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E CIVIL ET L'AUTONOMIE OIT COMMERCIAL LU Ils LILKOFF* Québec Introduction Les juristes de la Province de Québec ont constaté à diverses re- prises les modifications qu'ont subi, sous la poussée des phéno- mènes économiques et sociaux, les divers domaines du droit . La codification de 1866 n'a pas empêché l'évolution du droit privé. Celle du droit commercial, incorporé dans le Code civil, mérite d'être examinée . L'imprécision et la variabilité des règles du droit commercial s'opposent à la clarté et à la relative stabilité du droit civil . Ce dernier, en grande partie-surtout pour les contrats et les obliga tions-est issu du droit romain dont il a hérité la logique et la perfection technique, qualités qui assurent sa pérennité. Le droit commercial, au contraire, a pris naissance aux sources incer- taines des statuts des villes, ainsi que dans les usages des foires du moyen age . En outre, dans la Province de Québec, il a puisé au droit national de divers pays dont les sytèmes juridiques sont différents . Pour cela, au moment de la codification, l'énonciation même des règles du droit commercial fut difficile . Mais les codi- ficateurs, reconnaissant sa nature particulière, ont voulu faire con- fiance à ses facultés d'adaptation aux "nouveaux besoins".' Ainsi en 1866, le droit commercial fut assujetti aux modifications futures de la vie économique. ` ®n pouvait s'attendre que cette attitude du législateur et l'im- précision et l'insuffisance des règles, auraient comme conséquence d'accentuer, par une évolution indépendante de celle du droit civil, le particularisme du droit commercial. Cela devait normale- ment renforcer l'autonomie qu'il détenait du système français présenté comme modèle, au moins sur le plan formel. 2 *Lubin Lilkoff, Professeur à la Faculté de Droit de l'Université Laval, Québec. x Septième rapport des Commissaires chargés de la Codification des lois du Pas-Canada, vol. 3 (1865), p. 215 . 2 1857, 20 Vict., chap . 43, art . VI .

E CIVIL ET L'AUTONOMIE OIT COMMERCIAL

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LU Ils LILKOFF* Québec
Introduction Les juristes de la Province de Québec ont constaté à diverses re- prises les modifications qu'ont subi, sous la poussée des phéno- mènes économiques et sociaux, les divers domaines du droit. La codification de 1866 n'a pas empêché l'évolution du droit privé. Celle du droit commercial, incorporé dans le Code civil, mérite d'être examinée .
L'imprécision et la variabilité des règles du droit commercial s'opposent à la clarté et à la relative stabilité du droit civil . Ce dernier, en grande partie-surtout pour les contrats et les obliga tions-est issu du droit romain dont il a hérité la logique et la perfection technique, qualités qui assurent sa pérennité. Le droit commercial, au contraire, a pris naissance aux sources incer- taines des statuts des villes, ainsi que dans les usages des foires du moyen age. En outre, dans la Province de Québec, il a puisé au droit national de divers pays dont les sytèmes juridiques sont différents . Pour cela, au moment de la codification, l'énonciation même des règles du droit commercial fut difficile. Mais les codi- ficateurs, reconnaissant sa nature particulière, ont voulu faire con- fiance à ses facultés d'adaptation aux "nouveaux besoins".' Ainsi en 1866, le droit commercial fut assujetti aux modifications futures de la vie économique.
` ®n pouvait s'attendre que cette attitude du législateur et l'im-
précision et l'insuffisance des règles, auraient comme conséquence d'accentuer, par une évolution indépendante de celle du droit civil, le particularisme du droit commercial. Cela devait normale- ment renforcer l'autonomie qu'il détenait du système français présenté comme modèle, au moins sur le plan formel.2 *Lubin Lilkoff, Professeur à la Faculté de Droit de l'Université Laval, Québec.
x Septième rapport des Commissaires chargés de la Codification des lois du Pas-Canada, vol. 3 (1865), p. 215 .
2 1857, 20 Vict., chap . 43, art . VI .
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Or tel n'est pas le sens de l'évolution du droit commercial. Les besoins de la pratique n'ont pas engendré des nouvelles règles. Il s'est opéré, au contraire, une évolution dans le sens in verse . Le droit commercial, au moins en matière contractuelle et obligationnelle, ne fut pas le droit conquérant et vivant qu'on espérait . Il présente l'aspect d'une branche juridique rabougrie, d'un droit d'exception dont la raison d'être même est discutable . On constate sans surprise que le plus grand commercialiste qué- becois, à deux reprises et avec vigueur, s'est prononcé pour 1a disparition de ce droit dont il a, par ailleurs, si brillamment as- suré la survivance . Ses conceptions semblent suivies par tous ceux qui se sont prononcés sur cette question . 3
Ainsi, face à ce droit, il s'est opéré une évolution des esprits qui a abouti au grand débat ayant comme objet la question de l'opportunité d'avoir un droit commercial spécial. C'est le pro- blème infiniment complexe et important de l'unité ou de la dualité des deux principales branches du droit privé. Il consiste à dis- cuter les arguments qui militent en faveur de la nécessité d'avoir un droit autonome ou qui s'opposent à son existence, en tant que branche particulière .
Ce n'est pas sous cet aspect que nous envisageons cependant nos développements. Avant de nous immiscer au débat, il faut prendre conscience de l'état du droit positif. Il faut constater, d'abord, dans quelle mesure le droit commercial se différencie du droit civil . Ce constat permettrait de prendre position, en meil- leure connaissance de cause, sur la grande question de l'heure. A vrai dire, nous contestons l'utilité de prendre parti, de lege
ferenda, dans la controverse qui concerne les avantages et les désavantages de l'unité. Dans plusieurs pays et dès le dix-neuvième siècle-on sait qu'à la suite de la codification française une quaran- taine de codes de commerce ont vu le jour dans les pays de système latin ou germanique-des auteurs éminents ont brillament ex-
-1 A. Perrault, Traité de droit commercial (1936-1940), t . 1, no . 152 bis, p . 155 ; le même auteur : Le droit commercial québecois : 1923-1947 (1948), 26 R . du B . Can . 137, à la p . 141 ; W . Johnson, Sources of the Quebec Law of Evidence in Civil and Commercial Matters (1953), 31 R . du B. Can . 1000, à la p . 1002 ; D . Barlow, The Civil Law of Insurance of the Province of Quebec (1943), 21 R. du B . Can . 613, à la p . 625, estime que le droit des assurances devrait retrouver sa place en droit civil ; P . Carignan et A . Mayrand, Travaux de la semaine internationale de droit (1950), L'in- fluence du Code civil dans le monde 783, à la p. 799 . Il convient de remarquer qu'il ne s'agit pas d'une uniformisation des lois commerciales dans tout le Canada dont le danger pour le droit privé de la Province de Québec a été maintes fois signalé : L. Pelland, Deux congrès (1929-30), 8 R. du D.67 ; L . Baudouin . Le droit civil de la province de Québec, modèle vivant de droit comparé (1953), p. 70 .
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posé les arguments qui militent en faveur de l'une ou l'autre thèse.¢ Récemment encore l'unification ou la dichotomie du droit civil et du droit commercial ont été magistralement défendues par leurs partisans respectifs .' Les arguments invoqués sont valables aussi pour notre droit qui est partiellement inspiré, comme celui des autres pays, du droit français . ®r le débat poursuivi pendant plus d'un demi siècle parait sans issue, chaque thèse ayant ses mérites.
