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Medecine & Culture SOMMAIRE ÉDITORIAL E. Attias 1 SYNDROME D’APNÉE DU SOMMEIL Étude pluridisciplinaire D. Attias, A. Aranda, C. Louvrier, V. Misrai, J.C. Quintyn, V. Gualino 2 L’ART THÉRAPIE EN SOIN PALLIATIF C. Guinet-Duflot 13 REGARDS SUR L’INDIVIDUALISME CONTEMPORAIN R. Tolédano-Attias, L. Pietra, E. Attias 17 VICTOR HUGO : L’itinéraire politique d’un grand poète J.P. Bounhoure 39 NOUVELLE : Les clés de la Bastille J. Pouymayou 44 CHRONIQUE : Aimer, admirer ou plaindre Emma Une lecture de Madame Bovary P. Léophonte 45 LES LIVRES 48 Association Médecine et Culture 9, rue Alsace-Lorraine - 31000 Toulouse Directeur de la publication : E. Attias G.N. Impressions - 31340 Villematier ISSN 1772-0966 NUMÉRO 19 Décembre 2013 blog : www.medecineetculture.typepad.com Conception Légendes Syndrome d’apnée du sommeil Regards sur l’individualisme contemporain

E Décembre 2013 E R I A R M ˆ M I O S A M O Smedecineetculture.typepad.com/files/mc-n19-.pdf · Medecine & Culture S O M M A I R E ÉDITORIAL E. Attias 1 SYNDROME D’APNÉE DU

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Medecine & Culture

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ÉDITORIALE. Attias 1

SYNDROME D’APNÉE DU SOMMEILÉtude pluridisciplinaireD. Attias, A. Aranda, C. Louvrier,V. Misrai, J.C. Quintyn, V. Gualino 2

L’ART THÉRAPIE EN SOIN PALLIATIFC. Guinet-Duflot 13

REGARDS SUR L’INDIVIDUALISMECONTEMPORAINR. Tolédano-Attias, L. Pietra, E. Attias 17

VICTOR HUGO :L’itinéraire politique d’un grand poèteJ.P. Bounhoure 39

NOUVELLE : Les clés de la BastilleJ. Pouymayou 44

CHRONIQUE : Aimer, admirer ou plaindre EmmaUne lecture de Madame BovaryP. Léophonte 45

LES LIVRES 48

Association Médecine et Culture

9, rue Alsace-Lorraine - 31000 Toulouse

Directeur de la publication : E. Attias

G.N. Impressions - 31340 Villematier

ISSN 1772-0966

NUMÉRO 19

Décembre 2013

Vous pouvez retrouver la revue sur le blog :

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ÉDITORIALE. Attias 1

VERS UNE RECONNAISSANCEDE L’ALLERGIECh. Martens 2

LA POMPE À INSULINE CHEZLE PATIENT DIABÉTIQUEC. Vatier 7

CRISE DES TRANSMISSIONSR. Tolédano-Attias, E.Attias,M. Martinez, D. Le BretonM. Samuelides, G. Pirlot 9

LES JARDINS D’EYRIGNACE. Attias 33

REINE BENZAQUENPeintre sculpteur 35

NOUVELLE : La dague de miséricordeJ. Pouymayou 39

LIRE ET FAIRE LIRER. Tolédano-Attias 40

CHRONIQUE : Une lecture de Frédéric ProkoschP. Léophonte 41

LES LIVRESR. Tolédano-Attias, Ch. Pacific 44

MUSIQUE : L’EnharmonieM. Larpent-Menin 48

�''$�!�(!$#��,���!#���(��)"()&�9, rue Alsace-Lorraine - 31000 Toulouse

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ISSN 1772-0966

NUMÉRO 15

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ÉDITORIALE. Attias 1

LA TUBERCULOSEPEDIATRIQUED. Mora, G. Labouret, H. Naoun,

M. Antonucci, M. Esmein 2

LA LIGUE CONTRE LE CANCERM.-A. Delord-Léophonte 14

JEAN DE LA FONTAINELa vie, l’œuvre, les fablesE. Attias, S. Fraiberg-Pietra,Ch. Hebral, R. Toledano-Attias 16

NOUVELLE : La CastapianeJ. Pouymayou 36

CINEMA : Harold LloydM. Uzan 38

MUSIQUEL’histoire des castrats et FarinelliM. Pénochet 42

CHRONIQUEPontormo et le syndrome de StendhalP. Léophonte 45

LE LIVRES 48

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ISSN 1772-0966

NUMÉRO 17

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ÉDITORIALE. Attias Page 2 de couverture

LA VIEILLESSEE. Attias, D. Le Breton,R. Toledano-Attias, J. Martinez 1

SOINS PALLIATIFS ET FIN DE VIEE. Attias 23

LA MAISON MEDICALE JEANNE GARNIERE. Attias, D. D’Herouville, A. Chapell,C. Duflot, B. Raffegeau, M. Narbonnet,Fanny, Madeleine 25

L’ART ET LA MEDECINE : EntretienL. Arlet, E. Attias 37

MUSIQUE : Verdi, deux siècles sans une rideJ. Pouymayou 41

CHRONIQUE : Amadeus, Don Giovanni, Don GiacomoP. Léophonte 44

LES LIVRES 48

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G.N. Impressions - 31340 Villematier

ISSN 1772-0966

NUMÉRO 18

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Conception Légendes ��� ������� ���

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ÉDITORIALE. Attias 1

LA TUBERCULOSE HIERET AUJOURD’HUIJ. Le Grusse 2

VIVRE COLIQUEUX À ROMEÀ partir du journal de voyagede Michel de MontaigneJ. Martinez 10

REFLEXIONS SUR LA MORTN. Telmon, E. Attias, L. Pietra,G. Pirlot, D. Le Breton, Ch. Maubrey-Hebral 14

NOUVELLE :La voix de la mortJ. Pouymayou 34

CHRONIQUES : Les gladiateurset la médecine cannibaleJ. Ph. Derenne

Jules VerneM. Uzan 35

CINEMA : Laurel et HardyE. Attias 40

ENTRETIEN AVEC JOAN JORDAPeintre et SculpteurP. Léophonte 44

LE LIVRES 48

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NUMÉRO 16

Juin 2012

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Syndrome d’apnée du sommeil

Regards surl’individualismecontemporain

Nous remercions tous les intervenants

qui ont bien voulu participer à la rédaction de la revue Médecine et Culture

Pr Jacques Amar, INSERM 558, Service de Médecine Interne et d’Hypertension Artérielle, Pôle Cardiovasculaire et Métabolique CHU-Toulouse ; PrFrançois Carré, PU-PH, responsable de l’UPRES EA 3194, Université de Rennes 1, Hôpital Ponchaillou; Pr Alain Didier, Drs Roger Escamilla, ChristopheHermant, Marlène Murris, Kamila Sedkaoui : Service de Pneumo-Allergologie, Clinique des voies respiratoires, Hôpital Larrey, CHU Toulouse; Pr JulienMazières, Valérie Julia, Anne Marie Basque :Unité d’Oncologie Cervico-Thoracique Hôpital Larrey, CHU-Toulouse ; Dr Sandrine Pontier, Service dePneumologie et Unité des Soins Intensifs, Clinique des voies respiratoires, Hôpital Larrey, CHU Toulouse; Dr Bruno Degano, Hôpital de Montauban ; DrHervé Dutau, Unité d’ensoscopie thoracique, CHU de Sainte Marguerite, Marseille ; Pr Meyer Elbaz, Service de cardiologie B, Fédération cardiologie CHURangueil Toulouse; Dr Martine Eismein, Conseil Général de la Haute-Garonne, Pr Michel Galinier, Pôle cardiovasculaire et métabolique CHU RangueilToulouse; Pr Jean-Pierre Louvet, Pierre Barbe, Antoine Bennet, UF de Nutrition, Service d’Endocrinologie, Maladies métaboliques et Nutrition, CHURangueil Toulouse ; Pr Mathieu Molinard, Département de Pharmacologie, CHU Bordeaux, Université Victor Segalen, INSERM U657; Pr Jean-PhilippeRaynaud, Marie Tardy, Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU de Toulouse-Hôpital La Grave; Pr Daniel Rivière, F. Pillard,Eric Garrigues, Service d’Exploration de la Fonction Respiratoire et de Médecine du Sport, Hôpital Larrey, CHU Toulouse ; Drs Fabienne Rancé, A. Juchet,A.Chabbert-Broué, Géraldine Labouret, G.Le Manach, Hôpital des Enfants, Unité d’Allergologie et de Pneumologie Pédiatriques, Toulouse ; Dr Jean LeGrusse, Dr Dominique Mora, Dr H.Naoun, M.Antonucci-Infirmière, CLAT, Hôpital J.D, Toulouse ; Drs Thierry Montemayor, Michel Tiberge, Unitédes troubles du sommeil et Epilepsie, CHU Rangueil Toulouse; Pr Norbert Telmon, Service de Médecine légale, CHU Rangueil Toulouse ; Pr Jean-JacquesVoigt, chef de service d’Anatomie et Cytologie pathologique, Dr Richad Aziza, service de Radiologie, Pr Elizabeth Cohen-Jonathan Moyal, départementdes radiations, Christine Toulas, Laboratoire d’oncogénétique, Laurence Gladieff, service d’oncologie médicale, Viviane Feillel, service de radiosénologie:Institut Claudius Régaud, Toulouse ; Pr Rosine Guimbaud, Oncologie digestive et Oncogénétique, CHU Toulouse et Institut Claudius Régaud ; Quintin JeanClaude, chirurgie de la rétine, CHU Pierre Paul Riquet, Toulouse.

Alexandre Aranda, neurologue, clinique de l’Union, Toulouse ; Edmond Attias, ORL, chef de service au C.H. d’Argenteuil; P. Auburgan, Médecine duSport, Centre hospitalier de Lourdes; Maurice Benayoun, Docteur en sciences odontologiques, Toulouse; André Benhamou, Chirurgien dentiste, Toulouse,Directeur d’International Implantologie Center; Stéphane Beroud, Médecine du sport, Maladies de la Nutrition et Diététique, Tarbes; Anne Chapell, méde-cin, enseignante en éthique, Maison Jeanne Garnier, Paris ; Jamel Dakhil, Pneumo-Allergologue, Tarbes, praticien attaché hôpital Larrey ; DanielD’Herouville, médecin chef, Maison Jeanne Garnier, Paris ; Carol Guinet-Duflot, art-thérapeute, Maison Jeanne Garnier, Paris ; Fanny, infirmière, MaisonJeanne Garnier, Paris ; Vincent Gualino, Centre de la rétine, CHU Pierre Paul Riquet, Toulouse ; Clinique Honoré Cave, Montauban ; CHU Lariboisière, ParisP.Y Farrugia, kinésithérapeute, La Rochelle ; Françoise Fournial, Pneumologue, Isis médical, Toulouse; Gilles Jebrak, service de pneumologie et de trans-plantation, hôpital Bichat, Paris ; Cyril Louvrier, chirurgien ORL, Toulouse ; Madeleine, aide-soignante, Maison Jeanne Garnier, Paris ; Michel Migueres,Pneumo-Allergologue, Nouvelle Clinique de L’Union-Saint-Jean; Christian Martens, Allergologue, Paris ; Marion Narbonnet, psychomotricienne, MaisonJeanne Garnier, Paris ; Jean-Claude Quintyn, Centre de la rétine, CHU Pierre Paul Riquet, Toulouse ; Béatrice Raffegeau, bénévole, Maison Jeanne Garnier,Paris ; Nouredine Sahraoui, Laboratoire Teknimed, Toulouse ; Pr Simon Schraub, Professeur d’oncologie radiothérapie, Faculté de Médecine Université deStrasbourg ; Laurence Van Overvelt, chercheur Laboratoire Stallergènes ; Camille Vatier, Faculté de médecine et Centre de recherche St Antoine, Paris ;Marie Françoise Verpilleux, Recherche Clinique et Développement, Novartis Pharma; Bernard Waysenson, Docteur en Sciences Odontologiques .

Laurence Adrover, Pneumologue ; David Attias, Pneumologue-Allergologue ; Franc Berthoumieu, chirurgie thoracique et vasculaire ; Jacques Besse,Matthieu Lapeyre, Daniel Colombier, Michel Levade, Daniel Portalez Radiologues; Benjamin Elman, Urologue; Vincent Misrai, Urologue ; ChristopheRaspaud, Pneumologue; Jacques Henri Roques, Chirurgie générale et digestive; Michel Demont, Médecine du Sport; Anne Marie Salandini, FlorenceBranet-Hartmann, Christine Rouby, Jean René Rouane, neuro-endocrinologie; Jean-Paul Miquel, Nicolas Robinet, Bernard Assoun, Bruno Dongay,Cardiologie; Bruno Farah, Jean Fajadet, Bernard Cassagneau, Jean Pierre Laurent, Christian Jordan, Jean-Claude Laborde, Isabelle Marco-Baertich, Laurent Bonfils, Olivier Fondard, Philippe Leger, Antoine Sauguet, Unité de Cardiologie Interventionnelle ; Jean-Paul Albenque, AgustínBortone, Nicolas Combes, Eloi Marijon, Jamal Najjar, Christophe Goutner, Jean Pierre Donzeau, Serge Boveda, Hélène Berthoumieu, MichelCharrançon, service de Rythmologie ; Thierry Ducloux, Médecine Nucléaire ; Raymond Despax, oncologie ; Dr Philippe Dudouet, service deRadiothérapie : Clinique Pasteur, Toulouse.

Jacques Arlet, Professeur des Universités, Ecrivain; Laurent Arlet, Rhumatologue, Toulouse ; Elie Attias, Pneumo-Allergologue, Toulouse; SébastienBaleizao, médecin généraliste ; Paul Bellivier, artiste-peintre ; Reine Benzaquen, peinte sculpture ; Jean-Paul Bounhoure, Professeur à l’Université,Membre de l’Académie Nationale de Médecine ; Jean-Jacques Brossard, chercheur associé, centre d’études et recherches sur la police ; Pierre-AndréDelpla, Maître de Conférences des Universités, Praticien Hospitalier de Médecine Légale – CHU Rangueil, Toulouse ; Hamid Demmou, Université PaulSabatier; Pascal Dupond, Professeur agrégé de Philosophie ; Arlette Fontan, Docteur en philosophie, Enseignante à l’ISTR de Toulouse; Alain B.L Gérard,Juriste, philosophe; Jean-Philippe Derenne, Professeur des universités, Ancien chef de service de pneumologie et réanimation à la Salpetrière-Paris,Jocelyne Deschaux, Conservateur du Patrimoine écrit à la B.M de Toulouse ; Didier Descouens, ORL, Toulouse; Stéphane Dutournier, Acrobate ; Pr YvesGlock, Chirurgie cardio-vasculaire, CHU Rangueil Toulouse; Nicole Hurstel, Journaliste, écrivain; Serge Krichewsky, hauboïste à l’Orchestre National duCapitole de Toulouse; Hugues Labarthe, Enseignant à l’université, Saint Etienne ; Marie Larpent-Menin, journaliste ; Vincent Laurent, Doctorant en droitprivé, UT1 Toulouse; David Le Breton, Pr. de sociologie à l’Université Marc Bloch de Strasbourg, Membre de l’UMR “Cultures et sociétés en Europe”; PaulLéophonte, Professeur des Universités, correspondant national (Toulouse) de l’Académie de Médecine ; Isabelle Le Ray, Peintre, créatrice de Tracker d’Art;Christian Marc, Comédien; Jezabel Martinez, Cardiologue, Coutras ; Michel Martinez, Agrégé de Lettres, docteur d’Etat en Littérature ; CharlotteMaubrey-Hebral, Professeur de français ; Jean Migueres, Professeur honoraire des Universités; Sophie Mirouze, Festival International du Film de laRochelle; Morué Lucien, Domingo Mujica, alto-solo, orchestre national du Capitole de Toulouse ; Georges Nouvet, Professeur Honoraire des Universités ;Henri Obadia, Cardiologue Toulouse; Christophe Pacific, docteur en Philosophie ; Mireille Pénochet ; Sophie Pietra-Fraiberg, Docteur en philosophie ;Laurent Piétra, Docteur en philosophie; Gérard Pirlot, Professeur de psychopathologie Université Paris X, Psychanalyste, Membre de la Société psycha-nalytique de Paris, Psychiatre adulte, qualifié psychiatre enfant/adolescent. ; Anne Pouymayou, Professeur de français ; Jacques Pouymayou, Anesthésiste-Réanimateur, Institut Claudius Régaud, Toulouse ; Lucien Ramplon, Procureur général honoraire, “Président des toulousains de Toulouse”; Claire Ribau,Docteur en éthique médicale ; Guy-Claude Rochemont, Professeur, membre fondateur, ancien président et membre de Conseil d’administration de l’Archive ;Nicolas Salandini, Doctorant en philosophie; Manuel Samuelides, Professeur à l’Institut Supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace ; Stéphane Souchu,Critique de cinéma; Pierre-Henri Tavoillot, Maître de conférence en philosophie morale et politique à l’université Paris-Sorbonne, président du Collège dePhilosophie ; Ruth Tolédano-Attias, Docteur en chirurgie dentaire, en Lettres et Science Humaines; Emmanuel Toniutti, Ph.D. in Théologie, Docteur del’Université Laval, Québec, Canada; Shmuel Trigano, Professeur de sociologie-Université Paris X Nanterre, Ecrivain Philosophe ; Marc Uzan,Endocrinologue, Toulouse ; Jean Marc Vergnes, DRE INSERM-U825 ; Pierre Weil, Agronome et chercheur ; Muriel Werber, Dermatologue,Toulouse.

Medecine & Culture Medecine & Culture

Medecine & Culture

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ÉDITORIALE. Attias 1

ÉTUDE SOCIOLOGIQUEDU RECOURS AUX MÉDECINESPARALLÈLES EN CANCÉROLOGIES. Schraub 2

JOURNEE TOULOUSAINED’ALLERGO-PNEUMOLOGIEL. Têtu, M. Lapeyre-Mestre,

A. Juchet, M Migueres 11

L’INSTITUT PASTEURS. Mergui 18

LES RAPPORTS HUMAINSR. Tolédano-Attias, E. Attias 23

MUSIQUE : Hector BerliozM. Penochet 33

NOUVELLE :Le français qui sauva BismarckJ. Pouymayou 34

À ÉCOUTER : Toubib Jazz Band 35

CINÉMA : Charlie ChaplinE. Attias 36

LES LIVRESE. Attias, J. Pouymayou, P. Léophonte 42

Association Médecine et Culture9, rue Alsace-Lorraine - 31000 Toulouse

Directeur de la publication : E. Attias

G.N. Impressions - 31620 Bouloc

ISSN 1772-0966

NUMÉRO 11

Décembre 2009

blog :www.medecineetculture.typepad.com

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Étude sociologique du recoursaux médecines parallèlesen cancérologie

Les rapportshumains

Medecine & Culture

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ÉDITORIALE. Attias 1

COMMENT METTRE EN PLACELA VNI DANS L’IRCS. Pontier-Marchandise 2

L’ORTHÈSE D’AVANCÉEMANDIBULAIRER. Cottancin 9

ASPECTS ATYPIQUES DU MYOCARDEEN SCANNER ET IRMD. Colombier, O. Fondard, M. LevadeJ. Besse, M. Lapeyre 13

LA JUSTICEE. Attias, R. Tolédano-Attias,S. Pietra-Fraiberg 23

MUSIQUE : Robert SchumannM. Penochet 39

NOUVELLE :Le plus beau tableau du mondeou le peintre, l’écrivain et le soldatJ. Pouymayou 41

CHRONIQUE :La peste à Venise (1347-1630)P. Léophonte 43

HOMMAGEÀ la mémoire de J.J. GuyonnetL. Arlet 46

LES LIVRESR. Toledano-Attias 47

Association Médecine et Culture9, rue Alsace-Lorraine - 31000 Toulouse

Directeur de la publication : E. Attias

G.N. Impressions - 31340 Villematier

ISSN 1772-0966

NUMÉRO 13

Décembre 2010

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Comment mettre en placela VNI dans l’IRC

LA JUSTICE

Medecine & Culture

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ÉDITORIALE. Attias 1

AGRICULTURE ET SANTÉDURABLEPierre Weil 2

ALLERGIE AU FICUS BENJAMINAD. Attias 5

VOLTAIREE. Attias, R. Tolédano-Attias,Ch. Maubrey, A. Pouymayou 10

L’AFFAIRE DRUAUX,

S. Baleizao, G. Nouvet 28

LE COLLÈGE DE FRANCER. Tolédano-Attias 36

CINÉMA : Buster KeatonE. Attias 38

MUSIQUE : Franz ListM. Penochet 42

NOUVELLE : Coq au vinA. et J. Pouymayou 44

CHRONIQUE : Le mot de la finP. Léophonte 45

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ISSN 1772-0966

NUMÉRO 14

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Allergie au Ficus Benjamina

Voltaire

Medecine & Culture

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ÉDITORIALE. Attias Page 2 de couverture

PLACE DES ACTIVITÉSPHYSIQUES ET SPORTIVESDANS LES MALADIES GRAVESD. Rivière, F. Pillard 1

ANÉVRISME ATHÉROMATEUXDE L’AORTE ABDOMINALEPh. Léger, A. Sauguet, Ch. Jordan 7

MONTAIGNEE. Attias, R. Tolédano-Attias, G. Pirlot 10

PEINTURE : Le PastelP. Bellivier 30

MUSIQUE : Carlo GesualdoM. Penochet 32

NOUVELLES :Le tyran, le savant et la couronneCurzio Malaparte “une vie de héros”J. Pouymayou 33

CHRONIQUES :Chopin et la maladie des passions tristesP. Léophonte

L’étrange docteur MaïC. Corman 36

LES LIVRESR. et E. Attias 44

Association Médecine et Culture9, rue Alsace-Lorraine - 31000 Toulouse

Directeur de la publication : E. Attias

G.N. Impressions - 31340 Villematier

ISSN 1772-0966

NUMÉRO 12

Juin 2010

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Place des activités physiqueset sportives dans les maladies graves

MONTAIGNE

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relations humaines soient en panne dans lasociété démocratique occidentale contemporainemarquée par l’individualisme. Emile Durkheim,fondateur de la sociologie en France, a essayé decomprendre le paradoxe d’une société qui conti-nue à manifester une cohésion tout en accordantde plus en plus de place, de valeur aux individus.Par ailleurs, la solitude est devenue un phéno-mène social majeur et la relation à l’autre unsujet de préoccupation. Mais la cohésion de lasociété suppose que les individus soient unis afinde maintenir le lien social.Jean-Paul Bounhoure nous trace l’itinéraire poli-tique de Victor Hugo, un des personnages lesplus connus et un des plus brillants de notre litté-rature française qui fut témoin et acteur privilé-gié de son époque, un homme de caractère, deconvictions, de combats politiques continuels enfaveur de la liberté et de la défense des opprimés,un apôtre de la paix universelle. Avec JacquesPouymayou, cherchons dans sa nouvelle, lesclefs après la prise de la Bastille. Paul Léophontenous invite à relire Madame Bovary, ce chef-d’œuvre de Flaubert, l’histoire d’une jeunefemme romanesque qui, déçue par son mari etpar le milieu où elle doit vivre, cherche lebonheur dans les bras d’autres hommes, s’en-dette, et finit, quand tout s’écroule, par se suici-der…

Continuez à soutenir cette revue que vouspouvez également lire et télécharger sur leblog : www.medecineetculture.typepad.com ousur google : revue médecine et culture.

Bonne et heureuse année 2014

Dr Elie ATTIASPneumo-Allergologue - Toulouse

Le syndrome d’apnée du sommeil (SAS) estune pathologie fréquente, le plus souvent sous-diagnostiquée. Les conséquences sont connuessur le plan cardio-vasculaire, métabolique etneurologique. Elle altère la qualité de vie, dimi-nue les performances professionnelles, augmen-te le risque d’accidents du travail et de la circu-lation. Par ailleurs, les urologues nous rappellentque la nycturie, phénomène clinique fréquent,n’est pas toujours lié à l’hypertrophie bénigne dela prostate et qu’en agissant sur la qualité dusommeil, on devrait améliorer la qualité de viedu patient. De même, l’association entre un SASet des atteintes de l’appareil visuel n’est pasassez connue chez les ophtalmologistes et lesdifférents acteurs de la prise en charge du SAS.Le médecin traitant devrait jouer le premier rôledans le dépistage des différentes pathologies dusommeil. Nous disposons actuellement d’outilsdiagnostiques et de moyens thérapeutiques effi-caces nécessitant souvent une prise en chargepluridisciplinaire.Carol Guinet-Duflot dirige, depuis une douzained’années, un atelier d’Art thérapie au sein d’uneunité de soins palliatifs dans la maison médicaleJeanne Garnier1 où les différentes équipessoignantes s’engagent à parler de cette disciplineaux patients. Il pourrait sembler décalé de parlerd’art thérapie en fin de vie mais ces momentspassés à l’atelier créent le sentiment d’avoir unprojet et redonnent au patient la sensation d’exis-ter en tant que tel, soutenu et valorisé.

Notre réflexion portera sur l’individualisme et lasolitude qui touchent, à notre époque, toutes lescouches de la population et leurs impacts sur lesrapports humains. Alors que la communicationfait rage à travers le téléphone, les médias, l’in-ternet et les réseaux sociaux, il semble que les

ÉDITORIAL

1. La Maison Médicale Jeanne Garnier fut fondée en 1874. C’est unétablissement de santé privé, d’intérêt collectif, qui participe au ServicePublic Hospitalier et qui accueille, en priorité, les patients atteints depathologie grave évolutive, mettant en jeu le pronostic vital, en phaseavancée ou terminale.

2

2. Motif d’inaptitude à la conduite automobile (arrêt du 21.12 publié auJ.O. du 28 décembre 2005).

pathologie organique associée, troubles de la sexua-lité, arythmies, sueurs nocturnes.

La polygraphie ventilatoire (1)

Une polygraphie ventilatoire est recommandée enpremière intention en cas de présomption clinique deSAHOS et en l’absence d’argument pour une autrepathologie du sommeil (grade B). Elle doit, sipossible, être effectuée aux horaires habituels desommeil du patient et doit comporter une durée mini-mum de 6 heures d’enregistrement avec des signauxde qualité suffisante. Il est possible d’établir lediagnostic en réalisant la polygraphie ventilatoire,sans surveillance, à domicile, chez des patients sélec-tionnés. Le diagnostic ambulatoire du SAHOS nesemble pas avoir d’effet défavorable sur l’efficacitéet l’observance thérapeutique ultérieure (niveau depreuve 2). La polygraphie ventilatoire doit permettre uneanalyse du flux aérien (canule nasale le plus souventou son trachéal), de la saturation en oxygène(oxymètre de pouls) et des efforts respiratoires(sangles thoraco-abdominales). L’analyse du ronfle-ment et de la position du patient peut compléter cesdifférents signaux. L’analyse automatisée proposéepar les différents fabricants doit être complétée parune validation de l’opérateur.

Figure 1 : Mécanisme de l’apnée obstructive

Le syndrome d’apnée du sommeil (SAS) est unepathologie fréquente, le plus souvent sous-diagnosti-quée alors qu’elle possède tous les signes cliniquesd’un véritable problème de santé publique. Dans lespays occidentaux, elle touche 5 à 7% de la populationdont 60% sont hypertendus. La France compte 15millions de ronfleurs dont 600 000 sont traités. Ilexiste des liens étroits entre l’obésité et le SAS. Lesconséquences sont connues sur le plan cardio-vascu-laire (HTA rebelle, troubles du rythme) avec unemorbidité importante, neurologique (risque d’AVCet/ou de décès par mort subite) et métabolique. Ellealtère, par ailleurs, la qualité de vie, diminue lesperformances professionnelles, augmente le risqued’accidents du travail et de la circulation et pose unproblème médico-légal qui constitue un motif d’in-aptitude à la conduite automobile2. Le médecin trai-tant devrait jouer un rôle princeps dans le dépistagedes différentes pathologies du sommeil. Nous dispo-sons actuellement d’outils diagnostiques et demoyens thérapeutiques efficaces pour les traiter,nécessitant souvent une prise en charge pluridiscipli-naire.

