épuisaientàramerafind’accélérerdevantles notables qui se trouvaient dans latribune. A cet instant, le mauvais bateaugujanais, je l’imagine, a voulu tricher sousles yeux de notre équipage. Vous pensezqu’ils’estmisencolère.

- Alors, juste après, vous avez une gonzefumasse, un rougnous, je vous le dis, unespècedegrandcassé,leplustignous,quis’est chopé la quinte, (9) juste sur le

-Toutaussitôtunhommefurieux,méchantjevousl’assure,ungrandetmaigremaisleplusvindicatifs’estmisdansunevivecolèrealorsqu’ilgravissait lapetitecôteduport.

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raidillonduport!Desuite,surunpilot, ils’estprisunboutdepignot,maisataou,lepignot,pouraller lechibrersur l’arêteduGujanais.Ma pôvre, l’autre, de suite, il serend!

Aussitôt, il s’est saisi d’unmorceaude boisdepin,trèslongafindelebrisersurl’échineduGujanais.Cedernier,immédiatement,riposte.

-Alors,ilsontcommencéàsetuster,àsefoutre un de ces bombages d’arête, dansl’eau, dites, que ça gisclait de partout etqu‘ils étaient tout trempe. Les risteous,(10) autour, ils sautaient tellement hautqu’on aurait dit qu’ils faisaient lemascaret!

- Donc, ils ont commencé à échanger descoups,àselivreràundurpugilatdansl’eauqui éclaboussait partout. Ils étaientcouverts d’eau. Les petits mule, autourbondissaientcommes’ilsavaientjouerdanslemascaret!

-Ilssesontmisunedecesroustes,unedeces branlées qu’on se serait cru au ruby.J’en étais si sang glacée qu’on n’auraitmême pas pu faire une sanquette (11)avec,tellementquej’aieuletremble!

- Ils se sont mis une telle correction, unetelle raclée qu’on se serait cruà unmatchderugby.J’avaissipeudesangqu’ileutétéimpossibled’enfaireune«sanquette»tantjetremblai!

-Oh!Anti!Dion!Maism’estonnepas:lemonde de Gujan, ils sont rougnous! Etalors?

-Mondieu!MaisjenesuispasétonnéecarlesgensdeGujansonttousméchants.

- Et alors? Pardine, les drolles (12) ils sesont fait quelques petites escarougnassesetpleindebrognesetaprèsilsse sontramités et ils se sont mangés un pleintoupindetourinàl’ail,tousensemble.

-Mondieu, ilssesont faitde légèresplaieset beaucoup de bosses. Ensuite, ils se sontréconciliés et ils ont mangé toute unesoupièredesoupeàl’ail.

(1) «Adieu» vient de l’occitan: «Adiu» et signifie aussi bien bonjour qu’au-

revoir.(2) Le«Cibot»seretrouvedansunecomptinecélèbre:«JeanCouillon,veux-tu

faireàlapaume?Nonmaman,jeveuxfaireaucibot».Anoterlatournure:on «fait à la balle», «il fait au football» ou avec un autre sens:«elle entraindes’yfaire».(Elletravailledur)Unetournurecalquéesurlegascon.

(3) «Je m’en reviens»: on regagne un endroit. Le contraire de la tournurefrançaiseou«Jem’enretourne»signifie:jerepars.

(4) «Ilreste»:ilhabite.Enoccitan,resten’estpasintransitifcommeenfrançaisoùl’ondit«Resteici».

(5) «Hartère», vientdugascon«hart»quivient lui-mêmedu latin«farctus»(farci).

(6) «Tumade»:unmotcourammentutilisédanslacourselandaise:«T’aspasasseztirélacordeetj’aiprisunetumadedanslesfesses!».

(7) «Pité»:seditaussipourpousserquelqu’un«nerestepaspitélà».Aujeudebilles,on«pitelebut».

(8) « Le gnac»: du verbe «gnaquer» (mordre) «Un chien, c‘est fait pourgnaquer».(GuySuire)

(9) «Quinte»: en colère. «Quintous»: coléreux. «Il te file une gnosque sansprévenir».Paranalogieavecla«quinte»detoux,censéerevenirtouteslescinqheures.

(10) «Risteou»:(ou«ristey»).Unpetitmulet,undecesmotsduBassindontvaparlerMichelDoussy.

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(11) «Sanquette».Faiteàpartirdusangd’unpouletquel’onsaigne.Onlefaitcuireà lapoêleavecde l’ail.Précaution: il faut l’agiteravecdespaillesdebalaipouréviterqu’ilcoagule.

(12) «Drolle»(ou«drôle»)Maisselonlesspécialistes,ilfautl’écriredrollecequicorrespondmieuxàlaprononciationgasconne.Unmottrèsusité:«Ilatroisdrolles»,«Unbeaudrole».Féminin:«drollesse»,maisc’estpéjoratif.

LACONSTRUCTIONDUPICHADEY L’originedesmots Comme dans toute langue, le vocabulaire du pichadey s’est construit au fil dutemps sous plusieurs influences: le lieu de vie du locuteur, les emprunts à diversessourceslinguistiques,l’évolutionhistoriqueetlaconstructiondesmots. LesvigneronsduMédoc, lesmaraîchersdeMacauou leséleveursdeBazasontétabli leurs mots, de même que les marins ou parqueurs du Bassin qui ont créé unvocabulaireparticulièrementriche.Exemples:MOTS TRADUCTIONS REMARQUESBouc Crevettegrise Brigne Barmoucheté Parfois:coups,bossesCasseron Petiteseiche Cayoc(dugasconcalhoc) Mouette DésigneaussiletouristeChancre Petitcrabe Cipe Grosseseiche Casseron Seichecomestible Coustut Poisson:chinchard Charron Moule Villecharentaise:CharronHagne(gascon) Boue,vase OnycueilledesclanquesLoubine Barouloup Maline Fortemarée Aussi:réservoirMourquin Grosseanguille Vendangeur Petitrouget SepêcheenseptembreClovisse Palourde Gravette Huîtreplate Denréerareaujourd’huiGrondin Poisson Trahine Pêcheaufilet DubateauverslaterrePalet Pêcheaufilet LefiletestsuspenduPirelon Grondin Habitantsdel’AiguillonPissevinaigre Olothurie CommelenomleditDétroquer/Desatroquer Opérationssurleshuîtres

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Lesempruntsdemots Lepichadeyaempruntédesmotsauxlangagespratiquésavantsonapparitionouàd’autres,issusdediversapportsliésauxmouvementsdepopulations.Voiciquelquesexemplesdecesemprunts.ORIGINES RELEVESDESMOTS-Gasconouoccitan