Notre but est donc de décrire l'état du droit positif et de dé- terminer, en fait, quelle est l'autonomie du droit commercial. Mais, puisque cette question s'est posée depuis longtemps dans les pays étrangers, il nous parait opportun d'exposer, en pre- mier lieu mais très brièvement, comment elle fut résolue dans les diverses législations .'
l. Aperçu général de la question . Dès le dix-neuvième siècle, même dans les législations ayant la dua- lité des codes, on a constaté, par un phénomème d'osmose, le rapprochement du droit civil et du droit commercial. Et cela à une époque où, on le croyait, les récentes codifications devaient ralentir l'évolution du droit? Cette tendance fut accentuée peu- dant la première moitié du vingtième siècle et a abouti à un aban- don progressif de la dualité.
4C. Vivante, Un code unique des obligations, [1893] Ann. Dr . Coin. 1 ; le même auteur : L'autonomie du droit du commerce et les projets deréforme, [1925] Ann . Dr. Coin. 265 ; M . Rotondi, Des rapports du droit commercial et du droit civil en général et en particulier en Italie, Le droit civil français, Livre souvenir (1936), p . 847 ; S. Frédéricq, L'unification du droit civil et du droit commercial . Essai de solution pragmatique, [1962] Rev. trim . dr . coin . 20 3 ; J. Limpens et J . Van Damme, De l'intégra- tion du droit civil et du droit commercial en matière d'obligations, Travaux de l'Assoc . FI . Capitant, t . VIII (1955), p . 78 ; J. Van Ryn, Autonomie nécessaire et permanence du droit commercial, [1953] Rev . trim . dr. coin . 56 5 ; la préface du Traité de droit commercial de Hamel et Lagarde (1954) est un remarquable plaidoyer en faveur de l'autonomie du droit commer- cial ; J . Escarra, Cours de droit commercial (nouvelle édition, 1952), nos .48 et s .
6 L'unification interne du droit privé, Colloque international du Centre National de la Recherche Scientifique, Paris (1954) ; pour un résumé des rapports et des conclusions du colloque . Variétés, [1954] Rev . trim. dr. coin. 577 .
_s Four le droit français . J . Hamel, Les rapports du droit civil et du droit commercial en France, [19331 Ann . dr . corn. 183 ; le même auteur : Droit civil et droit commercial en 1950, Le droit privé français au milieu de XXè siècle, Etudes Ripert (1950), t . 2, p . 261- ; C, . Lagarde, R. David, R. Houin et A . Tune, rapports au colloque international sur l'unification interne du droit privé, op. cit ., ibid., pp . 81 et 91, 99 et 109 .
7 E . Thaller, De l'attraction exercée par le Code civil et par ses méthodes sur le droit commercial, Le Code civil 1804-1904, Livre du centenaire (1904), t . 1, p . 225 ; Ch . Lyon-Caen, De l'influence du droit commercialsur le Code civil depuis 1804, Le Code civil 1804-1904, ibid., t . 1, p . 207.
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Les solutions des diverses législations. Sur le plan législatif, dans des circonstances historiques par-
ticulières et pour des motifs propres, divers pays ont unifié, à des degrés divers, leur législation . En Suisse cela fut réalisé dès 1881 et 1912 ; en Italie, après bien des controverses, le nouveau code de 1942 a consacré l'unités Le Code de commerce qui con- tinue d'être en vigueur aux Pays-Bas est progressivement vidé de son contenu, particulièrement depuis la loi de 1934 qui a supprimé la notion d'acte de commerce et la distinction entre commerçants et non-commerçants .9 Même en France on recommande l'abandon de la distinction traditionnelle ; les Commissions de Réforme du Code civil et du Code de commerce, réunies en séance spéciale le 25 octobre 1949, ont décidé de rédiger un seul code de droit privé, avec un livre commun sur les obligations.°
La doctrine de ces divers pays a pris une part active dans l'évolution du droit. Elle est en grande partie responsable, sur- tout en Italie et aux Pays-Bas, des nouvelles tendances législatives. En France, lors du très important colloque sur "l'Unification in- terne du droit privé" tenu à Paris en 1953, le tendance unificatrice a semblé l'emporter ; on a souhaité unanimement" que soit dimi- nué le paticularisme du droit commercial et que soit modifié son domaine"." La modification du domaine du droit commercial est souhaitée, aussi, par les partisans les plus irréductibles de son autonomie : il y voient, de leur part, la condition de sa survie ; on devrait, estiment-ils, abandonner la conception traditionnelle et concevoir le droit commercial comme étant celui des affaires ou même former un droit économique. 12
Ainsi, ce bref tour d'horizon nous indique que cette question, 8 Secretan, L'unité du droit privé en Suisse (1947), 70 Bull . trim. de la
Soc . de lég. camp . 143 ; K . Oftinger, Le droit commercial et le droit civil dans la législation Suisse, communication faite au colloque international sur l'unification interne du droit privé, op. cit., note 5, p . 31 ; T. Ascarelli, l'unification du droit privé en Italie, op . cit., ibid., p . 47 .s E. M. Meijers, l'unification du droit civil et du droit commercial aux Pays-Bas, Colloque international sur l'unification du droit privé, op . cit., ibid., p. 63 ; J . Offerhaus, L'évolution du droit commercial spécialement aux Pays-Bas (1955), 7 Rev. int . de dr. comp. 297 ; R . Piret, L'abandon du concept d'acte de commerce et de commerçant et règles propres au commerce dans le droit néerlandais (1949), 26 Rev . int . dr . comp. 73 .
3 ° Travaux de la Commission de réforme du Code civil, 1948-1949 (1950), pp . 104 et 109 ; G. Lagarde, Les travaux de la Commission fran- çaise de réforme du Code de commerce et des lois sur les sociétés, [19561 Rev . trim. dr. coin. 1 .
Conclusions du colloque sur l'unification interne du droit privé rédigées par A. Tune, op. cit., note 6, p . 138
12 Flamelet Lagarde, Traité de droitcommercial, op . cit ., note 6, préface, aussi nos . 2 et 6, pp . 2 et 12 ; J. Van Ryn, loc. cit., note 4, nos . 5 et 6, pp . 567 et 568.
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loin d'être théorique et purement spéculative, a des incidences législatives directes. Dans la Province de Québec elle présente un aspect particulièrement actuel au moment où la Commission de Réforme du Code civil est appelée à prendre position sur l'unité ou la dualité du droit privé. Car, qu'elle maintienne le système actuel ou le modifie, quel quesoit son choix, il serale résultat d'une option.
Avant d'entreprendre notre recherche, il convient . de préciser les deux termes du sujet ; nous allons définir d'abord la notion d'autonomie et indiquer, ensuite, quel sens on donne à la notion de droit commercial.
Les deux conceptions de l'autonomie. Le concept d'autonomie peut être envisagé de deux manières
différentes; on peut considérer le fond du droit dont il s'agit ou simplement sa technique.