■ Rôle du pneumologue dans lediagnostic et la prise en charge dusyndrome d’apnée du sommeil del’adulte.

Dr David ATTIASPneumologue-Allergologue, Maladies du sommeilClinique Pasteur, Toulouse

Le motif de recherche d’un SAOS est en premier lieula présence d’une somnolence diurne excessive oùl’échelle d’Epworth demeure utile au dépistage.D’autres signes fonctionnels sont évocateurs :sommeil non réparateur, altération de l’humeur,troubles de la vigilance, asthénie, céphalées mati-nales, troubles de la concentration et de la mémoire,hyperactivité/retard d’apprentissage (chez lesenfants), hypertension artérielle, ronflement (80%),arrêts respiratoires perçus par l’entourage, réveilsfréquents, sensation d’étouffement, nycturie sans

SYNDROME D’APNÉE DU SOMMEIL Étude pluridisciplinaire

3

syndromes obésité-hypoventilation dans une popula-tion de SAHOS varie de 10 à 17% pour les index demasse corporelle (IMC) de 30 à 40 kg/m2 et de 20 à37 % pour les IMC > 40 Kg/m2 (niveau de preuve 2).

– la sédentarité est habituelle chez le patientdyspnéique. Elle s’accompagne souvent d’obésité, dediabète. Le SAS doit être recherché dans ces associa-tions morbides.

– La proximité naturelle avec le cardiologue nouspermet de suspecter un SAS dans les cas d’HTAréfractaires malgré plusieurs thérapies spécifiques(3, 4). Les patients porteurs de troubles du rythme,notamment des fibrillations auriculaires, doiventaussi être dépistés.

– Le SAS est associé au ronflement (5). Avant d’en-visager un traitement chirurgical, il est recommandéde réaliser un dépistage de SAS.

Une réponse thérapeutique efficace (6)

Des mesures hygiéno-diététiquesElles sont souvent nécessaires et parfois suffisantesdans la prise en charge du SAHOS. Celles visant àobtenir un amaigrissement significatif permettentrarement de corriger complètement un SAS sévère.Mais elles participent à réduire significativementl’index d’apnées-hypopnées, ce qui reste très intéres-sant dans les SAS modérés et interviennent dans laprise en charge du risque cardiovasculaire. Cesmesures doivent s’accompagner d’une meilleurehygiène du sommeil : horaires et durée de sommeilstables, absence d’ingestion d’alcool ou de prise dethérapeutiques hypno-sédatives au coucher quirisquent d’accroître la collapsibilité des voiesaériennes supérieures.

La ventilation par pression positive continueProposée en 1981 par Sullivan (7), elle permet delutter contre le collapsus des parois pharyngées, agis-sant comme une véritable « attelle pneumatique »(8). L’éducation du patient sur les modalités d’utili-sation de la ventilation, son efficacité et ses effetsindésirables potentiels permet d’améliorer sa tolé-rance et donc son observance. L’effet protecteur de laPPC est observé après au moins 4h d’utilisation par

En cas de résultat discordant entre l’interrogatoire etl’examen clinique du patient, il est recommandé deréaliser une polysomnographie (grade B).

Un recrutement privilégié en pneumologie

Même si la somnolence diurne reste le point d’appelmajeur et le motif de consultation le plus fréquent, ilexiste des signes devant faire suspecter un SAS.

– L’association BPCO et SAS, appelée OverlapSyndrome, est fréquente. On estime que 5 à 15% despatients porteurs de SAHOS ont une BPCO associée(2). Ces patients présentent des désaturationsnocturnes brèves en rapport avec des hypopnées etsont donc associées à de véritables SAS dans le cadredes Overlap Syndromes. On observe essentiellementune modification de l’architecture du sommeil avecune réduction de la proportion de sommeil profond etde la quantité de sommeil paradoxal au profit de laproportion de sommeil léger. Il n’y a pas de véritablefragmentation du sommeil comme celle que l’onobserve dans les SAS isolés. La somnolence diurneest donc habituellement absente ou modérée. Cetteassociation a une valeur pronostique majeure avecune mortalité nettement plus importante dans cesous-groupe. Elle s’accompagne généralement d’unrisque plus important de développer des complica-tions cardiovasculaires telles que le cœur pulmonairechronique ou l’HTAP. La forte prévalence de l’obé-sité chez le BPCO nous incite enfin à dépister le SASchez ces patients. Il est donc recommandé (1) deproposer une exploration fonctionnelle respiratoire àtout patient ayant un SAHOS s’il est fumeur ou ex-fumeur et/ou obèse (IMC ≥ 30 kg/m2) (grade B) et/ous’il présente des symptômes respiratoires, notam-ment une dyspnée d’effort (accord professionnel).

– La BPCO associée au SAS aggrave les désatura-tions nocturnes et la gazométrie artérielle diurne. Ilest donc recommandé de faire ce prélèvement chezun patient porteur d’Overlap Syndrome afin de dépis-ter un syndrome d’obésité-hypoventilation. Cedernier se définit par une paO2<70 mmHg et unepaCO2>45 mmHg chez des patients obèses, à l’étatstable. La prévalence de cette pathologie oscille entre30 et 40% des patients porteurs d’une obésitémorbide (IMC>40 kg/m2). Selon les études (1) etl’importance de l’obésité, le pourcentage de

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nuit de sommeil. L’efficacité de la PPC est directe-ment proportionnelle à la qualité de l’observance.Les principaux effets indésirables sont la sécheressenaso-buccale ou la rhinorrhée chronique, ainsi queles problèmes d’érosion cutanée et d’allergie liées auport du masque de ventilation. La mise en place d’unhumidificateur chauffant et le changement de type demasque permettent en général de corriger ces effetsindésirables.Les effets bénéfiques de la ventilation apparaissentsouvent dès la première nuit d’utilisation. La dispari-tion des évènements respiratoires nocturnes et desmicro-éveils permet de normaliser l’architecture dusommeil et de faire disparaître la nycturie, améliorantainsi nettement la qualité du sommeil. La somno-lence diurne tend, elle, à régresser rapidement.

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■ Rôle du neurologue dans la prise encharge du syndrome d’apnée dusommeil de l’adulte.

Dr Alexandre ARANDA Neurologue - Spécialiste du sommeilCentre du Sommeil & de la VigilanceClinique de L’Union, Toulouse

Le syndrome d’apnée du sommeil (SAS) est une desmaladies les plus fréquentes des troubles du sommeilde l’adulte. Le développement des outils diagnostics,l’identification de la population à risque et le déve-loppement des thérapeutiques par ventilation en pres-sion positive continue (PPC) ou alternatives de typechirurgie des voies aériennes ou orthèse d’avancéemandibulaire ont permis d’impliquer de plus en plusde praticiens pour la prise en charge du SAS sur les20 dernière années.Néanmoins, beaucoup de patients restent sous-diagnostiqués, sous-traités ou n’ont pas accès à uneexploration du sommeil suffisante et adaptée favori-sant également le risque d’être traité abusivement oude manière erronée.La multitude des maladies du sommeil impose untravail en synergie entre le médecin généraliste, lepneumologue, le neurologue, le psychiatre, le cardio-logue, les chirurgiens ORL et maxillo-faciaux, ledentiste et le médecin du travail. La prise en charge des maladies du sommeil restedélicate du fait de pathologies très différentes etcomplexes associant des conduites à tenir curativeset préventives à court et long terme dépassant unesimple spécialité médicale comme est prévu notrecursus médical universitaire.La mise en place de procédures de soins et leursréévaluations sont devenues indispensables, ainsiqu’un travail des médecins de manière pluridiscipli-naire en réseau.Qui ne voit pas tous les jours dans sa pratique quoti-dienne un patient présentant une insomnie, unefatigue chronique, un ronflement ? Le syndrome d’apnée du sommeil est associé à demultiples conséquences médico-sociales telles que lasomnolence diurne excessive (SDE), une acciden-tologie de la voie publique, l’hypertension artérielle,les pathologies cardiaques ischémiques et rythmi-ques, et les pathologies neuro-vasculaires. La prévalence du SAS en population générale est de2 à 5%, de près de 10% après 60 ans et surtout plus

Figure 2 : Ventilation par pression positive continue

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Il s’agit de l’examen du sommeil de référence impo-sant un matériel spécifique associé à une maîtrisecomplète de l’appareil et capteurs, une pose rigou-reuse de l’équipement et un apprentissage préalablede la lecture de tracé selon les recommandationsrécentes (AASM), et un temps d’interprétation suffi-sant. Une interprétation polysomnographique opti-male nécessite une évaluation clinique pour la réali-sation d’une confrontation électro-clinique.Le résultat de l’examen doit être donné de manièrepragmatique avec au minimum une analyse dusommeil, notamment le temps de sommeil, l’indexde micro-éveil et une analyse respiratoire avec l’in-dex d’apnée hypopnée (IAH). Selon les cas et lesplaintes du patient, une conclusion spécifique peutêtre nécessaire et ajoutée (efficacité du sommeil,temps d’éveil intra-sommeil, index de mouvementspériodiques, parasomnies, syndrome de résis-tance,…) car l’interprétation de l’examen doittoujours être exhaustive.La réalisation d’une polysomnographie est requise enpremière intention pour tous les troubles du sommeily compris toute suspicion de SAS, ou en complémentd’une exploration par polygraphie antérieure dans lecas d’un SAS débutant et modéré (IAH inférieur à30/h) pour évaluer le retentissement sur le sommeilet valider l’ensemble des indications thérapeutiques,notamment la PPC.La réalisation d’une polysomnographie avec ou sanstests diurnes de vigilance est indiquée si la plainteclinique comprend au moins un des items suivants(une insomnie chronique, une somnolence diurne, unsommeil non réparateur ou agité) et si l’évaluationclinique ne suffit pas. Dans ces cas de troubles dusommeil et de la vigilance, un résultat de polygraphienormale ou subnormale ne peut suffire pour éliminerun SAS. Une exploration de référence par polysom-nographie doit être demandée systématiquementauprès des centres de référence SFRMS ou auprès despécialistes du sommeil de proximité. Seule la poly-somnographie permet d’explorer le sommeil à« proprement dit » ainsi que tous les troubles appa-rentés. L’exploration par polysomnograpie doit êtreprioritairement réalisée par le médecin le plus àmême de prendre en charge le patient sur ces plaintesspécifiques.

de 50-66% dans des populations spécifiques à risquevasculaire avéré (cardiaque ou neurologique).Les dernières évaluations par sondage de population,en 2012 en France, retrouvent près de 20% d’insom-nie et 25% de somnolence diurne. La somnolencediurne excessive est une des deux causes principales,avec l’alcool, d’accident de voiture sur autoroute.

Quand demander l’avis d’un neurologuespécialiste du sommeil ?

Une évaluation ou une prise en charge par un neuro-logue somnologue est nécessaire et indiquée pourtout patient présentant un tableau d’insomnie, d’hy-persomnie, de somnolence diurne excessive, desyndrome des jambes sans repos, de narcolepsie et desyndrome d’apnée du sommeil. Un travail en partenariat, entre le médecin suivant unpatient apnéique connu et le neurologue somnologue,est indispensable pour tous les patients présentant aumoins un trouble associé ou suspecté suivant (insom-nie réfractaire, SDE résiduelle sous PPC, dépressionsous-jacente associée, syndrome des jambes sansrepos, narcolepsie, épilepsie, …). Dans le cas de l’accidentologie de la voie publique,la recherche d’une cause épileptique et d’un troubledu sommeil avec somnolence diurne est à réaliser demanière conjointe.

Quand demander une polysomnographie ?

La polysomnographie est le seul outil diagnostiquerecommandé pour tous les troubles du sommeil et dela somnolence dès que l’évaluation clinique seule nesuffit pas. L’examen sert à recueillir l’ensemble dessignaux nécessaire à l’analyse de l’EEG et dusommeil, de la respiration, de la saturation enoxygène, de l’activité cardiaque, de la position ducorps, de la tonicité musculaire du menton et desjambes et couplé si besoin avec une vidéo synchroni-sée. Une durée minimum de 8h et parfois de plus 12hest requise. Des tests diurnes peuvent être associés de type testsde maintien d’éveil ou de tests itératifs de latenced’endormissement afin d’objectiver une somnolencediurne pathologique, un syndrome de dysrégulationdu sommeil paradoxal, ou à visée médico-légal sur leretentissement sur la vigilance dans le cadre de laconduite automobile.

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jambes sans repos, mouvements périodiques desmembres inférieurs, dette de sommeil, asthénie chro-nique).3. établir les données personnelles du sommeil dupatient et de son hygiène de vie (besoins de sommeil,typologie circadienne, horaire de travail,…) etrechercher activement une dette de sommeil aiguëou chronique.4. analyse critique du rapport d’observance de laCPAP du patient par le prestataire (paramétrages dela machine, temps d’utilisation, index d’apnée rési-duel, fuites persistantes du masque,…) et réévalua-tion du bénéfice du patient sous l’appareillage deventilation.5. réalisation d’une polysomnographie sous CPAP etmasque habituel avec des tests diurnes de vigilance.

Le choix du tests diurnes de vigilance incombera auspécialiste du sommeil mais en résumé on peut direque :– Les tests itératifs de latence d’endormissement

(TILE) chercheront à valider un endormisse-ment libre précoce et un passage en sommeilparadoxal pour valider un syndrome de dysré-gulation du sommeil paradoxal et l’indicationd’éventuel traitement éveillant.

– Les tests de maintien d’éveil (TME) cherche-ront à évaluer et valider les capacités dupatient à rester éveillé et seront utiles pourévaluer l’aptitude à la conduite automobilenotamment pour les chauffeurs poids lourdsou en travail posté.

Bibliographie

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Conclusion

Le neurologue spécialiste du sommeil et la polysom-nographie sont nécessaires et indiqués en premièreintention pour le diagnostic et la prise en charge detous les troubles du sommeil et de la vigilance.En deuxième intention, on peut conclure selon 3situations :– Pour les patients symptomatiques avec un SASsévère (IAH supérieur à 30/h), cette prise en chargepermettra une évaluation de toutes les pathologiesassociées (SDE, insomnie, dépression, syndromedes jambes sans repos) afin d’optimiser la santé dupatient et de réduire ses risques cardio-vasculaireset d’accidentologie. – Pour les patients symptomatiques avec un SASdébutant à modéré (IAH de 5 à 30/h), cette prise encharge permettra de confirmer l’IAH de la polygra-phie ventilatoire et de valider le lien entre l’IAHde moins de 30/h avec la micro-fragmentation dusommeil avec l’index de micro-éveil et la somno-lence diurne excessive. Cela aura pour but de validerl’ensemble des indications thérapeutiques, notam-ment la PPC.– Pour les patients présentant une plainte du sommeilnocturne et/ou de vigilance diurne, une polygraphieventilatoire sans SAS significatif ne suffit en aucuncas et une évaluation spécifique avec une polysom-nographie est indispensable.

Conduite à tenir devant une somnolence rési-duelle chez un patient avec un SAOS traitépar CPAPOn peut établir un résumé de la conduite à tenirsimplifiée non exhaustive en 5 points majeurs pouraider à la prise en charge fréquente et parfoiscomplexe de la somnolence résiduelle chez patientavec un SAOS traité par CPAP. Un travail pluridis-ciplinaire entre le médecin généraliste, le pneumo-logue, le neurologue est requis pour réaliser :

1. description et analyse critique de la plainte desomnolence (en période inactive et/ou active, attaquede sommeil, activité onirique pendant l’accès, retentis-sement personnel, professionnel et sur la conduite auto-mobile (…) et quantification par échelle d’Epworthet autres.2. recherche systématique de troubles associésfréquents (insomnie, dépression, syndrome des

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(radiofréquence sous AL, robotisé type Da Vinci,sous AG) ou par voie cervicale.Ces traitements présentent des risques et des compli-cations importantes avec des résultats très variableset ne sont donc envisagés que pour les SAOS sévèresen échec de traitement ventilatoire.

Les chirurgies Maxillo-Mandibulo-HyoïdiennesElles ont également pour but d’augmenter l’espacerétro basi lingual. On retrouve tout d’abord les tech-niques dites de suspension hyoïdienne, de suspensionlinguale et de transposition génienne qui présententdes résultats difficiles à évaluer notamment sur lelong terme et qui restent insuffisantes pour traiter lesSAOS sévères.

Les Ostéotomies d’avancées Maxillo-MandibulairesElles donnent par contre des résultats remarquablesquelle que soit la gravité du SAOS mais cette inter-vention reste lourde et donc réservée aux patients enéchec d’autres traitements.

■ Rôle du chirurgien ORL dans la priseen charge du syndrome d’apnée dusommeil

Dr Cyril LOUVRIER, chirurgien ORLClinique Ambroise Paré - Toulouse

La chirurgie du SAOS est variée mais non systéma-tique car elle est à mettre en balance avec le traite-ment ventilatoire nocturne qui reste la référence enmatière d’efficacité. Elle peut également être uncomplément à la PPC pour en améliorer la toléranceet donc l’observance pour bénéficier pleinement deson efficacité (chirurgie endonasale). Plusieurs typesde chirurgies sont envisageables avec pour chacunedes indications, des avantages et inconvénients etavec des résultats variables.

La chirurgie endonasaleOn regroupe sous le terme de chirurgie endonasale,dans les SAOS, les septoplasties endonasales, lesturbinoplasties inférieures sous AG, les chirurgies dela valve nasale, les réductions turbinales sous AL(radiofréquence, laser).Ces chirurgies ont la particularité d’être parfois néces-saires mais rarement suffisantes dans la prise en charged’un SAOS. Elles peuvent avoir un effet sur l’IAH,l’index de micro-éveils et la désaturation nocturne.Ces interventions sont justifiées en cas d’associationavec une chirurgie d’un étage inférieur (amygdales,UVPP,…) ou pour améliorer la compliance au traite-ment ventilatoire nocturne.

La chirurgie vélaireElle concerne surtout les Uvulo-Palato-Pharyn-goplasties (UPP) en 3 temps : Amygdalectomie bilaté-rale, uvulo-vélectomie partielle et pharyngoplastielatérale.On regroupe ensuite les traitements du voile parradiofréquence, laser, injections sclérosantes,implantation de brins de polyéthylène.Des critères sont considérés comme prédictifs del’efficacité de l’UPP : le morphotype (Friedman), lepatient sans comorbidité, l’IAH pré opératoire <30,l’IMC <30 et l’absence d’insuffisance respiratoire.

Les glossectomiesElles ont pour but d’augmenter l’espace retro basilingual avec des traitements par voie endobuccale

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par le score IPSS [1]. Parmi eux, la nycturie est unphénomène clinique fréquent, quel que soit le stadede la maladie [2, 3]. La nycturie doit être différenciéede la polyurie nocturne liée à un trouble de la produc-tion d’urine responsable d’une inversion de la diurèse(inversion du rythme nycthéméral).Un tiers des patients âgés de 55 à 75 ans consultanten urologie rapportent au moins 2 levers nocturnes,proportion qui s’élève à plus de 80% en cas d’HBP[4, 5]. Le retentissement de la nycturie sur la viequotidienne est souvent majeur, et se situe au premierrang des symptômes les plus gênants chez lesmalades atteints d’HBP devant l’urgenturie et lapollakiurie diurne [6]. La nycturie représente donc unproblème thérapeutique de premier plan dans la priseen charge de l’HBP en pratique quotidienne.La nycturie est définie comme la plainte de la partd’un patient d’avoir à se réveiller une ou plusieursfois au cours de la nuit pour uriner, chaque mictionétant précédée et suivie d’une période de sommeil[2, 4]. La conséquence directe de la nycturie est laperte de qualité du sommeil. Il s’ensuit une baissede l’énergie diurne et la survenue d’épisodes dépres-sifs et de désordres métaboliques, à l’origine d’unaccroissement de la mortalité [7].Ainsi, trois questions émergent de cette situationconcernant la prise en charge du patient : – Quel est l’impact de la nycturie sur la qualité du

sommeil et la qualité de vie des malades ?– Quels sont les outils de mesure de la nycturie ?– Quels sont les moyens pharmacologiques de lutte

contre la nycturie pour améliorer la qualité de viedes patients ?

Qualité de vie

La nycturie est le résultat de l’un ou plusieurs desphénomènes suivants : polyurie, polyurie nocturne,capacité vésicale réduite ou anomalie de l’activitévésicale. Ainsi, son étiologie est multifactorielle [7].La polyurie peut être due à une hydratation trop abon-dante, un diabète, un traitement diurétique ; la polyurienocturne peut être en lien avec une inversion derythme nycthéméral, ou une insuffisance cardiaquedroite. Une capacité vésicale réduite peut être le résul-tat d’une fibrose ou d’une pathologie tumorale. Enfin,la nycturie peut être en rapport avec une vessie hyper-active ou une irritation vésicale (tumeur, lithiase,inflammation). Toutes ces situations peuvent provo-

Particularité de la chirurgie du SAOS de l’enfantLe SAOS de l’enfant concerne 2% des enfants entre2 et 5 ans et la cause principale est l’HypertrophieAdéno-Amygdalienne. Le diagnostic repose toutd’abord sur un interrogatoire minutieux des parents àla recherche de ronflements, d’apnées obstructivesdécrites, d’une respiration difficile nocturne, para-doxale, de réveils, de sueurs, et d’énurésie. Ensuiteseront recherchés une somnolence diurne (rare chezl’enfant), des troubles du comportement, une respira-tion buccale exclusive, un retard staturo-pondéral etdes difficultés alimentaires.De manière générale, toujours évoquer un SAOSchez l’enfant, devant un retard de croissance staturo-pondéral, des troubles du comportement inexpliquésou des anomalies du développement neurocognitifs.Le traitement correspond à l’Adéno-Amygdalectomiequand l’examen clinique est concordant avec l’inter-rogatoire des parents sinon un enregistrement dusommeil s’impose. Le traitement des anomalies ortho-dontiques peut également être indiqué.

En conclusion Les traitements chirurgicaux du SAOS sont variésmais il faut toujours se poser la question : « Quellechirurgie pour quelle efficacité ? » et donc toujoursmettre en balance les indications de la chirurgie parrapport aux autres possibilités thérapeutiques, ainsique les techniques chirurgicales les unes par rapportaux autres notamment pour des problème d’invasi-vité et d’acceptation du patient.

■ Les troubles vésico-sphinctériensnocturnes : de la nycturie à la polyurie

Dr Vincent MisraiUrologueClinique Pasteur - Toulouse

Tout n’est pas lié à l’hypertrophie bénigne de prostate

L’hypertrophie bénigne de prostate (HBP) estresponsable d’un cortège de symptômes cliniques.Ces symptômes et leur retentissement sont évalués

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quer une nycturie, d’autant plus qu’il existe des condi-tions favorables à une perturbation du sommeil(dépression, insomnie), et d’autant plus que le patientest âgé [3]. Leur présence potentielle doit donc êtreéliminée lors des études concernant la nycturie, et êtreappréciée lors de la prise en charge des patients [6, 7]. L’impact de la nycturie sur la qualité de vie est engrande partie liée à la perturbation exercée sur lesommeil. Les causes de réveil nocturne dans la population àrisque d’HBP sont avant tout dominées par le besoind’uriner. La nycturie est la principale cause de pertur-bation du sommeil chez le sujet âgé, générant desréveils nocturnes fréquents en quantité variable [8].Elle est ainsi responsable d’asthénie diurne, de perted’efficacité au travail, d’un risque accru d’accidentsde la circulation et représente une cause importanted’absentéisme pour arrêt maladie [2, 6]. À partir de2 réveils nocturnes, la nycturie est également pour-voyeuse de morbidité psychiatrique, avec une préva-lence des troubles dépressifs 6 fois supérieure à celleconstatée dans la même tranche d’âge, et uneconsommation d’antidépresseurs 5 fois supérieure [4,9]. Des effets indirects ont également été constatéssur la fonction immunitaire, le risque cardiovascu-laire et le risque de diabète de type 2. Enfin, il existeune surmortalité significative dans le groupe desmalades atteints d’une nycturie ≥ 3 réveils nocturnespar rapport au groupe contrôlé. La qualité de vieglobale est globalement diminuée en cas de nycturie,et d’autant plus que le nombre de réveils nocturnesest élevé. Pour améliorer les troubles, le traitement

doit donc viser à l’amélioration de la qualité de viequi est intimement liée à celle du sommeil.

Moyens d’évaluation de la nycturieLa nycturie est souvent mal estimée en pratiquequotidienne. En effet, les préoccupations des prati-ciens portent plus sur les symptômes mictionnelsdiurnes que sur les problèmes mictionnels nocturnes.L’évaluation de la nycturie en pratique quotidiennerepose sur un outil reproductible et fiable : le calen-drier mictionnel. Il permet d’affirmer la nycturie etdédouane facilement une inversion de la diurèse(augmentation du volume de la diurèse nocturne >1/3de la diurèse des 24h). Ce calendrier reporte sur 24heures le nombre de mictions, les horaires, le volumeuriné et les signes associés (urgenturie par exemple)[1, 9].

TraitementUn traitement efficace contre la nycturie peut amé-liorer la qualité de vie en agissant sur la qualité dusommeil. Le traitement classique par alpha-bloquant,en contrôlant ces symptômes, est un axe thérapeu-tique majeur [6]. Le traitement de la polyurienocturne repose sur le traitement de la cause.

Notons qu’une polygraphie ventilatoire réalisée chezdes patients nycturiques3 a permis de mettre enévidence une forte incidence de SAOS sévère. Sur

Figure 1 : Calendrier mictionnel à proposer au patient en cas de nycturie,disponible sur le site de l’association française d’urologie, http://www.urofrance.org

3. Résultats préliminaires d’une étude prospective en cours au sein de laClinique Pasteur -Toulouse.

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1 – L’atteinte des paupières ou floppy eyesyndrome (FES)

La première description date de 1981 par Culbertsonet Ostler et définissait une entité particulière caracté-risée par une laxité anormale des paupières supé-rieures, associée à des conjonctivites papillairesmarquées chez des hommes obèses d’âge moyen etplus. Il existe de nombreuses pathologies cornéennesassociées : la kératite ponctuée superficielle est lacomplication la plus fréquente, mais ont été aussidécrits la vascularisation cornéenne ou pannus, et lekératocône. Les problèmes de surface oculaire sontconsidérés comme secondaires par rapport aux effetsmécaniques de se frotter les yeux et du contactcornée-oreiller lors du sommeil. En effet, lespaupières hyperlaxes s’éversent facilement et nejouent donc plus leur rôle protecteur de la cornée. Letraumatisme de surface directe induit une inflamma-tion chronique et une ischémie tissulaire avec uneaugmentation des enzymes élastolytiques. Il existeprobablement un trouble sous-jacent commun auniveau du tissu conjonctif entre les patients atteintsde FES et de SAOS, mais il reste encore à préciser.Mac Nab fait état d’une relation importante entre laFES et le SAOS. Il rapporte que 96 % des patientsayant un FES ont des symptômes du SAOS (ronfle-ments, somnolence diurne, sensation de réveil nonréparateur et apnées pendant le sommeil, en seréveillant à bout de souffle pendant la nuit). Il appa-raît que les patients atteints de FES en plus de leurSAOS sont plus jeunes et plus obèses que les patientsatteints de SAOS sans FES. Les indices de gravité duSAOS et la saturation artérielle en oxygène minimumsont également statistiquement pires pour cespatients que pour la population en général atteinte deSAOS.

