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Elèves du Lycée Paul Langevin de Suresnes « Toi, moi, nous, ensemble ! » Recueil de nouvelles

Elèves du Lycée Paul Langevin de Suresnes - •• SIJ · SOS Racisme et la Ligue de l'Enseignement des Hauts-de-Seine. Enfin, pour terminer cette action et pour valoriser l’investissement

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Elèves du Lycée Paul Langevin de Suresnes

« Toi, moi, nous, ensemble ! »

Recueil de nouvelles

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Ensemble contre le racisme.

Dans le cadre de la semaine de l’éducation contre le racisme, l’association Suresnes Information Jeunesse*, en partenariat avec le lycée Paul Langevin de Suresnes, a lancé une action de sensibilisation et de réflexion sur le thème du racisme.

Cette action a débuté en octobre 2006 par le lancement d’un concours de nouvelles, réservé aux lycéens et intitulé « Toi, moi, nous, ensemble ».

Deux mois plus tard, 11 élèves avaient relevé le défi et remis leur nouvelle.

Le jury, constitué de 10 personnes (3 membres du personnel de SIJ, 2 professeurs de français, 1 CPE, 1 documentaliste, 1 personne de la médiathèque de Suresnes, un auteur local et une libraire de Suresnes), a désigné les 6 lauréats.

La remise des prix a eu lieu le 19 mars 2007 au lycée Paul Langevin. Dans la continuité, le 20 mars 2007, à la Salle des Fêtes de

Suresnes, une rencontre débat appelée « café citoyen », a permis aux élèves de trois classes du lycée Paul Langevin (une 2de et deux 1ère) d’échanger, de s'exprimer, de débattre et de confronter leurs idées et points de vue sur ce sujet, avec la participation de la LICRA de Suresnes, SOS Racisme et la Ligue de l'Enseignement des Hauts-de-Seine.

Enfin, pour terminer cette action et pour valoriser l’investissement

des auteurs et la qualité de leurs écrits, Suresnes Information Jeunesse a édité ce recueil des onze nouvelles.

Il est disponible à la consultation à SIJ et au prêt à la médiathèque de Suresnes. * Suresnes Information Jeunesse (SIJ) est une association loi 1901, sous convention avec la Ville de Suresnes. Elle est labellisée « Information Jeunesse », « Point Cyb » et agréée par le Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie Associative.

SIJ - 27 ter, rue Albert Caron - 92150 Suresnes –www.sij.asso.fr -

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© Suresnes Information Jeunesse, mars 2007.

Tous droits de reproduction, traduction ou adaptation, Réservés pour tous pays.

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Définition

Racisme :

Ensemble de théories et de croyances individuelles ou

collectives qui établissent une hiérarchie entre les races,

entre les ethnies.

« Toi, moi, nous ensemble ! »

Recueil de nouvelles

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Sommaire

- Chansons …………………………………………… 9

Léopoldine LITCH - Confessions ………………………………………… 17

Alyson DECALONNE - Du rêve à la réalité ………………………………… 25

Khadija ANDJAR - Ils ont tout cassé …………………………………… 33

Théo AMPILHAC - Journal de bord d’un extraterrestre ……………... 39

Mylène LANCINO - La petite Camille …………………………………... 47

Clémence VOCHER - Le destin d’un petit noir ………………………….. 51

Alexia LE MENN - Réflexion personnelle, vacances de Noël 2004 …… 57

Guillaume ROUBAIX - Souvenir d’une lutte ………………………………. 63

Sofia MLALA - Tchadri …………………………………………… 69

Héloïse AMILCAR - Un univers de diversités …………………………… 77

Chloé LEVET-IENCO

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Chansons. de Léopoldine LITCH – 15 ans

Ce matin-là, Bruno Tancarvil, un des animateurs de la station de

radio BOOG FM, arriva sur son lieu de travail les bras chargés d’une pile de disques, dont les titres et les noms de chanteurs, ou de musiciens, avaient été jusque là inconnus de ses collègues. C’était normal. La tâche de Bruno consistait à fournir la station en œuvres ignorées du grand public, mais néanmoins audibles, car BOOG FM avait la prétention de toujours surprendre ses auditeurs. Bruno passait donc son temps à écumer les boutiques spécialisées dans tous les sous-genres musicaux apocryphes; après quoi, il venait livrer ses trouvailles aux autres animateurs de BOOG. Quand, par le plus grand des hasards, un animateur reconnaissait une chanson parmi celles qu’avait dénichées le sieur Tancarvil, ce dernier invitait l’heureux expert au restaurant, mais cela n’arrivait pas souvent, car Bruno faisait bien son devoir et n’était guère prodigue. Ce jour-là il était assez content de lui, car convaincu qu’il n’aurait nulle raison de lutter contre son avarice naturelle. On va tout de suite savoir pourquoi.

Théa Manassé, dont on entendait sur les ondes la douce voix tous les matins, et qui n'allait pas tarder à passer à l’antenne, jeta en passant un coup d’œil aux CD de Bruno. On aurait eu bien du mal à faire croire que les titres de ces disques avaient quoi que ce soit à voir avec le français courant, mais venant de Bruno, ce n’était pas étonnant. Toutefois, ceux-là avaient malgré tout quelque chose d’inhabituel, même selon les normes de l’équipe de BOOG FM.

« Eh, Bruno ! Tricheur ! l’apostropha Théa. Tu n’as pris que des disques en allemand ! Evidemment, dans ces conditions, tu ne risques pas d’avoir à inviter qui que ce soit à dîner ce soir, mais quand même, je ne t’aurais pas cru si mauvais joueur !

- Des disques deutschs ? T’es fou ? s’enquit à son tour Romain Farlouse, un des techniciens. Les Allemands eux-mêmes aiment mieux la musique anglaise ou américaine, que leur baragouin national, alors je préfère ne même pas te raconter la réaction de nos

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auditeurs, si on leur passe tes chansons teutonnes. La prochaine fois, apporte-nous un opéra de Wagner, tant qu’on y est !

- Je pense que le public de BOOG sera très content de cet agréable changement, le contredit Bruno. Nos gauloises radios diffusent un peu de chansons françaises, beaucoup d’anglaises et d’américaines, comme tu viens de nous le signaler, Romain, quelques italiennes, espagnoles, ou arabes, mais d’allemandes, que nenni ! Bien que l’Allemagne soit quasiment la porte à côté, on entend jamais rien de ce qui se fait là-bas. Curieux, non ? Je propose que l’on remédie à cette lacune. Ce qui serait bien, ce serait de remplacer toutes les chansons françaises qu’on a prévu de passer cette semaine, par les allemandes que voici.

- Carrément, commenta Théa, et tu es sûr d’en avoir assez pour sept jours ?

- J’ai un ami bavarois qui se ferait un plaisir de compléter mon stock, le cas échéant. J’ai également quelques disques autrichiens en réserve, l’informa Bruno Tancarvil.

- Bravo ! Pourquoi pas aussi un peu de rap russe, tant qu’à faire ? ironisa Anne Valvi, la préposée aux prévisions météorologiques de BOOG FM.

- C’est une idée, fit Bruno, impassible. - C'est-à-dire que ça ne marchera jamais, corrigea Romain en

effectuant quelques branchements. On va crouler sous les SMS de protestation. Théa, ça va être à toi », ajouta-t-il en lui tendant un micro. La présentatrice était censée faire un peu de publicité pour un chanteur de variété française dont c’était l’anniversaire, et dont on allait diffuser les œuvres en boucle toute la matinée. Théa baratina son invisible auditoire pendant quelques minutes, puis les premières notes d’une des ballades en question retentirent.

