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Education et croissance économique : test du modèle de Lucas [1988]
Marielle MONTEILS *
Le débat relatif au rôle de l’éducation sur le processus de la croissance économique a connu une ampleur
considérable. Ainsi, l’argumentation selon laquelle les modèles de croissance endogène expliquent la croissance
de long terme est souvent avancée. La production de capital humain par le système éducatif induirait notamment
une croissance auto-entretenue car les rendements marginaux de ce nouveau facteur sont au moins constants.
L’objet de cet article est de tester empiriquement l’hypothèse clé du modèle de Lucas [1988] : les rendements de
la production de capital humain sont – ils réellement non – décroissants ? En s’appuyant sur une étude empirique
concernant la France aux 19ème et 20ème siècles, les résultats semblent infirmer la probable nature endogène de la
croissance induite par le capital humain car le stock de capital humain présente, au même titre que le capital
physique, des rendements décroissants.
Education and Economic Growth : Lucas’ Model [1988] Test
The debate concerning the various determinants of economic growth has attracted considerable
attention. Thus, the argument that endogenous growth account for long-term economic growth is often put
forward. The models affirm that the introduction of human capital, as new accumulation factor, induces self-
maintained economic growth because its returns are at least constant. The aim of this article is to test the
hypothesis of endogenous growth in Lucas’ [1988] model : human capital production returns are really non-
decreasing? With an empirical study concerning France for the 19th and 20th centuries, the results seem to be in
contradiction with the hypothesis of the new growth theories because of decreasing returns of human capital.
* LAMETA. Université Montpellier I, Faculté des Sciences Economiques, Espace Richter, Bureau 522, Avenue de la Mer B.P. 9606, 34054 Montpellier Cedex 1. TEL : 04 67 15 83 22, FAX : 04 67 15 83 83, E-mail : [email protected]
2
INTRODUCTION
Les nouvelles théories de la croissance confèrent à l’éducation et au savoir en général
une place et un rôle central en tant que moteur essentiel de la croissance économique. Dans la
lignée du modèle de Lucas [1988], l’éducation est au cœur du processus de croissance car le
savoir est envisagé selon une logique individuelle, il est incorporé aux individus en tant que
capital humain. L’argumentation selon laquelle les modèles de croissance endogène
expliquent la croissance économique de long terme est souvent avancée ; la production de
capital humain par le système éducatif induirait notamment une croissance économique auto-
entretenue. Cependant, malgré les nombreux développements théoriques, les tentatives de
vérifications empiriques semblent moins convaincantes et souvent contradictoires1, elles se
heurtent notamment à de sérieuses difficultés méthodologiques quant à l’évaluation du capital
humain. De plus, une large majorité des tests empiriques réalisés à ce jour porte sur la place
des facteurs dans la croissance ou sur des études en coupes transversales telles celles de Barro
[1991, 2000] effectuant des comparaisons internationales sans pour autant s’interroger et
apporter des éléments de réponse sur le fait que l’éducation puisse induire ou non une
croissance économique de long terme.
L’objet de cet article est de tester empiriquement le modèle de Lucas [1988], afin
d’apporter une justification ou une infirmation sur la probable nature endogène du processus
de croissance économique induit par la production de capital humain. En effet, à l’aube du
21ème siècle, force est de constater que l’on ne sait toujours pas comment le développement du
savoir est relié à la croissance économique, ni si le savoir, produit du système éducatif, est
réellement le moteur de cette croissance. Les hypothèses théoriques sont nombreuses, mais les
estimations numériques demeurent lacunaires. Après un rappel des hypothèses théoriques et
3
un état des lieux en matière de vérification empirique (I), une lecture renouvelée sur la
fonction spécifique du capital humain dans le processus de la croissance économique est
présentée en utilisant comme champ d’application l’économie française aux 19ème et 20ème
siècles (II).