31 patients explorés, 18 ont été appareillés par PPCnocturne (58%), avec une réelle efficacité sur lanycturie, évitant une prise en charge chirurgicale.

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■ Le syndrome d’apnée du sommeilen ophtalmologie

Jean Claude Quintyn1, Vincent Gualino1,2

1 : Centre de la Rétine, CHU Pierre Paul Riquet, Toulouse2 : Clinique Honoré Cave, Montauban ; CHU Lariboisière, Paris

L’apnée obstructive du sommeil ou syndromed’apnée du sommeil de type obstructif (SAOS) est untrouble ayant de nombreuses répercussions sur leplan systémique et l’appareil visuel n’y échappe pas.De nombreuses complications ophtalmologiquessont associées au SAOS : floppy eye syndrome (FES),conjonctivite papillaire, kératite filamenteux ouinfectieuse, érosions récurrentes de la cornée, kérato-cône, neuropathie optique, œdème papillaire, patho-logie glaucomateuse, œdème maculaire diabétique...L’association entre SAOS et atteintes de l’appareilvisuel n’est pas assez connue chez les ophtalmolo-gistes et les différents acteurs de la prise en charge duSAOS.

Figure 1 : Ectropion bilatéral associé à un SAOS avechyper laxité palpébrale inférieure

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qués par une insuffisance de perfusion du nerf optique.Les épisodes répétitifs d’hypoxie nocturne finissentpar créer des lésions au niveau du nerf optique. Le trai-tement par PPC pourrait stabiliser le champ visuel.Mais cette étude ne porte que sur un nombre limité depatients et sur une durée de 18 mois. Le diagnostic de glaucome à pression normale (GPN)est difficile et doit faire éliminer d’autres diagnosticsauparavant. Il est à suspecter devant une atteinte duchamp visuel périmaculaire. L’association entre leGPN et le SAOS est encore plus évidente que pour leglaucome primitif à angle ouvert. En fait, dans laplupart des études sur le glaucome primitif à angleouvert, il n’est pas indiqué la pachymétrie, ce quisignifie que probablement l’incidence du GPN esttrès sous-estimée dans ces études. La pathogenèsede GPN n’est pas claire mais l’hypoperfusion dela tête du nerf a été suggérée ; on comprend alorscomment le SAOS peut agir en diminuant l’oxygé-nation du nerf optique. Ces deux effets agissent doncen synergie pour provoquer une altération du nerfoptique.

4 – Les atteintes postérieures

La neuropathie optique Le SAOS a une forte corrélation avec les neuro-pathies optiques ischémiques antérieures aiguës(NOIAA) non artéritique. Quelques cas cliniques ont

On pense plus particulièrement à une atteinte du filmlacrymal et de la cornée.Dans une étude sur la prévalence de la sécheresseoculaire, seule l’arthrite rhumatoïde avec un oddsratio de 2,23 a été classée devant l’apnée du sommeilavec un odds ratio de 2,2. Le SAOS devrait donc êtresystématiquement recherché devant une sécheresseoculaire importante, mais cela n’est pas fait enpratique quotidienne. La prévalence de la sécheresseoculaire chez les patients souffrant de SAOS estde 20% supérieure aux patients sans SAOS. SelonKadyan, les patients atteints de SAOS ont des symp-tômes d’irritation oculaire (p < 0,001), un tempsanormal du BUT (p > 0,05). De plus, les patientsatteints de kératocône ont une prévalence plus élevéede SAOS (18 %). Le rôle des métalloprotéases matri-cielles a été évoqué car des anomalies du fonctionne-ment de ces enzymes ont été retrouvées dans cesdeux pathologies, mais pour l’instant cela ne restequ’à l’état d’hypothèse.

3 – Pathologies glaucomateuses

Le glaucome est une atteinte du nerf optique dont lacause la plus fréquente est l’hypertonie oculaire.L’association entre le SAOS et le glaucome a faitl’objet de nombreuses publications et la plupartrapportent une augmentation importante de lafréquence du SAOS chez les patients glaucomateux.Les défauts du champ visuel sont probablement provo-

Figure 2 : A gauche, un œil avec un bon film lacrymal : le test à la fluorescéine est négatif (la répartition du colorant à lasurface de la cornée est régulière). À droite, une kératite ponctuée superficielle : le test à la fluorescéine est positif (la répar-tition du colorant à la surface de la cornée est irrégulière avec des petits points hyper fluorescents). La personne présente unSAOS associé à son syndrome sec oculaire.

2 – Les atteintes de la partie antérieure de l’œil

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dépendant et le SAOS, l’étude OMHADIA, dont lepromoteur est l’Assistance Publique-Hôpitaux deParis. Cette étude est multicentrique randomisée,prospective et ouverte en deux bras parallèles. Dansl’un, il est effectué une prise en charge intensive del’œdème maculaire diabétique de type 2 (recherched’hypertension artérielle diurne et nocturne,syndrome d’apnée du sommeil associés au traitementophtalmologique habituel de l’œdème maculaire)dans l’autre, il est effectué une prise en chargeconventionnelle basée sur les bonnes pratiques médi-cales. Il est retenu comme critère de jugementprimaire non pas l’acuité visuelle mais la réductionde l’œdème maculaire mesuré en OCT. La périoded’inclusion prévue se termine fin 2013.

indiqué que le traitement par PPC pourrait diminuerl’incidence de la NOIAA. Mais, il a été rapportéd’autre part, le cas de trois patients ayant eu uneNOIAA alors qu’ils étaient sous traitement par PPC.La recherche systématique d’un SAOS devant uneNOIAA non artéritique semble de plus en plusfréquente.

L’œdème maculaire diabétiqueL’incidence du SAOS serait évalué à au moins 25%des patients ayant un diabète non insulinodépendant.Il a été rapporté récemment que traiter un SAOSpermettrait de diminuer l’hémoglobine glyquée. Ilexiste une étude française en cours étudiant le lienentre l’œdème maculaire diabétique non insulino-

Figure 3 : Patient présentant un œdème maculaire diabétique réfractaire aux différents traitements ophtalmologiques (injec-tions intra vitréennes de corticoïdes et d’anti VEGF). À gauche, l’OCT visualise cet œdème maculaire avec un épaississe-ment à plus de 500 microns. Il a une hypertension artérielle résiduelle modérée à l’holter des 24h (TA diurne moyenne : 149 / 93 ; TA nocturne moyenne : 133 / 75). La polysomnographie met en évidence un SAOS. Le patient est appareillé enMai 2007 avec disparition de son œdème maculaire en février 2008 sur l’OCT de contrôle.

À retenir Le SAOS est associé à de nombreuses pathologiesophtalmologiques : certaines rares comme le FES,d’autres beaucoup plus fréquentes comme la patholo-gies glaucomateuse ou l’œdème maculaire diabétique.Il est très important de le suspecter et de demander aupatient de faire un test diagnostic. Si le test est positif,votre patient vous en sera reconnaissant car le traite-ment améliorera sa qualité de vie de façon significa-tive. De plus, cela pourra de façon concomitanteaméliorer sa pathologie ophtalmologique.

Pour en savoir plus

Culbertson WW, Ostler HB. The floppy eyelid syndrome. Am JOphthalmol. 1981;92(4):568-75.Gastaut H, Tassinari CA, Duron B. Polygraphic study of the episodicdiurnal and nocturnal (hypnic and respiratory) manifestations of thePickwick syndrome. Brain Res. 1966;1(2):167-86.Kiekens S, Veva De Groot, Coeckelbergh T et al. Continuous positiveairway pressure therapy is associated with an increase in intraocularpressure in obstructive sleep apnea. Invest Ophthalmol Vis Sci.2008;49(3):934-40.Resnick HE, Redline S, Shahar E et al; Sleep Heart Health Study.Diabetes and sleep disturbances: findings from the Sleep Heart HealthStudy. Diabetes Care. 2003;26(3):702-9.Sullivan CE, Issa FG, Berthon-Jones M, Eves L. Reversal of obstructivesleep apnoea by continuous positive airway pressure applied through thenares. Lancet. 1981;1(8225):862-5.

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avec un immense plaisir sans souci de résultat. C’estaussi avoir besoin de « beau, d’esthétique quandl’image du corps est déformée, abimée par la mala-die ».

Le modelageAvec la terre, on touche la notion de l’empreinte liéeà son propre corps puisqu’il n’y a pas d’objet inter-médiaire. La terre est le seul support de la manipula-tion. Elle fait appel aux sensations transmises du boutdes doigts, à la modulation de la pression et à latension musculaire. Le modelage est une activitécorporelle de représentation qui déclenche uneréponse émotive, une résonnance affective plus liéeau travail qu’au résultat. « La perception de ce qui sejoue dans ce contact parle tout autant de la surfaceque de sa profondeur ». Par le toucher de la terre, encontact avec notre chair, nos mains, se transmettentdes émotions qui font appel à notre mémoirepsychique.

Le collageIl consiste à ne pas laisser le patient face à l’angoissed’une feuille blanche ou d’une masse de terre, ne paspartir de rien. Le collage nécessite différentes étapes :la recherche des images, le découpage, l’organisationde la place de chaque image, faire des liens, coller.C’est, symboliquement, assembler des fragments devie, se les réapproprier en les réunissant.

Quel est le sens de l’art thérapie en soinpalliatif ?

Précédemment, je cite les qualificatifs « décalé,incongru » qui viennent à l’esprit, quand on parled’art thérapie en fin de vie. Cette dernière n’excluten aucun cas que tout s’arrête avant même de mourir.Il y a le temps du « mourir » qui inclut différentesphases psychologiques que le docteur E. Kubler-Ross a bien décrites. Entre le déni, la colère, ladépression et l’acceptation, le patient navigue entrele repli sur soi, la critique permanente et l’accepta-tion de toutes les prises en charge. Un jour, j’entre dans une chambre et je constate quec’est le bon moment. Le patient me pose des

Carol GUINET-DUFLOTMaison Médicale Jeanne Garnier - Paris 15e

Je travaille depuis une douzaine d’années au seind’une unité de soin palliatif. Grâce à une politiquefavorable à la création d’un atelier d’art thérapie, j’aiun espace réservé, intégré dans l’architecture géné-rale. De par sa position, il fait partie des soins pluri-disciplinaires. Les différentes équipes soignantess’engagent à parler de l’art thérapie aux patients etlors des réunions de transmission où elles vont m’in-diquer quel patient aller voir. Cette intégration etcette reconnaissance de l’art thérapie est indispen-sable pour son bon fonctionnement. Elles validentl’art thérapie aux yeux des patients et des familles carproposer un atelier en soin palliatif peut paraître, aupremier abord, décalé, incongru, dénué de sens.

Quelles sont les médiations plastiquesproposées ?

Un art thérapeute est avant tout un artiste qui pratiquela danse, la musique, le théâtre, la peinture... Il doitconnaître le mieux possible ce qu’il propose et vivrelui-même les étapes de son propre travail. Cetteconnaissance lui permet de s’adapter, d’être créatifafin d’accompagner l’expression du patient avec sesbesoins, ses demandes, ses difficultés. Dans monatelier, je propose la peinture, le modelage et lecollage.

La peintureLa peinture, c’est avant tout la couleur qui s’associeaux sentiments. Une patiente me disait « la couleurfait de l’émotion » ou « on s’évade, on part vers unailleurs ». La peinture, c’est aussi la matière quidonne la possibilité de « patouiller », de pouvoir« régresser » quand vos forces psychiques vouslâchent, c’est pouvoir étaler de la matière sur la toileou sur papier, donner du relief à divers sentimentscomme la colère, la douleur, l’impensable… C’estaussi, retrouver des joies archaïques comme ce direc-teur qui, dans sa chambre, réunissait encore sonpersonnel et à l’atelier, avec ses doigts, patouillait

L’ART THÉRAPIE EN SOIN PALLIATIF

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Le fils d’une patiente est arrivé à l’atelier désirantmodeler. Sans s’asseoir, il a pris une grosse boule deterre et la malaxe avec fermeté. Puis, une tête estsortie de la masse tout en étant enserrée dans l’argilecomme prisonnière de la terre. Ses mains necessaient de modeler, d’enlever, de transformerjusqu’à ce que la tête sorte de la terre avec laquelle illui a ajouté des épaules. Puis, il a formé un poingrageur tout en finissant d’ajouter au visage une sorted’auréole. Grâce à ce travail de modelage, Mr S. a puenvisager la perspective de perdre sa mère. Cettepremière étape lui a permis de l’exprimer puis deparler de son histoire, de son enfance, de sa mère.Puis, il a déclaré « que la vie continue, qu’il faut sebattre » en rappelant la mémoire de ce que lui a trans-mis sa mère.Le patient rassemble, donne du sens et du lien à laparole qui s’ouvre au fil des créations. Mais ces diffé-rents mouvements peuvent aussi entraîner des réac-tions fortes : il peut pleurer, remettre en boule sonmodelage, s’arrêter brutalement au cours de sa pein-ture, être agressif… Après de nombreux passages dans sa chambre, MmeF. arrive à l’atelier. Elle me demande de la terre pourmodeler. Elle reste debout comme dévorée par uneurgence. Elle commence à faire un personnage assis.Elle se bat pour qu’il ne s’affaisse pas. Voyant quec’est important pour elle, je lui suggère un moyentechnique pour éviter qu’il ne s’affaisse. Une foisabouti, elle ajoute à son visage une boule, sur un descôtés. Quand elle prend conscience que cette boulereprésente sa tumeur, elle l’arrache en passant uncouteau à plat sous la grosseur ajoutée. Elle pleure unlong moment puis me dit « j’ai enfin pu le dire, vousdire combien je ne l’accepte pas et que je ne peuxm’admettre ainsi ». Il ne faut pas omettre de parler du plaisir que lepatient retrouve en faisant travailler ses mains, detoucher, de sentir la matière. Ces différentes sensa-tions ont un pouvoir évocateur qui va du souvenird’enfance ou plus proche, aux parfums marquantscomme celui de la mer, des feuilles mortes enautomne ou de personnes aimées. Ce plaisir retrouvél’aide à oublier sa douleur avec laquelle il était arrivéà l’atelier. J’ai eu pendant de longs mois, Mme T. à l’atelier. Elleavait une grande angoisse de mort qu’elle narrait àtravers ses productions, comme le choix d’une pein-ture d’une barque échouée assaillie par des requins.

questions sur l’atelier, l’art thérapie. Il s’ouvre, prêt àsortir de l’enfermement psychique que provoque lamaladie en s’évadant par et à travers la création.Dans ce temps d’échange, il y a la dimension rela-tionnelle. La personne est prête également à investirune nouvelle relation, qui la prend en l’état, sansjugement, sans comparaison possible. On peut parlerde renaissance à cause de cette nouvelle expressionaccompagnée, soutenue grâce et à travers les produc-tions faites au fil des séances. Ces temps d’atelierrythment leurs journées, créent le sentiment d’avoirun projet. Ce mouvement redonne au patient lasensation d’exister en tant que tel. Il ne se limite plusà n’être qu’un malade. Son temps devient habité.Chaque séance, avec ce qui s’y fait, se crée, se dit,amène à la notion du processus créatif. Celui-cia plusieurs fonctions : sans que le patient en aittoujours conscience, il permet de transformer ce quipèse, ce qui le tourmente à travers ce qu’il déposedans son œuvre. Ce processus créatif participe à unenouvelle élaboration psychique qui libère, transformepetit à petit la personne en train de faire. Le patientest à nouveau acteur, actif, soutenu et valorisé parl’art thérapeute dont le regard est un soutien, un échoétayant pour lui.

Cas d’un processus créatif

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en restant passif est insupportable pour la plupart desmalades. Créer à tout prix, encore et encore, sentir ouplutôt se ressentir vivant en créant jusqu’à parfoismanger la couleur, la mettre à la bouche. Cettepulsion de vie, ces traces symboliques, ce partagedans ces séances fortes, intenses, accompagnent lapersonne sur l’autre rive.

Quand elle n’a pu créer, penser, à cause de l’évolu-tion de sa maladie, je lui ai proposé du sable posé surdu papier. Elle devait juste le toucher, jouer avec, selaisser porter par le mouvement de ses mains dans cesable très doux et fin. Parfois, elle reparlait de sonpère mort trop tôt, avec beaucoup d’émotion. Peindreà son tour était une manière de le rejoindre car ilpeignait lui-même.L’art thérapeute s’adapte aux étapes que vivent lespersonnes. Il les prend en compte tout en favorisantun moment particulier, intime dans un mouvement devie par la création adaptée au moment présent. Ensoin palliatif, le temps est un compte à rebours.L’angoisse de la mort reste omniprésente. L’attendre

Elle me confiait sa révolte envers sa maladie. Au fildes séances et des jours, l’atelier lui était devenu indis-pensable. Même plus faible, dans son lit, sans forcé-

ment faire quelque chose, elle se laissait porter par lelieu, ses odeurs et ses bruits.

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Destin des œuvres

Il est très rare que les patients abordent le sujet deleur mort d’une façon aussi directe. En général, lafamille vient chercher les œuvres avant le jour del’enterrement ou quelques semaines après. Dans cecas précis, il y a un long temps d’échange qui permetaux membres de la famille de donner du sens auxproductions et d’évaluer le bienfait de la créationpour le défunt. Ces traces transmises par l’art théra-peute semblent combler une petite part du vide, dumanque que laisse la mort du défunt…

Je remercie toutes ces personnes que j’ai accompa-gnées dans ce contexte si particulier. Elles m’ontdonné la notion et la valeur profonde du mot instantet de la rencontre qui en découle.

L’art thérapie est proposé aux familles seules ou avecle patient quand il le désire. Suivant les liens, lesrapports entre les personnes, le patient a son espacependant que son proche crée de son côté sans altérerl’autonomie et l’intimité souhaitée. Il arrive parfois,notamment avec des personnes atteintes de grandshandicaps moteurs, qu’il y ait création à deux mains.Par exemple, l’un choisit les couleurs, la technique,l’autre peint ou même prend les doigts du malade etensemble peignent. L’atelier est aussi, pour lesproches, un espace où ils peuvent se poser, retrouverun certain calme qui se dégage de ce lieu. Ils peuvent,sans forcément créer, se confier à l’art thérapeutequand ils se sentent débordés, envahis par trop dedouleur, d’angoisse.

Un visage évanescent aux ailes d’ange : passer sur l’autre rive…

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4. Louis Dumont, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthro-pologique sur l’idéologie moderne. Ed. du Seuil, 1983.5. Cf Revue des Sciences humaines, Article de Jean-François Dortier du9/11/2010 : « Individu. Du JE Triomphant au MOI éclaté ». DocumentWeb : http://www.sciences humaines.com6. Cf Dictionnaire de philosophie politique, p. 294, PUF, 1996.

14e et 15e siècles. Jusqu’au Moyen Age, le systèmeféodal et la pratique généralisée du servage laissentle « peuple » dans un état d’indifférenciation socialeévidente. La règle de la tribu ou du clan ne permetpas l’expression d’une quelconque volonté indivi-duelle. Selon Louis Dumont4, c’est une période quise caractérise par le « holisme », c’est-à-dire l’ab-sorption dans le « tout » collectif. En d’autres termes,c’est la période de l’indifférenciation sociale danslaquelle les êtres humains sont absorbés « dans latribu, le clan, la famille5 ». Par exemple, la culpabi-lité héréditaire survit au Moyen Age de manièresporadique alors qu’elle a été dénoncée depuisl’Antiquité et que Platon a mis l’accent sur cet argu-ment pour faire émerger le principe de responsabilitéindividuelle dans l’exercice de la justice. Mais leschoses vont évoluer.

* Le processus d’individuation et l’individualismepré-moderneEn Europe occidentale, des phénomènes d’individua-tion commencent à apparaître avec l’émergence de labourgeoisie dans les royaumes de droit divin où lareligion d’Etat et « la » famille n’avaient pas deconsidération pour les individus en tant que tels. Leprocessus d’individuation qui se traduit par une prisede conscience de la singularité d’une personne mèneà la construction du JE et à l’autonomie du sujet. Ilcommence avec le cogito de Descartes, « Je pensedonc je suis » et par la théorie des « monades » deLeibnitz considérées comme des « réalités indivi-duelles indépendantes les unes des autres6 ». On admet, en général, que l’époque modernecommence au 18e siècle avec le mouvement desLumières philosophiques. « L’idéologie individua-liste » s’exprime avec la revendication des premiersdroits individuels par des philosophes anglais.

■ Quel est l’impact de l’individua-lisme sur les rapports humains ?

Ruth TOLEDANO-ATTIASDr en chirurgie dentaire, Dr en Lettres et Sciences Humaines

Qu’il s’agisse de rapports sociaux, familiaux ouprofessionnels, maintes fois, l’on entend les gens seplaindre de la détérioration des relations humaines,de l’isolement croissant des personnes (jeunes ouplus âgées) au sein de la société, de l’absence ou dela faiblesse des sentiments d’amitié, de la perte deconfiance, des relations familiales calamiteuses, dumanque de solidarité, des relations professionnellestendues et concurrentielles, etc. En d’autres termes, ilsemble que les relations humaines soient en pannedans la société démocratique occidentale contempo-raine marquée par l’individualisme, en particulier enFrance. Aussi, convient-il de se demander dans quellemesure il est possible d’évaluer ces dysfonctionne-ments sociaux ? S’agit-il toujours de dysfonctionne-ments ou d’ajustements ? Comment la société démo-cratique moderne a-t-elle pu les générer et commentest-il possible les expliquer ? En d’autres termes,quel est l’impact de l’individualisme sur les rapportshumains ? Si l’individualisme est souvent mis encause, il n’en demeure pas moins vrai qu’il a accom-pagné les mouvements de libération et d’émancipa-tion des individus dans la société française et subi desmutations. Aussi, semble-t-il nécessaire de poserquelques jalons dans l’histoire de l’individualisme.

L’acquisition des droits politiques fondamen-taux et l’émergence de l’individualisme

Depuis la Révolution, la société démocratiquemoderne se caractérise par le fait que les individuslibres qui la composent ont des droits et des devoirségaux. Cependant, le processus d’émancipation desindividus n’a pas débuté avec la Révolution. Il estadmis, en général, que le processus d’individuationdes hommes et des femmes dans les sociétés euro-péennes occidentales a commencé à émerger aux

REGARDS SUR L’INDIVIDUALISMECONTEMPORAIN

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7. Thomas Hobbes, (1588-1679), Léviathan, paru dans sa forme défini-tive en 1668. Cf chap.13, p105 à 109, Dalloz-Vrin, édition 2004.8. Thomas Hobbes, ibid, p. 107.9. Hobbes, ibid, chap.14, p. 113.10. Hobbes, ibid, p. 114.11. John Locke, (1632-1704).12. J. Locke, Deuxième traité du gouvernement civil (1690), chap. V.Dans un autre paragraphe, il remet l’accent sur le droit de la propriétépour l’homme « propriétaire de sa propre personne et de son travail » : auparag. 44 de l’édition web, de l’UQUAC, traduction française de DavidMazel en 1795 à partir de la 5ème édition de Londres en 1728:44. « Toutcela montre évidemment que bien que la nature ait donné toutes chosesen commun, l’homme néanmoins, étant le maître et le propriétaire de sapropre personne, de toutes ses actions, de tout son travail, a toujours ensoi le grand fondement de la propriété ; et que tout ce en quoi il emploieses soins et son industrie pour le soutien de son être et pour son plaisir,surtout depuis que tant de belles découvertes ont été faites, et que tantd’arts ont été mis en usage et perfectionnées pour la commodité de la vie,lui appartient entièrement en propre, et n’appartient point aux autres encommun. »13. J-F. Dortier, directeur de la revue « Sciences Humaines ».14. J-F. Dortier, ibid, Sciences Humaines du 9/11/2010 : « Individu. DuJE Triomphant au MOI éclaté », p. 2.15. Benjamin Constant (1767-1830), Ecrits politiques, p. 444, folio-Essais n° 307, Gallimard, 1997. 16. Louis Dumont, ibid, p.102.

la propriété et la propriété de sa personne humaine,mais dans un autre contexte où il évoque, a contra-rio, les atteintes dues à l’arbitraire dans les régimesdespotiques et tyranniques. Il détaille le processusqui, de l’arbitraire, mène aux exactions et autres abusde pouvoir. Voici ce qu’il écrit : « L’arbitraire sur lapropriété est bientôt suivi de l’arbitraire sur lespersonnes ; premièrement, parce que l’arbitraire estcontagieux ; en second lieu, parce que la violation dela propriété provoque nécessairement la résistance.L’autorité sévit alors contre l’opprimé qui résiste ;et, parce qu’elle a voulu lui ravir son bien, elle estconduite à porter atteinte à sa liberté15 ».

* Le chemin vers l’individualisme démocratiqueAu cours du 18e siècle, l’individualisme se propagedans la société française grâce à l’esprit des Lumièresphilosophiques. Il convient de rappeler le rôle deVoltaire dans le combat contre les injustices et l’into-lérance et celui de Rousseau lorsqu’il publie, entreautres, le Discours sur l’origine et les fondements del’inégalité parmi les hommes, en 1755, et le Contratsocial en 1762. Avec beaucoup de véhémence et d’in-sistance, il considère que le droit à l’égalité traduitune aspiration humaine fondamentale, l’individudevenant alors « un être politique et social16 ». Dansle corps social, on observe quelques désengagementsà l’égard de la religion, de l’Etat et de la famille.

D’abord, Thomas Hobbes7 qui décrit « l’état denature » – où sévissent l’arbitraire et l’insécurité – et« l’état de droit », il revendique pour chacun le droità la sécurité des biens et des personnes. Dans l’état denature, explique-t-il, « donc, tout ce qui entraîne parnature, une guerre de tous contre tous, accompagneaussi nécessairement, la condition d’hommes privésde toute sécurité autre que celle que chacun peutattendre de sa vigueur et de son intelligence8 ».Aussi, chaque individu doit-il « abandonner ou trans-férer » à l’Etat-Léviathan « le droit de se défendrecontre la violence. (…) La fin en vue de laquelle ona admis cet abandon ou ce transfert du droit n’estautre que la conservation de la vie et des moyens devivre9 ». Il précise ensuite que « le transfert mutueldu droit est appelé contrat10 ».C’est Hobbes qui élabore, en effet, la première théo-rie du contrat social revendiquant le droit égal à lasécurité des personnes et des biens alors qu’un autrephilosophe anglais, John Locke11 défend le « droit àla propriété individuelle » vers la fin du 17e siècle.Selon lui, le droit positif est subordonné aux lois dela nature. Locke défend la liberté politique et écono-mique, la neutralité de l’Etat et la séparation despouvoirs politique et religieux. Le droit égal à lapropriété individuelle est associé à la préservation dela liberté individuelle et à la valeur du travail fournipar chaque individu et ce droit est inviolable. Ainsi,écrit-il, « Tout homme possède une propriété sur sapropre personne. À cela personne n’a aucun Droit quelui-même. Le travail de son corps et l’ouvrage de sesmains, nous pouvons dire qu’ils lui appartiennent enpropre. Tout ce qu’il tire de l’état où la nature l’avaitmis, il y a mêlé son travail et ajouté quelque chose quilui est propre, ce qui en fait par là même sa propriété.Comme elle a été tirée de la situation commune où lanature l’avait placé, elle a du fait de ce travail quelquechose qui exclut le Droit des autres hommes. En effet,ce travail étant la propriété indiscutable de celui qui l’aexécuté, nul autre que lui ne peut avoir de Droit sur cequi lui est associé12 ». J.F. Dortier13 estime que Lockeest le premier à développer une « théorie de l’individumoderne » parce que, par « propriété de soi », il entend« qu’en devenant propriétaire, l’individu devientmaître de lui-même en s’appropriant son travail et sesmoyens d’existence14 ».Remarque : dans ses Ecrits politiques, BenjaminConstant fait un rapprochement du même ordre, entre

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17. Louis Dumont, ibid, p. 102.18. Emmanuel Kant (1724-1804), Critique de la Raison pratique.19. A. de Tocqueville, ibid, p. 9320. A. de Tocqueville, ibid, p. 95.21. A. de Tocqueville, ibid, p. 96.22. A. de Tocqueville, ibid, chap. 2, p. 97.23. A. de Tocqueville, ibid, chap. 2, p. 98.

la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ils nesouffriront pas l’aristocratie21 ».

