Dumont 1992 La Francophonie Par Les Textes

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  • 8/12/2019 Dumont 1992 La Francophonie Par Les Textes

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    Universits Francophones

    R E F

    La Franco ph on iepar les textes

    Pierre DumontEDICEF/AUPELF

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    U N IV E R S I T S F R N C O P H O N E S

    U R E F

    PROSPECTIVES FR NCOPHONES

    LA FRANCOPHONIEPAR LES TEXTESPierre Dumont

    EDICEF 8 rue Jean-Bleuzen92178 VANVES Cedex

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    Dans la s rie L ITTRA TUR ES/LINGU ISTIQUE(EDICEF-AUPELF)Bibliographie de la littrature maghrbine 1980-1990 (C.Bonn,F.Kachoukh)Inventaire des particularits lexicales du franais en Afrique noire{quipe IFA)Bibliographie des tudes littraires hatiennes 1804-1984(L.-F.Hoffmann)Littratures de l'ocan Indien (J.-L.Joubert)

    (JOHN LIBBEY EUROTEXT-AUPELF)Visages du franais :varits lexicales de l'espace francophone(A .Cas, B. Ouaba )

    Diffusion HACHETTE, EDICEF ou ELLIPSES selon pays

    ED ICEF, 1992ISBN 2-850-69789-3

    ISSN 0993-3948

    En application d e la loi du 11m ars 1957, il est interdit de reproduire intgralement ou partiellement le prsentouvrage sans autorisation de l'diteur ou du Centre franais de l'exploitation du droit de copie (6 bis rueGabriel Laumain - 75010 Paris).Cette reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc un e contrefaon sanctionne par lesarticles 425 et suivants du Code Pnal.

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    Plan de l ouvrageAvant-Propos 8Prface 9Introduction i l

    1.Les dichotomies saussuriennes 112.Le structuralisme 123.La linguistique generative 124.La sociolinguistique labovienne 135.La sociolinguistique interprtative 14

    Premire partie :De lalingu istique la sociolinguistiqueTEXTE N 1. LE LANGAGE PAR J. VENDRYES 19Analyse 201. La modernit de J. Vendryes 202.Une conception trop troite des registres de langue 213.Pour une sociolinguistique du contact et de la continuit 22TEXTE N 2. LA GRAMMAIRE DES FAUTES PAR H. FREI 24Analyse 251. Le critre linguistique 262.Le critre sociolinguistique 273.Le critre historique 28TEXTE N 3. LMENTS DE LINGUISTIQUE GNRALEPAR A. MARTINET 30Analyse 301. La linguistique traditionnelle 302.La linguistique structurale 313.Le temps des hypothses 33TEXTE N 4. LE LANGAGE ET LA SOCIT PAR H. LEFEBVRE.... 35Analyse 351. Vers une langue idale 362.Le retour au rel 37

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    TEXTEN5. FONDEMENTS EM PIRIQUESD UNETHORIEDU CHANGEMENT LINGUISTIQUE PAR U. WE INREICH 39Analyse 391.L'approche descriptive 402.Les usages sociaux 403.La construction du sens 41

    TEXTEN6. LE LANGAGE ET SES FONCTIONSPAR F.FRANOIS 42Analyse 431. La critique du schma de Jakobson 442.Les apports de la sociolinguistique 453.Les prolongementsd unecritique 454.Et la comm unication ? 46TEXTE N 7. LA SOCIOLINGU ISTIQUE PAR J. GARMADI 47Analyse 471. Stru cture linguistique et diversit des usages 472.Vers une sociolinguistique enrichie 482.a) Les variations intralinguistiques 482.b) Les variations interlinguistiques 492.c) Vers une sociolinguistique de la reprsentation 49

    TEXTE N 8. L'HOMM E DE PAROLES PAR C. HAGGE 50Analyse 501.La science del invariant 511. a) Le domaine de la phonologie 511.b) Le domaine de la morphologie 521. c) le domaine du lexique 522.Del invariant la variation 53Deuxime partie : Points de vue sur la langue franaise

    TEXTEN9. DISCOURS SUR L'UNIVERSALITDE LA LANGUE FRANAISE PAR RIVAROL 57Analyse 581. Variation et diachronie 582.Variation et usage 593.La marqued unepoque 60TEXTEN10.NOTRE LANGUE PAR R. DESMARCH AIS 62Analyse 631. La peur du patois 632.La libration du franais rgional 64

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    TEXTE N11.DISCOURS DE RCEPTION L ACADMIE FRANAISE PAR M. DEBR 67Analyse 671. Le maintien de la qualit 682.La bonne qualit des rapports entre la langue et la culture 693.La diffusion du franais 69TEXTE N 12. ENTRETIEN AVEC T. DE BEAUC (LE POINT) 72Analyse 811. Accepter la diffrence 842.Moderniser le franais 843.Une certaine ide de la culture 85TEXTE N13.LE FRANAIS DANS TOUS LES SENSPAR H. WALTER 87Analyse 871. Le mythe 882.La ralit 883.O le mythe et la ralit se rejoignent 894.La victoire du ralisme 90TEXTE N 14. LA FRANCOPHONIES VEILLEPAR M. GUILLOU ET A. LITTARDI 92Analyse 931. La stabilit du franais 932.Usage et bon usage 953.Le franais au futur 96TEXTE N15.L AMNAGEMENT LINGUISTIQUE DU QUBECPAR J. C. CORBEIL 98Analyse 981. La francophonie, un humanisme intgral 992.De l humanisme au lyrisme 100

    3.L inflation des institutions 1014.Des perspectives plus ralistes 1015.Les nouveaux oprateurs de la francophonie 103Troisime partie :la francophonie africaine

    TEXTE N 16. LE FRANAIS HORS DE FRANCEPARG.MANESSY 107Analyse 1081. Dveloppement et promotion des langues nationales 1092.mergence du franais langue africaine 110

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    TEXTE N 17. RFLEXIONS SUR LA SITUATION LINGUISTIQUE MADAGASCAR PAR M. RAMBELO 112Analyse 1141. Quelles sont les fonctions du franais Madagascar ? 1142.Le franais et l organisation sociale Madagascar 1152.a) La ralit linguistique des milieux urbains 1152.b) La vrit linguistique des classes prpondrantes 1163.Les notions de FLE et de FLS 116TEXTE N 18. CE QUE JE CROIS PAR L.S. SENGHOR 118Analyse 1191. La conception senghorienne de la francophonie 1202.La francophonie africaine 121TEXTE N 19. COLE ET CHOIX LINGUISTIQUE :LE CAS DU CAMEROUN PAR G. VIGNER 123Analyse 124A. Un volet sociolinguistique 1241. Une approche traditionnelle 1242.Une approche moderne 126B.Un volet politique 128C. Un volet linguistique 129D.La spcificit de la situation africaine 130TEXTE N 20. FRANCOPHONIE ET CODVELOPPEMENTPAR J. TABI-MANGA 133Analyse 1341. Le recours la langue maternelle 1342.Le recours aux mthodes contrastives 1363.Le recours l approche communicative 137TEXTE N21.ENTRETIEN AVEC R. BOUDJEDRA (DIAGONALES) 139Analyse 1391. Francophonie, concept no-colonialiste 1402.L abolition des conflits 142TEXTE N 22. ENTRETIEN AVEC A. KOUROUMA (DIAGONALES) 144Analyse 1461. L appropriation du franais par ses locuteurs africains 1472.Le poids de la norme 149TEXTE N23.LE FRANAIS LANGUE SECONDE PAR J.P. CUQ 151Analyse 1521. De la didactique la sociolinguistique 1522.Norme internationale francophone : le rve impossible 154

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    TEXTE N 24. L INDISPENSABLE COEXISTENCEAVEC LES LANGUES AFRICAINES PAR M. NGALASSO 157Analyse 1591.Puissance fragile et prestige impopulaire 1592. La recherche d un quilibre 1603.Franais langue trangre ou seconde ? 1614. La troisime voie 162Conclusion 165

    1.Le mythe francophone 1652. L idologie francophone 1663.Les risques de la francophonie - tradition 1674. Les croiss de la francophonie 1685.Le franais, langue multiple 1706. Le droit la diffrence 1717.De la complmentarit la convivialit 1748. Franais et dveloppement 175

    Bibliographie 179

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    Avant-proposLangue(s),espaces, politiques d e solidarit : la francophonieaujourd hui

    Sibien des volumes ont t publis sur le sujet, on ne disposait pas encore d'unouvrage qui compilt de faon ordonne, didactique, commente, des textesparmi les plus significatifs sur la langue, le franais et la francophonie.Voil qui est fait avecLarancophoniepar les textes.Linguiste, enseignant,homme convaincu, Pierre Dumont nous fait cheminer habilement et mthodi-quement dans les travaux de ceux qui, au cours des ans, ont clair les dbats surle rle et le fonctionnement des langues dans la vie des socits, sur la diversitdu franais hors de France et son rle dans le dveloppement, sur la franco-phon ie comm e concept et comme philosophie de l'action po litique1.Il faut souhaiter que cet ouvrage serve l'enseignement, la vulgarisation , l'appropriation par le plus grand nombre du projet et de l'idal francophone.L'Association des universits partiellement ou entirement de langue franaiseet l'Universit des rseaux d'expression franaise sont heureuses d'enrichir leurcollectionProspectives francophonesde ce troisime titre2. Puisse-t-il tre lar-gement diffus partout et, pour tous - universits, lyces, coles, centres cultu-rels, alliances franaises, bibliothques populaires, grand public - afin que lesjeunes d'aujourd'hui dveloppent un sentiment d'appartenance ce grand espacede libert, de solidarit, de dveloppement, d'excellence scientique et technolo-gique qu'est la Francophonie.

    Professeur Michel GuillouDirecteur gnral de l'AUPELFRecteur de l'UREF

    1. Lire ce p ropos dans Universits , vol13n 2, mai 1992, le dossier langues et francophonie .2.Dj parus dans la collection :- Francophonie scientifique - le tournant ; AUPELF/John Libbey Eurotext.- Dm ocratisation, conomie et dveloppement - la place de l'enseignement suprieur;AUPELF/UREF.

