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Elvan ARIK Master 2 Urbanisme et Aménagement Urbain Spécialité recherche Villes et Sociétés Année universitaire : 2011-2012 DISCUTER LA TRANSITION ENERGETIQUE A ISTANBUL Débats théoriques et premiers éléments d’enquête Membres du jury : - Eric VERDEIL (UMR 5600 Environnement Ville et Société) : directeur de mémoire - Jean-Michel DELEUIL (INSA, UMR 5600 Environnement Ville et Société, ITUS)

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Elvan ARIK Master 2 Urbanisme et Aménagement Urbain Spécialité recherche Villes et Sociétés Année universitaire : 2011-2012

DISCUTER LA TRANSITION ENERGETIQUE A ISTANBUL

Débats théoriques et premiers éléments d’enquête

Membres du jury :

- Eric VERDEIL (UMR 5600 Environnement Ville et Société) : directeur de mémoire

- Jean-Michel DELEUIL (INSA, UMR 5600 Environnement Ville et Société, ITUS)

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Remerciements

Je tiens tout spécialement à remercier Eric Verdeil d’avoir bien voulu accepter une nouvelle

fois de m’accompagner. Cela n’allait sans doute pas de soi pour lui que j’ai assailli, l’année

dernière, du flot de mes questions parfois alambiquées et de mes doutes. Il semblerait qu’il ne

m’en ait pas tenu rigueur, me permettant même de participer à la conférence qui s’est tenue à

Istanbul le 29 mai dernier intitulée « Metropolitan energy policies in the turkish cities », conférence

durant laquelle j’ai pu rencontrer de nombreux chercheurs, dont Dominique Lorrain. A ce

propos, je profite de cette occasion pour remercier Sylvie Jaglin, responsable de l’ANR Termos

de m’avoir intégré dans ce programme. Un grand merci donc à Eric Verdeil pour ces rencontres

si riches, et en espérant pouvoir être à la hauteur du soutien et de la confiance qu’il m’accorde

depuis l’année dernière.

Je remercie également l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes et plus particulièrement les

membres de l’Observatoire Urbain de m’avoir accueilli en tant que stagiaire. Un remerciement

tout particulier et chaleureux à Jean-François Pérouse.

Un dernier clin d’œil à ma mère pour le temps qu'elle a passé à dénicher les sempiternelles

fautes d’orthographe que je réussis à dissimuler malicieusement. Je souhaiterais rappeler à

Armelle que La Madonne de Lorette n’est rien sans le Caravage et qu’un tableau n’est donc rien sans

son peintre. Enfin, en espérant que les années à venir me verront progresser dans de nombreux

domaines autant que le petit Louis a pu le faire le temps d’une seule année…

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Résumé

Entre ville monde et ville émergente, entre gated communities et gecekondu, entre formel et informel,

entre régulier et irrégulier, nous souhaitons replacer la transition énergétique à Istanbul au cœur de cette

interface du global et du local. Pour ce faire, nous considérons la transition énergétique comme un

processus de percolation au sein duquel des solutions énergétiques, plus ou moins bien pensées, circulent

au sein d’un système institutionnel et sociétal complexe, instable et parfois chaotique, composé d’acteurs

multiples et variés, aux logiques et intérêts divergents, contribuant ainsi à subvertir structurellement les

ambitions initiales des décideurs. L’analyse de la transition énergétique en métropole émergente ne peut

donc s’abstraire totalement d’une tentative de compréhension de ces mécanismes de l’action publique,

hybridés entre légalité et illégalité, qui ne servent que rarement de focale d’analyse au sein des théories

traditionnelles sur la transition. En définitive, la transition énergétique est analysée à Istanbul via le prisme

des institutions et des instruments de l’action publique en faveur de la lutte contre le changement

climatique mais également via les pratiques vernaculaires d’accès aux services en réseau en ce qui concerne

notamment le macro-système technique du gaz naturel. Enfin, nous complétons ce cadre d’analyse par

l’introduction d’éléments anthropologiques en termes de pratiques et d’usages de l’énergie pour tenter

d’expliquer l’inachèvement de la transition vers le gaz naturel.

Mots-clés : transition énergétique, Istanbul, gaz naturel, pratiques et usages de l’énergie, gouvernance du

changement climatique, politiques vernaculaires, macro-système technique et accès aux services urbains en

réseau, fragmentation socio-territoriale

Abstract

From world city to emerging city, from gated communities to gecekondu, from formal to informal, from

regular to irregular, we take into account the energy transition in Istanbul through these global and local

dynamics. To this end, we consider the low carbon transition as a percolation process in which energy

solutions circulate within an complex and unstable, institutional and societal system, made up of multiple

actors having different logics and interests, thus contributing to subvert the initial ambitions of

stakeholders. The analysis of the energy transition in an emerging metropolis can not be separated from

the understanding mechanisms of public actions, crossed between legality and illegality, which are rarely

used among traditional transition theories. Istanbul’s energy transition is analyzed through the prism of

institutions and instruments of public action which aim to fight against climate change but also

considering vernacular politics organizing specific forms in the access to network services. In this respect,

free coal distribution and diffusion strategy of the natural gas network are particulary significant. Finally,

we bring to a whole framework by introducing anthropological elements in terms of practices and uses of

energy in order to explain the incompleteness of the natural gas transition.

Keywords : low carbon transition, Istanbul, natural gas, practices and use of energy, climate change governance, vernacular politics, large technical system and access to urban network services, socio-territorial fragmentation

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Sommaire

Remerciements 3

Résumé 4

Abstract 4

Sommaire 5

Avant-propos 6

Introduction 7

Partie 1 : 17

Problématique, cadre théorique et méthodologie de recherche

1.1. CADRE THEORIQUE : APPORTS ET LIMITES 17 1.2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES 32 1.3. METHODOLOGIE ET LIMITES DE LA RECHERCHE 35

Partie 2 : 37

Entre permanence et recomposition de l’action publique, entre ville monde et ville émergente : l’impossible transition énergétique à Istanbul ?

2.1. GOUVERNABILITE METROPOLITAINE ET GOUVERNANCE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE 37 2.2. SERVICES URBAINS EN RESEAU ET ACTIONS RETICULAIRES : TERRITORIALISATION DES PRATIQUES POLITIQUES VERNACULAIRES 47 2.3. CONCLUSION PROVISOIRE, QUESTIONS EN SUSPENS… 56

Partie 3 : 60

Du charbon au gaz naturel : comment analyser les limites d’une transition énergétique prématurément présentée comme une réussite ?

3.1. TRAJECTOIRE DE L’INNOVATION SOCIO-TECHNIQUE EN TURQUIE ET RÔLE D’ISTANBUL DANS LA CONSTITUTION D’UN NOUVEAU REGIME ENERGETIQUE DU GAZ NATUREL 63 3.2. APPROCHE SOCIO-TERRITORIALE DE LA TRANSITION 71 3.3. INNOVATION TECHNIQUE, TRANSFORMATION SOCIALE : CE QUE L’OBSERVATION DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS PEUT NOUS APPRENDRE DU PROCESSUS DE TRANSITION ENERGETIQUE 77

Conclusion 86

Liste des abréviations 89

Bibliographie 90

Table des matières 97

Table des illustrations 99

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Avant-propos

Ce présent mémoire s’inscrit dans la continuité d’un premier travail réalisé l’année dernière à

Istanbul au sein de l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes. Sur les bases de cette recherche

exploratoire qui avait débouché sur l’écriture d’un mémoire intitulé Politiques énergétiques et accès aux

services urbains en réseau à Istanbul1, nous avons entrepris d’approfondir nos questionnements durant

notre Master 2 Urbanisme et Aménagement Urbain, spécialité recherche Villes et Sociétés réalisé

au sein de l’Institut d’Urbanisme de Lyon. Ce mémoire est ainsi, à l’image de son objet d’étude

sur la transition énergétique métropolitaine, un mémoire de transition entre nos premières

investigations empiriques sur le terrain et cette présente réflexion, plus théorisée, qui nous

l’espérons pourrait servir de support à un travail doctoral plus approfondi. Ce mémoire possède

donc une dimension prospective pour de futures recherches, sorte de galop d’essai dans notre

modeste parcours de recherche. Cet avant-propos nous permet ainsi de prévenir le lecteur des

lacunes scientifiques inhérentes à ce mémoire du fait de son statut particulier qui ne nous a pas

amené à mettre en place une méthodologie adaptée à l’évolution de nos questionnements. La

nécessité de conceptualiser semblait toutefois indispensable pour mieux cerner les tenants et

aboutissants du sujet.

1 Disponible sur ce lien : http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00648609/fr/

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Introduction

« Des croyances mythiques ou religieuses avaient jusque-là conduit l’homme à refuser l’exploitation des sous-sols. Le règne minéral attendait son heure… »2

L.Reynes, L’énergie, Paris, Hachette, 1980

Fin juin 2012, à peine achevé, le sommet de Rio+20 est d’ores et déjà présenté comme un

échec à en croire les unes des grands quotidiens européens3. Pourtant, vingt-ans en arrière, en

1992, d’un sommet similaire tenu au même endroit, s’était massivement imposée l’urgence à

considérer sérieusement la problématique environnementale et écologique. A travers la

médiatisation et l’institutionnalisation du concept de « développement durable », la nécessité de

changer de modèle de développement s’est progressivement diffusée à l’ensemble de l’opinion

publique. La question énergétique s’inscrit au cœur de ce mouvement. Le postulat d’une

extraction illimitée et indéfinie des ressources fossiles est désormais battu en brèche par de

nombreuses études scientifiques mesurant la raréfaction de ces ressources non renouvelables. De

là, est apparue progressivement l’idée de penser une transition énergétique vers un modèle moins

énergivore et moins polluant. Malheureusement et comme c’est souvent le cas avec des concepts

trop rapidement institutionnalisés, la « transition énergétique » souffre d’une faiblesse de

conceptualisation et de clarification. A l’instar du lénifiant principe de développement durable, le

« consensus sémantique » (Semal, 2009, p. 4) autour de l’urgence de la transition énergétique, ne

deviendrait-il pas un nouveau « mythe pacificateur » (Lascoumes, 2001), résultant de la

convergence des approches « post-politiques » et scientifiques actuelles qui évacuerait les

alternatives aux abondantes solutions technico-managériales d’inspiration néolibérale (Erik

Swyngedouw, 2009) ?

2 Cité dans A.Gras, Grandeur et dépendance : sociologie des macro-systèmes techniques, Presses Universitaires de France, 1993, p 53 3 Pour exemple : Libération, « Rio : le sommet enterre l’intérêt général », 20/07/12, The Daily Beast, « Rio+20, sommet sans ambition pour planète en perdition », 20/07/12, disponible sur www.courrierinternational.com

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DEFINITION ET CONCEPTUALISATION DE LA TRANSITION ENERGETIQUE

Abordons ce travail de décodage à partir de l’idée, évidente pour certains, plus obscure pour

d’autres, que l’énergie « n’est pas une simple ‘variable’ alimentant un système technique, mais

[qu’elle] engage les institutions, les systèmes politiques, économiques et sociaux. Le choix d’une

source d’énergie est pour cela un choix de société. » (Raineau, 2011, p. 133). L’aqueduc, le moulin

à vent et la centrale nucléaire ne renvoient pas en effet, aux mêmes imaginaires d’une société

inscrite dans des rapports différents au temps, à l’espace, au progrès technologique. Depuis la

révolution industrielle, le paradigme de la modernité construit par les sociétés occidentales s’est

appuyé sur un postulat énergétique simple : la faculté humaine d’extraire et de transformer des

ressources fossiles, sur une période de temps indéfinie, rend possible l’abondance énergétique et

permet la concentration industrielle, étape liminaire vers l’accumulation et la prospérité

économique (Gras, 1993, p. 54). En réussissant à faire passer une ressource d’un « monde naturel

à un monde social où elle peut être transformée, stockée et déplacée » (Raineau, 2011, p. 138),

l’homme pensait prouver sa puissance et sa domination sur la nature. L’ensemble du système

énergétique reposait sur cette idée de dénaturalisation de la ressource4, transformée et stockée,

pour se prévenir des aléas naturels. Ce « tournant » technologique, économique et culturel (Gras,

2007; 1993) permet encore aujourd’hui de garantir un flux énergétique d’abondance, continu et

mobile qui autorise la délocalisation des lieux de production des lieux de consommation grâce à la

puissance des macro-systèmes techniques5 (Gras, 1993).

Si l’on considère l’idée de transition comme l’idée de « passage d’un état à un autre »6, une

étape entre une situation estimée non durable à un futur plus ajusté, le besoin actuel de changer

de modèle ne provient alors pas tant d’une remise en cause du mode de fonctionnement des

macro-systèmes, que de la raréfaction de la ressource alimentant l’intégralité du système. La

transition actuellement engagée n’est donc pas liée à l’irruption d’une innovation technologique

majeure7 mais s’impose d’elle-même. En ce sens, les options pour résoudre le problème

n’apparaissent pas de manière évidente, exceptée celle de l’adaptation progressive de nouvelles

technologies promulguées au rang de solution spontanée selon le modèle d’inspiration

4 « En mettant ainsi à l’écart les énergies renouvelables, la modernité affirmait en même temps une rupture avec les civilisations passées, le monde animal et végétal et plus généralement avec la nature à laquelle ces énergies étaient (et restent) intrinsèquement attachées » (Menozzi, Flipo, & Pécaud, 2008) 5 Notion sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin 6 Définition du Petit Robert 7 Comme ce fut le cas dans l’histoire des transitions énergétiques où les progrès technologiques pénétraient et révolutionnaient progressivement l’organisation de la société

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économique néoclassique de transition/durabilité faible8. Les leviers d’actions de cette transition

faible, techno-centrée, se concentrent de manière générale sur deux axes : agir d’un côté sur

l’offre et la demande en énergie en offrant aux populations des technologies plus efficaces

(bâtiments à énergie positive, réseaux de chaleur et de froid, traitement des déchets, biofuel dans

les transports, sensibilisation aux économies d’énergie…), en maîtrisant les approvisionnements

par une diversification du mix-énergétique (énergie renouvelable, hydrogène, gaz de synthèse…) ;

de l’autre côté, l’axe bilan-carbone rivalise d’innovations pour capter et stocker le CO2 rejeté dans

l’atmosphère et réduire le contenu carbone de l’énergie. Ces leviers ne peuvent être activés que

par des autorités publiques instigatrices d’expérimentations énergétiques promouvant ainsi une

nouvelle vision sociétale. La spécificité du problème climatique les oblige finalement à faire

évoluer leur mode de penser et d’agir. La transition actuelle est donc autant énergétique

qu’institutionnelle.

Les grandes directions empruntées aujourd’hui semblent ainsi converger vers ce que Laurence

Raineau appelle le « temps de l’innovation technique » (Raineau, 2011, p. 135) qui désigne cette

période d’adaptation du système énergétique présent au potentiel des énergies renouvelables,

c'est-à-dire en alimentant les macro-systèmes techniques par ces nouveaux flux, sans réinterroger

les fondements du système sur lequel il s’est construit. Tout le panel de solutions techniques qui

émerge, conforte ce que François Ascher avait anticipé lorsqu’il prédisait la naissance des niches

économiques, ces « cleantech comme second moteur d’un capitalisme cognitif et

environnemental » (Ascher, 2007). Réussir la transition énergétique passerait donc par

l’implantation et le développement massif de ces nouvelles technologies tout en veillant à ce que

les comportements des usagers se responsabilisent au contact de ces innovations : « chacun

d’entre nous, dans ses actes quotidiens, a le devoir de se remettre en cause et de revoir en

profondeur ses comportements de consommateur » (Rojey, 2008, p. 13). Le souhait

publiquement affiché de responsabiliser9 voire de culpabiliser l’« éco-citoyen » (Rumpala, 1999),

reconnaît explicitement le rôle majeur de l’usager au cœur du processus de transition. Cette

reconnaissance est toutefois limitée : l’homme doit s’adapter à la machine et se responsabiliser à

son contact. L’inverse est rarement envisagé. L’analyse fine et précise des comportements des

8 Pour une définition plus détaillée des modèles de durabilité faible et forte, se reporter à (Godard, 1994) 9 Cette responsabilisation du consommateur individuel est l’objet de critique car « […] cela revient à dissocier l’énergie, prise comme un mode de consommation, des configurations socio-techniques et culturelles qui encadrent cette consommation. » (Menozzi et al, 2008, p. 13)

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usagers est au final trop rarement prise en compte au cœur du processus de transition

énergétique.

ENJEUX DE LA TRANSITION ENERGETIQUE EN METROPOLES EMERGENTES

Notre regard sur la transition énergétique est, par bien des aspects, un regard objectivant de la

réalité des actions menées au nom de la lutte contre le changement climatique dans un contexte

spatial circonscrit : celui des villes et plus spécifiquement celui des grandes métropoles du Sud.

Alors que très tôt, les villes (du Nord au départ) ont été accusées d’être les premières

responsables du dérèglement climatique mondial10, elles ont, très vite, également été considérées

comme la solution du problème, parce qu’elles disposaient des capacités d’action à l’échelle locale

sur des secteurs fortement énergivores et pollueurs (notamment dans le secteur des transports et

des bâtiments). Actuellement, tout un pan du vocabulaire de l’action urbaine se structure autour

des figures de l’« adaptation », de l’« atténuation », de la « maîtrise de l’énergie » ou de la

« résilience » et témoigne effectivement de la période d’incertitude que connaissent les villes.

Pourtant, l’intégration des nouvelles technologies énergétiques est aujourd’hui consubstantielle à

cette nouvelle manière de fabriquer de l’urbain et soulève de nouveaux enjeux. Taoufik Souami,

prenant pour exemple le cas de collectivités locales européennes, parle de « distorsions entre

d’une part, les enjeux et les modes d’action sur la ville, et d’autre part, les paradigmes et les modes

de déploiement des technologies énergétiques » (Souami, 2007, p. 8). Cet antagonisme peut se

résumer d’une part, par une dissociation des échelles spatiales d’intervention, l’urbanisme

recherchant des solutions territoriales globales alors que la technologie est chevillée à l’échelle

micro-territorialisée (bâtiment, ilot, quartier)11 pour une recherche d’autonomie, et d’autre part,

par une différenciation des échelles temporelles entre le temps long des enjeux énergétiques et les

temporalités éphémères de l’urbanisme, rythmées par les cycles politiques locaux.

Dans le cas des métropoles émergentes, cet antagonisme entre l’urbanisme opérationnel et

l’ « arrière plan idéel » des technologies énergétiques (Souami, 2007, p. 8) est amplifié par la nature

et l’intensité même des problèmes socio-environnementaux à résoudre. Comme le révèle le

qualificatif XXL choisi par Dominique Lorrain pour décrire le gigantisme de ces espaces urbains,

tout y est « plus » dans ces villes ( Lorrain, 2011b, p. 371). La croissance urbaine sans précédent et

10 Selon le rapport World Energy Outlook 2008 de l’Agence Internationale de l’Energie, les villes représentent deux-tiers des consommations mondiales d’énergie et ce taux devrait atteindre trois-quarts en 2030. 11 Conséquences de cette distinction des espaces de référence, T.Souami révèle aussi l’inadaptation juridique de l’approche urbanistique fondée sur une juridiction du foncier alors que la représentation technique et énergétique du territoire raisonne en terme systémique, de flux métaboliques sans réelle considération des surfaces.

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non planifiée que les pays du Nord n’ont jamais connue, couplée à une certaine instabilité

institutionnelle et politique est à l’origine de l’émergence spontanée d’une autre « culture

urbaine », souvent marginalisée et confinée dans les espaces périphériques de ces villes. Dans ces

interstices urbains, face à la quasi-absence d’interventionnisme public, les populations,

confrontées à la pauvreté, s’adaptent et créent, de manière plus ou moins volontaire, des

mécanismes d’auto-régulation sociale (entraide, solidarité familiale et communautaire…) et

politique (clientélisme, populisme électoral, corruption…). L’incapacité des gouvernements

urbains à réduire cette « misère urbaine » s’explique différemment en fonction des villes mais de

manière générale, ces derniers doivent composer avec une autonomie institutionnelle et financière

limitée (décentralisation administrative et territoriale non aboutie, omniprésence de l’Etat au sein

du système politique…), une absence de ressources cognitives (main d’œuvre bien formée) et une

déficience des règles du jeu établies par leurs soins (droit de propriété, planification, fiscalité…).

Enfin, les récentes vagues de libéralisation et de privatisation des économies étatiques impulsées

par les bailleurs de fonds internationaux, ont profondément complexifié la manière d’administrer

ces territoires urbains en multipliant les interlocuteurs de statuts différents (on fait référence ici à

la notion de la gouvernance mise en lumière par Patrick Le Galès12) tout en mettant au débat la

question de l’accentuation des inégalités socio-spatiales. Pourtant, ces institutions sont forcées

d’agir face à l’ampleur des problèmes socio-environnementaux à résoudre tant ils représentent

des terreaux potentiels de contestations sociales: étalement urbain et pression foncière sur les

réserves naturelles, érosion des sols et risques d’inondation, gestion des déchets, assainissement,

problématique de l’accès aux services primaires (eau, électricité, chauffage, transport…). La

problématique énergétique n’est donc pas tout à fait de même nature dans les villes du Sud que

dans celles du Nord. Pourtant, c’est au cours des années 2000, une décennie après les pays

développés, que la recrudescence des dégradations environnementales conduit les gouvernements

urbains des villes du Sud de la Méditerranée, à internaliser les préceptes du développement urbain

durable, au cœur de leurs agendas politiques locaux (Barthel & Zaki, 2011).

Toutes ces dynamiques récentes et profondes font que les métropoles émergentes

représentent des terrains fertiles et originaux d’observation des modalités de déploiement de la

transition énergétique au sein de sphères politico-institutionnelles, technico-économiques,

12 LE GALES Patrick, 1995, « Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine’’, in Revue française de Science politique, 45ème année, n°1, pp.57-95

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sociales et culturelles spécifiques servant rarement d’exemples aux démonstrations scientifiques

sur la transition.

ENJEUX ET DEBATS SCIENTIFIQUES

C’est le paradoxe, entre d’un côté l’acceptation unanime de considérer la transition énergétique

comme un projet global de société bien au-delà da la simple question technique en intégrant

l’ensemble des acteurs de la « chaîne énergétique » (schématiquement de l’acteur politique au

pouvoir décisionnel jusqu’à l’usager consommateur) et, de l’autre, la réalité des premières

expériences de transition énergétique innovante d’un point de vue exclusivement technologique,

qui a constitué le point de départ de notre réflexion. Nous pensons que ce consensus autour de

l’intégration des technologies énergétiques au cœur des modes de production des villes

émergentes est le « masque qui cache les rapports de domination et d’exclusion » (Callon,

Lascoumes, & Barthe, 2001, p. 16). A l’image de la « diffusion moins fluide et évidente » du

référentiel du développement urbain durable au Sud de la Méditerranée décrit par Barthel et Zaki

(Barthel & Zaki, 2011, p. 21), nous considérons la transition énergétique comme un processus de

percolation au sein duquel des solutions énergétiques, plus ou moins bien pensées, circulent au

sein d’un système institutionnel et sociétal complexe, instable et parfois chaotique, composé

d’acteurs multiples et variés, aux logiques et intérêts divergents, contribuant ainsi à subvertir

structurellement les ambitions initiales des décideurs.

En considérant la transition énergétique de la sorte, comme un phénomène polymorphe, nous

nous sommes aperçu qu’aucun courant théorique ou école de pensée n’embrassaient cette

question dans sa complexité absolue. D’aucuns reconnaissent cette dimension plurielle, mais les

études jusqu’à présent menées n’abordent la transition qu’à travers certains aspects sectoriels de la

problématique. Trois grandes entrées sont ainsi souvent privilégiées :

Depuis moins d’une dizaine d’années, une littérature d’origine anglo-saxonne inspirée de

la géographie radicale néo-marxiste se penche sur les reconfigurations politico-institutionnelles

des villes engagées dans la lutte contre le changement climatique (Bulkeley & Betsill, 2005, 2006;

Bulkeley, Broto, & Hodson, 2011; Hodson, Marvin, 2007; Hodson & Marvin, 2010; Kern &

Alber, 2008). Malgré l’influence disciplinaire de la géographie, qui se reflète particulièrement au

travers de l’utilisation des jeux d’échelles spatiales (multilevel governance), ces auteurs focalisent leurs

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propos sur l’analyse des instruments de l’action publique (politics) ainsi que sur le rôle de la

myriade d’acteurs impliqués dans ces reconfigurations (policy) agissant à différentes échelles (rôle

majeur des réseaux transnationaux et des ONG). Ils mettent ainsi en lumière le fait que

l’émergence d’une gouvernance environnementale globale dédiée à la résolution des problèmes

climatiques à l’échelle municipale ne peut se comprendre qu’en considérant la formation de

coalitions d’acteurs métropolitains aux intérêts et stratégies bien définis, tout en ayant réussi à

évacuer des arènes décisionnelles d’autres acteurs plus marginalisés. C’est ainsi que ces auteurs

mettent en évidence l’importance des conflits et des rapports de force entre acteurs

métropolitains soumis à des pressions externes pour expliquer les choix des transitions

sociotechniques opérées à l’échelle locale.

Le phénomène d’urbanisation, tel que considéré par ce premier courant théorique, est

décrit comme un processus de transformation socio-métabolique mis en lumière par les tenants

d’une écologique politique urbaine (Heynen & Swyngedouw, 2006; Swyngedouw, 2006). Les

infrastructures représentent ainsi une dimension centrale de leurs analyses dans le sens qu’elles

autorisent et arbitrent les circulations socio-écologiques urbaines (Bulkeley, Broto, et al., 2011).

Les conceptualisations et théorisations traditionnelles du lien entre territoire et réseau, sujet de

nombreuses publications en langue française sous l’égide du groupement de recherche Réseaux

du CNRS (Dupuy, 1991; Offner, Pumain (ss la dir), 1996; Lorrain, 1999; Offner, 1996) font

l’objet de remises en cause récentes sous l’effet de la désintégration néo-libérale du secteur

énergétique et de l’apparition d’innovations technologiques. Ces processus combinés seraient à

l’origine de la formation de réseaux décentralisés et autonomes hors du système des réseaux

jusqu’alors pensés comme indéfiniment extensibles et universels (Coutard, 1999; Coutard,

Hanley, & Zimmerman, 2005; Dupuy, 2011; Graham, 2002; Graham & Marvin, 2001; Hodson &

Marvin, 2010; Lorrain, 2002; Offner, 2002). Une nouvelle dialectique territoriale, faite de

fragmentation et de différenciation sociale, obligerait ainsi à reconsidérer la pertinence de la

notion de large technical system, certains allant même jusqu’à percevoir les prémisses d’une ville sans

réseaux (Petitet, 2011).

Alors que la dimension technique et technologique du sujet est centrale, les deux courants

décrits jusqu’ici éludent de leur approche des transitions socio-techniques liées à l’énergie, la

dimension des pratiques et des usages individuels. Sous l’impulsion des nouvelles politiques de

maîtrise de l’énergie (dans une perspective d’aide à la décision publique), une littérature

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scientifique émergente, usant de référentiels plus sociologiques et anthropologiques, s’attache à

disséquer les différents modes de réception des publics confrontés à l’utilisation d’une nouvelle

technologie. Dans la lignée des travaux d’Alain Gras sur la sociologie des techniques de la vie

quotidienne (Gras, Joerges, & Scardigli, 1992), des travaux sur la diffusion des innovations (Alter,

2002; Desjeux, 2002; Rogers, 1995), de la sociologie de la traduction (Akrich, Callon, & Latour,

2006), des chercheurs (Henning, 2005; Shove & Walker, 2010; Subrémon, 2009, 2010; Wilhite,

2005 ) en se focalisant sur l’usager et ses pratiques, tentent de « saisir les raisons pour lesquelles

les comportements des acteurs se transforment, ou pas, face à une politique, une technique, ou

un effet de contexte qui vise à les faire changer » (Zélem, 2010, p. 15).