* L’individualisme démocratique Libres et égaux, certes, ces êtres singuliers, bien indi-vidués se distinguent par leur personnalité mais ilss’isolent aussi pour ne pas s’en laisser imposer etexprimer leur entière liberté. Avant la démocratie, onconnaissait l’égoïsme, « amour passionné et exagéréde soi-même » alors que dans les pays démocra-tiques, l’individualisme laisse sa marque sur les rela-tions humaines. Tocqueville le définit comme « unsentiment réfléchi et paisible qui dispose chaquecitoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et àse retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de tellesorte que, après s’être ainsi créé une petite société àson usage, il abandonne volontiers la grande sociétéà elle-même22 ». Puis le philosophe se livre à unecomparaison entre l’égoïsme et l’individualisme : ilentend montrer que l’égoïsme est un affect, unepassion qui peut animer n’importe quel individuquelle que soit la nature du régime dans lequel il vitalors que l’individualisme est d’ordre politique etdémocratique puisqu’il ne saurait y avoir de démo-cratie sans un traitement égalitaire de tous lescitoyens : « l’individualisme est d’origine démocra-tique et menace de se développer à mesure que lesconditions s’égalisent23 ».

* Libres et égaux mais… sans devoirs, sansattaches ? Que devient le lien social ? Tocqueville n’occulte pas un paradoxe provoqué parla nouvelle réalité démocratique et qui concerne lesdevoirs envers les concitoyens. Les droits sont reven-diqués et acquis mais les devoirs semblent négligés.Les conséquences sont donc prévisibles et se tradui-sent par l’affaiblissement du lien social entre les indi-vidus enfin libres et égaux : « Dans les siècles démo-cratiques, au contraire, où les devoirs de chaqueindividu envers l’espèce sont bien plus clairs, ledévouement envers un homme devient plus rare : le

Avec la Révolution, la tendance vers l’individua-lisme égalitariste se confirme avec le rejet de l’arbi-traire et l’abolition des privilèges. LouisDumont écrit à cet effet : « la Déclaration des droitsde l’homme et du citoyen adoptée par l’Assembléeconstituante dans l’été 1789 marque en un sens letriomphe de l’individu. (…) Art. 1 : Les hommesnaissent et demeurent libres et égaux en droits17 ».Tous les êtres humains sont désormais des citoyenslibres et égaux. L’individu qui en émerge est une« personne morale autonome » selon la formule deKant18. La volonté du sujet raisonnable, libre et« autonome » s’exprime en tant que conscience indi-viduelle qui se livre à l’observation et à la « critique »des phénomènes à partir de l’expérience sensible.

Les droits acquis et la « passion de l’égalité »Au début du 19e siècle, Alexis de Tocqueville tentede montrer quel est le lien entre le système démo-cratique et les droits civiques ; en d’autres termes,« pourquoi les peuples démocratiques montrent unamour plus ardent et plus durable pour l’égalité quepour la liberté ». Selon lui, cette « passion de l’éga-lité » concerne « l’égalité des conditions » ; elle estspécialement française et se révèle de manière un peuévidente : « les hommes seront parfaitement libresparce qu’ils seront tous entièrement égaux ; et ilsseront tous parfaitement égaux parce qu’ils serontentièrement libres. C’est vers cet idéal que tendentles peuples démocratiques19 ». Il établit des parallèlesentre les avantages et les inconvénients liés à laliberté et à l’égalité ; en quelque sorte, si l’égalité sefait sentir de manière immédiate, Tocqueville estimeen revanche, « qu’il n’y a que les gens attentifs etclairvoyants qui aperçoivent les périls dont l’égaliténous menace. (…) Les maux que la liberté amènequelquefois sont immédiats ; ils sont visibles partous, et tous, plus ou moins, les ressentent. Les mauxque l’extrême égalité peut produire ne se manifestentque peu à peu ; ils s’insinuent graduellement dans lecorps social20… ». Il précise sa pensée en mettantl’accent sur les sacrifices que les citoyens iraientjusqu’à consentir pour ne plus subir les inégalités etse retrouver en position d’infériorité politique : « Lespeuples démocratiques ont un goût naturel pour laliberté. (…) Mais ils ont pour l’égalité une passionardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulentl’égalité dans la liberté et, s’ils ne peuvent l’obtenir,ils la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront

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24. Ibid, p. 98.25. Tocqueville, ibid, p. 99.26. Louis Dumont, Essais dur l’individualisme, p. 108.27. L. Dumont, ibid, p. 112.28. Note de lecture parue sur Internet concernant le livre de MarcelGauchet, La démocratie contre elle-même.29. Voir les notes sur l’œuvre de Raymond Boudon inhttp://fr.Wikipédia.org/wik/Raymond_Boudon.

Que s’est-il passé au 20e siècle depuis la fin de laSeconde Guerre mondiale ? Il semble que le régimedémocratique se soit consolidé en Europe occiden-tale depuis 1945. La stabilisation de la démocraties’est faite sur fond d’individualisme, l’individu étantdevenu le « vrai principe de l’organisation socio-politique28 ». L’Etat démocratique respectait lesdroits de l’homme mais, à partir de 1975, des inéga-lités et des injustices commencent à se faire sentirdans les sociétés occidentales.

L’impact de l’individualisme contemporainsur les relations humaines

C’est à partir de 1975 (après la Conférenced’Helsinki) que des sociologues attirent l’attentionsur les effets que produisent la montée en puissancede « la politique des droits de l’Homme » et la« relance de l’individualisme ». En outre, des voixs’élèvent pour déclarer que les droits de l’Homme nesauraient constituer les fondements exclusifs de lapolitique d’un Etat.

* « L’individualisme de déliaison »En même temps, l’on remarque que le civisme dimi-nue au fur et à mesure que croissent les libertés indi-viduelles. Des enquêtes sociologiques sur les valeursmettent l’accent sur « la perte des repères et le déclindes valeurs29 » concernant la famille, le travail, lapolitique, la religion et la morale. Incivilités, impoli-tesses et dysfonctionnements sociaux se multiplient.Le désintérêt à l’égard de la politique est un phéno-mène nouveau dans la société française tandis quela question des droits de l’Homme prend de plus enplus d’importance. Mais, alors que la politisationdes jeunes, notamment après les évènements de Mai1968, avait été une réalité socio-politique forte, onobserve une démobilisation de ceux-ci. C’est, ensubstance, ce que déclare Marcel Gauchet, qui y

lien des affections humaines s’étend et sedesserre24 ». Il voit bien d’où vient le danger quiattire les individus jusqu’à la solitude. Ainsi, lesconditions s’égalisant, les individus deviennent auto-suffisants de sorte qu’ils n’entretiennent plus les liensamicaux et affectifs et ne voient pas qu’ils se retran-chent de la vie sociale et familiale : « ils ne doiventrien à personne, ils n’attendent rien de personne ; ilss’habituent à se considérer toujours isolément et ilsse figurent volontiers que leur destinée toute entièreest entre leurs mains. Ainsi, non seulement, la démo-cratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, maiselle lui cache ses descendants et le sépare de sescontemporains ; elle le ramène sans cesse vers luiseul et menace de le renfermer enfin tout entier dansla solitude de son propre cœur25 ».

* L’homme social post-révolutionnaireAu cours du 19e siècle, il semble qu’il s’opère un« retournement général » au sein de la société. Denouvelles théories socio-politiques s’élaborent : lepositivisme de Auguste Comte fondé sur la Raison, lecourant romantique, le socialisme qui s’exprime dansles publications du cercle saint-simonien témoignentd’un souci d’universalité. Selon l’argument de LouisDumont, « un besoin d’universitas fut ressenti plusfortement que jamais par l’individu romantique quihéritait de la Révolution26 ». L’individualisme nes’affirme pas comme tel. C’est encore le moment desgrandes familles et l’esprit collectif n’a pas encoredisparu. Cependant, le romantisme se propage rapi-dement et c’est un mouvement à caractère fortementindividuel. La pression religieuse est plus forte. On levoit dans les romans de Balzac, Flaubert, Stendhal oudans les œuvres de Musset ; ils témoignent des muta-tions de la société post-révolutionnaire, notammentde la société bourgeoise. D’une manière générale,Louis Dumont estime que « les penseurs français dela première moitié du 19e siècle furent conduits àconsidérer l’homme comme un être social, à insistersur les facteurs sociaux qui constituent la matièrepremière de la personnalité et expliquent en dernierressort que la société n’est pas réductible à uneconstruction artificielle à base d’individus. (…) Lareligion était hautement appréciée par les saint-simo-niens comme source de cohésion sociale : ils insis-taient sur la religion et le sentiment en vue de lareconstruction du corps social27 ».

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30. Marcel Gauchet, « La démocratie malade d’individualisme », p. 4,article paru dans Nice Matin en 2007 et reproduit sur le blog deM. Gauchet : http://gauchet.blogspot.com/ Voir également, M. Gauchet,La démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002.31. Marcel Gaucher, cf revue « Le Débat », mars-avril 1998, p. 172.32. Christopher LASCH, La culture du narcissisme (USA, 1979)Champs-Essais, n° 808, Flammarion. Trad. française 2006.33. Lasch, ibid, p. 22.34. Lasch, ibid, p. 23.35. Lasch, ibid, p. 24.36. Lasch, ibid, p. 25.37. Lasch, ibid, p. 35.38. Lasch, ibid, p. 41.

Le culte du moi et sa désintégration ; les dysfonc-tionnements sociaux du ‘nouveau Narcisse’Lasch définit cette forme de « narcissisme », non demanière classique, c’est-à-dire comme l’amour dureflet de soi-même mais comme le « culte du moi ».À l’évidence, la recherche du « bien commun » nel’intéresse plus. L’hypertrophie du moi atrophie sonjugement concernant toute forme d’extériorité. Horsdu Je, il est perdu, désorienté. Son intériorité l’enva-hit au point qu’il en devient vulnérable et ne peutfaire face à la moindre difficulté qui se présente à lui.Lasch montre bien ce qui est en jeu dans ce proces-sus : « le nouveau Narcisse est hanté, non par laculpabilité, mais par l’anxiété (…). Il cherche un sensà la vie. Superficiellement détendu et tolérant, (…) ilse trouve également privé de la sécurité que donne laloyauté du groupe et se sent en compétition avec toutle monde pour l’obtention des faveurs que dispensel’Etat paternaliste. (…) Il se montre ardemmentcompétitif quand il réclame approbation et acclama-tion. (…) Il prône la coopération et le travail enéquipe tout en nourrissant des impulsions profon-dément antisociales. (…) Avide, dans la mesure oùses appétits sont sans limites… et vit dans un état dedésir inquiet et perpétuellement inassouvi36 ».Déterminé par son intériorité, « sa volonté indivi-duelle est toute puissante37 ». L’anxiété est si fortequ’il se sent obligé de chercher un certain équilibreauprès des psychothérapeutes. C’est ainsi, estimeLasch, que « la thérapie s’est établie comme lesuccesseur de l’individualisme farouche et de la reli-gion38 ». Cet individu est en état de dépendance, il adu mal à atteindre une vraie maturité. On observedans son comportement un certain nombre de signesqui révèlent sa vulnérabilité et sa fragilité, sonextrême émotivité qui rendent les relations sociales et

voit une vraie menace pour l’équilibre de la sociétédémocratique : « Les droits de l’Homme ne doiventpas être un guide intouchable. La démocratie est latransformation du désir de chacun dans le pouvoir detous, mais sacraliser les libertés individuelles remettout en question. Pour les jeunes générations, démo-cratie veut simplement dire libertés personnelles.Elles s’étonnent ensuite qu’il n’y ait plus de pouvoirpour personne ! Individualisme et dépolitisationcontribuent au malaise moral d’une société incapabled’entreprendre collectivement30 ». C’est ce qu’il aappelé depuis 1999, un « individualisme de déliai-son » mettant ainsi l’accent sur la disparition de l’es-prit collectif. Selon lui, « Nous avons basculé dans lapériode récente vers un individualisme de déliaisonou de désengagement, où l’exigence d’authenticitédevient antagoniste de l’inscription dans un collectif.Pour ‘être soi-même’ dans l’ultracontemporain, ilfaut se garder par devers soi31 ».

* La ‘culture du narcissisme’ et la désintégrationdes liens sociaux et familiauxDéjà en 1979, aux Etats-Unis est publiée une étudequi décrit de manière détaillée une « crise culturellede la société occidentale » dont les répercussions seretrouvent en France quelques années plus tard. Lesphénomènes observés par le sociologue américain,Christopher Lasch32, expriment, selon lui, « laculture du narcissisme ». Il relève que l’opinionpublique a une « vision désespérée de l’avenir33 » ;elle se méfie du personnel politique de sorte que « lasociété est de plus en plus difficile à gouverner. (…)Ce que les élites politiques et dirigeantes qualifientd’indifférence à la politique pourrait bien signifier unrefus grandissant des citoyens de participer à unsystème politique qui les traite en consommateurs despectacles préfabriqués34 ». À quoi assiste-t-on ? Lesindividus se disent libres de toutes les entraves résul-tant de leur éducation ; ils rejettent l’héritage dupassé mais l’avenir leur paraît fermé. De toutes lesfaçons, il ne les intéresse pas alors que, paradoxale-ment, ils sont à la recherche du bonheur. C’est ce queLasch appelle « la stratégie de la survie narcissique »qui se présente comme une libération mais représente« l’impasse d’une obsession narcissique de l’individupar lui-même35 ». Comment décrit-il le « nouveauNarcisse » ?

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39. Lasch, ibid, p. 44.40. Lasch, ibid, p. 51.41. Lasch, ibid, p. 61.42. Lasch, ibid, p. 188 à 195.43. Lasch, ibid, p. 195 à 203.44. Lasch, ibid, p. 260 à 269.45. Gilles Lipovetsky, L’Ere du vide. Essais sur l’individualisme contem-porain. Folio-Essais n° 121, Gallimard, 1983/1993.

dissiper42 ». Il regrette que les experts ne coopèrentpas au bénéfice des enfants et insiste sur leurcynisme. Et surtout, il s’élève contre « la remise enquestion systématique de l’autorité parentale » quientraînerait la détérioration des relations familiales,(…) contre l’appropriation des fonctions familiales »par l’école et les institutions sociales de toutes sortes.Tout cela entraînant une déresponsabilisation desparents et la « réduction des droits du citoyens ordi-naire43 ».

Le rejet du vieillissement44, le jeunisme, etc…D’une certaine façon, l’avenir de tous les Narcissesse résout dans le vieillissement mais la peur devieillir les taraude et ils font tout ce qu’ils peuventpour l’oublier car ils sont dans le déni et dans le cultedu moi. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’ilssont pris de peur panique face à ce phénomèneinéluctable. Ils vont donc faire tout ce qu’ils peuventpour en retarder l’avènement et rechercher par tousles moyens à se donner l’apparence de la jeunesse.Le culte du corps prend des proportions inédites ;pour garder l’apparence de la « jeunesse » la règle estdans l’entretien perpétuel du corps par le sport, lachirurgie et la médecine esthétiques. Tant que c’estpossible, l’image de l’apparence jeune reste le seulréconfort. Le nouveau Narcisse « ignore » l’avenir pas plusqu’il ne s’intéresse au passé ; le grand âge des parentsreprésente tout ce qu’il redoute. En outre, il dévaluele rôle des parents et n’a aucune considération pourleur rôle dans la transmission des valeurs et de leursagesse éventuelle.

* Les liens sociaux en état de mal : « l’ère du vide »Quelques années plus tard, des sociologues françaispublient des études sur l’état de la société française etconstatent qu’il existe de nombreuses similitudesavec la société nord-américaine. L’un d’entre eux,Gilles Lipovetsky45, estime que l’individualisme

familiales extrêmement difficiles. Lasch met l’accentsur un certain nombre de questions qui cherchent àcerner les problèmes posés à la société et qui témoi-gnent de véritables dysfonctionnements du« nouveau Narcisse » : « pourquoi la peur de grandiret de vieillir hante notre société ; pourquoi les rela-tions personnelles apparaissent si fragiles et précai-res ; pourquoi, enfin, la ‘vie intérieure’ ne constitueplus un refuge contre les dangers qui nous entou-rent39 ? ». Etant donnée son immaturité, tout porteà croire que cet individu, replié sur lui-même, vachercher des solutions illusoires qui ne lui apportentpas d’apaisement. En effet, « dans son vide intérieuret son insignifiance, l’homme ordinaire tente de seréchauffer à la lumière réfléchie par les ‘étoiles’(stars de cinéma ou autres)40 ». Apparemment, celane suffit pas à remplir le vide laissé par l’isolement etl’anxiété qui atteignent parfois des paroxysmes. Replié sur son intimité par incapacité à entretenir desrelations sociales convenables, ne croyant pas àl’amélioration des conditions sociales par le combatpolitique, l’individu s’effondre. L’auteur rendcompte d’un phénomène que seule l’enquête peutrévéler. Selon lui, « Poètes et romanciers d’aujour-d’hui, loin de glorifier le moi, racontent sa désinté-gration. Les thérapies qui soignent le moi brisé véhi-culent le même message. Loin d’encourager la vieprivée aux dépens de la vie publique, notre sociétéfait qu’il est de plus en plus difficile, pour un indi-vidu, de connaître une amitié profonde et durable, ungrand amour, un mariage harmonieux. À mesure quela vie sociale devient plus brutale et barbare, les rela-tions personnelles qui, ostensiblement, devraient êtrepréservées, prennent un caractère de combat. (…)Ces thérapies masquent l’origine sociale des souf-frances qu’elles traitent41 ».

Le système éducatif produit de l’obscurantisme etdévalue le rôle parentalParmi les nombreux problèmes sociaux surgis avec lenouvel individualisme, Lasch cite en exemple lafaillite du système éducatif pour montrer ce que peutproduire l’égalitarisme lorsqu’il est poussé àoutrance. Au lieu de chercher « l’excellence pourtous les élèves, au nom même de l’égalitarisme, lesystème préserve la forme la plus insidieuse de l’éli-tisme. (…) Il n’est pas inconsidéré de parler denouvel obscurantisme lorsqu’on se rend compte àquel point les traditions culturelles sont en train de se

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46. G. Lipovetski, ibid, p. 9.47. G. Lipovetsky, ibid, p. 50.48. G. Lipovetski, ibid, p. 56.49. Ibid, p. 63.50. Ibid, p. 59 à 63.51. Ibid, p. 67,52. Ibid, p. 67.

de ce système ne donnent pas de résultat car, « plusl’école se met à l’écoute des élèves et plus ceux-cidéshabitent sans bruit ni chahut ce lieu vide48 ».D’ailleurs, écrit-il, « plus les professeurs veulentfaire lire, moins les élèves lisent49 ».

La désertion dans le domaine politique et le cultedu moiLipovetsky poursuit son enquête et reprend leconcept de « Narcisse » développé par Lasch pourcaractériser le nouvel individualisme qui se répanddans la société post-moderne depuis ces troisdernières décennies. Ce qui frappe, c’est qu’ilretrouve les mêmes effets provoqués par le culte dumoi, la même apathie et le même isolement ayant lesmêmes conséquences. Selon lui, « un cran supplé-mentaire est franchi dans l’escalade de la personnali-sation de l’individu voué au self-service narcissique(…), à l’indifférence par saturation et isolement50 ».De fait, Narcisse se comporte de la même manièreaux USA qu’en France : seul et vulnérable, il est, engénéral, déprimé, mais la cause est à chercher dans« la désertion de la res publica… Narcisse en quêtede lui-même, obsédé par lui seul et ce faisant suscep-tible de défaillir ou de s’effondrer à tout moment faceà une adversité qu’il affronte à découvert, sans forceextérieure51 ». D’ailleurs, l’auteur ne s’étonne pas de ses réactionsexagérées puisque le moindre petit incident le laissedésarmé. Aussi, précise-t-il, « ses problèmes person-nels prennent une proportion démesurée et plus il s’ypenche (aidé ou non par les psychothérapeutes)moins il les résout. (…) Qu’est-ce qui aujourd’huin’est pas sujet à dramatisation et stress. Vieillir,grossir, enlaidir, dormir, éduquer les enfants, partiren vacances, tout fait problème ; les activités élé-mentaires sont devenues impossibles52 ». Il sembleévident que devant de telles situations l’individupost-moderne ne peut ni créer ni entretenir des liens

contemporain n’a plus rien à voir avec celui qui asuccédé à la Révolution française. Selon lui, à l’heurede la consommation de masse, le processus de socia-lisation a totalement changé ; la société, les mœurs,l’individu contemporain sont ébranlés par « l’émer-gence d’un mode de socialisation et d’individua-lisation inédit. (…) Cette mutation historique est,autrement dit, une nouvelle phase de l’histoire del’individualisme occidental46 ». Que résulte-t-il deses observations ?

« La désertion de masse »Il constate que la société française est devenue« apathique ». Il estime que s’accomplit sous lesyeux de tous « une désertion » des individus, desinstitutions ; plus rien ne présente le moindre intérêt ;bref, c’est « l’ère du vide ». Voici dans quels termesil demande que l’on prenne conscience du phéno-mène qui est en train de s’opérer depuis le début desannées 1980. Il convient, écrit-il, de « ne pas occul-ter la présence d’un autre désert… Un désert para-doxal, sans catastrophe, sans tragique ni vertige. (…)Considérez en effet cette immense vague de désin-vestissement par laquelle toutes les institutions,toutes les grandes valeurs et finalités ayant organiséles époques antérieures se trouvent à peu près vidéesde leur substance, qu’est-ce, sinon une désertion demasse transformant le corps social en corpsexsangue, en organisme désaffecté ? (…) Ici commeailleurs, le désert croît : le savoir, le pouvoir, letravail, l’armée, la famille, l’Eglise, les partis, etc,ont déjà globalement cessé de fonctionner commedes principes absolus et intangibles à des degrésdifférents ; plus personne n’y croit, plus personne n’yinvestit quoi que ce soit47 ». La société semble conti-nuer de fonctionner mais en ‘roue libre’, elle n’estplus qu’un ‘désert apathique’. Son enquête se pour-suit par l’examen des systèmes éducatif et politique.

Dysfonctionnements dans l’enseignement Comme Lasch, Ehrenberg met l’accent sur lesdysfonctionnements dans le système éducatif : ilconstate « le grand désarroi des Maîtres », les ensei-gnants confrontés à l’apathie et à l’indifférence desélèves, leurs incivilités. Ceux qui voudraient réagirsont découragés, déstabilisés, désorientés par lemanque d’intérêt qu’ils suscitent, par l’indifférencemassive. Le ‘scandale’ est partout. Les solutionsproposées pour remédier aux nombreux problèmes

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53. Ibid, p. 71.54. Ibid, p. 72.55. Lipovestki, ibid, p. 75.56. Lipovestki, ibid, p. 96.57. Cf Alain Ehrenberg, La société du malaise, Odile Jacob, 2010.58. Jan-Michel BOT (maître de conférences à l’université de sociologieRennes2), sur le site web : anthopiques.org / 1er avril 2010.59. Voir ci-dessus, Christopher Lasch, La culture du narcissisme.60. Voir Richard Sennet, Tyrannies de l’intimité, (1974 en anglais),traduction française éditions Le Seuil, 1995. 61. Voir le compte rendu de Robert Castel sur l’ouvrage de Ehrenberg insite web « la vie des idées » : http://laviedesidees.fr/societe-du-malaise-ou-malaise-dans.html62. Voir François de Singly, L’individualisme est un humanisme, éditionsde l’Aube, 2005.63. Voir Richard Sennet, Ensemble pour une éthique de la coopération, 64. Stephan Vaquero, Baltasar Gracian, la civilité ou l’art de vivre ensociété, PUF, Fondements de la politique, 2009.

années 1970. Il y fait une analyse sociologiquecomparée des USA et de la France pour laquelle ilutilise une méthode qui « combine vision politique etmorale, psychanalyse et sociologie ». Il y décrit la« souffrance sociale, la perte de confiance en soi, ‘lespathologies narcissiques’, les dépressions, étatslimites, impuissance du moi à agir, à entreprendre »,(…) des pathologies de l’autonomie de l’individu61 ».Ces phénomènes ont été décrits plus haut ; ils révè-lent que la société montre des signes de « déliaisonsociale » provoqués par « l’hyper-individualismecontemporain ».

Cependant, d’autres sociologues réagissent à cequ’ils appellent « le déclinisme » qui aurait affecté lasociété française. L’ouvrage de François de Singly62

en France et celui de Richard Sennet63 aux USA cher-chent à dépasser ce moment où la société est censéealler mal. Singly ne nie pas l’existence des multiplesproblèmes mais il pense qu’il y a des possibilitésde les résoudre. Il n’est évidemment pas questiond’un retour à l’ordre moral façon 19e siècle qui étaitsurtout une chape moralisatrice recouvrant la sociétéde l’époque, mais de tentatives de promouvoir le« vivre-ensemble » avec des manifestations d’amitiéet de soutien mutuel et un véritable souci de soli-darité. Certains ouvrages publiés récemment revien-nent sur les notions de « civilité ou l’art de vivreensemble64 », politesse et galanterie. Autrement dit,comment rendre possibles et vivants les liens sociauxet familiaux sans étouffer les individualités. Dansun ouvrage de philosophie politique paru en 2013,

amoureux, familiaux ou sociaux. Narcisse demande àêtre seul dans un désert qu’il entretient et redoute à lafois.

« Narcisse ou la stratégie du vide »Lipovetski constate que son enquête rejoint souventcelle de Lasch mais il voit l’effet du narcissisme dansle croisement de deux logiques : une logique socialeindividualiste et l’autre thérapeutique et psycholo-gique. Cependant, il considère également que cettenouvelle forme de l’individualisme contemporainrévèle de nouveaux rapports de l’individu avec lui-même et son corps, et avec les autres. Cet individua-lisme, précise-t-il, s’est débarrassé « des ultimesvaleurs sociales et morales qui coexistaient avec lerègne de la famille, de l’art, s’est émancipé de toutencadrement transcendant, la sphère privée elle-même change de sens, livrée qu’elle est aux seulsdésirs changeants des individus53 ». En d’autrestermes, le sociologue français rend compte de leurmanque d’intérêt pour la vie politique et sociale, deleur exigence pour vivre au présent et de l’érosion dusentiment d’appartenance. En outre, il constate que« seule la sphère privée semble sortir victorieuse dece raz de marée apathique54 ». Les repères temporelsdélimités par le passé et le futur, sont ignorés ainsique le sens de la continuité historique et la notion detransmission inter-générationnelle. Le narcissismeaffecte la société dans laquelle les individus investis-sent leur moi de manière démesurée, « fonctionnantau plaisir, au bien-être, à la dé-standardisation (…)tout concourt à la promotion d’un individualisme pur,autrement dit, psy, débarrassé des encadrements demasse et à la mise en valeur généralisée du sujet55 ».Ils vouent un culte infini à leur corps et l’entretien-nent tout autant. Leur anxiété est si forte qu’il sembleinutile de préciser qu’ils ont une peur panique devieillir et de mourir et dévaluent également le rôle deleurs parents. Comme ils sont repliés sur leur inti-mité, « leurs relations sont douloureuses, asociales etsouvent fratricides56 ».

