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LETTRES ARTS SPECTACLES

SOTIE

LE MOYNE NOIR EN GRIS DEDANS VARENNESSotie nostradamique, suivie d'unDivertissement sur les dernières paroles de Socrate

par Georges Dumézil (*)

Gallimard, 172 pages, 69 F.

C 'est brillant, savant, juvénile ; un diver-tissement khâgneux, que Georges Dumé-zil a voulu tel : frais éclos de la Rue-

d'Ulm des années vingt, un jeune homme aideson vieux maître à pêcher, dans la marée hautedes paperasses, les feuillets dignes de lui survi-vre. Les deux autres garçons qui viennent le soirdonner un coup de main sont l'un diplomate,l'autre archéologue, normalien lui-même.L'atmosphère est érudite, filiale et, dans l'immi-nence de la mort, recueillie.

Parmi les paperolles que ramènent les filetsdes disciples, il y a un étrange petit mémoire.Monsieur Espopondie — le vieux professeur —s'est intéressé autrefois aux prophéties de Michelde Notre-Dame, à un quatrain surtout, obsédantil est vrai : « De nuit viendra dans la forêt deReines/Deux parts vaultorte Herne la pierreblanche/Le moine noir en gris dedans Varen-nes/Elu cap cause tempeSte feu sang tranche. »A l'ancien déchiffrage de Monsieur Espopondieles jeunes gens ajoutent donc leurs objections,qui appellent en retour le commentaire rajeunidu professeur. Sans compter le grain de sel deDumézil.

La nuit ? Celle de Varennes, bien entendu, le21 juin 1791. La forêt ? Celle de Bondy, oùMarie-Antoinette joua sa vie et où, bien avantelle, la perdit une Blitilde mérovingienne : deux

- reines, par conséquent. Le moine noir ?Louis XVI captif au Temple, portant la robenoire des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Et pourquoi en gris ? C'est qu'ilavait, pour fuir, choisi cette couleur de muraille.

UNE ANAGRAMME SENTIMENTALE

Les deux autres vers donnent plus de fil àretordre. Il faut accorder (sautons à pieds jointssur la démonstration) que « Elu cap » est la

• Convention, ce qui explique assez l'avalanchetragique qui suit, jusqu'au tranche de la guillo-tine. Quant au deuxième vers, qui juxtapose

(*) Georges Dumézil, de l'Académie française, vientégalement de publier « la Courtisane et les seigneurscolorés » (Gallimard).

sans les unir des fragments inintelligibles, c'estle rappel laconique des deux itinéraires sùivispar les fuyards, deux parts. L'un, par vaultorte,fait un crochet jusqu'à Mons ; l'autre va toutdroit à travers la craie champenoise, la pierreblanche. Au croisement des routes se dresse unénigmatique poteau indicateur, marqué Herne.Pour peu que vous acceptiez aussi la substitu-tion de H à F, cet Herne désigne par sa pre-mière syllabe le chemin tortueux de Fersen etpar la seconde le droit chemin de la Reine.

Etes-vous prêt à suivre Georges Duméziljusqu'au déchiffrage de cette anagramme senti-mentale ? Si oui, sachez bien quel bagage lour-dement rationaliste il vous faudra abandonneren route. D'abord, il vous faut accorder qu'iln'y avait aucune chance pour que le hasard descombinaisons poétiques ait uni dans un mêmequatrain le seul Varennes qui ait laissé un nomdans l'histoire de France, un événement noc-turne, un homme en gris, la guillotine. Si cen'est hasard, il vous faut donc convenir quec'est nécessité. Laquelle ?

Vous avez encore le choix : ou bien vous sup-poserez l'action d'un Dieu sur le cerveau duprophète — le jeune diplomate ne l'exclut pasou bien vous songerez à la transmission de pen-sée, du cerveau du futur Louis XVI, virtuelle-ment présent dans le sac à semence de quelqueBourbon, au cerveau de Nostradamus — solu-tion vertigineuse, mais Monsieur Espopondie,fils d'une époque où l'on soumet à volontiers àl'expérimentation la transmission des pensées, apour elle un oeil complaisant ; ou bien — c'estle choix du disciple préféré, le narrateur — vousimaginerez un cerveau prodigieux, immergé dansdes millions de données, les combinant demanière à pouvoir « donner» l'avenir : car letemps du prophète est comme le temps du rêveil bouscule la chronologie, archive le futur etprojette le passé, place avant le fuyard en gris lemoine noir qu'il est destiné à devenir, car il les« voit » ensemble.

Je sens que vous reculez. Un esprit contra-riant vous souffle que ce que l'esprit humainfabrique avec le plus d'obstination et d'aisance,c'est la cohérence, surtout rétrospective ; desortè qu'il faut admirer Georges Dumézil beau-coup plus que Nostradamus. Vous n'en avez pasfini pour autant avec ce canular sérieux, tant ilcomporte de lectures.

« QUAND FLEURIRA LA ROSE »

D'abord, il faut au moins concéder que toutce décryptage, présenté « sur le mode hypothéti-que, le seul de mise », est à verser à l'investiga-tion scientifique de l'avenir. En attendant, com-ment n'être pas séduit par l'élégante ingéniositéde cette « forgerie » métaphysique ? On ytrouve, à défaut d'autres clés, celles qui ouvrentl'ceuvre et l'existence de Georges Dumézil,vouéeS à la permanence des structures mentales.On y admire l'art avec lequel, aussi bien queNostradamus, il mêle les temps de sa narrationl'époque positiviste (qui forma le jeune Espo-pondie) s'unit ici aux années vingt (où le jeuneDumézil s'initiait au Collège de France à-« l'élan vital ») et à l'année où, devenu à sontour Monsieur Espopondie, Georges Dumézilmet de l'ordre dans ses papiers et dans sa vie :la prophétique, l'uchronique année 1084.

La sotie normalienne s'achève sur un con-cours de prophéties. Conviés à exercer leur sub-tilité, les jeunes gens doivent élaborer, à partird'un quatrain de Nostradamus, la prophétie à lafois la plus cohérente et la moins vraisemblable.Significativement, c'est l'homme d'action qui,devant les normaliens, décroche la timbale dusaugrenu. En un lieu (Istanbul) « que deux fleu-ves arrosent », en un temps printanier, « quandfleurira la rose », le jeune diplomate annonceun attentat sanglant contre un « Romain pon-tife ». Premier prix de fantaisie, en effet : quiirait imaginer un pape baladeur, alors qu'il nesort pas de ce Vatican qu'il tient pour sa geôle ?Et qui, au moment où la Turquie se laïcise ets'européanise, pourrait croire à un retour dufanatisme islamique ? Personne, en 1925. Mais,en 1984, voilà de quoi réfléchir à l'infirmité dela prévision et à la puissance de la vision.

MONA 020liF

DUMÉZIL PREMIER PRIXDE FANTAISIE

Oublieux des mythes, le maître se livre, cette fois,

à un petit jeu d'érudit

76 Vendredi 17 février 1984