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    PrfaceLa Francophonie par les textes est un ouvrage trs ambitieux qui se propose, partir d'un corpus trs restreint (vingt-quatre textes au total, extraits d 'ouvragesscientifiques ou de vulgarisation, d'articles, de discours ou d'entretiens oraux ), dereconstruire les grand es tapes d'une d iscipline qui est en train de s'impo ser dansle domaine des sciences humaines et mme dans celui des sciences sociales, peut-tre au dtriment de la linguistique qui, aprs le succs qu'elle a connu dans les

    ann es soixa nte, s'essouffle et traverse la crise la plus grave de son existenc e, un ecrise d'ordre pistmologique.Le choix des textes qui constituent ce recueil n'a pas t laiss au hasard. Ilscouv rent, en effet, trois grands dom aines de la sociolingu istique.Le premier est celui de la sociolinguistique gnrale, ne de la linguistique.Tous les textes de la premire partie abordent, sous des angles diffrents maiscomplmentaires, la question des rapports entre langue et socit, que ce soit travers le prism e (dformant ?) du structuralisme, celui de la pragm atique o u, tout

    simplement, avec le regard du bon sens. La linguistique sera sociale ou elle nesera bientt plus qu'un souvenir, tel est, peut-tre, le premier enseignement queno us livrent les rflexions de nos an s, J. Vendryes ou H . Frei, relays par cer-tains de nos matres les plus brillants, comm e C . Hagg e.Notre deuxime partie est constitue de textes qui, un titre ou un autre,concernent tous la francophonie. Se succdent des points de vue sur la languefranaise aussi opposs que ceux de M. Debr et T. de Beauc, J. C. Corbeil etR. De sm archa is, ma is tous ont le m rite d'clairer d'un jour no uvea u, chaq ue foisdiffrent, une notion (ou un concept ?) extraordinairement difficile dfinir. Le

    lecteur fera peut-tre le tri, pour se faire u ne ide perso nnelle, entre les consid -rations d'ordre idologique ou politique des uns, historique ou mm e sentimentaldes autres. La francophon ie n'a pas cess de no us faire frmir et c'est heureux sil 'on veut bien considrer ce frmissement com me une preu ve de la vitalit de lalangue franaise dans le mond e.C'est sur le champ africain que nous transporte notre troisime partie, faited'extraits emprunts soit des hommes politiques, soit des crivains - et cer-tains,pour no tre bonheu r et leur gloire sont les deux la fois co mm eL.S. Senghor- soit des chercheurs d e terrain, linguistes, m thodo logues ou planificateurs. On

    entend d ire souv ent que c'est en Afrique qu e va se jou er dfinitivement le destinde la langue franaise. Pour ce qui nous concerne, nous n'en savons rien du toutet nous avons renonc depuis longtemps lire dans le marc de caf. Mme les

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    PRFACE

    * borom-coquillages1qu e nous avon s consults sur ce sujet se refusent prdirece type d'avenir. En revanche, nous connaissons bien l 'Afrique o nous tra-vaillons depuis plus de vingt ans et nous savons la place qu'y tient le franais.Pour combien de temps encore ? Dans quelles conditions parlera-t-on franais Da kar ou Abidjan dan s trente ans ? No us n'en savons rien. Mais les textes quenous avons recueillis et analyss devraient nous fournir quelques claircisse-ments de nature nous aider mieux com prendre une situation trs comp lique.Ils nou s ont dj co nvaincu s du fait qu'on peu t aujourd'hui parler d'une so ciolin-guistique applique au dom aine africain, sociolinguistique do nt nou s avions djsalu l 'avnement en 1987 2.

    Ce livre s'adresse aussi aux tudiants qui prparent un DEU G 3 , une licence, unematrise ou un DE A 4de sciences du langage . Il leur fournira, non pas des m od les(qui aurait cette prtention ?), mais des exem ples d'analyse d e textes susceptiblesd'tre soumis leur rflexion tout au long de leurs tudes universitaires. Il nes agitpas ici, bien vid emm ent, d'analyse de type littraire bien que la qualit decertains des textes retenus et m rit que l 'on s'y exert. L'hum anism e deL.S.Senghor, l 'lgance de C. Hag ge ou le don du ve rbe de A. Ko urou maauraient suffi justifier une telle approche. Mais tel n'tait pas notre dessein.L'analyse, comme nous la concevons ici, doit nous amener exercer notre senscritique, soit pour appuyer les ides d'un auteur, soit pour les nuancer, soit pourles combattre. C'est toujours la source du texte propos que doit natre et sedvelopper la discussion sur le texte lui-mme. La critique est aise, l'art est dif-ficile ;c'est donc avec beaucoup d'hum ilit que nous nous somm es permis de rec-tifier certaines prises de position qui peuvent paratre aujourd'hui errones, engnral parce qu'elles ont t dmenties par les faits. Nous ne proposerons doncpoint de mthodologie ceux de nos lecteurs qui poursuivent des tudes de lin-guistique. Qu'ils apprennen t lire et, surtout, utiliser leurs con naissanc es, tou tesleurs conn aissances , sans en abuser. Le texte ne doit jam ais d evenir prtexte res-tituer un cours, quel qu'il soit. Que chacun exerce sa facult de jugement danstoute sa plnitude et le franais fera peut-tre le reste.

    1. Au Sngal, c'est de cette manire que l'on dsigne les devins qui lisent l'avenir dans les cauris. L'astrisquesignale un africanisme.2.Cf. le n 65 des tudes deLinguistique Appliqueconsacr aux politiques linguistiques, (Paris, Didier-rudition, 1987).3.Diplme d'tudes Universitaires Gnrales (1ercycle).4.Diplme d'tudes Approfondies (3ecycle).

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    Introduction Les sciences langage - affirme H. Boyer 1 - sont aujourd'hui un ensemblecomplexe, travers par de nombreux champs disciplinaires, habit par diversesoptions, parfois contradictoires et souve nt com plm entaires en matire d'tude dulangage.La v arit des points de vue, la diversit des thories et des hyp othse s,l 'volution d es mthod ologies font en effet de la linguistique u ne discipline ap pa-remment ingrate, incapable de dfinir son propre objet : la langue ? ses fonc-tions ? ses locuteurs ? ou les trois la fois ? Plus sociolinguistique q ue ling uis-

    tique, l 'approche propose dans nos analyses, et plus particulirement dans leshuit prem ires d'entre elles,s appuienanmoins sur un certain nom bre de n otionssans lesquelles un lecteur non averti aurait beau coup de mal com prend re le sensde notre dm arche. Il nou s a donc sembl indispen sable de faire prcde r ces ana-lyses d uneintroduction d veloppant tou tes ces notions et donnant au lecteur descls pou r la com prhen sion des interprtations propos es.1. Les dichotomies saussuriennes

    Ferdinand de Saussure est considr aujourd'hui, juste titre, comme le fon-dateu r de la linguistique m od ern e. Il est en effet le prem ier avoir tabli l'impo r-tance du systme dans la langue, savoir social collectif, oppose la parole,ensemble des productions individuelles, des ralisations linguistiques concrtes.Cette dichotom ie langue /parole, vritable cl de vote de la thorie sa ussurienn e,a puissamment contribu constituer la linguistique en science autonome, ayant pour unique et vritable objet la langue considre en elle-mme et pour elle-m m e . Pour S aussure, la langue, telle qu'elle existe un mo m ent d onn , est unsystme o tout se tient, une structure dont les lments sont interdpendants etse dfinissent rciproque me nt. Pour illustrer sa thse et dm ontrer l 'autonomie dela description synchronique, qu'il oppose la description diachronique aveclaquelle elle n'a rien de commun, la premire tant un rapport entre lmentssimultans et la seconde une substitution d'un lment un autre dans le temps,l'auteur du Cours de linguistique gnrale compare le systme linguistique unjeu d'checs : D ans une partie d'checs, n'imp orte quelle position don ne a pou r caractre sin-gulierd treaffranchie de ses antc den ts ; pou r dcrire cette position, il est par -faitement inutile de se rappeler ce qui vient de se passer au paravant. 2

    1.lments de sociolinguistique.2. Cette citation est extraite du Chapitre III de la premire partie du Cours de linguistique gnrale.

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    INTRODUCTION

    2.Le structuralismeL'cole structuraliste qui a rgn sur la linguistique entre 1940 et 1950 a encore

    aggrav le caractre absolu des dichotom ies saussuriennes (langue/parole et dia-chronie/synchronie) en faisant abstraction non seulem ent des fonctions relles dela langue, c'est--dire de la nature des referents dsign s par elle, m ais aussi de lanature de ses locuteurs. Ce parti pris de thoricisme d'une part, et ce que d'aucunsont appel par la suite cette apesanteur so ciale d'autre part, ont t accentus p arla recherche de modles mathmatiques de plus en plus dconnects du fonc-tionnement concret du langage. La linguistique s est donc dveloppe en isolantde tous les autres langages et/ou moyens de communication un objet cens trehomogne, la langue ; en l 'tudiant indpendamment de ses manifestations, ycom pris extralinguistiques, elle a mis en place un ensem ble de conce pts mtho -dologiques et descriptifs qui constituent les grands principes de la linguistiquedescriptive structurale synchron ique directem ent hrite deF.de Saussure, accor-dant la primaut la phonologie, la morphologie, la syntaxe fonctionnelleet/ou distributionnelle mais vacuant par ailleurs l 'tude du sens dont les condi-tions de production ne semblaient pas correspondre la dmarche structurale.Malgr la rigueur des concepts qui la sous-tendent, cette mthodologie s estdonc rvle inapte rendre compte des fonctionnements sociaux des languesmme si, grce la prcision des instruments d'observation qu'elle fournit,elle

    perm et une description trs fine des faits linguistiques en eux-m m es et pou r eux-mmes. En effet, deux attitudes apparemment contradictoires mais dues en ra-lit au mm e courant d e pense, s'affrontent et aboutissent la mm e imp asse :la prem ire consiste poser que les langues sont totalem ent indpe ndantes de lavariation de leurs conditions de fonctionnement, ce qui revient purem ent et sim-plem ent dnier tout droit de cit un e quelconq ue sociolinguistique , la seco ndeconsiste tablir une typo logie des varits linguistiques calques s ur les varia-tions sociales auxquelles elles correspondent, ce qui revient affirmer que lalangue se prsente comme une suite de compartiments tanches en fonction descatgories sociales et des locuteurs et refuser la notion de continuum linguis-tique aujourd'hui indiscute et indiscutable.3.La linguistique generative

    Si la linguistique structurale ne permet pas de passer d'une approche descrip-tive, purem ent statique, une concep tion dynam ique du fonctionnem ent social dela langue, tant au niveau des pratiques de celle-ci que de son volution dans letemps, la linguistique generative n'lucide pas mieux l 'tude des rapports entrelangue et socit puisqu'on a mme souvent reproch N. Chomsky d'riger sanorme personnelle en norme standard partir de laquelle il btit ses dmonstra-tions qui l 'ont m en , au fil des a ns, sur un terrain de plu s en abstrait.12

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    INTRODUCTION

    Ni le structuralisme, ni le gnrativisme ne peuvent donc rendre compte del'htrognit sociale ayant pour corollaire l 'htrognit linguistique puisqueces thories vont dan s le sens contraire, celui de l 'hom ogn it, victimes qu'ellessont d'un rve imp ossible, qui consiste donner d e la langue (systme) u ne dfi-nition sociale et ne la dcrire qu' partir d'chantillons limits (c'est la fameusenotion de corpus si importante en linguistique descriptive) parfois limits unseul individu (c'est le reproche que l 'on adresse l 'analyse chomskyenne jugetrop souven t idiolectale ).4. La sociolinguistique labovienne

    SiF.de Saussu re et ses hritiers directs , les structuralistes, ont milit pour l'au-tonom isation de la linguistique, c'est une vritable dsautono misation de celle-ci que cond uisent les recherche s de W.Labov p our qui la sociolinguistique n 'estpas un e des branches d e la linguistique, et pas davantag e une discipline interdis-ciplinaire :c'est d'abord la linguistiqu e, toute la lingu istique - m ais la lingu istiqueremise sur ses pieds *.