* Rendant compte d’une publication récente dusociologue Alain Ehrenberg57, La société dumalaise, Jean-Michel Bot58 signale que l’auteur s’estréféré aux travaux de Lasch59 et Richard Sennet60.Ehrenberg enquête également sur « les maux engen-drés par les sociétés individualistes » depuis les

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65. Philippe Raynaud, La politesse des Lumières. Les lois, les mœurs, lesmanières. Gallimard, L’esprit de la Cité, 2013.66. Philippe Raynaud, ibid, p. 9.67. Philippe Raynaud, ibid. p. 9.

rêt particulier paraît menacer plutôt que renforcerla solidarité des membres d’une société; certes, laconcurrence des individus est censée apporter unenrichissement pour le plus grand nombre par lamain invisible du marché, mais de là à déduire desopérations économiques une cohésion sociale stable,peu de théoriciens franchissent ce pas, et s’ils le font,c’est en invoquant un lien moral ou religieux entreles individus libres et égaux, une référence trans-cendante ou, pour certains, des inégalités naturellesdéfinies par un darwinisme social. L’individualismeest rarement considéré comme fondant à lui seul lesliens sociaux.Emile Durkheim est un de ceux qui ont essayé decomprendre ce paradoxe d’une société qui continueà manifester une cohésion tout en accordant de plusen plus de place, de valeur aux individus. De cetteréflexion est née la science sociale : la sociologie.Même si la réflexion sociologique est née avantDurkheim (on peut remonter à Montesquieu etRousseau, on peut rapporter la discipline à ceux quila nommèrent les premiers, Siéyès et Comte, on peutaussi y adjoindre Marx), Durkheim est considéré,avec Max Weber, comme un des fondateurs de lasociologie. Durkheim pose la société comme uneréalité originaire pour l’homme et la compréhensionde l’homme, dans son vocabulaire, une « chose »,une réalité, « une force sui generis ». Cela ne signi-fie pas que la société soit une réalité simplementphysique, matérielle ; elle est beaucoup plus com-plexe que cela ; elle est une force d’une autre nature.Pour comprendre ce qu’est la société, il faut l’en-visager sous deux aspects : transcendance et im-manence. Laissée à la seule immanence, la sociétépourrait apparaître comme un agrégat d’individusliés par la nécessité des échanges divers, par l’imita-tion. Rien ne permettra alors de comprendre sa naturemorale, ses composantes générales et abstraites, là oùl’abstrait et le concret ne s’opposent pas.Qu’est-ce qui nous lie moralement à autrui ?Comment se fait-il que nous obéissions à des règlesmorales ou que nous soyons sanctionnés au regard deces règles ? Les règles nous « commandent et nous

Philippe Raynaud65 pense que les notions de « civi-lité et démocratie » ne sont pas incompatibles et qu’il« n’y a pas de conflit de principe » entre elles mais« il peut cependant y avoir des tensions entre lemonde de l’égalité et celui des ‘manières’66 ». Aussi,semble-t-il important de mettre l’accent sur unephrase de Marcel Gauchet citée par l’auteur et quiservira ici de conclusion : « Il n’est pas écrit dans les constitutions démocra-tiques qu’il est nécessaire d’être poli envers sesvoisins, mais on voit bien que dans une société oùtout le monde est impoli avec ses voisins, quelquechose de l’esprit de la démocratie est atteint67 ».

■ L’individualisme

Laurent PIETRADocteur en philosophieMembre associé au Sophiapol de l’université Paris Ouest Nanterre-La Défense« Intervenant pour l’Institut Emmanuel Lévinas »

Résumé: Emile Durkheim, fondateur de la sociologie en France, aessayé de comprendre le paradoxe d’une société qui conti-nue à manifester une cohésion tout en accordant de plusen plus de place, de valeur aux individus. Pour expliquerce paradoxe, Durkheim montre que l’individualisme n’estpas le fruit d’une décision des individus, mais qu’il estd’abord une norme sociale qui s’impose à tous dans lessociétés modernes caractérisées par la division du travailsocial. Pour combattre les pathologies sociales qui ressor-tissent à l’individualisme, Durkheim assignait une tâcheà la sociologie : « nous faire une morale » fondée « dansla réalité des choses ». Cette formation d’une moralecontemporaine reposerait sur la prise en compte de ce quele sociologue nommait la nature « transcendante » et« immanente » de la société. Nous essaierons de préciserle sens de cette double nature de la société.

L’individualisme qui s’est développé dans les socié-tés modernes ne semble pas détruire les lienssociaux ; cependant, les liens sociaux fondés sur laseule volonté de contractants égaux paraissent faiblesau regard des liens traditionnels, religieux qui défi-nissent une obéissance en déterminant de façon fixequi commande et qui obéit. Les théoriciens politiquesmodernes ont pour la plupart référé le contrat social,la cohésion sociale à un lien religieux, à des loisdivines, à une religion civile ; la poursuite de l’inté-

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L’objection qu’on peut faire à l’analyse durkhei-mienne est qu’on comprend mal comment l’indivi-dualisme qui ébranle les liens sociaux pourrait êtredéterminé socialement ; la société nous détermi-nerait à un comportement qui aurait tendance à ladissoudre. Il faut alors souligner que la division dutravail social produit la solidarité organique dessociétés modernes ; le processus de différenciationdes individus est en même temps le processus quiproduit la cohésion des sociétés modernes. Plus lesindividus se différencient par leurs fonctions, plusnous sommes individualistes, plus nous désironsl’être, plus s’étend un contrôle social intériorisé, plusla société s’organise, plus chacun accomplit unetâche spécialisée nécessaire à l’ensemble, même sion répète que beaucoup d’individus sont interchan-geables dans des tâches sans qualification ; si un telindividu est inutile à lui-même, aliéné dans sontravail, il n’est certainement pas inutile à ceux quil’exploitent. L’individu est de plus en plus valorisécar la société est de plus en plus organisée ; la divi-sion sociale n’est pas la dissolution de la société,mais au contraire, son organisation qui produit unesolidarité, une cohésion. De fait, les sociétés caracté-risées par l’individualisme sont toujours composéesde familles, les liens sociaux, les relations moralesn’ont pas disparu.Les courants politiques du 20e siècle qui étaientcensés rompre avec l’individualisme et restaurer laprimauté du groupe sur l’individu ont fait la preuvequ’une telle restauration relevait de la folie et condui-sait aux pires horreurs. Des courants religieux ontpris le relais de ces courants politiques. CommeDurkheim au début du 20e siècle, nous devons accep-ter les inconvénients de l’individualisme ; dansDe la division du travail social, Durkheim donneun « but » à la « réflexion » sociologique : « notrepremier devoir actuellement est de nous faire unemorale », une morale fondée « dans la réalité deschoses ». Cette formation d’une morale contempo-raine reposerait sur la prise en compte de la naturetranscendante et immanente de la société.Peut-on expliquer le paradoxe de la société qui « enmême temps » qu’elle « dépasse » les consciencesindividuelles, qu’elle est « transcendante », leur est« immanente ». Une attitude intellectuelle très répan-due, pour ne pas dire une habitude, pourrait lire rapi-dement ce paradoxe qui ne choque plus personne :la transcendance serait rabattue sur l’immanence.

attachent à des fins qui nous dépassent en mêmetemps que nous les sentons désirables ». Commentexpliquer ce paradoxe ? Nous désirons des fins quinous dépassent. Quelle est la signification de ce« dépassement » ? Commandement, attachement,désir nous renvoient à une immanence, alors queles fins qui nous dépassent renvoient à une trans-cendance. Dans « Détermination du fait moral »,Durkheim explicite ce paradoxe de la société, trans-cendante et immanente : « elle nous dépasse » et« elle nous est intérieure ». Les facultés de l’hommeque nous connaissons viennent « de la société », lasociété est une réalité, une force qui a sa propreconsistance, elle n’est pas un simple agrégat d’indi-vidus, de forces individuelles. Contrairement à laconception libérale de l’individualisme, Durkheimpense que ce n’est pas la liberté individuelle, droitfondamental de l’homme qui fonde la société, c’est lasociété qui fonde la liberté individuelle, sociétécensée être la matrice de la « personnalité » indivi-duelle et donc de la volonté individuelle. L’indi-vidualisme contemporain serait une norme socialeissue de la « division du travail social », résultant del’évolution de la société vers une « solidarité orga-nique » : c’est la société qui nous impose d’être indi-vidualistes ; ces considérations conduisent à parlerd’individualisme de masse.Une des preuves de la contrainte sociale pourDurkheim est que nous ne la sentons pas habituelle-ment comme contrainte ; nous sentons la contraintequand nous essayons de nous en écarter. En un sens,lorsque nous essayons de ne pas être individualistes,nous sentons une résistance; nous ne parvenons plusà faire passer avant nous-mêmes la famille, le groupeauquel nous appartenons, la patrie, etc. Cette inter-prétation de l’individualisme se révèle tout à faitparadoxale, puisque nous imputons habituellementl’individualisme à la volonté individuelle déterminéeen cela par le calcul de notre intérêt individuel, notreintérêt particulier. L’objection qu’on peut faire à l’in-dividualisme libéral serait qu’on ne comprend pasbien toutes les formes de société où l’individu était –ou est encore – entièrement soumis à la société quiprime sur lui ; l’individualisme n’est pas originaire,mais semble bien être une réalité historique modernequi s’est développée à partir de sociétés qui secomprenaient elles-mêmes à l’inverse de l’individua-lisme. L’importance sociale de la religion est censéemarquer ce fait.

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nous considérons aussi certains biens comme dési-rables. Le rapport de l’immanence à la transcendanceserait alors celui d’une assimilation partielle de laréalité sociale qui, pour partielle qu’elle soit, n’en estpas moins constitutive de notre « personnalité » indi-viduelle. Nous sentons que la société nous constituejusque dans notre individualité, dans nos « fonctionsmentales supérieures », immanence, intériorité, maisnous sentons aussi qu’elle est plus vaste, pluscomplexe, plus riche, qu’elle déborde infinimentnotre individualité : transcendance.Il est à noter pourtant que la « transcendance » deDurkheim retrouve un sens assez commun si on lerapporte à la religion : « idées », « sentiments »,« croyances », « préceptes de conduite » qui « unis-sent en une communauté morale », comme l’indiqueDurkheim dans Les formes élémentaires de la viereligieuse ; la société est « sentie » par l’individusous les espèces de la religion ou plutôt du sacré oudu religieux. Le génie de Durkheim a été de considé-rer que le religieux n’est que la façon dont la sociétéapparaît aux individus ; le religieux n’est pas alorsenfermé dans des institutions religieuses qui peuventdisparaître, mais peut se transformer et se manifesterdans de nouvelles institutions ou croyances, despratiques qui n’apparaîtront pas comme évidemmentreligieuses. Les croyances individuelles qui serapportent à une transcendance sont donc tout à faitjustifiées ; seulement, lorsque les êtres humainscroient en Dieu ou en quelque sacralité, ils croient enfait à la société.Le « nous » dont parle Durkheim est-il alors le nouscommun ou le sociologue qui connaît la transcen-dance pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire lasociété ; les individus ont raison de se rapporter à unetranscendance, de respecter les règles, de désirer lebien, mais ils ne savent pas que ce qu’ils respectentc’est la société comme réalité vraie mais aussi trans-cendante, « force sui generis ». Le « nous » communsent peut-être la transcendance de la société, mais ilne la conçoit pas, ne la connaît pas, sinon au traversde symboles. C’est le sociologue, faut-il diredurkheimien, qui sent vraiment cette transcendanceet cette immanence parce qu’il les conçoit et connaîtleurs rapports, le sens social de l’univers symbolique.Kant avait raison de postuler un Dieu sans lequel lamorale, le devoir auraient été inintelligibles, maisc’est la sociologie qui connaît la « fin véritable detoute activité morale » : la société.

Comment ce qui est présenté comme « transcen-dant » peut être à la fois « immanent » ? Certes, ils’agit de la société, qui est une réalité concrète parles individus et les institutions qui la composent,mais qui, surtout pour les sociétés modernes, estcomplexe, riche, et dépasse donc les individus.Comment comprendre ce vocable de transcendance ?La société est « transcendante, par rapport à nous » ;cela pourrait signifier que la société est bien uneréalité, et donc qu’elle n’existe que sur un plan d’im-manence, mais comme nous sommes des individus,et en tant que tels des corps situés, des « être[s]réduit[s] à la sensation », elle nous « dépasse » detoutes parts, physiquement, matériellement, maisaussi moralement ; elle va bien au-delà des individusqui la composent, elle les transcende ; la transcen-dance sociale signifierait simplement l’idée bienconnue que le tout est plus que les parties qui lecomposent. La société est immanente car elle est bienles individus qui la composent, mais elle est trans-cendante car elle est plus que la somme de ces indi-vidus. Ceci permettrait de comprendre que nous la« sentons comme telle ». Sentons-nous la transcen-dance de la société, ou son immanence ? Ou sentons-nous « en même temps » transcendance et imma-nence de la société ? Si la société « ne peut vivrequ’en nous et par nous », il est clair que nous lasentons comme immanente, puisqu’« elle nous estintérieure ». Mais pouvons-nous, alors, la sentircomme transcendante ?La pensée de Durkheim est nuancée : « ou plutôtelle est nous-même, en un sens » ; la société est « lameilleure partie de nous-même », elle est donc une« partie », l’autre partie étant l’animalité : elle est « ceque nous parvenons à assimiler » d’elle ; la société,réalité extérieure, devient réalité « intérieure ». Elleest la part la plus importante des individus qui ne sontpleinement humains que par la « civilisation » ;« l’homme » n’est pas simplement un corps et sessensations, ce qui ne le distinguerait guère des autresanimaux – « plus ou moins » –; il est « homme » entant que « civilisé ». La part la plus importante, « quifait de nous un être vraiment humain » n’est qu’unepartie de « cet ensemble » plus vaste qu’est la société,la « civilisation », « ensemble d’idées, de sentiments,de croyances, de préceptes de conduite ». La« meilleure part » signifie alors que la société n’estpas que contrainte, mais aussi désir du bien ; nous nefaisons pas que nous sentir obligés par des devoirs,

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mais cet univers qui nous dépasse n’est pas qualitati-vement différent de nous. D’ailleurs, si la société nenous dépassait que matériellement, si elle n’était quel’agrégat d’individus, elle ne serait pas non plustranscendante. La « force collective » que représentela société est une « force intense », « intelligente etmorale » ; c’est donc moralement que la société nousest transcendante, et c’est ainsi qu’elle nous estimmanente, car elle met l’individu à « l’abri » du jeudes forces naturelles qui pourraient facilement lebroyer, et elle permet que se développent les fonc-tions supérieures en donnant conscience à l’individuqui n’est plus englué dans le monde des phénomènes,des forces naturelles qu’il peut nommer et éclairer deson intelligence. Il n’y a de « je » que parce qu’il y ad’abord un « nous », la « force » d’un « nous » quidomine les forces naturelles et fait émerger l’hommede l’animal.La société est « une force sui generis » ; l’expressionpeut paraître anodine, elle concentre au contraire toutce que veut dire Durkheim et détermine profondé-ment la méthode sociologique. La société est de sonpropre genre ; elle est une chose, une force qui a saconsistance propre, qui peut être étudiée, scientifi-quement ; elle est un élément du réel qui peut êtredécoupé sur la totalité du réel. Parmi toutes lesforces, la science sociologique détermine son objetcomme « force collective » – tout objet soumis àcette force définira un champ. Quelle est cette consis-tance propre ? La nature est inintelligente et amorale,la société est intelligente et morale ; c’est ce qui faitque nous sommes liés moralement à autrui, c’est cequi fait la « détermination du fait moral ». La sociétéest pour l’homme la vraie réalité, la force qui déter-mine son individualité, son humanité même ; ellen’a pas son principe d’explication hors d’elle, c’estelle qui explique les caractéristiques, les fins del’homme ; pourquoi nous désirons, pourquoi nousdésirons ceci plutôt que cela, pourquoi nous obéis-sons à des règles et pourquoi nous sommes sanction-nés, positivement ou négativement. Les phénomènessociaux ne peuvent ainsi être expliqués par autrechose que par des caractéristiques, des structuressociales, d’où l’importance d’une morphologiesociale qui montre comment des causes socialesproduisent des effets, des évolutions sociaux.Que la société ne puisse être expliquée que par elle-même pose un problème épistémologique, car onpeut se demander si la sociologie peut dévelop-

Certes, nous sentons transcendance et immanence dela société, mais la transcendance ne se manifeste pasà tous comme sociale. Le rapport d’une intériorité àla transcendance n’étonnera pas dans une sociétédont les fondations et l’histoire furent chrétiennes ;Dieu peut être plus intime à moi que moi-même.Mais, pour voir derrière ce Dieu intime, objet desentiment, de croyance et de rite, la société, unetranscendance immanente, faite aussi de sentiments,de croyances et de pratiques, il faut un regard aumoins philosophique, à coup sûr sociologique. Unetelle réduction de la transcendance à la réalitésociale, fût-elle dotée de toutes les caractéristiquesde la transcendance religieuse, sacrée, ne pouvaitmanquer de paraître iconoclaste à l’époque deDurkheim, elle peut encore paraître ainsi à l’époquedu « retour du religieux ».Selon Durkheim, transcendance et immanence dela société qui déterminent le « fait moral » peuventêtre démontrées. L’individu humain sans la sociétén’est guère plus qu’un « animal », « être réduit à lasensation », corps individuel doté des fonctionspsychiques inférieures. La sociologie durkheimienneest ici à l’opposé de la conception libérale qui poseun individu libre et entreprenant, autonome, doténaturellement de toutes les fonctions psychiquessupérieures, pouvant s’associer librement – le grandadversaire, sur ce terrain, était Spencer. PourDurkheim, ce qui caractériserait l’homme, l’individusans la société – la fiction d’un homme sans sociétéest tout à fait une fiction pour Durkheim qui ne l’en-visageait que pour mieux démontrer la nature socialede la condition humaine –, c’est non l’indépendance,mais la « dépendance » de ce dernier vis-à-vis « desforces physiques », des « énergies inintelligenteset amorales de la nature » – ici encore se marquel’opposition à la tradition libérale. L’indépendanceest donnée par la société qui nous « affranchit » dela nature en la « neutralisant » par la « coalition detoutes les forces individuelles ». Le paradoxe estredoublé et la portée politique de la sociologie appa-raît : la société qui passe pour une contrainte quis’ajoute aux nécessités naturelles est en fait la sourcede notre liberté et de notre individualité, de notre« personnalité ». C’est ici qu’intervient la notion de« force ».L’univers naturel nous dépasse matériellement, maisil ne signale aucune transcendance que nous aurionsà assimiler ; nous sommes une partie de l’univers,

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gnant le désir du bien pour définir le fait moral ; maistout doit être rapporté à la société qui seule permetaux désirs individuels de se dépasser dans le désinté-ressement.Dans l’ensemble d’idées, de sentiments, decroyances, toutes les démonstrations peuvent êtreadmises, car elles sont toutes filles de cette grandepensée qu’est la société ; les idées même contradic-toires ressortissent à un état donné de la société, dessociétés où elles apparaissent. L’opposition entre lesidées de Durkheim et celles de Spencer ressortissentelles-mêmes à un avancement particulier de l’évolu-tion sociale où la société moderne, ayant progressésur la voie de la solidarité organique, rend possible laconnaissance sociologique et la réfutation du darwi-nisme social, du struggle for life à l’échelle d’unesociété capitaliste composée de libres individus,inégalement adaptés à la compétition économique.Chaque individu a tendance à devenir une partieirremplaçable du tout social : les forces socialesaccroissent les désirs et les moyens de satisfaire cesdésirs ; à mesure que grandissent les nécessités etle contrôle social, ceux-ci s’intériorisent tout endonnant l’idée d’une liberté, d’un affranchissementvis-à-vis de la nécessité naturelle, liberté qui estdonc perçue comme un droit, objet de réclamationou de déclaration. Mais aux droits correspondent desdevoirs – sinon à qui réclamer le respect des droits ?Il est clair que ces droits-libertés supposent la sociétésans lesquels ils seraient vains, « quelle que soit lavaleur des démonstrations » qui fonderait théorique-ment le droit de l’homme à la liberté. Les hommes nenaissent libres et égaux que parce que la société lesfait naître tels et qu’elle leur permet de devenir telspar la suite.Ce dernier point nous fait entrer dans une autreperplexité : est-ce la société qui veut en nous tout ceque nous voulons ou faut-il prendre au sérieux l’indi-vidualisme durkheimien ? « Vouloir la société, c’est[...] nous vouloir nous-même ». Est-ce nous quivoulons quoi que ce soit ? Peut-on « se faire unepersonnalité » ? S’agit-il ici de la rhétorique du socio-logue qui veut nous persuader en nous faisant croireque déterminés par la société de part en part, c’esttout de même nous qui voulons ? Si nous sentons latranscendance et l’immanence de la société, nous nela connaissons pas comme telle, à moins d’être socio-logues. En nous-mêmes, nous sentons une volonté dedépasser notre individualité, par exemple dans une

per autre chose qu’une science tautologique.Transcendance et immanence jouent alors un rôleessentiel dans une sociologie de la connaissance ;cette division de l’immanence sociale en aspecttranscendant et aspect immanent permet de différen-cier le discours scientifique sociologique qui expli-quera les éléments sociaux immanents, individuelsen les rapportant à une transcendance sociale, à uneforce sociale, à « cet ensemble » plus vaste, multi-forme, d’« idées, sentiments, croyances, préceptesde conduite ». Le caractère partiel de ce que « noussentons » et assimilons de la société pourra toujoursêtre expliqué sociologiquement par l’ensemble plusvaste de symboles, de représentations qui détermi-nent nos représentations particulières.Durkheim ne niait donc pas la liberté humaine ; il nes’opposait pas tant au libéralisme qui fait tout partird’individus libres – l’adversaire visé, Spencer, tenantd’un darwinisme social, ne pensait pas que ces indi-vidus étaient égaux –, il parlait de ce qui précède logi-quement toute individualité vraiment humaine, touteliberté : la société. La société n’entrave pas les indi-vidus, elle les fait naître. La société ne corrompt pasla nature humaine ; elle définit la condition humaine,elle fait être l’homme. Si l’homme est une personnemorale parce qu’il est remis à son propre conseil,c’est la société qui le remet à lui-même en le proté-geant des forces aveugles de la nature, et en éduquantles forces physiques qui le constituent pourtant.Le sociologue permet « au théoricien de démontrerque l’homme a droit à la liberté », car lui démontre lefait qui rend possible ce droit ; il remonte à la réalitéqui fonde la liberté et lui donne « réalité ». Il semble-rait que le sociologue inversât les plans de la trans-cendance et de l’immanence : la société existe et laliberté des individus est déduite de la société ; laliberté n’est qu’une manifestation partielle de lasociété et n’a d’existence que parce que la sociétéexiste. Le sociologue durkheimien est un cartésienqui tente de rejoindre un sol ferme, une certitudeinébranlable. Le cogito de Durkheim est un cogita-mus social, la société est une res cogitans (chosepensante) : nous pensons, donc nous sommes ; lasociété existe, infiniment riche et complexe, doncnous sommes individuellement libres. La moraleimplique bien la liberté, mais la raison d’être dela liberté est la société, la « force collective » –Durkheim soulignait lui-même la parenté de saconception du devoir avec celle de Kant, lui adjoi-

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problèmes auxquels la modernité est confrontée.Nous accédons à la méthodologie de la sociologiedurkheimienne qui exige une explication immanenteà la société ; nous mesurons que la sociologiedurkheimienne permet de conserver intactes lescroyances et les pratiques immanentes en donnantpourtant leur explication sur le plan de la transcen-dance (en un sens, comme le dit Durkheim, « il n’y apas de religions qui soient fausses » ; chaque sociétéa la religion qui lui correspond).Grâce à Durkheim, nous disposons d’une interpré-tation puissante qui permet d’ordonner une grandevariété de données historiques, économiques, poli-tiques, juridiques, religieuses, philosophiques, et decomprendre l’évolution des sociétés, processus qu’ona qualifié de sécularisation des sociétés. La religion,le rapport à une transcendance, est la façon dontune société prend connaissance d’elle-même et dumonde ; la transcendance sociale est elle-même lafaçon dont la sociologie prend connaissance de lasociété. La connaissance sociologique apparaîtraitdonc lorsque la religion comme représentation abso-lument transcendante a fini de se transformer ensacré qui peut revêtir différentes réalités qui ne sontpas religieuses (politique, morale), en transcendanceimmanente. Le rapport entre la transcendance etl’immanence serait alors une des dimensions essen-tielles de la connaissance que l’homme prend de lui-même. Nous sommes ici au plus fort du paradoxe : lasociologie qui a si fortement conduit à rabattre toutetranscendance sur l’immanence sociale est construitechez un de ses fondateurs sur le rapport de l’imma-nence à une transcendance. On comprend alors que laquestion du religieux et du sens de la vie humainedemeurent tout à fait irrésolue pour une modernitéqui entendait se passer de toute référence transcen-dante et qui croyait pouvoir s’appuyer sur la disci-pline sociologique censée expliquer la sécularisationet la fin de la religion. À un siècle de distance, laphilosophie sociale de Durkheim nous permet deposer plus clairement le problème de l’individua-lisme contemporain. Cela ne vaut-il pas mieux quen’importe quelle fausse solution ?

conduite désintéressée ; cette conduite est à la foisce que nous voulons faire de nous-mêmes, et dans lamesure où nous sommes nos actes, cette conduite estnous-mêmes ; or, dans le désintéressement nous nousélevons à notre condition morale et donc sociale.Lorsque nous voulons « quelque chose qui nousdépasse », nous voulons en fait « la société » ; envoulant la société, nous voulons, nous désirons, nousvalorisons notre meilleure part, « la meilleure partdes hommes », la part morale qui fait de la sociétéune réalité sui generis. Qui veut la transcendanceveut l’immanence ; Kant avait raison : tu dois donctu peux ; version durkheimienne : la société est tameilleure part, elle t’inculque des devoirs, tu as laforce de les accomplir car c’est la « force intense » dela société qui te soutient.Reste qu’une telle conception peut toujours appa-raître comme l’intériorisation d’une contrainte d’au-tant plus violente et aliénante qu’elle passe pour unetranscendance qui échappe à l’individu qui est investipar elle, transcendance seule connue et maîtrisée parles professionnels de cette transcendance moderne etimmanente que sont les sociologues ; au lieu que lasociété soit l’instance légitimante du fait moral, elledevient le lieu symbolique manipulé par des expertsqui assoient leur pouvoir et leur domination sur ladivision entre transcendance et immanence et le justi-fient par leur connaissance de la transcendancesociale.En rapportant la société à deux plans, l’immanenceet la transcendance, Durkheim accomplit une desopérations les plus décisives de la pensée moderne ;c’est une banalité que de dire que Durkheim fondela sociologie : il cherche l’origine, l’origine du faitmoral, de l’individualisme comme fait moral. Lasociété est bien cette réalité originaire, plus réelleque les individus qui la composent, « force », réalité« sui generis ». Certes les corps individuels sont plusconcrets, plus réels, mais en fait, l’homme n’esthomme que « dans et par la société » ; nous n’avonsde volonté, de force et donc de liberté que « dans etpar la société ». La vraie réalité est la réalité sociale,la « force collective », ensemble de croyances et depratiques. L’intérêt de cette pensée serait bien limités’il s’agissait seulement de dire que les fonctionspsychiques supérieures de l’homme sont sociales.Avec ce paradoxe de l’immanence et de la transcen-dance de la société, nous accédons non seulementaux problèmes sociologiques, mais aussi aux

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68. Dictionnaire Le Robert.69. Jacqueline Russ, Dictionnaire de philosophie, Bordas,70. André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie,Quadrige, PUF.

sont le manque d’amis (100%), la perte d’un êtrecher (45%) et la maladie (31%). Elle survientsouvent lors des grands tournants de la vie : quand unétudiant quitte le domicile familial, quand un indi-vidu célibataire prend un poste dans une nouvelleville, quand une femme âgée survit à son mari et àses amis, quand il y a un manque de relation socialedurant l’enfance et l’adolescence ou l’absencephysique d’autrui, devant des problèmes comporte-mentaux, une dépression chronique, de façon tem-poraire après une rupture amoureuse, un divorce, laperte d’un proche et dans les ménages instables,parmi les individus habitant dans un endroit où ladensité de population est faible et chez les seniors quisont particulièrement vulnérables. Cette montée de lasolitude serait également favorisée par les nouvellestechnologies et le culte de l’individu, l’urbanisation,l’émancipation des femmes qui s’engagent dans lavie professionnelle, se marient plus tard et surviventplus longtemps que par le passé à leur conjoint, latendance de plus en plus naturelle au divorce quiatteint désormais 50 % dans nombre de pays, Au fur et à mesure que la personne vieillit, ce sont laperte d’autonomie et la dépendance qui créent la soli-tude. Tant que la personne est en pleine possession deses facultés physiques et intellectuelles et qu’ellepeut participer à des activités, voyager et lire, ellereste reliée à un environnement social. L’isolement semet en place par la disparition des proches, l’appari-tion ou l’aggravation des problèmes de santé, la perted’autonomie et la diminution progressive de la vierelationnelle. Au niveau de ce que l’on appelle lequatrième âge, la solitude est encore plus marquée.Dès que les personnes âgées fléchissent, on les met àl’écart dans des résidences spécialisées où, même sielles sont en collectivité, elles se sentent seules, cequi entraîne un risque de décès plus élevé. C’est ainsique l’isolement et la solitude des personnes âgéespeuvent avoir de graves conséquences en termes desanté publique, comme nous l’avons vu au cours del’été 2003 en France.La nouvelle organisation du travail produit encoreplus de solitude, comme le souligne Christophe

■ Individualisme et Solitude

Dr Elie AttiasPneumo-Allergologue - Toulouse

C’est un thème brûlant qui touche, à notre époque,toutes les couches de la population. L’indivi-dualisme est « une tendance qui voit dans l’individula suprême valeur dans le domaine politique, écono-mique et moral68 ». Cet état peut favoriser l’initiativeet la réflexion individuelle, le goût de l’indépen-dance. Ici, « l’individu se contente de s’affranchirde la domination de la société. Il ne s’oppose pas entant que personne, mais en tant qu’individu69 ». PourNietzsche, c’est une variété modeste et encoreinconsciente de la volonté de puissance. Dans uneintention péjorative, « c’est la tendance à s’affranchirde toute obligation de solidarité et à ne songer qu’àsoi 70 » qui peut être assimilée à de l’égoïsme. Cetindividualisme peut nous éloigner du vivre-ensemble, nous conduire vers la rupture du liensocial et engendrer de la solitude. Il deviendrait alorsun choix de vie et pourrait atteindre, à la fois, notrepersonnalité, perturber notre état de santé et au pire,la société environnante. La solitude n’est pas seulement un problème indivi-duel. Elle est devenue un phénomène social qui sedéfinit comme l’état ponctuel ou durable d’un indi-vidu seul qui n’est engagé dans aucun rapport avecautrui. On peut se sentir également seul dans ungroupe ou dans une collectivité. C’est pour cetteraison que nous faisons la différence entre un étatd’isolement qui correspond à la solitude objective etle sentiment de solitude qui est une notion subjective,un ressenti qui peut naître chez des personnes parfai-tement bien entourées, le plus fréquemment vécu auxdifférents âges de la vie, comme un rejet ou uneexclusion, un manque de lien, un vide à combler, unesouffrance, et renvoie à un besoin de la présence del’autre.

