Education aux médias et à l’information : une urgence citoyenne et pédagogique

Sophie JEHEL MCF Université paris8 chercheure CEMTI, conseillère scientifique Enjeux e-medias

Christine MENZAGHI, responsable société de l’information à la Ligue de l’enseignement, secrétaire générale Enjeux e-Médias

www.Enjeuxemedias.org

Plan de l’intervention

• Une préoccupation qui est à la base d’un collectif : Enjeux e-medias

• Une préoccupation au cœur de la refondation de l’école

• Urgence citoyenne :

- les enfants sont immergés de plus en plus tôt dans un environnement médiatique

- ils développent des habiletés techniques diverses mais généralement limitées, avec une tendance à la « naturalisation »

- Ils sont exposés à des images et messages de valeur hétérogène, dans des configurations souvent chaotiques (fils d’actualité, stories..)

• Urgence pédagogique:

- l’école peut renforcer sa mission en se rapprochant de la culture spontanée des jeunes

- Elle peut y trouver des objets lui permettant de travailler sur des valeurs de citoyenneté

- Elle doit aider les enfants à développer une culture de l’image et de sa polysémie (exemples d’outils et d’actions)

Enjeux e-médias un collectif pour construire une co-régulation des médias• Penser ensemble éducation, qualité de l’information, régulation des médias =>

diversité des initiatives

• Qualité de l’info: Soutien à l’ODI et à l’APCP

• Coopération avec le CLEMI, Canopée, pour développer l’éducation aux médias dans un continuum éducatif (master éducation aux médias en ligne et qualifiant)

• Vigilance quant à la dérégulation vis-à-vis des mineurs (coopération avec le CSA; la CNIL, le forum ORSE): positions contre l’avis de l’académie des sciences, position contre les 3-6-9-12 ; position défavorable à la libération de la publicité pour les jeux d’argent en ligne; position favorable à la protection des mineurs témoignant à l’écran; position favorable à l’alignement des obligations en matière de protection des mineurs sur le web et à la télévision….prise de position récente en faveur du droit à l’oubli et au développement des communs numériques (Loi sur la république numérique)

Education aux médias : repères historiques

•

-1950 : naissance du concept- 1982 : Déclaration de Grünwald, appel aux politiques- 1983 : Création du Clemi- 2006 : Directive européenne SMAD- 01/2011 : Déclaration de Bruxelles. - 2013 : L’EMI dans de la Loi de refondation de l’école- 7 janvier 2015 : Attentat au journal Charlie-Hebdo

L’opportunité de la loi de refondation de l’école : EMI comme mission fondamentale de l’école

• Loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la Refondation de l’École de la République.

• « Il est impératif de […] permettre aux futurs citoyens de trouver leur place dans une société dont l’environnement technologique est amené à évoluer de plus en plus rapidement. »

• La formation dispensée dans les écoles élémentaires « contribue […] à la compréhension et à un usage autonome et responsable des médias, notamment numériques. »

• Reconnaissance d’un travail initié il y a 30 ans : CLEMI

• Extension à tous les niveaux de l’école

Urgence citoyenne : des Jeunes très pratiquants et précoces Les 7-12 ans :

• 9h50 TV par semaine

(2h09 par jour Médiamétrie pour les 4-14 ans en 2013)

Dans le même temps 24% sont sur Internet et 26% sur leurs jeux vidéos

• 4h50 jeu vidéo par semaine

• 5h Internet par semaine

• 19 % possèdent une tablette

• 10% un smartphone

• 21% compte Facebook (≠ 85% des adolescents de 16-18 ans)

(Source Ipsos Juniorconnect 2014)

Fracture numérique : enjeu cognitif et non d’équipement

Urgence : intensité de l’engagement sur les RSN• Des pratiques concentrées sur 4-5 plateformes; place centrale des

RSN

• Des pratiques dictées par les demandes des industries du numérique:

- Exposition de soi, exposition à la surveillance

Pratiques « d’espionnage » et de fichage

- Exposition de ses activités

- capitalisation des amis (glissement de FB à Snapchat)