    La recherche de W.Labov, c'est--dire tout ce qui est dsign dan s nos analysessous la dnomination gnrique de sociolinguistique labovienne l 'amne contester la causalit structurale ( interne ) qui pose la sup rma tie du lin-guistique sur le social, au profit de la cau salit sociale ( ex terne ) qui a pourdessein avou de retracer l 'histoire sociale des changements linguistiques. Cettenouvelle dimension donne une discipline qui semblait s'enfoncer dans lesdom aines vaporeux d e l'abstraction la plus dsincarne fait appel un grandnombre de paramtres sociaux - ge des locuteurs, localisation gographique,profession, appartena nce ethnique - constitutifs des sociolectes (varits enusage dans tel ou tel groupe social) mis au jour par les nombreuses enqutesmenes dansl lede Martha's Vineyard et New Y ork City2.

    La sociolinguistique apparat alors comme une discipline nouvelle faisant dela langue, travers ses variations, le reflet de la structuration soc iale de ses locu-teurs, rvle par des manires de parler, de se tenir, de vivre, etc. Les rsultatsde ces enqutes dmontrent l 'importance de la pression sociale qui pse sur toutlocuteur (la norme lgitime), de la fonction identitaire (conflictuelle ou non)joue par les variantes en usage dans le parler de chaque groupe social ou mmede chaque individu, et enfin des rapports sociaux qui s'expriment directement,non seulement au sein de chaque sociolecte mais aussi lors des contacts entresociolectes contigus.

    Mais le traitement de la variation, point essentiel du retour de la linguistiqueau rel selon W. Labov, ne se ramne pas un rejet pur et simple des donnes1.Citation extraite de la prface deSociolinguistique (W. Labov) rdige parP.Encrev.2.Lieux d'enqute bien connus deW.Labov.

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    INTRODUCTION

    saussuriennes. Comme l'auteur du Cours de linguistique gnrale, W. Labovreconnat qu'il existe des rgles spcifiques qui s'imposent tous les locuteurs.Alors q ue F. de S aussure en reste l et que, pour lui, la parole n'est qu e la trans-gression des rgles de la langue, W. Labov va analyser la nature de la distanceentre la norme lgitime, celle des rgles unanimement reconnues, et les perfor-mances des locuteurs, d'o l 'mergence de la notion de conflit social dans le jeulinguistique.5. La sociolinguistique interprtative

    Si les recherches labo viennes on t eu l 'imm ense m rite de fournir une tho rie etune mthodologie sociolinguistiques qui rendent compte des fonctions assurespar la variabilit linguistique (on parle galemen t d'approche variationniste) dansle domaine de la communication sociale, elles ne rsolvent pas pour autant tousles problm es qui se posent l'observateur socioling uiste.C estJohn J. Gumperzqui va proposer une autre appro che, dite interprtative aux terme s de laquelleil prn e le recours des mtho des em piriques pour dtermine r dans quelle m esureles caractristiques propres tel ou tel groupe sociolinguistique sont rellementpartages par tous les locuteurs constituant le groupe en question, objet de l 'ob-servation. Celle-ci n'est alors rendue p ertinente que par le recours une dm archedite ethnomthodologique supposant que l 'enquteur est apte pntrer lerseau de com mu nication clos de ses enqu tes avec qui il doit partager n cessai-rement non seulement une certaine comptence linguistique mais aussi desno nn es de co nvenance, un ensem ble de traditions culturellement spcifiques etd'associations d'ides qui trouvent leurs racines dans la culture et l 'histoire, autre-ment dit une comptence socioculturelle.

    On ne doit pas manq uer ici de souligner les difficults soulev es par ce de rniertype d'analyse sociolingu istique, fonde sur l 'tude d es aspects comm uni cation-nels des phnomnes linguistiques habituellement rpertoris - quelle que soitleur nature:p hontique, grammaticale, lexicale ou smantique - jusque-l exclu-siveme nt envisag s d'un point de vue variationniste. En effet, etc estsans doutel le point le plus avanc de la recherche sociolinguistique contemporaine, sansune connaissance pralable des valeurs culturelles et des facteurs sociaux affec-tant le langag e de ceu x qui il s'adresse, l 'analyste est rduit l 'impu issance.

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    A Marie-Pierre, Isabelle et Renaud

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    PREMIRE PARTIE

    De la linguistique la sociolinguistique

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    Le langageparJ .Vendryes1TEXTE N 1

    Un e langue est la forme linguistique idale qui s'impose tous les indi-vidus d'un mme groupe social et c'est de la nature et de l'extension dugrou pe qu e rsulte le caractre de la langue.En Fr anc e, ct de la langue littraire qui s'crit partou t et que les genscultivs ont la prtention de raliser en parlant, il y a des dialectes, commele franc-comtois ou le limousin, qui se subdivisent eux-m m es en un grandnombre de parlers locaux. Ce sont l autant de langues correspondant autant de groupem ents. D'autre part, l'intrieur d'une seule ville, com meParis, il y a un certain nombre de langues diverses qui se superposent : lalangue des salons n'est pas celle des casernes, ni la langue des bourgeoiscelle des ouvriers ; il y a le jargon des tribunaux et l'argot des faubourgs.Ces langues diffrent parfois tellement entre elles que l'on peut fort biensavoir l'une et ne rien comprendre l'autre.La varit de ces langues tient la com plexit des rapports sociaux. E tcomme un individu vit rarement enferm en un seul groupe social, il n'y agure de langue qui ne s'tende des groupem ents diffrents. Chaq ue indi-vidu en se dplaant porte avec lui la langue de son groupe et agit par salangue sur celle du groupe voisin o il s'introduit.Deux familles voisines n'ont pas exactement la mme langue ; mais ladiffrence de langage qui les spare, mme si elle contenait en germe leprincipe d'une segmentation destine s'affirmer dans l'avenir, est pour lemoment prsent si peu sensible qu'on a le droit de n'en pas tenir compte.D'ailleurs, la langue qu'changent ces deux familles s'unifie fatalementpuisqu e les relations rciproques tendent ds le premier jou r attnuer lesdiffrences et tablir une norme commune. Imaginons deux frres quivivraient en commun, sans exercer le mme mtier. Chacun d'eux, l 'ate-lier, serait en contact avec des groupes diffrents, dont il prendrait fatale-m ent la langue ave c les habitudes de pense, les occupations et l 'outillage.Mais la distinction qui s'tablirait chaque journe entre les deux frres etqui ne tendrait rien de moins,s ils restaient un long temps sans se voir,qu' leur faire constater, comme on dit, qu'ils ne parlent plus la mmelangue , est efface chaqu e soir par le comm erce qu'ils reprennent e ntre eux .Ainsi il se trouvent soum is tout tour quelq ues he ures d'intervalle deux

    1.Texte extrait du chapitre premier, Le langage et les langues de la quatrime partie, Constitution deslangues .

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    DE LA LINGUISTIQUE LA S0C10LINGUISTIQUE

    influences contraires, et la langue qu'ils parlent entre eux s'pure constam-ment des lments de dissociation apports du dehors.No us av ons l un bon exem ple de cette lutte pour l 'quilibre qui est la loi

    de toute l 'volution des langues. Deux tendances contraires entranent leslangues en deux directions opposes. L'une est la tendance la diffren-ciation. Le dveloppement du langage aboutit une segmentation de plusen plus fragm entaire ; le rsultat est un m iettem ent, qui s'augm ente au furet m esure d e l 'emploi d e la langue ; des groupes d'individus livrs eux-mmes, sans aucun contact entre eux, y seraient fatalement condamns.M ais la diffrenciation n'est jam ais ach eve. U ne raison majeure l 'arrte enchemin ; c'est qu'en rendant de plus en plus troits les groupes entre les-quels le langage sert de mo yen d 'change, elle finirait par ter au langagesa raison d'tre ;le langage s'anantirait lui-m me , il deviendrait inapte auxcom m unications entre les hom m es. Aussi contre la tendance la diffren-ciation agit sans cesse une tendance l'unification qui rtablit l'quilibre.C'est du jeu de ces deux tendances que rsultent les diverses sortes delangues, dialectes, langues spciales, langues communes.

    ANALYSEPubli en 1923 mais achev ds 1914, le livre de J. Vendryes, Le langage,situe la

    science du langage au carrefour de la psychologie, de la sociologie et de l'histoire. Il jetteainsi les premiers fondements de la sociolinguistique contemporaine en proposant unedfinition dela languequi esttrsm oderne. Forme linguistique idale qui s'imposetousles individus d'un mme groupe, la langue apparatdonccomme l'manationde cegroupe,dfini par la plus ou moins grande complexit des rapports sociaux qui le constituent.1. La m odern it de J. Vendryes

    Ces ides sont celles qui caractrisent des approches sociolinguistiques contempo-raines comme celle de B. Bernstein{Langage et classes sociales,1975), selon qui cesont les types de rapports sociaux qui conditionnent la comptence linguistique dessujets.C 'est la diffrence que faitB.Bernstein entre le code restreint, dmarche qui faitappel l'implicite et ne favorise gure l'expression, et le code labor, totalement expli-cite, caractristique des milieux favoriss qui attachent une importance capitale laqualit du langage utilis. Comm e J. Vendryes, mais cinquante ans aprs lui, l'auteur deLangage et classes sociales dmontre que le rapport au langage varie selon lesfamilles, en particulier dans l'importance qui lui est attribue dans l'ducation desenfants. Il ne s agitdonc pas d'affirmer simplement que chaque classe sociale possdesa langue spcifique distinctive mais bien que c'est de la plus ou moins grande com-plexit des rapports sociaux que dpend le type de varit de langue utilise par lelocuteur, entendue au sens de varit fonctionnelle : langue simple instrument de com-munication gnralement imparfait, laissant au destinataire le soin de deviner tout oupartie du message (code restreint), ou expression plus ou moins labore de soi et desautres (code labor).20

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    LE LANGAGE PAR J. VENDRYES

    Mais outre cette varit interne, J. Vendryes dfinit les causes de l 'volution linguis-tique partir de grandes tendances, conformment l 'esprit de l 'poque (de la notion detendance utilise ici par J. Vendryes on rapprochera celle de besoin laquelle a recoursH. Frei dansLa gram maire des fautes qu'il fait paratre en 1929) : diffrenciation et uni-fication contrecarres par la tendance l 'quilibre. Autrement dit, il s agit bien l de cequ'on appellera plus tard, la suite de U. Weinreich et de W. Labov, l 'htrognitcontrle , ne d'une variation que l 'on peut observer en synchronie mais qui est djl 'amorce d'un ch angem ent linguistique. On ne peut s 'empcher d e penser R. Ja kobso n 1cit par C. Bay lon 2: Le dbut et l 'issue de tout processus d e mutation coex istent dans la synchro nie et appar-tiennent deux sous-codes diffrents d'une seule et mme langue. Par consquent, aucundes changements ne peut tre compris ou interprt qu'en fonction du systme qui lessubit et du rle qu'ils jouent l 'intrieur de ce systme ; inversement, aucune langue nepeut tre dcrite entirement et de manire satisfaisante sans qu'il soit tenu compte deschan gem ents qui sont en train de s'oprer [...] les chan gem ents app araissent com m e rele-vant d'une synchron ie dynam ique.