-Caner:deescanar(étrangler)-Roumaguer:dearroumegar-Hartére:hartar-Escagassée:escagassar(réduiteàrien)-Tumades:tumar(heurterdefront)-Gueyter:piste-gueyte-Piter:apitar(fixerdebout–dresser)-Escarciner:carcinat(épuiséparlamaladie)-Gnac:gnaquer(mordre/morceau/dumordant)-Rougnous:rogna(galeux)-Branque:brac(fou)-Quinte:quintous(souventencolère)-Pilot:pile(tas)/diminutif:ot-Ata(o)u:ainsi-Trafiquer:Traficar(manigancer)-Tuster:Tustar(sebattre)-Giscler:chisclar(jaillir)-Mascaret:ungrosbœufàrobenoire,blancheetgrise.-Anti:antigueille(juron).-Brogne:bronha(bossesurlefront)-Tourin:torrin(soupeàl’ail)

-Françaisancien - Rouscailler: contraction de «rousser» (gronder) et de«cailler»(bavarder)-Mornifle.!-Bader:latinbadarer(bailler)-Tréfle:trèpe(notables)pej.-Toupin:toppin(pot)-Pinasse:espinace(bateauenbois–1461)

-Autresorigines

-Baranguine:esp.barriochino(alentour)-Cabesse:esp.(tête).-Mina:esp(vaurien)-Cagouille:charentais(escargot)-Boraquion:(espborraco)Ivrogne.-Rosque:(esprosca).Painencouronne.-Péguegne:(esppequeno)Petit.-Mariol:italien(malin)

Onpeutdoncobserveràpartirdetoutcequiprécèdequel’influencedufrançaisestprimordialedansl’expressionenpichadey.Sanslefrançais,impossibledefaireune

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phraseenpichadey.Deplus,lesmotsfrançaisdominentdanslaphrase.Onleconstateennotantque,surlescentpremiersmotsdudialogueentrecesdames,oùl’oncompteenvironetseulement,20%demotsenbordeluche..Deplus,l’empruntauvieuxfrançaisestnotable. Une autre influence est remarquable: celle des langues ibériques, espagnolenotamment.Commentl’expliquer? Pourcertainsbordelais, lecoursde l’Yserc’estencore«larouted’Espagne».Cequi illustrebien le faitqueBordeaux futdepuisaumoins ledébutduXIXème siècleuncentreimportantd’immigrationespagnole.Elleacommencéaveclasuccessiondestroisguerres carlistes, de 1833 à 1876. Au début du XXème, on estimait déjà à 3% la partd’espagnolsdans lapopulationbordelaise.Larecherched’emploisdans lagrandevilleparunepopulationespagnolepauvreexpliquecetaffluxquiaétérenforcéparl’exodedesrépublicainsdevantleputschmilitairedeFranco,entre1936et1939.Etpuis,dansles années 60, il y a un afflux de main d’œuvre espagnole pour des emplois dans lebâtiment et les services à domicile. Finalement, on estime que quatre générationsd’émigrés espagnols sont installées dans Bordeaux. C’est pourquoi, en pichadey, denombreux mots désignent les Espagnols mais le plus souvent péjoratifs car cesimmigrationsfurentmalacceptées.Ilsétaientaisidésignés:Cuirs,Espadres,EspingosouCarraque(bateauarabe). Autre constat évident et facile à expliquerpar l’histoirede l’Aquitaine: la pluslargepartdesmotsouexpressionsenpichadeyvientdel’occitanengénéraletdugasconenparticulier,c’estàdired’unelangueromane, Parcontre,onobservelanetteabsenced’influencedelalanguebritanniquealorsquelesAnglaisontdominécetterégiondemanièreplusoumoinspermanente,de1137à1453etqu’ilsyaient,alorsetdepuis,établid’étroitesrelationséconomiques.CelavientdufaitquelesAnglaisparlaientgascon... Lamorphologiedesmots Lephénomènepourlepichadeyn’estguèreoriginal.Sesmotssesontconstruitsaufildesbesoinsd’expression,soitenreproduisantdessonsnaturels,soitencréantdesmotscomposés,soitenfinparadjonctionsdepréfixesoudesuffixes.Envoiciquelquesexemples: -Onomatopées:Gnique-gnaque(mâcheravecdifficulté)Tit:petitoiseaugenrefauvette -Parcompositionsdemots:Marie-Gringon(Femmenégligée)Prénom+Balai :Croûte-rouge:(FromagedeHollande) :Sang-glacé:prendrefroid. -Parsuffixesàuneracine.Voicilesprincipaux: :Suffixediminutif:Palichot(Pâlichon) :Tranquillot(Trèstranquille):Sacot(Petitsac)

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:Barricot(Petitebarrique) :Suffixedépréciatif:(ous)Blanquignous(Trèsblanc) :Tignous(Teigne:agressif) :Suffixepéjoratif:Ligasse(Mauvaislien/pansement) :Folasse(Écervelée) :Caminasse(Mauvaischemin) :Journasse(Durejournée). -Parpréfixes:Leprocédéestplusrare.Envoiciquelquesexemples: :Rapetasser(Raccommoder).Re+Apetasser :Matefaim(Rassasier).Mata(gascon:tue)+faim :Echoppe.(Petitemaisonbordelaise)E+Chopa(Gasc.) QUIPARLAITLEPICHADEY? Pour répondre à cette question il existe quatremoyens. Le premier consiste àétudierquelestleregistreduvocabulaireutiliséparleslocuteurs,c’estàdirequelssontles concepts qui dominent dans leurs désirs expressifs. Le deuxième, porte sur lasyntaxe utilisée. Le troisième est un relevé d’expressions couramment usitées dans lelangage. Enfin, le quatrième sera une carte des lieux où ce pichadey a été le plusfréquent. Leregistredupichadey Les lexiques les plus courants concernant le pichadey relèvent environ 1500mots. Ce qui est relativement pauvre, si on les compare aux15000mots étudiés parLittré. On peut relever leur répartition portant sur 25% d’entre eux. Voici, dans letableauci-dessous,selonquelsconceptsgénérauxilsserépartissent:DESIGNATIONS EXEMPLESD’EXPRESSIONSViequotidienne(50%)-Cuisine/Ménage(7%)

