463
UNIVERSITÉ DE STRASBOURG ÉCOLE DOCTORALE 270 EA 4378 THÈSE présentée par : David BOUILLON soutenue le : 30 septembre 2017 pour obtenir le grade de : Docteur de l’université de Strasbourg Discipline/ Spécialité : Théologie protestante Église Baptême Esprit-Saint La théologie de Louis Dallière THÈSE dirigée par : M. BIRMELÉ André Professeur, université de Strasbourg RAPPORTEURS : M. MARTIN Philippe Professeur, université de Lyon 2 M. CHALAMET Christophe Professeur, université de Genève AUTRE MEMBRE DU JURY : M. ARNOLD Matthieu, président Professeur, université de Strasbourg

ÉCOLE DOCTORALE 270 EA 4378 - publication … · Puisse la conclusion de cette thèse marquer le passage à une vie plus sereine. Je voudrais aussi remercier mon directeur de thèse,

Embed Size (px)

Citation preview

  • UNIVERSIT DE STRASBOURG

    COLE DOCTORALE 270

    EA 4378

    THSE prsente par : David BOUILLON

    soutenue le : 30 septembre 2017

    pour obtenir le grade de : Docteur de luniversit de Strasbourg Discipline/ Spcialit : Thologie protestante

    glise Baptme Esprit-Saint La thologie de Louis Dallire

    THSE dirige par :

    M. BIRMEL Andr Professeur, universit de Strasbourg RAPPORTEURS :

    M. MARTIN Philippe Professeur, universit de Lyon 2 M. CHALAMET Christophe Professeur, universit de Genve

    AUTRE MEMBRE DU JURY :

    M. ARNOLD Matthieu, prsident Professeur, universit de Strasbourg

  • 1

    LIMINAIRE

    glise Baptme Esprit-Saint : La thologie de Louis Dallire

    Rsum en franais :

    otre travail, sur la base dun corpus de textes trs complet que nous avons rassembl et numris (CD-rom en annexe), prsente quelques grands thmes de luvre thologique du pasteur Louis Dallire (1897-1976). Aprs un aperu biographique nous dveloppons sa critique de la philosophie idaliste et des rpercussions quelle a engendr sur la thologie protestante. L. Dallire entend par l redonner droit une ecclsiologie privilgiant le concret et foncirement confessante. Dans cette optique, il entend repenser la pratique du baptme, en particulier celui des enfants. Dans un contexte de fin de la chrtient, il souhaite privilgier limmersion de confessants. En raison de son soutien au mouvement pentectiste naissant il dfend aussi une spiritualit ouverte lexercice des charismes. Cette glise confessante a pour vocation de prparer la venue en gloire du Christ. Elle doit donc se rapproprier leschatologie sans pour autant sabandonner aux excs apocalyptiques. Dans chacun des chapitres nous situerons lauteur dans son contexte ecclsial et thologique. En conclusion nous indiquerons quelle peut tre la pertinence aujourdhui de cette pense. English title : Church Baptism Holy Spirit : The Theology of Louis Dallire. English abstract :

    I base my research on a fairly complete collection of pastors Dallire writings that I have assembled and digitized (see the CD-rom), presenting some of the main themes in the theology of Louis Dallire (1897-1976), a pastor in the Reformed church of France. After a biographical sketch of his life, I present his critique of Idealist philosophies and its impact on Protestant theology. I present Louis Dallire's larger objective of establishing a more concrete and confessional ecclesiology, including his rethinking of the practice of baptism, especially infant baptism. Convinced that the era of Christianity was coming to an end, he called for a renewed practice of the immersion of confessing believers. Because he supported the beginnings of Pentecostalism he also believed in a renewal of spiritual charisms within church life. I also explore the larger purpose of his call for a renewed confessing church to prepare for Christ's Second Coming, with his consequent re-appropriation of eschatology without the excesses of some apocalyptic movements. In each of our chapters I place L. Dallire in his ecclesiological and theological context. In my conclusion I explore the relevance of Dallires insights for our current theologies.

    Mots cls en franais :

    Louis Dallire ; baptme ; Karl Barth ; ecclsiologie ; eschatologie ; judasme ; libralisme thologique ; protestantisme franais ; messianisme ; mouvements de Rveil ; pdobaptisme ; pentectisme ; pneumatologie ; Renouveau charismatique. Key words : Louis Dalliere ; baptism ; karl Barth ; charismatic Renewal ; ecclesiology ; eschatology ; French Protestantism ; infant baptism ; Judaism ; theological liberalism ; Messianism ; Pentecostalism ; pneumatology ; Revival movements.

  • Table des matires

    2

  • Table des matires

    3

    Table des matires

    LIMINAIRE : Rsum en franais / English abstract ; mots-cls / keywords .......................... 1

    Table des matires............................................................................................................... 3

    Remerciements .................................................................................................................... 7

    Avant-propos ....................................................................................................................... 9

    Introduction ........................................................................................................................ 13

    I. lorigine, un travail darchivage et de numrisation. ............................................... 13 II. Angle dapproche thologique de la pense de ouis Dallire .................................. 15 III. Remarques mthodologiques. .................................................................................. 21

    1ERE PARTIE : UN PARCOURS THOLOGIQUE .......................................... 23

    Chapitre 1 : Louis Dallire (1897-1976), lments biographiques. ................................. 25

    I. 1.1. Les annes de jeunesse (1897-1930). .............................................................. 26

    I. 1.2. La priode du Rveil (1931-1939). .................................................................... 33

    I. 1.3. a fondation de lUnion de prire et du Cours Isaac Homel (1-1976). .......... 41

    Chapitre 2 : Penser lglise. Loption raliste et la critique de lidalisme. ........................................ 49

    I. 2.1 Introduction. .................................................................................................... 49

    I. 2.2 branlement de la premire Guerre mondiale. .............................................. 53 I. 2.3 Face lidalisme, laffirmation dune pense chrtienne . ......................... 59 I. 2.4 Le libralisme thologique, expression de lidalisme philosophique. .............. 79 I. 2.5 La parent de la dmarche de L. Dallire avec celle de Karl Barth. ............... 103

    I. 2.6 Le contexte catholique................................................................................... 117

    I. 2.7 Conclusion du chapitre. ................................................................................. 128

    Chapitre 3 : La ralit de lglise. De lindiffrence religieuse au renouveau de la vie cultuelle ................... 131

    I. 3.1 Introduction fin de la chrtient et sicle de lglise........................................ 131 I. 3.2 a ralit de lglise est-elle visible ou invisible ? ............................................. 137 I. 3.3 La paroisse de lindividualisme la communion. ............................................ 145 I. 3.4 De la paroisse lglise : la problmatique des ecclsioles . ...................... 158

  • Table des matires

    4

    3.4.1 Martin Bucer et son projet de Christlichen Gemeinschaften. ..................... 162

    3.4.2 Le mouvement des Diaconesses. ............................................................. 163

    3.4.3 La communaut de Taiz. ......................................................................... 165

    3.4.4 Les groupes de prire charismatique. ....................................................... 166

    I. 3.5 e culte en Esprit de lglise. ........................................................................... 171

    2me PARTIE : LES QUESTIONS POLMIQUES ......................................... 181

    Chapitre 4 : La rupture avec le pdobaptisme.

    Comment lglise de multitude sera-t-elle confessante ? .................. 183

    II. 4.1 Introduction : Un baptme entre institution et contestation. ............................... 183

    II. 4.2 Le Rveil pentectisant et la problmatique du baptme................................... 188

    4.2.1 La priode antrieure au Rveil (1925-1932). ........................................... 188

    4.2.2 La question du baptme et le Rveil pentectisant. .................................. 190

    A. La fin de la chrtient : .............................................................................. 194

    B. influence des autres pasteurs du rveil : ................................................ 195 C. Les exigences de laccompagnement pastoral : ........................................ 198 4.2.3 Le Baptme en vue du Retour de Jsus . ............................................ 201

    II. . glise rforme face la remise en cause du pdobaptisme. ........................ 205 4.3.1 Le dbat local (Drme Ardche) sur le baptme. ................................... 205 4.3.2 La Commission du Baptme (1947-1949) ................................................. 209

    4.3.3 Le Synode national du Chambon-sur-Lignon (1951) ................................. 216

    II. . Thologie et pratique du baptme dans lUnion de prire. ................................. 220 4.4.1 a liturgie dimmersion de lUnion de prire............................................... 220 4.4.2 annexe au protocole daccord avec lERF (1) ................................... 229 4.4.3 La confirmation des vux du baptme par immersion. ....................... 235

    Chapitre 5 : Le Rveil de Pentecte et lactualit des charismes. Que signifie le retour de l'Esprit-Saint au cur de l'glise?. ................... 247

    II. .1 Cessation des charismes ou retour de lEsprit ? ................................................ 247 5.1.1 uther et lopposition aux Spiritualistes ............................................... 249 5.1.2 Kant et lidentification de lEsprit la Raison. ............................................ 252 5.1.3 Quelle place pour lEsprit dans un monde scularis ? ............................. 253

    II. 5.2 La pneumatologie du pasteur Louis Dallire. .................................................... 256

    5.2.1 Baptme du Saint-Esprit, exprience mystique et rforme du culte. ......... 259

    5.2.2 De lexprience au fondement biblique et doctrinal des charismes. .......... 268 5.2.3 Le cadre ecclsiologique de la vie charismatique...................................... 275

    II. . a pratique des charismes dans lUnion de prire. ........................................... 280

  • Table des matires

    5

    5.3.1 Le baptme du Saint-Esprit....................................................................... 281

    5.3.2 La prophtie. ............................................................................................. 286

    5.3.3 La prire pour les malades........................................................................ 291

    II. 5.4 esprit et lpouse disent : Viens ! Perspectives eschatologiques et cumniques. .............................................. 300

    5.4.1 ouvements de Rveil et mise en avant de leschatologie ....................... 300 5.4.2 e culte en Esprit comme cadre de lesprance eschatologique ............... 302 5.4.3 glise finitive , plaidoyer pour un cumnisme eschatologique. ....... 304

    Chapitre 6 : Thologie de lhistoire et eschatologie La voie troite entre le millnarisme et lutopie ........................................ 309

    II. .1 Une thologie de lhistoire : possibilits et limites ............................................. 309 6.1.1 En philosophie et en thologie. ................................................................. 314

    A. Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770 1831) .......................................... 315 B. Henri Bergson (1859-1941). ...................................................................... 318

    C. Albert Schweitzer (1875-1965) .................................................................. 320

    D. Oscar Cullmann (1902-1999) .................................................................... 322

    6.1.2 Le messianisme juif et ses rpercussions dans le contexte du Rveil. ...... 325

    6.1.3 Aux marges des glises historiques. ........................................................ 331

    A. Montan / Montanus (2e moiti du 2e s. 1re moiti du 3e s.) ..................... 332 B. Joachim de Flore (c. 1130-1202) .............................................................. 335