« Tu vois, si on décidait de passer tes chansons bosches, ça bousillerait toute la programmation, en plus. » confia le technicien Farlouse à son commensal Tancarvil. Celui-ci ne répondit rien.

Plus tard, pendant l’après-midi, Anne Valvi demanda que l’on passe une chanson d’un de ses groupes anglais préférés, dont le dernier CD venait de sortir. Ce n’était pas ce qui avait été décidé par les organisateurs, mais dans ce cas-là Anne avait une méthode infaillible pour parvenir à ses fins : elle « égarait » ses notes

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quelques minutes avant l’heure de son bulletin météorologique, ou bien elle dissimulait quelque part les documents de sa consœur Hilda Chambert, qui s’occupait de l’actualité, et personne ne parvenait jamais à remettre la main sur les papiers escamotés, sauf si l’on s’inclinait devant les volontés de dame Valvi. Alors les feuillets réapparaissaient miraculeusement en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Romain avait essayé de s’approprier cette méthode, mais il était beaucoup moins doué qu'Anne. On passa donc quelques extraits du nouveau disque des musiciens favoris de la signora Météo.

Hélas, l’auteur des paroles des chansons s’était inventé une idéologie politique pour les besoins du disque. La diffusion des dites chansons eut pour ennuyeux résultat que le site Internet de BOOG FM, doté d’un forum, fut inondé de courriels dont la teneur variait sensiblement peu d’un mail à l’autre, et qui demandaient en substance comment « une aussi bonne radio libre que la BOOG » pouvait oser diffuser des hymnes aussi délibérément fascistes. En réalité, le chanteur incriminé croyait avoir simplement fait un peu de provocation, mais visiblement, il était à peu près le seul à avoir compris ce sens-là de ses textes. Anne Valvi pensait l’avoir perçu et fit en sorte qu’on continue à émettre les tubes contestés, après avoir hâtivement tapé un message explicatif sur le site BOOG. Mais il y avait encore, parmi les admirateurs de Théa, Anne et Hilda, quelques insoumis qui n’avaient pas accès à Internet chez eux, et le lendemain BOOG FM comptait quelques auditeurs en moins.

« Ce ne serait pas arrivé si on avait passé mes disques au lieu de ceux d’Anne, observa Bruno. La plupart de nos concitoyens comprennent plus ou moins couramment l’anglais, à force d’en entendre toute la journée. En revanche ceux qui parlent vraiment allemand sont bien plus rares. Si on avait passé les paroles de cette même chanson, traduites en allemand, personne n’aurait tiqué. En outre, n’en déplaise à Madame Valvi, les titres de mes disques sont beaucoup moins tendancieux que ceux de son chanteur chéri.

- Oh, toi, ça va, hein ! Germanophile à la manque ! s’irrita la météorologiste, à qui les dirigeants de la station avaient entre temps confisqué ses CD fétiches.

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- De toute façon, les chleuhs, eux, sont tous plus ou moins nazis, quand on y réfléchit bien, alors ça revient au même, objecta Romain, qui avait plutôt tendance à laisser les autres réfléchir à sa place.

- D’accord ! Mais à ce prix-là, tous les Français sont des collabos. » glissa monsieur Tancarvil, qui connaissait un peu la famille de son confrère Farlouse et savait qu’un de ses grands-pères s’obstinait à être un inconditionnel de Pétain, au grand regret de son petit-fils, d’ailleurs. Romain avait aussi quelques relations parmi la parenté de Bruno, et il s’apprêtait sans doute à rétorquer quelque chose, lorsque Théa tua opportunément la dispute dans l’œuf en réclamant son micro au technicien.

« Il n’empêche que je maintiens que tu es un mauvais joueur » fit-elle cependant savoir au « germanophile » Tancarvil. La demoiselle Manassé était assez dépitée par ce goût soudain de Bruno pour la musique tudesque, parce que c’était généralement elle qui reconnaissait la plupart des tubes tombés en désuétude qu’avait redécouverts le bonhomme, et que les autres tentaient en vain d’identifier.

« Bon, bon, s’adoucit Bruno Tancarvil, je suggère alors qu’on passe mes disques et que, si on reçoit du courrier contestataire à cause de ça, je vous invite tous au restaurant en fonction du nombre de mécontents. S’il y en a un, je vous paye un dîner, s’il y en a dix, dix dîners, et ainsi de suite. Ça va, comme ça ? J’espère que vous vous rendez compte de l’ampleur du sacrifice envisagé, étant donné ma proverbiale ladrerie.

- Laisse tomber, Tancarvil, tu vas te ruiner à ce jeu-là, conseilla Romain, et arrête de nous embêter avec tes CD, sinon ils vont finir comme les trois derniers comptes-rendus de Hilda, grâce aux bons soins de la prestidigitatrice de service » compléta-t-il en désignant Anne du menton. Hilda et elle n’avaient pas du tout les mêmes goûts musicaux, c’est pourquoi les bulletins d’information de Madame Chambert semblaient s’être définitivement volatilisés.

Bruno se le tint pour dit pendant une semaine. Durant celle qui suivit, BOOG accueillit deux jeunes stagiaires jumeaux nommés Prosper et Richard Armermann. C'était une décision de Flavie Pinède, la patronne de BOOG. Ses employés n’avaient pas eu leur

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mot à dire à ce propos et ils prétendaient avoir suffisamment d’autres chats à fouetter pour ne pas devoir en plus « servir de nounou aux bébés », car c'était ainsi qu’on avait rebaptisé les deux frères. On délégua donc cette responsabilité à Bruno, parce qu’on considérait que c’était celui de l’équipe de BOOG FM qui en faisait le moins, et aussi parce qu’il était censé avoir des choses à se faire pardonner. Il accepta cette charge supplémentaire sans sourciller et traîna les « bébés » un peu partout avec lui, ce pourquoi ils furent alors surnommés « les toutous ».

Le sieur Tancarvil était très bavard et abreuvait Prosper et Richard de paroles, sous prétexte de les aider à réaliser leur compte-rendu de stage. Le plus souvent, il abordait les sujets les plus divers, mais jamais il n’aborda la question, ô combien épineuse pour lui, de la musique allemande. Par contre, Bruno se livra à moult insinuations sur « l’intolérance qui gouvernait le monde du travail », « le sectarisme qui régnait dans celui des médias », et même sur « l’étroitesse d’esprit des salariés de certaines radios ». Ces sortes d’interventions se produisaient généralement au détour de conversations traitant de pays étrangers, voire des étrangers eux-mêmes. Les jumeaux appartenaient justement à cette catégorie de gens qui ont si peur de se faire taxer de racisme qu’ils n’osent même pas appeler un Noir, un Noir, et emploient pour désigner l’intéressé toutes sortes de périphrases, qui donnent à leur discours un tour beaucoup plus ambigu que s’ils s’étaient résignés une bonne fois pour toutes à utiliser le mot tabou. Ils opinaient donc frénétiquement du bonnet chaque fois que l’ami Tancarvil en revenait à son obsession. C’est de cette façon qu’il se les mit progressivement dans la poche.

Quelque temps plus tard, Bruno revint à la charge avec ses disques allemands.

« Nous croyions pourtant avoir été clairs là-dessus ! le semonça Anne. On diffusera du rock fritz lorsqu’on voudra mettre la clef sous la porte ! Verstanden ? Tu vois, moi aussi je peux faire de l’épate en langue étrangère, mais je n’en perds pas la tête pour autant !