I, LES NOUVELLES THEORIES DE LA CROISSANCE : CONNAISSANCES
THEORIQUES ET EMPIRIQUES
1, Les hypothèses théoriques induisant la possibilité d’une croissance endogène : Lucas
[1988]
Le modèle de croissance endogène développé par Lucas [1988] utilise une conception
du savoir comme bien rival et à exclusivité d’usage, il est le produit de l'éducation et est
incorporé aux individus en tant que capital humain. Le capital humain se définit comme le
niveau général d’aptitudes, l’ensemble des capacités physiques, intellectuelles et techniques
de l’individu représentatif. Ce concept est largement antérieur aux nouvelles théories de la
croissance, il est en effet emprunté à Walsh [1935] ou aux théories du capital humain
développées dans les années 1960 par Schultz [1961], Mincer [1962] ou encore Becker
[1962]. Dans le modèle de Lucas, coexistent un secteur de la production et un secteur de la
formation. Dans le premier sont produits les biens à partir du capital physique et une partie du
capital humain qui, par hypothèse, est accumulable avec une productivité marginale non
décroissante, au moins constante. Dans la seconde sphère, le capital humain se forme et
s’accumule à partir de lui-même avec la part du capital humain non employée dans le secteur
productif. L’individu s’éduque seul utilisant pour cela son temps et une partie des
compétences qu’il a déjà acquises. La fonction de production d’éducation, ϕ, est supposée
4
non – décroissante et linéaire, le capital humain, h, croît de façon linéaire sans limite, son
accumulation s’écrivant :
(1-u) représente le temps de non – loisir consacré à l’accumulation de capital humain.
Le moteur de la croissance économique réside dans l’efficacité de l’accumulation de capital
humain ϕ , le taux de croissance s’écrivant :
Dès lors, la croissance auto-entretenue repose uniquement sur l’hypothèse de non-
décroissance de la fonction de production d’éducation, ϕ, l’auteur spécifiant que l’ampleur
qu’exerce l’externalité positive, γ, sur la production de biens finals, ne sert qu’à accélérer le
processus de croissance mais n’en est pas la cause principale. L’introduction de cet effet
externe est utilisée pour justifier les différences de développement entre nations et les constats
de non – convergence. L’apport essentiel de ce modèle est donc d’introduire, dans la
formalisation de la croissance économique, les activités éducatives comme explications
centrales de la croissance de long terme et ainsi des différences de développement entre
nations.
Dans le cadre de son argumentation, Lucas s’est fortement inspiré du modèle d’Uzawa
[1965]. Les deux modèles paraissent pratiquement identiques, celui d’Uzawa spécifiait
cependant la décroissance de cette même fonction de production d’éducation et s’inscrivait
dès lors dans la tradition solowienne en conservant un processus de croissance exogène. D’un
point de vue théorique, les deux hypothèses sont recevables, cependant la croissance
)1(/ uhh −= ϕ&
)1/()1)(1( βγβϕ −−+−= ug
5
endogène, dans le cadre mis en place par Lucas, repose uniquement sur la non-décroissance
de la fonction de production d’éducation que l’on peut aisément remettre en cause. Cette
faiblesse du modèle, Lucas [1988, p. 28] la met lui-même en exergue en affirmant que si
l’hypothèse de rendements constants du capital humain est supprimée, le stock de capital
humain ne peut plus être le moteur de la croissance remettant ainsi en cause l’intérêt de son
article. Seule une évaluation empirique, un test sur les rendements de cette fonction, peut
éventuellement apporter un éclaircissement quant à la nature endogène ou exogène du
processus de croissance économique. De plus, il semble que l’hypothèse de linéarité des
rendements de l’éducation soit peu réaliste comme le note P. Aghion and P. Howitt [1998, p.
330] : « The Lucas model is elegant and simple, but as always this comes at the expense of
some realism. For example, equation (10.2) (human capital accumulation) means that an
individual’s return to education remains constant over his or her whole lifetime, an
assumption that is at odds both the empirical evidence on education and with Becker’s theory
of human capital. Becker [1964] indeed suggest that returns to education tend to decrease
over the lifetime of an individual ». Fort de ces critiques, certains auteurs tels Azariadis and
Drazen [1990] ont construit des modèles à générations imbriquées où les individus héritent
d’une partie du capital humain de leurs parents, d’autres ont tenté de mettre en place des tests
empiriques permettant de appréhender la place de l’éducation au sein du processus de
croissance.