    C. Edward Irving (1792-1834) ....................................................................... 338

    II. 6.2 Louis Dallire lecture de lhistoire et eschatologie. ......................................... 341 6.2.1 Dune ternit lautre : le salut comme histoire. ...................................... 341 6.2.2 La rfutation du dispensationalisme. ......................................................... 347

    6.2.3 Fin de la chrtient, effusion de lEsprit et glise terminale . ................ 357 6.2.4 Les dates-cls........................................................................................... 365

    A. Exemples de dates-cls. ........................................................................... 366

    B. Les dates-cls comme signes. .................................................................. 369

    C. Les coups-dtat de Dieu. ................................................................... 372 6.2.5 Le retour des Juifs et dIsral dans lhistoire et dans leschatologie. .......... 373 6.2.6 e cadre ecclsiologique et cultuel de leschatologie. .............................. 378 .. a finalit de lhistoire du salut : La victoire sur la mort / la plnitude de la prsence. ................................... 382

  • Table des matires

    6

    Chapitre 7 : Conclusions ................................................................................................. 387

    .1 uvre thologique de ouis Dallire : une pense organique. ........................... 387 7.1.1 Les 4 sujets de prire :

    Lessentiel de la foi pour lglise des temps derniers. ................................. 387 .1. eschatologie : Fondement et cl de vote de lglise Une des temps derniers. ................. 391

    7.2 Une pense ouverte au nouveau .................................................................... 395

    ..1 Hors de lglise pas de nouveau . ......................................................... 395 7.2.2 a nouveaut, une grce qui appelle laction. .......................................... 398

    7.3 ordre vritable est fond sur la prire .......................................................... 402 7.3.1 La prire comme disponibilit . .............................................................. 402

    7.3.2 La prire comme combat ............................................................................ 405

    7.3.3 La prire comme communion ..................................................................... 407

    Liste des figures .............................................................................................................. 411

    Bibliographie des articles et ouvrages cits dans la thse .......................................... 413

    Annexe 1: Charte de lUnion de Prire ........................................................................... 431

    Annexe 2 : Bibliographie des crits de Louis Dallire (1922-1974) .............................. 443

    Annexe 3 : Ouvrages voquant la vie et luvre de Louis Dallire .............................. 457

  • 7

    Remerciements

    celui qui peut faire, par la puissance qui agit en nous, infiniment au del de tout ce que nous demandons ou pensons, lui soit la gloire dans lglise et en Jsus-Christ, dans toutes les gnrations, aux sicles des sicles! Amen !

    (Ephsiens 3.20-21)

    ener bien un projet de thse est rarement luvre dune seule personne. Cest avec le soutien et laide de nombreux proches et amis que nous avons pu venir bout de cette entreprise exigeante. Nous voulons les remercier aujourdhui.

    a reconnaissance va tout dabord mon pouse, yriam et mes enfants, aayan, Elianna et Jhiel. Ils ont accompagn au quotidien cette aventure. Ils ont accept aussi que je sois souvent enferm dans mon bureau ou en bibliothque ne partageant pas avec eux bien des moments prcieux.

    Mon pouse fut cette femme forte quvoque la fin du livre des Proverbes. A toute heure du jour elle a assur notre famille une qualit de vie jamais prise en dfaut. Par ses comptences dorganisation elle a permis que les dix mois sabbatiques Jrusalem soient une russite. Elle a su aussi encourager et stimuler un mari pour qui la thse devint parfois un but inatteignable ! Pourtant cause de ce travail, elle sest retrouve seule bien des soirs. Puisse la conclusion de cette thse marquer le passage une vie plus sereine.

    Je voudrais aussi remercier mon directeur de thse, le professeur Andr Birmel. Malgr lloignement et mon peu de disponibilit il a toujours rpondu prsent. Il a su guider ce travail qui, si facilement, pouvait se perdre dans des chemins de traverse. Il a depuis longtemps incarn mes yeux la double exigence dun travail thologique approfondi et sa transposition dans la ralit ecclsiale. Au moment o je vais moi-mme entrer dans un ministre denseignement de la thologie, puisse son exemple minspirer.

    ous noublions pas non plus toutes les personnes qui ont rendu possible notre anne sabbatique lInstitut cumnique de Tantur (Jrusalem) en 01-2014. Merci nos familles pour leur appui sur le plan matriel et personnel. Plusieurs personnes ont aussi contribu divers titres ce sjour : Mme Benner, M & Mme Dutertre, Mme Faure, Mme Franck, Mme Giffon, M & Mme Hamel, M. Jacquemus, Mme Lovsky, M & Mme Moerman, M. Rochat, Mme Schaerer, M & Mme Sommer, M et Mme Vaillant, Sur Emilie Vandenberghe. Nous y associons plusieurs organismes qui nous ont octroy une bourse en lien avec ce projet : lglise Protestante Unie de France, lassociation Unit des Chrtiens, lAssociation des Pasteurs de France. Ma reconnaissance aussi la socit Amaris qui par le biais de M. Tisseyre ma permis de mquiper dun ordinateur performant. Nous pensons aussi tout le personnel de Tantur, parmi lesquels beaucoup de chrtiens palestiniens, qui nous ont ouvert leur cur et leur maison. erci aussi Mme Mazoyer, bibliothcaire Tantur, pour avoir facilit notre venue Tantur et notre travail dans cette belle bibliothque.

    Un grand merci aux personnes de lUnion de prire qui ont apport leur aide pour la saisie des textes des archives de lUnion de prire et la relecture de chapitres de cette thse : Mme Boudier, Mme Coet-Kheyra, Mme Devche, Mme Hbraud, Mme Rahm, M. Schaerer, et aussi tous ceux que joublie. Ma gratitude aussi tous les pasteurs du Directoire de lUnion de prire, pour leur soutien spirituel et fraternel depuis plus de douze ans. Sans eux, ce projet naurait pu ni commencer ni aboutir.

  • 8

    Je ne peux oublier ici tous les paroissiens de lglise Rforme de Saint-Laurent-du-Pape qui, de septembre 2013 juin 2014, nous ont laisss partir une anne Jrusalem. Pendant cinq ans et cause de la thse, ils ont aussi accept que leur pasteur ne soit pas toujours disponible autant quils lauraient souhait. Merci Emmanuelle Riotte qui a mis ses comptences informatiques mon service dans la dernire ligne droite de la rdaction. Avec lachvement de ce travail, cest aussi la fin de treize annes de bonheur sur les bords de lEyrieux et le dpart vers les rives du lac Lman.

    Je voudrais aussi honorer mes parents qui depuis la fin du lyce ont accompagn et encourag mes longues tudes. Ils ont accept mes ttonnements, se sont rjouis de mes projets et ont sans cesse voulu pour moi le meilleur. Jy associe mes beaux-parents qui, habitant Strasbourg, mont offert plus que le gte et le couvert : la confiance que je pouvais mener ce projet bien. Merci aussi la famille Mourlam pour son amiti et son hospitalit. Claude a ouvert le sillon du doctorat et mes changes avec lui, ont t prcieux et stimulants.

    Une dernire pense pour Fadiey Lovsky, ce petit grand professeur (dixit Antoine Nouis), qui si souvent a tmoign lenfant, ladolescent et ladulte en devenir que jtais toute lamiti dun cur aussi large que son esprit tait grand.

    Puisse la lecture de ce travail par toutes les personnes cites (et je lespre bien dautres) les convaincre que le soutien et la patience dont ils ont fait preuve en valait la peine.

    David Bouillon

  • Avant-propos

    9

    Avant-propos

    intrt dun ouvrage se mesure aux perspectives indites quil ouvre. 1

    e ministre de . Dallire et lUnion de prire ne sont pas trs connus car ils sont toujours rests une prsence de prire cache au sein de lglise, notamment au sein de lglise Rforme de France. Il ne fait aucun doute que lglise au sens large ntait pas prte pour recevoir cette vision lpoque, mais de nombreux signes semblent indiquer que le temps est venu de la rpandre de manire plus largie. 2

    Dcider dans le cadre dune thse de thologie systmatique dtudier de manire approfondie la pense dun thologien mconnu est une dmarche qui appelle quelques clarifications. En effet, on pourrait estimer quau-del de la curiosit historique, les crits de Louis Dallire ne mritent pas, du moins pas plus que ceux de centaines dautres pasteurs ou thologiens des dcennies passes, de sortir de loubli o les annes les ont enfouis. me si aujourdhui le dveloppement de laccs lectronique linformation rend possible den savoir un peu (ou beaucoup) sur tout et tous, le problme de la pertinence dune pense nen reste pas moins pos. vangliste Jean lui-mme exprime deux reprises la fin de son vangile quil nest pas ncessaire de tout savoir ni de tout crire (Jean 20.30-31 & 21.25). Aprs lui, les Pres de lglise en constituant le Canon biblique adopteront une approche identique dans ce qui a t rdig pour accompagner la vie des croyants et de lglise, tout nest pas indispensable. Il y une exigence de pertinence qui de tout temps a oblig lglise oprer des choix : elle a reconnu certains de ses membres comme Pres et quelques-uns furent mme dclars docteurs . a Rforme aussi a bnfici de linfluence de quelques grands noms (ils ont leur statue Genve !). Il suffira enfin de parcourir nimporte quelle histoire de la thologie moderne pour constater que leurs auteurs se concentrent sur un nombre limit de personnalits influentes (et dun livre lautre ce seront souvent plus ou moins les mmes).

    Si jai estim quil tait non seulement utile mais aussi ncessaire dentreprendre ce travail, ce nest pas de ma seule initiative. Certes, jai un lien personnel fort avec lUnion de prire dont je suis membre depuis lge de 1 ans, moment o jy ai demand le baptme par immersion dans le torrent de lEmbroye. la mme poque, lors de mes tudes de philosophie lUniversit Catholique de ouvain, javais dj manifest un intrt pour la pense de ouis Dallire, puisque je consacrai mon mmoire de fin dtude (11) la philosophie de William E. Hocking, le professeur dont le futur fondateur de lUnion de prire avait suivi les cours Harvard en 1922-23.

    ourri par les quatre sujets de prire de la Charte de lUnion de prire, jabordai ensuite les tudes de thologie Strasbourg. cette poque plusieurs membres de lUnion de prire maidrent par leur exemple concilier exigence de la rflexion universitaire et souci de cultiver ma propre vie spirituelle. La personne de Fadiey Lovsky, professeur dhistoire engag dans le

    1 F. MOSER, Existence sacramentelle aujourdhui ! propos dun livre rcent , tudes Thologiques et Religieuses, 1999, 74 / 4, p. 561. 2 P. HOCKEN, Prface , in Serge JACQUEMUS, Lglise se prpare. Quelques courants prophtiques de lglise daujourdhui, Paris : Premire Partie, 2007, p. 7.