- Pfff…, soupira Bruno.

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- Des scientifiques américains très sérieux ont prouvé qu’écouter trop de musique allemande, ça rend fasciste, et qu’entendre trop des musique italienne, ça rend nazi, plaisanta Hilda en soutenant bassement la dame Valvi, dans l’espoir de se la concilier. Tu ne voudrais quand même pas faire ça à nos auditeurs, Bruno ?

- Si ça arrive, mais ça n’arrivera pas, mes invitations au restaurant d’en face tiennent toujours, insista Monsieur Tancarvil. On peut donc essayer au moins une fois.

- Il n’a pas tort, intervint Prosper. - Tout ce que vous risquez, l’épaula Richard, c’est un dîner à

l’œil. On ne peut pas dire que ça vous coûterait très cher de montrer un peu d’ouverture d’esprit… parce qu’actuellement vous vous comportez plutôt… comme des gens intolérants…

- … sectaires… ajouta Prosper. - … bornés… renchérit Richard. - Tiens, voilà les monozygotes qui font de la résistance !

remarqua Romain. On n'aurait pas dû les laisser si longtemps seuls avec l’autre, maintenant on va avoir sur le dos trois propagandistes pour le prix d’un.

- Nous nous exprimons en notre propre nom et non en celui de Monsieur Tancarvil, lancèrent en chœur les deux Armermann.

- Oh, silence, l’Alsace-Lorraine, rétorqua Anne. Romain, montre-leur plutôt comment on envoie une page de publicité, ils sont là pour ça après tout. »

Monsieur Farlouse appela les jumeaux du fond du studio BOOG. Prosper et Richard s’y dirigèrent docilement, les brouillons de leurs dossiers de stage à la main. Il ne fut plus question de la marotte de Bruno dans la journée, mais le lendemain, le trio harcela de plus belle le reste de l’équipe.

« Mais puisqu’on vous dit que personne n’aime la musique allemande ! ... argua Théa. …Y compris les Allemands eux-mêmes ! J’ai une amie qui a travaillé un moment pour une radio berlinoise, elle m’a dit qu’ils ne diffusaient pratiquement que de la musique américaine…

- Comme chez nous, en somme, coupa Prosper. - ..et aucune chanson française, conclut Mademoiselle Manassé.

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- Justement, c’est une excellente occasion de démontrer la supériorité du génie français sur la malice Deutsch, ricana Richard. Faisons mieux qu’eux en ne les imitant pas ! Quand bien même cela porterait préjudice à la bonne santé financière de BOOG, Prosper et moi-même jurons que nous vous offrirons l’argent du prix des dîners en plus des dîners proprement dits.

- Cela suffira-t-il à fléchir ta rigueur ? demanda Prosper à Anne.

- En bref, vous essayez de nous faire chanter, constata Romain. - Ça doit arriver souvent, dans votre milieu, railla Richard. - Nous nous disputons en alexandrins blancs, là, nota Théa. Si

vous voulez mon avis, ça devient très grave. Ô perfide Tancarvil, tu as gagné. Demain, nous diffuserons une chanson bosche.

- Ah mais non ! On avait dit qu’on remplacerait par des Lieder tout le répertoire français. objecta le perfide susnommé.

- Oh, ça suffit ! Faites ce que vous voulez, mais arrêtez ces chinoiseries ! » explosa Madame Valvi, qui avait horreur de la poésie.

On finit donc par refaire toute la programmation de la décade suivante en suivant à la lettre les conditions édictées par Bruno et ses séides sosies. Contre toute attente, selon Anne, et conformément aux espoirs du gourou des frères Alsace-Lorraine, les « Dix Jours Deutsch » eurent un grand succès et BOOG FM regagna les suffrages des auditeurs rebutés par la lubie d’Anne. Romain, très prompt à saisir l’air du temps, prétendait maintenant avoir toujours soutenu Bruno. Théa continuait à manifester un souriant dépit suite à la raréfaction des dîners gratuits. Comme elle n’appréciait pas énormément Anne, elle complota avec Hilda pour persuader la direction de ne diffuser désormais que des chansons étrangères, les allemandes y compris. Flavie se moquant éperdument des querelles intestines qui pouvaient éventuellement agiter son entreprise, du moment que l’argent continuait à rentrer, accepta sans piper mot, et pendant quelque temps, tous cela fonctionna à merveille.

Le caractère accommodant de la patronne avait aussi ses inconvénients. Flavie ne fit aucune difficulté non plus lorsque Madame Valvi laissa entendre qu'il valait peut être mieux envoyer

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les Armermann finir leur stage ailleurs sous prétexte que BOOG décidément se « teutonisait » à trop grande vitesse. Anne avait, sur Internet, découvert aux frères un nombre intéressant de cousins munichois et hambourgeois.

Puis, un jour, on frappa à la porte du studio de BOOG FM. Les collègues de Hilda l’envoyèrent ouvrir. Dans l’embrasure apparurent un homme et une femme tout de bleu vêtus, qui demandèrent en un chœur qui n’avait rien à envier aux jumeaux renvoyés :

« Nous sommes bien au studio BOOG FM, dirigé par Pinède Flavie ?

- Oui, oui, bredouilla Romain, un peu inquiet. A qui avons-nous l’honneur… ?

- Mousseline Benoît et Redingote Chimène, police ! se présenta le duo. Votre radio ne diffuse que de la musique étrangère et c’est interdit par la loi française, comme chacun sait. Nous avons pour ordre d’arrêter le responsable.

- C’est lui ! dénonça sur-le-champ monsieur Farlouse en désignant Bruno Tancarvil.

- C'est-à-dire que … tenta de nuancer Théa. - C’est Bruno ! confirma Anne. Tout est de sa faute, emmenez-

le, je vous en prie. - Nous nous y voyons contraints par le Code, signala Chimène.

C’est dommage, ces derniers temps, enfin avant de vous rencontrer, j’aimais bien écouter votre radio. Si vous voulez, nous tenterons de faire quelque chose pour votre ami et pour assouplir le règlement, votre cas n’est pas grave et Benoît a un parent qui travaille au ministère de la Culture.

- Surtout pas ! s’alarma Romain. Ne changez rien, tout est très bien comme ça. » Impressionné par les uniformes, il conclut : « Vive la France ! ».

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Confessions. d’Alyson DECALONNE – 17 ans

Dimanche 1 septembre Dans ma chambre 10 heures Tante Janine est passée voir maman et comme de bien entendu

il a fallu qu’elles viennent rôder toutes les deux dans ma chambre pour voir ce que je faisais. Si Tante Janine (qui est plus curieuse qu’un troupeau de fouines réunies) ne vient pas me voir pour me questionner sur les questions qu’elle juge existentielles de la vie (autrement dit mes amours) je jure que je me rase la tête. J’entends tante Janine murmurer à maman : « Laisse-moi, il faut qu’on parle juste toutes les deux. » Puis j’entends frapper à ma porte.