    C'est donc au cur de la sociolinguistique la plus contemporaine que ce texte replaceJ. Vendryes et pourtant il appartient bien son poque, c'est--dire au pass, par lesimprcisions dont il fait preuve, en particulier dans son enumeration des varits ou desvariations linguistiques. Les notions de langue spciale, de dialecte, de jargon ou d'argotqu'il utilise paraissent aujourd'hui bien floues et ne correspo nden t plus l 'analyse des dis -cours sociolectaux qui se pratique comm unm ent, par exemp le la lumire des travauxde W. Lab ov q ui a su dfinitivem ent tablir les principe s de l 'interaction en tre structuressociales et structures linguistiques, proccupation totalement absente de l 'ouvrage deJ. Vendryes.2.Une conception tro p troite des registres de langue

    Le p rem ier dfaut par lequel p che son texte est l 'assimilation imp licite qu'il fait de lalangue littraire la langue crite, seule forme noble de la langue qu'il reconnat. Ici, ils agiten ralit de ce qu'on dsignerait aujourd'hui sous l 'appellation d e registre soutenu ,caractris sur le plan linguistique par le recours des modles classiques, littraires deprfrence - d'o la confusion trs frquente au jourd'hui enco re entre la langu e littraireet ce type de registre - l 'utilisation d e mots rares, d'images et de mtaph ores o riginales ourecherches qui seraient le fruit d'un travail savamment labor et non la marque d'uneexpression spon tane. Q uant la langue littraire prop rem ent dite, elle devrait tre consi-dre com me un discours de rfrence, une langue spciale qui n'est pas, contrairement ce qu'avance J. Vendryes, la langu e d'un gro upe social dterm in mais celle d'une activitparticulire, rgie par des rgles, quelle que soit la souplesse de celles-ci puisqu'il s agit,en l'occurrence, d e littrature. On pou rrait alors rapp roch er cette acception de ce que l 'au-teur nomme le jargon , celui des tribunaux par exemple, qui constitue une vritablelangue de spcialit, caractristique d'une activit socioprofessionnelle avec ses rgleslinguistiqu es pro pres, son vocab ulaire, sa syntax e (un peu dsu te dans le cas particulier)mais aussi sa forme, sa rhtorique, c'est--dire un ensemble de contraintes propres untype spcifique de stratgie argumentative. Ces rgles sont diffrentes de celles quiconstituent le discours li t traire mais fondamentalement de mme nature puisqu'impo-1. R. Jakobson,Tendances principalesde larecherche dans les sciences humaineset sociales.2.C. Baylon,So ciolinguistique,p .101.

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    ses - et nous suivons l une catgorisation propose par un autre tnor de la sociolin-guistique contem poraine, D . Hy me s - par un cadre, un genre, un thm e, etc.Le flou terminologique est encore plus grand chez J. Vendryes lorsqu'il subdivise la

    langue en langues diverses qu'il appelle tour tour langue, jargon et argot. De quois'agit-il ? Si l'on veut bien ramener le jargon des tribunaux une langue de spcia-lit, comme on vient de le proposer, il nous faudra galement refuser l'emploi abusifque fait l'auteur du terme argot . En effet, il ne s agit pas ici de la langue cryptolo-gique du milieu parisien, ce qui serait le sens propre donn par la sociolinguistiqueau mo t argot mais d'une dsignation, aujourd'hui enc ore fort rpandue e n Francedans l'usage courant, du registre populaire, voire vulgaire, caractristique des faubourgsparisiens. La notion de faubourg ayant elle-mme considrablement volu, en particu-lier Paris, il semblerait bien que l'approche golinguistique de J. Vendryes soit gale-ment renouveler.Reste la langue des salons, celle des casernes, celle des bourgeois et, enfin, celle desouvriers. Parler de langues diffrentes parat l encore parfaitement abusif mme s'ilarrive aux locuteurs de ces diffrents groupes sociaux de ne pas se com prendre parfaite-ment. On pourrait, en revanche, utiliser une classification sociolectale et proposer lanotion de registre soutenu qui correspon drait la langue des salons, celle de registre co u-rant qui dsignerait la langue des bourgeois et, enfin, rserver le registre populaire oufamilier aux casernes et aux ouvriers.Faire de la langue un tel instrumen t de catgorisation sociale, tranchant com me un cou-peret, parat extrmement discutable pour deux raisons principales. La premire, ne des

    apports de la sociolinguistique lab ovienn e, consiste dire que les structures lingu istiquescorrespondent des structures sociales et que celles-ci ayant volu, dans le sens d'uneplus grande uniformisation de la population franaise (progrs de la scolarisation, dve-loppement des mdias, etc.), les distinctions abruptes de J.Vendryes ne correspondentplus la situation d'aujourd'hui. C'est l, on peut le signaler au passage, un des pointsfaibles de l'approche variationniste, ses critres ne valant que pour une tude synchro-nique relativement troite du point de vue chronologique et par consquent vite dmo-de.Le texte de Vendryes en fournit encore un autre exemple propos de la distinctionqu'il fait entre dialectes et parlers locaux (pour ne pas dire patois). Ses exem ples (franc-com tois et limousin) seraient sans doute classs aujourd'hui pa rmi les patois, ces dialectesayant continu de rgresser au cours des soixante-dix dernires annes.

    3.Pou r u ne sociolinguistique d u con tact et de la con tinuitLa seconde raison qu e l'on peut avoir de remettre en question l'analyse de J. V endryesprocde d'une critique de son point de vue qui semble terriblemen t m arqu par le ct leplus ca tgorique de la pense linguistique de l'poque. Il ne faut pas o ublier q ueJ. Vendryes, lve et ami de A. Meillet, est galem ent le contempo rain de F. de Sauss ureet l 'on se souv ient des prises de position parfois p eu nuan ces de ce dernier sur tel ou telsujet, une poque o la linguistique devait se poser en s'opposant (on pense, en parti-culier la dichotomie diachronie/synchronie). Peut-on vraiment envisager la superposi-tion des langues de Paris en termes de discon tinuit com m e tente de le faire l'auteur ?Certainement pas. Que chaque individu reprsente la langue du groupe avec lequel ilest solidaire et auquel il appartient, soit, mais faire de lui un strotype vivant, nier toute

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    LE LANGAGE PAR J. VENDRYES

    influence idiolectale dans l 'expression de chacun, c'est se faire de la langue une ide trsm caniq ue et artificielle qui va l 'encontre de toutes les thories contem porain es me ttantle sujet parlant au centre mme de la langue, de sa langue. J. Vendryes ignore tout de lanotion de continuum laquelle adhre pourtant aujourd'hui pleinement la sociolinguis-tique contemporaine au point d'avoir fait de la linguistique elle-mme une sciencesociale. A la notion de superposition il faut donc substituer celle de contact et jeter lesbases d'une double sociolinguistique la fois interne et externe. La sociolinguistiqueinterne se fixe pour objet de recherche tous les phnomnes lis de plus ou moins loin la dialectologie et tout ce qui concerne le sentiment linguistique du locuteur face salangue. La sociolinguistique externe est le lieu d'analyse des phnomnes de contacts delangues, de bi ou multil inguisme, mme l ' intrieur d'une communaut linguistiquerpute unilingue comme la communaut franaise, des conflits linguistiques et de lapolitique des langues. (On peut remarquer notamment la totale absence de la notion depolitique des langu es alors que l 'occasion s'en p rsentait dans un texte o il est fait allu-sion aux dialectes du franais m ais o pas un mot n'est dit des autres langues rgio nales :occitan, bas que , catalan, etc.). Ce sont autant d'lments qui se situent tout fait hors duchamp d'investigation de J. Vendryes.

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    Lagrammairedes fautes par H.Frei1TEXTE N 2

    Nous avons constat l 'existence d'un certain nombre de besoins qui sontla raison d'tre du langag e, qui par leurs actions sur lui et par leurs ractionsrciproqu es le crent et le recrent sans ce sse et font de l 'origine du langag eune ralit pour ainsi dire perm anen te. Signaler l 'existence d e ces besoins,dresser leurliste,en faire le classeme nt, exam iner leur interaction (allianceset conflits), rechercher l'aide de quels procds ils se ralisent, telles sontles tches de la linguistique fonctionnelle.Aller plus avant et se demand er d'o v iennent ces besoins et dans qu ellescond itions et pou r quelles causes ils peuvent, d'un idiome l'autre ou d'unepoque l 'autre de la mme langue, varier dans leur dosage, c'est aborderles problmes de la linguistique externe.Avant de terminer, nou s jetterons un coup d'il sur les rappo rts de la lin-guistique fonctionnelle avec la sociologie. Si les besoins que nous avonsappels les constantes du langage varient nanmoins dans une certaine

    mesure d'une langue l 'autre ou d'une poque l 'autre du mme idiome,cette variation a lieu en fonction de l'tat social des collectivits quiemploient les langues. Le seul lmen t variable auquel on puisse recourir pour rendre co mp tedu change men t linguistique est le chang eme nt social dont les variations dulangage ne sont que les consquences parfois immdiates et directes, et leplus souvent mdiates et indirectes. (Meillet,Linguistique historique etlinguistique gnrale2). La socit agit sur le langag e principalem ent par lamanire dont elle dtermine le dosage des besoins linguistiques, d'une

    langue, d'une classe sociale ou d'une p oque l 'autre.Le facteur essen tiel semble tre la plus ou moins g rande tend ue spatiale(milieux troits ou tendus) et sociale (milieux ferms ou ouv erts). C'est ensomm e ce que F. de Saussure appelait l 'opposition entre l 'esprit de cloch eret la force d'intercourse.On remarqu era, dans les langues de petite com mu nication - civilisationsanciennes (peuples de langue indo-europenne), socits infrieures (sau-vages), milieux professionnels, sectes, etc. - le rle norme jou par le

    1.Texte extrait de la conclusion.2.Linguistique historiqueetlinguistique gnralepar A. Meillet, 2 vol., T. 1, Paris, Champion,1921,2ed.1926;T. 2, Paris Klincksieck, 1938.

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    LA G RAMM AIRE DES FAUTES PAR H. FREI

    besoin de diffrenciation et le conformisme : pullulement des diffrenceslexicales, raret des termes gnriques, surabondance et complication descatgories grammaticales, etc. Les langues de grande communication,employes par les civilisations que caractrise la force d intercourse(Chinois, Europens modernes), manifestent au contraire une tendance trsforte l conomie (brivet et invariabilit) : appauvrissement graduel dulexique et extension parallle de l emploi des signes, nombre plus restreintet simplification des catgories grammaticales, interchangeabilit despices du systme, monosyllabisme, etc.

    Rien n est plus remarquable que le langage pour montrer cette opposi-tion, que l on constate galement dans les autres institutions sociales.