Certains estiment que le droit commercial "n'existe vraiment que s'il possède son esprit propre, des sources particulières, s'il est soumis à une technique spéciale" ;'$ qu'une distinction, pour être valable, doit être une distinction de nature, de fond; qu'un système de droit autonome donne des solutions suivant des prin- cipes juridiques propres. Et si, à défaut d'un texte. sur un point particulier, on applique les règles du droit civil, c'est parce que c'est le droit commun ; mais alors ces règles devraient s'appliquer et s'interprèter suivant un esprit et une méthode qui ne seraient pas ceux du droit civil.14
D'autres auteurs soutiennent, c'est la distinction technique, que l'autonomie d'Une branche du droit existe quand elle a des règles particulières. Le droit commercial devrait être considéré comme autonome dès qu'on constate l'existence d'une technique propre appliquée suivant les critères d'acte de commerce ou de commerçant.ls
13 Ce fut la position des MM. Amiaud et David au colloque, (1954] Rev. trim . dr . com. 577, à la p . 580.
14 Sur la distinction technique et la distinction de fond : H. Burin des Roziers, 'La distinction du droit civil et du droit commercial et le droit anglais (1959), p . 12 : cet auteur démontre, à la suite de R. David et Eise- mann, qu'un droit est autonome par son objet, ses fondements et ses sujets de droit ; ce n'est donc pas la différence de technique qui confère l'autono- mie ; il arrive même que les règles soient identiques mais qu'il y existe une différence de fond entre deux branches de droit . Nous souscrivons à cette conception et estimons que le droit privé québecois est autonome par rapport au Code Napoléon même quand il y a identité des règles . Remar- quons cependant qu'il est normal qu'un droit autonome ait une technique appropriée : R. l'errot, De l'influence de la technique sur le but des institu- tions juridiques (1947).
1s Telle fut la conception des autres membres du colloque, toc . cit., note 13, à la p. 580 .
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Tels sont les deux critères utilisés pour déterminer l'autonomie d'une branche de droit . Il ne faut pas confondre ces critères avec la façon de réaliser l'unité des droits en question .
L'unité du code et l'autonomie.
Rappelons que l'unité de code ne signifie par nécessairement l'unité du droit. Un pays peut avoir un seul code de droit privé contenant des règles se rapportant à des branches juridiques différentes . Ainsi, l'unité de code peut se présenter sous trois formes différentes."
L'unité formelle consiste à englober dans un code des dis- positions appartenant à des disciplines juridiques différentes . Une telle unité est superficielle et son importance secondaire ; elle n'empêche pas l'autonomie du droit commercial suivant l'un ou l'autre des critères énoncés plus haut."
Avec l'unité substantielle ou matérielle on a une loi uniforme qui est universellement appliquée. Cette unité ignore la dualité de régime et entraîne la disparition des notions d'acte de commerce et de commerçant ; le droit commercial cesse d'exister sous quel- que forme que ce soit."
En dernier lieu, l'unité scientifique consisterait à traiter d'une manière raisonnée et logique le droit commercial considéré "com- me une branche générale des obligations" .i9 L'unité n'existerait que dans le domaine conventionnel et obligationnel . Cette unité tendrait à orienter le droit commercial vers le droit publie, ce qui déplacerait l'axe du problème ; l'autonomie du droit com- mercial devrait donc être discutée en fonction du droit public.
Notre doctrine distingue ces trois formes d'unité. Elle n'a pas analysé cependant le degré d'autonomie du droit commercial- elle ignore les critères de la distinction-et se contente d'affirmer que le droit commercial est un droit d'exception . ."' L'usage de ce terme, un peu dédaigneux, semble impliquer que ce droit constitue une branche parasitaire dépendante, pour sa méthode et le fond
Il Il ne faut pas confondre l'unité du droit et l'unité de juridiction ; certains pays, dont le nôtre, ignorent les tribunaux de commerce, tout en pratiquant chez nous, au moins pour le droit privé, un droit commercial différent du droit civil, Hamel et Lagarde, op. cit., note 4, no . 8, p . 9 ; Escarra, Escarra et Rault . Principes de droit commercial (1934), no . 43, p . 58 .
17 Escarra, Escarra et Rault, op . cil., ibid., no . 40, p . 57 ; Limpens et Van Damme, op . cit ., note 4, à la p . 88 .
'$ Escarra, Escarra et Rault, op . cit., ibid., no . 44, p . 59, Limpens et Van Damme, op. cit ., ibid. : S . Frédéricq, op . cil ., note 4, à la p . 204.
'l Escarra, Escarra et Rault, op . cit ., ibid., no . 47. p . 63 . 20 A. Perrault, Le droit commercial québecois : 1923-1947, loc . cit_
note 3 . à la p . 143 .
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du droit, du droit civil. Cela mérite un examen spécial; tel est précisément l'objet de nos préoccupations . Niais, auparavant, il faut expliquer aussi le second élément du sujet en précisant de quel droit commercial il s'agit .
La nécessité de définir le droit commercial et de délimiter son domaine. La nécessité de définir le droit commercial pourrait surpren-
dre. Cependant une- mise au point s'impose pour plusieur motifs . D'abord on n'a jamais pu définir le droit commercial d'une
manière précise, comme on l'a fait, assez aisément, pour le droit civil. Les différentes définitions que les auteurs proposent sont vagues ; on ne s'entend pas sur 1e contenu de ce droit, encore moins sur le critère général qui le caractérise. Thàller insiste sur l'idée de circulation; Lyon-Caen et Renault prennent en considération l'idée de spéculation . A la suite de J. Escarra, on a cru résoudre la difficulté par la notion d'organisation préétablie ou l'idée d'ac- tivité organisée, tandis que Ripert a proposé de sa part une con- ception basée sur un droit professionnel . 21 Aussi, des commer- cialites réputés estiment-ils qu'il serait vain de tenter une définition précise et complète du droit commercial .22
®n peut parer à cette imprécision des définitions en indiquant son contenu et en délimitant son domaine d'application .
Le second motif découle du fait que la doctrine actuelle des autres pays abandonne volontiers la conception traditionnelle pour envisager le droit commercial dans une perspective d'avenir ; on décrit ce droit tel qu'il sera ou tel qu'il devrait être. L'expres- sion elle-même tend à être abandonnée et le droit des commerçants stricto sensu devient le droit des affaires ou même celui des acti- vités économiques.23 !On insiste sur 1a nécessité de distinguer le domaine virtuel et le domaine formel de ce droit. Le premier en- globerait l'ensemble des règles juridiques relatives à l'activité économique de l'homme, tandis que le second serait limité, pour des raisons purement historiques et traditionnelles, au droit des marchands dans lequel les notions d'acte de commerce et de com- merçant sont fondamentales . Pour cela, estime-t-on, "pour prendre parti sur la question de l'autonomie du droit commercial,
21 Les diverses définitions sont résumées, avec références aux auteurs, par G. Lyon-Caen, Contribution à la recherche d'une définition du droit commercial, [19491 Rev. trim. dr. corn . 577, à la p . 579 et suiv.
22 Escarra, Escarra et Rault, op . cit., no . 1, p . 7 . 2' Supra, note 12 .
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il faut évidemment prendre en considération le domaine virtuel de ce droit, et non son domaine formel".21
Une telle évolution dans la conception même du droit com- mercial ne se manifeste pas dans la Province de Québec. On s'en tient à la conception traditionnelle ; on s'approprie et on cite les définitions contenues dans le traité de Perrault. Or cet auteur n'a pas voulu donner une définition personnelle du droit com- mercial québecois et se contente de citer des auteurs de France (Lyon-Caen, Thaller), d'Italie (C. Vivante) et même d'Angleterre (Blackburn qui essaie de définir le vieux droit des marchands)25 Il faut évidemment tenir compte de cette position traditionnelle- elle dénote le caractère désuet de notre droit commercial-et cette absence de définition proprement québecoise nous oblige encore à la délimitation du domaine.