« Salut c’est moi, dit tante Janine - Salut moi. - Je peux rentrer ? me demanda t’elle - Je t’en prie. » Je ne sais pas pourquoi mais je ne fus pas étonnée quand elle me

demanda si j’avais trouvé un petit copain et pourquoi je ne portais pas de boucles d’oreilles, pourquoi je ne mettais jamais de jupe, pourquoi je ne me détachais pas les cheveux… J’ai envie de lui hurler : « J’ai 15 ans, tante Janine ! Je déborde de féminité ! Je te ferai dire que je mets un soutif ! D’accord, je ne le remplis pas et il lui arrive de remonter jusqu’au cou quand je cours pour attraper le bus… mais mon potentiel femme est là. » Au lieu de ça, je répondis :

« C’est mon style, tante Janine. - J’espère au moins que tu ne te sens pas différente des autres à

cause de ton adoption ma chérie, tu sais, il y a beaucoup de petites filles dans la même situation que toi, mais je suis sûre qu’elles ne s’habillent pas ainsi, me dit-elle d’un air grave. »

Alors là, je suis sortie de mes gonds : « Comment ça des petites filles comme moi ?? Je te signale que

j’ai 15 ans, bientôt… 18, je ne suis pas une petite fille. De plus, ce n’est pas sous le seul prétexte que je suis Ethiopienne que je

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devrais être différente des autres filles ! C’est sûr, je ne suis pas une de ces poupées Barbie qui se maquillent et portent des mini-jupes. Mais je suis une fille, une vraie et d’ailleurs si tu continues de m’embêter j’appelle maman et je lui demande de me ramener en Ethiopie, au moins je ne serai plus DIFFERENTE des autres filles. »

J’étais de mauvaise humeur, tante Janine me regarda, secoua la tête et sortit de ma chambre. Je me demande si ce n’est pas elle qui est déséquilibrée, côté hormones. Mais bon, il faut voir le bon côté de la chose : je n’aurai pas à me raser la tête.

Toujours dans ma chambre 12h30 On a fini de manger. Tante Janine était là avec maman, papa et

Tiphanie ma petite soeur. J’avais d’abord fait semblant de dormir, quand maman est entrée dans ma chambre, pour ne pas aller manger et ainsi ne pas voir tante Janine. Mais quand elle a dit : « Quel dommage, c’était justement ton plat préféré » mes papilles ont parlé à ma place et alors que j’essayais de continuer à dormir, elles étaient déjà à table à manger goulûment. Maman me regardait l’air inquiet :

« Tu es sûre que ça va ? - Hum ! - Tante Janine m’a parlé de ton intention de retourner en

Ethiopie, me dit-elle un sourire en coin. Je te signale ma chérie que, vu la récente guerre qu’il y a eu là-bas, il ne me semble pas possible de t’y emmener de suite, mais on en a déjà parlé je crois. »

Ça en était trop ! Je fusillais tante Janine du regard et dis : « Pourquoi je n’ai pas de verrou à ma porte ? Ça éviterait que

des personnes non désirées viennent s’y introduire. - Surveille ton langage, demoiselle, un verrou serait mal venu

s’il t’arrivait un accident. - Quel genre d’accident ? - Ben…tu pourrais t’évanouir. » Là, papa jusqu’ici silencieux, s’en est mêlé : « Ton lustre pourrait tomber sur ta tête et tu pourrais tomber

dans le coma. »

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Qu’est ce qu’il faut pas entendre quand on a 15 ans ! Mais je sais pourquoi ils ne veulent pas… parce que le verrou annoncerait mon entrée dans l’âge adulte et là il faudrait qu’ils s’occupent de leurs affaires et qu’ils cessent de s’occuper des miennes.

Toujours dimanche 18h Tante Janine est enfin partie, enfin je crois. Dans ma vie il y a cinq trucs graves de chez grave : 1. Demain les vacances sont terminées et je rentre au lycée. 2. J’ai une tante qui pourrait écrire un livre « Comment mettre

de mauvaise humeur ». 3. J’aimerais aller en Ethiopie faire la guerre avec les hommes

comme Mulan. 4. Ma petite sœur qui a 4 ans a sans doute fait pipi quelque part

dans ma chambre. 5. J’ai été à une fête déguisée en Tomate farcie. Il n’est que 18h, je prépare mes affaires pour demain : mon

cartable et les vêtements que je porterai et je vais dormir. 20h30 Je n’arrive pas à dormir, et si je ne me faisais pas d’amis dans

ma nouvelle classe, et si je me trompais d’heure ? Et si, une fois en classe je me mettais à rigoler nerveusement comme un dindon et si fort qu’on m’appellerait tout le restant de l’année « Glouglou le dindon », et pire, si quelqu’un était venu à cette soirée où j’étais déguisée en tomate farcie et s’il s’en souvenait ?

Lundi 2 septembre Dans un placard Il pleut 19h Je suis rentrée dans ma chambre. Tiphanie, ma petite sœur,

dormait sur mon lit avec sa Barbie plongeuse sous-marine. Quand je lui ai dit de sortir, elle s’est mise à hurler et a fait exprès de baver sur mon lit. Alors je suis allée m’enfermer dans un placard, car elle m’a balancé à la figure sa Barbie ainsi que Fred son

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nounours dans lequel elle a fait un trou pour y mettre tous ses Playmobiles en me courant après. Elle est assez effrayante.

Ma journée était formidable, à vrai dire je n’ai vu que lui : il s’appelle Joe. Il est brun avec de beaux yeux bleus. Et si ce phénomène dont tante Janine m’a si souvent parlé existait ? Le coup de tonnerre ? A moins que ce soit le coup de foudre… A part Joe, qui m’a tout de même adressé un beau sourire, je me suis liée d’amitié avec Laurine, une fille d’apparence plutôt timide mais extrêmement gentille et qui milite pour la protection de l’environnement. On a bien rigolé et on a repéré les filles de la classe à éviter : le gang des 3 de leur prénom Veroniqua, Barbara et Loana. Elles rigolaient fort, n’arrêtaient pas de draguer Joe, et je suis persuadée d’en avoir entendu une (Barbara je crois) dire : « Tiens, on a une négro dans la classe » en me regardant. Laurine m’a dit qu’elle avait entendu : « Emilien, Véro t’embrasse », mais ça parait peut probable qu’elle ait dit ça, étant donné qu’il n’y a pas d’Emilien dans la classe et que je ne vois pas à qui d’autre elle aurait pu s’adresser.

Dans ma chambre Il pleut toujours 21h Je suis sortie de mon placard et j’ai mis une bonne demi-heure à

atteindre ma chambre, vérifiant partout que Tiphanie ne se trouvait pas dans les parages. Maman m’a appelée pour manger, j’y suis allée sans rechigner. J’étais un peu rêveuse. Quand ma mère m’a dit : « Chloé tu veux encore des pommes de terres ? » j’ai répondu : « Oui, Joe veut bien, euh, je veux bien. » Mais elle n’a rien remarqué… La seule chose qui m’a fait sortir de ma rêverie c’est Tiphanie qui me regardait d’un air menaçant en pointant sa fourchette sur moi.

Après le repas je suis vite remontée dans ma chambre, en passant par la salle de bain essayer les boucles d’oreilles de maman. C’est vrai que c’est joli. Je les mettrai demain. Il faut que j’appelle Laurine.

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22h J’ai parlé à Laurine de Joe, elle m’a dit qu’elle avait bien

remarqué qu’il me plaisait, vu la façon dont je le regardais. Elle m’a également dit qu’elle avait vu qu’il s’était retourné plusieurs fois pour me regarder. Puis elle m’a parlé d’une manifestation contre la pollution, ou peut être contre la déforestation, je ne sais plus… Je n’écoutais plus. Je ne pensais qu’à lui !