2, L’état des lieux des connaissances empiriques
Grâce aux premières évaluations empiriques de Solow [1957], Denison [1962] ou
Carré, Dubois et Malinvaud [1972] notamment, il est maintenant reconnu que la croissance
économique ne peut pas seulement être expliquée par une augmentation des facteurs de
6
production traditionnels tels que le travail et le capital ; beaucoup d’auteurs ont alors utilisé le
concept de capital humain pour signifier que les capacités et le savoir des individus pouvaient
contribuer pour une large part à la croissance. Les modèles de croissance auto-entretenue ont
intégré ces idées pour l’heure novatrices afin d’expliquer la croissance au travers de nouveaux
facteurs accumulables tels que le capital humain, les infrastructures publiques, la recherche et
développement… Dans ce cadre, les travaux d’évaluation empirique se sont efforcés de
vérifier l’importance de ces nouveaux facteurs et également l’idée de convergence au moins
conditionnelle des économies internationales. L’article de Barro [1991] a démontré, pour un
échantillon de 98 pays sur la période 1960-1985, que le taux de croissance dépend
positivement du niveau initial de capital humain mesuré par les taux de scolarisation et
négativement du niveau initial de PIB par tête. La convergence peut se vérifier, les pays
pauvres tendront à croître plus rapidement que les pays riches uniquement pour une quantité
donnée de capital humain. Mankiw, Romer et Weil [1991], en utilisant une base de données
identique à celle employée par Barro [1991] (et construite par Summers et Heston [1988]),
confirment les conclusions du modèle de Solow [1956] à condition de reconnaître
l’importance du capital humain. Ils élargissent donc le modèle de Solow en introduisant
l’accumulation de capital humain mesuré par un taux de scolarisation et concluent que les
différences d’épargne, d’éducation et de croissance de la population expliquent les différences
de revenu par tête entre pays. Leur modèle solowien (avec progrès technique exogène et
rendements décroissants du capital) explique mieux, à leur sens, les variations internationales
de l’output par personne que les modèles de croissance endogène. Barro et Lee [1993]
étudient pour 129 pays entre 1960 et 1985 les taux de réussite scolaire de la population adulte
à différents niveaux (population sans instruction, population ayant reçu une éducation
primaire, une éducation secondaire et un enseignement supérieur) et concluent au pouvoir
explicatif considérable des niveaux d’éducation : l’éducation produit des effets positifs directs
7
sur les taux de croissance du PIB. Benhabib et Spiegel [1994] poussent l’analyse plus avant ;
en effet pour ces derniers, le taux de croissance du capital humain mesuré par le nombre
moyen d’années d’étude de la population active, n’explique pas significativement le taux de
croissance de l’output par tête. Cependant, les niveaux de capital humain jouent un rôle
conséquent comme déterminants de la croissance du revenu par tête. Il n’est plus alors
possible de considérer le capital humain comme un facteur de croissance car cette supposition
impliquerait que son taux de croissance et non son niveau explique le taux de croissance de
l’output par tête. Cette conclusion induit une remise en cause des théories de la croissance
endogène. En revanche, Lee and Lee [1995] concluent au pouvoir hautement explicatif du
stock de capital humain sur la croissance économique et confortent le succès des nouvelles
théories de la croissance ; selon eux, le taux de réussite des étudiants, et non le taux de
scolarisation ou les années de formation, représente le facteur clé de la croissance
économique. De même, les conclusions de Charlot [1997] précisent que les rendements de
l’éducation sont croissants et influencent positivement le taux de croissance. Et enfin, il serait
difficile de clore cette énumération de travaux empiriques relatifs à la place du capital humain
dans la croissance, qui ne prétend d’ailleurs et en aucun cas être exhaustive, sans citer
l’analyse de Barro [2000]. En appliquant la méthode des comparaisons transversales
découlant d’un panel d’une centaine de pays, il conclut en outre que le taux de croissance est
stimulé par l’enseignement secondaire et supérieur des hommes et note que la scolarisation
féminine ne semble pas contribuer à la croissance de manière significative mais possède une
influence indirecte car elle abaisse la fécondité et permet ainsi un taux d’épargne plus élevé.