  • Avant-propos

    10

    dialogue judo-chrtien et auteur de plusieurs livres qui ont fait date, reste pour moi un exemple de cette thologie savoureuse si souvent voque dans les Retraites de lUnion de prire. Le pasteur Paul Bechdolff, un temps membre du Conseil ational de lglise Rforme de France, fut aussi un mentor attentif et stimulant pour un tudiant en thologie qui hsita longtemps entrer dans le ministre pastoral. Il faudrait mentionner tant dautres noms, ceux de pasteurs ou de lacs dont lamiti et les partages maidrent trouver ma voie.

    Quand en 00, je fus sollicit pour occuper, lt 00, le poste de permanent de lUnion de prire, ma dcision fut rapidement prise. Comment pouvais-je refuser lappel de cette communaut dont javais tant reu Dautant plus que le Directoire des pasteurs me proposait de consacrer une partie de ce poste mi-temps travailler sur les archives de Louis Dallire avec comme perspective la rdaction dune thse.

    Pour toutes ces raisons, il serait lgitime de penser que le prsent travail ne reflte finalement quun intrt personnel, ou celui dune communaut de croyants dont limportance numrique reste minime, et na donc quune porte limite dans le champ de la recherche thologique actuelle.

    Il me faut donc apporter quelques lments pour justifier lenjeu de cette thse et la pertinence sortir de loubli une uvre et une pense thologique.

    Un premier indice de la pertinence de la pense du pasteur Louis Dallire est le fait que quarante ans aprs sa mort, des hommes et des femmes issus de diffrents horizons manifestent un intrt pour son uvre. a vitalit de lUnion de prire qui accueille aujourdhui la quatrime gnration de ses membres (jappartiens moi-mme la troisime et mes parents la deuxime) en est aussi le signe. Que des personnes issues dune culture si diffrente de celle de laprs-guerre se reconnaissent malgr tout dans le texte de la Charte - lequel nest pas vraiment rdig en franais courant et est mme fortement marqu par un patois de Canaan -, souligne que la spiritualit initie par le pasteur Dallire demeure en prise avec les proccupations daujourdhui. Plusieurs pasteurs pourraient aussi tmoigner combien le fondateur de lUnion de prire les a aids trouver, ou retrouver, le sens profond de leur vocation dans une poque o nos glises devaient affronter bien des remises en question tant sur le plan externe quinterne. es quatre sujets mont toujours sembl et je ne suis pas le seul le penser un cadre prophtique et en mme temps trs systmatique pour asseoir une vision du ministre et de lglise. Et malgr les profondes rvisions que ce texte a connues, surtout dans sa deuxime partie, il conserve un souffle dont la pertinence permet de penser les nouveaux dfis adresss aux glises.

    En dehors du cadre de la communaut de lUnion de prire, on constate un intrt rel pour la personne et luvre de ouis Dallire. Plusieurs fois, jai ainsi t contact par des chercheurs travaillant sur diffrents aspects de lhistoire protestante moderne et qui souhaitaient obtenir des informations sur celui dont ils croisaient souvent le nom sans pouvoir facilement accder des informations le concernant. Dans la bibliographie (annexe 3), jai tent de rpertorier les auteurs qui voquent plus ou moins longuement la personne de Louis Dallire et cette liste est loin dtre insignifiante.3 cet gard, le fait que lEncyclopdie du protestantisme ait consacr une notice Louis Dallire, indique bien son importance aux yeux

    3 Je note que la plupart des travaux significatifs sur L.D. publis dans des livres ou des revues, sont le fait de quelques auteurs de langue anglaise ou issus du monde anglo-saxon (voir annexe 3).

  • Avant-propos

    11

    des diteurs.4 Dautres ouvrages de rfrence vont galement dans ce sens. Je pense lInternational Dictionary of Pentecostal and Charismatic Movements5 ou au travail de Daniel Robert, dans le volume 5 du Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine consacr aux protestants.6 Si laction et la pense du fondateur de lUnion de prire avait t considres comme peu signifiantes, il naurait pas figur dans de tels ouvrages qui, par principe, oprent un choix entre limportant et lanecdotique.

    Pour conclure, je rappellerai simplement ce qucrivit, dans deux de ses livres, Andr Chouraqui, un auteur dont lintrt pour les religions ne serait jamais n sans sa rencontre en 1936 avec le pasteur de Charmes :

    Le lendemain, 5 juillet, je rencontrai le pasteur Dallire. Notre entretien dura de dix heures quarante-cinq midi dix ; les quatre-vingt-cinq minutes que nous passmes ensemble furent pour moi inoubliables ; cinquante-deux ans plus tard, elles gardent en moi la mme intensit .7

    Le pasteur Louis Dallire fut l'une des personnalits les plus mouvantes et les plus lucides qu'il m'ait t donn de rencontrer. Sa pense religieuse mriterait d'tre publie et largement diffuse .8

    Cette large diffusion, cest prcisment ce que notre travail espre susciter !

    4 P. PLET, DALLIERE Louis (1897-1976) , in Encyclopdie du protestantisme (P. Gisel, dit.), Paris Genve : Cerf Labor et Fides, 19951, p. 345 ; Paris Genve : Quadrige/PUF Labor et Fides, 20062, p. 299. 5 P. HOCKEN, Dallire, Louis (1897-1976) , in International Dictionary of Pentecostal and Charismatic Movements (Revised and expanded edition ; S. M. Burgess, ed.), Grand Rapids : Zondervan, 2002, p. 569-570. 6 D. ROBERT, DALLIERE Louis , in Les protestants (Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, vol. 5 sous la direction dAndr Encrev), Paris : Beauchesne, 1993, p. 160-161. Le tome 2 du Dictionnaire biographiques des protestants franais de 1797 nos jours, inclura une notice sur Louis Dallire ( paratre ; sous la direction de la SHPF, Patrick Cabanel et Andr Encrev, Paris : Les ditions de Paris-Max Chaleil). 7 A. CHOURAQUI, Lamour fort comme la mort. Une autobiographie (Collection Vcu ), Paris : Robert Laffont, 1990, p. 137. 8 A. CHOURAQUI, Mon testament. Le feu de lalliance, Paris : Bayard, 2001, p. 175.

  • Avant-propos

    12

  • Introduction

    13

    Introduction

    Pour faciliter la lecture de cette thse, nous voudrions, dans cette introduction situer lorigine de notre travail, en prsenter les grandes articulations et expliquer certains choix mthodologiques.

    I. lorigine, un travail darchivage et de numrisation.

    Comme nous lavons crit dans lavant-propos, cest la demande de lUnion de prire qui nous avait appel comme permanent de lassociation, que nous nous sommes attel ds lautomne 00, au travail sur les archives du pasteur ouis Dallire (abrg : L.D.).

    Ce pasteur a vcu dans le village de Charmes-sur-Rhne de 1925 son dcs en 1976. Cest aussi dans ce lieu quil a fond un collge priv protestant, le Cours Isaac Homel (1947-1), et la communaut de lUnion de prire, sortes de tiers-ordre rform vou lintercession et dfinie comme une communaut de lesprance . Aprs sa mort, lessentiel des documents lis son ministre sont donc rests en dpt au sige de lUnion de prire. Un premier travail de rangement et de classement avait t effectu par le pasteur Jacques Serr, proche collaborateur de L.D. depuis les annes 1940. Le pasteur Serr, aprs un sjour dune dizaine dannes dans un monastre trappiste de Terre Sainte (Latroun), avait accept de prendre sa retraite dans un petit appartement mis sa disposition au sige de lUnion de prire. Grce lui, de nombreux papiers personnels du pasteur Dallire avaient t archivs et classs. Il avait aussi rdig un long travail manuscrit sur les articles de jeunesse du pasteur Dallire et, pour cette occasion, rassembl les originaux ou les photocopies dun grand nombre de ces textes :

    - Pour un ralisme chrtien : analyse des articles publis par le pasteur Louis Dallire de 1922 1932 , cahier manuscrit (1987).9

    - Pour un Ralisme chrtien : loption philosophique du pasteur Louis Dallire , texte dactylographi, sans date.

    Dans le cadre de ses activits de pasteur, denseignant, de guide spirituel, L.D. a beaucoup pens et crit, mme si depuis lt 1 pratiquement aucune publication de sa plume ne fut plus diffuse. algr tout, les enseignements quil dispensait dans les retraites annuelles de prire taient mis par crit, ronotyps et diffuss aux membres et par eux un petit rseau de personnes issues de divers horizons chrtiens. L.D. fut aussi, comme beaucoup de personnes de son poque o nexistait pas encore Internet, un adepte de la correspondance. Comme nous le montrerons dans notre travail, certaines de ces lettres sont de petits exposs thologiques ou de bons rsums de sa pense.10

    9 Nous avons compil et complt ce travail dans un document de synthse disponible aux archives de lUnion de prire. ous lavons aussi utilis pour notre propre rdaction du rsum des travaux dits par L.D. de 1923 1939. Voir Annexe 2. Nous reprenons cette 2e annexe dans un volume spar en y ajoutant un rsum de tous les articles publis par L.D. Ce travail est joint la prsente thse. 10 Plusieurs de ces correspondances figurent dans la compilation des textes de L.D. que nous joignons cette thse (voir le CD-Rom).

  • Introduction

    14

    En effectuant ce travail sur les archives de L.D., nous prenions conscience du fait que pour ceux qui, en France ou dans dautres pays, sintressaient sa vie et sa pense, tous ces textes taient assez difficiles daccs. es bibliothques universitaires, mme celles de thologie, nont pas en un seul lieu lintgralit des publications auxquelles le pasteur Dallire avait collabor dans sa jeunesse. Pour le journal Esprit & Vie, publication importante du rseau du Rveil dans les pays francophones entre 1931 et 1939, la collection complte est extrmement difficile trouver.11 Deux livrets du pasteur Dallire avaient t rdits, lun sur le baptme,12 lautre sur le mouvement de Pentecte,13 mais ils sont aujourdhui puiss. Pour les tudes donnes par L.D. dans les retraites annuelles, dassez nombreux exemplaires avaient t imprims et des copies surnumraires taient disponibles mais ne pouvaient tre obtenues quen contactant lUnion de prire. Cette difficult daccs aux sources explique que bien que le nom du pasteur Dallire soit souvent cit comme une figure importante des dbuts du Pentectisme en Europe, ce que ces auteurs peuvent en dire est souvent limit et parfois inexact.14 Une mise disposition des historiens et des chercheurs du maximum de documents lis la vie et la pense du pasteur Dallire savrait donc indispensable.

    Cest pour cette raison quen travaillant sur les archives de L.D., il nous a sembl important de numriser cette masse documentaire et de la convertir en des formats lectroniques susceptibles de la rendre accessible (sur un site Internet)15 ou de la diffuser facilement (fichier PDF). Grce un bon logiciel dCR (reconnaissance optique de caractres), la plupart des textes dactylographis ont ainsi pu tre numriss mme si le passage des textes taps la machine il y a plus de cinquante ans, une version utilisable dans un traitement de texte a demand un toilettage assez important.16 Pour les textes manuscrits nous avons bnfici de laide de membres de lUnion de prire qui ont accept de les retaper.