Ce cadre théorique, d’essence pluridisciplinaire, constitue une trame et un appui théorique

salutaire cohérent avec la manière dont nous avons caractérisé les enjeux de la transition

énergétique, c'est-à-dire comme étant un processus multiforme impliquant la reconnaissance du

rôle d’acteurs politiques, institutionnels, économiques et techniques agissant à différentes

échelles, mais aussi prendre en compte l’implication de la société civile, des populations locales,

des communautés et des usagers.

OBJET ET OBJECTIFS DE L’ETUDE

Le choix d’Istanbul comme support d’investigation des enjeux énergétiques, s’avère

particulièrement pertinent pour plusieurs raisons. Un travail préliminaire de recherche réalisé en

Master 1 intitulé Politiques énergétiques et accès aux services urbains en réseau à Istanbul (Arik, 2011) avait

mis en lumière toute l’acuité et la sensibilité de la problématique énergétique dans cette métropole

turque. Locomotive économique d’une Turquie en pleine phase de croissance économique et

démographique, le dynamisme de la première métropole nationale, de plus de quinze millions

d’habitants, participe au gonflement de la facture énergétique nationale. Cette hausse est d’autant

plus préjudiciable que la Turquie est un pays grandement dépendant des ressources extérieures

qu’elle importe13. La Municipalité Métropolitaine d’Istanbul (MMI), structure institutionnelle en

place depuis 1984, en lien avec des acteurs privés et dans le cadre de stratégies nationales, est à

l’origine de nombreuses initiatives afin de réduire sa consommation énergétique. Ainsi, voit-on

apparaître des projets de production d’électricité à partir de la méthanisation des déchets ou en

cogénération, des panneaux solaires et des éoliennes fleurissent sporadiquement sur des

13 72% des ressources énergétiques dont la Turquie a besoin sont importés d’Iran, d’Irak, du Turkménistan d’Azerbaïdjan et de Russie… (OCDE/IEA 2010)

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15

bâtiments municipaux ou au cœur de projets immobiliers labellisés par les standards

internationaux de durabilité… L’une de nos principales conclusions faisait alors état d’une

réappropriation sélective des enjeux de durabilité et d’efficacité énergétique par la MMI qui

érigeait ces projets en vecteur d’internationalisation de la métropole. Cette conclusion s’appuyait

entre autres, sur l’observation d’une redéfinition opportuniste des missions d’acteurs semi-

municipaux dont le savoir-faire et l’expertise en matière énergétique s’avéraient fictifs et par

l’investissement des pouvoirs publics dans la fabrication de logements de standing,

énergétiquement mieux favorisés, accentuant ainsi la fragmentation sociale du territoire.

Aujourd’hui, avec plus de recul, le déroulé argumentatif aboutissant à cette conclusion, aussi

fondée puisse-t-elle être, révèle quelques lacunes. C’est pourquoi à l’aune des arguments dévoilés

par les courants mobilisés, notamment sur les enjeux de gouvernance, nous aimerions en premier

lieu réévaluer la pertinence de nos propos. Il s’agira en définitive de répondre à la question

formulée par les auteurs de l’ouvrage Cities and low carbon transition (Bulkeley, Broto, et al., 2011) :

comment et pourquoi Istanbul initie-t-elle une politique de transition énergétique et quelles en

sont les conséquences ?14 Ceci nous permettra d’évaluer la capacité institutionnelle, réglementaire

et politique des pouvoirs locaux, de mettre en lumière la liste des acteurs impliqués et des

rapports de force qui conditionnent leurs stratégies ainsi que les freins inhérents au changement

dans ce contexte. D’autre part, alors que les exemples mobilisés par ces auteurs radicaux traitent

souvent du cas des villes mondiales européennes et nord américaines (Londres, Stockholm, San

Francisco, New York…), observe-t-on le même déroulement des dynamiques à Istanbul ? Les

montées en généralité autour de la reconfiguration de ces gouvernements métropolitains

conservent-elles leur pertinence dans un contexte urbain différent ? C’est d’ailleurs cette question

que se posent Mike Hodson et Simon Marvin après avoir conclu qu’il est possible d’opérer une

transition socio-technique à l’échelle urbaine : « […] what happens in cities that do not have the resources

and capacities to mobilise that world cities have ? Further research should engage with transitions in cities other

than premium world cities and examine what transitions look like in ordinary cities, and cities of the global

South » (Hodson & Marvin, 2010a, p. 484)

Enfin, souhaitons que ce mémoire puisse apporter une première pierre heuristique à l’édifice

d’une méthodologie révélatrice des trous noirs des études actuelles sur la transition énergétique.

Pour ce faire, l’une des innovations socio-techniques majeures à l’échelle de la Turquie entrevue

14 « How, why and with what implications are cities effecting low carbon transition » p.3

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l’année précédente nous servira d’appui. En effet, depuis les années 1990, l’Etat turc a initié une

politique d’acheminement du gaz naturel dans les plus grandes villes turques. A l’échelle

d’Istanbul, le succès somme toute limité de cette transition (un quart des ménages stambouliotes

feraient encore usage du bois ou du charbon comme moyen de chauffage15) ne peut se

comprendre uniquement via la focale des instruments d’actions publiques nationaux et

métropolitains. D’autres mécanismes de régulation politique et socio-économiques locaux ainsi

que les usages individuels de ces ressources mettent à mal cette transition énergétique pensée par

des coalitions d’acteurs nationaux ou « méta-métropolitains ». Comment réarticuler ces

différentes règles du jeu de l’action publique plus ou moins formelles à la réalité des usagers

finaux, tout en montrant l’ensemble des interactions entre acteurs de natures diverses source

potentielle de réinterprétation et de « traductions » différentes (Callon et al., 2006) qui peuvent

constituer autant d’accélérateurs ou de freins à la transition ?

PLAN

Trois temps seront nécessaires au déroulement de notre fil argumentaire. La première partie

développera plus en profondeur notre cadre théorique, ses limites, et la problématique qui en

découle au regard de notre terrain d’étude. Les deux parties suivantes centrées sur le terrain se

risqueront à la confrontation entre la théorie et la pratique ; la première d’entre elles se focalisera

plus particulièrement sur les dimensions de l’action publique et la seconde traitera de la récente et

majeure transition énergétique survenue à Istanbul depuis l’acheminement du gaz naturel.

15 Estimation réalisée par le journal Zaman dans un article du 14 mars 2005

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Partie 1 :

Problématique, cadre théorique et méthodologie de recherche

1.1. CADRE THEORIQUE : APPORTS ET LIMITES

Le dernier rapport du Word Energy Council intitulé Energy and Urban innovation (WEC, 2011)

réaffirme le rôle central joué par les villes dans la transition énergétique. Cette responsabilité

confiée aux gouvernements urbains locaux implique l’adoption d’un « ensemble de mesures »

(package measures) qui articule des réformes institutionnelles, économiques et financières afin de

permettre le déploiement de solutions techniques plus efficaces énergétiquement. Toutefois, les

auteurs du rapport précisent que ces réformes doivent toujours être considérées au regard de leur

inscription dans un contexte national et local spécifique. C’est ainsi qu’après avoir détaillé les

éléments théoriques mobilisés, nous souhaitons en révéler leurs limites à la lumière des

dynamiques urbaines de la ville d’Istanbul.

1.1.1. Les théories

Prévenons dès à présent le lecteur des difficultés rencontrées pour circonscrire

minutieusement notre cadre théorique. Cela tient au fait que certains auteurs naviguent

notamment au sein des deux premiers courants mobilisés, leurs objets d’étude s’avérant proches.

Dans un cas la transition est abordée via le prisme des instruments de l’action publique, dans

l’autre c’est l’objet des « réseaux » qui focalise l’attention. Dans les deux cas, on retrouve

l’évocation des deux approches. Ces deux grandes familles théoriques se différencient donc par la

manière d’aborder l’objet d’étude en question.

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1.1.1.1. Gouvernance du changement climatique et transition socio-technique : jeux d’acteurs, jeux d’échelles

Gouvernance globale de l’environnement et perspective multi-niveau

Harriet Bulkeley, géographe anglaise et Michelle Betsill, politologue américaine, à l’origine de

la conceptualisation du global environnemental governance et du multi-level perspective16 (MLP), constatent

que l’action publique urbaine élaborée en vue de réduire les émissions de Co2, redessine les

contours du paradigme de la gouvernance, qui procède d’une part, à une redéfinition des rôles

verticaux entre l’Etat et les collectivités locales et, d’autre part, à l’apparition de nouvelles

relations horizontales entre de multiples acteurs. D’après les auteures, ces acteurs agissent

désormais dans et entre différentes échelles. La gouvernance du changement climatique ne serait

donc plus, ou globale, ou locale, mais beaucoup plus complexe car à la fois et globale et locale,

tout en étant hybridé en faisant fi d’une stricte hiérarchie entre les niveaux d’intervention. Cette

affirmation repose sur l’observation des stratégies d’action des réseaux transnationaux dédiés aux

questions énergétiques (ICLEI, C40, Climate Alliance and Energy Cities)17. Ces réseaux

contournent volontairement l’échelle nationale pour supporter directement les actions des

municipalités urbaines, perçues comme l’échelle optimale d’intervention politique contre les

effets du changement climatique. Agir à l’échelle locale serait pertinent car, premièrement, les

villes sont les principaux lieux d’émission de Co2 et de consommation d’énergie, c’est donc à

cette échelle que les gouvernements locaux peuvent et doivent agir ; deuxièmement, les villes sont

déjà sensibilisées aux enjeux du changement climatique (généralisation des Agendas 21 locaux),

certaines d’entres elles ont acquis une grande expérience de management et d’expérimentation de

solutions innovantes ; troisièmement, les autorités locales sont des interlocuteurs privilégiés des

acteurs privés, ces formes de partenariat (PPP) existent déjà autour des projets énergétiques. Les

mille deux cents collectivités locales aujourd’hui membres du réseau18 reçoivent ainsi un appui

logistique pour des projets de monitoring des émissions de Co2, tout en s’inspirant des bonnes

pratiques existantes, diffusées grâce au réseau.

Selon ces auteures, les théories traditionnelles des régimes internationaux et des réseaux

transnationaux n’offrent plus désormais un cadre d’analyse suffisamment pertinent pour

16 Bulkeley, Betsill, 2005, Cities and Climate Change : urban sustainability and global environmental governance, Routledge ; Bulkeley, Betsill, 2006, « Cities and the Multilevel Governance of Global Climate Change, Global Gouvernance, vol.12, n°2 17 Harriet Bulkeley et Michelle Betsill se focalisent sur le programme Cities for Climate Protection (CCP) du réseau International Council for Local Environmental Initiatives (ICLEI) 18 Voir le site www.iclei.org

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comprendre l’action des réseaux municipaux transnationaux. Alors que la théorie des régimes

d’action confirme l’influence encore majeure des Etats en tant que garants de la souveraineté

nationale et concepteurs des règles de coopération à l’intérieur du régime : « this top-down perspective

assumes a vertical relationship between the international, national, regional, and local scales and ignores the role of

local governments as an important site of global environmental governance in their own right » (M. Betsill &

Bulkeley, 2006, p. 146). Les auteures n’hésitent pas à rappeler que les villes se sont initialement

appropriées la question climatique en dehors de tout cadre national. De son côté, l’analyse

traditionnelle des réseaux transnationaux amplifie le rôle des acteurs non gouvernementaux tout

en affaiblissant l’influence des acteurs gouvernementaux : « rather than establishing transnational

networks as non-state actors, it may be appropriate to view them as multifaceted, having some of the features of

nongovernmental, quasi-governmental and business organizations » (Betsill & Bulkeley, 2006, p. 148).

L’analyse de la gouvernance multi-niveau est ainsi un nouveau cadre conceptuel proposé par

ces auteures, originellement adapté à l’analyse des politiques de développement régional au sein

de l’Union Européenne. Selon elles, seule cette approche permet d’illustrer la triple dynamique de

redistribution (rescaling) des arènes et des formes de gouvernement du changement climatique :

vers le haut jusqu’aux organismes internationaux et réseaux transnationaux ; vers le bas en

direction des villes et des régions ; vers l’extérieur avec l’apparition d’acteurs non

gouvernementaux. Plus qu’un cadre d’analyse des nouvelles formes de coordination verticale et

horizontale, la gouvernance multi-niveau entend rendre compte d’une hiérarchisation des

relations beaucoup plus poreuse voire quasi-absente. En effet, certains membres des réseaux

(industriels, ONG, société civile…) agissent à différentes échelles. Les réseaux transnationaux ont

ainsi la capacité d’arbitrer et de négocier au nom de leurs membres au sein des différentes arènes

décisionnelles. Cette légitimité s’explique en partie par le fait que les réseaux ont su créer leur

propre arène de gouvernance en s’imposant des règles et des normes d’action ainsi que des

objectifs partagés par tous les membres. Il est important de souligner à cet égard que cette

gouvernance climatique n’écarte pas les acteurs gouvernementaux. Bien au contraire, au sein des

réseaux, on retrouve la présence d’agences gouvernementales dédiées à ces questions. L’échelle

nationale demeure ainsi toujours pertinente pour définir un cadre d’interprétation des enjeux du

changement climatique: « a multilevel governance perspective does not necessarily signal a weakening of the

state but rather a redefinition of the scope and scale of state activity » (Betsill & Bulkeley, 2006, p. 153).

Cette gouvernance, faite d’arrangements polycentriques entre des sphères d’autorité plus ou

moins interconnectées, sans relations hiérarchiques stabilisées, entrecroise les règles, les normes,

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les intérêts et les valeurs de chaque groupe. Cette nouvelle redistribution des rôles et des marges

de manœuvre de chacun est alors source de conflits et de potentielles inerties locales. Preuve du

caractère intrinsèquement contesté de ce processus (M. Betsill & Bulkeley, 2006, p. 154),

l’opérationnalisation et la transcription des objectifs généraux élaborées par les réseaux

transnationaux en politique publique locale rencontrent parfois certaines complications. Ce

dernier facteur est d’ailleurs l’un des points de désaccord scientifique concernant les trajectoires

de diffusion des transitions socio-techniques développées par Franck W. Geels.

Débats à propos des transitions socio-techniques

Cet auteur néerlandais qui s’intéresse aux mécanismes d’apparition des transitions

technologiques, est le pionnier du MLP (Multi-Level Perspective)19. Ce concept analytique situe

les transformations technologiques dans un cadre socio-politique et économique large. Geels

établit trois niveaux de compréhension des interactions entre acteurs. Une innovation se

développerait à l’intérieur de « niches » (échelle micro), puis elle se diffuserait progressivement au

cœur de « paysages sociotechniques » (échelle macro) par l’intermédiaire des « régimes socio-

techniques » (échelle méso).

Figure 1 : Perspective Multi-Niveau des transitions socio-techniques (F. W Geels & Schot, 2007, p. 401)

19 A ne pas confondre avec la gouvernance multi-niveau de Bulkeley en dépit des sigles identiques parfois employés.

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Les niches décrites comme des « chambres d’incubation » (Geels, 2004, p. 912) sont des espaces

stables et protégés par des règles précises, dans lesquels les producteurs (scientifiques R&D)

sponsorisés par des acteurs nationaux ou privés tentent de stabiliser une innovation par différents

moyens (réseaux scientifiques, publications, séminaires…). Les régimes socio-techniques, scènes

encore plus stabilisées que les niches, caractérisent une « série de règles semi-cohérentes » (Geels,

2002, p. 1260) instituée entre différents acteurs (autorités publiques nationales voire locales,

financiers, fournisseurs industriels, usagers…) pour influencer une trajectoire technologique. La

formation de cette institution collective, aux ressources cognitives plurielles, réunie autour d’une

vision partagée, fonctionne comme un « mécanisme de rétention et de sélection des innovations »

(Geels, 2002, p. 1260). Les trajectoires technologiques, confortées ou non par les régimes, sont

enfin enchâssées dans un « paysage socio-technique » qui regroupe des macro-tendances socio-

économiques (démographie, niveau de vie, conjoncture des prix, système culturel…), politiques

(configuration des forces politiques), matérielles (infrastructures) et géographiques (aménagement

du territoire). Le « paysage » représente donc une externalité majeure qui influe sur la diffusion

d’une technologie. Les premières critiques adressées au MLP dénonçaient la linéarité de type

bottom-up des trajectoires technologiques ; ce mouvement ascendant caractérisant l’ouverture

d’une fenêtre d’opportunité par les régimes et paysages qui permettait aux innovations de trouver

une attention particulière et ainsi se diffuser. Geels a réajusté son concept en rappelant dans un

premier temps qu’un processus de transition socio-technique est un processus qui doit se lire

dans le temps long et qu’il n’est jamais une transition brutale mais plutôt la conséquence d’une

série d’innovations incrémentales. Ainsi, dans cette version corrigée du MLP (Geels & Schot,

2007), Geels conçoit que des interactions « perturbatrices », « compétitives », « renforcées » ou

« symbiotiques » couplées à la temporalité des pressions (pression du régime sur une niche peu

développée par exemple) n’ont pas les mêmes conséquences sur la transition. Il en résulte une

typologie des transitions en fonction des temporalités et de la nature des interactions entre

acteurs qui conduisent à expliquer des processus d’alignement/désalignement entre niveaux, des

degrés de pression variables et descendants, l’ouverture de fenêtres d’opportunité ou la

persistance des chemins de dépendance à certains moments.

Cette complexification du MLP ne réussit cependant pas à séduire certains chercheurs. Deux

éléments de critique retiennent particulièrement notre attention. Le premier, nous l’avons déjà

évoqué, concerne le caractère fondamentalement politisé des transitions. Les conflits entre

acteurs en tant que « motivation et contrainte structurante du changement » (Bulkeley, C.Broto, &

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Maasen, 2011, p. 33) sont ainsi minimisés au sein du MLP. La seconde critique porte sur la non

prise en compte des villes dans le processus, alors qu’elles représentent désormais les principaux

lieux de concentration humaine et économique. Ce n’est pas un hasard si cette critique provient

de géographes radicaux (Hodson & Marvin, 2010a) percevant le processus d’urbanisation comme

consubstantiel à la transformation du capitalisme : les villes absorbant le surplus de capital

engrangé dans d’autres secteurs (Harvey, 2011). Pour Geels, les villes ont un rôle important

uniquement durant les phases initiales de la transition, mais qui s’amenuise durant les phases de

diffusion qui impliquent des acteurs nationaux plus influents (Geels, 2011). Pour les géographes

radicaux, la position des métropoles dans la hiérarchie urbaine mondiale et nationale ainsi que le

niveau de ressources institutionnelles et financières dont elles disposent, déterminent leur

capacité à être influencées ou d’influencer une transition nationale20, (Hodson & Marvin, 2010a,

p. 481). A l’image de leurs études sur la diffusion de la technologie de l’hydrogène à Londres, la

transition socio-technique est ici analysée en termes de policies (Bulkeley, C.Broto, & Maasen,

2011; Hodson, Marvin, 2007) mettant en valeur des choix et des orientations en fonction du jeu

d’intenses négociations entre acteurs publics et privés, nationaux et locaux aux intérêts distincts.

Les différentes études de terrain menées par Simon Marvin et Mike Hodson sur les

reconfigurations politiques et matérielles constitutives des politiques d’adaptation aux effets du

changement climatique dans différentes villes mondiales du Nord, les conduisent à formuler une

thèse stimulante (Hodson & Marvin, 2010b). L’accroissement de l’intensité des pressions

écologiques (hausse du niveau de mer, canicules, inondations) et énergétiques (raréfaction des

ressources) auxquelles ces villes sont soumises augmente la vulnérabilité des infrastructures

urbaines21 installées au cœur du mécanisme de stabilité et d’expansion économique urbaine. Ainsi,

selon eux, la diffusion des connaissances et des nouvelles pratiques de l’action urbaine depuis les

attentats du 11 septembre ou la catastrophe naturelle occasionnée par l’ouragan Katrina,

véhiculée notamment au travers des réseaux transnationaux22 a pour but de sécuriser ces

infrastructures garantes des capacités de reproduction économique des villes. Cette recherche de

sécurisation urbanistique et de résilience des infrastructures (SURI : secure urbanism and resilient

infrastructure) réalisée par les « coalitions de croissance » (growth coalition) à la tête de ces métropoles

post-démocratiques et oligarchiques (Pinson, 2010) n’est pas sans conséquence sur la

20 « Cities have differential capacity to ‘be shaping of’ or shaped by national transitions » (Hodson & Marvin, 2010a, p. 481) 21 L’interconnexion entre l’ensemble de ces infrastructures avait déjà considérablement augmenté leur vulnérabilité (Zimmerman, 2002) 22 Ils prennent exemple du réseau C40 (Cities Climate Leadership group) « espace exclusif d'échanges et d'expérience regroupant grandes entreprises, experts et représentants politiques des plus grandes villes » (Verdeil, 2011, p. 2)

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transformation d’un métabolisme urbain pensé comme réticulaire jusqu’à aujourd’hui, et mis en

lumière par les tenants des large technical system.

1.1.1.2. Les Large Technical System (LTS) : un concept encore d’actualité ?

La notion de macro-système technique est étroitement liée à celle de réseau qui définit « un

ensemble d’équipements interconnectés, planifié et géré de manière centralisée à une échelle

tantôt locale, tantôt plus large et offrant un service plus ou moins homogène sur un territoire

donné qu’il contribue ainsi à solidariser » (Coutard, 2010, p. 102). Sans entrer dans le détail des

controverses sémantiques entre ces deux notions23, nous pensons à l’instar d’Alain Gras (Gras,

1993, p. 113) que l’expression macro-système technique renvoie plus fidèlement à la conception

systémique d’un réseau dont l’efficacité de fonctionnement s’accroît proportionnellement à

l’augmentation de sa taille. L’archétype des LTS sont les réseaux de transport, de

télécommunication, d’approvisionnement énergétique et les réseaux de services urbains (eau,

assainissement, électricité, gaz…). Ces grands réseaux ne sont donc pas l’expression unique d’une

réalité matérielle ou technique mais sont constitutifs d’un système d’action aux implications

institutionnelles, sociales et territoriales fortes. Le choix d’extension d’un réseau, les modalités de

son exploitation (universalité du service, tarification à l’usager) sont le « résultat d’un consensus

entre divers intérêts en présence » impliquant les autorités publiques territoriales compétentes et

l’opérateur du réseau (Offner, Pumain (ss la dir), 1996, p. 65). Délaissant partiellement l’approche

territoriale des réseaux essentiellement mise en avant par le groupement de recherche Réseaux du

CNRS (processus d’homogénéisation/solidarisation territoriale, de connexité/contigüité spatiale

évalué en fonction des degrés d’accès au service et de l’impact des réseaux dans la construction

politique des territoires)24, l’approche LTS s’intéresse plus spécifiquement aux évolutions des

modes de régulations politiques et économiques ainsi qu’aux stratégies des firmes individuelles

(management), des secteurs économiques (régulation industrielle et publique) en relation avec les

dynamiques sociétales plus globales (Coutard, 1999, p. 1). Les réseaux urbains sont ici perçus

sous le prisme des systèmes technico-économiques et socio-politiques.

23 A ce sujet se reporter à l’article de Jean Marc Offner, intitulé « Réseaux et large technical system : concepts complémentaires ou concurrents », Flux n°26, 1996, pp.17-30 24 « Les réseaux promeuvent à mesure de leur développement une forme spécifique de territorialité commandée par un principe de connexité plutôt que de contigüité et caractérisée par un télescopage des échelles spatiales. […] Symétriquement le développement des réseaux est conforté par cette forme de territorialité. Dans le même temps, l’équipement infrastructurel et la fourniture des services universels participent de la construction des territoires politiques (notamment nationaux) » (Coutard, 2010, p. 107) ; « Moreover, the development of LTSs cannot be reduced to their spatial dimensions. Sometimes, the ‘largeness’ of an LTS does not even refer to its size at all » (Coutard, 1999, p. 3)

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Depuis deux décennies, d’importantes évolutions contextuelles et structurelles réinterrogent la

pertinence du concept de macro-système technique : « À la circulation linéaire des flux favorisée

par les réseaux (prélèvement de la ressource, approvisionnement des zones peuplées, puis

évacuation des déchets) est désormais préférée une circulation (re)bouclée des flux d’eau,

d’énergie, de matières (recyclage, réutilisation). Au référentiel de l’efficacité technico-économique

(économies d’échelle et d’envergure; gestion de flux) est préféré un modèle de la performance

écologique (préservation des ressources et des milieux; gestion de stocks). À l’échelle large des

réseaux conventionnels (régions urbaines, espaces nationaux…) est préférée l’échelle locale du

bâtiment, de l’îlot, du quartier. À la satisfaction systématique de besoins inexorablement

croissants est préférée la recherche d’une plus grande ‘sobriété’ » ( Le Bris et Coutard, 2009, p.

6). Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer ces transformations qui autorisent désormais

l’apparition de réseaux décentralisés plus autonomes aux marges des grands réseaux industriels

(Rutherford & Coutard, 2009). Le premier est la remise en cause de l’efficacité environnementale

de ces systèmes réticulaires qui dissocient, de manière toujours plus forte, les lieux de

prélèvement des ressources des lieux de leur consommation jusqu’aux lieux de déversement des

déchets rejetés. Le souhait de recréer des systèmes autonomes promouvant un métabolisme

circulaire a notamment été rendu possible par le développement des NTIC « mises au service

d’une organisation fonctionnelle plus distribuée » (Rutherford & Coutard, 2009, p. 8) et par

l’apparition des nouvelles technologies énergétiques. D’autre part, des transformations macro-

économiques ont également profondément bouleversé les modes de régulation traditionnelle des

LTS. En effet, les réseaux socio-techniques étaient gérés jusqu’à présent sous la forme de

monopoles publics, modèle organisationnel naturel pour ce type d’activité jugée trop stratégique

pour être laissé aux logiques du marché. Les réformes libérales du secteur des réseaux ont remis

en cause ce système hiérarchisé fortement régulationniste (octroi d’importantes subventions

publiques pour baisser les tarifs). Les préceptes de déréglementation et de désintégration du

marché ont ouvert à la concurrence ces secteurs autorisant ainsi les privatisations et l’apparition

de nouveaux opérateurs. Enfin, au fur et à mesure qu’une majorité des populations urbaines ont

eu accès aux LTS, à l’enthousiasme populaire initial a succédé un souhait de différenciation avec

des services de plus grande qualité et plus individualisés. Cette dynamique est étroitement

corrélée avec les mutations urbaines actuelles qui permettent l’accès à des services mieux adaptés

à chacune des demandes (mini-réseau, individualisation des factures…) favorisant ségrégation et

fragmentation socio-spatiale au détriment d’une solidarité et d’une homogénéité territoriale des

services.

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Ces deux derniers facteurs, et notamment le premier plaideraient en faveur du processus de

splintering urbanism mis en lumière par Stephen Graham et Simon Marvin (Graham & Marvin,

2001) qui évoquent les conséquences territoriales désastreuses des disparitions des grands services

urbains en réseaux pensés alors comme intégrateurs et universels. Selon eux, le processus de

désintégration (unbundling) cautionnerait les logiques de contournement (by-pass) des grands

réseaux au profit d’espaces solvables (premium network spaces) et au détriment de ceux qui le sont

moins. Ce modèle devient ainsi source de fragmentation. Cette thèse de la fragmentation

soutenue par la dérégulation des macro-systèmes techniques n’est cependant pas jugée recevable

par nombre de spécialistes de la question25 (Coutard, 2008; Dupuy, 2011; Lorrain, 2002, 2011;

Coutard, 2010). Deux éléments centraux semblent venir contester les arguments de ces

géographes radicaux. Le premier est lié au postulat sur lequel s’est fondée toute leur théorie, selon

lequel, avant ces réformes économiques, le service proposé était entièrement universalisé et

intégré. L’histoire des réseaux n’a pourtant jamais témoigné d’une intégration urbaine complète

en termes socio-spatiaux en particulier dans les villes du Sud (Coutard, 2008) : « finally, behind the

universality of services, a great disparity in the quality of service lies hidden » (Offner, 2002). Cette

fragmentation urbaine par les réseaux est d’ailleurs souvent l’œuvre des stratégies volontaires de

différenciation socio-spatiale mises en œuvre par les autorités publiques locales elles-mêmes.