Une large majorité des tests empiriques réalisés à ce jour apportent des conclusions
divergentes sans qu’aucun d’entre eux ne testent directement l’hypothèse de croissance
endogène ; hypothèse, qui pour rappel, est également le principal résultat du modèle comme
8
le souligne Solow [1998, p. 198] en évoquant que, dans tous les modèles de croissance
endogène portés à sa connaissance, le résultat désiré est toujours supposé. Le savoir produit
de l’éducation est est-il réellement le moteur principal de la croissance ? La question demeure
toujours sans réponse évidente.
II, LA VERIFICATION EMPIRIQUE
En prolongement de divers travaux plus généraux et notamment de Monteils [2000,
2001] ou Diebolt et Monteils [2000a et b, 2001a et b] qui proposent des tests empiriques de
modèles de croissance endogène où le savoir est le produit de l’éducation, de la recherche, ou
encore de l’apprentissage par la pratique ; un test sur les rendements de la fonction de
production d’éducation est proposé.
1, Les statistiques utilisées
Tester les rendements de la fonction de production d’éducation, ϕ, implique la
connaissance de deux grandeurs : le temps moyen de formation, (1-u), et le stock de capital
humain h. La méthode appliquée est celle de la régression linéaire simple, ce choix qui
impose la linéarité se justifie par l’hypothèse de Lucas qui suppose et donc impose également
(par souci de simplification) une relation linéaire entre durée moyenne de formation et taux de
croissance du stock de capital humain. Il serait dès lors intéressant de tester la linéarité contre
la non – linéarité, cette suggestion à retenir dépasse toutefois le cadre de ce travail qui se
donne comme principal objectif de tester la non – décroissance des rendements du stock de
capital humain.
9
La première étape consiste à calculer la durée moyenne de formation de la population
active, (1-u). Cette dernière est empruntée aux travaux de Villa [1997] ou calculée en prenant
comme point de départ les effectifs scolarisés par niveau. L’intérêt essentiel de ce travail
demeure l’évaluation du stock de capital humain. Plusieurs approximations sont proposées : il
est en premier lieu appréhendé comme l’inverse de l’illettrisme. Les séries publiées par
l’INSEE [1988] et établissant le nombre d’époux illettrés entre 1854 et 1931, le nombre de
conscrits illettrés entre 1832 et 1936, ainsi que des tests directs de l’armée française entre
1991 et 1996 permettent de construire un stock de capital humain. Cette construction suppose
que les individus lettrés entrent dans le stock de capital humain à la date de leur mariage ou en
fin d’incorporation et en sortent à la date de leur retraite. Le capital humain est ensuite mesuré
par la validation de la formation. Pour Spence [1973] l’éducation améliore la productivité de
l’individu, cette dernière restant une inconnue pour les employeurs, ils sont forcés de se
référer à divers signaux et indices, tels que le niveau du diplôme, pour l’évaluer. La méthode
employée ici utilise donc un point de départ identique : le diplôme représente un signal du
niveau de capital humain des individus et ainsi le niveau de capital humain des individus est
supposé dépendre de la formation qu’ils ont suivie et par voie de conséquence des diplômes
qu’ils ont obtenus. Les statistiques utilisées concernent les flux de sorties nettes du système
éducatif selon le niveau de scolarisation, ou selon le diplôme dans les années 1970 à 1990
(INSEE [1986, 1987, 1988, 1993, 1996] et DEP [1998]). Une pondération est affectée à
chaque niveau de diplôme afin de rendre compte des différences qualitatives entre les années
de formation et entre les diplômes, cette pondération trouve sa source dans l’analyse des
dépenses d’éducation par niveau. Le stock de capital humain est constitué en supposant que
les individus entrent dans le stock dès leurs sorties du système éducatif et en sortent à l’âge de
leur retraite. Les salaires nets annuels moyens entre 1954 et 19962 sont enfin utilisés comme
évaluation directe du capital humain. Les rendements de la production de connaissances sont
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ensuite déterminés en établissant une régression linéaire entre taux de croissance du stock de
capital humain et durée de formation.
Sans omettre le fait indéniable selon lequel une infirmation empirique n’est pas
synonyme de réfutation d’une théorie, les résultats obtenus sont convergents. En effet,
quelque soit la façon de construire le stock de capital humain, la liaison unissant le taux de
croissance du stock à la durée de scolarisation est négative, le taux de croissance du stock de
capital humain est décroissant, il ne peut expliquer ni engendrer une croissance économique
auto–entretenue.