    Aprs plusieurs annes de travail, lessentiel des documents publis par .D., complt par un choix de textes divers puiss dans les archives nous avait permis dobtenir un corpus textuel significatif (environ 1500 pages A4 que nous avons rassembles sur un CD-Rom en annexe de la thse + une bibliographie avec des rsums de la majorit des articles publis). Cest dans ce contexte que le pre Peter Hocken qui, depuis la fin des annes 10 tait entr en contact avec lUnion de prire et avait pu tudier un certain nombre dcrits de .D., nous suggra en 2011 de prolonger notre travail sur les archives par la rdaction dune thse.

    11 Dans les archives de lUnion de prire, il manque les premiers numros du journal. Ils datent de lpoque o le pasteur Dallire navait pas encore commenc y collaborer. Signalons quune revue catholique porte aussi ce titre depuis 1969 (anciennement LAmi du clerg). 12 Le baptme en vue du Retour de Jsus-Christ, Cuesmes (Belgique) : Esprit et Vie, 1937 (?), 37 p. Rimprim en 1978 : Le baptme en vue du Retour de Jsus-Christ, avec une introduction de Jean Neusy, Quvy-le-Petit lglise Chrtienne de Pentecte de Belgique. Cette rdition a t faite sans laccord de la famille Dallire ou de lUnion de prire. 13 Daplomb sur la Parole de Dieu : courte tude sur le Rveil de Pentecte, Valence : Imprimerie Charpin et Reyne, 1932, 56 p. Rdition par lUnion de prire en 1. 14 Voir ce sujet, lannexe uvrages voquant la vie et luvre de ouis Dallire. Comme exemples derreurs courantes, citons la confusion de ouis avec son frre mile, lassimilation du pasteur Dallire au Pentectisme, son prtendu baptisme 15 www.uniondepriere.fr 16 Do probablement la prsence de quelques coquilles dans le corpus de textes joint cette thse malgr les relectures qui en ont t effectues. Je remercie encore toutes les personnes qui mont aid pour cela.

  • Introduction

    15

    II. Angle dapproche thologique de la pense de Louis Dallire

    La proposition tait intressante mme si nous tions conscient de la somme de travail que cela impliquait. Il nous fallait aussi, pour mener bien ce projet, obtenir laccord dun directeur de thse. Le DEA en thologie avait t valid en 1996, et en quinze ans, la facult de Strasbourg avait vu son corps professoral fortement changer. Se posait aussi la question de savoir sous quel angle aborder un corpus textuel et thologique aussi vaste ? Fallait-il privilgier le regard historique ? Cet aspect serait sans doute ncessaire tant donn le manque dinformations concernant la vie et le ministre du pasteur Dallire. Cependant, lapport de L.D. fut surtout dcisif sur des questions touchant avant tout la thologie systmatique. En effet, lecclsiologie occupe chez lui une position centrale. Dans sa jeunesse il dploya aussi une argumentation serre lencontre de la thologie librale protestante et utilisa pour cela toutes les ressources de sa formation philosophique. Son implication dans la question baptismale fut aussi dcisive et devait dboucher sur une mutation majeure de la pratique de lERF en cette matire. ouverture quil manifesta envers le Pentectisme ne faisait que prolonger la bienveillance cumnique quil avait exprime ds sa jeunesse et les dbuts de son ministre. Il comprit aussi limportance du dialogue avec la foi juive, annonant avec une dcennie davance une volution importante de la thologie chrtienne aprs Auschwitz. analyse minutieuse de son poque, lattention aux mouvements de la pense religieuse et profane, contriburent aussi modeler sa redcouverte de leschatologie, non pas comme une bizarrerie quil sagirait dabandonner tel ou tel mouvement marginal, mais comme un lment constitutif de la foi chrtienne et vou reprendre une place prpondrante dans lactualit thologique des glises.

    Pour ces diffrentes raisons, il nous semblait que demander lappui de notre ancien matre, le professeur Andr Birmel, simposait comme une vidence. ui aussi, par ses travaux de systmaticien, decclsiologue et de spcialiste reconnu du dialogue inter-ecclsial nous paraissait apte guider notre travail de recherche. Nous savions aussi son engagement auprs de la communaut catholique charismatique du Chemin Neuf et cela nous assurait dune ouverture laspect pentectisant de la thologie de .D.

    Aprs quelques changes par mail, et une rencontre Strasbourg, il accepta notre projet et nous aida le dfinir. Sur ses conseils, nous avons choisi de limiter le travail historique au strict ncessaire et de privilgier ltude de quelques questions o lapport du pasteur Dallire avait t dterminant. Plusieurs de ces questions furent aussi lpoque lobjet de polmiques dans le protestantisme rform franais. Avec le recul il savra que le fondateur de lUnion de prire avait en fait anticip des problmatiques qui allaient se rvler des enjeux majeurs des volutions ecclsiales jusqu notre poque. Comme souvent, les premiers faire bouger les lignes durent en subir les consquences, mme si leur audace accompagna des volutions qui se rvlrent invitables. intrt de ces questions est aussi dobliger sortir des limites des dbats intra-confessionnels et oser envisager des formes de la vie chrtienne qui intgrent des spcificits que les grandes traditions chrtiennes associaient plutt aux courants marginaux. me si au moment o samorait sa rflexion on ne parlait pas encore de village global, L.D. partir de son concept de fin de la chrtient devinait lmergence dun monde nouveau o des recompositions se rvleraient indispensables.

    Cest en tenant compte de ce contexte que nous avons donc labor le projet et le plan de la thse. Tout en essayant dapporter une information historique prcise non seulement concernant L.D. mais aussi son contexte ecclsial et intellectuel, nous voulions montrer au

  • Introduction

    16

    travers de quelques-unes des grandes questions quil avait souleves, les enjeux de son temps et la pertinence de ces problmatiques pour les glises de ce dbut du 21e sicle.

    Pour le 1er chapitre biographique, nous avons distingu trois grandes priodes qui correspondent trois tournants dans la vie de L.D. : les tudes et les dbuts du ministre en paroisse (1922-1930) lengagement en faveur du Rveil de Pentecte (11-1939) ; la maturit et la fondation de lUnion de prire (1-1). Deux longues priodes dune trentaine dannes entourent lpoque mdiane et bien plus courte du rveil. Ce qui pourrait sembler un basculement et une sortie de la tradition rforme, constituera en dfinitive une parenthse, certes cruciale, mais qui sur le plan de la pense et de la thologie apparatra comme un interlude qui ne remettra pas en question les grandes orientations dune pense qui se veut enracine dans la longue tradition spirituelle de la chrtient.

    Dans les deux chapitres suivants, un lien troit est pos entre la refondation dune pense chrtienne et laffirmation de la ralit de lglise. Pour la clart du propos, nous devrons aborder ces questions de manire successive, mais il est important de comprendre que les deux domaines sinterpntrent. Ainsi, cest le constat dune situation de crise dans lglise protestante franaise, crise qui affecte aussi lensemble de la socit europenne aprs 1918, qui incite L.D. en chercher les raisons intellectuelles (chapitre 2). Creusant cette piste dune manire philosophique, il entreprend une critique soutenue de la thologie protestante librale, thologie qui fut dominante dans sa formation. Il estime que cest linfluence nfaste de lidalisme allemand sur la thologie protestante (Kant tant considr par L.D. comme celui par qui le scandale arrive) qui doit tre mise en lumire et rejete. Dans le contexte franais, L.D. dveloppe une dmarche qui prsente des similitudes avec celle de Karl Barth pour lAllemagne. En mme temps, il y a chez lui aussi la marque dune pense qui refuse le coup de force de la Rvolution franaise et de la socit nouvelle qui en a merg tout au long du 19e sicle. n ne peut sempcher de deviner derrire ses propos le regret dun monde perdu et la disparition dune tradition intellectuelle et spirituelle caractristique du classicisme la franaise. Nous tudierons donc aussi brivement le contexte catholique, dautant plus que par son beau-frre, le philosophe Gabriel Marcel, mais aussi dans sa correspondance avec labb Paul Couturier, .D. se sentait proche de certaines personnalits rattaches lglise romaine.

    Avec le 3e chapitre nous passons la question ecclsiologique partir dun concept auquel L.D. restera durablement attach celui de la ralit de lglise. Nous chercherons montrer en quoi son analyse trs axe sur une dnonciation des tendances lindividualisme, propose un modle ecclsial, qui sans revenir celui des sicles passs, met en avant le groupe ou la communaut rassemble dans le culte. Pour .D. cependant, llment cl du culte ne sera pas comme pour la majorit des protestants depuis le 19e sicle, la prdication mais la Cne. Cest autour de la table sainte que la plnitude du corps ecclsial se rvle et que chaque fidle atteint le cur de sa relation Dieu et au prochain. Dailleurs quand partir de 1 il adoptera lessentiel du message pentectiste, il restera intransigeant sur son attachement au repas du Seigneur, considrant mme quil demeure le cadre par excellence de laccueil et de lexercice des charismes de lEsprit. Certains responsables pentectistes ou quelques collgues rforms qui lavaient suivi dans son adhsion ce mouvement centr sur lEsprit, estimeront mme quil y avait chez le pasteur de Charmes un risque de cryptocatholicisme !

  • Introduction

    17

    En effet, malgr son temprament conciliant, L.D. cre, souvent son corps dfendant, la polmique. Sans doute est-il parfois trop zl dans son intgrit et, poussant la logique de sa pense jusquau bout, il dfend alors des positions qui suscitent lincomprhension. ous aborderons dans la 2e partie trois questions qui ont fait et font parfois encore polmique.

    e chapitre reprend, sur la base de nombreux documents dpoque, lpineuse question de la remise en cause du pdobaptisme dans lglise Rforme. Bien sr, cest ladhsion au Rveil pentectisant qui va acclrer la problmatique mais nous manquerions de rigueur en ny voyant quune rupture avec la culture rforme. Au contraire, nous montrerons combien le pasteur Dallire reste profondment enracin dans lapproche sacramentelle des Rformateurs (hormis Zwingli) qui entend souligner labsolue priorit de la grce. Contrairement aux mouvements baptistes ou pentectistes qui justifient leur refus du pdobaptisme au nom du seul tmoignage biblique mettant en avant la ncessit dune confession personnelle pralable au baptme, le fondateur de lUnion de prire inscrit sa rflexion dans une perspective rsolument ecclsiale qui ne craint pas dinvoquer lapport de la Tradition chrtienne. Cela se traduit notamment par le maintien, voire le retour, une liturgie baptismale des plus classiques mme si elle reoit les apports de sa redcouverte de leschatologie. Cest aussi en replaant la question du baptme sur un horizon historique que ses interrogations sur le pdobaptisme doivent tre explicites. Pour L.D. en effet, le pdobaptisme na de pertinence quen contexte de chrtient, cest--dire entre 313 et 1914, entre ldit de ilan qui officialise la religion chrtienne dans lempire de Constantin, et le dbut de la 1re Guerre mondiale qui marque la fin en Occident de cette civilisation faonne par lvangile. Avant 313 et depuis 1914, le christianisme est une religion laquelle on doit adhrer par une dmarche personnelle et non pas uniquement par naissance. Le pdobaptisme qui a t lgitime ne lest plus, sinon au risque damoindrir la force du tmoignage chrtien. En cela, .D. semble plus proche des pentectistes. Et pourtant, il ne lest pas vraiment puisquil enseigne que le signe dune glise vivante et en croissance cest la participation rgulire la table du Seigneur. ous verrons dailleurs que sa thse dun amoindrissement de la ralit sacramentelle dans un pdobaptisme gnralis reoit aujourdhui lappui de nombreux thologiens issus des grandes glises chrtiennes historiques. Par contre, lpineuse question des confirmations par immersion de personnes baptises enfant pratique autorise par lglise Rforme de France dans le cadre de lUnion de prire reste un sujet controvers et qui doit essentiellement tre abord sur le plan de la pastorale plus que de la dogmatique.