Considérations générales

Nous vivons une époque paradoxale. Alors que noussommes dans une époque de communication, lamontée de la solitude est devenue un phénomènesocial majeur et la relation à l’autre un sujet de préoc-cupation. Elle se serait développée au fil de la moder-nisation. Les principales raisons de cette situation

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71. Christophe Dejours, cité dans L’Express, 17 mai 2007.72. Tzvetan Todorov, La vie commune, Essai d’anthropologie générale,Seuil, Paris, 1995.73. Balzac, Illusions perdues, Œuvres, tome IV, p. 1032.74. L’enquête a été réalisée par l’institut d’études TMO régions par télé-phone entre le 7 janvier et le 26 février, auprès de 5 000 personnes âgéesde 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

2010, une hausse liée à plusieurs phénomènes : uneaugmentation du nombre des personnes âgées ensituation de handicap, une baisse relative despratiques associatives et un relâchement sensible desrelations familiales. Outre l’âge, la pauvreté et le chômage sont les prin-cipaux facteurs de la solitude : 17% de personnessont isolées parmi les foyers ayant moins de 1000 €de revenus nets mensuels ; entre 30 et 60 ans, le faitd’occuper ou non un emploi constitue une des cau-ses de l’isolement. Ainsi, 15% des personnes enrecherche d’emploi sont seules, 19% chez les deman-deurs d’emploi de plus d’un an. Depuis 2010, la soli-tude a également progressé fortement au sein desclasses moyennes définies comme les foyers dispo-sant de 1 000 à 3 499 euros de revenus nets mensuelset dans les grandes villes puisque 13% des habitantsdes grandes métropoles se disent seuls contre 8% en2010. Ce phénomène est accentué là où se concen-trent les logements sociaux : 14% des habitants duparc HLM sont en situation d’isolement relationnelcontre 10% en 2010 et les services de proximité n’ap-portent pas de réponse suffisante. Les résultats del’étude témoignent d’une difficulté des individus ànouer des relations sociales de proximité, malgré lafréquentation des commerces, des équipements et desservices proches de chez eux. Sur les territoires lesmieux dotés en équipements et services, près d’unepersonne sur deux considère qu’il n’y a pas de lieuautour de chez elle où elle peut facilement rencontrerdes gens pour discuter. En 2013, 27% des Français nedisposent que d’un seul réseau (contre 23% en 2010),39% n’ont pas de lien soutenu avec leur famille(contre 33% en 2010), 37% n’ont pas ou peu decontacts avec leurs voisins (contre 3 sur 10 en 2010)et 1 Français sur 4 ne dispose pas d’un réseau amicalactif (contre 21% en 2010). Aux États-Unis, environ60 millions d’individus ou 20% de la populationactive se sentent seuls ; 12% des Américains n’ontpersonne avec qui passer leur temps libre ou pourdiscuter. Les foyers d’une seule personne représen-tent désormais 30% des foyers européens. Ces statis-tiques se seraient accrues au fil du temps.

Dejours, psychanalyste : « Les nouvelles organisa-tions, en privilégiant l’individualisation de l’évalua-tion, ont détruit les solidarités et le vivre ensem-ble71 ». C’est désormais chacun pour soi. D’autrepart, le vieillissement est de moins en moins acceptédans le monde du travail et il est regardé comme unecharge insupportable. On devient alors méfiant et laméfiance isole. Au moment du départ à la retraite, onrisque de se retrouver face au vide, une sorte de mortsociale. Sans désir et sans action, on est rien !Le sentiment de solitude progresse également et peutaffecter ceux qui ne vivent pas seuls. « Ce qui estprobablement plus douloureux que la solitudephysique, laquelle peut être aménagée et agrémentéepar divers arrangements, c’est vivre au milieu desautres sans en recevoir aucun signe72 ». La culture dunarcissisme, la faible estime de soi, la timidité, l’in-troversion et le manque d’assurance sont des facteursd’isolement social qui peut alors agir de façon dépri-mante sur le moral car « …L’homme a horreur de lasolitude. Et de toutes les solitudes, la solitude moraleest celle qui l’épouvante le plus73 ».

Evaluation de la solitude

Le nombre de foyers occupés par une personne seuleaugmente régulièrement depuis un demi-siècle dansles pays occidentaux, et depuis quelque temps, dansle reste du monde. En Europe, la barre des 30% aété franchie, révèle Euromonitor. La Suède devraitatteindre les 50% dans huit ans. Selon une enquêtede la Fondation de France74, les Français sont de plusen plus seuls, soit 12% de la population. Depuis2010, la solitude a touché en France un million depersonnes supplémentaires, portant à 5 millions lenombre de ceux qui n’ont pas ou peu de relationssociales au sein des cinq réseaux de sociabilité :familial, professionnel, amical, affinitaire ou devoisinage. La solitude en 2013 est en constanteaggravation, surtout chez les plus jeunes et les plusâgés. Elle a ainsi doublé chez les moins de 40 ans,(6% sont désormais seuls) et pour la première fois, lephénomène touche les 18-29 ans (6% d’entre eux),jusque-là préservés. Les difficultés d’entrée et demaintien dans l’emploi constituent l’une des princi-pales explications à cette extension générationnelledu phénomène.À l’autre extrémité, 24% des 75 ans et plus sonttouchés par l’isolement, contre seulement 16% en

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75. Marie-France Hirigoyen, Les nouvelles solitudes, éditions La décou-verte, 2007.76. Marie-France Hirigoyen, Les nouvelles solitudes, éditions La décou-verte.77. Rousseau, Rêveries, 10e promenade.78. Rousseau, Prem. Lettre à M. de Malesherbes, 4 janvier 1762.79. Balzac, Illusions perdues, Œuvres, t. IV, p. 552.80. Montaigne, Essais, I. De la solitude, 1580.81.Nathan Heller traduit par Baptiste Touverey, Books, n° 36, octobre2012, Les nouvelles solitudes : cet article est paru dans New Yorker le16.04.2012. Le livre : Going solo : « Option solo. L’extraordinaire essoret l’étonnant attrait de la vie en solitaire », Penguin, 2012, 288 pages.L’auteur, Eric Klinenberg, sociologue, enseigne à l’université de New-York et dirige la revue Public Culture. Ses ouvrages ne sont pas traduitsen français.

chimériques que je rassemble autour de moi qu’avecceux que je vois dans le monde78 ». La solitude estnécessaire à l’artiste et Balzac de nous rappeler que« Les succès littéraires ne se conquièrent que dans lasolitude et par d’obstinés travaux79 » et nombre depenseurs et de créateurs ont fréquemment choisi unesolitude sereine afin de créer des conditions propicesà leur épanouissement spirituel, intellectuel ou artis-tique. La solitude qui construit est une solitudeacceptée. Elle amène tous ceux qui travaillent dansles arts, les lettres, les sciences à être créatifs et tousceux qui sont dans les soins, en relation d’aidepresque constante ou en contact avec le public, àreconstituer leurs énergies. Savoir être seul permet des’affirmer, de ne pas dépendre de l’autre et de sonjugement, d’acquérir une certaine autonomie, desavoir garder une distance suffisante et ne pas êtredans la fusion. Celui qui a fait l’apprentissage de lasolitude sera certainement plus fort face aux événe-ments douloureux de la vie.La dose de solitude nécessaire est propre à chacun.Elle permet de développer sa singularité et de raf-fermir sa pensée, sa liberté et son esprit critique.Montaigne disait : « Il se faut réserver une arrière-boutique toute nôtre, toute franche, en laquelle nousétablissons notre vraie liberté et principale retraiteet solitude80 ». C’est dans la solitude assumée, avectoutes les difficultés qu’elle occasionne, que toutesnos capacités naissent et se construisent. Elle nouspermet de mieux nous connaître, de nous accepter, denous donner force et inspiration et de pouvoir regar-der la mort en face.Eric Klinenberg81, sociologue à l’université de New-York, a étudié l’isolement et aborde le sujet enhomme troublé par les récentes évolutions démogra-phiques qui indiquent que la vie en solo, a le vent en

La solitude choisie

La solitude n’a pas le même sens selon qu’elle estsubie ou choisie. Peut-on lui attribuer une imagemoins fâcheuse et une si mauvaise réputation ? Denos jours, pour Marie-France Hirigoyen, psychiatreet psychanalyste75, le solitaire est encore souventperçu comme un misanthrope, un égoïste, incapablede s’adapter à la société où les individus cherchent às’agiter et à se rassembler pour ne pas affronter leurspeurs. Ils refusent le vieillissement et la maladie, etprennent conscience que nul ne peut éviter la mort.Et, l’âge venant, cette prise de conscience peut êtredifficile à vivre. C’est ainsi que la solitude subie peutdevenir une blessure, un problème d’ordre social,économique, ou psychologique, qu’on associe le plussouvent à la séparation, au deuil, à l’abandon et à unegrande forme de détresse que beaucoup de gensn’osent pas affronter parce qu’ils en ont peur. Lechoix de la solitude est certainement difficile à uneépoque où le « vivre-ensemble» est valorisé. Ellereste une situation atypique, un moment que nousconnaîtrons encore plus au fur et à mesure que nousavancerons dans la vie. Son choix n’est pas un refusde l’autre ou une indifférence aux autres mais pour-rait être une ouverture qui puisse nous permettred’aller vers d’autres possibles. Si la solitude n’est pas désirée, elle pourrait avoir uneffet néfaste, vécue parfois comme une souffrancesociale. Par contre, « La solitude choisie, pour M.F.Hirigoyen, tout en restant disponible à l’autre, peutapporter énergie et inspiration, un moyen de sortir dela superficialité d’une société dominée par le narcis-sisme et le culte de la performance76 ». Toute solitudefait partie de notre expérience de vie. Elle peut nousrendre encore plus mûrs, nous mettre en contactdirect avec nous-même, nous permettre de découvrirnotre richesse intérieure, nous faire prendreconscience que nous sommes responsables de notrevie et de cesser de dépendre du regard des autres.Certains ont le goût de la solitude comme le souligneRousseau : « Le goût de la solitude et de la contem-plation naquit dans mon cœur avec les sentimentsexpansifs et tendres faits pour être son aliment. Letumulte et le bruit les resserrent et les étouffent ; lecalme et la paix les raniment et les exaltent77 … Jesuis né avec un amour naturel pour la solitude qui n’afait qu’augmenter à mesure que j’ai mieux connu leshommes. Je trouve mieux mon compte avec les êtres

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82. La Bruyère, Les Caractères, chapitre X : « De l’homme », De Gigord,Paris, 1914.

Nouvelles solitudes et relations virtuelles

Le discours dominant laisse peu de place à la solitudechoisie. La Bruyère écrivait déjà en 1688 : « Toutnotre mal vient de ne pouvoir être seuls82 ». Par peurdu vide et de l’angoisse générés par la solitude, nousnous agitons, nous courons d’une activité à l’autresans nous laisser la moindre pause. On aboutit alors,paradoxalement, à un vide encore plus grand et àun repli sur soi face à la peur de l’autre, du chômage,des agressions, de la maladie, de la vieillesse, maissurtout de ne pas être « conforme ». Alors, tout indi-vidu qui cherche à tromper sa solitude et à comblerimmédiatement son vide par une relation souventéphémère, risque d’aller passer son temps surInternet. On s’en accommode et on ne fait pas l’effortde construire une relation, avec toutes les difficultésque cela implique. On s’isole encore plus devant sonordinateur, laissant de côté les autres activitéssociales et les loisirs.Dans les grandes villes et dans la vie réelle, les genspeuvent être proches les uns des autres, mais ils ne serencontrent pas parce qu’il existe de moins en moinsde lieux d’échange et donc de rencontres fortuites.On va alors entretenir l’illusion que l’on n’est passeul et tenter de combattre la solitude en se plongeantdans le monde virtuel des médias audiovisuels, de latéléphonie mobile et d’Internet. Mais cette échappa-toire est souvent la source de cruelles désillusions.Ne supportant pas d’être face au silence, certains leremplissent avec la radio ou la télévision et celalaisse peu de temps pour la vie sociale et affective. La communication virtuelle rassure parce qu’onéchange des informations et qu’elle nous donnel’illusion d’une relation mais elle nous éloigneencore plus de la possibilité d’une rencontre quiimpliquerait d’oser aller vers l’autre. C’est du narcis-sisme où l’autre n’existe pas en tant que tel. Là aussi,elle ne laisse plus d’espace-temps pour les relationsde la vraie vie et peut conduire à de nouvelles patho-logies et à une conduite addictive. Les nouvelles technologies, en facilitant la commu-nication, peuvent paradoxalement créer de la solitudecar, « à force de naviguer d’un réseau à un autre, onrisque de ne se sentir bien nulle part, parce qu’on ne

poupe. Il remarque que vivre seul peut apporter une« solitude réparatrice, ce dont on a besoin pourreconstruire des liens ». Il s’est intéressé pour lapremière fois aux effets de la canicule de 1995 àChicago. Des centaines de personnes seules étaientmortes, pas seulement en raison de la chaleur, maisparce que leur mode de vie les avait privées d’unréseau de solidarité. Il récolte des données qui suggè-rent que vivre seul n’a rien d’une aberration sociale.La libération des femmes, l’urbanisation, le dévelop-pement des nouvelles technologies et l’allongementde l’espérance de vie donnent à notre époque sonvisage culturel et chacune d’elles nourrit l’existenceen solo. La culture urbaine est particulièrement adap-tée aux individus autonomes, de par la diversitésociale et les agréments qu’elle propose : des sallesde gym, des cafétérias, des laveries automatiques etautres lieux qui facilitent l’existence en solo. L’âge,grâce aux progrès sans précédent de la médecine,transforme en solitaires des gens qui ont vécu jusqu’àprésent toute leur vie en couple. En 2000, 62% despersonnes âgées, veuves, aux États-Unis n’avaientpas retrouvé de compagnon, un pourcentage qui apeu de chances de diminuer dans les années à venir.Cette évolution n’est plus une simple réalité démo-graphique mais un problème social. Certainespersonnes restent célibataires par aversion de lacohabitation. Ce credo, que Klinenberg appelle le« culte de l’individu », pourrait bien être ce quel’Amérique a de plus proche d’un idéal commun, etc’est le principe sur lequel de nombreux célibatairesfondent leur existence. Sur le marché du travail, si l’onest ambitieux, être seul peut sembler le meilleurmoyen d’avoir les coudées franches pour gravir leséchelons. Notre perception habituelle de la vie en soloest complètement dépassée. Elle se révèle souvent,non un renoncement social mais un moyen d’avancer,de prendre le contrôle de sa vie. À l’échelle indivi-duelle, cela pourrait se révéler rentable. Mais quandune part non négligeable de la population est concer-née, cela devient un problème, un déclin de la partici-pation civique, comme le souligne le politologue deHarvard, Robert D. Putnam. L’étude de Klinenberg nous rappelle que la solitudevolontaire ne peut pas résoudre le problème de lavieillesse et met en garde le solitaire, notamment lapersonne âgée qui peut se retrouver complètementabandonnée à elle-même dans les moments difficilesou lors du décès d’un conjoint.

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83. Marie-France Hirigoyen, Les nouvelles solitudes, La découverte84. Sherry Turkle, Alone Together, Hardcover, 360 pages.85. Alexandre Lacroix, Martin Legros, Frédéric Nef, Maurizio Ferraris,Jérémie Zimmermann, Cynthia Fleury, Martin Rueff, Chiara Pastorini,Françoise Dastur, Pierre Cassou Noguès, Jean-Luc Nancy, PhilippeGarnier, Les Ritueléphoniques, Cet objet vous veut-il du bien ?Philosophie Magazine, n° 73, octobre 2013.

consolation dans le fait d’être seul. Elle fait l’hypo-thèse que les liens tissés grâce à la technologie lesont, fondamentalement, par choix, mais elle conti-nue à défendre « la sociabilité en chair et en os ».Richard Sennett, sociologue et historien américainaffirme qu’« un type inédit d’individu est en traind’apparaître dans notre société moderne, qui, inca-pable de gérer des formes complexes et exigeantesd’engagement social, préfère se replier sur lui-même ». Il s’inquiète de la perte de cet apprentissageque tous les adultes étaient, jusqu’à récemment, obli-gés d’acquérir. Actuellement, la question n’est pas desavoir si nous devons ou non recourir à la techno-logie pour soulager notre solitude. C’est de savoircomment. En moins d’une quinzaine d’années, le téléphoneportable85 est devenu envahissant au point de modi-fier en profondeur le rapport au monde, à nous-mêmeet à autrui. Pour les uns, il crée de nouveaux lienssociaux et libère celui qui l’utilise efficacement dansson travail ; pour d’autres, il est perçu comme instau-rant un réseau de « solitudes aliénées ». Quelqueschiffres sont à méditer : 6 milliards d’abonnementsau portable sont dénombrés dans le monde. Les utili-sateurs le vérifient en moyenne 150 fois par jour ;chaque français envoie en moyenne 100 SMS parsemaine et les 12-17 ans, 62 par jour ; sur les 128minutes quotidiennes passées sur le portable, 12minutes sont consacrées à téléphoner. En une jour-née, nous passons en moyenne 25 minutes à surfersur Internet, 17 minutes sur les réseaux sociaux etseulement 12 minutes pour passer des appels. Lesados envoient plus de 60 textos par jour. Nous jetonsun œil sur notre smartphone toutes les 6 minutes,nous l’utilisons pendant 2 heures 8 minutes par jourdont seulement douze minutes pour son usagepremier.Si nous sommes en rapport avec davantage de gensqu’il y a trente ans, ces rencontres tiennent-elles auportable, s’interroge le philosophe Jean-Luc Nancy ?

s’est engagé dans rien83 », souligne Marie-FranceHirigoyen. L’usage d’Internet pourrait donc être le pire commele meilleur. Les plus jeunes préfèrent entretenir desrelations virtuelles dans lesquelles ils peuvent s’en-gager facilement et en sortir tout aussi facilement. La« révolution des communications », qui a commencéavec le téléphone, se poursuit avec Facebook etcontribue à diluer les frontières entre isolement etvie sociale. C’est une formidable opportunité pourles personnes qui ont des difficultés à communiquerdans la vraie vie et de créer des liens ou d’entrer encontact avec des personnes qui sont loin du cerclerelationnel habituel et que la vie ne leur aurait paspermis de rencontrer. D’après des études menées en 2002 et en 2010,« l’utilisation d’Internet diminuerait significative-ment les sentiments de solitude et de déprime ».D’autres études montrent que les individus seuls, quiutilisent Internet pour rester en contact avec leursproches, particulièrement les seniors, se sententmoins seuls. Mais certaines recherches notent que les internautessont les plus touchés par la solitude. Ceux quiessayent de créer un lien d’amitié avec d’autres inter-nautes se sentent, malgré cela, seuls. D’autre part,certains individus préfèrent, paradoxalement, passerleur temps sur les réseaux sociaux plutôt que denouer de vrais liens sociaux.Contrairement à Klinenberg, qui envisage la vie ensolo avec optimisme parce qu’il croit aux effetssocialisants de la technologie, Putnam, philosopheaméricain, pense que la communication numériqueoffre un type de lien trop faible pour pouvoircompenser la perte du sens de la communauté. Sanspossibilité de rencontrer ses amis dans le monde réel,les contacts noués sur la Toile deviennent bizarres,imaginaires. La technologie nous aide peut-être ànous sentir moins seuls, mais elle ne nous rend pasvraiment moins seuls. On perd l’habitude de fairel’effort d’établir un contact réel quand c’est néces-saire.Le temps n’a fait qu’accentuer les inquiétudes expri-mées par Putnam. Pour la professeure du MIT,Sherry Turkle84, le vivre-ensemble, loin d’êtrerenforcé par la technologie, a été remplacé par « leclair-obscur de la communauté virtuelle ». Elle penseque la technologie nous empêche non seulement denous épanouir socialement, mais aussi de trouver la

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86. Blog, le monde.fr du 03.01.2014.87. Maria Konnikova, auteure du best-seller Mastermind, commentpenser comme Sherlock Holmes ?88. Cécile Desfontaines, Colette Mainguy, Professeur BernardSablonnière, Corinne Bouchouchi, Elodie Lepage, Eric Aescimann,Internet nous rend-il fous ? N.O, octobre 2013, n° 2254.89. « Le cerveau. Les clés de son développement et de sa longé-vité », Editions J.C. Gawsewitch, 256 p.90. Publié le 19-10-2012 par Invité de BibliObs et Greg Miller, La soli-tude nuit gravement à la santé, Books magazine, n° 36, octobre 2012.91. John Cacioppo, professeur de psychologie à l’université de Chicago,Loneliness : Human Nature and the Need fir Social Connection : « Lesentiment de solitude : la nature humaine et le besoin de lien social »,W.W.Norton, 2008, 336 pages, rapporté par Books magazine, n° 36,octobre 2012.92. W. W. Norton, «Loneliness: Human Nature and the Need for SocialConnection» (« Le sentiment de solitude: la nature humaine et le besoinde lien social »), 2008, 336 p, rapporté par Books magazine, n° 36,octobre 2012.

d’origine génétique. Selon certaines études épidé-miologiques, l’espérance de vie des personnes quivivent dans une solitude chronique peut se réduireà cause des divers changements potentiellementnéfastes dans les systèmes cardiovasculaire, immu-nitaire et nerveux et risqueraient davantage deconnaître des problèmes de santé, allant des infec-tions à la maladie cardiaque en passant par la dépres-sion. L’isolement augmenterait le risque de décès àpeu près autant que le tabac et plus que l’inactivitéphysique ou l’obésité. Mais, aussi convaincantssoient-ils, selon Cacioppo, ces travaux épidémiolo-giques laissent sans réponse de nombreuses ques-tions sur les mécanismes impliqués et sur les aspectsde l’isolement social en jeu. Ce travail l’a persuadé que la solitude, ou plutôt lamanière dont elle est ressentie, est un risque sanitaireen soi et avait un impact direct sur le système immu-nitaire. Comme le souligne Daniel Russell, psycho-logue à l’université de l’Iowa à Ames : « Il existe despersonnes isolées qui ne se sentent pas seules. À l’in-verse, d’autres individus se sentent seuls alors mêmequ’ils entretiennent de nombreux contacts sociaux ».D’autres scientifiques se sont intéressés aux effetsbiologiques potentiels de la solitude. Ces mêmespersonnes présentent aussi un taux élevé de cortisoldans la salive et d’adrénaline dans l’urine. Comme sila solitude préparait le corps à un danger à venir. Cacioppo et son équipe ont découvert que les soli-taires ont une résistance vasculaire plus élevée et desmarqueurs moléculaires de stress élevés à cause deschangements physiologiques et de l’anxiété quiaccompagne la solitude quand elle devient chro-

Il semble que la communication et l’amitié soientdeux choses bien différentes. Il y a des gens qu’onpeut considérer comme des amis bien que nous ayonspeu de communications effectives, le portable nesuffit pas à créer des affinités intellectuelles et affec-tives avec un groupe.Hubert Guillaud86, sur le blog du Monde, nous faitpart d’un article paru dans le New Yorker où lapsychologue Maria Konnikova87 revient surplusieurs études de confrères sur les usages deFacebook dont les résultats sont contradictoires.Certaines montrent que Facebook rendrait ses utili-sateurs tristes ; d’autres prouvent exactement lecontraire. Si des auteurs réputés sont si divisés surl’impact de Facebook sur notre état émotionnel, c’estpeut-être parce que nous n’utilisons pas tousFacebook de la même manière. Une étude de 2010montre que les gens qui s’y engagent activementavec d’autres voient leur sentiment de solitude dimi-nuer et leur sentiment de liaison aux autres augmen-ter. Si nous restons passifs, le sentiment de solitudes’accroît. Mais la plupart des études montrent quel’attention que nous demande l’usage de Facebook,nous amène toujours à devenir plus passif qu’actif et,donc, finit toujours par se traduire par un sentimentde déconnexion aux autres et d’ennui. En fait,conclut la psychologue, « se débarrasser de Facebookne changerait rien au fait que notre attention, le plussouvent, a oublié le chemin vers un engagementépanouissant. En ce sens, Facebook n’est pas leproblème. C’est le symptôme ».Internet, les nouvelles technologies et l’irruption desréseaux sociaux88 se propagent donc insidieusementet colonisent nos vies. « La tablette donne l’illusiond’une présence », explique Fleur Lazdunski, pédo-psychiatre et l’écran animé ne remplacera jamais leface-à-face avec autrui, comme l’explique MichelDesmurget, chercheur en neurosciences cognitivesà l’Inserm. Le professeur Bernard Sablonnière89,médecin et professeur de biochimie, met en gardecontre l’usage excessif des écrans, une entrave à larelation humaine et un appauvrissement de notrerelation aux autres et au monde.