2, Les résultats obtenus
Quelque soit la façon de construire le stock de capital humain, la liaison unissant le
taux de croissance du stock à la durée de scolarisation est négative. Le test du T de student
fournissant une valeur supérieure à 2,96, en valeur absolue, suggère qu’il ne faille pas pour
autant exclure la variable explicative du modèle : la durée moyenne de formation. Les
résultats sont présentés ci-dessous.
11
Tableau 1 : Taux de croissance du stock de capital en fonction de la durée moyenne de
formation
VARIABLE EXPLIQUEE, y : Stock de capital humain, h, (illettrisme des époux) 1855 – 1931 ; 77 observations VARIABLE COEFFICIENT ERREUR T-STATISTIQUE Durée de Formation -0,019318 0,005929 -3,257984 Coefficient de corrélation : 0,768371 DW : 0,283584 VARIABLE EXPLIQUEE, y : Stock de capital humain, h, (illettrisme des conscrits) 1834 – 1936 ; 103 observations VARIABLE COEFFICIENT ERREUR T-STATISTIQUE Durée de Formation -0,014978 0,001285 -11,65474 Coefficient de corrélation : 0,793916 DW : 0,565896 VARIABLE EXPLIQUEE, y : Stock de capital humain, (diplôme) h 1977 – 1996 ; 20 observations VARIABLE COEFFICIENT ERREUR T-STATISTIQUE Durée de Formation -0,022915 0,003218 -7,121095 Coefficient de corrélation : 0,738029 DW : 0,366012 VARIABLE EXPLIQUEE, y : Stock de capital humain (niveau de scolarisation), h 1980 – 1992 ; 13 observations VARIABLE COEFFICIENT ERREUR T-STATISTIQUE Durée de Formation -0,043425 0,004072 -10,66510 Coefficient de corrélation : 0,911820 DW : 0,686668 VARIABLE EXPLIQUEE, y : Capital humain h, (salaires) 1954 – 1996 ; 43 observations VARIABLE COEFFICIENT ERREUR T-STATISTIQUE Durée de Formation -0,015505 0,006388 -2,977248 Coefficient de corrélation : 0,125642 DW : 0,414001
12
La relation entre durée moyenne de formation et taux de croissance du stock de capital
humain est toujours négative quelque soit l’approximation du capital humain retenue. Le
graphique ci-après illustre cette affirmation, seule l’évaluation du capital humain à partir des
niveaux de scolarisation est présentée les autres approximations étant quasiment semblables.
Figure 1 : Taux de croissance du stock de capital humain (niveau de scolarisation) en
fonction de la durée moyenne de formation
Le stock de capital humain croît mais à un taux décroissant, l’endogénéité de la
croissance telle que Lucas la suppose n’est pas vérifiée. Le fait que le taux de croissance du
stock de capital humain soit décroissant semble placer le modèle de Lucas dans le domaine du
normatif et non du positif comme il est souvent supposé. La robustesse des résultats est
vérifiée : il apparaît de façon générale que les variables explicatives sont bien la durée
moyenne de scolarisation, et non son taux de croissance notamment, ainsi que le stock de
y = -4,3425x + 56,428R2 = 0,9118
0
1
2
3
4
5
6
7
8
11,4 11,5 11,6 11,7 11,8 11,9 12 12,1 12,2
Durées moyennes de formation
13
capital humain des années antérieures. Un test identifiant la durée moyenne de formation et le
stock de capital humain hérité des individus (défini par Azariadis et Drazen [1990] comme le
capital humain moyen) fournit les résultats suivants :
Tableau 2 : Taux de croissance du stock de capital humain en fonction de la durée de
formation et du stock de capital humain hérité.
Les résultats ne changent fondamentalement pas, les relations entre variable
dépendante et variables explicatives sont négatives. Le coefficient de corrélation est toutefois
plus élevé, l’introduction d’une nouvelle variable explicative améliore nécessairement le
modèle. La liaison entre durée de formation et niveau du capital humain est, quant à elle,
positive mais le niveau de capital humain n’est en aucun cas un facteur de croissance seul son
taux de croissance peut être considéré comme tel. Certaines séries étant intégrées d’ordre 1,
suite aux tests de Dickey-Fuller, des tests en différences premières sont réalisés et confirment
à nouveau les résultats acquis. Les résultats remettent en cause l’hypothèse de Lucas selon
laquelle le capital humain croît de façon linaire sans limite compensant ainsi les rendements
décroissants du capital physique. Le capital humain serait donc un facteur comme les autres
dans le sens où il ne dérogerait pas à la loi des rendements décroissants.