L’acteur privé ne peut donc être considéré comme l’unique responsable des processus de

fragmentation urbaine26. Le second élément évacue de cette théorie la réalité des stratégies locales

d’adaptation des populations face aux déficiences des services urbains qui, comme la littérature

sur les Petits Opérateurs Privés (POP) l’a montré, permet de parler d’une diversité des situations

au-delà de la séparation péremptoire entre branchés/débranchés (Jaglin, 2004). En définitive, à

défaut de pouvoir généraliser à propos d’une aggravation de la ségrégation urbaine par les réseaux

depuis la désintégration du secteur, la théorie du splintering urbanism soutient involontairement

l’impérieuse nécessité de toujours examiner le contexte social, économique, politique et culturel

dans lequel s’insèrent les services urbains en réseau.

Concluons enfin cette partie en répondant à la question initialement posée : les LTS sont-ils

un concept et a fortiori une forme matérielle dépassés ? A ce sujet, la position de plusieurs

25 Pour une critique complète de cette théorie, se reporter à l’article d’Olivier Coutard intitulé « Placing splintering urbanism : introduction », 2008, Geoforum 39, pp.1815-1820 26 Dans la conclusion de l’ouvrage de Dominique Lorrain sur les métropoles XXL, on peut notamment lire : « […] si un urbanisme ségrégué se développe, c’est plus par la promotion foncière et les opérations de construction que par les réseaux urbains, dont la vocation à l’universalisation et la forte réglementation par la puissance publique sont partout affirmées » (Lorrain, 2011b, p. 396)

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26

auteurs est sans équivoque (Le Bris & Coutard, 2009; Coutard, 2010; Rutherford & Coutard,

2009). Selon eux, les vertus des macro-systèmes techniques demeurent en dépit des contestations

environnementales et économiques dont ils sont l’objet. Ils invitent à se méfier de la doxa

écologique du « small is beautiful » car les systèmes alternatifs, plus autonomes et plus petits ne sont

pas des solutions parfaites. Le métabolisme circulaire promu par ces systèmes ne serait pas sans

risque hygiénique face au danger de stagnation des flux. Qui plus est, leur autonomie est bien

souvent garantie grâce à leur raccordement au grand réseau industriel. La forme des LTS n’est

donc pas à sacrifier sur l’autel de la durabilité, mais doit au contraire s’ajuster pour former des

« systèmes hybrides » ou « composites » (Coutard, 2010). Par ailleurs, en s’intéressant aux intérêts

motivant ces changements, ce chercheur montre que ces systèmes souvent présentés comme

décentralisés sont en réalité gérés de manière autant, sinon plus centralisée que les grands réseaux

industriels. C’est pourquoi, ceux qui participent au développement de ce qu’il appelle la post-

networked city ne sont en réalité pas toujours motivés par des préceptes de durabilité, mais plutôt

attirés par l’opportunité présente des technologies qui peuvent garantir le maintien et la

reproduction identique du fonctionnement des anciens systèmes (Coutard & Rutherford, 2011).

Enfin, les investissements massifs dans les grandes infrastructures de réseau, réalisés dans les

villes du Sud27, ne semblent pas plaider en faveur d’une disparition des macro-systèmes

techniques. Au contraire, ils représenteraient dans le contexte de ces métropoles XXL, des

vecteurs politiques d’intégration territoriale et d’apprentissages institutionnels de nouveaux

instruments de l’action publique (Lorrain, 2011).

1.1.1.3. Pratiques et usages: les grands oubliés de la transition énergétique

Enjeux de nouvelles luttes politiques et économiques au cœur d’une transition énergétique

moins carbonée, ces réseaux s’avèrent également contournés par les pratiques locales d’autres

acteurs. Cet aspect de la transition est peu, voire non détaillé, par les courants précédents cités

bien que les auteurs restent conscients de son importance : par exemple, Harriet Bulkeley écrit

« infrastructure networks are not only contested but also in some way subverted by the everyday practices of actors in

the city » (Bulkeley, C.Broto, et al., 2011, p. 37). Ces pratiques sociales désignent les nouveaux

comportements individuels, mais aussi collectifs, issus d’une confrontation avec une nouvelle

technique énergétique. Dans notre cas d’étude, cela peut concerner des nouveaux modes de

chauffages, des techniques pour économiser l’eau, l’électricité, la chaleur. Ces pratiques entraînent

27 Dynamique mise en lumière dans les contributions à l’ouvrage de D.Lorrain, 2011, Métropoles XXL en pays émergents, Les Presses de SciencesPo

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27

l’apparition de nouveaux usages quotidiens en remplacement d’anciens. Cette séquence de

l’appropriation, de la confrontation à quelque chose d’étranger, est potentiellement source de

tensions individuelles ou collectives. Les normes inconsciemment intériorisées sont mises à mal.

L’ordre social est momentanément perturbé. Dominique Desjeux parle des « rugosités sociales »

pour évoquer ces freins au changement. L’émergence de nouvelles pratiques est donc le fruit

d’une « transformation simultanée des relations économiques, sociales et symboliques du terrain

d’accueil » (Alter, 2002, p. 17). Le chemin de l’innovation est tortueux. Il représente « l’ensemble

du processus social et économique amenant l’invention à être finalement utilisée ou pas » (Alter,

2002, p. 16).

Paradoxalement, cette question des pratiques sociales liées à l’énergie n’est que depuis peu

l’objet d’une attention particulière. Jusqu’à présent, le débat sur la transition énergétique avait été

accaparé par un regard centré sur l’offre de création technologique délivrée par des ingénieurs ou

des économistes (Henning, 2005; Shove & Walker, 2010; Wilhite, 2005). Il en résulte des

innovations technologiques et des dispositifs pensés « indépendamment des cultures [faisant] fi

des particularités des acteurs, des systèmes d’acteurs et des environnements auxquels ils

s’adressent » (Zélem, 2010, p. 13). Actuellement, ce paradigme techno-centré se décloisonne petit

à petit depuis la prise de conscience de la part des énergéticiens et des thermiciens que leurs

inventions ne deviendront innovations que si les comportements des usagers se les approprient

entièrement28. Comprendre les conditions d’appropriation d’une création dans un milieu donné,

moment charnière du processus d’innovation, implique d’adopter un regard sociologique et

anthropologique recentré sur les demandes : « anthropology is equipped to reframe energy demand as

taking place in the interaction between the consummers and producers of energy choices, both of which are socially

constituted » (Wilhite, 2005, p. 2).

Ces approches rejettent la rationalité individuelle de l’homo-œconomicus. Elles tentent de

montrer que les comportements individuels sont contraints par certains déterminismes sociaux.

Ils sont motivés par des habitus structurés et structurants pour reprendre le vocabulaire

bourdieusien. L’usage de l’énergie n’est pas uniquement lié à une dimension utilitariste (besoin

primaire de se chauffer ou d’accéder à l’électricité) mais également à des questions de classes

sociales, à des effets d’appartenances identitaires plurielles (l’individu réseau), de genre, de morale,

28 Cette affirmation repose sur une discussion menée avec un ingénieur thermicien de l’INSA qui nous expliquait que l’un des principaux verrous scientifiques auxquels les ingénieurs étaient confrontés concernait la compréhension des usages à l’intérieur des bâtiments pour tenter des les modéliser dans des logiciels de simulation en vue d’adapter les dispositifs d’habitat.

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de normes culturelles et symboliques qui expliquent des variations comportementales face à une

technique. La transition socio-technique perturbe le système social dans lequel elle s’insère.

Toutefois, les différents degrés de résistance à l’adoption d’une technique ne peuvent pas se lire

via le prisme d’un argument naturaliste ou d’une inertie inhérente à certaines populations qui ne

veulent pas remettre en cause leurs anciennes pratiques. Les sociologues de l’innovation

considèrent la diffusion comme un « processus social complexe, comme la résultante de

l’agrégation d’une série d’interactions qui transforment une partie du contenu technique de

l’innovation » (Desjeux, 2002, p. 47) et qu’il s’agit donc de démêler. Pour ce faire, les dimensions

sociales, matérielles et symboliques, centrales au cœur du processus de diffusion d’une innovation

(Desjeux, 2002) ne sont révélées qu’à travers une variation des focales d’analyse, du macro-social

au micro-individuel, une dynamique étant visible à une échelle d’observation mais ne le sera plus

à une autre (Desjeux, 2004).

Comprendre les multiples facettes des résistances au changement selon ces différentes focales

d’analyse ne revient donc pas à extirper l’individu ou l’usager de son environnement. Bien au

contraire, ne peut être écartée l’analyse du contenu des dispositifs politiques au capital cognitif

important qui accompagne la diffusion des innovations. C’est dans cette optique que Marie-

Christine Zélem, étudiant les mises en œuvre de politiques de maîtrise de l’énergie (Zélem, 2010),

élabore une anthropologie des décisions à la fois des usagers mais également des professionnels

du secteur des bâtiments et des décideurs politiques. Il s’agit en définitive de « révéler que les

consommateurs ne sont pas seuls à être pris dans des routines et des habitudes, des usages qui

concourent à modeler les politiques publiques et leur inscription sociale » (Subrémon, 2010b).

Si l’on s’intéresse aux résultats de certaines de ces études socio-anthropologiques de l’énergie,

aucun dénominateur commun ne semble influencer intégralement une consommation d’énergie

ou constituer un frein au changement. Des facteurs cognitifs, techniques ou symboliques entrent

en jeu et rendent difficile la généralisation de « recettes » facilitant le changement. Seule une

analyse socio-anthropologique fine des spécificités du terrain semble à même de révéler les

problèmes de diffusion. Ainsi, alors que Christophe Beslay souligne l’importance du poids de la

technique au détriment des dispositions sociales ou des habitudes au cours du passage à

l’individualisation des frais de chauffage dans des copropriétés françaises (Beslay, 2008), Hélène

Subrémon, s’intéressant aux pratiques de l’habiter en fonction des saisons, montre que les

pratiques de consommation d’énergie sont étroitement corrélées aux constructions sociales et

culturelles de l’espace domestique (Subrémon, 2010a). Dans ce dernier cas, le poids des

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techniques est minimisé face à l’importance de pratiques mésologiques et des représentations

individuelles du foyer en fonction des saisons. Marie-Christine Zélem, quant à elle, pointe du

doigt l’absence d’information, de médiation et d’accompagnement des dispositifs de maîtrise de

l’énergie comme frein au changement au-delà de leur contenu, plus ou moins adapté, et au-delà

des conditions d’acceptabilité sociale du changement (Zélem, 2010).

1.1.2. Apports et limites du cadre théorique

Cette présentation succincte des courants mobilisés autour de l’enjeu de la transition

énergétique dans les villes en développement a révélé la diversité des positionnements et des

opinions des auteurs qui ne recourent pas aux mêmes disciplines, aux mêmes méthodologies et

aux mêmes objets d’études. Pourtant, les trois grandes familles théoriques présentées ne semblent

pas s’opposer mais au contraire se compléter. Nous y voyons des éléments d’articulation qui

permettent de densifier les analyses traditionnelles des transitions énergétiques en milieu urbain.

En faisant dialoguer ces théories, il s’agirait de mieux illustrer la transition énergétique comme

étant un phénomène multi-causal, construit progressivement par la co-évolution d’éléments a

priori indépendants mais qui s’enrichissent réciproquement. Les dimensions politiques et

économiques prioritairement mises en avant au sein de la littérature sur les transitions socio-

techniques sont contrebalancées par la réintroduction de la focale des pratiques individuelles de

l’énergie. Par exemple, la linéarité des trajectoires verticale de type bottom-up mise en avant dans le

MLP de Geels s’enrichit des circulations plus horizontales incarnées par des pratiques sociales

considérées comme une dynamique continue et toujours en cours, moins matérielle, mais qui

contribue à façonner le processus de transition (Shove & Walker, 2010). De même que l’analyse

multi-niveau des décisions politiques peut révéler bien des éléments quant à la nature de la

transition, celle des pratiques individuelles au sein d’une salle de bain en révélera d’autres si l’on

reprend l’exemple de Elisabeth Shove et Gordon Walker autour des transitions du quotidien

(Shove & Walker, 2010). Ces derniers écrivent ainsi: « what people do in the privacy of their own

bathrooms is environnementally vital, sociotechnically embedded and subject to processes of multiple causality and

co-evolution. In addition, bathroom routines appear to have arisen and disappeared as an outcome of connected

changes – in concepts of health, in investments in mains water supply, in beliefs and notions of propriety – all of

which reinforce each other. Despite fitting the definition provided above, bathing is not a usual topic for transition

studies. Nor is it one that fits easily in the scheme of the multi-level perspective » (Shove & Walker, 2010, p.

472). Les interactions entre acteurs commerciaux (produits d’hygiène, cosmétiques), acteurs

techniques (opérateurs du réseau d’eau), immobiliers (configuration de l’espace), nationaux

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(sensibilisation publique autour de l’hygiène) et l’usager du lieu, porteur de normes, de

conventions personnelles (hygiène corporelle, santé mentale, fraicheur…) sont toutes

perceptibles dans cet espace et concourent ensemble à expliquer pourquoi prendre une douche

est devenu un comportement quotidien depuis moins d’une génération. Des déductions

semblables pourraient être réalisées autour des questions de chauffage par exemple. Comme le

montre Hélène Subrémon, au sein de la sphère domestique « le chauffage n’est […] jamais

suffisant pour que la sensation de chaleur soit complète. Pour la conserver, des pratiques se

mettent en place qui participent à la construction du climat intérieur […] » (Subrémon, 2010a, p.

709). Son argumentation, qui met en lumière les différentes formes d’appropriation des pièces de

l’espace domestique par rapport à leur résistance au chaud ou au froid et aux représentations des

fonctions des lieux, ne s’articule cependant pas avec des considérations plus politiques et

économiques29 et ce en fonction des différents contextes nationaux et locaux étudiés. Observe-t-

on des pratiques ou des représentations de consommation de l’énergie similaires selon que les

opérateurs énergétiques soient privés ou publics ? Le cas échéant, quels leviers (mode de

facturation, degré de confiance dans l’opérateur, degré de sensibilisation aux économies

d’énergie…) s’avèrent déterminants ? Dans quelles mesures les choix énergétiques nationaux et

les stratégies d’efficacité énergétiques locales ont-ils un impact sur les consommations ?

D’autre part, le courant des LTS renforce cette articulation théorique par le fait que l’objet

étudié, c'est-à-dire le réseau, représente le moyen matériel par lequel l’énergie est acheminée

jusqu’à l’usager. C’est ce que Nicolas Curien appelle le « réseau-support » (Curien, 1993) qui

permet les transactions de flux en termes économiques et dont le fonctionnement est assuré grâce

aux services intermédiaires de « contrôle-commande ». En aval, le réseau permet in fine de

fournir un service plus ou moins différencié et adapté à différentes catégories de clients (Curien,

1993, p. 54). Une comparaison entre les caractéristiques de cet ensemble de prestations et les

pratiques effectives des catégories sociales, considérées comme des usagers et non plus des

clients, peut témoigner d’une certaine inadaptation, potentiel frein à toute transition énergétique.

Cette méthodologie disposerait d’une dimension d’aide à la décision publique pour adapter des

politiques de maîtrise de l’énergie en lien avec les opérateurs des réseaux aux populations ciblées.

29 Précisons que nos propos se basent uniquement sur une synthèse (Subrémon, 2010a) de son travail de doctorat que nous

n’avons malheureusement pas eu le temps d’apprécier. Notre idée est simplement de dire ici que de manière générale, les études socio-anthropologiques autour des pratiques de l’énergie écartaient de leur approche ces questions d’ordre socio-politique et économiques, ce qui se comprend aisément par la nature de l’objet étudié et la méthodologie employée.

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Néanmoins, ces trois familles théoriques, bien qu’articulées entre elles, ne paraissent pas assez

étoffées pour rendre compte des spécificités de la gestion urbaine des villes en développement.

S’intéresser à la question de la transition énergétique dans ces villes, via le prisme des services

urbains en réseau, ne peut pas procéder exclusivement d’une lecture des institutions formelles

incarnées par les coalitions de croissance qui les pilotent. Bien que le modèle du « bien

gouverner »30 (Lorrain, 2003) promu par les instances financières internationales ait largement

reconfiguré les gouvernements traditionnels dans ces villes et ne soit donc pas resté un vœu

pieux, les particularités de l’action collective locale, fortement ancrées territorialement, remettent

partiellement en cause cette notion de modèle (Dorier-Apprill & Jaglin, 2002). Il serait plus juste

de parler des modèles de gestion urbaine31 voire d’un modèle de service urbain local construit

dans le temps long (Lorrain, 2011b). Cette gouvernance hybride dans laquelle « les activités non

conventionnelles sont nécessaires à la satisfaction des besoins basiques des citadins les plus

pauvres et sont de ce fait tolérées, sous diverses formes par les pouvoirs publics » (Lorrain,

2011b, p. 387) n’est que peu étudiée dans le cadre théorique mobilisé. Quoique les géographes

radicaux insistent sur la notion de conflits et de contestations entre acteurs, il n’est fait souvent

que référence à ces acteurs « métropolitains », souvent décrits comme une minorité oligarchique

formée depuis les réformes néolibérales. Cette relative déconnexion des modalités d’une action

collective infra-métropolitaine, plus territorialisée ne rend pas compte des enjeux de politisation,

d’instrumentalisation et des rapports de force politiques et économiques locaux autour des

services urbains. Marie-Hélène Zérah, dans son chapitre sur Mumbai, métropole XXL, montre

bien comment la complexité des régulations des services urbains peut se comprendre à travers le

rôle crucial des élus locaux qui « organisent une forme vernaculaire d’accès au service, fondée sur

une relation privilégiée avec certains groupes » (Zérah, 2011, p. 160). D’autre part, bien que le

local ne puisse être considéré comme « un simple pôle de résistance au changement » (Dorier-

Apprill & S. Jaglin, 2002, p.7), il ne faut pas sous-estimer la vigueur des mobilisations sociales en

tant que force perturbatrice d’un ordre établi jugé injuste. Géraldine Pflieger évoque par exemple

l’influence des mouvements sociaux formés dans des quartiers déshérités de Santiago du Chili en

marge des coalitions de croissance (Pflieger, 2011, p. 356). L’analyse des pratiques individuelles

présente ici le risque de détacher l’individu de cet environnement socio-politique qui fonctionne,

30 Ce modèle d’inspiration libérale prône une « rationalisation des administrations publiques, une généralisation des régulations marchandes et une multiplication des partenariats public/privé » (Dorier-Apprill & S. Jaglin, 2002, p. 5) 31 Nous reprenons la définition d’Elisabeth Dorier-Apprill et de Sylvie Jaglin sur la gestion urbaine « entendue comme l’ensemble des fonctions de coordination des services techniques et de régulation des sociétés et des espaces concourant au fonctionnement urbain » (Dorier-Apprill & S. Jaglin, 2002, p. 6)

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selon nous, comme un mécanisme supplémentaire de filtrage de diffusion ou de rétention des

innovations énergétiques. Il s’agit donc de replacer cette sphère de l’action publique et collective

locale au cœur de l’analyse des pratiques de l’énergie en révélant les moyens par lesquels les

changements atteignent la sphère du privé.

Enfin, bien que le courant sur la gouvernance du changement climatique se semble pas

considérer comme plausible la théorie de la ville comme acteur collectif, l’étude des conflits entre

acteurs se base toutefois sur le postulat d’une unité au sein de chaque structure. Le changement

de nature du problème à résoudre implique des reconfigurations cognitives qui peuvent

constituer autant de blocages internes au sein de chaque institution. C’est ce que démontre Alex

Aylett pour qui le poids des routines et de l’expertise traditionnelle de la bureaucratie municipale

de Durban en Afrique du Sud a empêché d’apporter des solutions efficaces et rapides face à la

crise électrique survenue en 2008 (Aylett, 2011).

1.2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES

Entre ville monde et ville émergente, entre gated communities et gecekondu32, entre formel et

informel, entre régulier et irrégulier, nous souhaitons replacer la transition énergétique à Istanbul

au cœur de cette interface du global et du local. Aux côtés des stratégies officielles

d’internationalisation métropolitaine qui se développent désormais autour d’une communication

sur la durabilité (Pérouse, 2011) et sur l’efficacité énergétique (Arik, 2011), d’autres pratiques

locales, plus ou moins officieuses et tolérées, opèrent comme des mécanismes de régulation

socio-politiques auprès des populations et ce notamment autour de la fourniture des services

urbains. Comme nous le verrons plus loin, le succès politique des partis islamistes turcs, qui s’est

dans un premier temps édifié sur le terrain local à l’échelle des petites municipalités urbaines

comme rurales, s’explique en partie par l’attention particulière qu’ils ont su porter à l’amélioration

des services urbains de base (assainissement, eau, électricité et gaz naturel…). Toutefois, les

pratiques clientélistes et populistes, pratiques récurrentes dans le système politique turc, sont

porteuses de contradictions en interne et en externe avec les politiques officielles. Ainsi, nous

avions pu constater que l’usage du charbon comme moyen de chauffage par les populations les

plus démunies d’Istanbul ne s’expliquait pas uniquement par des raisons économiques mais

également par les campagnes de distribution massive et gratuite de sacs de charbon dans des

32 Littéralement « posé la nuit » désigne une forme d’habitat illégal construit sur des terrains publics qui se sont développés à grande échelle à partir des années 1959 jusqu’au milieu des années 1980

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territoires urbains sciemment ciblés, orchestrées par différents types d’acteurs, et qui incitent de

facto à consommer cette ressource. Ces pratiques paraissent contradictoires à l’échelle locale car

ces acteurs perpétuent alors des usages énergétiques « précaires » au lieu de favoriser l’accès à un

service plus moderne (le réseau de gaz naturel) plus à même de satisfaire leur électorat. A plus

large échelle, ces pratiques rentrent également en contradiction avec les politiques métropolitaines

et nationales cherchant à achever la transition énergétique vers le gaz naturel.

Afin de qualifier ces pratiques quotidiennes du politique, nous emprunterons à

l’anthropologue américaine Jenny White sa définition des politiques vernaculaires qu’elle applique

au cas turc pour décrire cette autre réalité, différente de l’action publique officielle (White, 2002,

p. 27). La politique vernaculaire représente « un processus centré sur les valeurs, prenant son

origine dans la culture locale, les relations interpersonnelles, et les réseaux communautaires, mais

en relation avec la politique partisane nationale à travers des organisations civiques »33. Elise

Massicard, dans une étude des pratiques notabiliaires – elle définit un notable comme « un

individu caractérisé par son prestige et ayant un accès privilégié à des ressources spécifiques à

travers ses relations avec les centres de pouvoir » (Massicard, 2004, p. 104) – démontre que la

politique vernaculaire « implique un engagement dans des réseaux locaux communautaires

(voisinage, réseaux familiaux), les valeurs et les normes locales (normes égalitaires, réciprocité,

confiance, obligations mutuelles mais aussi normes hiérarchiques concernant le sexe ou l’âge) »

(Massicard, 2004, p. 126). Dans ce système, « le patronage et les relations clientélaires »

représentent des pratiques fréquentes (ibid).

Les pratiques politiques vernaculaires ont servi d’angle d’analyse des répertoires de l’action

collective à Istanbul face à la défaillance du système politico-administratif national et local sans

toutefois se focaliser expressément sur leurs liens avec les services en réseau. D’autre part, à notre

connaissance, aucune recherche n’a abordé jusqu’à présent la problématique des pratiques

individuelles de consommation de l’énergie à Istanbul alors que nous la considérons comme

centrale. En situation de changement, la variable de la rationalité économique de l’homo-

oeconomicus peut-elle expliquer à elle seule les résistances au changement ? Nous pensons a

priori que d’autres éléments rentrent en ligne de compte. Pour preuve, une enquête sociologique

réalisée à Istanbul sur la perception des énergies renouvelables montre que l’échantillon

33 Référence citée dans (E. Massicard, 2004, p. 125)

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sélectionné34 considère le gaz naturel comme une énergie renouvelable juste derrière l’énergie

solaire et éolienne (Erbil, 2011). Il semblerait donc que le gaz naturel à Istanbul, qui bien que

moins polluant demeure une énergie fossile au même titre que le pétrole ou le charbon, véhicule

un certain imaginaire social. Ces représentations symboliques du gaz naturel diffèrent sans doute

selon les différentes catégories de population. Synonyme d’ascension sociale pour certains, de

changement ordinaire plus facilement acceptable pour d’autres, ou symbole de modernité pour

éradiquer les affres d’une pollution urbaine passée, ce qui doit être considéré comme une

transition énergétique à l’échelle Istanbul, ne laisse pas indifférent et implique une recomposition

des modes de penser et de faire au sein des sphères individuelles mais aussi des sphères

professionnelles, économiques et politiques.

Ainsi, notre réflexion fonde de manière globale l’enjeu énergétique à Istanbul comme une

progression conceptuelle de la transition énergétique. L’inégal déploiement spatial des pratiques

politiques vernaculaires ainsi que la variété des pratiques individuelles de l’énergie ne

représentent-ils pas des leviers de connaissances majeurs pour appréhender la transition

énergétique ? L’analyse des processus de diffusion ou d’adoption d’une innovation énergétique

peuvent-ils s’affranchir de ces focales d’analyse dans le cas d’une métropole en voie de

développement telle qu’Istanbul ?

De cette problématique quasi-épistémologique découle logiquement une hypothèse globale

plus appliquée au terrain d’étude. Nous postulons ainsi que l’absence de vision globale et partagée

autour d’une transition énergétique métropolitaine à engager à Istanbul ne s’explique pas

uniquement par des « inerties sectorielles liées à des logiques institutionnelles tenaces » (Pérouse,

2011, p. 69) à l’origine d’une gouvernance fragmentée.

Nous pensons que la non-prise en compte des enjeux socio-politiques locaux ainsi que

l’absence préalable d’examen des aspects de la demande et des pratiques énergétiques en fonction

des types de populations, de la part des instances métropolitaines, constituent un autre frein à une

transition collective.

Nous supposons également que certaines catégories de population disposent d’une meilleure

capacité d’adaptation aux nouvelles technologies, notamment face au gaz naturel dans le cas

34 Nous reviendrons plus tard sur les détails de cette enquête et notamment sur ses limites mais dès à présent, il est important de signaler que l’échantillon sélectionné ne nous semble pas tout à fait représentatif de la géographie sociale d’Istanbul

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d’Istanbul et qu’une démarche publique adaptée en fonction de ces différences serait plus

efficace. Afin d’infirmer ou de confirmer ces hypothèses, nous étudierons dans un premier

temps, l’état actuel des transitions menées à l’échelle métropolitaine comme à l’échelle locale afin

de discerner les premiers éléments de résistances qui contribuent à désarticuler les grandes

politiques énergétiques et les pratiques individuelles locales. Le second temps de l’argumentation

sera spécifiquement dédié à l’analyse de la principale transition énergétique survenue il y a un peu

plus de vingt ans avec l’arrivée du gaz naturel de ville.

1.3. METHODOLOGIE ET LIMITES DE LA RECHERCHE

1.3.1. D’une étude empirique à une étude théorique : les sources de la démonstration

Comme nous l’avons rappelé dans notre préambule, cette présente réflexion vient prolonger

celle que nous avions entamée l’année précédente. Notre premier mémoire de recherche s’était

principalement construit sur l’observation empirique des problématiques quotidiennes de

l’énergie à Istanbul qui contrastaient avec les politiques métropolitaines volontaristes marquées

du sceau de la durabilité. Nous avions ainsi réalisé une série d’interviews auprès d’acteurs publics

et privés, experts locaux et internationaux, professionnels du bâtiment et urbanistes, afin de

comprendre de quelles manières l’injonction de durabilité avait pu modifier leur capacité d’action.