Enfin le troisième motif, et le plus important, consiste dans la profonde différence qui existe entre les divers textes qui régis- sent le droit commercial . Les codificateurs eux-mêmes ont voulu séparer les règles qui appartiennent exclusivement au droit com- mercial de celles contenues dans les contrats et les obligations." En outre, les dispositions du livre quatrième sont complétées par divers statuts émanant de juridictions différentes ; souvent, comme la Loi des lettres de change, ils sont sous la compétence fédérale exclusive. Cependant ces diverses lois, incontestablement de nature commerciale, n'excluent pas, dans certains cas, l'application du droit commun-telle la question tant discutée sur la capacité dans la Loi des lettres de change-et exigent des explications relativement à leur autonomie.
Ainsi, puisqu'il existe, de prime abord, une différence profonde entre les textes obligationnels et de droit commercial contenu dans les divers autres textes et lois, nous essaierons de vérifier la notion d'autonomie par rapport au contenu de ces deux caté- gories de textes .
II . L'autonomie en matière des contrats et des obligations. Nous avons déjà indiqué qu'une technique particulière ne déter- mine pas nécessairement une discipline autonome. Nous utiliserons, en conséquence, comme critère de différenciation, la distinction de fond . Ainsi nous analyserons la raison d'être et les sources du droit commercial ainsi que les caractères généraux du critère
24 7. Van Ryn, loc . cit ., note 4, nos . 5 et 6, aux pp . 567 et 568 . 2s A. Perrault, Traité de droit commercial, op . cit ., note 3, no . 35 bis,
p . 38. 26 Op. cit., supra, note 1, p . 315 .
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de la commercialité . Le domaine de nos recherches est circonscrit à la preuve, au contenu (la solidarité par example) et à l'extinction des obligations (la prescription), ainsi qu'aux contrats spéciaux ayant une nature commerciale.27
1) L'autonomie et l'esprit du droit commercial. Deux nécessités dominent le droit commercial et constituent
sa raison d'être . la rapidité des opérations commerciales et le renforcement du crédit . La célérité s'oppose en principe à tout formalisme, en sacrifiant, parfois, les mesures protectrices de la volonté . Le crédit, indispensable à toute activité économique, exige, pour être accordé facilement et à bon marché, des modes d'exécution rigoureux en cas de non paiement par le débiteur .
Or tel n'est pas le caractère général des règles en matière con- traçtuelle et obligationnelle. Dès la codification le formalisme s'est insinué en matière de preuve . Le principe que la preuve testi moniale est admise "de tout fait relatif à des matières commer- ciales" 28 qui parait absolu et général, est battu en brèche par l'exigence d'un écrit dans les quatre cas mentionnés dans l'ar- ticle 1235 du Code civil. Il est intéressant de constater que cet article se rapporte exclusivement . aux matières commerciales, ce qui' indique la conception du législateur: la sécurité l'emporte sur la .rapidité. Ainsi on s'éloigne de l'esprit du droit commercial et cette dualité est critiquée par les codificateurs eux-mêmes29
Les lois commerciales, insérées dans le Code civil depuis 1866, sont d'un formalisme minutieux et déconcertant. Tel est l'aspect de la Loi relative au nantissement commercial ou de la Loi de la vente en bloc .3° La Loi de la vente à tempérament, déclarée de nature commerciale par le législateur lui-même," n'a aucune des caractéristiques traditionnelles de ces lois- son formalisme est exigé pour la protection de l'acheteur, contre son vendeur ; c'est un moyen de promouvoir la finalité sociale de la loi.
La nécessité du renforcement du crédit se matérialise dans la présomption de solidarité en matière commerciale," disposition
24 Pour une liste des articles de droit commercial concernant ces matières : Perrault, op . cit ., note 3, no . 277, p . 285 ; Fabre-Surveyer, Rapports entre le droit commercial et le droit civil, Le droit civil français, Livre souvenir (1936), p . 585, à la p . 590 et suiv .
21 Art. 1233, al . 1 du Code civil . 29 Premier rapport des Commissaires chargés de la Codification des
lois du Bas-Canada (1865), vol . 1, p. 31 . 30 Loi relative au nantissement, chap . IV, Du nantissement commercial,
1963, 10-11 Eliz . 11, chap . 57, art . 1979e et suiv . du Code civil ; la vente en bloc ajoutée au Code en 1910, art . 1569a et suiv . du Code civil .
Il Art . 1561j du Code civil.
12 Art. 1103, al . 3 du Code civil .
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discutée à l'heure actuelle à cause de l'ampleur du crédit à la con- sommation .33
Nos textes ne traduisent pas les raisons d'être du droit com- mercial au point de justifier une autonomie de nature . Ceci se constate aussi dans l'examen des sources des textes en question.
2) L'autonomie et les sourcesformelles du droit commercial. a. Les textes du Code civil et l'autonomie.
Au Québec l'importance des sources en droit privé est beau- coup plus grande qu'en France. La codification de 1866 n'est, par rapport à la continuité historique, qu'une consolidation du droit car on n'a fait qu'insérer dans un code les règles alors en vigueur (exception faite du droit nouveau proposé par les codificateurs) . La loi de 1857 est à cet effet, l'influence des codes français étant limitée quant au plan et quant à la forme.34 Sur le plan législatif cette continuité est assurée par l'article 2613 du Code civil qui maintient le droit antérieur, sauf si le Code contient une disposition expresse qui lui soit contraire ou incompatible. Et puisque, en 1866, 1e droit commercial n'avait pas encore acquis une forme symétrique et bien définie," l'importance des sources s'avère en- core plus grande qu'en droit civil .
Pour mieux saisir cette idée il est utile de rappeler brièvement la position du droit français. En France, lors de la confection des deux codes de droit privé, on a expressément abrogé les règles de l'ancien régime ." Cela se comprend aisément . En période révo- lutionnaire la loi devient la principale source de droit et tend à rompre avec le passé. Or les codifications devaient assurer la pérén- nité des idées nouvelles. Au Bas-Canada, au contraire, la codi- fication fut faite à une époque de stabilité sociale . La survivance de l'ancien droit à la codification devait, aussi, assurer, avec le maintien des traditions, les aspirations nationales des canadiens- français .
Ainsi le droit commercial actuel maintient ses sources his- toriques propres qui devraient normalement lui assurer cette auto- nomie qu'on recherche .
Il Divers organismes sociaux ont récemment sensibilisé l'opinion pub- lique à cette question.
34 La continuité de l'ancien droit a été maintes fois soulignée par la doctrine : P. B . Mignault, Le Code civil au Canada, Livre du centenaire (1905), p . 725, à la p . 727 ; Baudouin, op . cit., note 3, p . 67 ; Carignan et Mayrand, op . cit ., note 3, p . 784. W. Johnson, The Law Cannot Stand Still (1955-56), 2 McGill L . J . 11 .
Il Supra, note 1 . 26 Pour le Code Napoléon c'est la loi du 30 ventôse An XII, art . 7 ; pour
le Code de commerce c'est la loi du 15 septembre 1807 .
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Tel n'est malheureusement pas le cas car on'constate que ces sources sont d'une variété déconcertante ; - "notre système, si toutefois on peut lui donner ce nom, a été emprunté, sans trop de discernement, en partie à la France et en partie à l'Angleterre" .3a L'influence anglaise, très sensible en droit. commercial depuis 1760, surtout dans le domaine de la preuve et de -la prescription, s'oppose à tout effort de synthèse . Pour cela un historien a écrit, en exagérant quelque peu, que "le droit commercial . est l'une des branches les plus difficiles de notre droit, et ceci tient-à ce quenous n'avions, avant la promulgation du Code, aucune donnée certaine, aucun texte de loi sur lequel nous pouvions nous .appuyer et on se demandait si nous avions un droit commercial au Canada"."