-Aproprir:nettoyer(Rendrepropre)-Calotte:assietteàsoupe/Achabrot.-Gringon:houx(sertàfaireunbalai)-Gringoner:faireleménage.-Coupiller:couperenmorceaux-Fraichin:mauvaiseodeur-Gatouneyre:litduchat.(degat:chat/gatoune)-Lesif:eaudevaisselle/delessive-Cristaux:(desoude)pournettoyer.-Lisser:repasser.Lalisseuse(repasseuse)-Pedas:pièceàunvêtement.-Rapetasser:mettreunpedas.-Ragasser:frotter-Demingue:mauvaisequalité.Ou:chiroule-Branjoler:remuer/bancal/avoirdujeu-Couriole:fileindienne.Fairelaqueue

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-Attitudes/Actions/Situations

- Serrer: ranger. «Mes sous, je me les serre dansl’armoire»-Dandiner:bercer.Ladandine:balançoire-Giscler:jaillir.«L’eauagisclé,jesuistouttrempe»-Encarasser:empiler,entasser,coincer-Margagne:mauvaisemaille(entricotant)-Ligasse:mauvaispansement-Abatd’eau:averse-Brousin:crachin.«Cabrousine»-Bader:bailler/regarder-Bavasser/Blagasser:papoter/parlerinutilement-Chacailler:provoquer-Fumace:êtreencolère-Claquet:languebienpendue-Cagne:laflemme.-Feignas/Feignassous:paresseux-Canule:ennuyer.‘Tunouscanules»-Mail:travail./Mailler:travailler.-Sentigous:grincheux/Sentigousse(fem.)-Ramasser:s’infecter.«Tabouffiolevaramasser)-Bouffiole:boutonsurlapeau.-Grate:démangeaison/Gratoles:chatouilles-(S’)Espatarasser:choirdetoutsonlong.-Pougniquer:tâter,pincer/Pougnaquer:triturer- Suivre: emporter. «Il brousine, jeme fais suivre leparapluie».

-Aliments(Boucherie,charcuterie)-Légumes

-Camageot:Jarretdeporc(pourlasoupe)-Enchau:filetdeporc-Penon:labavette`-Osseline:hampe-Nombre:onglet-Caprin:dessusdecôte-Ganure:morceaudecou-Merlan:morceaudansl’entame-Ouverture:tranchegrasse-Palanque:bavette-Anguille:pièceàbouillir-Fichu:pointederumsteck-Pointeàl’os:latranche-Rosette:côtedebœufbienronde.-Malheureuse:côteoùiln’yaquedel’os.-Ragougne:mauvaismorceaux.-Ragougnasse:mauvaisecuisine-Doucette:lamâche-Joutes:blettes-Aillet:jeuneail-Fanfaronnes:Haricotsblancs

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-Têtenoire:cèpedechêne-Barragne:poireausauvage.

-Platsdepauvres -Tourin:soupe(àl’ail,àlatomate...)-Cruchade:grossecrêpeàlafarinedemaïs-Mique:paindemillet-Pauvrehomme:saucemaigre(oignonsetpommesdeterre)-Sardinesdebaril:conservéesausel-Soupedemaçon:trèsépaisse-Bougras:soupedecuissonduboudin-Goussade:frottéeàl’ail(degousse)-Herbière:œsophagedebœuf(ensauce)

-Agriculture-Vigne(10%) -Acaner:lierlepieddevigne-Apiloter:mettreentas(enpilot)-Baste:cuve.Origineitalienne-Bonde:bouchondelabarrique-Brégne:lesvendanges.Brégner:vendanger-Cantine:bonbonne-Carasson:piquetdevigneenacacia-Château:propriétéviticole(depuis1924)-Ecoulage:premiersoutiragedevin-Gerbaude:dernierrepasdesvendanges.-Rége:espaceentredeuxrangéesdeplantation-Tutut:tuyaupourtransvaserlevin-Vime:osierpourlierlavigne.

-Lescoups - Castagne; Patac; Bouffe; Taquet; Se tuster;Gnosque;Torgnolr;Brignon;Ramponneau

-Lesoutils -Bourgne(nassed’osier)/Vieillefemme-Dailler:grandefaux-Gardale;cuvette.-Guingasson:cloudetapissier-Sarclet: outil de jardin à tout faire (sarcle,sarclette)-Ombrière:canisses

-Lecorps(5%) -Escarougnasse:éraflure-Fiçon:lalangue-Fignes:lesfesses-Garailles:lesjambes-Obares:oreilles.Obarassses:grandesoreilles-Pigasses:tachesderousseur.Pigassous.-Poupasses:grosseins-Bajaoules:jouespendantes-Ligagne:blancaucoindel’œil/Lagagnous-Agasses:lespieds-Parpageot:gorgedesfemmes-Badigoinces:lesmoustaches

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-Jurons/Moqueries -Putain/Putaindemoine

-Pardine:pardieu-Con(sertparfoisdeponctuation)-Boudiou:bondieu-Macagnique:maquereau-Fideloup:filsdeloup-Fideputain(dugasconhilhdeputa)-Antigueille/Enquillé/Enqui.-Brancaille-Couillon-Ohami!:ohlàlà!-Tronchedegail:entêté.-Pandreille:malvêtu-Artoupan:vaurien-Bestiasse:imbécile-BonpourCadillac/Picon:fou-Chat-fouin:sournois-Counilheur:tatillon-Cimeur:coureurdejupons-Nia-nia:naïf.

-Interjections -Dion!-Brancaille!-Oba(paspossible)-Dia!MadameCastagnet!–Dia!Tétété:(attention)Volaillededinde!-Entroufifardé!-Ohvolaille!-Entrogné!-Puteborgne!

Onpeutajouteràce tableau lesmotsrelatifsàlapêche,à l’ostréicultureetauxpoissons(5%)commeindiquéplushaut.Enfin, lesactivitéssexuelless’exprimentdansun vocabulaire conséquent (5%). En voici un échantillon parmi les moins verts:Bigoudi, calibre, créateur, chinois, chibre, dextre, élastique, lime, nouille et seize autresencore qui désignent le sexemasculin en ses divers états. Quant au sexe féminin, sesévocations ne sont pas en reste: chabichou, choune, chounette, chounasse, parpagette,coucoune,coucounette,trapanar. CARACTÉRESPARTICULIERSDELASYNTAXEDUPICHADEY Certainestournuresdephrases constituent l’originalité et l’une des particu-larités du pichadey par rapport au français. En fait, beaucoup viennent de procédésgrammaticaux que l’on retrouve fréquemment dans le gascon. Les spécialistes encomptentunebonnedouzaine.Voicilespluscourammentutilisés:

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SYNTAXE FONCTIONNEMENT«-Jesuisété»(Jesuisallé) -De«soiestat»del’occitanoùleverbeêtreestauxiliairedu

verbeêtre.«-Jem’enreviens».(Jereviens) - Imitation du gascon où le pronom personnel réfléchi est

renforcé:*«Nousautres,nouspartons».*«Ilsvousl’ontdonnéàvousautres».*«C’estànousautresdenousdécider*«Commetuesbonàdalle,jemelefais».*«Jemesuisoubliéleparapluie.Etqu’est-cequejem’ensuisfait?»*«Ils’estprisunboutdepignot»*«Ilssesontmangésuntoupindetourin»*«L’autre,ilserebiffe!».