Nous avions notamment pu obtenir de précieuses informations sur la cartographie du

développement du réseau de gaz d’Istanbul auprès de l’opérateur semi-public en charge de

l’exploitation de ce service. Au préalable, nous nous étions intéressé aux rapports de lois

nationaux, aux contenus des discours politiques et à certains projets publics de maîtrise

énergétique. Nous souhaitons ainsi réutiliser en partie ces données de première et seconde main

pour éclairer sous un nouvel angle notre nouvelle problématique. Il n’est certes pas très

académique de se réapproprier une méthodologie développée spécifiquement pour une

problématique antérieure mais nos propos se sont depuis enrichis grâce à l’apport d’une revue de

presse constituée au quotidien depuis près d’un an, d’un suivi de l’actualité métropolitaine depuis

le site internet de la Mairie Métropolitaine d’Istanbul (MMI). D’autre part, nous avons élargi

notre corpus scientifique en ciblant des lectures sur la gestion urbaine et l’administration et le

municipalisme turc (Bayraktar, 2007; Fliche, 2005; Massicard, 2004; 2009; Massicard &

Bayraktar, 2011; Pérouse, 1999a), sur la géographie sociale des espaces périphériques d’Istanbul

(Pérouse, 1997, 2005, 2009, 2010; Poyraz, 2007; Poyraz, Gandais, & Aslan, 2010; Poyraz, 2010),

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36

Enfin, nous pourrons également mobiliser quelques éléments anthropologiques sur les pratiques

individuelles du chauffage (Fliche, 2006, 2007).

1.3.2. Les limites de la recherche

Aux limites de la recherche précédente, s’ajoutent celles propres à ce mémoire. Celle qui

paraîtra la plus évidente concerne la difficile adaptation du cadre théorique à un cadre d’analyse et

à une méthodologie approfondie. Comment prétendre parler des pratiques individuelles de

l’énergie sans avoir mené d’enquêtes de terrain ? Comment constater les conflits et inerties au

sein des sphères institutionnelles sans avoir réalisé d’interviews auprès de ces acteurs ? Face à

l’absence de données récoltées sur le terrain, il nous sera impossible d’affirmer, mais plutôt de

procéder par tâtonnements et avec précaution en nous appuyant sur la littérature mentionnée ci-

dessus, qui s’appuie quant à elle sur de solides études empiriques.

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37

Partie 2 :

Entre permanence et recomposition de l’action publique, entre ville monde et ville émergente : l’impossible transition

énergétique à Istanbul ?

Technology adoption is always

a big challenge anywhere

Rapport du WEC, ‘Energy and Urban Innovation’, 2011, p.7

2.1. GOUVERNABILITE METROPOLITAINE ET GOUVERNANCE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Cette première partie a pour but d’évaluer la capacité institutionnelle officielle dont s’est dotée

la métropole d’Istanbul afin d’intervenir contre les effets du changement climatique. Quelles sont

les orientations politiques et stratégiques prises en matière de production et de consommation

d’énergie par la métropole d’Istanbul, qui dispose en théorie de moins de capacités

institutionnelles et de ressources financières que les villes développées du Nord35 ? Nous verrons

tout d’abord que la Municipalité Métropolitaine d’Istanbul (MMI) est paradoxalement une

institution capable d’administrer politiquement son territoire mais qui ne fonde pas pour autant

son action sur un interventionnisme majeur dans le domaine des politiques climatiques et

énergétiques36. Le second temps de l’argumentation montrera toutefois que l’investissement

public s’est prioritairement concentré sur le développement et la sécurisation de

l’approvisionnement énergétique via les macro-systèmes techniques depuis les années 1980.

Enfin, nous décrirons la fluidité réduite des interactions multi-niveau comme frein à la

constitution d’une gouvernance du changement climatique, l’Etat restant un acteur omniprésent

du système politique turc.

35 Se reporter page 14. Pour rappel, il s’agit de la question formulée par Simon Marvin et Mike Hodson (Hodson & Marvin, 2010a, p. 484). 36 Nous entendons ici par politiques énergétiques, des mesures qui visent à améliorer la maîtrise et l’efficacité énergétique et à augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique local

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2.1.1. La MMI : une structure politique forte sans vision stratégique de lutte contre le changement climatique

Istanbul, métropole effervescente de plus de 12 millions d’habitants37 contre moins d’un

million en 1950, dont on peine encore à délimiter précisément les contours tant le phénomène de

croissance urbaine évolue rapidement, est-elle gouvernable ? Une des conclusions de l’ouvrage

dirigé par Dominique Lorrain sur les Métropoles XXL en pays émergents, montre que la taille des

villes ne préjuge en rien de leur capacité à gouverner. Shanghai et ses 20 millions d’habitants

semble plus gouvernable que le Cap ou Santiago du Chili avec respectivement 3,5 et 6 millions

d’habitants. La complexité à administrer ne proviendrait donc pas tant de la taille que du degré

d’emboîtement des institutions responsables de ces vastes espaces urbains (Lorrain, 2011, p. 389).

Appuyons-nous sur les trois variables institutionnelles qui fondent la différence quant à une

capacité à gouverner pour l’appliquer au cas d’Istanbul (Lorrain, 2011, p. 390).

Le territoire du gouvernement urbain correspond-il à celui de la métropole bâtie ?

A ce sujet, il est intéressant de constater le souci permanent depuis les années 1980, de

réadapter les limites administratives de la métropole stambouliote en fonction de la croissance

urbaine alimentée par les vagues d’exode rural depuis le milieu du XXème siècle et qui se sont

accélérées durant la seconde moitié de ce siècle.

.

Figure 2 : Emprise bâtie, limites institutionnelles de la MMI et frontières administratives infra-métropolitaines (Urban Age, 2009, p. 24 et 26)

Suite au coup d’Etat de 1980, le régime militaire, prenant les rênes du pouvoir, établit dès 1981 les

bases d’un nouvelle organisation métropolitaine à l’échelle du territoire national qui prévoit

37 Au sujet du nombre d’habitants à Istanbul, il est difficile d’arrêter un chiffre précis. Ce nombre oscillerait entre 12 et 15 millions d’habitants

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notamment l’annexion des petites collectivités aux grandes villes voisines : ainsi « à la seule ville

d’Istanbul ont été rattachés 31 municipalités et 23 villages » (Elicin-Arikan, 1997, p2). En 198438,

Istanbul, avec plus de 4,7 millions d’habitants (Pérouse, 2010, p. 238), obtient le statut de

Municipalité Métropolitaine qui regroupe 14 municipalités d’arrondissement (ilçe belediyeler).

Actuellement, on dénombre 39 municipalités d’arrondissement suite à l’extension du territoire de

compétence de la MMI depuis 2004, qui correspond désormais aux frontières du département

d’Istanbul (cf : figure 2). Ce gouvernement à deux niveaux39 administre ainsi un territoire

homogène de 5337 km2 qui incorpore le continuum bâti métropolitain mais aussi des espaces

périphériques encore ruraux40. Ce surdimensionnement métropolitain permet à l’action territoriale

d’être mise au service de l’urbain (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 44). Cette homogénéisation

institutionnelle et cette anticipation de la future croissance métropolitaine mettent surtout fin au

développement de territoires périphériques sortant du contrôle institutionnel de la MMI41.

Le maire dispose-t-il des ressources lui permettant de peser dans le champ politico-institutionnel ?

Indéniablement oui. Depuis les récentes réorganisations municipales en Turquie, les pouvoirs

des maires métropolitains, élus au suffrage universel direct pour cinq ans, se sont renforcés

(Elicin-Arikan, 1997). Ce leadership politique, actuellement incarné par Kadir Topbaş à Istanbul,

est parfois même jugé autoritaire tant ces pouvoirs conférés s’avèrent importants et ce

notamment vis-à-vis du conseil métropolitain42 et des municipalités d’arrondissements assujetties

à la volonté supérieure de l’institution métropolitaine. L’administration métropolitaine,

compartimentée en plusieurs départements (santé, services sociaux, police, sport, éducation,

transport…)43, bien que souffrant d’une insuffisance de personnels techniques (Massicard &

Bayraktar, 2011, p. 54) œuvre « docilement » en faveur des grandes orientations politiques initiées

38 Suite à la loi n°2972 du 18 janvier 1984 remplacée ensuite par la loi organique n°3030 du 9 juillet 1984 (Elicin-Arikan, 1997). 39 En réalité, il existe un dernier niveau institutionnel, les mairies de quartier (mahalle) au nombre de 830 mais qui assurent seulement une fonction d’état-civil et de sécurité. 40 « En outre, les périmètre géographiques des municipalités métropolitaines ont été étendus et englobent dorénavant nombreux villages et bourgs environnants. On assiste ainsi à un surdimensionnement de certaines métropoles, qui absorbent de facto des villages et zones rurales alentour et polarisent d’autant ces espaces (E. Massicard & U. Bayraktar, 2011, p. 44). 41 Il est fait référence à la quarantaine de municipalités de second rang, no mans land administratif, dans lesquelles se sont massivement développées les gated communities. 42 Par exemple « Le maire dispose d'un droit de veto suspensif sur les délibérations du conseil métropolitain et des conseils des municipalités d'arrondissement. Le droit de veto comprend tous les domaines, et les matières dans lesquels les conseils décident. […] Le conseil municipal est ainsi réduit à un organe consultatif. […] le maire métropolitain peut changer les délibérations du conseil métropolitain et des conseils municipaux des municipalités d'arrondissement sans leur consentement. Ces derniers ne disposent absolument d'aucun moyen de s'opposer à ces modifications » (Elicin-Arikan, 1997, p. 5/6) 43 Ce qui représente entre 30 et 40000 employés (la fluctuation des chiffres s’explique par la précarisation des statuts : fonctionnaires ou contractuels). Données issues d’une conférence de Jean-François Pérouse du 22 avril 2010 intitulée « La gestion du Grand Istanbul », IFEA.

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par le maire métropolitain. Deux départements municipaux sont en charge des questions

environnementales et énergétiques. Il s’agit du Département de la Protection et du Contrôle de

l’Environnement (Çevre koruma ve kontrol daire başkanlığı) et le Département de l’Eclairage Public et

de l’Energie (Şehir Aydınlatma ve Enerji) créé récemment en 2006. A propos de ce dernier, nous

avions constaté jusqu’à présent que ses actions se concentraient sur la rénovation du parc

d’éclairage public vieillissant sans pour autant disposer d’une stratégie en matière d’efficacité

énergétique.

Par ailleurs, le pouvoir politique métropolitain s’est élargi grâce à une nouvelle répartition des

ressources financières plus favorables pour les collectivités locales. Ce renforcement de

l’autonomie financière et donc politique s’explique d’une part par l’adoption de réformes, certes

encore timides et inachevées (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 75), en faveur de la décentralisation

et d’autre part par les effets de la libéralisation économique qui a permis la privatisation, la

délégation et la sous-traitance de nombreux services municipaux. Les partenariats avec des

acteurs privés ne concernent plus seulement la construction d’infrastructures mais aussi la

production, l’exploitation et la gestion de services par les collectivités locales (Massicard &

Bayraktar, 2011, p. 72). Cette reconfiguration des relations entre champs institutionnels,

politiques et économiques ainsi que la tentative de rationalisation de la gestion administrative sont

mises au service du vœu politique local et national d’internationalisation d’Istanbul44. Cette

redéfinition du pouvoir local a ainsi permis la formation de coalition de croissance désignant les

alliances « entre gouvernements locaux et acteurs privés pour promouvoir le développement

urbain » (Lorrain, 2011, p. 377).

Le budget municipal est de ce fait en constante augmentation depuis quelques années. Il

atteint 7,3 milliards de livres turques en 201245 (environ 3,3 milliards d’euros) soit 9%

d’augmentation par rapport à 2011. A ce budget municipal, il faut ajouter la capacité financière et

d’investissement de l’ensemble des établissements économiques de droit privé (Belediye İktisadi

Teşekkülleri) gravitant autour de la MMI et qui permet d’atteindre environ 16 milliards de livres

turques46. Ces établissements disposent entre autres d’une capacité d’emprunt auprès des banques

privées, la MMI ne pouvant quant à elle emprunter uniquement auprès de la Banque des

provinces, entité publique. Istanbul Enerji AŞ est un de ces établissements créé en 2006, détenu à

44 Voir (Montabone & Candelier-Cabon, 2009; Pérouse, 2007) 45 « 2012 yılı bütçesi » disponible sur http://www.ibb.gov.tr/tr-TR/Documents/haber/kasim2011/ibb_2012_yili_butce.pdf 46 Données 2009. Conférence de Jean-François Pérouse du 22 avril 2010 intitulée « La gestion du Grand Istanbul », IFEA

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50% par la MMI, pour devenir la nouvelle force d’expertise énergétique de la métropole. Pour

l’heure, nous avions vu que cette société, dont la principale activité demeure paradoxalement le

transport et le commerce de pétrole, ne disposait pas des ressources cognitives pour faire force

de proposition en termes de projets d’efficacité énergétique et n’était donc que le fruit d’une

redéfinition opportuniste d’anciennes sociétés et le cache misère d’une absence de planification

énergétique à l’échelle métropolitaine.

La variable politique : fluidité d’une gouvernance nationale/locale bi-niveau ?

Le pouvoir politique local ne souffre plus guère d’éventuels affrontements et oppositions

politiques depuis le « raz de marée islamique » (refah partisi47) de 1994 au sein des municipalités

d’arrondissement d’Istanbul (Pérouse, 1999b) et qui s’est consolidé depuis les élections de 1998

avec l’arrivée d’un maire métropolitain AKP (ancêtre du Refah), en la personne de l’actuel premier

ministre turc Recep Tayip Erdoğan. Ainsi depuis 2002 et l’arrivée au pouvoir national de l’AKP,

on constate une congruence entre la politique étatique et celle des collectivités urbaines locales du

même bord. Actuellement, toute la hiérarchie politico-administrative turque est dominée par ce

parti à l’échelle nationale et locale en ce qui concerne Istanbul. Cette allégeance du local envers le

pouvoir national est notamment alimentée au travers des transferts financiers verticaux qui

constituent encore plus de la moitié des revenus des municipalités48. Cette hégémonie politique

est d’autant plus renforcée qu’il n’existe que peu de contre-pouvoirs que ce soit à l’échelle locale49

ou à l’échelle régionale quasi-absente, vide que les agences de développement50 instituées sous

l’égide des politiques de régionalisation européenne, ne parviennent pas à combler.

Ainsi, Istanbul est, à première vue, gouvernée par une institution métropolitaine forte qui à

défaut de s’autonomiser intégralement du pouvoir central partage avec celui-ci une vision

commune du devenir de la métropole. La MMI s’est dotée de nombreux instruments d’action

publique pour ce qui concerne notamment les problèmes environnementaux et énergétiques et a

47 Le Refah Partisi, « Parti du bien-être » était un parti politique islamiste fondé en 1983. Suite à sa dissolution en 1998, deux partis nouvellement créés, l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi) « Parti de la justice et du développement » et le Saadet Partisi, « Parti de la Félicité » se revendiquent les héritiers du Refah 48 « Les taux de ces transferts fiscaux ont beaucoup varié en fonction des relations entre gouvernement central et pouvoirs locaux, augmentant lorsque ces autorités étaient de la même couleur politique et chutant en cas de « cohabitation local-national » » (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 48) 49 A l’heure actuelle, les principales organisations constituant un contre-pouvoir efficace et organisé sont incarnées par les chambres professionnelles (Chambre des architectes, des planificateurs urbains, des ingénieurs électriques…) 50 Le découpage européen NUTS ainsi que la création d’agences de développement apparaît en Turquie en 2006. Elise Massicard et Ulaş Bayraktar parlent à leur sujet de « régionalisation en trompe l’œil » car ces agences ne disposent quasiment pas d’autonomie décisionnelle et financière, leur capacité d’initiative ainsi que leur rôle s’en trouvant automatiquement limités (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 38)

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su s’allier avec des partenaires privés. Toutefois, aucune politique climatique ou énergétique à

proprement parler n’existe à l’heure actuelle. Discours et stratégies politiques à propos de la

maîtrise énergétique se concentrent actuellement autour du problème des transports, secteur

fortement pollueur, la congestion urbaine étant perçue comme le principal point noir du

développement d’Istanbul. La politique d’investissement infrastructurel dans ce secteur

représente plus de 60% du budget d’investissement 2012 de la MMI51. Le paysage urbain actuel

de la métropole est ainsi en pleine mutation avec de nombreux chantiers entamés (Marmaray,

nouvelles lignes de métro sur la rive asiatique, métrobus…). Les projets sectoriels, utilisés comme

illustration s’il en est de l’implication municipale dans la lutte planétaire contre le changement

climatique (introduction du gaz naturel pour lutter contre la pollution atmosphérique, panneaux

solaires sur quelques bâtiments publics, usines d’incinération et de méthanisation des déchets,

augmentation de la qualité du réseau d’assainissement et de distribution d’eau…)52 ne s’inscrivent

dans aucun schéma d’intervention ou de management global de l’énergie (Karabag, 2011). Les

projets actuels caractérisés par leur « fétichisme technologique » et leur « tendance à privilégier

l’événementiel » (Pérouse, 2011, p. 71) en réponse à des besoins de court terme, peuvent

s’expliquer de trois manières. Premièrement, la MMI se conforme au récent arsenal législatif

national qui émerge autour de l’énergie. Cette nouvelle réglementation s’inscrit dans le processus

d’harmonisation législative vis-à-vis de l’Union Européenne53. Deuxièmement, le volontarisme

public affiché permet à la MMI d’être éligible à certaines subventions accordées par les

institutions financières internationales et notamment la Banque Mondiale. Ceci a notamment

permis de financer de nombreuses usines de valorisation des déchets ou des projets d’inventaires

et de monitoring des émissions polluantes54. Enfin, nous adhérons à l’idée développée par Eric

51 Donnée issue du « 2012 yılı bütçesi » disponible sur http://www.ibb.gov.tr/tr-TR/Documents/haber/kasim2011/ibb_2012_yili_butce.pdf 52 Pour se faire une idée de la variété des actions menées en faveur de l’environnement ou de la maîtrise énergétique, se reporter au document de promotion réalisé par la MMI « Yaşayan şehir-Istanbul Istanbul da çevre Yatırımları » (Istanbul ville vivante, les investissements en faveur de l’environnement) disponible en ligne sur http://www.ibb.gov.tr/tr-TR/Documents/yasayan_sehir_istanbul_ibb_cevre_yatirimlari.pdf 53 L’Administration pour l’étude et le développement des ressources en énergie électriques (EIE, Elektrik Işleri Etüt idaresi) sous tutelle du Ministère de l’Energie et des Ressources Naturelles vient de publier un nouveau document stratégique sur l’efficacité énergétique 2012-2023 (Enerji Verimliliği Strateji Belgesi) qui décline sept grands objectifs visant à la réduction des consommations énergétiques dans divers secteurs économiques (industries, services, agriculture, bâtiments…). Il est intéressant de noter que les villes ne sont jamais mentionnées comme acteurs majeurs de la transition énergétique. Il semblerait donc que le niveau national demeure l’échelle d’intervention privilégiée concernant ces questions. 54 Nous pensons ici au projet Istanbul Airquality Strategy développé dans le cadre du programme européen LIFE qui vise à créer un inventaire et une modélisation des pollutions atmosphériques par type de polluant et par secteur d’activité à Istanbul dans une perspective d’aide à la décision publique ou le projet « Monitoring gas consumption for thermo-rehabilitation of residential buildings » financé par l’UE pour cartographier la consommation de gaz naturel dans des quartiers pilotes à Istanbul et Sivas. Ce dernier projet pilote s’est avéré instrumentalisé par ces deux municipalités et n’a jamais été généralisé à l’ensemble des métropoles.

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Verdeil (Verdeil, 2011, p. 3) à savoir que l’implication (contrastée) d’Istanbul55 au sein des réseaux

municipaux transnationaux autour du changement climatique s’explique plus par souci de

visibilité internationale que par réelle conviction politique et appropriation des enjeux climatiques

locaux .

Bien que d’autres acteurs, sans doute plus intègres mais disposant de moyens humains et

financiers plus limités, se mobilisent autour de l’enjeu énergétique et tentent de sensibiliser la

MMI, nous pensons notamment à l’Union des Municipalités des détroits et de la Marmara

(MBBB) très actives au sein du réseau transnational NALAS56, il paraît prématuré de parler à

Istanbul d’une constitution d’une « gouvernance du changement climatique » telle que décrite

dans les villes mondiales du Nord par Harriet Bulkeley et Michelle Betsill.

2.1.2. Le rôle stratégique des infrastructures de réseau dans la construction du territoire métropolitain

Le gigantisme urbain d’Istanbul n’est donc pas à l’origine d’un spectacle urbain chaotique car

elle se trouve organisée et gouvernée par des institutions et un système de règles officielles. Nous

avons des raisons de croire que l’histoire de cet apprentissage institutionnel du gouvernement

urbain sied à l’idée de Dominique Lorrain qui parle de gouvernabilité développée au travers de la

gestion des services en réseaux (Le Galès & Lorrain, 2003; Lorrain, 2011) : « pour construire et

gérer ces systèmes techniques, il fallut, consciemment ou de fait, résoudre des questions

institutionnelles qui concernent leur statut juridique, leur mode d’organisation et de

financement » (Lorrain, 2011, p. 14). Autrement dit, les restructurations des pouvoirs urbains

locaux entamées dans les années 1980 en Turquie, visaient à résoudre les problèmes majeurs de

l’époque, à savoir la fourniture des services essentiels. Cette situation de carence locale

s’expliquait à l’époque par la période de transition économique dans laquelle se situait la Turquie

passant d’une économie rurale à une économie urbaine industrialisée. Le problème était que les

villes, alors financées exclusivement à travers des mécanismes de distribution financière de l’Etat

vers ses entreprises économiques déconcentrées mais de manière trop insuffisante, ne pouvaient

subvenir aux besoins d’une population en pleine croissance (Güvenç, 2010). Cette politique de

sous-investissement dans les infrastructures urbaines est ainsi à l’origine de l’émergence de

55 Istanbul n’est pas membre du réseau ICLEI (seul l’arrondissement de Sisli l’est). La MMI est membre associé du réseau C40 et s’implique également dans le réseau Polismed concernant les villes méditerranéennes littorales. 56 Nalas est un réseau d’association des collectivités locales du Sud-Est européen (Network of Associations of Local Authorities of South-East Europe) avec pour objectif principal de promouvoir les idées de décentralisation autour de thèmes comme les finances locales, la planification urbain, gestion des déchets et l’efficacité énergétique. Voir www.nalas.eu

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la « ville des gecekondu, des dolmuş et des vendeurs ambulants » décrite par Ilhan Tekeli57, de la

débrouillardise quotidienne informelle et du développement sans précédent des systèmes

politiques clientélistes (Güvenç, 2010).

La transition vers une économie libérale à l’aune des années 1980 marque alors un tournant et

amorce une période de rattrapage infrastructurel. Ainsi, les réformes urbaines initiées par le

régime militaire, à l’origine de la création des Municipalités Métropolitaines, avaient pour but

« d’assurer la fourniture cohérente et planifiée des services urbains tels que l’énergie, l’eau potable,

la voirie, les égoûts et la planification urbaine »58 (Elicin-Arikan, 1997, p. 1). Pour ce faire, dès

1981, est créée la Direction des Eaux et des Canalisations d’Istanbul (ISKI, Istanbul Su ve

Kanalizasyon Idaresi), en 1986 est créée la compagnie municipale de gaz d’Istanbul (IGDAŞ :

Istanbul Gaz Dağıtım Sanayı ve Ticaret AŞ). Depuis 1990, la distribution d’électricité à Istanbul est

assurée par deux sociétés publiques étatiques se partageant la rive européenne (BEDAŞ : Boğaziçi

Elektrik Dağıtım Anonim Şirketi) et la rive asiatique (AYEDAŞ : Anadolu Yakasi Elektrik Dagitim

Anonim Şirketi). La création de ces sociétés est une résultante du processus de désintégration du

secteur électrique turc suite au démantèlement de l’entreprise nationale de l’électricité TEK. Le

développement spatial non linéaire et heurté de ces macro-systèmes techniques qui s’explique par

les contraintes inhérentes à chaque réseau a pourtant été pensé dans une perspective

d’universalisation et sous un mode inclusif. Le régime de service urbain qui s’est construit de

manière incrémentale en fonction de la nature des problèmes à résoudre a ainsi contribué à

accroître la gouvernabilité d’un territoire métropolitain désormais unifié.

Par ailleurs, le processus d’internationalisation de la métropole renforce le rôle stratégique des

ces infrastructures de réseau. Istanbul, transformée en nouveau hub financier et tertiaire,

symbolisé par le développement du nouvel axe urbain stratégique Taksim-Levent-Maslak, oblige

les autorités publiques à sécuriser les flux métaboliques assurant le fonctionnement de ces

nouvelles activités. Afin qu’Istanbul puisse devenir le premier centre financier régional et, à

terme, mondial59, une structure s’est mise en place afin de garantir notamment la sécurisation des

infrastructures face au risque de tremblement de terre auquel est soumise la région d’Istanbul et

d’assurer l’approvisionnement énergétique en continue. Cette institution dénommée Comité pour

l’Infrastructure du Centre Financier d’Istanbul (İstanbul Finans Merkezi Altyapı Komitesi – IFM) est

57 Cité dans (Güvenç, 2010, p. 50) 58 Loi n°2561 du 8 décembre 1981 59 L’objectif du centre de coordination pour l’infrastructure d’Istanbul est “Istanbul shall become first a regional financial center, and ultimately a global financial center” visible sur http://ifm.ibb.gov.tr

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pilotée par la MMI en lien avec l’Administration de la Planification d’Etat. Le comité de pilotage

est composé principalement d’acteurs de la finance (Banque Centrale de Turquie, Bourse

d’Istanbul, Banque Ziraat, Autorité des marchés de capitaux, Agence de Régulation et de

Supervision Bancaire…). Cette coalition de croissance formée autour d’un intérêt commun

semble à première vue corroborer les hypothèses développées par Mike Hodson et Simon Marvin

à propos du SURI (Secure Urbanism and Resilient Infrastructure). Depuis 2009 et la déclaration

officielle par l’Administration de la Planification d’Etat de la « Stratégie et du Plan d’Action pour

le Centre Financier d’Istanbul », on assiste effectivement à une mobilisation en termes cognitifs

(production de connaissances sur plusieurs thèmes : logement, transport, télécommunications,

éducation, sécurité…) et à la mise en œuvre d’une programmation d’une série d’actions à mener à

moyen et long terme60. Toutefois, cette course à l’éco-compétitivité (Hodson & Marvin, 2010b)

doit être ici nuancée car concernant la sécurisation énergétique, il n’est pas question

d’autonomisation de la production mais de simple modernisation des macro-systèmes techniques

existants afin de garantir l’approvisionnement des flux et de rendre ainsi pérenne l’activité

économique. La relocalisation et l’individualisation des infrastructures et des flux à l’échelle

micro-locale ne sont sans doute pas encore envisagées car il apparaît qu’aucun acteur technique

de l’énergie porteur de ces nouvelles solutions technologiques ne figure ni au sein du comité de

pilotage de l’institution, ni au sein du groupe de recherche Energie. Là encore, vu la présence de

nombreux représentants des directions des autoroutes ou des transports ferroviaires, la question

des transports paraît dominer les réflexions.

2.1.3. Les interférences étatiques comme frein à la constitution d’une «gouvernance du changement climatique » locale ?

Au-delà des limites d’une gouvernance énergétique locale liées « aux données structurelles qui

pèsent sur le système de gouvernance locale et le contraignent fortement » (Pérouse, 2011, p. 69)

(absence de coordination entre différents services municipaux et de transversalité des approches,

démocratie locale chétive du fait de l’ « élitisme dirigiste des décideurs », vide de la planification

urbaine, triomphe des politiques de court terme…) (Pérouse, 2011, p. 70), c’est la place occupée

par l’Etat turc ainsi que son rôle qui nous interrogent au sein du processus de transition

énergétique. Le cas turc renforce la légitimité du concept de gouvernance multi-niveau qui

n’écarte pas le rôle des acteurs gouvernementaux. Toutefois, les fondements de l’unité

60 Voir les détails sur ifm.ibb.gov.tr ou

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républicaine et territoriale sur lesquels s’est fondé l’Etat souverain turc compromet partiellement

le processus d’autonomisation des collectivités locales. Le degré d’influence de l’acteur national

reste encore prédominant notamment au travers d’une tutelle administrative forte et d’un système

politico-administratif dominé par un seul parti à l’échelle locale et nationale (Massicard &

Bayraktar, 2011). Concernant les infrastructures de réseau à Istanbul, l’Etat demeure omniprésent

au travers de sa puissante organisation bureaucratique réticulaire que ce soit, comme nous l’avons

évoqué, au niveau de la distribution d’électricité ou des orientations stratégiques pour le centre

financier d’Istanbul. Citons deux autres exemples de la dynamique de recentralisation qui nous

intéressent tout particulièrement concernant le processus de transition énergétique.