Remarquons qu'une législation peut avoir une cohérence des principes même si, pour sa technique, elle s'inspire -simultanément de deux législations différentes. 11 suffit que ces législations aient le même fondement. Le droit qui nous occupe ici dérive de deux systèmes opposés, au point que l'un ignoré l'existence du droit commercial comme branche du droit privé. Le mariage de règles issues de régimes aussi différents ne peut donner des résultats harmonieux .
®n constate la même dualité des sources pour ; lés lois posté- rieures à la codification . Ainsi la Loi de la vente en bloc19 s'inspire de la législation anglaise, tandis que la récente Loi du nantissement commercial" se rapproche du droit français.41
Il faut -mentionner aussi l'incertitude quant à l'application des lois fondamentales de l'ancien droit.
b . Les lois antérieures à la codification et l'autonomie . Suivant ce que nous avons dit au sujet de la continuité des
sources du droit positif actuel, dans la province de Québec, l'Édit de novembre 1563 de Charles IX, ainsi que l'Ordonnance de mars 1673 sur le commerce de terre, devraient être eri'vigueur. Cela ne rajeunit évidemment pas le droit commercial . Cependant ces textes, s'ils sont encore applicables, devraient jouer un grand rôle dans la construction de la théorie générale de la commercialité .
L'application de l'Édit fut discutée dans deux affaires dont
a' Supra, note 1 . Il T. de Montigny, Histoire du droit canadien (1869),'p . 389 . '39 Art. 1569 a et suiv. du Code civil . 10 Art. 1979 e et suiv . du Code civil . 91 l'errault, Le droit commercial québécois : 1923-1947, loc . cita, note 3,
à la p . 140 ; R . Comtois, Une nouvelle législation : Le nantissement com- mercial (1963), 66 R . du I®T . 155, à la p. 157.
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les décisions sont en sens contraire." L'Ordonnance du commerce, d'autre part, relativement à son enregistrement, suscite les mêmes problèmes que les autres grandes ordonnances royales en matière civile . L'impasse à laquelle aboutit Perrault, après une longue étude du sujet, est significative."
Si ces sources historiques ne permettent même pas d'avoir une certitude quant au droit en vigueur, il faut chercher ailleurs . Puisque, parmi les sources actuelles, l'usage est une source impor- tante en droit commercial-tel est aussi l'avis des codificateurs qui ont fondé sur lui de grands espoirs44-il serait intéressant de voir si, depuis 1866, cette source du droit a pû lui conférer un caractère particulier.
c . L'usage et le problème de l'évolution autonome du droit . L'abondance des textes du Code civil traitant des usages con-
firme l'importance que leur accordent les codificateurs41 Dans certains cas, ainsi en matière de société48 ou en matière de gage4z
les usages commerciaux priment les règles du droit civil qui leur sont incompatibles. En réalité, "fusage", terme qu'emploient les codificateurs dans
leur rapport et dans les textes du Code, n'a pas rempli le rôle qui lui fut attribué . L'usage n'est pas dans notre droit une source du droit positif. Cela résulte principalement, nous le croyons, d'une confusion du vocabulaire et de la signification que la jurisprudence a donné à cette expression .
On connaît la distinction fondamentale qui existe entre la coutume (usage impératif ou usage de droit) et le simple usage. Les règles coutumières sont obligatoires au même titre que la loi écrite . L'usage, au contraire, n'a pas force de loi ; c'est une conven- tion présumée, une expression tacite de la volonté des parties .
Il n'est pas très clair dans quelle mesure les codificateurs ont fait cette distinction. D'après le contexte de leur rapport il semble bien que le terme fut employé dans un sens qu'on attribue générale-
42 Guérin v. Davis (1912), 42 C.S . 81 ; Lamontagne v. Lafontaine (1917), 53 C.S . 326.
43 A. Perrault, Traité de droit commercial, op. cit., note 3, nos. 104 à 120, pp . 108 à 125 ; l'auteur conclut (no. 119) que cette question n'est pas définitivement réglée ; dans son article : Le droit commercial québécois ; 1923-1947, lec. cit., note 3, l'auteur répète que c'est une "question encore controversée" (p . 137).
44 Supra, note 1 . 4e Les articles du Code civil concernant l'usage sont indiqués dans le
traité de Perrault, Traité de droit commercial, op . cit., note 3, au no. 209 bis, pp . 217 à 219.
41 Art. 1864 du Code civil .
47 Art. 1978 du Code civil.
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ment à la coutume. Il n'en reste pas moins vrai que le mot choisi est malheureux et, sauf pour Perrault, il est une source de con- fusion dans la doctrine et la jurisprudence. En effet on considère généralement ces expressions comme des synonymes parfaits4a dont le rôle consiste à interpréter la volonté des parties. "L'usage" n'est donc pas une source autonome du droit commercial et les règles qui le concernent-son allégation, sa preuve et son caractère obligatoire-sont identiques à celles du droit civil. ®n les retrouve en droit du travail, en assurance maritime, en droit commercial privé et en faillite, au même titre qu'en droit civil.49 Anotre connais- sance les dispositions des articles 1864 et 1978 du Code civil n'ont pas engendré des "usages" (au sens de la coutume) originaux.
C'est une situation assez étrange car,' même en France-où la codification de 1807 devait en principe empêcher la naissance de nouvelles coutumes-existent des coutumes commerciales origi nales ayant force de loi. Les principales concernent la solidarité, l'anatocisme et la réfaction des prix . L'absence dans la Province de Québec de cette source du droit, la plus typique du droit coni- mercial, a empêché son évolution suivant les besoins économiques de l'heure.
d La doctrine et la jurisprudence et leur technique d'interpretation . Les autres soutes du droit commercial ne présentent aucune
marque d'originalité et méritent peu de développements . La doctrine commercialiste, sauf les travaux de A. 'Perrault,
est rare et n'a pas envisagé les grands .sujets, du droit commercial suivant une méthode synthétique . C'est dans les traités de droit civil qu'on commente la technique du droit commercial, sans au- cune préoccupation de sa finalité et de son esprit . Très récemment encore on constatait le même phénomène dans les facultés de droit ; le commercialiste, pour la partie du droit que nous envisageons, avait un cours en grande partie vidé de son contenu car la techni- que dès règles commerciales était enseignée habituellement aux différents cours de droit civil . Ce déphasage entre la doctrine et l'esprit du droit commercial a fait de ce droit une branche informe parce que,la doctrine l'a négligé, et lés auteurs s'en détournent
as "Reste maintenant à voir comment et quand la coutume ou l'usage servira à interpréter une convention", G. Trudel, Traité de droit civil de Québec, t. 7 (1946), p . 290.
9s Dans l'ordre énoncé au texte : Le comité paritaire de l'industrie de là fourrure v . Grossman, [1963] C.S . 643 ; Dolbec v . U.S. Fire Insurance; [1963] B.R . 153 ; Salmon v. Hargraves Co,., [1963] R.L . 239 ; Allure Sports- wear v . Beiner, [1960] C.S . 628 ; Lesage v. Poissant, [1952] R.L . 536 .
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parce qu'elle est informe." ©n est loin du rôle déterminant qu'a joué la doctrine dans les autres pays, notamment en France, rela- tivement à son évolution et autonomie.