    ANALYSELa grammaire des fautes, publien 1929, est un ou vrage considrer comm el un destextes fondateursde lasociolinguistique contemp oraine. Ildfinit la nature des rapportsentre la socitet le langage, class parm i les institutions sociales, ideque l onretrou-vera beaucou p plus tard chez A. Martinet, danslments de linguistique gnrale : On est tentde placerlelangage p armi les institutions hum aines,et cette faonde voirprsente des avantages incontestables: les institutions humaines rsultent de la vie ensocit ; c'est bien le casdu langage qui se conoit essentiellement com meun instrumen t

    de com municat ion.Les institutions humaines supposent l 'exercice des facults les plusdiverses ;elles peuvent tre trs rpandues et mm e, comm e le langage, universelles, sanstre identiques d'une com mu naut une autre :la famille, par exemple, caractrise peut-tre tous les groupements humains, mais elle se prsente, ici et l, sous des formesdiverses ; de m me ,le langage, identique danssesfonctions, diffre d'une com m una ut une autre de telle sorte qu'ilne saurait fonctionner qu'entre les sujets d'un gro upe do nn.Les institutions, n'tant point des donnes premires, mais des produitsde la vie ensocit,ne sont pas immuables ; elles sont susceptibles de changer sous la pressiondebesoins divers et sous l 'influence d'autres communauts.Or, nous verrons qu'iln en vapas autrement pour ces diffrentes modalits dulangage q ue sont les langues.H. Frei, com me A. Martinet, mais plusde trenteansavant lui, insistesur lanotiondebesoin et distingue trois critres aptes nous aidermieux comprendre la varitet lavariation des langues:- un critre linguistiqu eli la naturedes langues elles-mmes,- uncritre socio logique li la nature des rapports sociaux,- un critre historiqueli aux conditions dans lesquelles les langues voluent ou ontvolu.Se trouvent l dfinis les principaux domaines de la sociolinguistique qui,dans lepremier paragraphe du texte soumis notre analyse,a tdissocie par l'auteur deLa

    grammaire des fautes endeux sous-disciplines com plmentaires : une sociolinguistiqueinterne qui aurait pour objet l 'tude des phnomnes lis aux variations apparaissantl 'intrieur d'une mme aire linguistique (dialectes, parlers rgionaux) et prises en25

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    compte par la conscience linguistique (ou langagire ?) des locuteurs, c'est ce queH. Frei appelle la linguistique fonctionnelle ; une sociolinguistique externe abordant lesproblmes de contacts de langues, l 'tude des conflits linguistiques, les phnomnes enrapport avec les situations de bilinguisme ou de multil inguisme et mme, plus gnra-lement, tout ce qui touche la planification linguistique.1. Le critre linguistique

    Prem ier tre voq u par H. Frei, il situe bien son an alyse l 'aube du structuralismerigeant la langue en un systme de valeurs au sein duquel les lm ents sont so lidairesles uns des autres au point qu'une m odification apporte un seul d'entre eux en traneles autres valeurs et dtermine un regroupement gnral. Deux tendances diffrentes,contradictoires m ais com plm entaires, s'affrontent sous forme d 'oppositions, c'est ce queH. Frei nom m e le besoin d'assimilation et le besoin de diffrenciation, la base du fonc-tionnement de tout systme de signes .

    Pou r ce qui conc erne le besoin d'assimilation, l 'auteur deLa grammaire des fautes citele cas de l 'analogie smantique. C'est l 'interprtation nouvelle donne un signe simpleou un syntagme d'aprs le mo dle d'un autre signe ou d'un autre syntagme prdom inantsdans la conscience linguistique (nous sommes bien l dans le domaine de la sociolin-guistique in terne), par suite de l'impossibilit, de l 'ignorance ou de l 'oubli de l 'interprta-tion correcte. L'analo gie sm antique touch e de prfrence les termes savants et tech-niques, moins familiers du locuteur moyen. Voici quelques exemples cits par H. Freimais qui restent aujourd'hui parfaitement valables :Ex. : Bnin > niais, par un rapporchement abusif avec bte et bent.Fruste > mal dgrossi, par confusion avec rustre et rustique.Proche de l 'analogie smantique, l 'analogie formelle peut tre galement cite, quiexplique que l 'on remplace caillot par caillou dans II a un caillou de sang ou taie par tte dans une tte d'oreiller .Le besoin de diffrenciation, que H. Frei no m m e galeme nt besoin de clart, se m ani-feste au niveau d e la diffrenciation pho niqu e qui affecte particulirem ent la langue fran-aise dans laquelle la sparation des syllabes ne concide pas ncessa ireme nt av ec la dli-mitation grammaticale. Se trouve pos ici, bien longtemps avant que A. Martinet ne lefasse1, le problme de l 'unit du mot, signe de langue fondamental la base de l 'analyseen taxinomies lexicales suggre par B. Pottier2 pour rendre compte des diffrentesvisions du mond e proposes par toutes les langues existant ou ayant exist. Un procdnot courant par l 'auteur et qui est devenu aujourd'hui extrmement frquent pourfaire concider la syllabe avec la limite du mot est la non-liaison. Un syntagme comme avoir honte pourra se prononcer syllabiquement (a-vwa-RrTt), ou au contraire gramm aticalem ent (a-vwaR-5"t). Telle est la vraie raison d 'tre [ajoute H. Frei] del'h dit aspir, qui est en ralit un sparatif destin faire correspondre la coupe de syl-labe avec la limite du mot. Si, l 'poque de La gram maire des fautes (1929) il s'agis-

    1.A. Martinetaconsacr un article au mot dans le n51de la revueDiogene(pages39-53),juillet-septembre1965,Paris, Gallimard.2. Le domaine de l'ethnolinguistique par B. Pottier dans le n 18 (pages 3 11) de la revueLangages,juin 1970, Paris, Larousse.

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    LA GRAMMAIRE DES FAUTES PAR H. FREI

    sait d'une caractristique de la langue p opu laire, ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui 1,ce qui confirme l'hypothse de dpart de l 'auteur selon laquelle il est des critres pure-ment linguistiques qui prsident l 'volution des langues (en l 'occurrence le franais) etqui constituent sans doute ce que d'autres ont appel ailleurs l 'aspect invariant 2de lascience so ciolinguistique.2.Le critre sociolinguistique

    II appartient comme le prcdent la sociolinguistique interne et se trouve constitupar les types de rapports sociaux qui s'instaurent entre les membres d'une mme com-m una ut lingu istique. On peut dire, la suite de A. Meillet (cit parH .Frei), que le chan-gement social est le moteur du changement linguistique. C'est mme, n'en pas douter,la principale caractristique de l 'volution du franais aujourd'hui, ce doit donc tre laprem ire proccu pation des sociolingu istes de terrain et, ce titre, H. Fre i, qui a eu accs des prod uctions spontan es (en particulier la corresp ond ance de beauco up de famillesprives), nous a laiss une uvre aux vertus prmonitoires. N'est-ce-pas P. Guth, dans saLettre ouverte aux futurs illettrs*,publie en 198 1, qui s'criait : Notre langue de princes est devenue un idiome de clochards, un sabir de poubelles, odes loques de franglais s'accrochent des dbris de parler journalistico-radio-phonico-tlvisuels.

    Nou s voici donc face une conception p our le mo ins ngative des nouveaux rapportssociaux, tels que nous les impose nt les mdias (par exem ple), et de leur imp act sur la qua-lit de la langue d'aujourd'hui. M ais rien ne devrait nou s faire ou blier que le vrai franais,le bon franais, celui qu'apprcie P. Guth, est, par essence, celui que parle le peuple, ouqu'a parl le peuple qui l 'a eng endr. La vrit se trouve, com m e toujours, au centre deces deux positions si loignes l 'une de l 'autre. La langue franaise fait partie du patri-moine des Franais qui sont tous, quel que soit leur niveau de langue, des usagers partentire du franais et ce sera donc toujours l 'usage qui dev ra prvaloir. Lequel ? Celui duplus grand nombre dans la mesure o il convient tous et o, sous la forme d'une norme normale , il aura fait son entre dans l 'institution acadmique (celle de l 'cole avanttout). Il faut ad mettre u ne distinction capitale qui est implicite dans le texte de H. Frei etque d issimu le le discours des ides reu es, c'est que le franais n 'existe pas. Ce qui existe,ce sont les langues franaises et les usag es : le franais con ventionn el m ais aussi le fran-ais non conventionnel et mme le franais branch qui est le digne hritier du franaisavanc dont parle H. Frei dans La grammaire des fautes. Mais il y a aussi le langage intello , qui vieillit encore plus vite que les autres, les vocabulaires spcialiss dessciences et des technique s, qui sont autant de constellations v oluan t la priphrie de lalangue commune (dont certains se demandent s'il faut vraiment la connatre pour avoiraccs aux langue s dites de spcialits ), les vocab ulaires rgionaux , voire mm e extra-hexagonau x, de Belgique, du Q ubec, de Suisse et d'Afrique, aux trsors insoup onnsdu boulevard Saint-Germain.

    1.On peut dire par exemple que plus de 90%des enseignants de la docte assemble qui constitue le Conseilscientifique de l'Universit Paul Valry (MontpellierIII)ne fontplusla liaison entrequatre-vingtsettu-diants . Besoin de diffrenciation ou ignorance de l'orthographe, le lecteur juge ra.2.Cf. en particulierC.Hagge dans le texte n 8 du prsent ouvrage.3.Paris, Albin Michel, 1981.

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    DE LA LINGUISTIQUE LA SOCIOLINGUISTIQUE

    Mais on voit mal, dire vrai, comment l 'on pourrait sparer le critre linguistique ducritre sociologique pour parvenir une analyse sociolinguistique pertinente quand onsait que, d'une faon gnrale, l 'volution grammaticale du franais contemporain, enFrance ou hors de France, se fait dans le sens d'une simplication. Celle-ci est-elle due,com m e l'affirme H. Frei dans la suite de son ouv rage, un beso in d 'conom ie ?Certainement. Le seul problm e est que la tendance l 'conom ie est peut-tre plus propreau sujet parlant qu' la langue elle-mme.3.Le critre historique

    C'est ce dernier point de vue que fait merger le troisime critre, historique celui-l,envisag par H . Frei dansLa grammaire des fautes. Les variations, sinon les varits, nesont-elles pas dues aux conditions dans lesquelles se sont dveloppes les diverseslangues ? Nous entrons dans le domaine de la sociolinguistique externe, celle qui a pourobjet les contacts de langue au xqu els H. Frei consacre une partie de son ouvrage en ado p-tant un point de vue qu i, aujourd'hui enco re, n'a rien perdu de son orig inalit : L'emprunt de mot, et le calque ou emprunt de syntagme, ne sont pas autre chose quedes transpositions de langue langue. D'un point de vue large, on pourrait appeler soitl 'emprunt une transposition interlingue, soit la transposition (smantique ou syntagma-tique) un emprunt intralingue. Car le besoin d'invariabilit tend non seulement faciliterle passage des signes d'une catgorie l 'autre l 'intrieur d'une mme langue, maisencore permettre leur passage invariable d'une langue l 'autre : immense sujet, dontnous ne faisons qu'indiquer le principe, et la place dans l 'ensemble. Lorsqu'il parle de transposition interlingue, H. Frei aborde le problme de la concep-tualisation qui peut varier non seulement d'une langue l 'autre, selon le dcoupage de laralit imp os chaque com mu naut linguistique, mais aussi d'une comm unau t l 'autrelorsque deux ou plusieurs d'entre elles, fortement dissemblables, emploient la mmelangue, pour des raisons gnralement historiques. C'est ici qu'intervient le dernier cri-tre qui ressort du texte que nous devons analyser, savoir les conditions historiques dudveloppem ent des langues. Seule une tude systmatique des situations de langage peutpermettre une analyse rigoureuse de l 'tat et de l 'volution d'une langue : son statut, sonou ses modes d'acquisition, ses usages, ses fonctions, la ou les reprsentations qu'en ontceux qu i la parlent ou n e la parlent pa s, sa situation face d'autres langue s (valorisationou pjoration de son emploi ? Position de langue domine ou de langue dominante ?),

    etc. Langue de la libration et mme de la libert au Qubec, le franais n'est-il pas, enAlg rie, celle de l 'ancien co lonisateur et pou rtant le vhicule d'une culture laquelle res-tent attachs des m illions de locuteurs d e l 'autre ct de la M diterran e ? Tous ces qu es-tionnements ne font que confirmer le bien-fond de l 'approche sociolinguistique origi-nale de H. Frei.