- Difficulté particulière des jeunes en collège (=> renforcer la prévention en primaire)

L’abandon du mythe des digital natives, des jeunes exposés et en retrait• Des pratiques peu maîtrisées

- ennui, difficulté à trier les amis

- Difficulté à maîtriser : identités standardisées (identité agissante, identité calculée, identité déclarative, F Georges)

• Travail des algorithmes sur les fils d’actualité

• Haut niveau d’inquiétude (virus, données perso, escroquerie, insulte-harcèlement)

• Développement de stratégies de retrait/ choix de nouvelles plateformes (Snapchat)

• Situation différenciée des filles et des garçons

Urgence pédagogique: accompagner les enfants face à une information chaotique• Qu’est-ce que « l’information » des ados sur les RSN

• Le fil d’actualité comme source principale d’info

• Pêle-mêle: hétérogénéité, et absence de hiérarchisation

• Violences, appels au harcèlement

• Sentiment d’impuissance

Des programmes qui promeuvent une contre-ecole : la téléréalité• Une école du néo-libéralisme: un sujet qui se pense comme une

entreprise

• Promotion de la compétition à outrance : l’amour, la cuisine, le mariage

• Stéréotypie, hiérarchie (les prétendants, les séducteurs)

• Hyper-sexualisation des filles (les crevettes et les plastocs) et des garçons

• Valorisation de l’agressivité, du clash

• Valorisation de la trahison, « confessionnal »

L’utilisation des outils numériques : un objectif insuffisant• Éducation aux médias n’est pas éducation avec les médias

• Étude de OCDE PISA septembre 2015 : résultats scolaires plutôt moins bons lorsque les écoles recourent bcp aux TIC

• Faire comme les médias n’est pas non plus l’objectif de l’EMI: risque de caricaturer le pire des pratiques médiatiques (sensationnalisme, stéréotypie, simplisme, peoplisation…)

Quelle définition pour l’Education aux médias et à l’information (EMI)• « Eduquer aux médias est une initiation politique qui n’a de sens

qu’en démocratie, en effet la démocratie à la différence de tous les totalitarismes est fondée sur la reconnaissance de la pluralité des opinions, dès lors l’école se doit de former à une lecture exigeante de cette information plurielle, cela revient à créer des ateliers de démocratie » (J. Gonnet)

• EMI multimédia : presse, TV, RSN, Jeux vidéos, radio

• pluralité des contenus : information, fiction, publicité, téléréalité, cinéma, divertissement

• Pluralité des approches : historique, économique, morale et civique, analyse de l’image…

Les objectifs de l’EMI

• la construction d’une « opinion personnelle » autonome sur les contenus, capable de « résister aux manipulations »,

• Le développement d’une expression libre, adaptée aux contextes de communication (cf. Catherine Becchetti-Bizot, Alain Brunet L’éducation aux médias, enjeux, état des lieux, perspectives. Rapport IGEN et IGAENR, août 2007, p. 18-19.)

• approche complexe « économique, sociétale, technique, éthique »

Les objectifs de l’éducation morale et civique• la transmission des valeurs fondamentales des sociétés

contemporaines : « dignité de la personne, liberté, égalité, fraternité, solidarité, refus des discriminations, respect… »

• l’autonomie (glossaire de l’Education nationale) « ne signifie pas « faire sa loi » mais reconnaître et vouloir ce qui peut effectivement prétendre au statut de loi, c’est-à-dire ce qui peut effectivement être voulu par tous sans contradiction »

• « exige une forme de décentration de sa propre personne, essentielle dans la régulation des relations interindividuelles » (encouragement à l’empathie)

Qui suppose des pratiques pédagogiques adaptées• l’articuler EMC (et EMI) à la formation de l’esprit critique et à

l’initiation au débat.

• un enseignement à 4 dimensions : une prise en compte de la sensibilité et des émotions, l’apprentissage du droit et de la règle, une dimension cognitive visant à la formation du jugement personnel par l’argumentation, enfin une dimension d’engagement.