La jurisprudence présente en droit commercial les mêmes ca- ractéristiques qu'en droit civil ; le recours, justifié ou non; aux sources les plus diverses et les tendances non avouées au stare decisi.s, l'ont empêché de jouer un rôle créateur.J 1 Cela se manifeste surtout dans l'élaboration du critère général de la commercialité.
3) Vatetonomie et le critère général de la commercialité.
La théorie de l'acte de commerce est la notion fondamentale en droit commercial . C'est le lien qui unit les divers textes, de nature assez disparate, et leur donne l'unité qui leur est nécessaire pour constituer une branche de droit. Mais cette notion est, aussi, la plus fuyante en droit commercial.
C'est la question essentielle . En effet, exception faite de la preuve, sauf quelques rares cas-par exemple le problème de l'alié- aation des immeubles par le mineur commerçant-l'interprétation des divers articles se rapportant au commerce n'a pas donné lieu à des difficultés particulières. Les problèmes de fond-tels ceux de la solidarité-sont résolus par rapport aux articles correspondants du droit commun. La principale question qui se pose donc con- cerne l'application même des textes, c'est-à-dire si l'acte juridique posé par l'une ou l'autre des parties contractantes est commercial ou non- 5 '-
Cette notion, qui aurait dû faire l'objet d'une attention par- ticulière de la part de la doctrine, est confuse et vieillie .
L'inspiration indue dis droit fiançais et affaiblisseinent d'une guébecoise de l'acte de commerce.
La confusion provient du mélange des sources. Nous avons
so Paul Durand, La connaissance du phénomène juridique et les tâches de la doctrine moderne du droit privé, D . 1956, chr ., v . 73 .
51 P. B . Mignault, The Authority of Decided Cases (1925), 3 R. du B. Can. 1 . ; L. Baudouin, La méthode depuis le Code civil de 1804 au point de vue de l'interprétation judiciaire (Rapport sur le droit de la province de Québec) Assoc . H . Capitant, Travaux de la semaine internationale du droit (Paris, 1950), p . 443 ; du même auteur : (1950), 10 R. du B. 397 ; W. Fried- mann, Stare Decisis at Common Law and under the Civil Code of Quebec (1953), 31 R . du B. Can. 733 ; A . Mayrand, L'autorité du précédent judi- ciaire en droit québecois (1959-1960), 9-10 Thémis 69 ; L . A . Pouliot, l'autorité de la jurisprudence dans notre droit, Mélanges Bissonnette (1963), p . 473 ; Castel, The Civil Law System of the Province of Quebec (1962), p . 215 et suiv .
sz A. Perrault, Traité de droit commercial, op. cil., note 3, no . 276, p . 285.
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indiqué plus haut que le législateur, en 1857, a voulu la consoli- dation (ou la refonte) du droit existant et que pour cela les codes français ne devaient servir de modèle que quant à la forme. En conséquence, notre droit commercial doit être interprété d'une manière propre, suivant nos textes en vigueur et exclusion faite du droit français .
®r nos codificateurs ont omis d'inclure dans le Code civil les textes qui, en France, déterminent la commercialité . Nous n'avons pas des articles correspondant aux articles 1, 631, 632 et 638 du Code de commerce qui, soit comme l'article 1 définit le commer- çant, notion de base de la conception subjective, soit, comme les autres articles cités et particulièrement l'article 632, d'une manière déductive, donnent la notion d'acte de commerce, critère de la conception objective . Ainsi notre système repose sur un vide juridique relativement aux critères de la commercialité et exige une conception différente, proprement québecoise. Elle pourrait, être basée sur les autres textes du Code civil, sur les sources his- toriques ou, enfin, sur les exigences économiques propres de la Province de Québec .
Cela ne fut pas fait. La doctrine et, par voie de conséquence, la jurisprudence, sont dans le désarroi . Mignault, qui estime qu'on peut se servir des articles 632 et 633 du Code de commerce, est critiqué, à juste titre, par Perrault .s3 En effet on ne peut se baser sur une loi étrangère. Perrault a recourt à l'histoire et, devant les difficultés de la tâche, emprunte aux constructions juridiques d'une doctrine dont, à cette époque, le rayonnement était universel. Mais il a perdu de vue que cette doctrine, quant à la détermination du critère de la commercialité, se base elle-même sur des textes français, spécialement sur l'article 632 du Code de commerce, dont l'auteur refuse l'application dans la Province de Québec . Ire nos jours cette confusion s'accroît du fait de l'évolution de la doctrine française dans ce domaine.
La notion d'acte de commerce varie, en France, suivant les époques et les auteurs. Des recherches récentes ont démontré que, au début du siècle, les commercialistes ont faussé le caractère sub jectif du droit français . Récemment, à la suite de J. Escarra et de G. Ripert, il y a eu un net revirement vers la conception tradition- nelle. Il était évidemment difficile à Perrault de voir cette évolution doctrinale dont les auteurs français eux-mêmes, à ce moment, n'a- vaient pas encore pris pleinement 'conscience. Son effort n'était que plus méritoire. Signalons que, même actuellement, les auteurs
11 A. Perrault, op. cit., ibid., no . 283, p. 292.
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français diffèrent d'opinion quant à la nature objective ou sub- ;ective du droit français ."
', Mentionnons aussi que dans certaines lois statutaires le légis- lateur définit la notion de commerçant ou de commerce, définitions qui correspondent peu aux conceptions du droit privé. Ainsi la Loi de l'impôt sur le revenu à sa propre définition de l'entreprise, la Loi des, licences définit le commerçant et celle des produits laitiers distingue entre fournisseurs-producteurs et marchands de lait. Le Code de la route, au paragraphe 1 de son article 33, ajoute et. retranche à la fois aux dispositions du Code civil relativement à la :notion de trafiquant en semblables matières .", On ne connaît pas encore, sauf ~ polir le Code de la route, le degré d'influence réciproque entre ces textes et les notions du droit commercial .
b. Vieillissement de la notion d'acte de commerce.
Le vieillissement est l'autre trait dominant du critère de la coin- mercialité. Cela contraste avec les solutions neuves et hardies des autres pays .
C'est le désir de rajeunir le droit commercial, de l'adapter aux temps présents qui explique les variations doctrinales françaises actuelles. Cette attitude s'est manifestée au sein de la Commission de Réforme du Code de commerce qui a opté pour une nouvelle méthode énumérative des actes de commerce." Des auteurs les plus autorisés souhaitent la disparition des concepts de commer- çant et "l'édification d'un droit de l'entreprise et de l'entrepre- neur"."? Une évolution intéressante s'est faite aussi aux Pays- Bas, dont le Code de commerce est issu du Code français, où la loi du 2 juillet 1934 a supprimé les notions de commerçant et d'acte de commerce."$ Chez nous la doctrine n'a pas sensibilisé le législateur à ce problème. Signalons toutefois le récent revire- ment de la jurisprudence quant à la possibilité pour l'immeuble de faire l'objet d'une opération commerciale." Cette décision, qui se rapporte d'ailleurs à l'objet et non. pas au critère de la coin-
Il G. Ripert, Traité élémentaire de droit commercial (4e éd ., 1959), t . 1 ., no . 274, p. 137,
Il Industrial ~Iceeptance, Co . e t Couture v. Martin, [1954] S.C.R . 34 ; Sauvé v. The Guildhall Ins. Co ., [19611 B.R . 733.