Mardi 3 septembre Dans la cuisine 13h Je suis rentrée à la maison pour manger car j’ai appris que Joe

rentre chez lui aussi, on a fait un petit bout de chemin ensemble en se racontant nos vies. La seule chose à laquelle je pensais c’était : « Ne lui parle pas de la tomate farcie, ne lui en parle pas. » Je ne sais pas pourquoi quand il m’a demandé ce que j’allais manger, j’ai répondu : « Surtout pas de la tomate farcie, car depuis que je me suis déguisée à ma dernière soirée en tomate farcie, je ne peux plus en voir une seule ou pire en manger. » Puis je suis devenue toute rouge. Il a ri, puis m’a dit : « Tu es différente des autres filles, Chloé, et au fait, tes boucles d’oreilles sont très jolies. » Nous nous sommes quittés sur ces quelques mots, ces quelques mots qui étaient les plus beaux à mes yeux.

J’ai ouvert le frigidaire mais je m’aperçus que je n’avais pas faim. Alors l’amour ferait perdre du poids ? Du moment que je ne perds pas ce qu’il y a dans mon soutien gorge, ça va. Oh, je suis bête, je n’ai rien dans le soutien gorge.

J’ai laissé un mot à maman sur la table de la cuisine : « Maman, je ne mangerai plus à la cantine à partir d’aujourd’hui. Bisous Chloé. »

Mardi 3 septembre Dans ma chambre J’ai croisé à nouveau Joe en allant au lycée, nous avons marché

silencieusement jusqu’à ce qu’il me dise : « Tu t’es vraiment déguisée en tomate farcie ? » Là nous nous sommes regardés et nous avons explosé de rire. Nous avons ri jusqu’à rentrer dans la

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classe. Veroniqua m’a regardé vraiment très méchamment, puis Loana et Barbara on dit à Joe : « Nous t’avons gardé une place à côté de nous. », et Joe leur a répondu : « Non non, je m’assoie à côté de Chloé, enfin si elle veut bien. » J’ai regardé Laurine qui m’a fait un petit clin d’œil et j’ai répondu à Joe : « Bien sûr, avec plaisir. » C’est à cet instant précis que la chanson de Marc Lavoine « Elle a des yeux revolver, elle a le regard qui tue » s’est mise à résonner bruyamment dans ma tête en même temps que le gang des 3 me regardait.

Et ce que je redoutais s’est produit : à la fin du cours elles m’ont prise par le bras et m’ont dit : « Viens voir par ici. »

C’est Véroniqua « la chef » des trois qui a parlé : « Ecoute la nègre, moi je n’aime pas les noirs, mes copines non plus et Joe encore moins, il me l’a dit. Alors tu ne t’approches plus de lui ou tu auras affaire à nous. Si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à aller te plaindre, tu passeras pour la petite nouvelle qui veut se faire remarquer, personne ne te croira. Et si tu insistes, je ferai tout pour que tu retournes dans ton pays de sales négros. Compris ? »

Les mots on été trop durs, mais je n’allais pas me laisser faire : « Et toi la poupée Barbie tu ferais mieux de ne pas me parler

comme ça, d’occuper ton temps autrement qu’à parler AUX SALES NEGROS, par exemple tu pourrais aller te refaire les ongles, ou faire du shopping, ou même lire un livre. Ah non, j’oubliais, tu ne sais sans doute pas lire ! »

Puis elle a répondu : « Ce n’est pas ta SOUS race qui va me dire ce que j’ai à faire. Personne ne t’a demandé de venir ici. Je ne savais pas que des gens comme vous étaient capables d’éprouver des sentiments pour un garçon, car en tant que SOUS personne je ne savais même pas que tu savais réfléchir.

- Tu n’es qu’une sale raciste, nous sommes aussi intelligents que vous et je suis autant capable d’aimer que toi. Maintenant laisse-moi. »

Et je suis partie en courant et en pleurant, mais personne ne m’a vue. Je suis allée dans ma chambre, j’ai trouvé Tiphanie en train de se moucher avec mes couvertures mais j’étais trop abattue pour dire quoi que ce soit. J’ai téléphoné à Laurine en rentrant pour tout lui raconter étant parfois coupé par des « AAAAAAH » que

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poussait ma petite sœur qui se prenait pour Tarzan. Laurine n’eu pas l’air trop étonné du comportement de Veroniqua mais elle me consola et me proposa d’aller nettoyer les plages de notre ville ce week-end pour me changer les idées. J’ai raccroché après avoir accepté son invitation à nettoyer les plages. Il fallait que j’aille manger.

23h C’est incroyable ! Joe m’a téléphoné ! Il m’a demandé pourquoi

je ne l’avais pas attendu pour rentrer. Je lui ai raconté alors à lui aussi la conversation que j’avais eue avec Veroniqua tout en lui demandant bien si ce qu’elle m’avait dit sur lui était vrai. Il m’assura que non et me promit d’aller parler à Veroniqua pour lui dire de me laisser tranquille. Il paraissait très énervé et me demanda si je voulais bien quand même aller avec lui en cours le lendemain. J’acceptais, le moral remonté.

Vendredi 4 septembre. Dans le salon. 13h. J’ai invité Joe à venir manger à la maison. Il avait parlé à

Veroniqua qui m’a complètement ignorée. On a bien rigolé et je lui ai fait visiter la maison. Au moment de rentrer dans ma chambre il me dit « Ça sent bizarre par ici. » Je jetais un coup d’œil et m’aperçu que Tiphanie avait encore fait pipi dans ma chambre. Je lui dis de redescendre et j’ai fermé ma porte précipitamment. Pendant les quelques minutes qui nous restaient avant de retourner en cours, Joe me proposa de l’accompagner à une soirée, en me faisant promettre d’exclure le costume de tomate. J’acceptais volontiers et il me prévint qu’il y aurait sûrement Veroniqua et sa bande. Il mettait son invitation à demain soir, après mon après midi : nettoyage des plages.

19h30 C’est chouette, maman est d’accord pour que j’y aille, à

condition que je rentre en taxi à minuit. Ca me plait, ça fait comme Cendrillon !

Tante Janine a téléphoné et je lui ai raconté pour Joe, elle eut l’air ravie pour moi et me proposa même d’aller le lendemain

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matin acheter une robe pour l’occasion. J’étais d’accord et nous nous sommes fixées un rendez vous.

Samedi 20h J’ai acheté une magnifique robe bleu-marine avec des paillettes

ce matin, ainsi qu’une paire de chaussures et de nouvelles boucles d’oreilles. Cet après midi nous avons bien rigolé avec Laurine et on s’est même fait une bataille d’algues. Je suis rentrée chez moi vers 18h pour me préparer. J’ai pris un bon bain et je me suis habillée, coiffée et légèrement maquillée. Il ne manquait plus que Joe.

Samedi 21h30. Dans les toilettes Joe est venu me chercher, il m’a trouvée sublime et vous auriez

du voir la tête de Veroniqua quand elle m’a vu arriver avec lui. J’ai entendu les mots « nègres », « race » mais j’ai décidé qu’elle n’allait pas me gâcher la soirée ! Nous avons dansé et bien ri, et pendant un slow Joe m’a donné mon premier baiser. Noir et blanc nous ne formions plus qu’une seule couleur, celle de l’amour. J’y retourne, il m’attend !

On raconte qu’à cette soirée vers minuit deux jeunes amoureux

sont descendus appeler un taxi, on raconte que le jeune garçon n’avait pas regardé avant de traverser la rue, qu’une voiture allait le percuter si sa jeune amie ne l’avait pas sauvé. On raconte que les pompiers sont arrivés trop tard... Le jeune garçon, noyé dans son chagrin, quant à lui décida d’aller en Ethiopie avec la famille de la jeune fille, voir les parents biologiques de sa jeune amoureuse.