    Celle-ci reste donc tout fait d'actualit mm e si l 'on ne peut m anqu er d'tre surpris parla distinction q ui est propos e la fin du texte entre les langu es de petite et de grande com -munication. Si les premires se qualifient par leur conformisme et les secondes par la force d'intercourse (la comprhension la plus large possible), ce n'est pas tant aunombre de leurs locuteurs qu'elles le doivent, bien videmment, mais aux niveaux delangue q u'ils occup ent au sein de chacu ne d'entre elles. H. Frei mcon nat ici la notion deregistre linguistique, c'est--dire l 'aptitude plus ou moins dveloppe qu'a tout locuteur 28

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    LA GRAMMAIRE DES FAUTES PAR H. FREI

    faire face toutes sortes de situations de com m unication . Que ceux q ui ont leur dispos i-tion un registre soutenu, caractris par son conformisme, soient les moins nombreux,quelles que soient les langues et les socits dans lesquelles elles se parlent, c'est ind-niable , et que les usagers des registres cou rants et familiers so ient, partout, les plus n om -breux, c'est tout aussi certain. Mais les uns et les autres participent de la mme langue,quand bien mme les observateurs sociolinguistes ne seraient pas tous d'accord sur latypolo gie et la classification des registres retenir : cinq pou r les uns, soutenu, courant,familier, v ulgaire, pop ulaire ; deux po ur les autres, surveill et non surveill ; enfin, troispour les derniers, soutenu, vulgaire et neutre. La vrit n'est sans doute nulle part, on lalaissera donc l 'apprciation de chacun, en se rappe lant nanm oins qu 'il n'y pas plusieurstypes de langu es, selon le nom bre de leurs locuteurs. Toutes mritent qu'on s'y intresse.

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    lmentsdelinguistique gnralepar A. Martinet1TEXTEN 3

    Une langueest uninstrument de communication selon lequel l'exp-rience humaine s'analyse, diffremment dans chaque communaut, en uni-ts doues d un contenu smantique et d'une expression phonique,lesmonmes ; cette expression phonique s'articule sontourenunitsdis-tinctives etsuccessives,lesphonmes,ennombre dtermin dans chaquelangue, dont lanatureet les rapports mutuels diffrent eux aussi d'unelangue une autre.

    ANALYSECette dfinition de la langue, proposepar A. Martinet danslments de linguistiquegnrale (1960) a eu pendant longtemps l 'ampleur, la force et la diffusion d un textesacr. Aujou rd'hui encore, c 'est ce texte fondateur qu e doitse rfrer tout tu diantquidsire s'initier la linguistique, cette tude scientifique du langage humain .A. Martinetfut l un despremiers introduire l 'Universit franaise unenseignementde linguistique gnrale indpendantdeceluide lagramm aireet de lalinguistique fran-aiseet il a contribu, cetitre,former desgnrations delinguistesqui luisont tousredevables de quelque chose bien qu'ils s en dfendent parfois.On p ourrait comm encer par dire qu 'i l existe un curieux paralllisme entre l 'histoiredesthories scientifiques et celle des thories et des m thodes de la linguistique. On p eut dce-ler dans l 'volution de la scienceet del 'tudedu langage trois moments privilgis:- le mode magique,- le mode objectif,- le mode hypothtique.

    1. Lalinguistique traditionnelleDans l 'histoire de la science, et on pourrait dire la prhistoire, l 'acte par lequell 'homme apprhende la connaissanceest un acte essentiellement mag ique, c 'est--direun refus de l 'objet extrieur l 'homme avec ses rgles de causalit spcifiques. Lemonde, dans l 'acte magique,est conu co mm e une projection desstructures m entalesdel 'homme, incapable de confrer l 'objet son statut d'objet, incapable de pratiquerl 'observation enl 'absence d ' instrumentset de mthodes. L'hom me projette doncsur lemonde ses propres dsirs,sespropres catgories spirituelles,il nieles phnomneset lesreconstruit sa propre image, d o le caractre essentiellement mentaliste de l 'acte

    magique aucours duquelil se substitueau mondeen luiimposantsapropre logique.1.Cette dfinitionde lalangue est extraite du premier chapitre.

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    LMENTS DE LINGUISTIQUE GNRALE PAR A. MARTINET

    La linguistique, ou plus exactement la grammaire traditionnelle, prsente les deuxaspects del actemagique:elle est la fois mentaliste et prescriptive. La linguistique tra-ditionnelle ne dfinit pas son propre objet, par exemple le type de langue qu'elle veutdcrire:c estainsi qu'on confondra longtemps langue crite et langue parle sans recon-natre la spcificit de chacun des deux codes. Pour la linguistique traditionnelle, lalangue est prise pour un miroir de la pense et le grammairien se rassure, comme dansl actemagique, en reconnaissant dans la langue qu 'il tudie ses propres structures men-tales,d'o la prsentation de rgles et de dfinitions, le plus souvent caractre logico-smantique.Ex .:Une phrase est l'expression, plus ou moins complexe, mais offrantunsens complet,d unepense, d'un sentiment,d unevolont1.

    La grammaire traditionnelle comporte galement un aspect normatif puisqu'un tat delangue est considr comm e correct en vertu d unenorme tablie par les thoriciens ouaccepte par l'usage.C esten ce sens qu'on parle de rgles ou de fautes de grammaire.Comme dansl actemagique, le grammairien prescrit certaines rglessansrendre comptedu fonctionnement du langage. On apprend ce qu 'il fautviter,jamais ce qu 'il faut faire.

    Enfin, la grammaire traditionnelle aboutit une prsentation essentiellement analy-tique qui pourra aider l'lve - ou l'apprenant en gnral - saisir la structure d unephrase dj faite mais qui ne sera d'aucune utilit pour l'aider construire une phrasenouvelle, d'o le caractre atomis de cette grammaire dans laquelle on privilgie le motsur la phrase et la morphologie sur la syntaxe.2. La linguistique structurale

    La deuxime poque de la connaissance est le moment o celle-ci accde au rang descience proprementdite.On peut alors parlerdevritable rvolution:treunsavantc esttre capable de reconnatre l'objet son statut d'objet, c'est--dire s effacer devant luipour le placer au centre de l'observation. C estle positivisme d 'A. Comte. Le travail dela science consiste donc observer objectivement le plus grand nombre de faits ou dedonnes, grouper et classer ces faits de manire dgager de leur masse une certaineorganisation,c estce qu'on appelle la conception taxinomique (ou taxonomique) de lascience.C estde cette conception que procde la science du langage devenue telle le jour ola langue a t considre comme un systme travers les travaux de F.de Saussure etde tous ceux qui sont devenus ses hritiers. A. Martinet en fait partie et il a puissammentcontribu vulgariser et exploiter les ides du matre genevois. Pour qu'elle accdedfinitivement au rang de science, la linguistique a d runir les conditions suivantes :

    se librer des lments trangers, extralinguistiques, pour s'en tenir aux caractresimmanents du systme, ceci concernant tous les rapports entre la pense et la langue ; dterminer son propre objet, parfaitement circonscrit et dlimit.C estainsi que la lin-guistique structurale propose :uistique structurale propose1. Dfinition extraite de laGrammaire pratiquedu franais a aujoura hui.Langueparie,langue criteparG. Mauger, P aris, Hachette, 1968.

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    DE LA LINGUISTIQUE LA SOCIOLINGUISTIQUE1. de dcrire la langue parle courante d'un groupe social donn un mom ent do nn,pour reconnatre le caractre spcifique de chaque langue, c 'est--dire de chaquesystme ;2. de limiter le champ de la description en mettant la signification entre parenthses

    et en prenant la forme en considration ;3. de dcrire la langue selon une mthode rigoureuse.Cette mthode passe par la dfinition d'un corpus achev, c 'est--dire l 'ensem ble desnoncs qui ont servi effectivement la communication entre des locuteurs appartenantau mme groupe linguistique : le corpus doit tre reprsentatif et homogne. partir dece corpus, loin de faire une thorie de la langue en question ou d'difier une hypothsesur cette langue, on va en dcrire les lments en fonction de la position qu'ils occupentsur la chane parle, la langue se rduisant donc u ne tude de l 'agenc em ent de ces l-ments :1. segmentation des noncs,

    2. inventaire des formes,3. classement des formes et des noncs.Il s agit de classer des faits de langue : c'est la taxinomie (ou taxonomie). Cettemthode s'accompagne de la volont de rejeter deux des caractres les plus nocifs de lamtho dologie antrieure, savoir le psycho logisme et le mentalisme par :- l 'ana lyse exclus ive des ralisations fournies par le corpu s,- l ' importan ce accorde exclusivement aux critres formels et distributionnels,- le rejet systm atique d'u ne tho rie du sujet et de la situation,- l 'vacuation du sens.Les descriptions linguistiques des annes 60-70 dans leur grande majorit se rfrentaux thories structurales, tout comm e la linguistique dite applique l 'enseignem entdes langues vivantes et ce clbre texte de A. Martinet se prsente donc com m e la formela plus acheve de cette approche nouvelle de la ralit linguistique, faisant de la langueun instrument relativement facile dcrire, pour peu que l 'on respecte le principe de ladou ble articulation - en mo nm es et pho nm es - et dont la fonction prem ire est la com-mu nication. La dfinition propose par l 'auteur des lments de linguistique gnrale estun raccourci de l 'idologie linguistique en cours dans les annes soixante-dix. Son carac-tre systmatique a quelque ch ose de scurisant mais on ne peut s 'emp cher, aujourd 'hui,de constater un certain nom bre de carences susceptibles de donner n aissance une image

    dform e, artificielle et mm e irrelle de la langue ainsi totalemen t coupe de son usag e.La premire remarque faire concerne l 'absence, dans la dfinition propose parA. M artinet, de tous les lm ents constitutifs de la langue m ais qui chap pent la doublearticulation. Ils agit,videmm ent, de tout ce qui a rapport avec la prosodie, c 'est--direla musique d e la parole : l ' intonation, l 'accent et m me les tons dont l 'tude est si impor-tante pour les langues africaines et asiatiques. Ces lments ne sont pas segmentables aumme titre que les monmes ou les phonmes et c 'est pour cette raison que l 'cole lin-guistique amricaine les a regroups sous l 'appellation d'lments supra-segmentaux.Appartiennent-ils au domaine smantique ou l 'expression phonique ? Sont-ils du res-sort de la langu e ou de la parole ? Tout dpend des langue s. Certaines d'e ntre elles retien-nent l 'accent parmi leurs traits distinctifs ; ce sont les langues, comme l'espagnol, danslesquelles la place de l 'accent est libre si bien que le locuteur peut avoir le choix entreplusieurs solutions.32