Premièrement, l’Etat priverait depuis 2009 les collectivités locales d’une ressource financière

majeure: « depuis janvier 2009 […], la taxe que les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel

versaient auparavant aux municipalités est désormais transférée directement au gouvernement

central » (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 48). Bien que nous ne connaissions pas le montant de

cette taxe et la part qu’elle représentait dans le budget municipal d’Istanbul, il s’agit, bel et bien ici,

d’une recentralisation d’une ressource financière. Deuxièmement, depuis l’instauration de

l’Administration nationale du logement collectif TOKI (Toplu Konut Idaresi) en 1984 sous tutelle du

Premier Ministre turc, les politiques locales de logements sont court-circuitées. Cette

administration étatique qui se voit octroyer de nombreuses réserves foncières publiques sur

l’ensemble du territoire turc dispose d’une véritable puissance financière et logistique grâce

notamment aux nombreux partenariats constitués avec d’importantes entreprises immobilières,

des banques et des fonds d’investissement immobiliers privés. TOKI détient par exemple 39%

des actions de la plus grande société d’investissement immobilière turque Emlak Konut REIT

capitalisée sur les marchés boursiers internationaux. On assiste ici à la formation d’une coalition

de croissance gérée à l’échelle nationale affectant lourdement le développement urbain d’Istanbul.

Ces interférences du pouvoir national expliquent entre autres pourquoi la ville d’Istanbul n’est

pas située dans la même catégorie que les villes mondiales européennes et nord-américaines.

L’actuel maire métropolitain milite d’ailleurs pour disposer d’une plus grande marge de

manœuvre afin de placer Istanbul au plus haut des classements internationaux. Dans ce contexte,

il paraît effectivement compliqué de mobiliser une pluralité d’acteurs parlant au nom d’Istanbul et

œuvrant pour en réduire son impact sur le changement climatique, que ce soit à l’échelle

métropolitaine ou au sein des réseaux transnationaux. La timide gouvernance du changement

climatique, telle qu’elle existe aujourd’hui témoigne ainsi plus d’une volonté d’accroître la visibilité

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internationale de la ville que d’une réelle intégration des enjeux sous-jacents de la part des

décideurs politiques locaux.

2.2. SERVICES URBAINS EN RESEAU ET ACTIONS RETICULAIRES : TERRITORIALISATION DES PRATIQUES POLITIQUES VERNACULAIRES

Le degré de gouvernabilité de la métropole d’Istanbul ne peut se déduire exclusivement à

partir des conclusions d’une analyse des institutions formelles et des règles du jeu officielles qui

fondent un mode de gouvernement urbain. Des « phénomènes de débordement institutionnel »

(Lorrain, 2011, p. 392) persistent encore aujourd’hui, conséquences d’un débordement

démographique et de « la lutte des places » (Lussault, 2009) qui en a découlé notamment dans les

franges métropolitaines. A Istanbul, l’informalité a ainsi souvent été associée aux gecekondu,

désignant des formes d'auto-construction illégale construits depuis les années 1960 sur des

terrains essentiellement publics. Cette partie s’intéresse plus spécifiquement à ces espaces

périphériques et à ces autres formes de pratiques politiques qui s’y sont développées et que nous

avons définies comme des politiques vernaculaires. En effet, ce terme permet d’appréhender

toute l’ambigüité et la complexité des pratiques politiques aux modes d’agir illégaux pourtant liés

à des politiques officielles plus globales. En ce qui concerne l’énergie, les modalités de diffusion

des services urbains en réseau est un bon révélateur de ces pratiques alternatives qui participent à

la fabrique de la métropole et régulent l’équilibre social métropolitain (Lorrain, 2011).

2.2.1. Quelques éléments sur la fabrique urbaine par le bas des périphéries d’Istanbul

Dans une perspective historique, évoquons la succession de deux régimes de fabrication de la

ville d’Istanbul par le bas depuis le milieu du XXème siècle, qui nous permettra d’appréhender

sommairement le rôle de différents « micro acteurs »61. A partir des années 1950, un néologisme

turc, le gece-kondu (qui signifie littéralement « posé la nuit »), sert à désigner cette forme d’habitat

spontané qui se développe un peu partout aux abords des grandes villes turques. Le gecekondu

désigne toutefois plusieurs réalités. Cette polysémie lui vaut d’ailleurs d’être souvent utilisée à tort

et à travers, notamment pour décrire toute forme d’illégalité (Pérouse, 2009a). Sans entrer dans

une description trop détaillée, retenons deux de ses caractéristiques. Le gecekondu désigne d’abord

une forme architecturale, un type d’habitat précaire, souvent bas, démuni des équipements de

61 Nous reprenons la typologie établie par Jean-François Pérouse dans « Istanbul depuis 1923 : la difficile entrée dans le XXème siècle ? » in Nicolas Monceau (dir), 2010, Istanbul, histoire, promenades, anthologie & dictionnaire, Robert Laffont

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base mais « intrinsèquement évolutif » (Pérouse, 2009a, para. 16). La flexibilité du « gecekondu

architectural » est donc loin de correspondre à l’image renvoyée par ce que nous considérons

comme des bidonvilles ou encore à une représentation de l’invasion de mode de vie ruraux en

ville (Fliche, 2009; Pérouse, 2009a). Le gecekondu est bel et bien une forme urbaine qui a contribué

à produire le paysage urbain actuel d’Istanbul. Certains ont d’ailleurs su reconnaître les qualités de

ce type d’habitat, à la fois dense et aéré, capable de se réinventer en permanence (Cankat, 2010;

Pérouse, 2009a). D’autre part, le gecekondu se définit également par son rapport au foncier. En

effet, il s’agit d’opérations « d’auto-construction illégale, sur des terrains non possédés par les

constructeurs. D’où l’expression de gecekondu foncier. Ces terrains non acquis (ou acquis auprès

d’un lotisseur véreux), sont le plus souvent des terrains du domaine public (hazine ou maliye) ou

propriétés d’une fondation pieuse (vakif), en bien de mainmorte » (Pérouse, 2009a, para. 7). De

manière générale, l’appropriation illégale du sol et l’informalité initiale de la construction sont le

fait des migrants ruraux.

Figure 3 : Gecekondu légalisé et verticalisation du paysage urbain d’Istanbul : apartkondu et CBD (Source : E.A, 2011)

Depuis le début des années 1980, un autre régime de fabrication de la ville informelle est

apparu (figure 3), producteur de paysages urbains différents (Pérouse, 2010, p. 250) qualifiés à

tort de gecekondu, qui d’ailleurs n’existent quasiment plus dans leur forme initiale. La tendance est

depuis cette période à la densification urbaine par la verticalisation de l’habitat grâce au

développement d’immeubles bétonnés appelés apartkondu (Pérouse, 1997). L’apartkondu est « un

immeuble non réglementaire dans ses modalités de construction, mais édifié sur un terrain

appartenant au constructeur » (Pérouse, 2009a, para. 28). Ces immeubles sont construits par les

propriétaires fonciers eux-mêmes (auto-construction) ou par l’intermédiaire de petits

entrepreneurs (Pérouse, 1998), ces derniers vendant « à mesure qu’ils construisent, étage par

étage, voire appartement par appartement » (Pérouse, 2010) selon la technique dite du Yap-Sat,

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littéralement « fais et vends ». Ces acteurs de la fabrique urbaine stambouliote (auxquels il faudrait

ajouter les coopératives de construction), au capital financier faible, agissent la plupart du temps à

la limite de la légalité : non recours à des professionnels du bâtiment, usage du troc pour le

paiement des terrains, construction de logements au sein du cercle familial ou destinés aux

membres du village d’origine (hemşehri) (Pérouse, 1998). Ces micro-acteurs agissent également

dans une logique de spéculation foncière et immobilière. A ce sujet, l’arrivée des services urbains

en réseaux participe à la fois à accroître le mécanisme de rente foncière mais est également le

premier signe matériel de régularisation d’anciens quartiers d’habitations informelles (cf : figure 4)

qui peut être ensuite suivie de campagnes politiciennes de légalisation du sol et des constructions

rendue possible par une série de lois d’amnisties nationales62.

Figure 4: Habitat de gecekondu et compteur individualisé de gaz naturel (Source : E.A, 2011)

Tout comme il faudrait prendre en compte les grandes entreprises immobilières publiques et

privées entrées sur le marché, étudier méthodiquement la transition énergétique impliquerait de

considérer la manière dont ces acteurs de l’immobilier, inscrits dans des systèmes informels,

s’imprègnent des nouvelles législations énergétiques (norme d’isolation TS825 établie en 2008,

matériaux de construction, normes pour le chauffage et l’électricité…). La notion d’efficacité

énergétique est-elle une notion qui fait sens pour ces acteurs ? Sont-ils soumis à des mécanismes

de contrôle par les autorités publiques ? Font-ils face de plus en plus à une nouvelle demande de

la part des locataires en termes de confort énergétique ? Sont-ils directement en contact avec les

opérateurs de réseau pour acheminer ces services dans les constructions qu’ils initient?

62 Depuis 1949 et la première amnistie nationale votée sur l’habitat illégal (loi n°5431), plus d’une dizaine d’autres amnisties se sont succédées souvent votées à la veille d’élections politiques.

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2.2.2. Municipalisme local et pratiques clientélistes : l’exemple du charbon

Depuis le début des années 1970 (Massicard, 2009) mais surtout depuis les décennies 1980-

1990, un « nouvel ordre urbain » (Pérouse, 1999a) s’est progressivement échafaudé au cœur des

municipalités turques quasiment toutes tombées sous l’influence des partis islamistes. Le Parti du

salut national (Milli Selamet Partisi –MSP) au départ, puis le Parti de la prospérité (Refah Partisi –

RP) et actuellement le Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkınma Partisi – AKP)

ont successivement bâti leur hégémonie politique sur le terrain local, particulièrement au cœur des

périphéries métropolitaines déshéritées, tremplins politiques pour accéder ensuite aux plus hautes

sphères institutionnelles63. A l’échelle d’Istanbul, suite aux élections municipales de 1994, dix-neuf

municipalités d’arrondissement et la MMI étaient contrôlées par le Refah (Pérouse, 1999a). Si l’on

écarte la dimension religieuse véhiculant des principes moraux, parfois conservateurs mis en

avant par ces partis et qui s’affiche symboliquement dans la manière de produire l’espace et de

gérer les sociétés locales (Massicard, 2009; Pérouse, 1999a), le succès électoral des partis islamistes

s’explique en partie parce qu’ils ont su axer leurs interventions sur la résolution des nombreux

problèmes liés aux services urbains. Tout en focalisant leurs discours sur l’inefficacité gestionnaire

des anciennes municipalités gangrénées par la corruption et les pratiques clientélistes (Massicard,

2009, p. 28), les élus islamistes ont amorcé une dynamique de modernisation des services en

réseau. Ceci s’est traduit d’une part par une politique massive d’investissement infrastructurel :

« l’extension des services et des infrastructures de base a constitué dès le départ l’une des priorités

du RP : promotion du gaz naturel pour remplacer le chauffage au charbon et au lignite générant

une pollution importante, mise en place de systèmes efficaces de collecte des eaux usées. La

mairie RP d’Istanbul a effectivement beaucoup fait pour améliorer la distribution d’eau potable »

(Massicard, 2009, p. 31) ; d’autre part, par le recours à des entreprises privées pour administrer

ces services sous forme de délégation ou de privatisation et enfin, découlant de ce qui vient d’être

dit, par l’officialisation de services auparavant gérés de manière informelle ou en d’autres termes

par la monétarisation de services anciennement « gratuits » : pour exemple « la municipalité

d’Ümraniye (Istanbul) a rendu payant certains services (ramassage des ordures, enregistrements

des titres de propriété) qui étaient officiellement gratuits sous les précédentes administrations,

mais pour lesquels étaient en réalité prélevées des taxes informelles sous forme de bakchich »

(Massicard, 2009, p. 28).

63 L’exemple le plus frappant de cette trajectoire politique construite à l’échelle municipale est incarnée par l’actuel Premier Ministre de la Turquie, Recep Tayip Erdoğan, maire métropolitain d’Istanbul entre 1994 et 1998

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Cette stratégie politique a eu deux effets : la première est d’avoir effectivement amélioré

sensiblement la qualité des services urbains en réseau à l’échelle métropolitaine grâce aux

nombreux investissements réalisés, la seconde est d’avoir ainsi réussi à fidéliser un nouvel

électorat populaire. Toutefois, ces investissements réalisés ont un coût que les élus au pouvoir ont

rapidement répercuté sur les contribuables turcs en augmentant sensiblement la tarification des

biens essentiels (pain, essence, services sociaux, eau, gaz, transports publics). L’augmentation des

prix des services urbains, constatée l’année précédente en ce qui concerne le gaz naturel (Arik,

2011, p. 83) ne peut donc être imputable uniquement à des effets conjoncturels macro-

économiques ou aux logiques commerciales d’acteurs privés rentrés sur le marché, mais relève en

partie de stratégies publiques. En effet, cette nouvelle tarification aurait permis d’amortir les

importantes subventions accordées par l’Etat turc via le Trésor National aux municipalités de

même bord politique afin de financer les nouvelles infrastructures (Akinci, 1999).

D’autre part, loin d’avoir éradiqué le phénomène de corruption et de clientélisme, les

nouvelles élites politiques locales ont fondé leurs actions sur un « activisme social » (Massicard,

2009, p. 34) auprès des plus nécessiteux. Ainsi, concernant l’énergie, les distributions gratuites de

sacs de charbon durant les hivers rigoureux, généralement à la veille d’une élection locale, de la

part des élites locales, entrent en contradiction avec la politique nationale et métropolitaine du

développement du réseau de gaz naturel. Ces pratiques politiques vernaculaires ne sont pas

totalement illégales mais plutôt « a-légales » comme le souligne Elise Massicard (Massicard, 2004,

p. 118) car celles-ci sont réalisées au travers de réseaux de bienfaisance qui impliquent l’Etat, les

municipalités, le parti politique, des fondations pieuses (Vakfi) ou bien diverses associations

financées par des donateurs privés (Massicard, 2009, p. 35). Bien que les données ci-dessous ne

soient pas toutes à jour, elles sont néanmoins révélatrices de l’ampleur de ces distributions

réalisées en adéquation avec la politique sociale de l’Etat: durant la présentation du budget 2011

du Ministère de l’Energie et des Ressources Naturelles au sein de la Grande Assemblée Nationale

de Turquie64, le ministre estime la distribution gratuite de sacs de charbon à 1,7 millions de foyers

turcs chaque année entre 2003 et 2009, pour la période hivernale 2010-2011, 2 millions de tonnes

de charbon seront distribuées « généreusement », ces distributions sont généralement assurées via

le Fond d’Aide Sociale et d’Encouragement à la Solidarité (Sosyal Yardımlaşma ve Dayanışmayış

Teşvik Fonu) ; en décembre 1995, le maire de Bahcelievler à Istanbul a distribué gratuitement 1500

64 Disponible à l’adresse suivante : http://www.enerji.gov.tr/index.php?dil=en&sf=webpages&b=yayinlar_raporlar_EN&bn=550&hn=&id=40721

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tonnes de charbon dans son arrondissement en sus des 250kg d’alimentation pour 3500 familles

lors du Ramadan et des vêtements en faveur de collégiens…(Akinci, 1999, p. 77)

Nous y reviendrons plus loin lorsque nous évoquerons la transition énergétique via le prisme

des histoires individuelles mais l’on peut d’ores et déjà se demander en quoi ce « populisme

énergétique » influence les choix de consommation des ménages les plus précaires. Au-delà des

résistances économiques au changement, le prix à l’unité du gaz naturel étant comparativement

plus élevé que celui du charbon ou du lignite (Arik, 2011, p. 85), ces pratiques politiques ne

perpétuent-elles pas l’usage d’un mode de chauffage traditionnel pourtant dangereux pour la

santé humaine et pour l’atmosphère ? La distribution gratuite de charbon par des autorités

publiques ou affiliées n’est-elle pas d’autant plus impertinente que chaque hiver des milliers de

citadins meurent asphyxiés par les fumées noires des poêles ?

2.2.3. « Faire lien avec une administration poreuse »65

Dans le quartier d’Ayazma, on a assisté début 2002 à une mobilisation pour l’aménagement du réseau d’eau dont

l’absence faisait cruellement défaut et compliquait la vie quotidienne des femmes. Tout s’est joué dans une conjoncture précise :

une chronologie très courte et un mode informel. En effet, dans une optique électoraliste sans ambiguïté, les autorités locales –

en l’occurrence la mairie d’arrondissement – auraient proposé, mais de façon orale, d’installer le réseau d’eau à Ayazma, à

condition que chaque foyer voulant se raccorder verse une petite somme ; condition étonnante pour le développement d’un réseau

public. Un marchandage local informel a donc été amorcé, en faisant jouer une commune origine géographique (hemşehirlik)

des protagonistes, le responsable de l’urbanisme de la municipalité concernée étant originaire du même département qu’un

certain nombre d’habitants du quartier (Ağrı à l’extrême est du pays). Face au refus de certains habitants de verser la somme

exigée, la proposition a finalement été retirée, au grand dam de tous ceux qui étaient prêts à jouer le jeu.

Mais cette affaire d’eau ne s’est pas terminée ainsi. En un certain sens, les leçons de l’échec des négociations de 2002 ont

été tirées, sinon collectivement, du moins par une poignée d’habitants. De fait, après cette déconvenue, quelques habitants

décidées – autour de la figure de C. – ont cherché les raisons du refus qu’ils se sont vu opposés et les mécanismes de la prise de

décision en matière d’installation d’un réseau d’eau. En effet, les instances sollicitées – en l’occurrence la mairie

d’arrondissement et l’antenne locale de l’Administration des Eaux et Canalisation d’Istanbul (ISKI) – se sont longtemps

renvoyés le dossier, aucune d’entre elles n’acceptant de prendre une décision ferme face aux sollicitations des habitants

mobilisés, car la décision aurait aboutie à reconnaître un quartier « qui n’existe pas sur les cartes et plans officiels ». Une

fois ces enjeux clarifiés, les habitants les plus opiniâtres, utilisant à leur tour habilement des réseaux de connaissance ou de

connaissances de connaissances, se sont lancés dans une véritable entreprise de lobbying discret auprès de l’antenne locale de

l’ISKI. Ainsi, la détermination de quelques uns autour de la figure de C. ; entrepreneur en bâtiment possédant alors le seul

immeuble à deux étages du quartier et originaire d’Ağrı, comme l’un des responsables de l’urbanisme de la mairie de

Küçükçekmece, a-t-elle fini par porter ses fruits. En mars 2003, en effet, l’installation du réseau commençait, moyennant au

départ 50 millions de livres turques (30 euros) par foyer. Mais il est intéressant de souligner qu’à partir du moment où

l’installation a été vraiment engagée, le collectif a grossi, et de nouveaux intéressés se sont greffés au noyau initial. Ainsi, le

coût moyen de l’installation par foyer (creusement des tranchées et pose des tuyaux) a peu à peu diminué pour devenir

65 Nous nous excusons par avance auprès de Benoit Fliche pour avoir ouvertement plagié un des titres issu de son article « De l’action réticulaire à la recherche du semblable, ou comment faire lien avec l’administration » paru dans La Turquie conteste : mobilisations sociales et régime sécuritaire de Gilles Dorronsoro (dir), 2005, CNRS Editions

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attractif, même pour les plus réticents au départ. D’un point de vue simplement comptable – on pourrait parler d’économie

d’échelle –, l’action collective prenait alors tout son sens. Structure évolutive, le collectif habitant, large, finalement constitué

pour l’occasion, n’aurait pas existé sans une personnalité forte et surtout sans le succès des négociations entreprises par un tout

petit nombre au départ. L’affaire n’est cependant pas close : l’ISKI a accepté de faire cette concession – moyennant une

contribution des habitants –, mais n’est pas prête à officialiser son geste en délivrant des abonnements pour l’eau fournie. En

effet, la délivrance d’abonnements et l’installation de compteurs signifierait l’officialisation d’une faveur locale. En d’autres

termes, l’antenne locale de l’ISKI a fabriqué par cette initiative partielle de nouveaux utilisateurs pirates.

Extrait de l’article « Les compétences des acteurs dans les micro-mobilisations » de Jean-François Pérouse,

paru dans La Turquie conteste : mobilisations sociales et régime sécuritaire sous la direction de Gilles Dorronsoro,

2005, CNRS Editions

Ce récit, fruit d’une fine étude de terrain, est convoqué ici par Jean-François Pérouse pour

étudier les répertoires de l’action collective activés par ceux qu’il décrit comme les « citadins

ordinaires » (Pérouse, 2005a, p. 127). Cette mobilisation « […] anonyme, ultra-territorialisée,

locale et […] éphémère » (Ibid.) est comprise comme une « action concertée d’un groupe

cherchant à faire triompher des fins partagées » (Dorronsoro, 2005, p. 24)66 qui concernent ici

l’accès à un service énergétique primaire : le réseau d’eau. Dans une perspective heuristique

d’analyse de la transition énergétique, plusieurs éléments retiennent notre attention, car ceux-ci

remettent en cause notre conception occidentale du gouvernement urbain, celle-ci reposant « sur

la vision d’une couche d’institutions publiques servant tous les habitants d’un territoire » (Lorrain,

2011, p. 394).

Dans le cas évoqué remontant à 2002, les frontières métropolitaines ne s’étant pas élargies

pour correspondre à celles du département d’Istanbul, le quartier d’Ayazma est alors situé en

périphérie sud-ouest du territoire métropolitain. Ce quartier composé alors essentiellement de

gecekondu67, fut édifié dans les années 1980 par une population majoritairement d’origine kurde.

L’interventionnisme public semble alors quasi-absent dans ce quartier ou du moins il végète de

manière différenciée avec des conditions d’accès aux services urbains spécifiques et rudes: jusqu’à

cet incident, l’eau était distribuée gratuitement par des camions citernes, l’électricité étant encore

majoritairement captée par des raccords illégaux. A l’instar de l’organisation vernaculaire d’accès

aux services mises en place par les élus locaux de Mumbai (Zérah, 2011, p. 160), le maire

d’arrondissement de Küçükçekmece, en proposant de manière informelle (c'est-à-dire oralement)

66 Définition initialement tirée de Fillieule O. (dir.), 1993, Sociologie de la protestation. Les formes de l’action collective dans la France contemporaine, Paris, L’Harmattan 67 Ce quartier a depuis fait l’objet d’un programme de rénovation urbaine brutal étant situé en toute proximité du stade olympique Atatürk qui a fait tabula rasa des habitations illégales et reconstruit des immeubles de standings. Les habitants pourtant propriétaires de leur logement mais de manière fictive juridiquement ont été relogés progressivement suite à une forte mobilisation médiatique dans le quartier TOKI de Beziganbahçe.

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et dans une vision populiste, d’installer le réseau d’eau dans le quartier, s’impose officiellement

comme un « médiateur » entre la population et la bureaucratie métropolitaine, compétente en

matière de services urbains. Son statut de maire lui octroie une position privilégiée pour accéder

plus facilement à des ressources politiques, cognitives et financières. L’action politique devient ici

réticulaire, c'est-à-dire qu’il est nécessaire de créer des liens avec une administration perméable à

ce genre d’agissement afin « d’accéder à des ressources difficilement accessibles autrement. Il faut

pour cela faire appel à des ‘personnes-relais’ ou à des ‘leviers’ qui fassent pression sur des ‘cibles’

(Fliche, 2005, p. 160). Dans le cas d’Ayazma, l’action réticulaire s’est fondée sur deux personnes

relais : C. l’entrepreneur en bâtiment du quartier et l’un des responsables de l’urbanisme de la

mairie. L’appartenance géographique commune (le département d’Ağrı) de ces deux personnes a

constitué le lien légitimant l’action. Le sentiment d’appartenance politique, familial ou d’amitié

constituent d’autres types de liens de solidarité (Fliche, 2005, p. 160) qui se construisent dans des

lieux de proximité urbaine particuliers tels les associations villageoises ou de pays (hemşehri derneği),

les cafés, les commerces ou encore les lieux de culte… (Poyraz, 2007; Poyraz et al., 2010).

Toute l’ambiguïté et les paradoxes de l’action publique locale se dévoilent à travers cet

exemple. Entre la perspective d’universalisation du réseau d’eau affichée par l’autorité locale qui

convoque les services de l’exploitant officiel du réseau (ISKI) et les mécanismes locaux de prise

de décision dépendant des chemins politiques traditionnels, on assiste à la création plus ou moins

volontaire et consciente, d’un système d’action publique situé aux marges de la légalité (Pérouse,

2005a, p. 131). Ceci s’incarne dans les faits par le marchandage d’une faveur politique qui en

contrepartie oblige la population concernée à s’acquitter d’une somme convenue sans doute

arbitrairement et dont on ignore ce qu’est censé recouvrir le montant total. La non délivrance de

ces informations par la mairie aux habitants a été préjudiciable quant à l’issue des événements, les

habitants ignorant que la somme demandée diminuerait plus ils seraient nombreux. D’autre part,

le premier échec du développement du réseau serait imputable à l’absence de prise de

responsabilité tant de l’autorité publique que de l’antenne locale du réseau d’eau, qui met en

lumière ces « inerties sectorielles liées à des logiques institutionnelles tenaces », accusées ailleurs

par Jean François Pérouse d’être des freins à la transversalité des politiques locales de

développement durable (Pérouse, 2011, p. 69). Il faut savoir que l’entreprise ISKI est une « vieille

et puissante institution – dont le budget a longtemps été supérieur à celui de la municipalité

d’Istanbul elle-même – [qui] a sa logique d’action propre, qui fait peu de place à la concertation

avec d’autres acteurs, comme au développement d’actions intégrées territorialisées » (Ibid.). En

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définitive, les résultats de ce qui relève d’une politique publique amènent à « créer de nouveaux

utilisateurs pirates » sans compteurs individuels, ni factures. A posteriori, l’hypocrisie politique

semble aller encore plus loin avec l’officialisation du raccordement au réseau et la délivrance,

quelques années plus tard, de factures en bonne et due forme aux habitants d’Ayazma, ce qui n’a

pas empêché les autorités locales de détruire ces logements en 2007 en plaidant l’argument de

l’illégalité foncière et immobilière des habitations68. La puissance publique semble donc se donner

le droit d’apprécier arbitrairement et abusivement ce qui relève du légal et de l’illégal en fonction

des différentes conjonctures politiques et des contextes spatio-temporels. Le raccordement

officiel au réseau ne serait pas dans le cas présent une preuve suffisante de la légalité juridique de

l’habitation. Cette situation ubuesque d’un point de vue politique l’est aussi d’un point de vue

social dans une société urbaine de haute densité réseautique. Au sein de la « Gig@city »

stambouliote (Lorrain, 2002), être connecté au réseau représente le premier témoignage matériel

manifestant d’une intégration à la société urbaine (Lorrain, 1998, p. 16). Entre affiliation

spontanée et désaffiliation indéterminée, entre branchement illégal au réseau, branchement toléré

et branchement semi-légalisé, la confusion entrainée par ce type de politique publique envers une

population déjà socialement vulnérable institue une certaine schizophrénie réseautique.

Cette chronique d’une mobilisation collective territorialisée est révélatrice du poids des

décisions publiques dans la dynamique de ségrégation socio-territoriale par les réseaux. L’action

réticulaire et les pratiques politiques vernaculaires flirtant avec l’illégalité dans des espaces où

l’informalité est déjà omniprésente s’avèrent en d’autres termes plus responsables de la

fragmentation urbaine que ne le sont les logiques commerciales des opérateurs privés des réseaux

pourtant désignés par Stephen Graham et Simon Marvin, comme facteur central du Splintering

Urbanism (Graham & Marvin, 2001). Ces logiques politiques territorialisées nous invitent à

multiplier à l’avenir des enquêtes de terrain de même nature, pour comprendre, entre autres,

comment les services urbains en réseau et notamment celui du gaz naturel développé récemment,

se sont déployés au sein du territoire métropolitain en prenant en compte les configurations

politiques et socio-spatiales de chaque lieu.