Il G. Lagarde, op, cil ., note 6 . p. 13 . 17 MM. L . Mazeaud, Tunc, Escarra et Amiaud, L'unification interne
du droit privé, [1954] Rev . trim . dr. com . 577, à la p . 580. ss Supra, note 9 . ss Colonial Development Co . v . Belliveau, [1965] B.R . 161 ; dans le com-
mentaire de cet arrêt on a défendu la supériorité de la commercialité ob- jective à cause de ses avantages pratiques ; l'auteur reconnaît que tel n'est pas le sens de nos traditions historiques etjurisprudentielles : J . Goulet, Un nouvel inventaire des objets de commerce (1965-66), 7 C. de D . 84.
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:
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.a .
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. . . . .
111 . L'autonomie des textes du livre quatre et des lois particulières. Dès qu'on abandonne le domaine contractuel et obligationnel là question de l'autonomie du droit commercial prend un aspect tout différent. Sauf pour l'assurance, l'autonomie de fond paraît s'imposer à cause du caractère commercial très marqué de ces lois . Cependant, on trouve difficilement un dénominateur commun qui lierait les diverses lois les unes aux autres pour leur donner l'unité nécessaire . La variété des sources et, surtout, la divergence -des finalités, créent une autonomie d'une- autre : sorte, '-au -niveau de chaque loi. Ainsi ces lois sont autonomes -par : rapport, âu droit civil mais elles le sont, aussi, les unes par rapport aü
autres . Ce fractionnement des lois rend stérile tout effort de :syïnthèse . '~
' Notre problème né se situe certes pas sur lèlèrraiin de la cons-
.
;
:
' Enfin reconnaissons que, sauf pour le contrat d'assurance, l'as-
pect pratique de notre analyse se restreint singulièrement par l'unité de régime de ces textes et lois; en effet,, pour la plupart d'origine anglo-saxonne, ils ne font aucune distinction entre,lés commer- çants et les non-commerçants.
Cependant ces affirmations doivent être démontrées.
1) Les sources diverses des lois particulières. : La variété des sources de chaque loi lui donne. une tellé parr-
ticularité par rapport, aux autres qu'il . est difficile de parler de sources communes .
(,'assurance est réglementée par. des textes :inclus dans.le Code
-160
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civil et par des lois provinciales et fédérales . Leurs sources, puisées dans le coninion lau, et dans les lois américaines, anglaises, françaises et même écossaises,"' font un amalgame auquel s'ajoute, pour les conditions statutaires, une technique empruntée en 1908 des statuts d'Ontario."1
II est nécessaire d'apporter quelques précisions sur la commer- cialité du contrat d'assurance puisque sa nature prête à la contro- verse. Nous devons justifier son classement parmi les contrats commerciaux qui font l'objet de la seconde partie de notre travail .
Le Code civil décrète qu'à part l'assurance maritime, qui est toujours commerciale, la commercialité des autres types d'assu- rance est constatée par le mode de paiement de l'assuré (la prime) ainsi que par l'intention de l'assureur (s'il en fait un trafic) ."= Ainsi ce contrat sera généralement un acte mixte, commercial pour l'assureur et civil pour l'assuré, sauf si ce dernier fait aussi un acte déclaré commercial suivant la théorie générale de la com- mercialité . Même l'assurance mutuelle, déclarée en principe opé- ration non commerciale, peut être déclarée commerciale si une partie allègue et prouve que cette mutualité n'est que de nom et qu'elle cache en réalité une compagnie à fonds social déguisée." Il faut donc rechercher la structure véritable du contrat d'assu- rance et on s'étonne quelque peu devant l'affirmation que ce contrat ressort du droit CiVil." 4
Le droit maritime a des sources originales bien connues. Une liste en fut dressée par les codificateurs qui ont préféré les sources anglaises, estimant qu'il s'agit de droit public. D'ailleurs le droit maritime a toujours été considéré une discipline distincte à cause de son particularisme très prononcé 1s
Nous référons aux auteurs pour un exposé détaillé des origines américaines ou anglaises de la Loi des lettres de change ou de la Loi sur la faillite ."
60 B, Claxton, The Origins of the Quebec Law of Insurance and its Relation to Civil Law, Le droit civil français, Livre souvenir (1936), p. 547, aux pp . 553 et 555 ; W . Dupont, Les lois d'assurance du Québec (1945), 5 R . du B . 217, à la p . 233 ; cet auteur dit que la loi statutaire a pu être écrite "par un canadien-français qui connaissait peu l'anglais et traduite en français par un canadien-anglais qui connaissait peu la langue de Mon- taigne" (p . 236) .
e4 B . Claxton, op . cit., ibid., à la p . 555 .
"1 Art. 2470 du Code civil . e' Art . 2471 du Code civil ; British Empire Mutual Life Ins. Co. v .
Bergerie (1896), 5 B .R . 55. 14 D, Barlow, foc, cil., note 3, à la p. 625 ; même auteur : l'Assurance en
droit civil (1943), 3 R. du B. 248, à la p. 261 . 61 G. Ripert, op . cil . . note 54, no . 13, p. 8 ; avec les arts. 2355 et suiv .
du Code civil, is principale loi qui s'applique est la Loi sur le transport des marchandises par eau : S.R.C., 1952, chap . 291 .
10 Falconbridge, The Law of Banks and Banking, Bills, Notes, Cheques,
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La loi fédérale et la loi provinciale67 des compagnies sont com- plétées par les dispositions nombreuses et variées du .titre onzième du livre premier du Code civil." Leur importance pratique est cependant négligeable et les textes contenus au Code civil n'en- tament aucunément l'entité de la législation inspirée, drivant certains, des Etats-Unis ou, suivant d'autres, des sources cana- diennes. 11 Il y a une forte tendance à considérer le droit corporatif comme étant du droit public ce qui permet de douter des motifs par lesquels on a voulu justifier l'insertion des textes en question dans un code de droit privé. De toute manière, les articles contenus dans le Code civil sont purement déclaratoires du droit existant lors de la codification, quand ils ne sont pas, tels les articles 1889 et 1891 au chapitre des sociétés, des simples articles de renvoi . Mentionnons aussi que les articles introduits dans le Code civil ignorent la distinction fondamentale faite entre les compagnies créées par lettres patentes et les compagnies statutaires (créées par acte de la législature), distinction faite depuis la codification par les grands arrêts en la matière. L'autonomie des lois des compagnies par rapport au droit privé est telle. que, par exemple, la responsa- bilité des dirigeants des compagnies ne s'apprécie pas suivant les règles du droit commun,'° mais suivant des critères spécifiques du droit anglais. 71 Cette disparité se retrouve aussi dans le fon- dement de ces lois .
2) Lesfinalités différentes des lois particulières. Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire de démontrer la
commercialité des lois dont nous discutons. Leur commercialité est acceptée par tous . La Loi des lettres de change, la Loi des compagnies ou celle sur la faillite constituent le type même des lois commerciales . Nous soulignerons cependant que ces diverses lois n'ont pas une finalité commune suivant l'esprit du droit com- mercial. (5e éd ., 1935), p . 483 ; Houlden and Morawetz, Bankruptcy Law of Canada (1960), pp . 1 et 2.
67 Loi des compagnies, R.S.C., 1952, chap . 53 et amendements ; Loi des compagnies, S.R.Q ., .1964, chap. 271 avec divers autres statuts con- nexes .se krt . 352 et suiv . du Code civil.
69 F. Wenegast, The Law of Canadian Companies (1931), pp . 20 et 23 : cet auteur estime que ces lois ont subi au début l'influence des Etats-Unis d'Amérique, et qu'on a ensuite copié les modèles anglais ; ceux qui pensent que les sources sont plutôt canadiennes sont : LaBrie, and Palmer, Cases and Materials on the Law of Companies (1961), p . 43 .