On raconte aussi que trois filles ont fait des excuses

publiquement, reconnaissant que la population noire était égale à la population blanche. Et on raconte que cette population noire a pardonné à ces trois filles, s’unissant autour d’un mot : la tolérance.

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Du rêve à la réalité de Khadija ANDJAR - 17 ans

Cela faisait des jours qu'on ne parlait plus que de cela dans le

village: la nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre. Nous, jeune troupe de danse traditionnelle sénégalaise composée de six danseurs, allions partir en France pour participer à un concours de danse organisé par la ville de Strasbourg auquel nous a inscrits Gabrielle, ma correspondante française, également danseuse. J'avais reçu, il y a trois semaines de cela, une de ses lettres dans laquelle elle m'annonçait qu'elle avait réussi à obtenir une dérogation qui nous permettait de concourir au même titre que les autres danseurs, et qu'aidée de son professeur de danse, elle avait également obtenu du maire qu'il règle toute la paperasse administrative pour nous faire venir en France.

Cependant il lui fallait encore régler la question de l'hébergement, ce qui n'était, d'après elle, pas un problème. J'avais du mal à en croire mes yeux, j'ai dû relire sa lettre plusieurs fois avant de pouvoir réaliser ce qui m'arrivait, moi qui avais toujours rêvé d'aller en France. Depuis toute petite on me peignait la France comme le pays où les étrangers pouvaient réussir, comme le pays de la tolérance. Et ces dires étaient sans cesse confirmés par les sénégalais natifs de mon village et qui y habitaient : chaque été, ils revenaient les bras chargés de présents et d'histoires qui nous faisaient rêver et qui nous donnaient l'espoir d'un monde meilleur.

Le jour du départ arriva enfin : le village entier était en ébullition, chacun tenait à nous aider à nous préparer et ceux qui avaient des voitures proposèrent de nous déposer à l'aéroport. Notre chorégraphie n'était toujours pas au point : la déconcentration provoquée par l'excitation du voyage en avait été la cause, mais nous nous rassurâmes : nous aurions encore un peu de temps pour répéter avant le concours.

Tout le monde avait tenu à nous accompagner à l'aéroport car rares étaient ceux qui y étaient allés au moins une fois dans leur vie. Nous nous entassâmes alors tous tant bien que mal dans les

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quelques voitures disponibles et nous nous mîmes en route vers l'aéroport. Le chemin fut long et pénible surtout à cause du manque de place. Nous fûmes tous soulagés d'arriver à destination. S'ensuivirent alors les embrassades et les au revoir : c'est au moment de se quitter que nous réalisâmes que nous partions vraiment.

Prendre l'avion fut pour nous une expérience nouvelle et quelque peu effrayante, cependant l'excitation qui nous gagnait avait réussi à nous ôter cette peur et nous fit paraître le voyage encore plus long qu'il ne l'était.

Après six heures d'avion, qui nous parurent interminables, nous arrivâmes finalement à l'aéroport international de Strasbourg où nous attendait Gabrielle accompagnée de sa troupe et de son professeur. Tout autour de nous était immense et moderne : cela n'avait rien à voir avec l'aéroport au Sénégal. Déjà notre groupe attirait tous les regards. Mais ces regards n'avaient rien de sympathique, les gens nous observaient et murmuraient en nous montrant du doigt : « Ces gens-là ne nous apporteront que des ennuis ». Cependant je n'y prêtais pas attention et certains de mon groupe ne le remarquèrent même pas tant l'émerveillement était grand. Nous quittâmes l'aéroport sous le regard antipathique des personnes alentour.

En chemin vers l'auberge de jeunesse, on nous expliqua comment se déroulerait notre séjour : le concours n'aurait lieu que la semaine suivante, ce qui nous laissait une marge suffisante pour peaufiner notre chorégraphie. De plus, nous disposions d'un local pour répéter. Cependant nous n'écoutions que d'une oreille, tellement nous étions absorbés par la contemplation de ce qui défilait derrière les vitres de l'autocar. La France nous apparaissait encore plus belle que dans nos rêves.

Arrivés à l'auberge, nous étions tellement fatigués que nous nous endormîmes immédiatement, sans défaire nos bagages.

Le lendemain nous nous mîmes aux choses sérieuses : nous

devions commencer à répéter. Gabrielle nous accompagna au local qui nous avait été réservé. Etrangement, le gardien ne voulut pas

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nous laisser entrer : « Vous n'avez rien à faire ici, bande de racailles ! dit-il. Allez,

dégagez ! - Excusez-moi, dit Gabrielle, nous avons réservé ce local pour

eux et vous nous avez donné votre accord. - C'est exact. Toutefois vous n'avez pas mentionné leur

particularité. Vous voyez ce que je veux dire... dit-il, la voix chargée de sous-entendus.

- Justement non ! Ces gens sont comme vous et moi ! s'indigna-t-elle

- Vous savez bien que non, répondit-il. Ce local n'est pas disponible pour ce genre de personnes. »

Nous étions tous effarés par ce que nous venions d'entendre : je ne pouvais pas croire que cet homme nous ait refusé l'accès au local parce que notre peau était noire. Qu'en était-il de la tolérance? Je croyais que le racisme était dépassé en France. Apparemment non. Gabrielle était aussi choquée que nous et sur le moment nous ne sûmes pas quoi faire ni comment réagir : chacun repensait à ce qui venait de se passer en se demandant si c'était bien réel.

« Ecoutez, nous allons trouver une solution pour vos répétitions, dit Gabrielle d'une voix qui se voulait rassurante, je vais voir ce que je peux faire. »

Nous rejoignîmes alors la troupe de Gabrielle devant leur salle de danse. Cette dernière leur exposa la situation dans laquelle nous nous trouvions. Malheureusement aucun d'entre eux n'avait de solution à nous proposer.

Trois jours plus tard nous étions toujours au point mort : le concours se rapprochait et nous n'avions pas de local pour répéter.

« Je crois que nous devrions abandonner. Tous ces malheurs qui nous arrivent c'est forcément le signe que nous ne sommes pas à notre place ! me dit mon amie Amita

- Jamais de la vie ! lui répondis-je. Abandonner ce serait donner raison à ce gardien et à tous ceux qui pensent comme lui. Nous allons nous battre et leur montrer de quoi nous sommes capables ! Nous sommes venus pour participer à ce concours et ce n'est pas si près du but que nous allons renoncer ! »

Soudain Gabrielle arriva en trombe et nous annonça une

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nouvelle que nous attendions tous : un de ses amis pouvait nous prêter son garage qui était suffisamment grand pour que nous puissions y répéter notre chorégraphie. Ce n'était pas le luxe mais peu nous importait : l'essentiel était que nous puissions enfin nous préparer au concours. Cette bonne nouvelle nous remit un peu de baume au cœur.

S'ensuivirent alors quatre jours de répétitions intenses pendant lesquels chacun donna le meilleur de lui-même, si bien qu'au terme de ces quatre jours nous pensions ne plus avoir la force de concourir. Par contre notre chorégraphie était au point et nous étions beaucoup plus à l'aise dans nos costumes de scène qui, de par leur longueur, nous avaient parfois gênés.