    Cette centralit de la Cne nous la retrouverons galement au terme du chapitre 5 qui dveloppe lapport des pentectistes au renouveau de la spiritualit du 20e sicle. Le pasteur Dallire ne fut ni le premier ni le dernier reprsentant dune glise historique rejoindre le Pentectisme. Pourtant son adhsion toute relative ce mouvement mrite elle aussi dtre tudie en dtail. Comme pour la question du baptme, .D. nous apparat comme un thologien capable de souvrir une spiritualit a priori fort loigne de la tradition calviniste (calvinisme qui par certains cts adoptera une approche cessationiste o les charismes sont cantonns la priode apostolique). En mme temps, en rejoignant les rangs du Rveil il ne renonce en rien au riche hritage de la pense chrtienne qui est le sien. Son mot dordre ses collgues de ne pas crer de divisions en quittant lERF est nouveau une manire de leur rappeler quen matire de foi chrtienne celui qui se croit n daujourdhui risque bien de ne pas tenir la distance. Autant il semble L.D. lgitime et souhaitable de vouloir tre une glise renouvele par lEsprit, autant il insistera pour que ceux qui entrent dans ce renouveau acceptent lhritage dune histoire dont les racines plongent jusquen Abraham. Certes pour le

  • Introduction

    18

    fondateur de lUnion de prire, leffusion sans prcdent des charismes au dbut du 0e sicle, est comprise comme la rponse divine indite cette re de destruction quinaugure le premier conflit mondial. ais quoi quil en soit de ce changement dpoque, rien ne justifie quon le vive en se coupant de tous ceux qui depuis deux mille ans ont aussi t les rceptacles et les porteurs de la foi. .D. nignore pas quels excs le fait de se revendiquer de lEsprit a pu conduire certains chrtiens dans lhistoire. Pour autant, ces pousses de zle spirituelles attestent que lEsprit a toujours t l, prt embraser la vie des croyants. Cela rpond toutes les tentatives de vouloir cantonner lEsprit un temps rvolu de lhistoire ou den faire une sorte de ralit dsincarne et idalise. .D., au nom de son option raliste, accepte que lEsprit nous saisisse corps et me ! ais lEsprit divin nest pas cette force chaotique que tant de paganisme recherche par-del lextase ou la transe. Esprit-Saint, malgr sa fulgurance, se fond dans le grand projet divin dont Christ est la tte : manifester lglise et rassembler le peuple de Dieu. Cest pour se prmunir de tout risque denthousiasme incontrl, qu nouveau .D. propose un point dancrage solide, offert par le Christ lui-mme : celui de la Sainte-Cne. la diffrence du Pentectisme qui privilgie llan missionnaire que lEsprit rend possible, .D. insiste sur la dimension dadoration laquelle sexprime avant tout dans le culte (ce qui est aussi vrai pour les pentectistes !).

    Cela nous conduit examiner trois aspects parmi dautres de lexercice des charismes tels que le pasteur Dallire les a rflchis et pratiqus. Nous aborderons la question du baptme dans lEsprit que beaucoup ont assimil cette deuxime exprience dont les milieux de Rveils parlaient depuis le 18e sicle, notamment dans le mthodisme. Cette question redeviendra importante au dbut des annes 1970 lorsque se dveloppera le mouvement appel renouveau charismatique . Nous voquerons ensuite le charisme de prophtie auquel .D. attachait une grande importance, non pas en ce quil serait une forme christianise de divination, mais parce quil est ce cadre o se donnent comprendre les grands mystres de la foi. Pour L.D., les prophtes sont ceux travers qui Dieu dit son glise o elle en est et o elle doit aller (pour L.D. Karl Barth est un prophte chrtien du 20e sicle). Nous conclurons en abordant la dlicate question de la prire pour les malades. Le Pentectisme, en particulier avec le mouvement Tzigane Vie et Lumire la fortement remise en avant, avec parfois un ct spectaculaire (pour ne pas utiliser ici le terme anglais de show ) qui a paru peu compatible avec lapproche feutre des clbrations chrtiennes classiques. Pour .D., la possibilit dune intervention divine pour changer le cours de la maladie ne pose aucun problme intellectuel. Il nhsitait pas prier et demander que lon prie pour les malades. Mais encore une fois, cette prire devait trouver son cadre le plus juste dans le culte. Demander que le malade gurisse, ctait aussi refuser le rgne de la mort. Cela rejoignait aussi le souci eschatologique de .D., celui dun Rgne du Christ qui anantirait le mal et la mort. Nous terminerons donc ce 5e chapitre par un paragraphe pointant limportance de leffusion de lEsprit en lien avec laccomplissement des temps et la manifestation du Royaume.

    Ce paragraphe fera la transition avec le chapitre suivant consacr la thologie de lhistoire et leschatologie de .D. Bien que ce chapitre vienne en dernier, il constitue une cl essentielle pour comprendre toute luvre du pasteur Dallire. En effet, il aurait pu se contenter comme tant dauteurs contemporains de prendre acte de leffondrement de la culture occidentale et de chercher y rpondre soit dans la veine existentialiste comme dune certaine faon son beau-frre Gabriel arcel lui en montrait la voie, soit en rejoignant lune ou lautre des grandes idologies qui promettaient un monde nouveau (mais quel prix !) comme ce fut

  • Introduction

    19

    le cas de nombreux intellectuels qui adhrrent au marxisme ou lune des formes du fascisme. Bien sr personne ne parlait encore de post-modernisme, de dconstruction ; la mode ntait pas non plus ces nihilismes qui brillent aujourdhui sur les plateaux de tlvision, ni au consumrisme effrn qui propose de combler cette re du vide par laccumulation immodre des biens de consommation dont lobsolescence voulue garantit une recherche jamais acheve. Pour un pasteur comme .D., confront dabord aux ralits dune paroisse rurale dans un dpartement, lArdche, o la vie est exigeante bien des gards, on ne peut se satisfaire de rponses idologiques. ais leschatologie nest-elle pas prcisment la plus illusoire des idologies puisque tout ce quelle promet se situe hors du monde et de lhistoire ?

    ais comme nous lavons dj voqu, .D. a fait lexprience relle de ce que les ralits du Royaume invisible sont dj manifestes ici-bas : cela se vit dans le culte, et plus particulirement dans la clbration de la Cne rendue dautant plus intense que lEsprit descend sur ceux qui se sont assembls pour partager le pain et le vin, signes de la prsence du Seigneur. Ce repas, comme le fait entendre la liturgie, est clbr dans lattente de la plnitude du Royaume venir. Ainsi le repas messianique et eschatologique quest la Cne, oppose un dmenti puissant tout ce qui nierait lesprance de la foi ou la rduirait une attente sans rel fondement ni accomplissement. Pour indiquer ce quest en son fond lesprance eschatologique de .D., nous la situerons dans un contexte la fois philosophique et thologique. Au travers de quelques penseurs contemporains qui ont voulu eux aussi se saisir de cette problmatique nous soulignerons la fois la pertinence mais aussi loriginalit du pasteur Dallire. Il faudra aussi voquer la manire dont le judasme renouvelle cette question. on seulement parce que tout ce qui touche leschatologie chrtienne trouve en grande partie sa source dans les diffrentes formes du messianisme juif. Aussi parce que le sort tragique des Juifs au 20e sicle vient reposer dune manire radicale et incontournable la question dun sens de lhistoire et de la possibilit de maintenir laffirmation de lesprance.

    Avant daborder la pense eschatologique de .D nous voquerons trois figures historiques sur lesquelles lui-mme sest interrog : Montan, Joachim de Flore, Edward Irving. algr les filiations quil reconnat entre ces personnages et lui, .D. dveloppe cependant une approche personnelle quant sa vision de lhistoire. ous retrouverons nouveau des lments importants dj voqus ailleurs dans notre travail souci de lecclsiologie et donc refus des interprtations des prophties bibliques qui tendent faire de lglise une ralit inconsistante (notion dune glise invisible que L.D. refuse au nom du ralisme de sa pense et du concret de lagir de Dieu dans lhistoire) ; refus, au nom dune vision biblique et mystique du cr, de toute dichotomie entre le monde prsent et les ralits spirituelles invisibles ; conviction que dans la trame des vnements, certains jouent un rle prpondrant dans la manifestation du projet divin de salut et que par consquent la lecture de lhistoire ne peut tre purement livre au travail de la raison (ou de la draison). Dans le regard prospectif quil propose sur lavenir, .D. introduit deux lments essentiels sur lesquels il reviendra sans cesse ds le milieu des annes 10. Tout dabord, la rintgration du peuple juif dans le destin venir de lglise. Il ny aura pas de russite de lcumnisme sans regreffage pour utiliser la mtaphore paulinienne de lptre aux Romains du peuple de la premire alliance. e comment de ce processus reste pour .D. de lordre de lesprance mme sil en voit les premiers signes dans la mutation que vont oprer, en ce qui concerne lenseignement sur les Juifs, les grandes glises chrtiennes dans les dcennies qui suivent le 2e conflit mondial. Le Concile Vatican II sera pour .D. une confirmation de son intuition. me sil exprime de la sympathie pour le projet sioniste, il se montre rserv quant lassimilation trop rapide qui

  • Introduction

    20

    serait tablie entre ce mouvement essentiellement non-religieux dans son origine et telle ou telle prophtie biblique concernant le retour des Juifs sur la terre biblique. Ce qui intresse au plus haut point le fondateur de lUnion de prire cest lapport des Juifs reconnaissant en Jsus, le Messie, lmergence de ce quil appelle lglise du Retour . Car pour lui, lglise na pas t voulue par Dieu comme une ralit destine vivre ternellement sur la terre ni concevoir lvanglisation comme une lente transformation du monde en Royaume de Dieu.