«-Etquejetrouvequ’ilest»(Jeletrouve)

-Procédéexplétifaveclerelatifque*«-Celuiquejevousaidit».*«-C’estcequejedoutais».*«Etmêmequejetrouvequ’ilestblanquignous»*«Ledîner,quec’étaitunehartère».

«- Les pinasses, elles allaient àbomber».

-Insistanceavecunerépétitiondusujet:*«LabarcassedeGujan,elles’estmiseàtrafiquer».*«Touslesristeousautour,ilssautaient».

L’INFLUENCEDESBESOINSEXPRESSIFSLIÉSAUMILIEU LesvigneronsduMédoc,lesmaraîchersdeMacauouleséleveursdeBazasontcrééleurspropresmots.Demême, lesmarins et les parqueursduBassin ont-ils uséd’unvocabulaire particulièrement riche qui désigne les outils de travail, les méthodesemployées ou les produits du «terroir». Voici par exemple quelques-uns de ceux quidésignentdespoissonsetdescrustacésduBassin.MOTS TRADUCTIONS REMARQUESBouc Crevettegrise Brigne Barmoucheté Parfois:coups,bossesCasseron Petiteseiche Cayoc(dugasconcalhoc) Mouette DésigneaussiletouristeChancre Petitcrabe Cipe Grosseseiche Casseron Seichecomestible Coustut Poisson:chinchard Charron Moule Villecharentaise:CharronHagne(gascon) Boue,vase OnycueilledesclanquesLoubine Barouloup Maline Fortemarée Aussi:réservoird’eausalée

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Mourquin Grosseanguille Vendangeur Petitrouget SepêcheenseptembreClovisse Palourde Gravette Huîtreplate Denréerareaujourd’huiGrondin Poisson Trahine Pêcheaufilet DubateauverslaterrePalet Pêcheaufilet LefiletestsuspenduPirelon Grondin Habitantsdel’AiguillonPissevinaigre Holothurie CommelenomleditDétroquer/Desatroquer Opérationssurleshuîtres Ces«péchouneyres»venusduBassin,notammentdeLaTeste,ontapporté leurpêcheàBordeaux,maisaussileursmots,celapendantdessiècles.Apartirde1749,ilsserendirentaumarchédesCapucins,(Photo5)les«Capus»commeonditaujourd’hui,alors que pendant longtemps ce marché s’appelait «Porte neuve» en raison de sapositiongéographiquedanslavillequigrandissait.

Photo5:LemarchédesCapucins,verslafinduXVIIIèmesiècle ExactementcommeilyeutlequartierSaint-Pierrequiaconstituéundescentresde développement et d’utilisation du pichadey en raison de la convergence denombreuses activités économiques, aux Capucins arrivaient, tous les jours et grandnombre dans ce «ventre de Bordeaux» toutes sortes de marchands de fruits, delégumes, de viandes, de poissons, d’épicerie. Ils venaient de toute la périphérie deBordeaux,maisaussidesLandes,duGers,duborddemer. Il seproduisaitdonc làunformidablebrassagedepopulations,degensquiéchangeaient leurmanièredeparler,etquilarépandaientensuitedanstoutelazoneoùsepratiquaitlepichadey. Un autre vecteur du pichadey à travers Bordeaux, cette fois, ce furent les«recardeyres». (Photo6) A tous les carrefoursde la ville, équipéesde leur charreton,ellesrevendaientaudétaildesfruits,deslégumes,despoissons,qu’ellesavaientachetésparfoisdansdetrèsbonnesconditions,marchandantdessurplusoudesinvendus. Encontactavectoute lapopulation,ellesrépandaientdanstoutes lescouchessociales lesmotsdescapucins.S’ajoutaientaux termespropresà leursmarchandises, lesdisputes

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pourdéfendre leur territoire, les«aillades» avec les agentsde ville, les «arrails», ouencorelesdémêlésavecleursclientesdifficilesoùellesmontraientalorsunsensétroitdu sourire commercial: «- Pas fraîche, ma brigne! Mais t’as pas vu ta tronche!».Ensomme,ellesétaientcommel’undesplusimportantsvecteursurbaindupichadey.

Photo6:Lesrecardeyresenactiondansuneruebordelaise. Ainsi, autour des Capucins se développa un cocktail linguistique puisant sessourcessurtoutautourdutravail.Cequinepouvaitque produireun langageà l’objettrès concret, très réaliste et finalement technique. Un constat qu’il était possible defairedansd’autresquartierspopulairesdeBordeauxcommeMériadeck,disparudepuis1955 environ ou dans Bacalan, au nord-ouest, où se développaient les usines etaujourd’hui en pleine transformation. Autant de foyers du pichadey définitivementenvolés.C’estsûrementlàleseulregret–etencore-quepeutentraînerleurdémolition! UNELANGUEAUREGISTREFAMILIER A partir des diverses observations figurant plus haut, on peut faire plusieursremarques. On chercherait en vain l’expression en pichadey de concepts de poésie, desensibilité, de rêverie, d’imaginaire ou de philosophique, de tout qui ne serait pasconcret.Onn’adoncpasaffaireàunelangueintellectuellemaisàunlangagenemaniantpasautrechosequelaréalitédesjoursquipassent.Sansdouteuntémoignaged’uneviedifficile.C’estunelanguedetouslesjours.Onpeutpenserquelegasconoulefrançaiss’utilisaient, eux, pour exprimer les subtilités du cœur, de l’âme et de l’esprit. Lepichadeyétaitlalangue«dudimanche»,commeonledisaitpourlecostumeréservéauxgrandesoccasionsdelavie