68 L’authenticité de ces propos est à considérer avec prudence car ils s’appuient seulement sur des sources audiovisuelles, la démolition des habitations d’Ayazma ayant fait l’objet d’une mobilisation médiatique importante. Nous avons pu ainsi voir le film Ekumenopolis, city without limits, de İmre Azem paru en 2011 et une vidéo intitulée « The evicted families of Ayazma, Istanbul » disponible sur : http://www.habitants.org/spazio_degli_abitanti_organizzati/video/the_city_is_for_all/the_evicted_families_of_ayazma_istanbul

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2.3. CONCLUSION PROVISOIRE, QUESTIONS EN SUSPENS…

Au regard de ce qui a été décrit jusqu’à présent, malgré l’apparente complexité du système

institutionnel et sociétal d’une métropole combinant à la fois les qualités d’une ville monde et

d’une ville émergente, nous réfutons la position déterministe et fataliste de l’impossible transition

énergétique à Istanbul. Si le processus de percolation, qui nous a permis de définir la transition

énergétique, apparaît aussi heurté dans ce contexte urbain spécifique, ceci s’explique sans doute

par la tension à laquelle est soumise cette dynamique de changement entre, d’un côté, des

politiques et stratégies métropolitaines encore timides sur le sujet et, de l’autre, la réalité des

pratiques politiques vernaculaires dont les conséquences socio-économiques ne sont jamais

totalement stabilisées. L’analyse de la transition énergétique ne peut donc s’abstraire totalement

d’une tentative de compréhension de ces mécanismes de l’action publique, hybridés entre légalité

et illégalité, qui, n’existant pas ou du moins à des degrés beaucoup moins importants dans les

contextes métropolitains des villes du Nord, ne servent que rarement de focale d’analyse au sein

des théories traditionnelles sur la transition.

Afin de dénouer la complexité des instruments et des dispositifs de l’action publique mis en

œuvre et, ainsi, de rendre compte de leur degré d’efficacité, il serait nécessaire de clarifier plus en

profondeur le rôle des acteurs impliqués ainsi que la vision dont ils sont porteurs à propos de la

transition énergétique. Faute de données empiriques étoffées, nous souhaiterions ici brièvement

émettre certaines hypothèses quant au rôle et aux relations entretenues par les membres de la

coalition de croissance qui s’est formée autour du développement urbain d’Istanbul.

Tout d’abord, concernant la Municipalité Métropolitaine d’Istanbul, nous avions constaté que

l’enjeu énergétique n’était pas à l’heure actuelle la priorité au sein de l’agenda politique local. Les

interventions sectorielles et ponctuelles présentées comme une illustration de l’engagement public

en faveur de la transition énergétique ainsi que l’implication contrastée des acteurs métropolitains

au sein des réseaux municipaux transnationaux dédiés à ces questions, semblaient plus témoigner

d’une appropriation opportuniste et sélective de la question. Il est peut-être trop réducteur de

s’arrêter à cette conclusion car une certaine dynamique impulsée par l’Etat et par les collectivités

locales turques, membres des réseaux transnationaux, semble toutefois faire prendre conscience

de l’acuité de la question auprès des décideurs locaux. Nous ne pouvons être totalement d’accord

avec Solmaz F. Karabag qui, étudiant l’approche des municipalités métropolitaines turques du

changement climatique, écrit que ces dernières ne font même pas l’effort de mettre en place des

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études prospectives sur la manière dont le changement climatique impactera leur éco-système

urbain (Karabag, 2011, p. 130)69. Ces études existent et se multiplient notamment grâce aux

subventions accordées par des acteurs transnationaux. C’est à un autre niveau que le problème

surgit, plus en aval, durant le temps de la prise de décision. En effet, la prise en compte et

l’analyse de ces ressources cognitives par les services métropolitains ne débouchent que rarement

sur la production de dispositifs publics d’intervention. Au sein de la nébuleuse bureaucratique

métropolitaine qui s’est considérablement complexifiée depuis l’arrivée des sociétés de droit privé

(Belediye İktisadi Teşekkülleri), il serait sans doute opportun, à l’image des études réalisées par Alex

Aylett dans le cas des municipalités sud-africaines (Aylett, 2011), d’entreprendre une analyse

sociologique des valeurs et des cultures organisationnelles de ces institutions. Ne pourrait-on pas

envisager que des routines bureaucratiques, Aylett parle de culture organisationnelle pour décrire

la mise en œuvre de règles, procédures, de pratiques et d’éthiques communes partagées par les

employés d’une même structure, ainsi que la trop grande spécialisation des employés qui

empêchent d’appréhender des problèmes inattendus, Aylett parle cette fois de trained incapacity,

sont autant de facteurs bloquant l’apparition d’une démarche énergétique plus intégrée ? D’autre

part, la multiplication des conférences internationales sur la thématique énergétique – tenue

annuelle d’une conférence internationale sur les énergies renouvelables et l’environnement70;

second forum sur l’efficacité énergétique71, symposium sur la technologie des déchets72,

conférence sur la ville durable73, sommet sur les villes mondiales intelligentes74 – toutes organisées

à Istanbul et qui rassemblent des acteurs gouvernementaux (les ministères et ses autorités

affiliées), des représentants des collectivités locales turques et étrangères, des grands groupes

privés de l’énergie (Zorlu, Enerji SA, Siemens…) ainsi que des acteurs de la société civile

(association, ONG, bureaux d’expertise…), questionne la position dévolue à Istanbul dans ce

processus de transition énergétique. Quels sont l’implication et le rôle réel de ces acteurs

métropolitains stambouliotes présents au sein de ces réseaux ? L’accumulation du capital de

connaissances engrangées petit à petit ne présage-t-elle pas, à terme, de voir Istanbul devenir le

support de nouvelles politiques énergétiques inspirées des cas exemplaires étrangers ? Ceci

69 Il est précisément écrit : « Furthermore, the study found been no efforts to disclose information how climate change will affect those cities » 70 ICCI, Uluslararası enerji ve çevre fuarı ve konferans_voir www.icci.com.tr 71 Ulusal enerji verimliliği forumu ve fuarı _www.uevf.com.tr 72 IWES, Atık Teknolojileri Sempozyumu ve sergisi_ www.iwes.com.tr 73 Türkiye’de sürdürülebilir kentler_ www.surdurulebilirkentler.org 74 WICS, Dünya Akıllı Şehirler Zirvesi_www.wicsummit.com

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constituerait un moyen parmi d’autres pour lui permettre de maintenir son rôle de leader

métropolitain à l’échelle de la Turquie.

A l’heure actuelle, la Municipalité Métropolitaine de Gazientep75 a devancé celle d’Istanbul en

matière de planification énergétique avec l’adoption récente d’un Plan Climat-Energie Territorial,

inspiré du modèle français développé par l’Ademe. Cette initiative en faveur de la lutte contre le

changement climatique accentue la visibilité de cette ville à l’échelle de la Turquie mais aussi à

l’international, ce que les élites politiques et économiques stambouliotes ne peuvent que constater

et jalouser. Alors que l’on peut supposer que la ville de Gazientep dispose de capacités

institutionnelles et financières moindres que celles d’Istanbul, pourquoi et comment cette

métropole de province réussit là où Istanbul échoue ? Les problèmes de gouvernance locale à

l’origine de conflits organisationnels à l’échelle d’Istanbul expliquent-ils pourquoi les décideurs

métropolitains ne parviennent pas à s’entourer d’acteurs ressources capables de faire émerger de

telles initiatives, ce que la ville de Gazientep sous le leadership politique et la vision de son actuel

maire est parvenue à faire avec notamment l’appui de l’Agence Française de Développement ? Il

serait également opportun d’analyser la vigueur et la nature des liens entre les membres des

coalitions de croissance métropolitaine (Lorrain, 2011, p. 377). L’omniprésence de l’Etat turc au

sein du gouvernement urbain stambouliote contribue-t-elle au développement métropolitain ou

s’apparente-elle à une réduction de l’autonomie du pouvoir local ? Cette gouvernance bi-niveau

permet-elle au gouvernement local de s’appuyer sur des relations de confiance avec des grandes

firmes privées ? L’année précédente, un employé de l’une de ces grandes firmes urbaines,

Siemens, détentrice de nombreuses solutions énergétiques notamment en ce qui concerne les

smart-technologies, justifiait l’absence de partenariat avec la MMI par une situation urbaine locale

défaillante en matière d’infrastructures de base, condition sine qua none pour développer des

technologies plus innovantes. Ce dernier nous citait en exemple le cas de la fibre optique encore

absente à Istanbul. L’Etat turc ne fut jamais cité comme étant un frein potentiel au

développement de leur secteur d’activité en milieu urbain. A l’inverse, face au déficit de

régulations incitatives développées par l’Etat turc en matière de maîtrise énergétique dans un

secteur du logement court-circuité à l’échelle locale par l’organisme étatique TOKI, les initiatives

de maîtrise énergétique sont laissées à l’initiative de puissants promoteurs immobiliers, plus

sensibles aux enjeux des innovations technologiques perçues comme des avantages comparatifs

sur le marché. C’est ce que nous avons pu constater cette année dans le cas du projet Varyap

75Ville située dans le sud-est anatolien comptant un peu plus d’un million d’habitants

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Meridian76, premier projet urbain turc intégralement certifié Leed, construit sur une emprise

foncière libérée à titre préférentiel par TOKI sans qu’aucun cahier des charges n’impose le

respect de normes énergétiques.

76 Ce programme immobilier est localisé dans le nouveau centre financier d’Ataşehir à Istanbul.

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Partie 3 :

Du charbon au gaz naturel : comment analyser les limites d’une transition énergétique prématurément présentée comme une

réussite ?

« Les paysans n’ont éprouvé aucune difficulté à s’adapter au tracteur, et à vivre avec ces engins. Eux qui attachaient des talismans en pâte de verre bleue à leurs vaches ou à leurs chevaux, pour les protéger du mauvais œil, en ornaient désormais les tracteurs. Le tracteur était la noce, la fête. On pense qu’il est difficile de devenir un prolétaire. S’arrachant à mille traditions, les gens deviennent tout autres. J’ai été le témoin admiratif de ces paysans, qui entrèrent avec facilité dans le prolétariat. Bien sûr, ils s’accrochaient encore à telle ou telle tradition, mais ils s’agrippaient plus encore à leur monde nouveau. Dans mes romans, cette métamorphose reste le thème fondamental. Le changement de l’homme face aux conditions nouvelles, la mutation de la nature en rapport avec le changement social : cette aventure humaine était la source de mon admiration. »

Yaşar Kemal, Entretiens avec Alain Bosquet, Extraits, paru dans

Yaşar Kemal, 2011, La saga de Mémed le Mince, Quarto, Gallimard, p.81

Durant le mois de janvier de l’année 1992, surgissent aux yeux des habitants de Kadiköy,

quartier situé sur la rive asiatique d’Istanbul, les premiers résultats tangibles d’une profonde et

lente mutation socio-technique, amorcée quelques années plus tôt. La formidable histoire du gaz

naturel de ville en Turquie entame ici son entreprise de substitution aux anciens systèmes

énergétiques utilisés jusqu’alors dans la sphère domestique pour ce qui concerne le chauffage

urbain et les commodités culinaires à savoir principalement le charbon, le bois ou dans une

moindre mesure le gaz manufacturé ou le fioul. Actuellement, l’exploitant officiel de la

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distribution du gaz naturel à Istanbul se vante d’avoir diffusé l’utilisation de cette ressource sur

plus de 97% du territoire métropolitain enregistrant presque 5 millions d’abonnés. Cette mutation

urbaine, dont on imagine l’ampleur au vu de ces chiffres, doit être comprise comme une

transition énergétique en tant que telle, bien qu’elle ne décrive pas véritablement le passage à un

système énergétique plus durable, le gaz naturel demeurant une énergie fossile. Pourtant, cette

transition du charbon au gaz naturel qui s’est opérée dans les années 1960 en Europe, est vécue

par la population d’Istanbul comme une réelle avancée vers un système énergétique plus

moderne, écologique et moins polluant, en témoignent les représentations, certes faussées, d’une

partie des habitants considérant le gaz naturel comme une ressource renouvelable au même titre

que l’énergie solaire ou éolienne (Erbil, 2011).

L’objectif de cette troisième et dernière partie est de proposer une première grille d’analyse de

cette transition socio-technique, soutenue par des informations glanées sur le terrain, laquelle

transition a été trop rapidement présentée comme aboutie. En effet, nous avons pu le constater

durant nos deux séjours successifs à Istanbul, tout le monde n’utilise pas encore le gaz naturel ou

du moins tout le monde n’utilise pas exclusivement cette ressource énergétique, certains

aménageant des systèmes énergétiques hybrides en ayant toujours recours à des combustibles

traditionnels. La situation actuelle est donc encore celle d’une transition, indubitablement en voie

d’achèvement avec une adoption quasi-généralisée du gaz naturel mais le nouvel état du « tout au

gaz » n’est pas encore tout à fait parvenu, quoi qu’en disent ceux qui invoquent d’ores et déjà un

succès sans équivoque. Nous avons ainsi construit cette grille d’analyse, en nous demandant

comment il serait possible d’appréhender l’intégralité des dynamiques économiques, sociales et

politiques, de l’échelle macro à l’échelle micro, constitutive du processus de transition

énergétique, capable d’expliquer l’hétérogénéité des situations advenues face à l’innovation. A

terme, notre ambition serait d’effectuer une historiographie de l’apparition du régime de gaz

naturel à l’échelle de la Turquie, à l’image de ce que Joel Tarr a pu écrire à propos du

développement du gaz naturel aux Etats-Unis (Tarr, 1999), en vue de repérer des séquences

temporelles sur un laps de trente années (1980-2012) au cours desquelles une pluralité d’acteurs

(Etats, industriels, associations, lobbying, Banque Mondiale…) ont, par une série de décisions

économiques, techniques et d’accords politiques, permis la diffusion du gaz naturel dans les villes

turques. Cette première approche contextuelle pourrait s’affiner en s’intéressant tout

particulièrement au cas d’Istanbul. Ceci se justifie doublement par sa position de première

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métropole turque qui fut à ce titre l’une des trois premières villes à recevoir le gaz naturel77 et qui

fut considérée comme un laboratoire d’apprentissage de ce nouveau régime socio-technique du

gaz naturel. Cette historiographie urbaine pourrait s’inspirer des approches conceptuelles de

l’écologie politique urbaine mises en avant par certains chercheurs radicaux dont Erik

Swyngedouw est l’un des principaux partisans (Heynen & Swyngedouw, 2006a; Swyngedouw,

1997; 2006). Cette écologie politique considère le développement urbain comme un processus de

transformation socio-métabolique de l’environnement, la ville n’étant pas considérée comme une

antithèse de la nature mais comme une hybridation environnementale (Swyngedouw, 2006). Cette

fusion du social et du naturel se conçoit par les circulations métaboliques que l’auteur définit

comme « the socially mediated process of environnemental_inclunding technological transformation and trans-

configuration_ through which all maner of agents are mobilized, attached, collectivized and networked »

(Swyngedouw, 2006, p. 113). Dans cette perspective, le système socio-technique du gaz naturel

pourrait être considéré comme un nouveau flux métabolique encastré au sein d’un pouvoir

politico-écologique au travers duquel l’urbanisation s’organise (Swyngedouw, 1997). Le gaz

naturel est ainsi considéré comme un sujet de lutte sociale intense en vue de son contrôle et de

son accès à l’échelle des villes turques mais aussi à l’échelle infra-métropolitaine au sein des

quartiers. Il est ici important de rappeler que l’écologie politique urbaine se fonde sur le postulat

radical selon lequel la production matérielle de la ville est contrôlée et manipulée par et pour les

intérêts des élites au détriment des populations marginalisées (Heynen & Swyngedouw, 2006b, p.

6). De ce fait, les conflits politiques, économiques et sociaux sont inhérents à l’accès aux flux

métaboliques.

N’étant pas à même d’appréhender l’ensemble des transformations socio-métaboliques

résultant de l’arrivée du gaz naturel à Istanbul, nous considèrerons, dans un premier temps, cette

transition dans un cadre socio-politique large grâce au concept analytique du Multi-Level Perspective

de Franck W. Geels. Le second temps de l’argumentaire aura pour but de revenir et de compléter

nos travaux de l’année précédente sur les différenciations socio-territoriales résultant de

l’introduction de cette innovation technique. Enfin, nous émettons l’hypothèse que

l’inachèvement de cette transition s’explique en partie par l’inadéquation des politiques de

diffusion du gaz naturel à la réalité des pratiques individuelles de l’énergie. La dernière sous-partie

propose ainsi de poser quelques éléments sociologiques et anthropologiques en vue de

77 Avec Ankara et Bursa

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comprendre cette métamorphose de l’homme face à la technique, aventure humaine qu’aurait

sans doute appréciée décrire l’écrivain Yaşar Kemal.

3.1. TRAJECTOIRE DE L’INNOVATION SOCIO-TECHNIQUE EN TURQUIE ET RÔLE D’ISTANBUL DANS LA CONSTITUTION D’UN NOUVEAU REGIME ENERGETIQUE DU GAZ NATUREL

A l’image de ce que nous enseigne l’écologie politique urbaine, l’analyse des trajectoires de

diffusion des innovations technologiques reconfigurant des systèmes socio-techniques – soit

l’approche du Multi-Level Perspective (MLP) – souligne l’importance du processus co-évolutif et co-

déterminant, de l’innovation enchâssée dans un environnement sociétal et dans un

environnement matériel ou technique. L’apparition d’un nouveau système socio-technique,

résultant de l’émergence ou de la substitution d’une nouvelle technologie, n’est jamais neutre et

dépend du contexte politico-économique et socio-culturel dans lequel il s’insère. Les conditions

dans lesquelles la transition conduisant au gaz naturel s’est opérée en Turquie coïncident en partie

avec le chemin de transition que Geels nomme « substitution technologique » (Geels & Schot,

2007).

Figure 5: Sentier de substitution technologique (Geels & Schot, 2007, p. 410)

Ce type de transition (voir figure 5) – Geels l’illustre avec le passage du bateau à voile au bateau à

vapeur en Grande-Bretagne – éclot lorsque des pressions importantes créées au sein du paysage

socio-technique perturbent le régime existant et offrent des fenêtres d’opportunités à des

technologies déjà matures produites dans des niches afin de pénétrer le régime. Cette substitution

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technologique souvent liée à un choc spécifique engendre une disparition progressive du régime

existant ainsi que de nouvelles luttes de pouvoir et d’influence parmi les nouveaux acteurs d’un

régime en gestation qui investissent alors massivement dans la construction de ce régime (Geels

& Schot, 2007, p. 409).

3.1.1. Régime et paysage socio-technique de la transition au gaz naturel en Turquie

Evoquons la série d’externalités composant le paysage socio-technique de la Turquie au début

des années 1980 qui a influé sur la décision d’acheminer le gaz naturel dans les villes turques :

Nouvelles orientations politico-économiques de l’après coup d’Etat militaire : le tournant néolibéral

Suite au coup d’Etat militaire de 1981, la Turquie signe son entrée dans un « nouveau régime

néolibéral d’accumulation et de régulation, caractérisé par le démantèlement systématique du

fragile Etat-providence qui s’était constitué pendant les deux décennies précédentes » (Güvenç,

2010, p. 50). Le programme d’ajustement structurel du FMI établit les bases d’une libéralisation

du marché économique turc ce qui aboutit en 1987 à un accord de prêt entre l’Etat turc et la

BIRD pour l’ajustement structurel du marché énergétique (Tansug, 2009).

Croissance urbaine, croissance des besoins énergétiques et problèmes hygiéniques en milieu urbain :

L’objectif de la dérégulation néolibérale du marché énergétique qui a abouti au processus

d’unbundling (désintégration du marché) était de garantir et satisfaire les besoins en énergie des

consommateurs à un prix abordable grâce à l’introduction d’une concurrence privée sur le

marché. La Turquie est alors en pleine phase d’urbanisation accélérée et de croissance

économique. La courbe des besoins énergétiques entame à l’aune des années 1980 une

progression constante qu’il s’agit donc d’accompagner en pariant sur une nouvelle stratégie

énergétique nationale. Le gaz naturel est alors considéré comme une solution rentable

financièrement pour produire de l’électricité. Désormais, la moitié de l’électricité est produite en

Turquie au moyen de centrales alimentées au gaz naturel. D’autre part, cette ressource fut perçue

à un moment donné comme la solution hygiénique au problème de pollution atmosphérique

rencontrée dans les principales villes turques. La combustion du mauvais lignite durant les hivers

rigoureux était accusée d’être la principale source de cette pollution.

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Un nouveau contexte géopolitique favorable à la Turquie :

Ce qui a constitué un choc au sein du paysage socio-technique et qui est à l’origine d’une

« cascade ou d’une avalanche de changements » pour reprendre la terminologie de Geels est

l’apaisement du contexte géopolitique européen suite à la fin de la Guerre Froide. Ce climat de

détente avec la Russie et les pays balkaniques, voisins de la Turquie, repositionne la Turquie au

centre d’un corridor énergétique entre des pays richement pourvus en ressources énergétiques et

des pays consommateurs d’énergie. La Turquie s’est depuis affirmée progressivement comme un

nouveau hub énergétique en offrant la possibilité de faire transiter ressources gazières et

pétrolières par l’installation de gazoducs et d’oléoducs sur son territoire.

Sujet à l’ensemble de ces pressions et du fait de ce contexte géopolitique apaisé rendant

possible le commerce de gaz naturel et de pétrole, l’Etat turc autorise en 1984, l’utilisation du gaz

naturel dans le secteur industriel et à des fins domestiques78. En 1985, l’entreprise publique

BOTAŞ, créée en 1974 pour gérer le commerce de pétrole irakien, voyant ses prérogatives

élargies pour s’occuper de l’importation, du commerce et du transport de gaz naturel, lance une

étude sur l’utilisation du gaz naturel en Turquie afin de déterminer la demande potentielle de gaz

naturel ainsi que les tracés des futurs pipelines (Rapport annuel BOTAŞ 2010). Sur les bases de

cette étude et suite à un accord intergouvernemental signé le 18 septembre 1984 entre la

République de Turquie et l’Union Soviétique, un contrat d’approvisionnement de 25 ans est signé

le 14 février 1986 entre BOTAŞ et Soyuzgazexport, compagnie gazière aujourd’hui rattachée à

Gazprom.

Figure 6: Premier réseau de gaz naturel en Turquie achevé en 1988

(Bouthors & Cailleau, 1987, p. 223)

78 Décret officiel du Conseil des Ministres (84/8806)

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Une fois les ententes avec les fournisseurs de gaz réglées, ne restait plus qu’un problème à

résoudre : la construction de pipelines pour acheminer le gaz naturel dans les villes turques. En

1986, BOTAŞ désigne un consortium industriel international79 pour construire le premier

tronçon d’un gazoduc de 845 km de la frontière bulgare jusqu’à Ankara. La construction du

réseau débute en 1986. Les premières importations de gaz naturel commencent en 1987 pour

alimenter dès 1988 une usine80 à Istanbul et livrer du gaz naturel domestique à Ankara la même

année. Suivra ensuite le raccordement au réseau des villes d’Istanbul, Bursa en 1992, Izmit et

Eskişehir en 1996 (voir figure 6).

Nous supposons que les pressions du paysage socio-technique ayant conduit à l’acheminement

du gaz naturel dans ces premières villes à la fin des années 1980/début des années 1990, ont

amorcé le déclin d’un régime énergétique jusqu’alors dominé par l’industrie du charbonnage, et

ont inversement annoncé la naissance d’un nouveau régime socio-technique autour du gaz

naturel. Il serait intéressant d’analyser de quelle manière s’est effectuée cette évolution : quelles

reconfigurations politiques, industrielles et économiques cela a-t-il eu comme conséquence?

Quels acteurs y ont pris part ? Quels conflits et luttes de pouvoir cela a-t-il entraîné ? Au sein du

nouveau régime créé, fédéré sans doute autour du ministère de l’énergie et de l’entreprise

publique BOTAŞ, un acteur semble avoir joué un rôle prépondérant. Il s’agit de l’Association des

Compagnies de Distribution de Gaz Naturel de Turquie (Türkiye Doğal Gaz Dağıtıcıları Birliği

Derneği – GAZBIR) créée en 2004 à Istanbul avec pour mission d’étendre l’utilisation du gaz

naturel à l’ensemble du territoire turc. Pour ce faire, cette association centralise des informations

sur l’état du marché, identifie les freins juridiques et divers problèmes techniques afin de proposer

des solutions et un appui matériel aux acteurs de la distribution du gaz. Composée de l’intégralité

des sociétés privées et publiques de distribution de gaz naturel de Turquie, il semblerait que

l’association dispose d’une force de proposition importante auprès des législateurs concernant les

modifications législatives à entreprendre pour optimiser le fonctionnement du marché. Son

implication au sein d’un nouveau régime et ses capacités réelles d’action restent toutefois à

préciser.

79 Ce consortium était composé de l’industriel français Spie-Capag, spécialiste des pipelines terrestres et des infrastructures attenantes (stations de compression, de pompage ou de comptage…), l’industriel turc Enka, spécialiste du secteur de la construction d’infrastructures, et des entreprises américaines Fluor et Brown and Root (Bouthors & Cailleau, 1987, p. 223). 80 Il s’agit de l’entreprise de fertilisants IGSAŞ située à Kocaeli

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L’action de ce nouveau régime socio-technique a rendu possible l’utilisation quasi-généralisée

du gaz naturel en milieu urbain, puisqu’en 2010, 67 villes turques sont connectées au réseau

national qui s’est massivement déployé sur l’ensemble du territoire (figure 7).

Figure 7: Provinces turques raccordées au réseau national de gaz naturel (Rapport annuel BOTAŞ, 2010, p35)

3.1.2. Villes et Multi-Level Perspective : l’implication d’Istanbul dans la transition énergétique

L’une des principales critiques portées au MLP se focalise sur le rôle mineur accordé aux villes

dans le processus de transition socio-technique. Istanbul n’a pas eu qu’un rôle déclencheur dans

cette transition vers le gaz naturel. Du fait de sa situation géostratégique entre Europe et Asie, de

l’attention particulière qu’elle provoque chez les dirigeants nationaux et de ses dispositions

politiques et économiques intrinsèques, Istanbul n’a pas été simplement influencée par cette

transition nationale mais a au contraire contribué à la façonner (Hodson & Marvin, 2010a, p.

481).

Nous pensons, tout d’abord, que c’est autour d’acteurs de la société civile d’Istanbul que

l’ensemble des habitants des grandes villes de Turquie ont pu se fédérer dans une lutte sociale

engagée contre la pollution atmosphérique urbaine jugée catastrophique pour la santé humaine.

Au début des années 1990, cette mobilisation sociale a été particulièrement vigoureuse à Istanbul

et fut largement relayée par les médias (Arik, 2011, p. 70). Ces polémiques et contestations

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naissantes ont sans doute eu un impact déclencheur auprès des dirigeants nationaux, invités à

trouver prestement une solution facilement généralisable à ce problème. Là aussi, un travail

d’identification des acteurs mobilisés dans cette lutte reste à mener.