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    LMENTS DE LINGUISTIQUE GNRALE PAR A. MARTINET

    Ex. : [ 'termino] : le terme[ter 'mino]: je termine[termi'no] : il terminaA. Martinet n'a pas ignor les faits prosodiques auxquels il consacre par ailleurs uneplace importante dans Elments de linguistique gnrale mais il aurait d les mention-ner dans sa dfinition de la langue beaucoup trop troite, trop rduite ce qui constitueexclusivement le linguistique proprement dit : principalement la phonologie et la mor-phologie. Pourtant la prosodie, on le sait aujourd'hui, est un domaine capital de lalangue puisqu'elle se situe la croise de la comptence linguistique, au sens troit duterme (tel que l'entend Martinet lui-mme), et de la comptence de communication quel'on pourrait dfinir ici comme la pratique sociale de la langue. Tout le monde saitbien, par exemple, que mme si la place de l'accent n'est pas distinctive en franais, oelle est fixe, un locuteur qui appuiera sur la premire syllabe du mot, comme le font denombreux Africains, se fera remarquer. D'une faon gnrale, l 'importance de l'extra-

    linguistique n'chappe plus personne aujourd'hui et l 'on pourrait citer, outre les l-ments prosodiques, la gestuelle, les mimiques, la proxmique qui sont des moyens lan-gagiers spcifiques extrmement importants.3.Le temps des hypothses

    Mais il y a peut-tre plus grave. En effet, la dfinition de la langue propose parA. Martinet ne nous penn et pas de rendre com pte de la deuxim e rvolution scientifiquequi a fait pntrer la linguistique dans le domaine de la science contemporaine.Aujourd'hui, ils agit beaucoup moins de collectionner et de classer les faits que deconstruire, partir d'un no mb re limit d'obse rvation s, des thories gnrales et des hypo-thses destines expliquer les faits conn us et rendre com pte des phnom nes inexpli-qus.Sur le plan linguistique, cette rvolution s estarticule autour des thoriciens d e lagrammaire generative dont le chef de file a t N. Chomsky qui fut pendant trs long-temps ignor par l'auteur des lments de linguistique gnrale. Cette nouvelle linguis-tique est une synthse des apports les plus intressants de la grammaire traditionnelle etde la grammaire structurale. On ne se contente plus de dcouper les donnes d'un cor-pus, mais on essaie de reconstituer, sous la forme d'une hypothse abstraite, le systmedes rgles qui permettent l'tre humain de produire et de comprendre une infinit dephrases. Trois tches se prsentent ainsi au linguiste :1. Dcouvrir la nature exacte de la comptence linguistique et tenter d'en donner unmo dle ; on appelle com ptence l'ense m ble des aptitudes spcialises acquises parun sujet ds sa plus tendre enfance et qui lui permettent d'noncer et de comprendre unensem ble infini de phrases dans sa langue maternelle ;2. Savoir comment les sujets parlants utilisent ces aptitudes, c'est--dire construire unautre modle, celui de la performance ; on appelle performance la ralisation, dansl'acte de parole, de la comptence ;3. Faire la lum ire sur l'acquisitio n de ces aptitudes, ce qui revient poser une th oriede l 'apprentissage du langage.

    Cette seconde rvolution, au centre de laquelle se trouve la syntaxe, seconde grandeabsente, aprs la prosodie, de la dfinition de A. Martinet, a donc permis de passer dumo de objectif au mode hypothtiqu e, c'est--dire celui des grandes hypothses sans les-quelles la science ne peut exister. Elle n'a malheureusement pas rsolu tous les pro-33

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    DE LA LINGUISTIQUE LA SOCIOLINGUISTIQUE

    blmes, loin de l, parce qu'elle n 'a pas t capable de se dfaire d'un thoricisme exces-sif et d 'un formalisme de plus en plus abstrait au fil des annes. C estpour cette raisonque,depuis une quinzaine d'annes, la linguistique traverse une priode de crise qu 'elleest seulement en train de surmonter en se faisant plus sociale que spculative. Il nes agitvidemment pas de sacrifier la science linguistique sur l'autel de la sociolinguistiquecomme nagure la grammaire l'avait t sur celui de la linguistique, mais de prendre encompte ce qui fait le caractre spcifique du langage humain, c'est--dire l'homme lui-mme toujours au centre de son discours. Cet aspect-l est totalement absent de la dfi-nition de A. Martinet qui a trop tendance, comme tous ceux de son cole, assimiler lalangue un pur et simple instrument que le locuteur utiliserait dans une espce d'ape-santeur sociale.

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    Lelangageetla socit par H. Lefebvre1

    TEXTE N 4II est vident que la langue parfaite de la science - la m talangue - necorrespond aucune des langues effectivement parles dans des socitsrelles. La mtalangue, parle si l 'on ose dire par les machines, ne seraitqu'accidentelleme nt utilise par des hommes ; elle ne pourrait mm e passe parler avec les lvres, la bouche hum aine, le souffle. Ce serait uneconstruct ion pure, plus proche d une laboration logique pousse

    jusqu' son terme que de l 'expression naturelle et spontane des senti-ments, motions, passions, images. Il se pourrait par exemple (hypothsedont nou s verrons plus tard sur quoi elle se fonde) que cette langue parfai-tement rationnelle se caractrise par le dplacement ou l'limination des stops , des blancs , des coupu res, des pauses, qui jalonn ent le lang ageparl ou crit. Ce jalonnement segmente et dcoupe notre expression dans la langue ;il introduit des articulation s ma is aussi des arrts, des in cer-titudes, sans doute des choix plus ou m oins arbitraires (entre les mots, lestournures, les faons de composer le discours). Certaines de ces coupures,certains de ces arrts, provienn ent d e la physiolog ie (ncessit pour la v ueetl oue de discerner, pour le parleur de reprendre souffle, etc.) pluttque de l 'intellect et des oprations me ntales. Un e dmonstration ma thm a-tique n'est videmment pas dcoupe et agence comme un discours.L'ench anem ent se poursuit sans lacunes, de faon con tinue, bien qu 'il y aitreprise ou introduction d'lments distincts (bien dfinis).Ainsi la recherche du langage parfait, celui de la certitude (scientifique)branle la confiance dans le langag e (courant, parl).

    ANALYSEcrit une poque (1966) o l'on croyait encore que la linguistique tait une scienceexacte, le texte de H. Lefebvre, lui-mme homme de science, s essaie dfinir ce quepourrait tre une langue parfaite, c'est--dire dgage de toutes les contingenceshumaines qui la corrompent par ailleurs. Cette langue est appele improprement mta-langue par l'auteur, qui entend par l une construction pure, logique, et non un discourssur la langue, une langue de la langue.

    1. Texte extrait du premier chapitre.

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    DE LA LINGUISTIQUE A LA SOCIOLINGUISTIQUE

    1. Vers une langue idaleQuelles sont les caractristiques de cette langue parfaite imagine par H. Lefebvre ?La premire est son caractre asocial puisqu'elle se situe en dehors de tout usagesocial. Ils agitl d'un rve de savant,d uneutopie de chercheur compltement dcon-nect de la ralit linguistique et sociolinguistique. Cette proposition de l'auteur fait pen-ser aux conditions dans lesquelles on a tent de dvelopper l'espranto, langue univer-selle mise au point par un savant franais vers 1887. L'chec de l'espranto ne tient pastant desproblmes d'ordre linguistique qu 'desdifficults socioculturelles.Unelanguequi ne sert de vhicule normal et spontan aucune civilisation, qui ne sert de vecteur aucune chelle de valeurs morales, intellectuelles, artistiques ou philosophiques, qui netraduit aucune vision du monde, brefquise dveloppe en parfaite apesanteur sociale n 'aaucune chance de se rpandre puisqu'aucun locuteur ne pourra vraisemblablement sel'approprier. Nier les rapports ncessairement trs troits qu'une langue, quelle qu'elle

    soit, entretient avec la culture au sein de laquelle elle a pris naissance,c ests'exposer un norme contresens sur la nature mme du langage et des langues particulires.Construction pure, laboration logique,c estdonc une conception instrumentale dela langue que se rallie implicitement H. Lefebvre ds le dbut de son texte. Cettedeuxime caractristique appartient bien son temps et on la retrouvera, largement expri-me,dans les crits des linguistes structuralistes et fonctionnaiistes les plus fameux, enFrance et l'tranger (A. Martinet, R. Jakobson, etc.). L encore, ils agit d une linguis-tique qui parat aujourd'hui extrmement marque paruneidologie scientiste. Pourtant,ds cette poque, un vritable penseur comme E. Benveniste, a mis l'accent surl absur-dit qui consiste faire de la langue un instrument, un outil, un objet extrieur l'homm ecomme tout ce qu 'il fabrique ou tout ce qu'il invente pour matriser, peu peu, l'universquil'entoure. La langue est tout autre chose qu 'un instrument, elle ne prolonge paslebrashumain, elle est le bras, elle est la voix, elle est l'Homme.C est travers elle, par elle,contre elle parfois, qu'il se construit, qu'il se dveloppe, qu'il affirme sa personnalit,qu 'il revendique son identit sociale, politique, intellectuelle, affective,etc.Chaque locu-teur s'implique dans son propre discours, se pose en tant que sujet ds qu'il prend laparole, et l'usage que fait le franais du verbeprendren'est certainement pasmettreici au compte du hasard. On fera, partir de E. Benveniste, la distinction entre la lin-guistique de l'nonc et celle de renonciation qui met enjeu le sujet parlant.Se rfrer aux dclarations de E. Benveniste, comme on vient de le faire,c est djcondamner la troisime caractristique de la langue parfaite telle que la conoitH. Lefebvre, selon laquelle elle ne serait qu'accidentellement utilise par des hommes.On sait les faux espoirs et les vraies difficults ns des travaux mens depuis plusieursdcennies sur le traitement automatique des langues.Mais l'auteur va encore plus loin dans sa description de la langue parfaite qu'il veutdbarrassedetoutes les scories duesl'usage. Surleplan formel, etc estl la quatrimecaractristique qu 'il d istingue, il imagine un discours parfait qui ne laisse aucune placeaux hsitations, aux redites, aux imperfections en tous genres qui maillent le parler ordi-naire et quotidien de tous les locuteurs. Ce faisant, il gomme tout le champ de la socio-linguistique sur laquelle repose aujourd'hui la quasi totalit des tudes de langue.Cequ'ildnommestopspuisblancs(etlesguillemets sont ici utiliss par H. Lefebvre lui-mme) ou coupures etpauses sont tous les lments significatifs des fonctionne-