Ouvrir les sens des images

• Transformation du statut des images

• Communication par l’image : plus rapide, communication immédiate, fusionnelle, risque de court-circuit du langage

• Diversification des régimes esthétiques : le beau, le dérisoire, l’événementiel

• Réduction de l’image à un message univoque (envoi de photos de chaussure)

Des outils disponibles

• Decryptimages (pour les 6 et 8 ans)

• Brochures Internet sans crainte

• Internet : Vinz et Lou

• Magistère educ aux médias : parcours de formation

• La publicité : Adidas

• E-EAV

DecryptimagesPour les 8 ans

Magistère Plateforme de formation qualifiante sur Canopée

Vidéo : « Conception d’un webdocumentaire en CM2 » (6 min 19), produit par le SCÉRÉN-CNDP (Agence des usages).

Publicité : l’action d’Enjeux e-medias sur la campagne de pub d’Adidas• trois slogans : « sème le désordre », « gagne tout », « impose tes

règles »

• Joueurs de foot : Lionel Messi et Luis Suares

• L’agressivité dans la communication de Adidas : there will be haters

• . Recommandation image de la personne humaine

• 3.3 - La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique.

• 3.4 - La publicité ne doit, en aucun cas, par ses messages, ses déclarations ou sa présentation, banaliser la violence »

Recommandation Enfant (de l’ARPP autorité d’autorégulation de la publicité)• 2 principes de Responsabilité sociale :

• « La publicité doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale :

• 2/1 La publicité ne doit pas présenter favorablement des actes antisociaux ou délictueux, ni inciter les enfants à commettre de tels actes.

• 22 Elle ne doit pas légitimer des comportements qui seraient contraires aux principes de citoyenneté, aux règles du savoir-vivre, d’hygiène de vie, de protection de l’environnement ou de respect des autres.

• 3 principes relatifs à la représentation de la violence: « La publicité doit éviter toute scène de violence ou de maltraitance, directe ou suggérée, que celle-ci soit morale ou physique.

• 42 Elle ne doit en aucun cas, par ses messages ou sa présentation, banaliser la violence ou la maltraitance, ni donner l’impression que ces comportements sont acceptables.

• 4 3 Elle ne doit pas inciter les enfants à reproduire des comportements agressifs ou violents.

=> Les affiches reconnues comme non conformes aux recommandations de l’ARPP par le jury de déontologie, voir le site enjeux e-media: http://www.enjeuxemedias.org/Suite-a-l-avis-du-jurt-de

Pour aller plus loin• www.enjeuxemedias.org

• S. Jehel Parents, médias, qui éduque les préadolescents? Erès 2013

• S. Jehel Observatoire Basse Normandie. Les pratiques numériques des jeunes: quels accompagnements consolider? Octobre 2015, à télécharger sur le site des CEMEA: http://enfants-medias.cemea.asso.fr/spip.php?article1382

• S. Jehel « Sociabilités numériques des jeunes et mobilités : un ascenseur social en trompe-l’oeil ?» in Parcours de jeunes et territoires Rapport INJEP 2014, Paris, La documentation française.

• S. Jehel « L’image dans l’éducation aux médias et à l’information » in Propédeutique au numérique, in Vers une Propédeutique numérique : Former les citoyens à l'ère de l'Internet (dir.) M. Ihadjadene, A. Saemmer, Cl. Baltz, ed. Hermann. 2015

• S. Jehel « Les risques médiatiques, les industries culturelles et l’éducation aux médias à l’école ? » in A. Kiyindou (dir.) Éducation aux médias, à l’heure des réseaux sociaux, Paris, L’Harmattan. 2015

• S. Jehel « L’éducation aux médias comme démarche participative et heuristique. Analyser les modalités de distanciation face aux programmes de téléréalité. » in M. Loicq (dir) Les jeunes, acteurs des médias. Participation et accompagnements, Paris, Centre d’études Jeunes et médias (accessible sur son site).2015

• S. Jehel intervention dans « Mooc @ddict », Université de Nantes, séance consacrée aux « dealers du numérique » (26 janvier, 2015 accessible en ligne)

• S. Jehel « Les pratiques des jeunes sous la pression des industries du numérique » Journal des psychologues octobre 2015