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Évidemment,ons’éloigneainsitrèsloindelapoésielyriqueoccitanechantéepardes troubadours comme Jaufré Rudel, prince de Blaye, vers 1150 ou comme l’avocatBazadaisPeiredeLadils,couronnéauxJeuxflorauxdeToulouse,en1323.Plusprèsdenous,ilfautciterlepoètetonnelierVigier,chantredesesrêvesetdesescolères.Maisleplus grand chantre gascon moderne, c’est Jasmin (1798-1864). Servi par lescirconstances littéraires de l’époque -le romantisme mâtiné de socialisme- et parl’intérêtsoulevéparlavieprovinciale–MadameBovaryparaîten1857-Jasmindevientà Paris le poète populaire provincial célébré par Lamartine, couronné par l’Académiefrançaise,décorédelaLégiond’honneuren1845,enmêmetempsqueBalzacetMusset.IlseconsidéraitcommelepoèteofficieldelaGascogne.Iln’eutpaspourtantlacélébritédeMistral,prixNobelde littératureen1904,peut-êtreparcequ’ilnerenia jamaissoninspirationpopulaire. Mais il existe bien un lien entre Jasmin et le pichadey: il s’agit d’un langagepopulaire,comme l’ontmontré lesdiversesobservations faitesplushaut.Lepichadey,c’estdoncavanttoutunelanguepratiquéeparlepeuple.(Photo7)

Photo7:OuvriersdeBacalanen1950 Cetonpopulaire,onletrouveaussidansuneexpressionfortmisogyne,dufaitquelepichadeyestplutôtunlangaged’homme.Qu’onenjugeaveccepetitéchantillondetermesdévalorisantlesfemmes: -Grougnes,grougnasses:femmespeurecommandables, -Michemaigre:àpetitepoitrine -Sangougne,sangougnases,Marie-Pingo:femmesnégligées. -Bourgne:vieille(commeunenassepourpêcherlesanguilles)! -Gigasse:grande -Pistelle:négligée -Sauteauxprunes:nymphomane

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-Castamée:vérolée -Chouneàbœuf:péripatéticienne(Dugasconchune:chuted’eau). Toutefois, d’autres milieux, même les plus bourgeois, utilisaient trèsconsciemment,aumoinsdesmotsoudesexpressionsdupichadeyafind’affirmeruneespèce de patriotisme bordelais, une fierté d’appartenir à une région qui a toujoursexprimé sa liberté d’esprit. Son attachement à la GrandeBretagne auMoyen–Age faitque l’autorité des rois de France, n’a jamais été vraiment acceptée par les notablesbordelais.La forte influencesocialedecesentrepreneurs, leplussouventaudacieux,ajouéungrand rôledans cet étatd’esprit issud’unprotestantisme libéral, important àBordeaux et aussi parce que le commerce international que pratiquaient ces notablesconquérantsapportait à la citéunevisionplusgénéreusede lavieetpar conséquent,une large tolérance. Pensons à l’indépendance d’esprit d’un Montaigne, d’unMontesquieu ou d’unMauriac. Ou bien évoquons l’Ormée, ce parti bordelais, qui, de1650 à 1653, durant la Fronde, s’opposa à la monarchie et s’inspira des Niveleursanglais,quiàlamêmeépoque,réclamaientl’égalitédesdroits.Atelpoint,qu’augranddam des bourgeois apeurés, les Ormistes signèrent un manifeste où figurait «lesprincipes d’une République». Songeons encore à la révolte des Girondins contre lepouvoir centralisateur des Montagnards, durant la Révolution. C’est cet état d’espritgirondinbienparticulierquipeutexpliquerl’essorprisparlepichadeyquienestunpeucommel’étendard.LAGRANDEORIGINALITÉDUPICHADEY:L’ACCENTBORDELAIS Le journaliste Jean-MarcFaubertaécrit: «L’accentbordelaisestaussivieuxqueBurdigala», lui qui s’exprimait avec une discrète musicalité locale, profonde,subtilementironique,trèsbritanniquedonctrèsbordelaise. Onl’évoquecetaccentavecuncharmantpoèmedeJeanBastia,unchansonnierdeBordeaux(1878/1940). «L’accentdeBordeaux».«. «Accentdemonpays,haleinedouceoùflotte Commesurlebifteckunparfumd’échalote, Salécommelegoûtdebourrichesdejoncs Amenantparletrainlesroyansd’Arcachon, Prenantcommel’odeurdeschaisoucommecelle Descroûte-rougeaufonddescoursdelaRousselle, Fleurdeshachisdesescargotscaudéranais, Colorécommeletaninqu’auxrobinets Laisselevinsurlesparoisdelatonne, Accent,filsduparlerdesvieillescadichonnes, Accentdoux,onctueuxcommelescèpesfrits Etpiquant,àlafois,danslespointesd’esprit, Commelesguingassons...Accent,suavechose! Fincommel’ailqu’oncroqueauseindesgigotsroses, Accentquifermetouslesé,faistintersec Lestdesfinsdemot,quidétachesl’igrec

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Chaquefoisqu’onletrouveaucorpsd’unediphtongue; Quimêlesàplaisirlesbrèvesetleslongues; Quilorsqueserencontreunesyllabeen«ant» Nouslafaisprononcerd’unnezs’enchifrenant, Quifaisl’olongdans«robe»etlefaisbrefdans«grosse», Lesfermesdans«colosse»etl’ouvrestropdans«sauce»... AccentdeSaint-Michel,accentdeMériadeck, SurquoiveillaDespeauxaveczèleetrespect, C’esttoiquelaGaronne,harmonieuseetgrave, ParledepuislePontjusqu’àlaPointe-de-Grave.»(LaLyredecarton-Flammarioned.) Un autre Bordelais, Jean Lacouture, cite FrançoisMauriac, écrivain régionalistes’ilenest,commeledisaitperfidementPaulClaudel.Ilécrit:«Méridionalavecses«O»quisonnenttoujoursunpeutropfermésoutropouverts,ses«É»,untonendessusouendessous, sesdiphtonguescommedescymbaleset sesmainsqui s’envolentà laqueuedesmots...» Si l’onveutêtreunpeuplustechnique,onpeutobserverd’autresparticularitésde l’accent inspiré par le bordeluche et par le gascon. Comme le remarque FrançoisMauriac,lesconsonnesfinalessontprononcées.Exemples:«desoS»,«frisqueT»ouun«broC».Ou, au contraire, sansdoutepar esprit de contradiction, certaines consonnesfinalessontétouffées.Ondit«gaS»au lieude«gaZ»,oubien:«suT»au lieu«suD».Autres exemplesdeprononciationdifférented’avec le français normalisé.Ondit: «laflÉche»,le«lÉfrÉ»pourle«laitfrais».Le«N»,suivide«i»commedans«maNièresse dit «maGNére». On oublie évidemment tout ce qui porte accent circonflexe:«chAteau» ou «tAcher». Enfin, des groupes de consonnes se réduisent à leur plussimpleexpression.«eXpliquer»devient«eSpliquer»,«propRiété»devient«propIété»,ou«ruGby»devient«rUby». L’EVOLUTIONDUPICHADEY En 1932 une opérette bordelaise fut jouée à Paris. Elle avait pour titre «LesBordeluchesau7èmeciel»et elle connut le succès.A cette grandeépoquede l’opérettemarseillaise, le Midi, hâbleur, nonchalant et paresseux faisait rire. Si bien que, lacélébritéparisienneaidant, cetermede«Bordeluches»devintunnomcommun: «Lebordeluche».Ilallaitentraînerunemodificationprofondedupichadey,cependantdéjàamorcéedanslecourantdesannées20. Toutefois,lalangued’ocquipuisesesracinesdanslasubtilitédel’humourgasconva continuer d’apporter à cette nouvelle forme d’expression autant de fantaisie,d’humour et d’imagination que ceux contenus dans le pichadey. Néanmoins, plusrécentes, elle se sont nettement francisées pour la plupart d’entre elles. En voiciquelquesunequinemanquentpasdesaveur:EXPRESSIONS TRADUCTIONS-Unsoud’Arcachon. -Faussemonnaie.-Unarrebire-marion -Unegifledureversdelamain