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    LE LANGAGE ETLASOCIETE PAR H. LEFEBVRE

    ments linguistiques regroups dans la sociolinguistique contempo raine sous le terme de ratage s et sur lesquels se fondent toutes les descriptions les plus srieuse s. Il y a doncl, chez H. Lefebvre, une lacune grave puisque se trouve compltemen t occult et rduit nant le domaine sociolinguistique. Son rve d'une langue totalement dsincarne vamme encore plus loin que cela puisqu'il place au rang des imperfections, du fait de leurcaractre arbitraire, le choix des mots, des tournures et des faons de composer le dis-cou rs. Autrem ent dit, sa concep tion de la perfection linguistique l 'am ne refuser le droitde cit tous les procds de type rhtorique utilisables par le locuteur au moment de saprise de parole. Il y a l, en fin de compte, une interprtation totalitaire, qui va jusqu'l'absurde, de la dichotomie saussurienne langue / parole. Apparat ici le vieux prjugqui entache la pense du matre genevois rduisant la parole de simples et toujoursregrettables carts par rapport aux rgles de la langu e. Un struc turalisme d voy , une pen-se gauchie allis un m pris pur et simple pour tout ce qui constitue ce qu'o n appelleraplus tard les sciences molles sont autant d'lments ngatifs qui caractrisent la penselinguistique d e l 'auteur de ce texte.

    La cinqu ime et dernire caractristique attribue par H. Lefebvre la langu e parfaite,mais en quelque sorte par dfaut (c'est le procd bien connu de la dmonstration encreux) apparat dans la comp araison imp licite qu'i l fait entre la dmo nstration mathm a-tique et le discou rs pour lequel apparat un m pris avr : Une dmonstration mathmatique n'est videmment [c 'est nous qui soulignons] pasdcoupe et agence comm e un discours .Selon lui, seul le langage m athm atique p eut atteindre la perfection p ar la qualit de sonenchanement. L encore, il faut souligner le caractre erron de la comparaison. Parlerde langage mathm atique, en l 'opposan t la langue, celle du locuteur ordinaire, c 'est sesituer deux niveaux diffrents en jouant sur l 'ambigut du mot langue en franais.2. Le retour au rel

    Parce qu'il est nourri d'un scientisme faussement triomphant, fait de mpris pour toutce qui n'appartient pas aux sciences dites dures (comm ent la langue pourrait-elle n'tr eque l 'expression naturelle et spontane des sentiments, des motions, des passions, desimages ?) et parce qu'il se sent fort d'une confiance absolue - il dit d'une certitude - enla Science, H. Lefebvre n'cha ppe pas aux vieux prjugs des gram mairiens duxviiesicle prn ant leur confiance en la logique u niverselle (celle du franais videm -ment) et dfendant une attitude trs rigoriste en matire d'usage, la fois prescriptive etcoercitive. Autrement dit, conscient de l 'inaptitude de la langue atteindre la perfection,l 'auteur va se rfugier, comme beaucoup de ses semblables, gnralement des scienti-fiques aux certitudes inbranlables, dans un purisme intransigeant.

    Est-ce dire que la notion de langue parfaite est elle-mme inadquate ? Sur le planstrictement linguistique certainement, tout autant que les notions de langue simple et delangue com plexe toujours suspectes d'ethnocentrism e et peut-tre encore plus de la partdes linguistes occidentaux. En revanch e, si l 'on adopte un point de vue plus sociologiqueque linguistiqu e, si l 'on obse rve toutes les manifestations de l 'usage social, on peut affir-mer qu e certaines langues sont plus adaptes que d'autres aux situations de com mu nica-tion auxquelles tout locuteur p eut se trouver confront. On peut partir du principe que lalangue la plus parfaite est celle dans laquelle le locuteur se sent bien, celle dans laquelleil a grandi - peut-tre - celle qui lui perm et de s'expr ime r le m ieux. Ce sera le wolof37

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    DE LA LINGUISTIQUE LA SOCIOLINGUISTIQUE

    pour un Wolof,le bamilk pour un Bamilk et le franais pour un Q ubcois. Toutesparfaites pour leurs natifs, ces trois langues n 'ont pourtant peu prs rien de commun dupoint de vue des structures linguistiques. Mais il est sr aussi qu 'en l tatactuel de leurdveloppement terminologique, le wolof et le bamilk sont moins aptes que le franais servir de vecteur un cours d'informatique par exemple. Il nes agitpas l, bien vi-demment, d'un jugement de valeur, mais de la prise en compte d une ralit sociolin-guistique qui n'est pas fige pour toujours mais susceptible d'voluer au rythme d unepolitique d 'amnagement linguistique favorisant, au Sngal par exemple, le dveloppe-ment terminologique du wolof.Lorsque cette langue, soit par le biais de ses ressourcespropres, soit par celui de l'emprunt ou du calque, aura acquis les instruments informa-tiques qui lui manquent encore aujourd'hui, il va de soi qu'elle sera la plus parfaite detoutes en ce domaine pour tous les Wolof concerns.

    Toutes les langues sont donc parfaites, condition qu'elles permettent leurs locu-teurs de s'exprimer et de se dvelopper. Mais la notion de perfection, en elle-mme, est manier avec beaucoupdeprcautions parce qu 'elle a des relents souvent nausabonds :relentdecolonialisme en Afrique olefranaisalongtemps t considr comm e la seulevraie langue face aux dialectes africains ; relent d'efhnocentrisme hexagonal l'poque o la mission officielle de l'Acadmie franaise consistait rendre la languefranaise laplus parfaite des modernes en travaillant avec tout le soin et toute ladiligence possible lui donnerdesrgles certaines, la rendre pure, loquente et capablede traiter les arts et les sciences ; relent de centralisme politique quand on oppose le patois occitan la belle langue franaise.

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    Fondements empiriquesd unethorieduchangement linguistique par U. Weinreich1

    TEXTE N 5II y a eu jus qu ' prsent un dsaccord entre l 'htrognit constate etl 'app roch e structuraliste du langage, car plus les linguistes taient frappsde l 'existe nce de structures dans le langage , plus ils tayaient cette obser-vation au moyen d'arguments dductifs quant aux avantages fonctionnels

    d unestructure, et plus le passag e d'u n tat de langue un autre leur deve-nait mystrieux. En effet, s'il est ncessaire qu'une langue soit structurepour fonctionner efficacement, comment les gens peuvent-ils continuer parler pendant qu'elle se transforme, c'est--dire pendant qu'elle traversedes priodes de m oindre sy stmaticit ? Nou s soutenons q ue la solution dece problme consiste rompre l 'identification entre structure et homog-nit. La cl d uneconcep tion rationnelle du chang eme nt linguistique - et,en fait, du langage lui-mme - est la possibilit de dcrire une diffrencia-tion ordonn e au sein d unelangue utilise par une commu naut. Nous sou-tenons qu 'un e matrise quasi inne de structures htrognes n 'a rien voiravec la connaissance de plusieurs dialectes ni avec la simple performancemais fait partie de la compten ce linguistique de l 'individ u unilingue. L 'undes corollaires de ce point de vue est que, pour un e langue utilise par un ecommunaut complexe (c'est--dire relle),c est l 'absenced une htro-gnit structure qui se rvlerait dysfonctionnelle.

    ANALYSECe texte de U. Weinrich (1968), qui fut le premier matre penser de W.Labov, peuts'interprter comme une remise en cause du structuralisme linguistique et, par cons-quent, comme une dfinition en creux de la sociolinguistique qui sera prsente plus tard(en 1985) par C.Hagge,dansL'hommedeparoles,commeune science ne de la prisede conscience des invariants [...] en train de devenir une science de la variation sur fondd'invariant .

    1.L'article complet d'o est extrait ce texte est d M. Herzog, W. Labov et U. Weinreich. Publi en 1968dans l'ouvragedeW.P .Lehmann et Y. M alkiel(ed.),Directions for H istoricalLinguistics,Austin, UniversityofTexasPress, ils intitule Empirical foundations for a theory of language change . W . Labov le cite par-tiellement dans l'introduction deSociolinguistique,estimant que le thme de son ouvrages'y trouve exposmieux [qu'il] ne saurait le faire.La partie de l'article analyse ici est due U. W einreich lui-mme, commele prcise W . Labov dans son livre.

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    DE LA LINGUISTIQUE LA SOCIOLINGU ISTIQUE

    Entre 1968 et 1985 un long chemin a t parcouru : la remise en cause de l'imp ria-lisme structuraliste qui se fonde sur l'homognit, la cohrence, la pertinence et l 'unitlinguistique aboutit, non pas la mort d 'une science mais l 'avnement d 'une autredm arche scientifique prenant en com pte la ralit sociale du langage beauc oup plus dif-ficile cerner qu e la simple ralit lingu istique.

    Ce propos peut clairer d'un jour nouveau les tudes menes depuis plus de dix anssur le franais d'Afrique.1. L'approche descriptive

    11 y a eu, tout d'abord, une approche linguistique, traditionnelle, du phnomne del'africanisme tudi en termes de pertinence par rapport un tat de langue do nn, celuidu franais central, contenu dans des dictionnaires de rfrence reprse ntant, en qu elquesorte, le modle linguistique (Le Petit Robert et le Dictionnaire du FranaisContemporain). C'e st galem ent de cette faon qu 'on t t dcrits, par des linguistes, lesqub cism es, les belgicisme s, etc. En Fran ce, cette tradition fut ouverte par les prem iersspcialistes de dialectologie, descripteurs des usances rgionales dont Tuaillon, en 19 83,s est fait le champion. On s'aperoit donc que l'tude de la variation ne saurait plus trelimite la seule vise diachronique mais qu'elle s'opre travers les changements lexi-caux.2.Les usages sociaux

    Mais se limiter une approche purement linguistique des phnomnes qui constituentle rgionalisme ou le particularisme tels que les emprunts, les nologismes (phoniques,gram ma ticaux, lexicaux , smantiqu es, etc.), c'es t peut-tre passer ct du vritable pro-blme. La prsence, en franais d'Afrique, de termes inconnus du franais de France,n'e st peut-tre pas due qu ' un problm e d'innovation referentielle. Elle est certaineme nt,galement, mettre au compte non pas de simples usances, mais d'un usage social dif-frent. Reconnatre cela, c'est accepter l'ide d'une francophonie plurielle, clate, refl-tant des ralits sociales diffrentes. Autrement dit, on doit passer, par le biais d'u ne tudevritablement sociolinguistique, de la description des mcanismes de l'intgration lin-guistique celle de l'acceptabilit sociale de ces crations dont force est de constaterqu'elles sont en train de changer la langue franaise.Ex. : Le mot * dot, dans la plupart de ses emplois africains, dsigne la compensationma trimon iale verse , selon la tradition, par le futur poux ou