    Ce que prpare lglise du Retour, cest le dernier acte de lhistoire humaine ; celui que les prophtes annoncent quand ils versent dans le discours apocalyptique : la victoire sur le mal et la mort. Est-ce parce que dans son enfance .D. avait t confront la perte dune jeune sur, ou est-ce parce quil avait t profondment secou par lhorreur du premier conflit mondial, que lon sent chez lui ce sentiment dune profonde rvolte contre le scandale que constitue la mort Il ne sen est pas beaucoup expliqu mais on devine chez lui un refus existentiel et intellectuel de toute acceptation de la Mort, au sens o elle est cet ultime ennemi qui nargue les cratures de Dieu en brisant toute forme damour, quelle soit de lordre de leros, de la philia ou de lagap. Si Dieu est amour, alors la mort ne peut pas tre. Et si elle ne doit pas tre alors quelle est si prsente en notre temps cest que quelque chose ou quelquun doit la vaincre. Ce fut lerreur du libralisme thologique de croire en un Bien que lhomme pourrait peu peu incarner. Le Bien souhait est devenu un Mal absolu et rcurrent, celui qui a jet des enfants vivants dans des fours crmatoires, celui qui a lanc une bombe atomique sur une population civile impuissante, celui qui par la tyrannie de la technique et de largent offre aux gnrations venir une plante o la vie humaine semble rellement compromise. Pour L.D. il faut donc vouloir la dfaite de la Mort et pour cela que Jsus vienne achever ce quil a inaugur la croix pour quenfin Dieu soit tout en tous.

    ais pour que cela soit, il a choisi la voie la plus improbable, celle de la prire. Il na cherch ni initier un mouvement thologique, ni dvelopper en nombre lUnion de prire. Il est rest le pasteur dune petite paroisse dun petit village de lArdche ; il a cr une modeste cole qui ne durera que trente ans il na jamais rassembl plus de cent cinquante personnes autour de son mouvement il na pas voyag, ni prch par monts et par vaux ; ses crits sont rests confidentiels et sans quelques fidles et amis, son nom aurait rejoint la longue liste des oublis de lhistoire de la thologie.

    Est-ce quil doit encore en tre ainsi ? Ce travail manquerait-il de respect en tentant de sortir de loubli quelquun qui avait si volontairement choisi la discrtion Seul lavenir le dira. ais ce qui est certain cest que bien des analyses dveloppes dans les textes que nous avons patiemment relus, gardent leur pertinence. Cette manire qua incarn .D. dtre la fois dans la fidlit et dans laudace est une voie plus que ncessaire dans notre monde o lalternative consiste soit dans le repli identitaire propice toutes les rancurs et les violences, soit dans la fuite en avant avec tout ce quelle peut avoir de nfaste parce que non rflchie. Et si finalement derrire lune ou lautre de ces postures, ctait encore une fois la peur de la mort et lincapacit surmonter la finitude et la culpabilit (pour citer Ricur) qui imposait son implacable logique ? Et si le seul mot librateur tait celui que Jsus donnait son glise : Maranatha, viens Seigneur ! Car pour chacun dentre nous, quelles que soient les peines ou les joies de la vie, ce dont nous avons profondment besoin, ce nest pas dune explication de la mort mais sa disparition.

  • Introduction

    21

    III. Remarques mthodologiques.

    Au moment o nous terminons cette thse, nous sommes conscients de certaines limites inhrentes notre travail.

    Tout dabord, quand on dfriche une uvre qui navait encore jamais vraiment t travaille par dautres chercheurs, on ne peut pas sappuyer sur un rseau danalyses et corriger certaines opinions qui se forgent en nous. Pour y pallier au maximum jai demand plusieurs personnes qui avaient t proches de ouis Dallire dans le cadre de lUnion de prire de relire certains chapitres et de nous donner un avis. Nous aurions aim profiter de lrudition du professeur Fadiey Lovsky mais il avait dj plus de 95 ans quand nous avons entam ce projet de thse. ors dune visite que nous lui faisions en maison de Retraite et alors quil tait dj trs affaibli, il a simplement dit ses mots : il faut tre dingo, pour se lancer dans un tel projet . ous avons la faiblesse de croire quil navait pas tout fait tort !

    En relisant notre travail, force est de constater que chacun des chapitres 2 6 aurait pu constituer un sujet de thse en soi. Mme si nous avons cherch inscrire notre recherche dans un tat de la question aussi prcis que possible, nous avons d, faute de temps et de place, ignorer bien des pistes, renoncer lire des auteurs ou creuser plus en profondeur telle ou telle problmatique. Notre objectif tait en effet de donner un aperu aussi global que possible de luvre de .D. Il fallait donc peindre grands traits et laisser de ct bien des nuances ou des variantes. Certains aspects de la pense du pasteur Dallire nont pas t abords car ils ne rentraient pas directement dans la vise de nos chapitres (en particulier les tudes de textes bibliques, hormis ce qui y tait dit en lien avec les thmes que nous souhaitions tudier).

    De mme, nous avons trs peu utilis certains textes comme les sermons ou les catchismes. a raison en est simple, cela demandait un travail de saisie des textes qui ntait pas notre porte. Nous ne voulions pas non plus utiliser des textes qui ne pouvaient pas tre vrifis par le lecteur ou le chercheur dans la compilation qui serait jointe notre travail. Pour les catchismes sur lesquels jai malgr tout travaill, la difficult consistait tablir une prsentation cohrente de tous ces cahiers rdigs sur presque trente ans et rgulirement remani. Esprons que dautres aprs nous sauront exploiter tout ce qui reste encore en friche dans les archives. Pour les chercheurs plus intresss par lhistoire, il y a des centaines de pages des ettres dinformation rdiges ds les annes 1950 destination des membres de lUnion de prire. n y trouvera non seulement la chronique rgulire de la vie paroissiale et communautaire Charmes, mais une mine dinformations sur lactualit de lglise et du monde pendant ces dcennies.

    Concernant les articles et les ouvrages utiliss pour clairer la pense de L.D. ou pour la situer dans un contexte plus large, signalons quun certain nombre de contraintes nous ont t imposes. Travaillant essentiellement depuis lArdche, nous navions pas notre disposition de bibliothque thologique importante. Nous avons pu utiliser les ressources de la bibliothque de lUnion de prire qui contient lessentiel des livres du pasteur Dallire. ous avions aussi accumul au cours des annes une bibliothque personnelle qui sur certains aspects est assez bien fournie (en particulier sur les questions lies leschatologie ou au judasme) mais nest pas toujours la pointe de ldition. a possibilit de consulter distance des ressources lectroniques (livres et articles en ligne) a pu pallier certains manques mais pour ce qui est des livres en franais, loffre reste encore insuffisante.

  • Introduction

    22

    Pendant lanne sabbatique lInstitut cumnique de Jrusalem (Tantur, 01-2014) nous avons pu profiter de la vaste bibliothque thologique. L aussi, les dernires publications manquent, en particulier au niveau des revues. Le fonds francophone grce au legs du professeur Cullmann est trs correct, en particulier pour la priode qui nous concernait, mais forcment incomplet. La majeure partie des ouvrages tait en anglais et cela explique pourquoi de nombreuses rfrences de notre travail sont dans cette langue (en particulier pour le chapitre 2).

    Une autre difficult tient au fait que luvre du pasteur Dallire est cheval sur deux mondes qui ne se rejoignent pas vraiment. Dun ct il sinscrit dans tout cet hritage de la thologie rudite quil a lui-mme travaille et sur laquelle il se fonde. ais dun autre ct, il entre aussi en dialogue avec un mouvement qui rejette cette thologie savante (mme si cela change aujourdhui). Ce monde des publications vangliques et pentectistes ne bnficie pas encore dans luniversit franaise dune relle prise en compte. Cette littrature souvent foisonnante et qui joua un rle dterminant dans ces mouvements, nest ni archive ni tudie en profondeur. Cela est particulirement vrai pour ce qui touche leschatologie. Il nous a donc sembl, au moment o nous devions approfondir certaines questions, que nous devions faire dialoguer deux univers intellectuels profondment divergents. Nous avons essay, avec les ressources des tudes anglo-saxonnes, de pallier cette difficult.

  • 23

    1ERE PARTIE :

    UN PARCOURS THEOLOGIQUE

  • 24

  • I. 1 - Biographie

    25

    Chapitre 1

    Louis Dallire (1897-1976), lments biographiques.17

    Bien quil soit toujours un peu artificiel doprer des dcoupages dans la vie dune personne, nous pensons quil sera utile dindiquer malgr tout quelques dates charnires, lesquelles correspondent aussi des tournants importants dans le ministre du pasteur Dallire. Nous distinguerons ainsi trois priodes : 1. les annes de jeunesse, 2. la priode du Rveil, 3. la fondation et lenracinement de lUnion de prire.

    Fig. 1 : Le pasteur Louis DALLIERE, fin des annes 1960 Charmes-sur-Rhne

    (photo, archives UP)

    17 Le document biographique le plus complet se trouve dans la thse du pre J. THOORENS : LUnion de Prire de Charmes-sur-Rhne, mmoire prsent lInstitut Catholique de Paris, 1, 10 p. ous suivons ici le chapitre 4 (p. 63-75). Le pasteur Jacques Serr, proche collaborateur de L.D. a apport des corrections manuscrites lexemplaire conserv dans les archives de lUnion de prire Charmes-sur-Rhne. (Nous abrgerons par la suite cette mention en indiquant : archives UP). Pour lenfance et la jeunesse, L.D. donne des indications dans un article de Esprit & Vie : Toi aussi tu es de ces gens-l ! Luc 22/58 , avril 1934, 23, p. 167-169. Il y revient encore dans un texte de 1946 : 3e runion en vue de la fondation de lUnion de prire (25.06.1946).

  • I. 1 - Biographie

    26

    I. 1.1. Les annes de jeunesse (1897-1930).

    Pendant de longues annes, lUnion de prire dont le pasteur ouis Dallire fut linitiateur, resta troitement lie lArdche. Cest dans cette rgion quil passa lessentiel de sa vie puisque tout son ministre eut comme cadre le village de Charmes-sur-Rhne avec les quelques localits voisines qui ensemble formaient la paroisse protestante (Soyons, Saint-Georges-les-Bains, Gilhac et Bruzac). me arriv lge de la retraite, .D. choisit de demeurer sur place, dans la maison de Boissier o lUnion de prire depuis 1 avait trouv son ancrage.