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-Cabanner -Entrouvrirlesvolets.(Entuile).-Lesyeuxencouillesd’hirondelle -Unregardsournois-Va-t’enchezDache -Va-t’enn’importeoù.-Couperlefarci -Maîtrechezsoi.-Excusezcôtelette,lechatemportelegril -Nevousgênezsurtoutpas.-Montrertoutsonestafanari. -Femmeprovocante-Unbonfond -Unbonrepas-Sortirengroule -Malhabillé.-Lenezengueilledebonde -Unnezd’ivrogne-IldébarquedutraindeLangon -C’estunnaïf-Elleavupéterleloupsurlapierredebois -Ellen’estpastombéedeladernièrepluie-Lesyeuxenmaigredejambon -Souffrirdeconjonctivite-Alanoix -Raté-Etreunebonnepaye -Unbonclient-Fairelapentiére(Bergeenplaninclinée) -Fairelescentpas-Vavoirpépè/letondeurdechiens -Eloigne-toi-Elleesttombéesurunepointerouillée -Elleestenceinte-Iln’estjamaisalléàParis -Ilnefermejamaislesportesderrièrelui-Elleaunejolieplatine -Elleestbavardeetmédisante-Jefaistoutderang -Jefaistoutàlasuite-SoupedeJésus -Unpeud’ailetriendessus-Bouillonpointu -Lavement - On navigue là dans un registre populaire, familier comme disent lesgrammairiens, cher à Michel Audiard, à Céline ou à Alphonse Boudard. Il fait aussipenseràCarloGoldoniquiamusaitletoutVeniseavecsespiècesendialectedeportsdela lagune.Debelles référence!AvecRaymondPaquet,professeurd’artdramatiqueauconservatoire de Bordeaux, nous avions pensé traduire «Barouf à Chioggia» enbordeluchepourlejouersurleportdeLaTeste.Avecdesrépliquesdugenre:«Avecteshuîtres,tuestampeslesgonzes.Ellessontsimaigres,quetuleurvendsdelamouquire!».(Estamper:escroquer;mouquire:morve). ETLEPICHADEYEUTSESÉCRIVAINS ApartirduderniertiersduXVIIIèmesiècle,lepichadeyvas’écrireetilauradoncsesécrivainsetseslinguistes. Le premier de ces écrivains c’est Antoine Verdier (1779-1820). Dans un langageencore très marqué par le pur gascon, il fait rire toute la Gironde en racontant lesmésaventurespeuédifiantesdeMesteBernat,paysanbanlieusard,desafemmeMarioteetdeGuillaoumet,soldatpensionné,dontondevinebienlerôledanscetrio.Verdiervaencoreconnaîtrelesuccèsaveclestribulationssatiriquesde«BarthélémyàBordeauxoule Paysan dupé» (Berthoumiou à Bourdeou ou lou peysan dupat). Avec «Lou sabaoutdaouMédoc»,(LesabbatduMédoc)oùilselivreàunerevuesatiriquedessuperstitionsetpratiquesdesorcelleriedanslescampagnesgirondines.(Photo8).Dans«Antonyloudansaney»,(Antoineledanseur),ilfaitletourcritiquedessallesdebaletautreslieuxdedistractionfortnombreuxàBordeauxdanscesannéesdelaRestauration,commesionvoulaitoublierlesmalheursnapoléoniens.Sonplusgrandsuccès,ill’obtientavecdeux

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personnages, les recardeyres, Cadichoune etMayan. Son époux, c’est Cadichon. Il lesqualifiede«Doyennesdesfortesengu(eu)le»et lesdoted’unlangageparticulièrementfleuri,exprimé,commeparlesautrespersonnagesdansunmélangedegasconfranciséetdefrançaisgasconnisémaisoùdominelegascon.Evidemment,onn’estpaslàsurunsommet de la littérature. Il n’en reste pas moins qu’Antoine Verdier a gagné sonépithètede«Meste»(Maître)carsesœuvresontdonnélieuàdenombreuseséditionsetdes témoignages affirment que des passages entiers de ses textes ont longtemps étérécitéslorsdesveillées,fêtesdefamille,nocesetbanquets.

Photo8:LescouverturesdequatredespetitslivretsdeMesteVerdier. «Lou meste» eut quelques successeurs comme Jean Théodore Blanc,(1840/1880), un typographe bordelais, farouche défenseur de la IIIème Républiquenaissante.DanslePaysdeBuch,nousavonsEmilienBarreyre(1883/1944),pêcheuràArès,quiapublié«LouMalinayres»(LesMarines),untextepluspurementgasconetqui

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ne manque pas de lyrisme. Nous avons aussi à Gujan-Mestras Adrien Dupin(1896/1973)quiaproduit,dit-on,uneœuvregasconneraffinéemaisquiestsansdouteégarée. Ensuite, l’un des écrivains den pichadey plus connus, c‘est le François Villonbordelais:UlysseDespeaux. Siconnuetsipopulairequ’ilamêmesastatueàBordeaux,àcôtédel’égliseSaintMichel.Unestatueélevéeparsouscriptionpubliqueen1926,unanaprèssamort.