VARIABLE EXPLIQUEE, y : Capital humain (illettrisme des conscrits) h 1883 – 1936 ; 103 observations VARIABLE COEFFICIENT ERREUR T-STATISTIQUE Durée de Formation -0,008639 0,000512 -16,87741 Capital humain Hérité -3,83E-10 2,49E-11 -15,41775 Coefficient de corrélation : 0,944930
DW : 0,909938
14
De plus, l’introduction du stock de capital humain dans la fonction de production
d’output final présentée ci-après ne semble pas améliorer l’efficacité du facteur travail.
L’évaluation est proposée pour les années 1970 à 1990 grâce aux Comptes de la
Nation publiés par l’INSEE [1990, 1996, 1997]. L’output final, Y, est représenté par la valeur
ajoutée brute en millions de francs 1980, le travail, L, par la population active occupée en
millions multipliée par la durée annuelle du travail et le capital physique, K, par le capital fixe
brut en millions de francs 1980 multiplié par son taux d’utilisation. L’approximation du stock
de capital humain retenue est celle utilisant les flux de sorties nettes du système éducatif selon
le diplôme.
Tableau 3 : Fonction de production de biens finals
L’élasticité de la production par rapport au facteur capital humain γ (γ = a / (1 - α)) est
égale à 0,49 et donc est inférieure à l’unité ; l’introduction d’un nouveau facteur n’améliore
haLKhLKY
LhKY
loglog)1(loglog)1(log)1(loglog
)( 1
+−+=−+−+=
= −
αααγαα
αλα
VARIABLE EXPLIQUEE, y : Output final 1970 – 1996 ; 27 observations VARIABLE COEFFICIENT ERREUR T-STATISTIQUE Capital Physique 0,358848 0,072374 4,958254 Travail 0,438116 0,081960 5,345477 Capital Humain 0,215878 0,069007 3,128330 Coefficient de corrélation : 0,998491 DW : 1,234867
15
pas l’efficacité des flux de services du travail. Par conséquent, tout porte donc a croire que le
stock de capital humain défini par Lucas soit un facteur comme les autres qui ne déroge pas à
la loi des rendements décroissants et ne permet pas une croissance économique endogène. La
forme agrégée de la fonction de production est contestable. Il s’agit néanmoins de celle
retenue par Lucas (en omettant l’externalité). De plus, les valeurs du Durbin-Watson (à aucun
moment proches de 2) permettent de détecter une autocorrélation des erreurs d’ordre 1, ce qui
laisse supposer une mauvaise spécification du modèle ou l’absence d’une variable explicative
importante.
Une ultime critique est également à envisager, elle concerne la forme linéaire de la
fonction retenue généralement par les théoriciens des nouvelles théories de la croissance ;
pour ne citer qu’un seul exemple, Romer [1990] suppose également une relation linéaire entre
taux de croissance de la connaissance technologique et effectifs employés dans le secteur de
la recherche. Il est effectivement peu probable que le stock de capital humain augmente de
façon linéaire, on peut notamment supposer que sa croissance connaisse des effets de seuil et
des successions de périodes où les rendements sont constants, croissants ou décroissants. Une
analyse plus qualitative peut, en ce sens, être envisagée notamment en appliquant une
régression logistique. Ainsi, la variable dépendante prend la valeur 1 lorsque le taux de
croissance du stock de capital humain est croissant, et 0 s’il est décroissant :
Tableau 4 : Application d’une régression logistique
VARIABLE EXPLIQUEE, y : Variable dépendante 1883 – 1936 ; 103 observations VARIABLE COEFFICIENT ERREUR T-STATISTIQUE Durée de Formation 2,133195 1,714620 1,244121 Capital humain Hérité -9,94E-08 5,33E-08 -1,863663
16
Il semblerait qu’un accroissement de la durée de formation augmente la probabilité
d’obtenir un taux de croissance croissant du stock de capital humain alors qu’une
augmentation du capital humain moyen n’accroisse pas cette même probabilité, test qui réfute
cette fois l’hypothèse centrale du modèle construit par Azariadis et Drazen [1990].