Le grand jour arriva enfin et notre réveil tardif ne fit qu'accroître la tension. Une demi-heure avant notre départ la moitié d'entre nous n'était toujours pas prête. Avant de partir notre professeur nous donna les dernières recommandations et nous força à avaler quelque chose afin de prendre des forces et d'éviter de s'écrouler sur scène. Elle nous rappela aussi que l'essentiel n'était pas de gagner et que, pour nous, participer était déjà une victoire. Ses paroles nous réconfortèrent un peu et nous redonnèrent confiance en nous. Il est vrai que gagner n'était pas notre priorité, mais au plus profond de moi je pensais que, si c'était le cas, nous prouverions aux autres que nous ne valions pas moins qu'eux.

Arrivés devant la salle des fêtes, nous retrouvâmes Gabrielle et sa troupe qui étaient tout aussi excités et nerveux que nous. Nous entrâmes alors tous ensemble dans la salle des fêtes et nous dirigeâmes vers les loges pour nous changer. On nous annonça que nous passerions en dernier, ce qui signifiait que nous devions attendre plus d'une heure.

Quant au groupe de Gabrielle, il passerait en second. Nous

quittâmes alors la loge pour aller voir les autres groupes danser. La salle était pleine à craquer, ce qui ne nous rassura vraiment

pas : c'était la première fois que nous participions à un concours et que nous avions à danser devant autant de monde. Tout à coup je sentis le courage m'échapper. Je crois que notre professeur le sentit puisqu'elle tenta de nous réconforter.

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« Ne vous inquiétez pas, tout se passera bien. Vous avez été formidables pendant les répétitions, je ne vois pas pourquoi vous échoueriez. »

Le premier groupe entra sur scène. Il s'agissait d'un groupe de jeunes danseurs de hip-hop : ils avaient l'air mal à l'aise, c'était sûrement leur première scène. Le tour du groupe de Gabrielle arriva rapidement et nous leur souhaitâmes bonne chance. Leur prestation était très réussie : ils se mouvaient sur scène comme s'ils avaient dansé toute leur vie.

Il nous fallait attendre encore et, plus nous attendions, plus la pression montait. Nous voyions, chacun leur tour, les groupes monter sur scène et en redescendre plus ou moins satisfaits.

Notre tour arriva enfin. Les jambes tremblantes, nous montâmes sur scène : les gens furent surpris de nous voir. Des murmures s'élevèrent dans toute la salle. L'organisateur crut judicieux de monter sur scène pour nous présenter au public.

« Mesdames et Messieurs, laissez-moi vous présenter une troupe de danseurs venue spécialement du sud du Sénégal pour participer à ce concours. Je vous demande de les accueillir comme il se doit. » Le public réagit plutôt bien à cette annonce, en effet les gens se levèrent pour nous applaudir. Nous nous mîmes en place et la musique commença. Notre musique était très entraînante et rythmique, le public avait l'air d'apprécier. Il commença à taper du pied et petit à petit les gens se mirent debout et commencèrent à danser. Nous étions tellement absorbés par ce que nous faisions que nous ne le remarquâmes même pas. A la fin de notre prestation le public se leva pour nous acclamer. Nous fûmes très surpris par sa réaction car nous ne nous attendions pas à un tel succès. De retour dans les coulisses, tout le monde ou presque nous félicita. Il ne restait plus qu'à attendre la décision du jury.

Ce dernier se réunit à l'écart pour délibérer. Il était composé de quatre personnes : deux d'entre eux étaient des professionnels de la danse alors que les deux autres étaient des fonctionnaires de la mairie. Pendant le passage de chacun des groupes, ils avaient écrit leurs impressions et maintenant ils les mettaient en commun afin d'attribuer une note à chaque groupe. Il n'y eut pas de désaccords entre eux excepté pour le dernier groupe : trois des membres du

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jury, les deux fonctionnaires et un professionnel, considérait notre prestation comme n'étant pas de la danse alors que le dernier trouvait qu'il s'agissait de la meilleure des prestation qu'il ait vu.

« Mais qu'est-ce que vous nous racontez là ? dit l'un des fonctionnaires. Vous appelez ça de la danse ! ? Je qualifierais plutôt ça de mascarade.

- J'ai trouvé la prestation très originale et les costumes aussi d'ailleurs, dit le dernier juré. Et qui plus est, c'est le seul groupe à avoir commis un sans-faute. Je peux comprendre que vous n'aimiez pas ce genre de danse, mais de là à dénigrer leur prestation, je ne suis pas d'accord.

- Vous ne semblez pas comprendre ! Notre ville a été suffisamment généreuse avec eux : elle les a fait sortir de leur misérable village en leur permettant de venir en France. Ils ne vont pas en plus priver les danseurs de la ville de ce qui leur revient de droit. Il me semble que nous en avons assez fait pour eux et ils devraient nous en être reconnaissants ! De toute façon nous en sommes à trois contre un, donc, quoi que vous pensiez, la décision est prise : ils ne seront pas les vainqueurs de ce concours ! »

Cinq minutes plus tard le choix était fait. On rappela tous les candidats sur scène pour la remise du trophée. Le jury arriva alors.

« Tout d'abord nous tenions à féliciter tous les danseurs de la ville qui ont participé à ce concours, dit l'un des fonctionnaires membre du jury. Nous n'allons pas faire tarder le suspense plus longtemps. »

La plupart des gens ne remarquèrent même pas que nous n'avions pas été mentionnés.

Je me doutais qu'il ne s'agissait pas que d'un simple oubli : le juré avait délibérément tourné la tête vers notre groupe au moment où il prononçait ces paroles

Le nom du groupe gagnant fut enfin révélé. Les danseurs laissèrent exprimer leur joie. Nous étions tous contents pour eux, cependant on pouvait noter une pointe de déception chez le public. On apporta le trophée aux vainqueurs et chacun d'entre eux le brandit à tour de rôle. Soudain, le dernier juré s'empara du microphone :

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« Normalement les délibérations du jury doivent rester secrètes, mais cette fois-ci je pense qu'il est important pour vous tous de savoir ce qui s'est réellement passé.

- Vous n'avez pas le droit ! s'écria l'un des fonctionnaires. - Laissez-moi parler ! Ils ont le droit de savoir ! Les gagnants du

concours auraient dû être le dernier groupe et je crois que le public est d'accord avec moi !

- Oui ! Nous sommes d'accord avec lui ! criaient les gens du public.

- C'est complètement absurde ! dit le fonctionnaire. - Ils ont perdu pour de mauvaises raisons ! ajouta le dernier juré. - Peu importe, dit le fonctionnaire. De toute manière la décision

du jury est incontestable ! Dans la salle le public protestait et huait le fonctionnaire. - Nous, nous pouvons la contester » dirent les gagnants. Le fonctionnaire se tourna vers eux, surpris. Ces derniers

s'approchèrent de nous et me tendirent le trophée. « Je crois qu'il vous revient, dit l'un des danseurs. - Nous ne pouvons pas accepter, répondis-je. Vous le méritez ! - Non, mais vous oui. - Et vous alors? - Il y aura plein d'autres concours après tout. » Le public se leva une nouvelle fois pour nous applaudir. Nous

quittâmes la salle, ravis, en compagnie du groupe de Gabrielle qui nous félicita pour notre triomphe.

Les deux derniers jours passèrent et il était déjà temps pour nous de rentrer au Sénégal. Gabrielle et ses amis nous accompagnèrent à l'aéroport.

« J'ai été très contente de te revoir. J'espère malgré tout que vous avez apprécié ce séjour, me dit-elle.

- Bien sûr. Nous vous sommes très reconnaissants pour ce que vous avez fait pour nous. Merci pour tout. »

La séparation fut très émouvante. Nous nous promîmes de garder contact et nous nous en allâmes.