Il est né à Bordeaux, en 1844, sur le cours Victor-Hugo. Comptable à laCompagniedescheminsdeferduMidi,sesdonsdecomiquele fontdevenircomédiensurdenombreusesscènesparisiennesetnondesmoindrescommel’Alcazar,l’Eldorado,leChatNoir.AveclecélèbrePaulus,ilfaitunetournéetriomphaleenFrancemaisl’airdeBordeauxluimanqueet,aprèslaGrandeGuerre,iljouesurlascèneduréputéThéâtredesArtset le succès luipermetmêmed’ouvriruncabaret, «Bordeauxchezlui»oùsepresse à la fois le tout Bordeauxmais aussi le Bordeaux des Capucins ou de Saint-MichelpourrireaveclessortiesenduodeM’ameSagasseetdeM’ameSardine». -VerdieretDespeauxaurontdessuccesseurscommeGeorgesCoulonges:

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- -GeorgesCoulonge(1923-2003):Danslesannéesd’aprèslaLibération,ilcréelepersonnagedeJulien,letraminot.Régulièrement,surlesondesdelaR.D.F,deBordeaux,ilracontelesdémêlésdececontrôleurdetramavecdesvoyageurs,desagentsdepolice,des bourgeois, le chef contrôleur ou un riche voyageur sans ticket, toujours dans desdialoguessavoureuxquisententbonlaluttedesclasses.Ilfaitparlasuiteunebrillantecarrière parisienne de parolier (Potemkine-Aimer à perdre la raison), d’auteur dethéâtre,deromancier(PrixAlphonseAllaisen1964,pour«LeGénéraletsontrain»)etGrandprixdelaVilledeBordeauxpourl’ensembledesonœuvre.Aveclui,lebordelucheaprisdesérieusesréférenceslittéraires. - Claude Ducloux a publié un lexique de Bordeluche en 1981, intitulé «Lebordelaistelqu’onleparle».C’estdeloinlepluscomplet.Ils’ylivre,enparticulieràunsavoureux relevé de «Locutions vertes» très grivoises. Il en cite 70 qui auraient puvenirsouslaplumedeRabelais.AvecPierreMaurin,ilassureleretourdesrecardeyressurscènepour6OOreprésentationsàl’OnyxàBordeaux.

-JannBonnemason,conseillerpédagogiquepourl’enseignementdugascondansl’académie de Bordeaux, a livré un très intéressant ouvrage «Le français parlé à

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Bordeaux». Ilnes’agitpasseulementd’unlexiquemaisd’uneétudetrèstechniqueoùles mots sont classés par centres d’intérêts et où sont étudiés la phonologie et lamorphosyntaxe. - Max-Henry Gonthié, secrétaire de la Fédération départementale des œuvreslaïques, est l’auteur d’un dictionnaire qui donne l’aura universitaire à l’étude dubordeluche : «Gueilleferrailledesmots». (1979). Il relèveaussiquelques coutumesetquelquesexpressionsquinemanquentpasd’esprit: -Poursoignerunebosse«onfaitrendrelecoup», (Onappliqueunecompresse ou, ce qui est beaucoupmieux, une pièce demonnaie sur laquelle on presse aprèsavoircrachédessus). -Poursoigneruneverrue,ilfautregarderlaluneetdiretroisfois«Fic,éloigne- toi,lunerapproche-toi». -Unménagedésuni»sedécritainsi:«Ilss’entendentcommelecougutetl’agasse».(Lecoucouetlapie). -Poursemoquerd’unnaïfonluidit:«Regardeunvold’aloses».(L’aloseétant cetteespècedegrossesardinequiremontelaGaronnefinavriletquiestdélicieuse). -Travaillerdurement,c’est«Pelerdesbillons»(Poteauxdemine) -Undûquineserajamaisremboursé«estpayablesurlesbrouillardsdelaGaronne». -Unobjetperdu:«Onletrouveàdire».Oubien:«Jel’aitrouvédemanque». -Riennechange:«Idemaucresson» -Lesamoureux«separlent».Oubien«IlsseretrouventàPlume-la-Poule»(une guinguettedeTalence).Fâchés,«ilsneseparlentplus».Elleboude:«Elleestà l’hôteldutournecul». -Obligéd’alleràpied:«Prendreletrainonze». -Rirebêtement«Rirecommeunchoineenvitrine»(Petitpain) -Entantqu’enseignant,Max-HenriGonthiéaaussirelevédenombreuxmotsou expressionsquitouchentàl’enfance: -«CrieCÉVE»:reconnaisquetuesbattu. -«Lachichinette»(Sucetteensucre). -Le«berlon»(Grossebille).La«berle»:petitebille. -Le«rigue-rague»:unepetitecrécelle. -Les«tringuelettes»(Petitescastagnettesfaitesdedeuxmorceauxdebois) -«Petetpoque»:jouerauxberlesenutilisantlestrousdutrottoir-Acache-cache,celuiquifermelesyeux,«ilclume». -Jevaisplusvitequetoi:«Jetegagneàlacourse». -«Unemounaque»:unepoupéedeson. -Tirerausort:«Tirerlapaille» -«Piquons-derrière»:s’accrocheràl’arrièred’uncamionoudutramway. -«Fairequatreheures»:lacollation. -«Fairelacoque»:l’écolebuissonnière.

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- Marcel Roche et son émission «M. Marcel» ainsi que d’autres comédiensbordelais comme Pierre Tichadel (1901/1944) associé à Rousseau assurèrent letriomphedubordeluche.AvecsapropretroupeàParisdansdessallescommeBobino,laScalaou l’Européen, Tichadel ferarireavec lepersonnagede«Peignelagate».Sesrevues, dans le style de celles des «Folies Bergères», reprises par sa femme, ferontcourirlesfoulesaumoinsjusqu’en1980 - Quant àGuySuire, il est le Papedu bordeluche.Depuis 1967, il a notammentanimé le café-théâtre de l’Onyx, à Bordeaux pour lequel il a écrit vingt-trois pièces,beaucoup exprimées en Bordeluche. Il a publié de nombreux dictionnaires dubordeluche dont le célèbre «Pougnacs et Margagnes» qu’il présente comme «ledictionnairedéfinitifdubordeluche».Ilaécritunedouzainedelivresdontdesouvragesdecuisine,dusud-ouest,évidemment,detauromachieetcinéma.IlétaitdirecteurdelacréationpourRadio-France.