Par la suite, le choix du gaz naturel ayant fait l’objet, semble-t-il, d’un consensus politique, la

transition fut dirigée par les instances nationales du pays, échelon approprié pour appliquer une

politique d’investissement infrastructurel de grande échelle. Il n’en reste pas moins que l’impact

d’Istanbul dans le déroulement des événements ne s’est pas arrêté là. En effet, un acteur

métropolitain a endossé le rôle de leader technique de cette transition, en réussissant à la fois à

consolider un régime gazier national naissant et à diffuser l’utilisation de cette ressource sur le

territoire. Cet acteur n’est autre que la société métropolitaine de distribution de gaz naturel

d’Istanbul (Istanbul Gaz Dağıtım Sanayı ve Ticaret A.Ş – IGDAŞ) créée dès 1986 dans l’optique

de « sauver Istanbul de la pollution atmosphérique ». IGDAŞ dispose du statut d’établissement

économique (BIT) dont la MMI est actionnaire à 95%. En ce sens, la politique de cet exploitant

industriel est étroitement liée à celle de l’institution métropolitaine d’Istanbul qui dispose d’un

droit de contrôle sur son activité. Dans un pays où la culture du gaz n’existait pas au début des

années 1980, IGDAŞ est devenue, au fil des années, le symbole de la réussite de cette transition

de par l’expérience et le savoir-faire technique qu’elle a sus acquérir. IGDAŞ a su édifier un

nouveau régime socio-technique national tout en créant les conditions matérielles et cognitives

pour que les technologies les plus innovantes en matière de gaz naturel se développent au sein de

nouvelles niches. Ne pas avoir évoqué jusque-là le rôle des niches est une omission volontaire

puisque les technologies mobilisées n’ont pas perturbé en tant que telles le régime existant. En

effet, l’innovation technologique nécessaire pour entamer le processus de transition se limitait à

l’importation d’un savoir faire largement expérimenté à l’étranger concernant la construction des

pipelines. Le second temps de l’innovation technique, à savoir l’installation de toute l’ingénierie

que requiert un macro-système technique tel que celui du gaz naturel, allait être quant à lui plus

complexe…

Revenons cependant dès à présent sur la brève chronologie des faits nous ayant permis

d’affirmer ce qui précède. En 1985, un contrat est signé entre la compagnie municipale des

transports publics d’Istanbul (İstanbul Elektrik Tramvay ve Tünel İşletmeleri – IETT) et Sofregaz,

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filiale à l’époque de Gaz de France81, pour faire l’étude du projet d’alimentation en gaz naturel du

Grand Istanbul (Bouthors & Cailleau, 1987). L’année suivante est créée IGDAŞ qui

commissionne un consortium industriel composé de la firme française SAE et de la compagnie

turque Alarko en vue de construire et gérer les premiers tronçons du futur réseau urbain. En

1993, environ 2000km de réseau furent installés (soit 15% du territoire) par ce consortium qui

cède alors intégralement l’exploitation du réseau à IGDAŞ. L’année 1999 marque un tournant

dans l’histoire du gaz naturel à Istanbul mais aussi dans l’histoire du régime gazier en Turquie

avec l’instauration d’un centre international de recherche et formation technique autour du gaz

nommé UGETAM (Uluslararası Gaz Eğitim Teknoloji ve Araştırma Merkezi), au sein duquel a été

formée la majorité du personnel actuel travaillant dans les diverses compagnies de distribution à

travers le pays (voir l’encadré ci-après). Ce centre de certification de standards techniques, inspiré

des modèles des centres français de Gaz de France, aujourd’hui le plus important centre de la

sorte dans la région des Balkans, du Moyen-Orient et du Caucase est né d’une idée de Bilal Arslan

(directeur d’IGDAŞ) et autorisé par le maire métropolitain d’Istanbul de l’époque à savoir Recep

Tayip Erdoğan, conscient de l’opportunité d’une telle institution pour œuvrer en faveur des

ambitions d’internationalisation d’Istanbul. UGETAM est encore aujourd’hui lié à la MMI,

disposant du statut d’établissement économique municipal. Ces vingt premières années

d’existence d’IGDAŞ ont ainsi constitué une période d’apprentissage technique et de

capitalisation cognitive d’un savoir-faire autour des métiers du gaz naturel de ville et qui ont

abouti à la création de ce laboratoire technique fonctionnant telle une niche socio-technique,

espace protégé d’incubation technologique à partir duquel se sont déployées connaissances et

technologies à travers toute la Turquie. IGDAŞ est également à l’origine de la formation de

l’association GAZBIR, évoquée plus haut, dont le siège était situé jusqu’en 2005 à Istanbul avant

d’être délocalisé à Ankara à proximité des autorités gouvernementales et dont le premier

président fut le directeur d’IGDAŞ.

Discours de Ümit Doğay Arınç, président du comité directeur d’UGETAM, le 2 mai 2008 lors de la signature d’un protocole de coopération entre GAZBIR et UGETAM

UGETAM now works as a separated incorporated company serving the gas and energy sectors. There are 4 laboratories, 3

workshops and 6 classes and applications centers including the one in Ümraniye where a total of 100 people can be trained

and theoretical and practical courses are being offered in 80 different topics. UGETAM currently provides training and

consultancy services for Saudi Arabia, Syria, Jordan, Romania, Macedonia, Azerbaijan and Bosnia Herzegovina and

81 Sofregaz est une société française proposant des services d’ingénierie gazière créée en 1959 par Gaz de France. Elle a été depuis rachetée et appartient au groupe Maire Tecnimont

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continued « A new gas training technology, research and development center » is being built in the King Abdul-Aziz

University campus in Jeddah, Saudi Arabia, similar to UGETAM. There is no other training and research institute

similar in scope of UGETAM in the Middle-East, Asia, Africa, Caucasia and Balkans

Discours de Bilal Aslan, directeur général d’IGDAŞ, le 4 juillet 2008 lors de la fête des travailleurs d’IGDAŞ

I congratulate you for you courage. Most of you have become the top-level executives of the sector. You play a significant role in

the development of the sector. In fact, the entrepreneurs of the companies are confessing that they would not be able to progress

so rapidly if it was not for IGDAŞ. There is a signature of IGDAŞ all overt Turkey as well as everywhere from the

Adriatic coast to the Great Wall of China. We are greatly honored.

Discours de Mehmet Kazanci, actuel président de GAZBIR, le 2 mai 2008 lors de la signature d’un protocole de coopération entre GAZBIR et UGETAM

First of all, you [UGETAM] and IGDAŞ provided human ressources to the sector right from the start. You introduced a

very different approach to the sector. No one could expect the state to provide financial resources for this purpose. The state

was able to provide the funding and the facilities and developped the human resource. Today, 70-80% of the natural gaz

distribution companies in Turkey are run by our colleagues who worked and became experienced at IGDAŞ »

Interview de Bilal Aslan, directeur général d’IGDAŞ,

journal de GAZBIR, n°4, Juin-Juillet 2008, p.6582

[…] In spite of all these achievements, there has not been a significant increase in the headcount of IGDAŞ. In fact,

IGDAŞ has 2607 personnel until 2004 and the staff needs of the new natural gas companies were met by IGDAŞ,

decreasing the total headcount of the company to 2300 now […]

Cette culture professionnelle du gaz s’est donc construite à Istanbul, au sein d’une société

appartenant à la MMI et qui s’est diffusée au sein des différentes compagnies de distribution de

gaz naturel en Turquie grâce au transfert de personnel à partir des années 2000. Il n’est donc sans

doute pas anodin si à partir des années 2000, l’on constate un point d’infléchissement dans la

courbe d’acheminement du gaz naturel en Turquie avec l’accélération notable du nombre de villes

raccordées au réseau national83. En exploitant le plus gros marché urbain de distribution de gaz

naturel, IGDAŞ est situé à la 22ème place des 500 plus importantes entreprises turques. Cette

influence économique sur le régime socio-technique national est telle qu’elle nous interroge sur sa

capacité d’intervention politique à l’échelle nationale et locale : avant la création de l’association

GAZBIR, IGDAŞ, qui fédérait alors l’ensemble des sociétés de distribution en Turquie, a-t-elle

été impliquée dans l’adoption de la loi n°4646 de mars 2001 libéralisant le marché du gaz en

82 Toutes ces citations proviennent de ce journal 83 Se reporter à la figure 5, « Réseau national du gaz naturel en Turquie » du précédent mémoire p. 20

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Turquie ? Quel rôle a-t-elle joué dans la mise en place d’une régulation coercitive en 1995 sur la

circulation et le commerce de charbon à Istanbul ?

3.2. APPROCHE SOCIO-TERRITORIALE DE LA TRANSITION

N’ayant pas d’avantage d’éléments à exposer par rapport à l’analyse socio-territoriale du

développement du réseau de gaz naturel à Istanbul réalisée dans notre premier mémoire84, nous

aimerions ici simplement revenir sur quelques éléments importants au regard du corpus théorique

mobilisé.

3.2.1. Macro-système technique centralisé versus autonomisation décentralisée des systèmes énergétiques : Istanbul à l’ère de la « post-networked city » ?

Du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, l’installation de quelques 5000 kilomètres de

réseaux de gaz naturel à Istanbul par l’exploitant semi-public IGDAŞ, gérant la distribution de ce

flux de manière centralisée, remet en cause, de prime abord, l’utilisation du qualificatif « post »

pour décrire la réalité réseautique de cette métropole. Ce nouveau système technique, dont

l’efficacité s’est accrue proportionnellement à l’augmentation de sa taille (macro-système),

renforce au contraire le paradigme traditionnel du système réseautique basé sur une circulation

linéaire des flux énergétiques (Coutard & Lebris, 2009; Coutard & Rutherford, 2009; 2011;

Coutard, 2010): dans le cas étudié, un premier macro-système technique national permet

d’acheminer le gaz naturel capté loin en amont85 d’Istanbul où le macro-système technique local

prend le relais en transformant la ressource afin qu’elle puisse être utilisée par les

consommateurs86. La sécurisation des flux énergétiques par l’intermédiaire de systèmes

décentralisés et plus autonomes ne semblent pas constituer la priorité des politiques

métropolitaines actuelles ainsi que nous l’avions entrevu dans le cadre de la stratégie pour le

centre financier d’Istanbul, piloté par le comité IFM.

Paradoxalement, le développement des NTIC et des nouvelles technologies énergétiques

conjugué à la libéralisation du marché énergétique turc ainsi que la sensibilisation d’acteurs

métropolitains à ces nouvelles solutions depuis qu’ils sont présents au sein de réseaux

transnationaux sur le changement climatique, auraient déjà permis de généraliser de tels systèmes.

84 Se reporter notamment à la troisième partie de notre précédent mémoire (Arik, 2011, p. 81) 85 Principalement en Russie, en Iran et en Irak 86 La transformation et la consommation de gaz naturel entrainent une pollution atmosphérique qui ne peut être prise en charge par le macro-système technique.

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Aucune orientation politique (policy) n’a été cependant prise dans cette direction. A l’image de

l’unique réseau de chaleur urbain de Turquie présent à Esenyurt en périphérie d’Istanbul dont

l’existence ne se justifie que par le leadership de l’ancien maire d’arrondissement concerné, si

quelques systèmes de distribution de gaz naturel fonctionnent en dehors du macro-système

d’IGDAŞ, seules des configurations politiques locales (politics) peuvent légitimer leur apparition.

Figure 8: Exploitants privés de gaz naturel aux marges du macro-système technique (E.A, 2011 à partir de données d’IGDAŞ)

Sur le territoire métropolitain d’Istanbul, des réseaux privés de distribution de gaz naturel se

sont développés au sein de quatre régions urbaines périphériques (Çatalca, Hadımköy, Muratbey

et Bahçeşehir). Comment expliquer leur apparition alors que le réseau centralisé d’IGDAS s’est

construit autour d’une logique d’homogénéisation spatiale ? La formation de ces réseaux

décentralisés, de taille modeste, en parallèle du macro-réseau d’IGDAS correspond à ce processus

« off-grid » qu’Olivier Coutard et Jonathan Rutherford décrivent de la sorte : « Perhaps the most

radical form is based on a deliberate policy or collective strategy of bypassing to some extent traditional centralized

networks and developing services on a local level, increasingly over decentralized, local infrastructures. Such policies

or strategies are founded on desires or obligations for autonomy or independence, and effectively create delinked

‘islands’ in the form of local communities ‘left’ more or less ‘to their own devices’ for basic service provision. […] »

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(Coutard & Rutherford, 2011, p. 112). L’ancienne organisation fragmentée du territoire d’Istanbul

a permis à ces fronts d’urbanisation de s’ériger en véritable isolat urbain par leur fonctionnement

politique autonome. En effet, ces quatre territoires correspondaient, parmi plus d’une quarantaine

d’autres, aux « municipalités de second rang » qui échappaient, avant une loi d’avril 200887 et

malgré l’extension des limites institutionnelles du Grand-Istanbul intervenue en juillet 2004, au

contrôle de la MMI et par conséquent à l’exploitant IGDAS.

Bahçeşehir Gaz Dağıtım A.Ş (BAGDAŞ)

Trakya Doğal Gaz Dağıtım A.Ş (TRAKYADAŞ)

Territoires desservis

Başakşehir : Bahçeşehir 1 kisim, Bahçeşehir 2 kisim

Büyükçekmece88

: Muratbey89

Arnavutköy : Hadımköy ; Hastane, Ömerli ; Yeşilbayır Çatalca, Ferhatpaşa ; Kaleiçi + logements TOKI/KIPTAŞ à Ömerli et Istasyon

Actionnaire(s) de la société

Eksen (Holding immobilière Süzer) 63%

Mesa (Construction) 13,5% Nurol holding (Construction) : 6,75% Nurol hôtel : 6,75% Municipalité : 10%

Trakyadaş est une société appartenant au groupe AKSA gaz naturel (créé en 2003, plus gros distributeur privé de gaz naturel en Turquie avec plus de 20 licences d’exploitation) qui fait partie de la puissante holding familiale Kazancı présent notamment dans le secteur énergétique, l’agriculture et le tourisme

Historique de la création

1992 : accord entre BOTAŞ et la municipalité de Bahçeşehir pour acheminer le gaz naturel dans la ville-satellite 1994 : 1ère livraison de gaz naturel 2002 : la société BAGDAŞ obtient une

licence auprès de l’EPDK90

2003 : suite à une demande de la mairie, refus d’IGDAŞ de gérer la distribution dans cette zone car ne possède les compétences légales pour le faire

Septembre 2003 : suite à un appel d’offre, la société Anadolu Doğalgaz Dağıtım A.Ş gagne le marché et crée à cet effet la compagnie TRAKYADAŞ. La licence d’exploitation obtenue auprès de l’EPDK s’étend sur 30 ans 2005 : 1ère livraison de gaz naturel

Nombre d’abonnés

12 000 avec un potentiel maximum de 16000 abonnés

12 000 abonnés avec un potentiel à court terme de 40 000 suite à la distribution de gaz naturel dans des programmes de construction de logements TOKI et KIPTAŞ

Malgré la réintroduction de ces territoires au sein du gouvernement métropolitain régulier

depuis 2008, les licences d’exploitation de longue durée contractées auprès de sociétés privées ne

permettent pas à IGDAŞ de récupérer l’exploitation de ces zones. L’argument de l’efficacité

87 La loi n°5747 supprime définitivement les municipalités de second rang qui sont réintégrées au sein de différentes municipalités d’arrondissement 88 Ilçe : municipalité d’arrondissement 89 Mahalle : mairie de quartier 90 Autorité régulatrice du marché de l’énergie

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environnementale de tels réseaux n’étant jamais invoqué, seuls des rapports de force socio-

territoriaux légitiment donc l’existence de tels réseaux qui conduisent à fragmenter l’accès à un

service urbain dans des espaces socialement favorisés non atteints par le « raz de marée »

politique du Refah puis de l’AKP. Entre d’anciennes municipalités non soumises aux règles du

jeu usuelles de la municipalité métropolitaine et non acquises aux valeurs diffusées par les

gouvernements islamistes, entre les logiques commerciales d’acteurs privés et notamment celles

de la compagnie AKSA, propriétaire du réseau exploité par TRAKYADAŞ, qui a réalisé la

seconde meilleure offre lors de la privatisation du réseau métropolitain et les accords opaques

réalisés par des sociétés immobilières avec les autorités publiques locales dont celles censées

œuvrer pour l’intérêt général (TOKI/KIPTAS), nombre d’éléments concourent potentiellement à

expliquer l’existence de tels systèmes. Il est toutefois nécessaire de nuancer le caractère

décentralisé de ces mini-réseaux qui demeurent dépendants du macro-système technique

d’IGDAŞ qui les alimente.

Par ailleurs, l’extension des limites de compétence de la MMI et d’IGDAS n’a pas posé que

des problèmes d’ordre politique. En termes économiques, l’idéal d’universalisation d’un tel

service bute sur l’intégration de zones rurales périphériques, moins denses en termes d’habitants,

qu’il s’agit toutefois de desservir par l’intermédiaire d’investissements matériels conséquents.

Figure 9: Installation des lignes de réseau de gaz naturel en direction du nord de

l'arrondissement d'Eyüp (Source : E.A, 2012)

Of course, we are experiencing problems. The change in the

definition of neighboring region for the city of Istanbul in 2004,

extented the distribution license borders of IGDAŞ as well. The

fact that naturel gas had to be supplied to the new districts (Silivri,

Gaziosmanpaşa, Şile) to the north of the city according to the new

license border within a certain deadline necessitated the building of

certain lines that did not have a priority in terms of feasibility.

EMRA should allow more time for the installation of lines to such

regions with a low subscriber potential

Interview de Bilal Aslan, directeur général d’IGDAŞ, journal de GAZBIR, n°4, Juin-Juillet 2008, p.66

Sous un angle socio-spatial, les modalités d’expansion du réseau de gaz naturel ont

inéluctablement suivi la logique de diffusion traditionnelle des macro-systèmes techniques à

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savoir que les premiers connectés au réseau étaient des populations comparativement plus aisées

occupant le centre urbain densément peuplé. Au fil des années, le réseau s’est agrandi en direction

des périphéries moins denses et moins aisées socialement91. Toutefois, cette croissance spatiale

n’a pas été linéaire. Afin de comprendre les anomalies existantes – certaines zones périphériques

circonscrites ayant été desservies prioritairement par rapport à des espaces centraux – il serait

nécessaire de réintroduire la variable des pratiques politiques vernaculaires à l’image de ce que la

description de l’arrivée du réseau d’eau à Ayazma a pu révéler.

3.2.2. Le territoire métropolitain est-il socialement fragmenté par les réseaux ?

La thèse de l’accentuation de la fragmentation urbaine engendrée par les nouvelles stratégies

néolibérales des firmes privées gérant les services urbains en réseau (Graham & Marvin, 2001) est

infirmée, à l’épreuve de l’étude du terrain stambouliote. Le chemin des privatisations emprunté

par la Turquie depuis les années 1990 n’empêche pas les opérateurs privés d’être soumis à une

forte régulation et réglementation publique (Tansug, 2009) dans un contexte où l’Etat reste un

acteur central. Les dernières tentatives de privatisation du réseau de gaz naturel d’Istanbul et

d’Ankara qui se sont soldées par des échecs retentissants, semblent illustrer la frilosité des

pouvoirs publics à accorder l’entière gestion de tels services à des opérateurs privés et d’autant

plus s’ils sont étrangers. La gestion du service par IGDAŞ est nécessairement à relier avec la

politique urbaine de la MMI, car son statut d’Etablissement Economique Municipale, relevant du

droit privé, restreint son domaine d’activité à celui de la municipalité métropolitaine. De ce point

de vue, l’accès à ce service urbain a été pensé selon un mode universel et inclusif qui témoigne

d’un fort investissement public. Si l’homogénéisation socio-spatiale n’est pas encore atteinte,

l’accès au gaz naturel reproduisant peu ou prou les lignes de fractures sociales du territoire

métropolitain (Pérouse, 2005b), ce n’est pas le macro-système technique qui doit être incriminé,

ce dernier ne faisant que se superposer à une segmentation socio-spatiale urbaine déjà existante

(Coutard, 2008, p.1816). Les différenciations d’accès au service s’expliquent par le rythme

d’universalisation saccadé du réseau, dépendant, comme nous l’avons vu, de politiques publiques

mais aussi de considérations économiques.

Les réseaux urbains ainsi disculpés, Dominique Lorrain propose plutôt de considérer la

« promotion foncière et les opérations de construction » (Lorrain, 2011, p. 396) comme

91 Se reporter à la description des étapes de la croissance du réseau de gaz naturel réalisée dans notre précédent mémoire à partir de la page 76

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principaux vecteurs de fragmentation urbaine. Cette idée nous semble plus recevable dans le

contexte urbain d’Istanbul, soumis depuis la fin des années 1990 à une intense spéculation

foncière et marqué par un déficit de régulation publique du marché foncier92. Les terrains du

domaine public93 (hazine) composant 60% de la superficie métropolitaine (Pérouse, 1998, 2006),

souvent occupés illégalement, sont progressivement revendus à des promoteurs immobiliers par

les pouvoirs publics nationaux ou locaux. Dans ce contexte de libéralisation du marché foncier et

immobilier, « la captation de la rente par les grands propriétaires, liés aux promoteurs, emporte

toutes les autres considérations. La valorisation urbaine est telle que les développeurs peuvent

acquérir de vastes territoires et les urbaniser […] » (Lorrain, 2011, p. 399). Cette logique de

captation de la rente foncière à des fins privées a permis entre autres d’édifier la ville-satellite à

Bahçeşehir ou a conduit à l’apparition de ces « paquebots urbains »94 – « ensembles construits de

grande taille qui peuvent fonctionner comme des mondes autonomes offrant à leurs

occupants/clients toutes les facilités du monde moderne » (Lorrain, 2002b, p. 80) – qui

fleurissent un peu partout en périphérie d’Istanbul sur d’anciens terrains publics. C’est à

l’intérieur de ces espaces de sécession sociale, que des services énergétiques de haut-standing se

développent, caractérisés par leur recherche d’autonomie grâce au recours à une technologie

valorisant les énergies renouvelables et leur déconnection des réseaux centralisés. Ces innovations

technologiques représentent au sein de ces projets immobiliers – projet Meridian à Ataşehir du

groupe Varyap, projet Solarkent du groupe Aydınli, projet Tulip du groupe Gayrimekul (…) – des

critères supplémentaires d’attractivité commerciale et de distinction socio-économique pour les

futurs clients. C’est dans cette perspective, par exemple, que les différents promoteurs-

constructeurs immobiliers en charge du développement de Bahçeşehir se sont coalisés pour

former BAGDAŞ et ainsi proposer un service différencié par rapport au reste de la métropole (se

reporter au tableau p.73).

Ces exemples illustrent à quel point les frontières entre les logiques des opérateurs privés et

publics tendent à s’estomper sur le marché immobilier d’Istanbul. L’agence gouvernementale

pour le logement social (TOKI) agit tel un promoteur immobilier, spéculant sur des terrains

publics et annihilant de la sorte toute possibilité pour les autorités locales de mener une politique

de planification urbaine. TOKI au même titre que KIPTAŞ, la société municipale de construction

de logements sociaux de la mairie d’Istanbul, n’a pas hésité à privilégier le raccordement de

92 Seuls 35% de ces terrains publics serait cadastrés (Pérouse, 2006) 93 Propriétés de ministères et d’administrations gouvernementales ou de fondations pieuses 94 Voir à ce sujet la série d’articles proposée dans Flux, n°50, 2002/4, intitulé « Paquebots urbains »

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logements construits par ses soins dans les quartier de Yeşilbayır et d’Ömerli à une compagnie

privée de distribution de gaz naturel, en l’occurrence TRAKYADAŞ que nous avons déjà

mentionnée, alors que l’exploitant métropolitain IGDAŞ aurait été en mesure de le faire,

participant ainsi délibérément au processus de différenciation d’accès aux services urbains en

réseau.

3.3. INNOVATION TECHNIQUE, TRANSFORMATION SOCIALE : CE QUE L’OBSERVATION DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS PEUT NOUS APPRENDRE DU PROCESSUS DE TRANSITION ENERGETIQUE

Pour passer de l’invention à l’innovation ne reste plus qu’une étape à franchir : celle de

l’adoption effective de la technique par les usagers espérés (Alter, 2002). Cette étape implique

automatiquement une période d’adaptation à des nouvelles pratiques et à des usages induits par

l’utilisation de cette technique. Celle-ci est toutefois potentiellement porteuse de représentations

et de sens différents plus ou moins rationnels qui dépendent de certaines normes culturelles et

sociétales intériorisées, déterminant certains codes comportementaux. Ces habitus, parfois

partagés par une communauté d’appartenance, constituent des freins éventuels à l’adoption d’une

innovation comme ce fut le cas au moment de l’arrivée du réseau de gaz naturel à Istanbul au

début des années 1990.

Interview de Bilal Aslan, directeur général d’IGDAŞ, journal de GAZBIR, n°4, Juin-Juillet 2008, p.65

The inhabitants of Istanbul regarded the natural gas lines to be built underground as a source of danger. In order to change

this misconception, we had to organize subscription campaigns not only in our head office, but also in tents built all around

the city. Our efforts proved to be fruitful in the following years and also contributed to the efforts of our counterparts in other

cities. […]

Dans un pays où la culture du gaz était absente jusque-là, l’arrivée d’une ressource inconnue au

moyen d’un système technique caché, enfoui sous le sol, provoquait une certaine méfiance de la

part des habitants. Les campagnes de sensibilisation et d’information réalisées par IGDAŞ ont,

petit à petit, réussi à lever ces inquiétudes et permis de faciliter l’adoption du gaz naturel dans

l’espace domestique. Aujourd’hui, l’efficacité de ces dispositifs d’information, preuve du fort

volontarisme des pouvoirs publics dans la conduite de la transition, le prix relativement attractif

de cette énergie couplé au symbole de modernité qu’elle véhicule justifient l’adoption quasi-

généralisée du gaz naturel chez les stambouliotes. Comment dès lors expliquer la résistance à

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cette transition d’environ 25% des ménages stambouliotes qui disposent de la possibilité effective

de se raccorder au réseau, qu’ils soient situés en périphérie ou dans le centre de la métropole ? Le

facteur économique constitue à ce niveau une des résistances principales à l’accession au gaz

naturel. Les frais de connexion au service et l’investissement préalable dans une chaudière (kombi)

ajoutés à l’acquittement de factures mensuelles de consommation représentent une somme

conséquente difficilement abordable pour les ménages les plus précaires, d’autant plus que les

prix du gaz naturel en Turquie subissent des augmentations régulières. Cette résistance

économique peut être perçue différemment, sous un angle plus anthropologique, et demande de

s’interroger sur le degré d’acceptabilité sociale des différentes catégories socioprofessionnelles à

payer pour la modernité (Lorrain, 2011, p. 397). Accéder au gaz naturel ne représente-t-il pas un

témoin matériel symbole d’une progression sociale, un idéal de confort moderne pour lequel

certains individus seraient plus aisément prêts à fournir des efforts pour y parvenir ?

Tout en refusant l’idée réductrice d’un gradient d’adaptabilité face à une innovation,

prédéterminé en fonction des catégories socioprofessionnelles95, des enjeux et des contraintes

sociales structurants pèsent sur le choix du changement. Nous proposons ainsi dans un premier

temps de nous inspirer de la méthodologie anthropologique des itinéraires développée par

Dominique Desjeux (Desjeux, 2006a) afin de mieux cerner le processus de prise de décision

conduisant à utiliser le gaz naturel à Istanbul. Cette méthode, qui a pour objectif de reconstituer

l’ensemble des étapes amenant un individu à acquérir un bien ou un service, présente l’avantage

de ne pas dissocier cet individu des dynamiques sociales dans lesquelles il est inséré, en situant

l’observation à une échelle micro-sociale plutôt que de considérer les arbitrages personnels

observables à l’échelle micro-individuelle (Desjeux, 2006a, p. 90). C’est donc l’approche

interactionniste entre différents acteurs privilégiée qui nous intéresse tout particulièrement et que

nous appliquerons au cas du processus de transition énergétique urbaine. De plus, cette méthode

qui insiste entre autres sur les nouvelles pratiques et les nouveaux usages induits par l’utilisation

d’un objet technique nous permettra d’aborder la question des reconfigurations sociales et

spatiales de l’espace domestique liées à l’innovation énergétique pour en définitive tenter

d’appréhender ce qui relève d’une « poétique de l’habiter » en fonction des variations saisonnières

(Subrémon, 2010a).

95 C’est ce déterminisme naturaliste que Yaşar Kemal remet admirablement en cause en décrivant la facilité avec laquelle des paysans anatoliens ont adopté le tracteur en « s’arrachant à mille traditions » pour intégrer le prolétariat agricole.