CONCLUSION
Les résultats obtenus ne semblent donc pas corroborer l’idée selon laquelle le savoir
produit de l’éducation formelle est un facteur de production particulier qui échappe à la loi
des rendements décroissants. En effet, le test empirique présenté dans cet article infirme
l’hypothèse clé - et également le résultat – du modèle de Lucas [1988] selon lequel le stock de
capital humain croît sans limite induisant ainsi une croissance économique auto–entretenue.
D’autres tests élargissant les sources de production de savoir aux activités de recherche et
développement et aux conséquences du learning by doing notamment confirment ces
résultats : le savoir qu’il soit le produit de l’éducation, celui de la recherche ou celui d’une
diffusion des connaissances croît à taux décroissant (Monteils [2000]). Ces divers résultats
ouvrent sur des pistes de recherche futures intéressantes et bousculent quelques idées forts
répandues quant au rôle crucial de la production de savoir au cœur du processus de
croissance. Il est notamment possible d’envisager un lien de causalité qui soit éventuellement
l’inverse de celui qui est habituellement supposé : la croissance induirait un développement
du savoir mais la production de savoir n’expliquerait pas la croissance économique. En ce
sens, les modèles de croissance endogène expliquent peu la croissance économique de long
terme, ils appartiennent donc plus au domaine du normatif qu’à celui du descriptif
contrairement à ce qui est souvent affirmé dans la littérature économique. Il s’agirait plus de
modèles expliquant les différences de développement. La croissance endogène pourrait
17
éventuellement être le fruit d’externalités produites lors de la diffusion du savoir
contrairement à ce que suppose Lucas. Cependant cette suggestion ne prouve en aucun cas
que l’endogénéité soit la règle, les externalités pouvant être introduites dans un modèle de
croissance exogène lors de la convergence vers l’état stationnaire. Ces conclusions induiraient
un retour à la théorie de la croissance exogène et modifieraient en conséquence les
recommandations de politique économique. Si le choix d’un retour aux conclusions de Solow
n’est pas accepté, il est possible de perfectionner les modèles de croissance endogène en
essayant d’appréhender toute la complexité du concept de savoir, ce qui est possible en
ajoutant, par exemple, au modèle à générations imbriqués de Azariadis et Drazen [1990] le
savoir produit de la recherche, le savoir produit de l’apprentissage par la pratique, ainsi que
des considérations d’ordre qualitatives. Une autre piste de recherche est inspirée de Solow
[1998, p. 198-199] : la théorie de la croissance est basée sur une idée erronée qui définit
comme facteurs de croissance tout élément influant sur le taux de croissance ; selon cet
auteur, repenser la théorie de la croissance est possible en envisageant le fait que les facteurs
de croissance soient des éléments qui influencent également le niveau de celle-ci. Il est enfin
possible d’envisager le fait que le stock de connaissances sociales connaisse des phases de
rendements croissants et décroissants qui se succèdent : la croissance économique deviendrait
semi – endogène. Les rendements du stock de savoir seraient alors de façon générale
décroissants mais certains effets (dus, par exemple, à l’apparition de grappes d’innovations ou
à une meilleur adéquation temporelle entre système éducatif et marché du travail) pourraient
ponctuellement mettre en échec ces rendements décroissants.
18
BIBLIOGRAPHIE
Aghion P. and Howitt P. [1992], « A Model of Growth through Creative Destruction »
Econometrica, 60, 2, (March) : 323-351.
Aghion P. and Howitt P. [1998], Endogenous Growth Theory, The MIT Press.
Azariadis C., and Drazen A. [1990], « Thresholds in Economic Development », Quarterly
Journal of Economics, CVI, (February) : 501-526.
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Mots – clés : Croissance endogène, éducation, évaluations empiriques, externalités, savoir.
Keywords : Education, empirical estimates, endogenous growth, externalities, knowledge.
Classification JEL : O41, I2, O47.
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