Dans«LeParlerbordelais,motsetexpressionsduterroir»ilagrémentel’ouvragede citations d’auteurs qui ont utilisé le bordeluche: François Mauriac, Jean Balde,MichèlePerrein,ChristinedeRivoyre. -FrançoisMauriac:(LesCheminsdelamer):«Lesbastesviolacées»(Lescuves). :(Unadolescentd’autrefois)«Hé-bé,s’ilfallaits’enfairepour uneboufiole!» :(LeNœuddevipère)«Nosmétayerssenourrissaientde cruchade»(Galettedefarinedemaïsbouilli). -MichèlePerrein(LesCotonniersdeBassalane):«Avecsacacugne,ils’offredes pointesà90».(Vieillevoiture) -JeanBalde(LaMaisonduborddufleuve):«Touslesprétextesétaientbonspour dégusterdescrépinettesavecdeshuîtres». (Idem):«Ilnepritpasletempsdesaisirsafoëne».(Fourcheà harpons). -RégineDesforges:(101,avenueMaurice-Martin).«Espècederagassous!D’un

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poildebarbe,tufaisunbrancarddecharrette!» Guy Suire cite aussi des répliques extraites de ses oeuvres. En voici des plusjubilatoires,leplussouventglanéescommedes«Brèvesdecomptoirs». -«Ilyadesrestaurantsàulcères.Ceuxquiajoutentdel’avoinedecurépourteservirdelaviandecastamée». -Illuiafichuunebellerouste:legonze,ilavaitlatronchecommeunchampdefraisesàPessac,àlasaison». -Feignas,tum’aidesouturesteslàplantécommelatourPey-Berland.Plusparesseuxqu’unmoine,ledrolle! -Dialogues: -Ellevapasarrêterdememespougnaquer,mespêchesqu’ellefinirparmeleslesmâcher!» -Aveclespoupassesqu’ellea,tulafichesàlabaille,elleflotte. -Elleestsimaigrequequandelles’avaleunnoyaudepêche,tulacroisenceinte. -Eh!Ledégourdi!Tâchemoyendemetrouverdel’eauàlaGaronne.EtpisrestepaslàplantécommelatourPeyBerland,plusparesseuxqu’unmoine. -Iladestrinquettesenfléescommeuncarreaudevitreetaussiblanchesqu’unpouletdeSaintonge. -Ilmeregardeavecdesyeuxgrandscommedesquartiersd’orange. -Lespibales,ellesontdumérite:ellesviennentàlanagedelamerdesSargasses. LADISPARITIONDUPICHADEY Aujourd’hui,commeonapuleconstater,lepichadeyetlebordeluchen’existentplus qu’à l’état de fossiles. Cet effacement d’une forme de langage qui fut pourtantcourantedurantdessiècless’expliqueparplusieursfacteurs. - Les déplacements en France sont devenus de plus en plus faciles avec ledéveloppementdescheminsdefer,d’oùdesbrassagesdepopulationsimportantsetuneuniformatisationdeslangues. - La puissante influence de l‘école laïque dans la formation de l’unité nationalevoulueparlaIIIèmeRépublique.

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-Leservicemilitaireentraîneunbrassagedesculturesrégionales. -Lesdeuxguerresconduisentàunregaind’uniténationale - «Globalisation» du langage: le discours à la radio puis à la télévision vontamenerunrecentragesurlalanguefrançaise. - Le niveau de l’instruction s’élève et avec lui l’utilisation d’un langage plussoutenu. - Le développement du tourisme de masse avec les congés payés brasse lespopulations. -Desmétierstraditionnelsquiavaientleurvocabulairelocaldisparaissent. -Descoutumestraditionnelless’estompent. -Unemigrationdelacampagneverslavilledéveloppel’urbanisation,entraînantladisparitiondeslanguescommelegascon,lorsquelarégionn’apasuneforteidentitéculturellecommedanslePaysbasque. -Maisleprincipalélémentresteledéveloppementdesclassesmoyennesquiprendlepassurlesclassespopulairesàpartirde1950,alorsqu’àcemoment-là,oncomptaitencore70%delapopulationforméeparlesmilieuxpopulaires.C’estqu’àpartirdecesannées 50, s’estompe «la somnolence aquitaine». L’agriculture mène une véritablerévolution en se mécanisant, la forêt se protège beaucoup mieux des incendies, lepétroleet legaz jaillissentàParentisetàLacq,Bordeauxs’industrialiseet letourismeprendunessorétonnant,letoutentraînantuneprofondemodificationdutissusocial.Lepichadeyenestmort. POURQUOIS’INTERESSERAUPICHADEY Ilestbienévidentqu’uneacadémielocaledoits’intéresseràunelanguelocalequiimprègneencoreunpeulelangagecourantactuel.Cefaisant,elledéfenduneformedeculturelocale,unpatrimoinequ’ilnefautpaslaisserdisparaîtrecarelletémoignedelatraceimportantelaissédansl’histoirenationaleparlegascon.Enfin, mêmesil’onesticitrèsloindePagnoloudeRaimu,universels,lebordelucheestuneillustrationd’unmodede vie populaire exprimée par de la gouaille, de l’invention et finalement d’indépendance,sinonde«rébellioncontreleprêtàpenserlalangue».(GuySuire).Sinonunecouleurdeliberté,entouscas,commel’écrivaitJeanAmrouche, :«C’estUntrésorde fablesetd’imagesque la languedesaïeuxporteensonfluxcommeunfleuveporte lavie.» JeanDubroca, LaCentraleàLaTeste-de-Buch 18novembre2017 PRINCIPAUXOUVRAGESCONSULTÉS -Motsetexpressionsduterroir -GuySuire(RivagesEd.)-Pougnacsetmargagnes -GuySuire(Mollat)-VisagesdelaGironde -ArmandGot(Delmas,Ed.)-DixsièclesdeviequotidienneàBordeaux. -AlbertRèche(Seghers)-Lefrançaispopulaire -PierreGuiraud(PUF)-DictionnaireduBassin -OlivierdeMarliave(Sud-ouest)

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-Lexiquedubordeluche -ClaudeDucloux(Gret-OnyxEd.)-Gueille-Ferrailledesmots. -Max-HenriGonthié(FOL-33Ed.)-Huîtres,Aloses,Pibales. -CharlesDaney(Ed.Cairn)-Dictionnairedelalande -CharlesDaney(LoubatièresEd.)-Dictionnaireoccitan -LouisAlbert(I.E.O.Éditions)-LafauneduBassin -ProfesseurSorbe(S.H.A.B.A)-Initiationaugascon -RobertDarrigan(PerNoste)-LaLangueoccitane -PierreBec(Quesais-je?)-Dictionnairedufrançais -Littré(Gallimard-Hachette)-L’AquitainedeMauriac -MichelSuffran(Edisud)-LescotonniersdeBassalane -MichèlePerrein(Grasset)-Histoiredel’Aquitaine -CharlesHigounet(PrivatEd.)-BordelaisetGironde -JacquesBoigontier(Bonneton)-LefrançaisparléàBordeaux -JannBonnemason(PyréMonde)-Œuvresgasconnescomplètes -MesteVerdié(Ferret.Ed.)-Typesbordelais,monologues,chansons -UlysseDespau(Bx1911)-Lalangueoccitane -PierreBec(Quesais-je?) _______________________________________