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3.3.1. Itinéraire des décisions et degré d’acceptabilité sociale du gaz naturel

L’acte de consommer ne se réduit pas simplement au cadre de l’achat. La consommation se

rapporte aussi « aux usages et aux interactions familiales, amicales ou professionnelles, aux

normes des groupes sociaux, aux contraintes de la vile collective, à la construction sociale du

marché, au jeu politique, aux effets d’appartenance sociale et à la mondialisation » (Desjeux,

2006b, p. 4). La méthode des itinéraires, inspirée de la sociologie des organisations mais dont

l’objet est ici circonscrit à l’espace domestique, cherche à retracer l’ensemble des étapes

conduisant un individu à consommer un bien : de l’événement déclencheur de la décision à

l’utilisation effective du bien. L’observation anthropologique conduit à « se centrer d’abord sur les

pratiques et usages liés à l’acquisition du produit d’un côté et sur les codes ou les normes qui

organisent ces choix et ces pratiques de l’autre » (Desjeux, 2006a, p. 93). Ainsi, les représentations

des consommateurs d’un produit, leurs intentions et motivations à consommer sont disséquées à

l’aune de ce que le jeu social dans lequel ils sont insérés et les normes sociales qu’ils suivent sans

en être forcément conscients autorisent, prescrivent ou interdisent (Ibid.).

Cette méthode, nous l’avons dit, n’isole pas l’individu de l’environnement qui l’entoure et

qui structure son existence. Toutefois, l’environnement politique, influant fortement l’espace

social urbain des métropoles émergentes, est rarement présenté à cette échelle micro-sociale

comme un facteur pouvant influer la prise de décision individuelle. Alors qu’à chaque étape de la

méthode des itinéraires, l’attention est portée sur « les acteurs mobilisés, dans quels jeux

d’interactions ils sont engagés, dans quels espaces ils mènent leurs transactions (la cuisine, le

salon, la salle de bain ou la chambre à coucher), quel est le temps nécessaire à la pratique

observée et quels sont les objets concrets mobilisés pour réaliser l’action » (Desjeux, 2006a, p.

93), nous proposons d’élargir ce cadre d’analyse à l’influence des acteurs et des instruments de

l’action publique mise en œuvre en faveur de la transition énergétique. Cela concernerait donc

aussi bien les stratégies des autorités publiques locales ainsi que les modalités de gestion de

l’exploitant du réseau. En d’autres termes, il s’agirait d’appréhender au travers des politiques

publiques ou vernaculaires la manière dont se rencontrent la culture technico-scientifique et la

culture populaire, placées dans un rapport de domination en faveur de la première (Zélem, 2010,

p. 20). Comment les individus réceptionnent-ils et intériorisent-ils les incitations politiques

cherchant à diffuser l’utilisation du gaz naturel ? Alors que les motivations conditionnent

l’engagement (Zélem, 2010, p. 268), la manière dont sont dirigées les politiques publiques

constitue-t-elle des sources de motivation ? N’entrent-elles pas en contradiction avec les habitus

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et les valeurs de certains ? Les campagnes d’information et de sensibilisation d’IGDAŞ ont-elles

été suffisantes et efficaces auprès de la population ? D’autres acteurs, insoupçonnés jusque-là,

entrent-ils en jeu durant le processus de transition ? Le cas échéant, à quelles

étapes interviennent-ils? En dehors de l’espace domestique, dans quels lieux les deux cultures se

rencontrent-elles ? La méconnaissance des pratiques sociales de l’énergie de la part des autorités

publiques conduit souvent à l’inadaptation structurelle des instruments mis en œuvre, expliquant

en partie l’échec des politiques de transition énergétique (Zélem, 2010, p. 19).

A partir de la grille d’observation théorique de l’itinéraire de décision (voir figure 10), nous

avons tenté d’adapter celle-ci au cas de la transition énergétique vers le gaz naturel survenue à

Istanbul tout en y intégrant ces considérations plus politiques (voir figure 11). Nous considérons

de ce fait l’acte de consommer de l’énergie à travers des choix et des usages individuels

conditionnés par un système d’action sociale. En suivant les sept étapes de l’itinéraire de décision,

certaines étant moins stratégiques que d’autres concernant le choix de souscrire au gaz naturel,

l’idée serait de pouvoir confronter à chaque fois les contenus des différentes politiques publiques

– celles à la fois officielles et celles plus officieuses – avec le système de compréhension et

d’action des individus. De quelles manières interagissent-ils ? De l’élément déclencheur

participant à la prise de décision dans l’espace domestique, à l’abandon de l’ancien système

énergétique en passant par l’apparition de nouvelles pratiques liées à l’utilisation de l’objet

technique, les politiques publiques tentent d’influer sur les comportements individuels en

fonction d’objectifs que les décideurs ont jugés bénéfique d’atteindre. Nous avons évoqué à ce

propos, le cas des campagnes de sensibilisation menées par IGDAŞ afin d’inciter les individus à

se connecter au réseau de gaz naturel. Cela se traduit également par des séances de formation aux

économies d’énergie dans l’espace domestique délivrées par la MMI par l’intermédiaire de sa

société ISMEK (Istanbul Sanat ve Meslek Kursları) ou par les municipalités d’arrondissement

(Pérouse, 2011, p. 63) dont le contenu et les effets tangibles doivent être analysés au regard de

l’idéologie singulière véhiculée, la population ciblée étant majoritairement des femmes

partiellement acquises aux principes moraux des partis islamistes. L’action politique ne tente donc

pas seulement de jouer sur les motivations individuelles préalables au changement mais cherche

également à s’immiscer au sein de la sphère privée pour modeler des pratiques et des usages

sociaux de l’énergie.

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Figure 10: Représentation graphique de la méthode des itinéraires (Réalisation E.A, 2012)

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Figure 11: Représentation graphique de l'itinéraire de la décision d'accéder au gaz naturel (Réalisation E.A, 2012)

Les étapes de l’itinéraire qui ont été volontairement représentées dans une couleur bleu-ciel ou blanche avec une bordure en pointillé sont celles qui sont moins importantes voire inexistantes dans le cas de la transition énergétique étudiée

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3.3.2. Pratiques du chauffage et construction sociale de l’espace domestique

Cette méthode des itinéraires ne s’intéresse pas uniquement au processus de prise de décision

mais également aux nouvelles pratiques et usages induits par la consommation ou l’utilisation de

l’objet. Ici, « la consommation se joue autant en termes d’usage et de mobilisation du système

d’objets concrets nécessaires à son usage, qu’en termes de lieu dans l’espace domestique, de

négociation entre acteurs, de sens, d’imaginaire et de mise en scène de soi » (Desjeux, 2006a, p.

107). Ce que nous montrent les observations réalisées par Benoît Fliche dans le cadre d’une étude

anthropologique sur l’évolution des habitus en situation d’exode rural de migrants anatoliens

installés dans les périphéries d’Ankara (Fliche, 2007), c’est que les contraintes liées au chauffage

structurent les fonctions sociales – ce qui relève de « l’événement » ou du « quotidien » (Fliche,

2006) – de l’espace domestique. En ce sens, s’adaptant au système énergétique précaire et au

contexte climatique rude du plateau anatolien, les habitants des gecekondu ankariotes construisent

un « climat intérieur » (Subrémon, 2010a) qui rend compte « d’une construction sociale et

culturelle qui donne lieu à des pratiques de consommation d’énergie fortement porteuses de

sens » (Ibid. p.707).

Si l’on prend l’exemple du foyer d’Ali et de son habitation ankariote, on observe une nette évolution dans la gestion des

ouvertures. Au départ, l’architecture des gecekondu du quartier était influencée par les souvenirs des difficultés de chauffage

du village : les fenêtres étaient donc assez petites. En effet, celles-ci ne sont pas équipées de volets. Cela entraine une évidente

perte de chaleur l’hiver. Mais au fur et à mesure s’est développée une architecture à très larges fenêtres. Bektaş se souvient très

bien avoir été l’un des premiers à adopter ces fenêtres larges, qui forment de véritables baies vitrées, pour faire entre la

lumière : « Les fenêtres dans l’immeuble de Güzeltepe ? C’était une petite révolution. Tout le quartier s’y est mis pour dire

c’était une folie. Ils disaient : ‘ comment vont-ils chauffer tout cela avec de telles ouvertures ?’. En fait, ce n’était pas vraiment

un problème puisque l’hiver, on ne chauffe qu’une pièce ». Bektaş a cependant calculé : l’orientation des fenêtres du salon

permet un ensoleillement maximum durant les mois d’hiver, et une certaine fraîcheur durant les mois chauds. […]

L’ensoleillement est cependant obstrué par le jeu complexe des rideaux. On peut compter parfois jusqu’à trois types de

rideaux différents. Il y a d’abord un voilage léger, blanc, transparent, fait en tissu « mousseline », qui est tiré en permanence.

S’ajoute à celui-ci un rideau que l’on tire le soir, lorsque l’on allume la lumière. Il est également blanc, mais plus épais.

Enfin, viennent les double-rideaux de nuit, en tissu encore plus épais, de couleur, que l’on tire au moment du coucher pour

éviter la déperdition de chaleur. Ces derniers font l’objet d’une recherche esthétique dans le choix des couleurs et des motifs,

alors que les deux premiers sont plus standards. La fonction première du rideau reste cependant d’éviter les regards indiscrets.

Une maison sans rideaux ne peut d’ailleurs être qu’une maison inhabitée. Malgré les rideaux, chauffer l’ensemble des pièces

durant l’hiver est considéré comme un gaspillage. Aussi assiste-t-on à la recréation d’une sorte de kişlik dans les nouvelles

maisons ankariotes. Dans les constructions antérieures aux années 1990, on note un dédoublement du salon : une pièce peu

utilisée pendant les beaux jours devient la principale pièce de vie durant l’hiver ; on retrouve ici l’ancien kişlik du village. Ce

second salon d’hiver semble toutefois disparaitre. Les nouvelles habitations comptent des salons moins grands et donc moins

difficiles à chauffer. Ancienne, la maison d’Ali fait partie des habitations à deux salons : un salon d’été utilisé d’avril-mai au

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mois de novembre, et un salon d’hiver pour le reste de l’année. Le salon d’hiver est nettement plus petit que le salon d’été. Il

est donc plus facile à chauffer : il ne compte par exemple qu’une fenêtre. Au bas de l’encadrement de la porte, une margelle a

été construite pour éviter les courants d’air froid et assurer une meilleure isolation de la pièce. Cette margelle se retrouve dans

de nombreux gecekondu et dans les nouvelles maisons villageoises. En revanche, elle se rencontre rarement dans les

appartements. Durant l’hiver, seul ce salon est chauffé. Le quartier n’étant pas alimenté par le gaz de ville, le poêle à charbon

(soba) est le seul moyen de chauffage. On en compte généralement un par maison, installé précisément dans le salon où l’on se

calfeutre. Un second est parfois placé dans la salle de bain. Les chambres sont réchauffées au moment du coucher par des

poêles électriques d’appoint dont on se sert avec parcimonie. Cette pièce surchauffée s’oppose à l’ensemble des autres tant par sa

température que par la périodicité de son utilisation. Mais, en tant que salon, elle s’oppose aussi, comme pièce de réception, à

l’espace intime que constituent les chambres, la cuisine, la salle de bain. A la différence du kişlik villageois, le couchage ne s’y

effectue qu’occasionnellement, au moment des mois les plus froids (janvier et février). L’urbanisation provoque une dispersion

du couchage : le gecekondu est marqué par l’apparition de la chambre (yatak odası).

Extraits de l’ouvrage Odyssées turques. Les migrations d’un village anatolien de Benoît Fliche paru aux Editions

CNRS, Paris, 2007, Chapitre 8 « Les transformations des habitus », p.178-179

Du village rural au gecekondu urbain, les pratiques habituelles du chauffage ont été bouleversées

du fait de la substitution du combustible organique du tezek – bouse de vache séchée – par

l’énergie libérée par le charbon consumé dans le soba. En fonction des variations saisonnières, les

nouvelles pratiques de consommation d’énergie ont alors restructuré le lien social et physique

entretenu avec l’habitat et l’espace domestique. C’est tout l’univers externe et interne du mode

d’habiter qui s’est métamorphosé. Au niveau de l’habitat, les ouvertures extérieures sont ainsi plus

grandes et orientées en fonction de l’ensoleillement. Au sein de l’espace domestique, on assiste à

l’installation de rideaux, de systèmes d’isolation mais aussi à l’apparition des chambres

individuelles et à la création, pour certains, de salon d’hiver et de salon d’été. Les pratiques de

chauffage sont étroitement liées au choix de chauffer une ou plusieurs pièces, ce qui se traduit par

l’apparition de nouvelles pratiques sociales comme au sein des chambres individuelles ou des

salles de bain partiellement chauffées redéfinissant l’intimité et les pratiques corporelles (Fliche,

2007).

Cette structuration de l’espace domestique par les pratiques du chauffage nous invite à nous

questionner sur la reconfiguration des pratiques causée par l’arrivée du gaz naturel à Istanbul.

Ainsi, observait-t-on les mêmes dynamiques d’adaptation décrites par Benoît Fliche à Ankara

dans le cas des migrants ruraux installés dans les gecekondu d’Istanbul ? Par ailleurs, l’utilisation du

gaz naturel a-t-elle été à l’origine de nouveaux usages de l’énergie ? Ce dernier questionnement

doit être mis en parallèle avec la restructuration profonde du paysage urbain d’Istanbul depuis la

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généralisation d’une nouvelle forme d’habitat : l’apartkondu. La structuration de l’espace

domestique de ces logements verticaux bétonnés est-elle liée à l’usage du gaz naturel ? Observe-t-

on toujours une différenciation des fonctions de l’espace privatif en fonction des saisons, du

consentement à chauffer certaines pièces et du mode de chauffage utilisé ? Dans le cas d’un

changement brutal de système énergétique – nous pensons ici au cas des habitants délogés de

force des gecekondu et relogés dans des logements TOKI raccordés au réseau de gaz – de quelle

manière cette perturbation soudaine est-elle accueillie et gérée ? Enfin, ces questions peuvent être

formulées à un autre niveau en considérant cette fois une autre catégorie de population qui

expérimente pour la première fois des nouveaux logements éco-intégrés grâce à l’installation

d’une série de procédés technologiques visant à réduire la consommation énergétique. Les 1500

logements certifiés Leed du projet Varyap Meridian constitueraient à cet égard un terrain

d’observation fécond.

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Conclusion

En réponse à notre problématique, notre argumentaire soutient l’idée que la prise en compte

des pratiques politiques vernaculaires et des pratiques individuelles de consommation énergétique

dans le contexte métropolitain d’Istanbul s’avère indispensable pour compléter les « classiques »

analyses des transitions énergétiques en milieu urbain. Les récits mobilisés à propos des modes de

régulation politique à l’échelle micro-locale en matière d’accès aux services urbains en réseau nous

ont d’ailleurs montré que ces politiques vernaculaires influençaient directement les pratiques

individuelles de consommation. L’exemple des livraisons gratuites de charbon dans les quartiers

périphériques d’Istanbul était particulièrement parlant à ce sujet. Cette relation demande à être

approfondie en vue de mieux cerner les potentielles résistances individuelles en situation de

changement de système énergétique. A ce propos, conjuguer ces deux facteurs contribue à mettre

en lumière le rôle des micro-acteurs dans la transition – acteurs de la fabrique urbaine par le bas

(auto-constructeurs, petits promoteurs, coopératives de construction, petits propriétaires

fonciers), associations caritatives et fondations religieuses, associations civiles a-politisées

mobilisées autour d’enjeux spécifiques (intérêt communautaire, villageois, commerçant,

militantisme environnemental…) – qui disposent d’un rôle aussi important que celui des acteurs

regroupés au sein des coalitions de croissance métropolitaine œuvrant à plus grande échelle.

Le rôle de ces acteurs – institutions du gouvernement urbain local, l’Etat et ses

administrations, les réseaux nationaux et transnationaux ainsi que les sociétés privées – théorisé

plus particulièrement au travers des deux premiers courants théoriques évoqués (soit à propos

des enjeux politiques de la gouvernance du changement climatique et de la gestion des LTS) ne

doit toutefois pas être minimisé tant l’enjeu politique est consubstantiel au processus de transition

énergétique. Les pouvoirs politiques et la force économique dont ils disposent leur confèrent une

capacité d’impulsion en matière de grandes ré-orientations des stratégies énergétiques. La

principale transition socio-technique dans le secteur énergétique, entamée en Turquie, à l’aube

des années 1980, ayant conduit à l’apparition d’un nouveau régime énergétique basé sur le gaz

naturel, ne peut d’ailleurs être interprétée que dans cette perspective.

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Ainsi, afin de mettre en lien ces différentes dimensions de l’action publique qui visent de

manière plus ou moins consciente à faire évoluer les habitudes énergétiques des usagers, nous

avons proposé de partir des pratiques individuelles mises en œuvre dans l’espace domestique

pour appréhender la manière dont les facteurs politiques et économiques influent sur les

comportements aux côtés de considérations plus anthropologiques. A partir de l’observation des

étapes conduisant un individu à changer de système énergétique, l’idée est de remonter

progressivement vers les politiques publiques, notamment liées à la gestion des services en réseau,

pour analyser la façon dont elles impactent la gestion quotidienne de l’énergie. Cette

méthodologie impliquerait ainsi de naviguer entre les échelles d’observation – du micro au macro

et inversement – entre les types et la nature des politiques impliquées – officielles, informelles, a-

légales – et entre les multiples acteurs engagés, ceci dans le but d’évaluer les degrés d’adéquation

entre les politiques de transition énergétique et les pratiques individuelles. L’enjeu étant que

« l’arrivée d’un projet nouveau peut perturber ces systèmes sociaux fragiles dont les hommes et

les femmes qui les composent contribuent largement à conditionner le succès ou l’échec par le

simple jeu des appropriations sociales » (Zélem, 2010, p. 279). L’objectif serait donc de repérer les

passerelles (c'est-à-dire les passeurs et les modes de passage) entre les différentes variables

influant in fine les pratiques individuelles de l’énergie.

Enfin, avant de mettre un point final à ce mémoire, nous nous permettons d’insister sur le

bien-fondé de mener pareilles recherches sur la transition énergétique à Istanbul dans un contexte

national où la restructuration récente et profonde du secteur énergétique ne permet pas encore

d’en discerner l’intégralité des conséquences. La libéralisation du marché de l’énergie ne date que

d’une dizaine d’années. Le processus de privatisation des anciennes entreprises nationales n’est

pas encore abouti, les plus libéraux dénonçant la série d’entraves législatives et bureaucratiques

comme frein à la constitution d’un marché libéralisé. Cette ouverture néolibérale de l’économie

est accusée par d’autres d’être à l’origine des augmentations régulières du prix de l’électricité et du

gaz naturel. La dernière hausse officielle intervenue début 2012 faisait état d’une augmentation de

9,3% du prix de l’électricité et de 18,7% du prix du gaz96. Annoncée à la fin d’un hiver rigoureux,

cette augmentation spectaculaire du prix du gaz ne s’est pas encore fait pleinement ressentir sur

les budgets des ménages. L’hiver prochain, au moment de rallumer les chaudières, quelles en

seront les conséquences pour les familles les plus pauvres ? Par ailleurs, dans une perspective

comparative, caractériser les motivations qui poussent les décideurs métropolitains d’Istanbul à

96 Chiffres issus de l’article de presse « Price hikes hit budgets in Turkey », Hürriyet Daily News, 2 avril 2012

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initier une politique de transition énergétique s’avère encore une tâche délicate tant le

positionnement des instances métropolitaines est ambigu. A défaut de distinguer une politique de

transition énergétique métropolitaine officielle, il serait d’ailleurs préférable de parler des

politiques de transition énergétique conduites de manière ponctuelles et sectorielles sans

qu’aucune vision globale n’harmonise l’ensemble. Concernant la transition vers le gaz naturel,

l’implication spécifique d’acteurs métropolitains stambouliotes confère un statut de leadership à

Istanbul dans la conduite de la transition à l’échelle nationale. Le rôle de la métropole

stambouliote est ainsi comparable à celui d’une niche socio-technique, sorte de laboratoire

d’incubation d’innovations technologiques et d’apprentissages cognitifs qui se sont déployés vers

l’ensemble des sociétés gazières de Turquie. A l’échelle d’Istanbul, cette transition a d’ailleurs

permis de renforcer la position dévolue aux grands systèmes techniques de réseau, gérés de

manière centralisée, remettant partiellement en cause la fin annoncée des grands réseaux

industriels. Toutefois, l’ensemble des dynamiques que nous avons décrites précédemment et

l’implication d’acteurs métropolitains au sein de réseaux transnationaux ne présagent-elles pas à

terme de voir se multiplier des nouveaux systèmes énergétiques plus autonomes ? Le cas échéant,

quelles seraient alors les logiques légitimant leur apparition : logique d’internationalisation de la

métropole, logique commerciale, logique de sécurisation des flux… ? Dans cette métropole XXL

où tout est « plus » et où tout va plus vite, il nous importe en définitive de rester attentif à toutes

ces dynamiques qui se répercutent par effet boule de neige sur le quotidien des citadins quels

qu’ils soient.

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Liste des abréviations

AKP Adalet ve Kalkınma Partisi/Parti de la justice et du développement

AYEDAŞ : Anadolu Yakasi Elektrik Dagitim Anonim Şirketi/Société publique gérant la distribution d’électricité sur la rive asiatique d’Istanbul

BAGDAŞ Bahçeşehir Gaz Dağıtım A.Ş / Société privée de distribution de gaz naturel de Bahçeşehir

BEDAŞ : Boğaziçi Elektrik Dağıtım Anonim Şirketi/Société publique gérant la distribution d’électricité sur la rive européenne d’Istanbul

BIT Belediye İktisadi Teşekkülleri / Etablissements économiques des municipalités

BOTAŞ Boru Hatları ile Petrol Taşıma Anonim Şirketi / Société nationale gérant la transmission de pétrole et de gaz

EPDK Enerji Piyasası Düzenleme Kurumu/Autorité régulatrice du marché de l’énergie

GAZBIR Türkiye Doğal Gaz Dağıtıcıları Birliği Derneği / Association des Compagnies de Distribution de Gaz Naturel de Turquie

IETT İstanbul Elektrik Tramvay ve Tünel İşletmeleri / Compagnie municipale des transports publics d’Istanbul

IFM İstanbul Finans Merkezi Altyapı Komitesi / Comité pour l’Infrastructure du Centre Financier d’Istanbul

IGDAŞ Istanbul Gaz Dağıtım Sanayı ve Ticaret AŞ / Société municipale gérant la distribution du gaz à Istanbul

ISKI Istanbul Su ve Kanalizasyon Idaresi / Direction des Eaux et des Canalisations d’Istanbul

KIPTAŞ İstanbul Konut İmar Plan Sanayi ve Ticaret A.Ş / Société municipale de construction de logements sociaux de la mairie d’Istanbul

LTS Large Technical System / Macro-système technique

MBB Marmara Belediyeler Birliği / Union des municipalités des détroits et de la Marmara

MLP Multi-Level Perspective

MMI Istanbul Büyükşehir Belediye / Mairie Métropolitaine d’Istanbul

SURI Secure Urbanism and Resilient Infrastructure / Sécurisation urbanistique et résilience des infrastructures

TEK Türkiye Elektrik Kurumu / Institution de l’électricité de la Turquie

TOKI Toplu Konut Idaresi /Administration nationale du logement collectif

TRAKYADAŞ Trakya Doğal Gaz Dağıtım A.Ş / Société privée de distribution de gaz naturel de Çatalca, Hadımköy, Muratbey

UGETAM Uluslararası Gaz Eğitim Teknoloji ve Araştırma Merkezi / Centre international de recherche et formation technique autour du gaz

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Table des matières

Remerciements 3

Résumé 4

Abstract 4

Sommaire 5

Avant-propos 6

Introduction 7

Partie 1 : 17

Problématique, cadre théorique et méthodologie de recherche

1.1. CADRE THEORIQUE : APPORTS ET LIMITES 17

1.1.1. Les théories 17 1.1.1.1. Gouvernance du changement climatique et transition socio-technique : jeux d’acteurs, jeux d’échelles 18 1.1.1.2. Les Large Technical System (LTS) : un concept encore d’actualité ? 23 1.1.1.3. Pratiques et usages: les grands oubliés de la transition énergétique 26

1.1.2. Apports et limites du cadre théorique 29

1.2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES 32

1.3. METHODOLOGIE ET LIMITES DE LA RECHERCHE 35

1.3.1. D’une étude empirique à une étude théorique : les sources de la démonstration 35 1.3.2. Les limites de la recherche 36

Partie 2 : 37

Entre permanence et recomposition de l’action publique, entre ville monde et ville émergente : l’impossible transition énergétique à Istanbul ?

2.1. GOUVERNABILITE METROPOLITAINE ET GOUVERNANCE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE 37

2.1.1. La MMI : une structure politique forte sans vision stratégique de lutte contre le changement climatique 38 2.1.2. Le rôle stratégique des infrastructures de réseau dans la construction du territoire métropolitain 43 2.1.3. Les interférences étatiques comme frein à la constitution d’une «gouvernance du changement climatique » locale ? 45

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2.2. SERVICES URBAINS EN RESEAU ET ACTIONS RETICULAIRES : TERRITORIALISATION DES PRATIQUES POLITIQUES VERNACULAIRES 47

2.2.1. Quelques éléments sur la fabrique urbaine par le bas des périphéries d’Istanbul 47 2.2.2. Municipalisme local et pratiques clientélistes : l’exemple du charbon 50 2.2.3. « Faire lien avec une administration poreuse » 52

2.3. CONCLUSION PROVISOIRE, QUESTIONS EN SUSPENS… 56

Partie 3 : 60

Du charbon au gaz naturel : comment analyser les limites d’une transition énergétique prématurément présentée comme une réussite ?

3.1. TRAJECTOIRE DE L’INNOVATION SOCIO-TECHNIQUE EN TURQUIE ET RÔLE D’ISTANBUL DANS LA CONSTITUTION D’UN NOUVEAU REGIME ENERGETIQUE DU GAZ NATUREL 63

3.1.1. Régime et paysage socio-technique de la transition au gaz naturel en Turquie 64 3.1.2. Villes et Multi-Level Perspective : l’implication d’Istanbul dans la transition énergétique 67

3.2. APPROCHE SOCIO-TERRITORIALE DE LA TRANSITION 71

3.2.1. Macro-système technique centralisé versus autonomisation décentralisée des systèmes énergétiques : Istanbul à l’ère de la « post-networked city » ? 71 3.2.2. Le territoire métropolitain est-il socialement fragmenté par les réseaux ? 75

3.3. INNOVATION TECHNIQUE, TRANSFORMATION SOCIALE : CE QUE L’OBSERVATION DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS PEUT NOUS APPRENDRE DU PROCESSUS DE TRANSITION ENERGETIQUE 77

3.3.1. Itinéraire des décisions et degré d’acceptabilité sociale du gaz naturel 79 3.3.2. Pratiques du chauffage et construction sociale de l’espace domestique 83

Conclusion 86

Liste des abréviations 89

Bibliographie 90

Table des matières 97

Table des illustrations 99

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Table des illustrations

Figure 1 : Perspective Multi-Niveau des transitions socio-techniques 20

Figure 2 : Emprise bâtie, limites institutionnelle de la MMI et frontières administratives infra-

métropolitaines 38

Figure 3 : Gecekondu légalisé et verticalisation du paysage urbain d’Istanbul : apartkondu et

CBD 48

Figure 4: Habitat de gecekondu et compteur individualisé de gaz naturel 49

Figure 5: Sentier de substitution technologique 63

Figure 6: Premier réseau de gaz naturel en Turquie achevé en 1988 65

Figure 7: Provinces turques raccordées au réseau national de gaz naturel 67

Figure 8: Exploitants privés de gaz naturel aux marges du macro-système technique 72

Figure 9: Installation des lignes de réseau de gaz naturel en direction du nord de l'arrondissement

d'Eyüp 74

Figure 10: Représentation graphique de la méthode des itinéraires 81

Figure 11: Représentation graphique de l'itinéraire de la décision d'accéder au gaz naturel 82