Impact de la solitude sur la santé90

Les scientifiques dont John Cacioppo91, psychologuede l’université de Chicago, s’intéressent aux effetsbiologiques du sentiment de solitude92, en partie

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93. Boris Cyrulnik, Books magazine n° 36, octobre 2012. 94. Rapporté par Books magazine n° 36, octobre 2012 : «Alone in theCrowd: The structure and spread of loneliness in large social network»,Journal of Personality and Social, Psychologie, 2009.95. Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII 1.96. Le Robert et Larousse philosophique.97. Montaigne, M. (de), « De l’amitié », in Essais, livre premier, chapitreXXVIII, Arléa, Paris, 1992.

la fois et adapter chaque lien aux différentes facettesde notre personnalité afin que chacun puisse mieuxse réaliser. Ce n’est donc pas la solitude en soi,qu’elle soit subie ou choisie, qui pose problème, maisbien plus ses conséquences pratiques dans la viequotidienne.L’amitié peut-elle nous aider à sortir de ce cerclevicieux, nous redonner la confiance nécessaire et unsens à la vie ? La notion du terme grec philia employé par Aristote,traduit en français par amitié, dit tous les liens posi-tifs réciproques d’affection, d’altruisme et de socia-bilité entre soi et un autre. Aristote soutient explicite-ment que l’amitié est « ce qu’il y a de plus nécessairepour vivre95 » parce qu’elle permet de souder la citéoù les hommes ont besoin les uns des autres pourvivre. Si l’amitié aristotélicienne est politique, l’ap-proche épicurienne paraît plutôt antipolitique. Elleconstitue une tentative de construire un havre de paixà l’abri des troubles du temps, une invitationmutuelle à nous ouvrir au monde, à l’habiter vérita-blement, loin de nous en protéger.Chez Montaigne96, l’amicitia est la traduction latinede la phylia grecque. Elle est la relation d’affectiondésintéressée entre des individus, sans finalité et sanscause particulière mais qui suppose l’égalité et laliberté. Aucun philosophe n’a mis l’amitié si hautet n’a eu une conception aussi exclusive et aussiexigeante. Depuis la mort de La Boétie, son ami, lavie de Montaigne n’est plus « qu’une nuit obscure etennuyeuse ». Il écrit les Essais, un hommage à l’amidisparu, pour se consoler mais sans vraiment y parve-nir. À travers le texte, De l’amitié97, il décrit de façonpoétique leur amitié exceptionnelle et réciproquequ’il considère comme un mélange de deux âmespour n’en former qu’une. Reprenons le texte : « Audemeurant, ce que nous appelons ordinairement amiset amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiaritésnouées par quelque occasion ou commodité, par lemoyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. Enl’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confon-dent l’une en l’autre, d’un mélange si universel

nique. Ils ont également noté une activité accrue deplusieurs gènes codant pour des molécules de signalqui favorisent l’inflammation et une activité affaibliede gènes qui, normalement, freinent l’inflammation.Ils émettent l’hypothèse que le sentiment de solituderépond à un « thermostat génétique », qui varie selonles individus et détermine le degré de désarroi né del’isolement social. « On n’hérite pas de la solitude ;on hérite du degré de douleur que l’on ressent à sonépreuve ». Steve Cole, généticien de l’université de Los Angelesqui s’est associé à cette étude, constate que lespersonnes socialement isolées sont plus sensibles à lamaladie cardiovasculaire, aux virus de la rhinite et dusida par un excès d’inflammation et souligne que« Se sentir un peu seul ne suffit pas pour dérégler lesystème immunitaire, il faut vraiment une personnequi ait développé et consolidé une vision solitaire dumonde pour observer ces changements dans l’expres-sion des gènes ». Les solitaires se sentent ainsi plusfatigués et tirent aussi une moindre satisfaction deleurs loisirs. Ils ont tendance à déprécier leurs rela-tions sociales et à se forger une impression négativedes personnes qu’ils rencontrent. Pierre Bustany, neurobiologiste à Caen, a démontré àl’aide d’images obtenues au scanner qu’« après troissemaines d’isolement sensoriel, la zone temporo-limbique droite du cerveau s’atrophie. Le milieu struc-ture notre cerveau et le sentiment de solitude devientune émotion, au sens biologique du terme, provoquéepar une représentation. Il y a donc des raisons depenser que la culture du narcissisme qui caractérisenotre société modifie les structures cérébrales93.

Pour faire reculer la solitude

L’importante enquête dirigée par Nicholas Christakis,sociologue de la santé à Harvard94, précise que l’évo-lution de la société tend à accroître le sentiment desolitude qui risque de s’accompagner d’un processusde marginalisation. Selon Cacioppo, cet état peut,même dans les cas lourds, être surmonté.Face à un monde où les rapports humains tendent àse réduire à des rapports d’intérêt et de séduction, sesont développées de nouvelles formes de sociabilité,d’autres modes de relation plus intimes, tout à faitdésintéressées, de solidarité, d’amitié profonde,évitant la superficialité des rencontres précaires. Ilvaut mieux donc s’investir dans plusieurs relations à

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98. Montaigne, M. (de), « De l’amitié », in Essais, livre premier, chapitreXXVIII, Arléa, Paris, 1992.99. J.-B. Pontalis, Le songe de Monomotapa, (Gallimard), 165 pages.100. Aristote EN VIII, 1, p. 382.101. J.-B. Pontalis, Le songe de Monomotapa, (Gallimard), 165 pages.102. Jean Maisonneuve, Professeur émérite de l’Université Paris-XNanterre, numéro hors série, déc. 2000.

l’amitié véritable, la rupture ne devrait jamais survenir.Néanmoins, de véritables amitiés se sont bel et bienbrisées irréparablement lorsque la confiance faisaitdéfaut car le fondement même de l’amitié est de resterdésintéressée, à l’écart de tout calcul et de tout conflit.

Comment restaurer le lien social ?

La cohésion de la société suppose que les individussoient unis par un même but et une même foi bien quel’individualisme qui se développe dans nos sociétéstend à séparer les individus les uns des autres.Durkheim insiste « sur la contradiction qu’il y a entrela création de l’être social et les contraintes de l’indivi-dualisation qui demeurent distincts en chaque indi-vidu ». Le but de l’éducation serait alors de faire sentirà l’individu que la société est plus réelle que lui.La communication et l’échange sont de précieuxremèdes à la solitude à tout âge. Sortir de son isolementexige beaucoup de courage et d’énergie quand noussommes seuls à nous motiver et quand l’élan extérieurest inexistant. Se créer de nouvelles amitiés supposeune certaine confiance en soi et l’espoir d’être bienaccueilli par l’autre. Mais il faudrait rester vigilant carl’absence de repères rend certains individus, à l’identitéflottante, fragiles et en demande d’assistance, extrême-ment manipulables. Elles ont besoin d’être rassuréespar une vérité absolue et peuvent devenir la proie rêvéepour les sectes qui s’appuient sur leur crainte de lasolitude pour les recruter : « Venez chez nous, vousne serez plus jamais seul, nous sommes une grandefamille ! » La Fondation de France s’est engagée dans un grandprojet de restauration du lien social et soutient chaqueannée des milliers d’initiatives pour aider les personnesvulnérables, dans le domaine de l’emploi, de l’habitat,du handicap, de l’enfance, du grand âge, de la maladiepsychique, etc. En 2011, le gouvernement françaischoisit la lutte contre la solitude, comme GrandeCause nationale, à la demande du collectif associatif« Pas de solitude dans une France fraternelle ».

qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui lesa jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais,je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en répondant :« Parce que c’était lui, parce que c’était moi. 98 »Pour Montaigne, l’amitié est une forme de « société »,donc une certaine façon de vivre ensemble carl’homme est un animal social qui ne peut ni ne doitvivre seul. Aristote y voit la socialité la plus forte, laplus intime, la plus profonde. Elle n’est pas la seule,certes : les humains sont unis aussi par l’intérêt, parexemple professionnel, par les liens familiaux, par ledésir sexuel ou la passion amoureuse. Mais rien de toutcela ne peut tenir lieu d’amitié « entière et parfaite ».La « souveraine et maîtresse amitié » suppose unetotale union des âmes, voire comme disait Aristote,« une seule âme en deux corps », une confiance et unesincérité sans limite, tellement rares et tellementexigeantes qu’elles ne peuvent exister qu’entre deuxindividus, jamais plus, et l’emporter sur toute autreobligation. Jean-Bertrand Pontalis99, philosophe et psychanalyste,s’oppose à l’idée que l’ami soit un alter-ego, un doublede moi-même, mon semblable, mon presque pareil. Cequi compte, c’est mon alter. L’ami serait alors un autreavec qui il y a nécessairement des affinités, « celui quime fait sortir de moi-même, de ma famille, de monmilieu, qui me détourne de ce qui m’est devenu tropfamilier et m’apparaît alors comme un espace étroit,confiné, où je respire toujours le même air raréfié ».Toutefois, même si l’ami n’est pas un autre soi-même,cela n’empêche pas nécessairement l’amitié qui ne peutnaître qu’entre des êtres distincts, même si leurs condi-tions socio-économiques sont différentes, dans unmonde partagé parce qu’elle n’exclut pas les diffé-rences et les inégalités sociales. Les signes d’une amitiévéritable sont la confiance, le soutien, la fidélité, lasincérité, la loyauté, l’écoute de l’autre, la sollicitude,le don, la réciprocité, l’estime, l’exigence, l’échangeet savoir partager les évènements tristes ou joyeux.Comme le précise Aristote, « dans la pauvreté commedans toute autre infortune, les hommes pensent que lesamis sont l’unique refuge100 ».Même mal assurée dans ses fondements et son exercice,l’amitié reste une des relations interpersonnelles les plusprécieuses. « Les liens d’amitié se tissent à tout âge »101

et le plus souvent « se détachent sur un fond de rela-tions locales, fréquentes ou occasionnelles102 », touten sachant cultiver une amitié mesurée, maintenir unecertaine distance et éviter les rapports fusionnels. Dans

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disgrâces cinglantes suivies d’une vénération popu-laire impressionnante. Témoin et acteur privilégié deson époque, ami des pauvres, il fut un homme decaractère, de convictions, de combats politiquescontinuels en faveur de la Liberté et de la défense desopprimés. Ses œuvres littéraires et politiques se rejoi-gnent car il exprima dans ses ouvrages littérairesprincipaux, l’essentiel de ses idées politiques.Bouleversé par la répression sanglante des émeutesde 1848, le poète royaliste s’est mué en député répu-blicain à partir de 1849. Certes, ses détracteurs l’ontqualifié de girouette ou de caméléon politique.Monarchiste dans son adolescence, puis admirateurde Napoléon Premier en souvenir de son père, ilapparaît à la Restauration un légitimiste convaincu,couvert d’honneurs par Louis XVIII et Charles X.Mais il devint par la suite, sous Louis Philippe, pluscritique pour le pouvoir royal, un défenseur dupeuple, puis un libéral progressiste farouchementrépublicain au cours de son exil après son oppositionà Napoléon III. Exilé dans les îles anglo-normandes,il exprima dans des écrits cinglants son mépris pourNapoléon le petit. Cet itinéraire politique mouvementé partant d’unedroite conservatrice vers la gauche républicaine,n’est pas contrairement à ce que l’on pourrait croire,seulement le parcours d’un opportuniste, au grès desvariations du Pouvoir. Il exprime la variation de sesconvictions profondes devant la misère du peuple,les abus de l’absolutisme. Son engagement social ethumanitaire fut exprimé dans des discours enflam-més à l’Assemblée, au Sénat et dans toutes sesœuvres littéraires. Ce n’est qu’après 1830 qu’il apris conscience de la misère des ouvriers et dupetit peuple parisien, des horreurs d’une répressionsanglante. Le coup d’état du Prince Napoléon du2 décembre est dans sa vie une profonde coupure, unévènement dramatique qui l’a révolté et qui a modi-fié totalement sa vie et ses opinions. Sa biographie etses écrits sont intimement liés mais ses textes et sesprises de position politiques ont été éclipsés par samonumentale œuvre poétique romanesque et drama-tique.

Pr Jean-Paul BOUNHOUREProfesseur à l’UniversitéMembre de l’Académie Nationale de Médecine

Victor Hugo est un des personnages les plus connuset un des plus brillants de notre littérature : il apparaîtcomme un véritable monument dans l’histoire deLettres Françaises. Chef de file du mouvementromantique, il eut des succès dans toutes les formesde la littérature, la Poésie, le Théâtre, le roman popu-laire, le roman historique, l’élégie, les pamphletspolitiques. Mais ce très grand poète est aussi une desfigures les plus admirées de notre histoire. Auteurprolifique, orateur brillant et mordant, il fut un intel-lectuel engagé, tout au long de sa vie, un combattantfarouche en faveur de la démocratie et de la liberté,un visionnaire de génie. Victor Hugo exprime lacomplexité du XIXème siècle dont il vécut toutes lesgrandes étapes politiques, la fin du Premier Empire,la Restauration, les Révolutions de 1830 et de 1848,la Deuxième République, le second Empire et, fina-lement, la Troisième République. Sa vie politiquefut une alternance de brillants succès et d’échecs, de

VICTOR HUGO : L’itinéraire politique tortueux d’un grand poète

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place de choix à Paris, avec la publication du recueildes Orientales, du Dernier jour d’un condamné, deMarion Delorme et surtout d’Hernani. Mais les idéespolitiques d’Hugo évoluent, le refus par Charles X deMarion Delorme entraîne un premier virage idéolo-gique : il devient plus favorable à la limitation despouvoirs du monarque. Après les 3 Glorieuses favo-risées par les mesures ultraconservatrices de CharlesX, « les ordonnances », s’il réprouve l’attitude desémeutiers et de la populace, il accueille le nouveaupouvoir avec sympathie et accepte l’accession autrône de Louis Philippe. Hugo même, s’il considèrequ’une monarchie constitutionnelle est le moinsmauvais des régimes, défend la liberté de la presseet prend conscience de la misère du peuple. Il estheureux du retour au drapeau tricolore et entre dansla Garde Nationale. Sa réputation littéraire ne cessede croître : en 1831, il avait publié avec un grandsuccès Notre Dame de Paris, un immense succèspopulaire, les Feuilles d’automne, Lucrèce Borgia,triomphe qui en fait un auteur admiré à Paris. C’est àcette époque qu’un fait majeur intervient dans sa vie :il fait la connaissance de Juliette Drouet, actriceassez médiocre mais ravissante, qui deviendra songrand amour et avec laquelle il entretiendra une trèslongue et émouvante liaison. En 1838, son drameRuy Blas obtient un très large succès et Hugo est éluà l’Académie Française, après trois échecs succes-sifs. Victor est très flatté d’accéder au titre de Pair deFrance, en 1845, qui lui donne un prestige pour entrerdans le monde politique. Il se fait remarquer par debrillants discours à la Chambre, défend la libertéd’expression. Mais il a pris conscience de la misèredu peuple, plaide pour l’éducation gratuite pour tous.Sa situation matérielle est brillante, il a la confiancedu roi, mais les idées libérales apparaissent. Faisantpart d’une opposition progressive au régime monar-chique et au pouvoir absolu, Hugo écrit un premiertexte subversif, Claude Gueux, où il souligne que « lepeuple a faim, le peuple a froid ».La Révolution de 1848 survient : « La misère amènele peuple aux révolutions et celles-ci ramènent lepeuple à la misère ». Pour ses idées libérales, il estélu à l’Assemblée Constituante. Il plante un arbre dela Liberté, place des Vosges, et il a l’audace de crierVive la République universelle. Mais voulant gardersa liberté à l’égard du pouvoir, il refuse le Ministèrede l’Education publique. C’est un orateur non inscrit,

Un parcours tortueux…

Au départ, jeune écrivain royaliste, il fut le porte-parole servile du pouvoir en place. Son royalisme estinspiré par l’environnement de son enfance. Il vivaitavec sa mère, séparée du général Hugo, soldat deNapoléon, ami du Roi Joseph, frère de l’Empereuret roi d’Espagne. Il a commencé sa carrière politiquesous le drapeau blanc de la Restauration. Sa mère,issue d’une famille nantaise, était devenue royalistesurtout par son opposition farouche à son époux. Laséparation entre les deux conjoints, au gré des cam-pagnes du général Hugo avait abouti à la rupture ducouple. Le jeune Victor, selon les mutations et lescampagnes de son père, vécut fort mal un conflitconjugal. Le général vivait avec une maîtresse atti-trée et madame Hugo, amoureuse et amie du Généralde Lahorie, avait protégé dans son foyer, cet oppo-sant à Napoléon. Elle l’avait caché à son domicileavant qu’il soit arrêté et fusillé en 1810, après laconspiration du général Malet. Elève du Lycée Louisle Grand, Victor avait été brillamment couronné parl’Académie Toulousaine des Jeux Floraux en 1819pour une Ode à la gloire d’Henri IV. Ce succès l’avaitdécidé à poursuivre une carrière littéraire, voulant« être Chateaubriand ou rien ». Avec ses frères,il fonda une petite revue littéraire royaliste, leConservateur Littéraire. Après l’assassinat du Ducde Berry, il rédigea une ode à sa gloire, couronnéepar Louis XVIII avec une gratification de 500 francs.Au décès du roi, il écrit pour ses funérailles une odeparticulièrement flatteuse, qui lui valut une nouvellegratification du roi Charles X. Les faveurs royales sesuccèdent, Charles X invite alors le jeune poète à sonsacre à Reims et, à la surprise de beaucoup, Hugo,bien en cour, accède au titre de chevalier de la Légiond’Honneur, à 23 ans ! Dans un Journal royaliste, iln’hésite pas à faire l’apologie de la royauté.Mais en 1827, changement brutal : l’amélioration desrelations avec son père, après la mort de sa mèrel’incite à écrire un poème à la gloire de la ColonneVendôme. C’est l’année de la préface de Cromwell,manifeste qui est resté célèbre en faveur duRomantisme naissant, qui lui donne l’autorité d’unchef d’école. L’auteur critique les règles du théâtreclassique et préconise un théâtre libre de toutecontrainte. De 1828 à 1830, Hugo a une intense acti-vité littéraire, poétique et théâtrale qui lui donne une

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connue que tardivement, aura du succès et montrel’étendue de ses dons. Expulsé de Jersey il publie lesChâtiments, dirigé contre Napoléon III et lesContemplations, mémoires d’une âme.En 1859, il refuse deux fois l’amnistie accordée parl’Empereur « Quand la liberté rentrera, je rentrerai. »C’est un proscrit au sommet de sa gloire qui entameune lutte avec une virulence extrême dans ses textescontre l’Empereur qui a confisqué la liberté et pris lepouvoir dans le sang. Commence alors la rédactionde la Légende des Siècles et des Misérables quiseront de très grands succès. La guerre et le désastrede 1870 l’affectent beaucoup, ont une conséquenceimportante dans sa vie puisqu’il rentre à Paris aprèsl’abdication de Napoléon III. Après la proclamationde la République, en septembre 1870, Hugo est trèssensible à l’accueil triomphal des Parisiens, reprendson action politique, se croit appelé à jouer un grandrôle. Immédiatement, il s’oppose à l’Armistice entrela France et la Prusse. Elu Député de Paris aux élec-tions législatives de 1871, derrière Louis Blanc etdevant Gambetta, malgré son engagement, il va sesentir progressivement rejeté par le monde politique.Déçu et vexé par l’accueil des députés et du gouver-nement qui le boude alors qu’il s’attendait, vu sonopposition farouche à Napoléon III, à un poste minis-tériel, il retrouve sa place d’opposant au pouvoir enplace. Il siège à Bordeaux, à l’extrême gauche au seind’une Assemblée en majorité profondément monar-chiste.C’est l’année terrible où il perd son fils Charles, vitdouloureusement le siège de Paris, la paix déshono-rante avec la Prusse. Alors, au fil des jours, s’installeune tension croissante entre l’Assemblée et le peuplede Paris. Hugo prononce un discours contre la Paix,réclame la poursuite de la guerre et demeure incom-pris de tous. Il conseille à l’Assemblée le retour àParis et déplore la suspicion de l’Assemblée, saméfiance à l’égard du peuple parisien disposé à larésistance. Il soutient Garibaldi, révolutionnaire amide la France, mais député de Paris dont l’électionn’est pas validée. Interrompu dans un discours,profondément vexé par les critiques et les interven-tions des autres députés, l’opposition du gouverne-ment à ses propositions, se jugeant insulté par undéputé, finalement Hugo démissionne. L’insurrectionsoudaine de la Commune le bouleverse, ce combatsanglant entre Français lui apparaît ignoble et

sans parti, occupant une position inconfortable entrela gauche qui défend des idées très libérales, et ladroite où il s’impose en défenseur de l’ordre, dusystème en place, soutien du pouvoir royal. Au débutde son mandat il hésite entre indépendance, libéra-lisme ou conservatisme. Inqualifiable au plan poli-tique, il vote tantôt avec les royalistes, tantôt avec lesrépublicains, n’hésitant pas à mécontenter tout lemonde. Il s’élève avec force et talent contre la répres-sion sanglante des insurgés et le maintien de l’étatde siège. À l’Assemblée Législative, il reprend soncombat pour la liberté de la presse, la suppression dela peine de mort, l’élection du Président de laRépublique au suffrage universel, la laïcité de l’en-seignement. Son discours sur la misère aboutit à laformation d’une Commission de Prévoyance et d’as-sistance publique. Il demande une politique socialeambitieuse très surprenante, visionnaire à cetteépoque. Hugo réclame la liberté de l’enseignement etse prononce contre la loi Falloux qui donne une tropgrande latitude aux partis religieux. Il défend avecfermeté la grande sagesse du suffrage universel quilui paraît devoir s’imposer. Initialement il n’est pashostile au Prince Napoléon et favorise son élection.Se présentant comme un Républicain tempéré, Hugoest invité par le Président Louis Napoléon, récem-ment élu, à l’Elysée, et il laisse croire qu’il seraitvolontiers un de ses conseillers politiques. Mais coupde théâtre, changement radical lors du coup d’état du2 décembre 1851 qui le révolte, « un Crime », et sanshésiter, il participe farouchement à la résistance, l’in-surrection populaire, va sur les barricades, exprimeviolement son opposition à ce forfait. Recherché parla police, Hugo fuit en Belgique, à Bruxelles, sous unfaux nom, sans argent, avec ses œuvres pour seulbagage, accompagné de Juliette Drouet. Survientalors le Décret impérial de bannissement en 1852 quiinterdit son retour à Paris. Son exil durera 19 ans.« Ma proscription a été bonne, car elle a révélé monattachement à la République. J’en remercie la desti-née » dira-t-il quelques années plus tard. En 1854 àJersey, Victor publie clandestinement une satirecinglante et offensante « Napoléon le petit » qui lepose en adversaire irréductible à l’égard de l’Em-pereur. Un peu abandonné de tous, déprimé par sonisolement, dessine avec talent et originalité, se livre àdes séances de spiritisme, découvre la photographie.Son œuvre de dessinateur et de peintre, qui ne sera

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Paris, il luttera avec insistance et courage contre lapeine de mort. Tout au long de sa carrière, il prône unenseignement public, laïque, gratuit et obligatoire,20 ans avant Jules Ferry. Ses interventions pour unepaix universelle en font un député d’avant-garde etun homme d’état visionnaire. Son talent oratoire, tout au long de ses activités dansles diverses assemblées où il fut élu, lui valut desmarques d’admiration et de nombreuses lettres defélicitations. Il parlait, disait-il, au nom du peupledont il fut un ardent défenseur. Comme orateur, ilconcevait l’éloquence parlementaire comme unmoyen de combat efficace, prenant place aux côtésdes députés républicains les plus radicaux. Il fautsouligner qu’Hugo n’a pas connu l’activité ou uneaction politique quotidienne, les difficultés répétéesdes problèmes d’un gouvernement. Il n’a jamais eude poste important faisant de lui un homme chargéd’un ministère, en faisant un politique puissant etresponsable. Fier de sa liberté d’expression, c’étaitessentiellement un acteur politique théorique,influençant le cours de la vie par la parole, l’élo-quence ou ses écrits. Pair de France, député puissénateur, ce fut un homme de discours, un exception-nel tribun, un magicien de la parole. Précis, s’ap-puyant sur des arguments tirés de sa vision quoti-dienne de la misère, de l’injustice, de la corruption,il avait la prétention d’éclairer pour convaincre. Cefut, dès la quarantaine, le défenseur de la liberté d’ex-pression, de l’enseignement gratuit, de la liberté de lapresse : il a toujours plaidé la cause des grands prin-cipes de la République. Chaque fois qu’un projetlégislatif va remettre en cause la liberté individuelle,politique, culturelle ou économique, Hugo s’yoppose. Il s’est efforcé de démontrer que le problèmedes famines n’est pas insoluble, la terre contenant lesressources suffisantes pour nourrir les peuples. L’Etatdoit mieux utiliser et mieux répartir les ressources.Hugo prône une politique de soutien à la consomma-tion par le développement du crédit public. Dans sondiscours sur le suffrage universel, il s’oppose auretour à un suffrage censitaire qui enlève l’espéranceaux classes inférieures et les accule à la violence pourfaire entendre leur voix. Le suffrage universel estpour lui un facteur d’ordre social, de tranquillitépublique. On abolira ainsi le risque d’insurrectionspour donner le droit d’expression aux plus pauvres.Dans ses discours sur la liberté de l’enseignement, il

stupide, mais il comprend le désarroi des insurgés.Mars 1871, le destin le frappe, il perd son fils Charlesatteint d’une attaque d’apoplexie. En 1872, nouvelépisode dramatique : dans sa famille, survient l’in-ternement de sa fille Adèle, une nouvelle épreuve.Il publie l’Année terrible, un commentaire poétiquede la guerre et de l’insurrection de la Commune. Ils’élève contre la terrible répression « La Commune aexécrablement tué soixante quatre otages, le gouver-nement a fait fusiller 6.000 personnes ». Devant lesdissensions et les contradictions de la Chambre, lapoursuite de la répression, plus de 10.000 exécutions,Hugo préfère fuir la France lors de l’installation de laRépublique, revient à Guernesey, rédige Quatre-vingt-treize.En 1873, désabusé, se sentant mal aimé et combattupar les monarchistes et les conservateurs du gouver-nement, il retourne à Paris mais refuse d’arrêter sacarrière politique. Conseillé par Clémenceau, il seprésente aux élections sénatoriales. Il sera encore éludeux fois comme Sénateur de Paris et n’hésite pas àse positionner à gauche. Alors que sa vie affective etfamiliale est profondément marquée par des deuilssuccessifs, il apparaît comme le défenseur despauvres et de l’humanité souffrante. Hugo, patriarcheadmiré, prononce de grands discours, lutte pour lepardon et l’amnistie des Communards, en porte àfaux avec divers écrivains parisiens et le gouverne-ment. Il défend, chaque fois qu’il prend la parole, lacause des populations opprimées de l’Europe entière,Serbes, Polonais, Grecs, victimes des Turcs. 1877,c’est l’heure de ses dernières publications, « L’artd’être grand-père ». Vieillissant parmi les deuils, ileffectue encore de nombreuses interventions auSénat en faveur des démunis. Il est devenu un libéral,républicain laïque et presque extrémiste. À sa mort,son cercueil est exposé sous l’Arc de Triomphe le31 mai 1885 ; puis transporté au Panthéon dans lecorbillard des pauvres au cours d’une cérémoniegrandiose, des funérailles nationales auxquellesparticipe en masse le peuple parisien qu’il a tantdéfendu.