    Pourtant, par ses origines familiales et le parcours de ses jeunes annes, rien ne laissait prsager un tel enracinement ardchois. Cest loin de la France, Chicago, aux tats-Unis, que L.D. va voir le jour le 4 juillet 1897.18

    Voici ce qucrit labb Thoorens au sujet de ces premires annes : [63] Son pre qui travaillait au Comptoir National d'Escompte s'y trouvait en dplacement. Il avait pous l'anne prcdente une anglaise et le mariage avait t clbr dans l'glise Anglicane. Lui-mme tait catholique, mais sans beaucoup de convictions et plutt par naissance, la famille Dallire fixe en Anjou depuis 1600, ayant toujours t catholique. Sa femme n'tait pas pratiquante non plus mais avait conserv assez de Foi pour apprendre son fils quelques annes plus tard le Notre Pre en anglais.

    Le pasteur Dallire gardait aussi de son grand-pre un souvenir trs net car il tait mort g : c'tait un travailleur et un homme de devoir, employ la compagnie de luest et qui termina sa carrire un poste important la gare St. Lazare. Catholique de religion, non pratiquant, d'esprit plutt voltairien mais pas fch sans doute que sa femme, issue d'une famille bourgeoise d'Alenon soit plus pieuse que lui.

    [64] Louis Dallire fut baptis avec son frre cadet, dans l'glise Anglicane en 1901 Nice o son pre avait son nouveau poste. Mais ensuite jusqu' dix ans on ne se soucia pas d'instruction religieuse. C'est un malheur familial (le dcs de sa jeune sur) qui fut l'occasion de son inscription l'cole du Dimanche.

    De Nice la famille tait venue Paris puis Saint-Germain-en-Laye. Elle s'tait agrandie entre temps d'une sur et de deux nouveaux frres. En 1907 M. et Mme Dallire perdirent leur sixime enfant ; et dans les contacts qu'il eut avec eux ce moment, le pasteur de Saint-Germain s'inquita de l'instruction religieuse des ans.

    Louis fut confi M. Reyroux puis son fils Edouard qui exera sur lui une grande influence. C'est de 1910 qu'il date sa premire conversion Jsus-Christ. Il est reu dans l'glise Rforme le 26 mai 1912, frquente l'glise de Saint-Germain et devient moniteur de l'cole du Dimanche pour les petits. Il lit ce moment des ouvrages religieux de W. Monod, T. Fallot, G. Frommel. Dans le mme temps il est lycen Saint-Germain, en section scientifique ; lycen brillant parait-il. [] Il s'intresse surtout aux mathmatiques qu'il dsire enseigner, passe ses 2 bachots [baccalaurats] en 1913-14 et fait math-sp. Condorcet.

    Alors a lieu sa 2e conversion. Il se sent appel au pastorat. Fin 1915 il entre la facult de thologie de Paris. Il en suivra les cours jusqu'en 1921, avec une interruption d'un an qu'il consacre un service auxiliaire de l'arme.19 Parmi ses professeurs, [] Il y a Henri onnier

    18 Le 4 juillet est la fte nationale des tats-Unis. ouis est lan. Il sera suivi de frres et surs : Emile (1900 ; il sera aussi pasteur mais suite son adhsion au pentectisme dveloppera un ministre indpendant en Normandie) ; Marcel (1902) ; Marguerite (1904) ; Raymond (1906) ; Hlne (1907, dcdera lge de semaines) ; Aline (1909-1934) ; Charles (1912). 19 Sans avoir vraiment connu lhorreur des tranches, . D. reviendra souvent sur le choc de civilisation que fut ce conflit pour de nombreux esprits. Je cite simplement cet extrait dune lettre son ami Pierre Ducros (27 octobre 1922) : Tu sais que ce ne sera pas moi qui te jetterai la premire pierre parce que tu as souffert comme soldat. Jai perdu davril dcembre 11 tout le peu de morale, de religion et de certitude que javais pu recevoir durant la premire priode de ma vie. Dans cette correspondance, L.D. exprime longuement son aversion envers toute apologie militariste de la guerre (6 mars 1923) : La tche urgente est de dtruire la foi en la guerre et en la gloire militaire. Tout ce que je me demande, cest si une action non spcifiquement chrtienne dans ces croyances, peut lutter dune

  • I. 1 - Biographie

    27

    qui donne des cours sur le Nouveau Testament ; Eugne de Faye qui enseigne la patristique ; Adolphe Lods. Il y a surtout Maurice Goguel, trs libral, trs fort, dit M. Dallire, et trs objectif sur St. Paul. [].

    Surtout il y avait Wilfred onod dont . Dallire fut plus que l'lve, le disciple. [] Auteur de nombreux livres religieux comme Silence et Prire , dont on a vu qu'avant [65] de le connatre, L. Dallire en avait lu certains. Est-ce que ce sont ses thses de licence et de doctorat en thologie qui portaient sur : L'Esprance chrtienne : le Roi , L'Esprance chrtienne : le Royaume , qui fixrent aussi son attention sur le Retour du Christ ?

    En mme temps, il poursuit des tudes de philosophie la Sorbonne, et obtient la licence. Bergson semble avoir exerc sur lui une profonde influence, Durkheim galement et leurs noms reviendront ponctuellement dans ses crits ultrieurs.

    En 1921, il fait un voyage Rome.20 Est-ce en lien avec le sujet de sa thse de baccalaurat en thologie intitule : Peut-on dmontrer que l'Aptre Pierre est mort Rome ? . Il reviendra en 1923 sur cette question dans un de ses premiers articles thologique.21 Remarquons dj son intrt pour la problmatique ecclsiologique, puisque dans sa thse et dans larticle cit, est soulev un des points centraux du dbat entre catholiques et protestants, savoir le rle du ministre ptrinien. Mme si dans ces premiers crits L. D. adopte un ton trs protestant, il ose une incursion en territoire thologique catholique. Cet intrt pour la doctrine catholique en annonce bien dautres au point de le faire souponner quelques annes plus tard de drive catholicisante !

    La mme anne 1921, en dcembre, il pouse Marie-Caroline Boegner,22 fille dAlfred Boegner, Directeur de la Socit des Missions vangliques de Paris et cousine germaine de Marc Boegner, le futur prsident de la Fdration Protestante de France (1929-1961) et de lglise Rforme de France (1938-1950). Par cette union, il entre de plein pied dans le cercle des protestants influents et ces relations lui seront plus tard utiles quand son refus de continuer baptiser les nouveau-ns ou son soutien au pentectisme, un mouvement trs peu Haute Socit Protestante sil en est, lui vaudront de srieuses oppositions.

    Par le biais de son pouse, cest aussi avec laile vanglique du protestantisme quil se lie. En effet, la mre de Marie Boegner, Emilie, tait fille d'Edmond Dehault de Pressens et sur de Francis, journaliste engag en faveur de Dreyfus.23 a famille de Pressens stait trs nergiquement engage dans la seconde moiti du 19me sicle dans le dbat entre orthodoxes et libraux, en prenant fait et cause pour les premiers. Faut-il rappeler le contentieux profond entre la facult de thologie du boulevard Arago et la Socit des Missions, situe un peu plus haut dans la mme rue, quant la formation des pasteurs et des missionnaires. Voici ce qucrit Anne Marcel ce sujet :

    faon durable contre le mal. La guerre est en effet une matire de croyance ; le militarisme fait partie dune religion et dun culte. Ce nest pas de la pratique pure, cest de lesprit qui est dans le pch. r je ne vois pas comment lutter contre une croyance, autrement quen la dominant par une vrit plus haute, en opposant au Culte paen le Culte chrtien . [ot soulign par lauteur] 20 Il gardait un merveilleux souvenir d'une rencontre avec Mgr. Duchesne ( 1922), historien de l'glise. Je cite ce dtail pour indiquer combien L.D. ds sa jeunesse fut ouvert au dialogue avec des auteurs catholiques. 21 a mort de lAptre Pierre et les rcentes fouilles de Rome. propos de louvrage de Hans Lietzmann , Revue dHistoire et de Philosophie Religieuse, 1923, 3, p. 145-155. 22 THOORENS prcise : Il la connue dans une uvre d'enfants dont elle s'occupait. (op. cit., p. 66). 23 A. SCHWEITZ, Les parlementaires de la Seine sous la IIIme Rpublique, vol. II : Dictionnaire biographique, Paris : Publications de la Sorbonne, 2001, p. 486-487.

  • I. 1 - Biographie

    28

    Nagure, Alfred Boegner prfrait que les lves missionnaires reoivent leur formation la Maison des Missions mme et non pas la Facult de Thologie protestante sur le trottoir d'en face ; un peu plus tard, celui qui devait devenir le grand pasteur de l'Oratoire, A.-N. Bertrand, libral trs intransigeant dans sa jeunesse, rencontra des difficults pour se faire admettre comme missionnaire, en raison de son refus de toute croyance transmise autrement que par l'action directe et personnelle du Saint-Esprit. 24

    Quand on connat lopposition thologique farouche que L. D. aura envers bien des aspects du libralisme thologique, on peut se demander si ses liens avec sa belle-famille nont pas aussi jou un rle important ?

    Les jeunes maris quittent bientt Paris et traversent lAtlantique pour passer une anne scolaire (1922-1) luniversit de Harvard, aux tats-Unis. L. D. y suit notamment les cours du philosophe amricain W.E. Hocking.25 Cest trs certainement sur les conseils de son beau-frre, le philosophe Gabriel Marcel, que L. D. avait entrepris ce voyage. G. Marcel avait lui-mme suivi les cours de Hocking quelques annes auparavant et lui avait ddi son Journal mtaphysique.26 Par ces liens familiaux, par les changes quils ont suscits, on devine dj les grands thmes qui formeront plus tard les axes majeurs de la thologie de L. D. : la place de la thologie par rapport la philosophie la foi qui, bien quincarne dans une tradition confessionnelle particulire, doit malgr tout se laisser raviver sous risque de se ptrifier dans une religiosit sans force.