70 Art. 1053 du Code civil. 71 M. Giguère, Les devoirs des dirigeants de sociétés par actions (com-
pagnies) en droit comparé (1965), p. 21 .
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Ainsi la Loi des lettres de change a une technique propre au droit commercial qui facilite le crédit. Elle contient le principe de l'inopposabilité des exceptions en faveur du détenteur régu lier" qui permet â ce dernier de se prévaloir d'un titre libéré de tout vice ou moyens de défense personnels eu égard aux parties médiates, dont la signature apparaît sur le document . Il s'agit d'une disposition rigoureuse pour le débiteur et les endosseurs antérieurs mais éminemment favorable à la circulation de la lettre, car cette rigueur permet d'avoir des garanties très sûres pour son paiement. Dans ce but on écarte certains moyens de défense ac- cordés par le droit civil.
La faillite, institution fondamentalement. commerciale, devrait servir la même finalité. Elle tire ses origines des foires du moyen age et permettait le renforcement du crédit par une exécution rigoureuse contre le débiteur qui manquait à ses obligations. Cette voie d'exécution assurait aussi l'égalité entre les créanciers et ainsi, favorable à ces derniers, la faillite s'harmonisait avec le but pour- suivi par la lettre de change.
Or le fondement de notre loi de faillite est tout différent. Son but est de permettre à un honnête mais malheureux débiteur de se décharger de ses dettes à des conditions raisonnables, afin qu'il puisse s'intégrer par la suite dans la vie des affaires du pays comme un citoyen utile, libéré du poids écrasant de ses dettes73 Cette philosophie contredit la rigueur par laquelle la loi des lettres de change traite de débiteur et ainsi, dans la loi actuelle sur la faillite, la rigor nundinarum n'est qu'un souvenir historique. Cela n'em- pêche cependant pas la jurisprudence d'affermer, (on n'est pas à une contradiction près), que c'est une loi commerciale qu'on ap- plique principalement aux hommes d'affaires et qu'il faut pour cela éviter les objections techniques d'interprétation . 74
De nombreux textes du Code civil se rapportent à la faillite mais ils ne font que compléter la loi et ne portent pas atteinte à son autonomie . Tels les articles 17 paragraphe 23, 1754, 1755, 1886, 1892, 2023, 2085, 2900, 1543, 1998, 2005 qui sont, pour la plupart, des articles de référence?6
Nous laisserons de côté les autres lois statutaires qui touchent peu ou pas du tout les textes du droit civil . On citera à titre d'exem- ple l'article 1005 du Code civil qui détermine la capacité du
72 S.R.C., 1952, chap. 15, art. 74, para. c . 73 A. Françon, Réflexion sur la loi fédérale de la faillite (1962), 43
Thémis 161 ; Houlden and Morawets, op. cit ., p . 2. 74 Houlden and Morawets, op . cit ., ibid., p. 2. 75 Houlden and Morawetz, op . cit., ibid., p. 3 .
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mineur banquier et qui n'affecte aucunément la Loi des banques. Rappelons que cette loi constitue elle même une législation d'ex- ception par rapport à la Loi des compagnies avec sa finalité particulière et sa technique propre d'incorporation et de fonc- tionnement76
Enfin, quant à la liberté du commerce, réglementation qui touche les plus hauts intérêts économiques du pays, mentionnons qu'il y a une différence fondamentale entre la notion d'ordre public dans la loi fédérale77 et celle des clauses contractuelles restrictives .
Conclusion Le droit commercial conventionnel et obligationnel n'a qu'une autonomie de forme car on ne constate aucune distinction de fond avec le droit commun. Cet état de choses devrait permettre d'unifier assez facilement cette partie du droit commercial avec le droit civil si, évidemment, on estimait souhaitable une telle unification . Ainsi disparaîtrait la dualité de régime qui existe actuellement.
Les textes du livre quatrième du Code civil et les lois spéciales ont une autonomie de fond mais ne se présentent pas comme une branche organisée. Le problème de l'unité du droit ne les concerne pas car ils l'ont déjà réalisé, au moins sous l'aspect que nous en- visageons?$
Notons, enfin, l'effet déterminant de l'absence d'une juridiction commerciale en faveur de l'unité du droit privé. Si, comme on l'a indiqué dès le début, l'unité de juridiction n'empêche pas une dualité du droit privé, même suivant la distinction de fond, en fait l'existence d'un tribunal de commerce est un obstacle majeur à l'unité du droit. C'est la juridiction spéciale accordée aux com- merçants par l'Édit de Charles 1X qui justifie historiquement un droit commercial spécial en tant que branche du droit positif. Déjà en 1904 on avait remarqué que la fusion s'opérera en France dès qu'on supprimera les tribunaux de commerce.79 Actuellement on considère que la dualité de juridiction constitue en France le
'e Baxter, The 'Law of Banking (1956), p . 1 . . 71 Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C., 1952, c . 314 et
amendements . ra L'importance des lois commerciales connaissant l'unité de régime
est en pratique beaucoup plus grande que les textes qui connaissent cette dualité . M. L. Ducharme, qui a fait une revue de L'évolution du droit commercial en 1963, [19641 Justinien 65, consacre moins de deux pages à des causes qui ont concerné le régime dualiste et, exception faite de l'as- surance, huit pages à la jurisprudence concernant des différends qui touchent des lois à régime unique.
as Thaller, op. cit ., note 7, p . 234 ; Lagarde, op. cit ., note 6, pp . 12 et 13 ; Limpens et Van Damme, op . cit., note 4, p. 87 .
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principal intérêt attaché à la commercialité des actes. L'absence de tribunaux de commerce dans la province devrait donc faciliter la solution de cette question .
Un pas vers l'unité est fait dans le nouveau Code de procédure civile qui n'a pas reproduit des textes qui se référaient aux com- merçants ou aux matières commerciales . Ainsi les nouveaux articles sur le jury ou la saisie-arrêt avantjugement n'y font aucune allusion. L'abrogation du capias et des matières sommaires a fait dispa- raitre les deux autres cas où l'on faisait des distinctions en matière commerciale.10 On nous a fait savoir que ces changements furent faits dans un but de simplification des procédures et qu'on n'a pas pris une option délibérée quant à l'unité du droit . Nous remar- querons que la simplicité du droit est l'argument majeur qu'on invoque en faveur de l'unité du droit privé .
su Code de procédure civile de 1897 : arts . 421, 931(c), 895 et
1150 ; nouvelle loi de 1965, chap . 80, 13-14 Eliz . 11, arts . 332 et 734.
Introduction
Les solutions des diverses législations
Les deux conceptions de l'autonomie
L'unité de code et l'autonomie
La nécessité de définir le droit commercial et de délimiter son domaine
II. L'autonomie en matière des contrats et des obligations
1) L'autonomie et l'esprit du droit commercial
2) L'autonomie et les sources formelles du droit commercial
a. Les textes du Code civil et l'autonomie
b. Les lois antérieures à la codification et l'autonomie
c. L'usage et le problème de l'évolution autonome du droit
d. La doctrine et la jurisprudence et leur technique d'interpretation
3) L'autonomie et le critère général de la commercialité
a. L'inspiration indue du droit français et affailblissment d'une notion québecoise de l'acte de commerce
b. Vieillissement de la notion d'acte de commerce
III. L'autonomie des textes du livre quatre et des lois particulières
1) Les sources diverses des lois particulières
2) Les finalités différentes des lois particulières
Conclusion