Activité politique

Grand orateur, homme de cœur, humaniste et idéa-liste, n’oubliant jamais la misère du petit peuple de

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peuple a froid ». Ce grand poète s’est élevé contre letravail des enfants, les salaires misérables desouvriers, leur logement dans des taudis. « La Sociéténe sait ni élever ni corriger l’homme. » L’engagementsocial du poète ne s’arrête pas au domaine de la litté-rature mais se prolonge tout au long de sa vie poli-tique. Ses prises de parole à la tribune, empreintes degénérosité et d’humanité ne manquaient pas de clair-voyance et d’ambition. Ce fut un militant acharné pourla suppression de la peine de mort. C’est un ardent défenseur de la liberté de la presse,du suffrage universel, de l’humanisation des prisons.Il eut la vision prophétique des Etats-Unis d’Europeet d’une paix solide entre la France et l’Allemagne.Orateur visionnaire, il eut un grand succès populairemalgré des critiques acerbes.« Victor Hugo fut un grand poète, dommage qu’ilait fait de la politique », a-t-on dit. Poète égaré dansune époque fertile en grands bouleversements dela Société, ayant connu trois rois, l’Empire, il futdiscrédité par l’évolution surprenante de ses idées,trop en avance pour ses contemporains. Il est favo-rable, pour les plus pauvres, à l’organisation d’unsystème de prêt sans intérêt assuré par des orga-nismes de crédit financés par l’Etat. Pour Hugo, lemont de piété est une institution de crédit public quine doit pas réclamer d’intérêts et doit permettre auxpauvres de surmonter les situations difficiles. Il aété, à la fin de sa vie, proche de Saint Simon et d’unsocialisme utopique. Salué comme le plus grand écrivain de son temps,symbole de l’opposition au pouvoir personnel,adepte d’un romantisme humanitaire, défenseur desbons contre les méchants, Hugo fut un personnageimpressionnant par son génie de poète, de romancieret de dramaturge.Mais dans une époque troublée, son rôle politique nedoit pas être méconnu. « Un mot tombé de la tribuneprend toujours racine quelque part, devient quelquechose, un avenir qui germe, un monde qui éclot. »

s’oppose a la loi Falloux qui donne trop de place àla hiérarchie catholique pour définir les programmeset contrôler les établissements scolaires « arme dansla main du parti clérical ». Il veut promouvoir un« grandiose enseignement public gratuit et sous ladépendance de l’Etat ». En politique extérieure, ilfustige l’Allemagne impériale, ce régime militairemarqué par l’abrutissement de la caserne. Il dénonceun armistice et une paix honteuse, sources de conflitsfuturs. Il souhaite une réconciliation avec l’Allemagneet la formation ultérieure d’Etats-Unis d’Europe. À cepropos, il est réellement un visionnaire, un utopiste etun apôtre de la paix universelle. Ses changements, à l’égard du pouvoir, ne sont pas dusà l’opportunisme pour obtenir des gratifications, maisce sont des variations liées à la pression des évène-ments, à la réflexion, à la prise de conscience de lamisère des enfants et des ouvriers et de l’horreur d’unerépression aveugle, injuste et sanglante. Hugo atoujours manifesté son indépendance d’esprit et àl’Assemblée s’il vota avec les conservateurs, il votaaussi avec les libéraux. Tout en étant un partisan del’ordre, il fut bouleversé et révolté par la répressionsanglante de Cavaignac devant les insurgés en 1848.

La pensée sociale

La sensibilité de Victor pour les problèmes sociauxs’est manifestée très tôt. Déjà, dans Notre Dame deParis, il se montra préoccupé par la défense des pros-crits du genre humain, à travers des personnagescomme Quasimodo, la sorcière Esméralda. Ce serapar la suite un intérêt pour les problèmes sociaux, lamisère du peuple, les théories socialistes de SaintSimon et Fourrier. Il exprime dans ses écrits et sesdiscours sa compassion vis-à-vis des faibles et desdéshérités de toutes sortes. « L’art doit rechercher lebeau mais aussi le bien », écrivait-il. Il s’est penchérapidement sur les problèmes de la peine de mort,l’inhumanité des bagnes, la piètre condition desprisonniers. Son attention pour le sort des pauvres, sinombreux à Paris, des enfants abandonnés et misé-rables, des bagnards, des condamnés à mort, inspi-rera de nombreuses œuvres romanesques, ClaudeGueux et la grande fresque des Misérables.Dès qu’il a eu un rôle dans les Assemblées, Hugo aréclamé la réforme de la pénalité et l’éducation dupeuple puisqu’il a déclaré que « le peuple a faim, le

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Voltaire, Beaumarchais (on comprend mieux son inté-rêt) ou le marquis de Sade.Dès le 15, la démolition de l’édifice commença sous ladirection de l’entrepreneur P.F. Palloy. Elle amena denombreux visiteurs dont Beaumarchais (en pèlerinagesans doute) et Mirabeau qui en profita pour monter uncommerce de souvenirs de la Bastille sous forme demédailles ou de bagues serties d’un morceau de pierre.La politique n’empêche pas les affaires... Les boiserieset les ferronneries servirent à l’édification du pont dela Concorde, les pierres furent sculptées en forme deminiatures de la forteresse et envoyées dans tous leschefs-lieux de département (on peut en voir une aumusée de la Révolution Française à Vizille, Isère). Onpeut rendre visite au carillon en allant au musée euro-péen d’art campanaire de l’Isle Jourdain (Gers) dont ilconstitue la pièce maîtresse. Quant aux clés si symbo-liques, l’une d’entre elle fut envoyée à Gournay enBray (Seine-Maritime) lieu de naissance du premierrévolutionnaire entré dans la forteresse, le citoyenMaillart. Mais elle a disparu depuis. La seule connueet visible est exposée à la résidence de Mount Vernon(Virginie, U.S.A.) dans la maison de G. Washington.Elle lui avait été offerte par son ami La Fayette. Ce sontles deux seules clés dont on retrouve la trace, toute-fois… Dans la nuit du 13 au 14 juillet, les insurgésavaient tenté, sans succès, de forcer la serrure de laBastille. Au matin les autorités avaient fait appel à unnommé Placon serrurier de son état, ancien marin de laguerre d’indépendance d’Amérique. Durant la répara-tion, il fut obligé de fuir précipitamment devant l’assautdonné par la foule, emportant en hâte ses outils et parmégarde la clé du château. À la suite des bouleverse-ments de la Révolution, il se retira à Rigny-le-Ferron(Aube), son village natal, n’ayant jamais pu se fairerembourser pour ses services de serrurier attaché auservice de la Bastille. Il y mourut en 1830 après avoirfait don à son ami Vernay, serrurier et ancien marin luiaussi, de la fameuse clé. Alors… On raconte aussi qu’après la prise du palaisdes Tuileries, qui vit le massacre des derniers gardessuisses, un savetier du faubourg saint Antoine auraitramené dans son échoppe le trône royal pour lesessayages. « Dorénavant, s’était-il exclamé, je n’auraiplus que des rois pour clients… ». Mais, ceci est uneautre histoire…

Dr Jacques POUYMAYOUAnesthésie-Réanimation. CCR Toulouse

Au soir du 14 juillet 1789, les insurgés parisiens en fêteexhibaient la tête de Bernard René Jordan de Launay,ci-devant gouverneur de la Bastille, au bout d’unepique. Il avait refusé de livrer de la poudre aux révoltésqui avaient pris d’assaut la forteresse, vidé les sainteBarbe, saccagé les archives et libéré les sept détenus.Les défenseurs (invalides et mercenaires suisses)avaient fini par se rendre, mais au mépris despromesses faites, sept d’entre eux avaient été lynchéspar la foule, parmi lesquels Jacques de Flesselles,prévôt des marchands (une vieille habitude parisienne)dont la tête subira un sort identique à celle du malheu-reux de Launay.Contrairement à la légende, le roi ne fut pas informé lelendemain par le duc de La Rochefoucauld-Liancourtqui aurait répondu à la question « C’est une révolte ? »,« Non sire, c’est une révolution ». Mais il ne réagit pas.On connaît la suite, la monarchie constitutionnelle, lafuite à Varennes, l’exécution du roi, la République, laterreur, le directoire, l’empire, la restauration, ladeuxième république avec le premier président élu,Louis Napoléon Bonaparte, le second empire et lesrépubliques suivantes, toutes choses qui forment, avecl’ancien régime, le socle de notre démocratie actuelle. La Bastille prise, on s’empressa de la piller et lesarchives qui échappèrent aux flammes furent jetéesaux fossés, pour le bonheur des collectionneurs. Beau-marchais, qui logeait à proximité, profita de l’aubainepour en faire ample provision ; malheureusement pourlui, il fut obligé, après dénonciation, de les rendre.Les sept «victimes de l’arbitraire royal » libérées pardes « ivrognes heureux, déclarés conquérants au caba-ret ; des prostituées et des sans-culottes » vainqueurs de« quelques invalides et d’un timide gouverneur »(Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe) étaient pourquatre d’entre eux des faussaires au procès en coursd’instruction, pour deux des malades mentaux qu’ilfallut enfermer à Charenton. La famille du dernier,criminel emprisonné, en payait la pension. On étaitloin des détenus célèbres, le connétable de Saint Pol,Michel de Montaigne, Bernard Palissy, Biron (le seulexécuté dans la Bastille), Bussy Rabuti, le Masquede Fer, Lally Tollendal, Latude le roi de l’évasion,

NOUVELLE : LES CLÉS DE LA BASTILLE

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Balzac au roman moderne. Dans une correspondancefleuve avec Louise Colet, sa maîtresse, rédigée enmême temps que le roman, il en a défini les principauxressorts : l’impersonnalité (le narrateur doit s’effacerderrière ses personnages), la relativité des points devue, le refus de conclure. L’auteur, dans son œuvre,écrit-il, doit être comme Dieu dans l’univers, présentpartout, et visible nulle part.Qu’est-ce qui nous transporte aujourd’hui à la lecturede ce livre patrimoine ? Un style qui sonne (au sensqu’on donne à une musique) ; la figure d’Emma, deve-nue un type universel ; et dans le microcosme d’unbourg normand, une galerie de personnages reflétant lasociété provinciale sous la monarchie de Juillet ; desanti-héros, des vies minuscules entre lesquelles l’au-teur du dictionnaire des idées reçues insinue le filrouge de la bêtise (le pharmacien Homais en incarnantle type le plus achevé) ; bref, la condition humainesur son versant dérisoire, pathétique aussi, comme unmiroir dans lequel avec plus ou moins de lucidité,d’humilité, de subtilité nous contemplons la part denous-même dont il nous appartient avec plus ou moinsde succès de gommer l’insinuante médiocrité. Je croisbien que c’est par ce roman, confiait Michel Mohrt,que j’ai découvert pour la première fois le pouvoir dela littérature, qui ne m’avait apporté jusqu’alors quedes plaisirs de distraction et de rêverie. Du style de Flaubert, poli des heures et des joursdurant, les phrases passées au laminoir, testées au« gueuloir », tout a été dit. Un style corseté, bridé,travaillé à l’excès au déplaisir de certains critiques,chaque mot passé à l’alambic d’un laboratoire de laprose ; les mêmes lui préférant la phrase affranchie,nerveuse, capricante d’un Stendhal. Bien écrire n’estpas écrire bien, disait Paul Morand, styliste concis,faisant allusion, imagine-t-on, à l’écriture soignéed’auteurs pour dictées – il est vrai qu’on ne fait plus dedictées en classe et qu’il n’y aura bientôt plus d’ortho-graphe ! Flaubert qui se qualifiait d’homme-plume faitplus qu’écrire bien, il invente un style, qu’on qualifiede style indirect libre, ménageant aux personnagesl’expression de leur subjectivité selon un art, écrira-t-il,donnant à la prose le rythme du vers en la laissantprose. Une prose en demi-teinte lorsqu’il écritMadame Bovary, se contraignant (non sans peine) àune écriture mezza voce, ou à ce que d’un mot intra-

Pr Paul LEOPHONTEPr Honoraire des Universités,Membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine

Accablés par les assauts du lyrisme, l’abondance desmétaphores d’une première version de la Tentation desaint Antoine dont Flaubert venait pendant quatre joursde leur faire la lecture, Louis Bouilhet et Maxime duCamp, ses deux compères, le sommèrent d’une mêmevoix de jeter son manuscrit au feu et de n’en plusparler. Afin de contenir l’exubérance de son imagi-naire et d’endiguer une écriture trop exaltée ils luiconseillèrent de s’astreindre à un sujet plus terre àterre. C’est ainsi que Louis Bouilhet lui fit part d’unfait divers rouennais ; ce sera le point de départ deMadame Bovary dont l’une des meilleures exégètes,Claudine Gothot-Mersch, a résumé en deux lignes lesynopsis : l’histoire d’une jeune femme romanesquequi, déçue par son mari et par le milieu où elle doitvivre, cherche le bonheur dans les bras d’autreshommes, s’endette et finit, quand tout s’écroule, par sesuicider. Après quelques hésitations, car il avait d’autres sujetsen tête, Flaubert se mit à la tâche dans la solitude deCroisset, au retour d’un long voyage en Orient encompagnie de Maxime du Camp. Au terme de quatreans et demi de travail, soixante scénarios partiels etplus de 3000 pages de brouillons, il mettra le pointfinal à l’un des chefs-d’œuvre de la littérature fran-çaise ; ouvrant la voie à partir de ce qui aurait pu n’êtrequ’un calque d’une scène de la vie de province de

CHRONIQUE : Aimer, admirer ou plaindre Emma ?Une lecture de Madame Bovary

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d’âme lamartiniens que la postérité accueillera sous lenom de bovarysme). Détachée de son balourd d’épouxfrappé de cécité amoureuse (et même haineuse à sonégard), mère distraite d’une fillette, elle a toutes lesdispositions d’une candidate aux surprises de l’amouret ne tarde pas à être draguée par un Don Juan au petitpied, bellâtre faraud qui lui fait découvrir la volupté.Insatiable amante, elle se transforme en maîtresseenvahissante, finalement plaquée. Désemparée, per-dant toute mesure, elle se livre à des prodigalitéscompulsives, un mysticisme de surface, en proie à uneardeur des sens qu’elle refoule sur fond d’hystérieavant d’épancher sa passion sensuelle dans les bras

d’un deuxième amant, petitclerc de notaire, frileux insipide,d’audace un peu courte. Tôtlassé de son emprise, confrontéà la situation désespérée d’unemaîtresse aux abois affrontantdes créanciers impitoyables, illa laissera tomber. Brisée, ellese donne la mort comme unpersonnage de tragédie antique,victime de ses rêves, de sa frivo-lité dispendieuse et des hommesqu’elle a aimés, indifférents,égoïstes, mufles. Plutôt que de l’amour, onressent de la compassion pourcette femme révoltée et fré-nétique, l’esprit encombré dechimères, irritante, insupporta-ble, dévorante et au final pathé-tique. Personnage daté, elle estpour partie une victime de sontemps. Après l’embellie de laRévolution qui avait légiféré surl’émancipation de la femme, lecode Napoléon l’avait replon-

gée en situation de subordination, sous la férule dupère et du mari et la direction des prêtres. Les femmesdoivent briller à la manière des vers luisants, c’est-à-dire dans l’obscurité et faiblement, écrivait joliment lamère de madame de Staël. Privées d’instruction pourla plupart, enfermées dans le microcosme du foyer etdu village ou du quartier, confessées et sermonnéespar un directeur de conscience, refoulées et résignées,les femmes étaient mineures à vie. MonseigneurDupanloup interrogé sur Madame Bovary après lescandale que le roman de Flaubert avait provoquérépondit : un chef-d’œuvre, oui, un chef-d’œuvre pour

duisible en français on nomme l’understatement,contrastant avec les périodes rutilantes de Salammbôou l’épanchement débridé de son éblouissante corres-pondance. Que serait la littérature s’il n’y avait l’éventail infinides styles ? De la prose limpide de Pascal au laco-nisme de Cioran. Du grandiose de Bossuet à celui deChateaubriand. De l’écriture à la diable de Saint-Simon aux méandres de Proust ou à la musique ico-noclaste de Céline … Il est intéressant de noter queles deux écrivains qu’on oppose ont exprimé sur leurart des points de vue convergents. Mettre le mot quiexprime le plus exactement possible les idées, voilà enquoi consiste tout l’art d’écrire,professe Stendhal ; tout le talentd’écrire ne consiste après toutque dans le choix des mots,répond Flaubert. C’est la préci-sion qui fait la force. Il en esten style comme en musique : cequ’il y a de plus beau et de plusrare c’est la pureté du son...Mario Vargas Llosa dans unlivre (L’orgie perpétuelle)consacré à Madame Bovary(roman qui enracina sa vocationd’écrivain) fait cet aveu : et jesavais dès lors et jusqu’à mamort que je vivrais amoureuxd’Emma Bovary. Qui n’aéprouvé au cours de ses lecturesun coup de foudre pour unpersonnage de fiction, demeuréen soi plus vivant que bien desvivants approchés et quelque-fois aimés ? Quel adolescent(du temps que les adolescentslisaient) ne s’est épris de laflamboyante Lady Dudleyinitiant à l’amour Félix deVandenesse ; de l’exquise Sanseverina, amoureuseambiguë de son neveu Fabrice ; ou de la troublanteAnna Karénine dont la fin tragique m’inspira unchagrin presque aussi vif que celui d’Oscar Wildeaprès la mort de Lucien de Rubempré.Etre amoureux d’Emma ?... On la découvre pécore etbas-bleu au sortir du couvent, fraîche jeune fille dési-rable, séduisant le lourdaud officier de santé CharlesBovary, veuf d’une harpie. Jeune mariée, frustrée duplaisir des sens, engluée dans une réalité médiocre,elle s’évade dans le fantasme, son imaginaire nourri delectures entre romanesque et sentimentalité (des états

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dans des affaires d’empoisonnement ; Mazza, unpersonnage d’un de ses écrits de jeunesse (Passion etvertu) ; la femme du sculpteur Pradier, volage etdépensière, dont l’histoire retrouvée dans les papiersde Flaubert est contée sous forme de Mémoiresattribués à une madame Ludovica ; des souvenirs delecture de Balzac (La muse du département et Laphysiologie du mariage), … Au vrai qu’importe, Flaubert l’a dit lui-même à proposde Cervantès et Shakespeare : ce qui distingue lesgrands génies, c’est la généralisation et la création.Ils résument en un type des personnalités éparseset apportent à la conscience du genre humain despersonnages nouveaux. Emma Bovary est tout à lafois un personnage complexe, multiple, singulier, irri-tant et attachant, subversif et convenu, et un inou-bliable type littéraire. Elle fait partie de cette sociétéd’intimes, faits de mots, de papier et de rêves, quiconstituent pour ceux dont la vie se double de littéra-ture une famille de l’ombre. Aimer, admirer, plaindre Emma ? Assurément toutcela à la fois. Tandis que je lisais les pages consacrées à son agonie,empoigné par ce destin fracassé, je songeais àGabrielle Russier – ainsi vont, en lisant, les associa-tions d’idées (ce n’est pas un des moindres attraits dela lecture) – cette enseignante qui avait entretenu uneliaison avec l’un de ses élèves. Sous le poids de lafaute que la société lui imputait (le détournement d’unmineur de 17 ans) elle se donna la mort. À son propos,le Président Pompidou, interrogé par un journalistelors d’une conférence de presse, dit avec une émotionque sa voix un peu rauque rendait perceptible, ces versd’Eluard :

Comprenne qui voudraMoi mon remords ce futLa malheureuse qui restaSur le pavé (…)Celle qui ressemble aux mortsQui sont morts pour être aimé…

Repères bibliographiques :Madame Bovary. Œuvres complètes de Gustave Flaubert. Pléiade(volume III).Flaubert. Michel Winock. Gallimard, 2013.Flaubert. Maurice Bardèche. La Table ronde, 1988.Gustave Flaubert. Une manière spéciale de vivre. Pierre-Marc de Biasi.Grasset, 2009.La genèse de Madame Bovary. Claudine Gothot-Mersch. José Corti,1966.L’orgie perpétuelle. Mario Vargas Llosa. Gallimard, 1978.

ceux qui ont confessé en province. À la différence dela plupart de ses contemporaines qui n’avouaient enconfession que des péchés d’intention, Emma a osé.Elle a osé l’adultère et les dettes, bravé le dénigrement,affronté le suicide. Baudelaire, qui partagea avec Flaubert les foudres duprocureur Pinard, bras armé du politiquement correctde l’époque, écrivit dans une critique éblouissante àpropos d’Emma : emportée par les sophismes de sonimagination, elle se donne magnifiquement, généreu-sement, d’une manière toute masculine à des drôlesqui ne sont pas ses égaux, exactement comme lespoètes se livrent à des drôlesses (…) Cette femme, enréalité, est très sublime dans son espèce, dans son petitmilieu et en face de son petit horizon (…) Disons-le,avouons-le, c’est un César à Carpentras ; elle pour-suit l’Idéal ! Flaubert, qui a vécu quasiment cinq ans dans l’intimitéde son personnage (plus qu’avec aucune de sesmaîtresses), a exprimé des sentiments plus partagés.Une nature quelque peu perverse, une femme defausse poésie et de faux sentiments, écrit-il à une de sesfidèles correspondantes ; évoquant ailleurs sa pauvreBovary (qui) sans doute souffre et pleure dans vingtvillages de France à la fois, à cette heure même.Qui ne connaît son aveu plein de superbe : MadameBovary c’est moi ! Probablement apocryphe, iltémoigne d’une réalité au sens où chaque personnagedu romancier est une part de lui-même. Le cœur quej’étudiais, c’était le mien, écrira Flaubert à LouiseColet alors qu’il peinait sur les premières pages de sonroman. Il avouera être imprégné de certains épisodescomme s’il les vivait lui-même. À propos de la scènedans les bois où son premier amant, Rodolphe,possède Emma (la baisade, note l’auteur dans desbrouillons qui témoignent crûment de ce qui se devineentre les lignes édulcorées du texte) il dit à LouiseColet : c’est une des rares journées de ma vie que j’aipassées dans l’illusion complétement et d’un bout àl’autre. Et il confie à un autre de ses correspondantsqu’alors qu’il décrivait les effets de l’arsenic sur lamalheureuse Emma : l’empoisonnement de la Bovarym’avait fait dégueuler dans mon pot de chambre…Emma était certes faite en partie de lui-même, maisaussi de dix autres. Flaubert aurait pu appliquer à sonhéroïne ce que Proust disait de ses personnages : il fautdix clefs pour une seule serrure. Les exégètes deMadame Bovary ont dénombré plusieurs sources danssa genèse : Delphine Delamare, l’héroïne du fait diversrapporté par Louis Bouilhet ; diverses protagonistes

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Steve Jobs : La vie d’un génie de Walter Isaacson, Le livre de poche, 926 pages.À partir d’une quarantaine d’interviews exclusives et de multiples rencontres avec sa famille, ses proches,ses collaborateurs, ses amis et ses adversaires, Walter Isaacson a reconstitué d’une façon magistrale etpassionnée la vie, l’œuvre et la pensée du fondateur d’Apple, l’un des plus grands innovateurs et visionnairesde notre époque.

L’Invention de nos vies, de Karine Tuil, Editions Grasset, 492 pages.Sam Tahar semble tout avoir : la puissance et la gloire au barreau de New-York, la fortune et la célébritémédiatique, un « beau mariage »... Mais sa réussite repose sur une imposture. Pour se fabriquer une autreidentité en Amérique, il a emprunté les origines juives de son meilleur ami Samuel, écrivain raté qui sombrelentement dans une banlieue française sous tension. Vingt ans plus tôt, la sublime Nina était restée par pitiéaux côtés du plus faible. Mais si c’était à refaire ? À mi-vie, ces trois comètes se rencontrent à nouveau, etc’est la déflagration... « Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on ne peut jamais en revenir » dit unproverbe qu’illustre ce roman d’une puissance et d’une habileté hors du commun, où la petite histoire d’untriangle amoureux percute avec violence la grande Histoire de notre début de siècle.

Contes sans provisions de Jacques Arlet, Editeur Ixcea, 212 pages.Au commencement était le conte. Avant de savoir écrire, nos ancêtres savaient rêver, inventer des fictions etles plus éloquents, parmi eux, racontaient leurs rêves en famille ou entourés de leur tribu, le soir autour d’ungrand feu ou à la lumière des étoiles. Il n’y a pas que les bons comptes qui font les bons amis, les bons contesaussi : ils doivent être, de préférence, invraisemblables et poétiques, avec une pincée d’humour qui peut êtrenoir si nécessaire !

Recherche de la France de Pierre Nora, Editions Gallimard, 592 pages.Après Historien public, qui se voulait un portrait d’époque à travers les engagements d’un itinéraire indivi-duel ; après Présent, nation, mémoire, qui tentait de dégager par ces mots les pôles de la conscience histo-rique contemporaine, ce troisième volet de mon entreprise réunit les principaux essais que j’ai consacrés àla France, son identité et sa mémoire. L’organisation de ce rassemblement fait apparaître une image forte-ment unitaire : celle de l’État-nation dans son âge accompli. Celui-ci s’enracine chronologiquement de laRévolution de 1789 aux retombées du gaullisme et du communisme, ces deux versions ultimes de la Francequi ont mélangé, à doses variables, l’idée nationale et l’idée révolutionnaire. Car ce sont en définitive lesentrelacs de la nation, de la République et de la Révolution qui forment le sujet de ce livre : de la nationuniverselle à la nation communautaire, de la République de combat à la République patrimoine, de laRévolution conquérante à l’épuisement du projet révolutionnaire. L’ensemble ne constitue pas une histoirepersonnelle de la France, mais une manière personnelle d’écrire cette histoire : une histoire éclatée où l’ana-lyse approfondie de chaque éclat dit cependant quelque chose de la singularité mystérieuse du tout.

Baltasar Gracian, la civilité ou l’art de vivre en société de Stéphan Vaquero, Puf, 352 pages.La raison d’État de soi-même que propose Baltasar Gracián (1601-1658) à tout individu est au principe d’uneéthique paradoxale, voire contradictoire – et en ce sens baroque – qui prescrit à chaque individu de secomporter comme un État dans la manière d’être à soi et aux autres. C’est l’ensemble de ces prescriptions,ou règles de civilité, que permettent de dégager les maximes de l’Oráculo manual y arte de prudencia : dansles relations qu’ils ont les uns avec les autres, les individus doivent à la fois et contradictoirement adopterdes normes communes – les règles du « bon goût » – et cependant ne s’en remettre qu’à eux-mêmes – à leurgoût propre – pour déterminer ce qu’il est dans leur intérêt de faire ou de ne pas faire. C’est la raison pourlaquelle cette éthique baroque qu’est la civilité est un art de vivre en société et non une morale catégorique :les règles qu’elle prescrit ne sont pas extérieures au commerce des individus, mais au contraire immanentesau jeu social lui-même. La civilité sociale est ainsi au fondement de la société civile, dont la normalité relèved’un libéralisme éthique.

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