    Pendant ce sjour amricain, il entretient une correspondance avec quelques amis rests en France.27 Ces longues lettres sont aussi loccasion de prendre position, de jeter les bases dune rflexion thologique venir. Dans ces crits, on devine un intellectuel qui loin de se laisser emporter par les penses la mode, a dj quelques ides bien arrtes sur ce quest la vocation du chrtien dans une socit dont les idaux se sont fracasss dans les tranches de 14-18. Jacques Serr dans son tude sur la pense de L. D. telle quelle sexprime dans ses crits de jeunesse, cite ce passage dune lettre Pierre Ducros28 :

    Ce que jai en vue surtout, cest une rhabilitation de la pense religieuse que je souhaite de tout mon cur. Comment collaborer cette uvre dune manire efficace, cest une autre histoire. Il me semble que deux tches se prsentent, tude sur la nature de la pense, tude sur la nature de lglise, ou, si tu veux, le Christianisme considr comme une glise. Cest par ce dernier bout que je commence (Lettre du 1er avril 1923).29

    24 Gabriel Marcel entre le protestantisme et l'glise , in Prsence de Gabriel Marcel, 2004, 14, p. 72. 25 L. DALLIERE prsentera la philosophie de Hocking dans un article de 1929 : W-E Hocking : la refonte de la nature humaine , Les Cahiers de Foi et Vie, Paris, trimestriel sans date, ca. 1929, 71 p. Nous avons consacr notre mmoire de fin dtude en philosophie la pense de ce philosophe : BOUILLON, David, William Ernest Hocking : Aspects dune philosophie idaliste amricaine, Universit Catholique de Louvain : Facult de philosophie, 1991 (mmoire de Matrise). 26 Sur les liens entre Dallire et arcel, lire larticle dAnne MARCEL (op. cit., essentiellement les pages 75-90 qui puisent largement dans une correspondance indite entre les deux hommes). 27 Une partie de ces lettres est conserve dans les archives de lUnion de prire Charmes-sur-Rhne. 28 Pierre Ducros (1900-1) tait un ami dtude de .D. Il sera consacr pasteur en 1 et finira son ministre dans la paroisse de lratoire du ouvre Paris, haut lieu de la thologie librale. Malgr une amiti profonde et des liens troits entre les deux hommes (.D. sera le parrain de lun des fils de P. Ducros), leurs orientations thologiques trop divergentes les loigneront peu peu. Il ny a pas dautre correspondance ultrieure entre eux dans les archives. Il fut aussi engag dans le mouvement du christianisme social. Il publiera plusieurs ouvrages rfrencs par la Bibliothque nationale de France : http://data.bnf.fr/documents-by-rdt/12171956/70/page1 (consult 23/02/2016) 29 Pour un ralisme chrtien loption philosophique du pasteur Dallire (voir p. 13 ci-dessus).

    http://data.bnf.fr/documents-by-rdt/12171956/70/page1

  • I. 1 - Biographie

    29

    De retour en France, et ayant achev sa formation thologique, lheure semble venue dentrer dans le concret du ministre en paroisse. Mais L. D. hsite : ne devrait-il pas prolonger dune anne ses tudes philosophiques Il sen ouvre dans une autre lettre son ami Pierre Ducros (janvier 1923).30 Pourtant lautomne 1, il rejoint la paroisse de Charmes-sur-Rhne en Ardche (avec la charge des villages voisins : Saint-Georges-les-Bains, Gilhac et Bruzac, Soyons). En janvier 1925, il y est consacr pasteur,31 et nomm officiellement comme pasteur de lglise Rforme vanglique de Charmes-sur-Rhne.32 Voici ce quil crira quelques annes plus tard sur les dbuts de son ministre :

    es certitudes de la Foi taient grandes en moi, la pense tait heureuse, le cur ne l'tait pas encore. Au contact d'une paroisse de campagne la morsure de la tristesse grandit beaucoup dans mon cur sans que j'en connusse bien la cause. Je fus ce moment je crois, ce qu'on appelle un bon pasteur mais la soif de communion parfaite avec les mes n'tait point tanche. Chercher l'absolu dans une glise o tout est relatif, c'est heurter les mes et se heurter leur prudence avise qui ne se livre pas. Chercher cet absolu sans connatre le Baptme du St. Esprit c'est se condamner tre emptr dans des dceptions de toutes sortes. Dieu m'aida encore ici par des lectures... Je recherchai dans toutes les confessions chrtiennes les lectures qui parlaient de l'union de lme Dieu, de la plnitude de la joie et de l'amour des mes entre elles dans la vraie glise du Christ. 33

    Les quatre annes qui vont suivre, en plus du travail quotidien dun pasteur de paroisse rurale, le verront aussi poursuivre sa rflexion thologique et rdiger une quarantaine darticles de longueur et dintrt trs variables (voir la bibliographie). utre des articles de circonstances comme des recensions de livres ou ses ractions certains vnements touchant la vie protestante, il creuse deux veines thologiques principales : une rflexion ecclsiologique lie un renouveau de la spiritualit une critique du rle dltre qua jou pour lui la philosophie kantienne (ou no-kantienne) sur la thologie protestante du 19e sicle en la dconnectant du rel, quil soit celui de lexistence concrte ou du monde invisible.

    Pendant cette priode, on notera sa collaboration au journal protestant de droite La Vie Nouvelle, (de septembre 1925 janvier 1928).34 Certes, ce ntait un secret pour personne que le pasteur Dallire navait pas de sympathie pour ce que lon dsignait alors par la gauche (pour beaucoup, lis la mouvance des radicaux-socialistes), mme si de grandes

    30 J. SERR, ibid. 31 Cest le pasteur Henri onnier qui prside cette conscration. Cit par J. THOORENS, op. cit., p. 37. Sur Henri Monnier, voir J. VALYNSEELE, Monnier, Henri , in LAPLANCHE, F., d., Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine. Vol. 9 : Les Sciences religieuses : Le 19e sicle : 1808-1914, Paris : Beauchesne, 1996, p. 480-481. 32 cette poque, le protestantisme rform franais se divise en deux grandes unions : 1) glise Rforme vanglique, comprenant la majorit des paroisses ; 2) glise Rforme de France, dite de Jarnac. a runification des deux ne se fera quen 1. 33 L. DALLIERE, Toi aussi tu es de ces gens-l ! , op.cit., p. 168a. 34 impression que la collaboration cette publication fut considre plus tard par . Dallire comme une parenthse regrettable, ou du moins comme un engagement dsavou par ses choix thologiques ultrieurs, est perceptible dans le style mme de ces articles. n a limpression que ce nest pas vraiment la mme personne qui crit. Ici le style est souvent mordant, polmique avec une pointe darrogance. Signalons que ce journal protestant avait un temps cess de paratre avant dtre relanc en 1925 par Louis Lafon, avec cette fois une orientation trs droite (P. WOLFF, dir., Les protestants en France, 1800-2000, Toulouse : Privat, 2001, p. 137 ; G. DAVIE, extrme-droite protestante , in Les protestants franais pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris Socit de lHistoire du Protestantisme Franais, 1994 [Supplment au Bulletin de la SHPH, N 3], p. 91-104 ; J. BAUBEROT, volution du groupe socio-religieux protestant dans la socit franaise contemporaine. Indicateurs : Politique et thique sexuelle , in glises et Groupes religieux dans la socit franaise : intgration ou marginalisation, Strasbourg : CERDIC, 1977, p. 151-153, coll. Hommes et glise, 8).

  • I. 1 - Biographie

    30

    figures protestantes sen rclamaient.35 Lui-mme affichait parfois ses options royalistes (il semble quil ait t abonn au journal Sully, publication des royalistes protestants).36 Mais la diffrence des nombreuses plumes protestantes qui sexprimrent dans ces publications, L.D. ne cda pas aux sirnes de lantijudasme, encore moins de lantismitisme.37 Avec le recul, lui-mme semble avoir considr cette collaboration comme un engagement malheureux voire regrettable, car apparemment, ces crits furent par la suite compltement ignors de tous ceux qui ctoyrent L.D.38 Soulignons que ces articles nont rien de politique39 mais portent sur lecclsiologie et la question de lunit, sur la philosophie et galement sur le Rveil de la Drme (les Brigadiers ). Ces crits sont donc dans la ligne des autres textes quil rdige pour des revues ou des journaux moins polmiques.40

    35 Il reconnat pourtant que, dans sa jeunesse, il a eu des affinits pour le socialisme. Il le dit dans une lettre P. Ducros (27 novembre 1925) : Jai t dvoy non pas pour avoir ralli le socialisme ou le communisme au lieu des partis modrs. Jai t dvoy en confondant lvangile avec des doctrines humaines. Mon changement, que tu connais, a t de prendre pied toujours plus solidement sur le roc du dogme chrtien. Jai lair de brler ce que jai ador en disant du mal du socialisme et du communisme. En fait jespre, grce Dieu, garder toujours une intense piti pour tous ceux qui souffrent, une ardente prire pour que nous soyons dlivrs du mal. Mais je combats les doctrines philosophiques qui sont contraires au dogme chrtien o se trouve la vrit . Il le confirme dans un article de la Vie Nouvelle (31 dcembre 1926) : Je ne vois pas dobstacles communier avec des coreligionnaires qui sont ou qui restent encore pour un temps enrls dans la mystique socialiste. Jy ai bien t enrl moi-mme avant de conqurir la libert protestante . 36 Parmi les ouvrages de la bibliothque du pasteur Dallire, on trouve des livres du pasteur Nol NOUGAT (dit VESPER), abattu par la rsistance en raison de ses prises de position trop favorables la collaboration. En ce qui concerne la monarchie, la citation suivante indique bien vers quel bord politique allaient les sympathies de . D. Un rpublicain convaincu naurait sans doute pas adopt la mme lecture des vnements : L'histoire des temps modernes est celle d'une succession de digues qui s'croulent les unes aprs les autres devant le flot du dsordre. Pour notre patrie, il y a eu la digue des Bourbons, puis l'excution de Louis XVI ; la digue napolonienne, suivie d'croulements lamentables , in La situation de lglise par rapport au monde scularis, 1947, p. 10 (archives UP). 37 Cela dit, le pasteur Dallire, comme de nombreux Franais, estime quil y a dans le monde des puissances de largent qui oeuvrent de manire secrte. ais cest plus la marque dun antimaonnisme que de lantismitisme. n peut citer ce passage un peu ultrieur : Que se passe-t-il dans les conciliabules des rois de l'argent, dans les socits secrtes et internationales dont on souponne l'existence et entre les mains desquelles les plus fougueux dictateurs ne sont que des marionnettes peut-tre ? ( Pre, pardonne-leur ! , Esprit & Vie, fvrier 1935, 2, p. 20). 38 D. BUNDY qui publia la premire bibliographie quasi exhaustive des crits de L. D. rdigs avant 1, ne mentionne aucun de ces articles [ mergence dun thologien pentectisant : les crits de Louis Dallire de 1922 1932 , in Hokhma, 1988, 38, p. 23-51 (avec une bibliographie trs complte des crits de L. D. pour cette priode). Version anglaise de cet article : The Making of A Pentecostal Theologian. The Writings of Louis Dallire, 1922-1932 , EPTA Bulletin, 1988, 7 / 2, p. 40-64. Pour la priode 1932-1939, consulter : Louis Dallire : Apologist for Pentecostalism in France and Belgium, 1932-1939 , in Pneuma, 1989, 10 / 2, p. 85-115.]. J. Serr et F. Lovsky pourtant trs proches du pasteur Dallire, nen avaient pas non plus connaissance. 39 Il faut rappeler combien, dans sa correspondance avec son ami Pierre Ducros, L. Dallire avait critiqu le nationalisme quand il srige en culte. Extrait de sa lettre du mars 1 : Je crois que ltat est pour beaucoup desprits, une religion, avec son service, ses sanctions dernires, son Culte et ses sacrifices. Et ce culte mest odieux parce quil exprime un athisme fondamental, la ngation dune vrit mtaphysique universelle. Au-dessus du Droit de la France, il y a Dieu. Au-dessus des vrits franaises, il y a Dieu. Au-dessus de la nation, il y a lglise universelle. 40 L. D. le dit clairement dans un courrier son