Dans l'avion, je repensais à tout ce qui s'était passé durant ce séjour. Le racisme auquel nous avons été confronté nous a surpris. Nous avions une image idyllique de la France. C'est un pays où,

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comme tous les autres pays, il y a des gens racistes mais aussi beaucoup de gens biens. J'espère qu'un jour la France devienne celle à laquelle j'ai toujours rêvé.

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Ils ont tout cassé de Théo AMPILHAC – 17 ans

« Ils ont tout cassé ! Ma belle, ma jolie tombe ! Voila dix

ans que je vis ici, dans ce sarcophage de marbre. Depuis l’entrée, passez le long de la petite allée puis, après Mr Cohen, tournez à droite et si vous continuez sur vingt mètres vous pourrez apercevoir ma tombe. C’est une des plus jolies, sans me vanter j’en suis réellement fier. Sur le devant, un écriteau d’une simplicité touchante « éternel regret », déposés sur le marbre les bouquets sont nombreux. Bon, bien sûr ils sont en plastique mais la couleur reste tout de même étincelante… Je suis Simon et je suis juif. Il y a dix ans, je suis mort. Non non, pas une mort extraordinaire. En fait, je suis mort en dormant. J’avais fini ma vie, voilà tout, et je me suis retrouvé là, dans ce cimetière juif. A vrai dire, la vie ici n’est pas si ennuyeuse que ça, nous retrouvons des vieilles connaissances et nous parlons beaucoup. Nous avons tous de longues histoires à raconter, la famille, les expériences, la guerre aussi, car nous l’avons tous vécue, ou presque tous. Nous ne parlons pas que du passé mais c’est difficile d’avoir des nouvelles de la terre, alors nous attendons les nouveaux. Les nouveaux ont toujours besoin d’un temps d’adaptation, ils ne comprennent pas pourquoi ils sont sous terre et veulent appeler les humains, et puis ils se font une raison. C’est vrai que c’est un nouveau type d’organisation… Nous n’avons plus vraiment nos corps, les sens ont disparu en quelque sorte. Nous nous débrouillons sans la matière. Depuis quelques temps, les nouveaux parlent beaucoup de la montée de l’antisémitisme en haut. Ils disent que ça revient à la mode… Nous sommes tous vieux et ça nous décourage d’entendre ça… Nous pensions que les camps auraient servi d’exemple… Je ne comprends pas moi. D’ailleurs personne ici ne comprend. Enfin… Les morts sont autant déboussolés que les vivants, nous avons presque perdu espoir…

Donc j’étais en train de dire qu’ils avaient tout cassé. Oui, ce matin dans le cimetière Elie nous a réveillés car on avait fissuré sa tombe, puis peu après c’est Joseph qui a dit que des gens

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s’étaient amusés à souiller la sienne. Au final on s’est tous aperçus que c’était l’ensemble du cimetière qui était saccagé, et même ma tombe, la plus jolie ! La plaque était brisée en deux et il y avait une inscription à la bombe rouge « RAUS ». Alors nous nous sommes tous réunis sous la dalle de la famille Pierre, car c’est la plus grande et, en se serrant les uns contre les autres, nous avons écouté Abraham parler. En situation de crise, nous nous réunissons toujours et nous discutons du problème ensemble… Abraham, qui est le plus vieux d’entre nous, a dit que ça recommencerait certainement. Nous avons donc décidé, après un mois de réflexion, (les morts ont tout leur temps) qu’il fallait agir pour faire disparaître le racisme. Dans l’humidité du caveau nous avons opté pour une solution pacifiste, il fallait prendre contact avec ces malfrats saccageurs de tombes… »

Extrait de la lettre du 12 Octobre 2004 : Chers messieurs… A la suite des différentes dégradations (tags et autres peintures symboles d’une idéologie dépassée) effectuées dans la nuit du 10 septembre 2004 dans notre cimetière, nous vous demandons non seulement un remboursement des dégâts occasionnés, mais encore une réflexion sur la tolérance […] En espérant avoir fait naître en vous de sincères regrets, nous vous saluons chaleureusement.

Mrs. Cohen, Abraham, Simon… « On a tout cassé… Y’a d’ça un mois et demi que nous

sommes allés dans ce cimetière… On était tous là dehors, Xavier, Momo, Paul et moi. Il devait être 11h, on savait plus quoi faire et c’est moi qui ai suggéré l’idée. J’étais au courant que pas loin il y avait un cimetière juif, à la télé ils parlent tout le temps de ça, des cimetières juifs profanés. On sait pas vraiment pourquoi on a fait ça, mais on l’a fait. Au début, c’était sans faire de bruit mais au fur et à mesure, on a pris de l’assurance, je peux même dire qu’on prenait du plaisir à voir toutes ces stèles se briser sur le sol. A la fin, on a fait toutes les inscriptions à la bombe rouge, les croix gammées, les cibles de sniper et sur une des tombes, j’ai écrit en majuscule « RAUS ». Puis nous sommes partis, c’était vraiment une belle soirée… On est tous rentrés chez nous et voilà. Le lendemain, on a vu les policiers arriver avec les journalistes,

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y’avait plus de journalistes d’ailleurs que de gendarmes, et avec les potes on était fier de ça, de voir l’agitation dans le village. Les sirènes, le scotch jaune de la police, les flashs des photographes, les vieux qui râlent, les questions des journalistes, les parents qui crient au scandale, c’était grâce à nous si ce soir on était les stars du JT de PPDA. Nous nous sommes couchés encore plus fiers que la veille… Mais ce matin, j’ai reçu une lettre bizarre. Je suis allé la montrer à mes potes et au début, on a tous cru à une blague... On était pourtant sûrs que personne ne nous avait vus, et puis même si on s’était fait voir, on nous aurait au moins dénoncés à la police. Une lettre pour nous dire de réfléchir…

Les jours passèrent et on ne savait plus quoi penser de ce papier. On était de plus en plus paniqués à l’idée que quelqu’un ait pu nous apercevoir. On commençait carrément à regretter notre geste, surtout vis-à-vis des juifs contre qui on n’avait aucun problème. Un soir où on n’avait encore rien à faire, j’ai proposé l’idée de leur écrire. C’est dans mon garage que nous avons écrit la première réponse. »

Lettre du 20 Octobre 2006 : Chers messieurs Cohen, Abraham, Simon… En recevant votre lettre, nous pensions à une supercherie de la part d’une quelconque personne cherchant à nous faire du tort. Etant donné que nous sommes les vrais coupables de ce saccage, nous avons tout de même suivi vos conseils en réfléchissant aux conséquences de notre acte. Au ton que vous employez, il nous a semblé que vous étiez touchés de près par cette profanation et nous voulons tout d’abord vous soumettre nos plus sincères excuses. Le jour de ce fatidique évènement, nous ne réfléchissions plus qu’à une seule chose, la gloire du 20h, et ce n’est pas par provocation raciste que nous avons détruit ce cimetière. En effet, à ce jour, comme vous le dites si bien dans votre lettre, l’antisémitisme est en recrudescence et de notre acte nous ne devons pas tirer fierté, mais honte… Nous avons décidé qu’à partir de maintenant, il fallait lutter contre ce phénomène et nous avons comme projet d’organiser un concours de nouvelles contre le racisme au sein de notre établissement scolaire. Il faut apprendre à vivre ensemble malgré les différences et savoir en tirer un maximum de profit pour nous enrichir. L’antisémitisme, le

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racisme et toutes les autres formes qui condamnent la tolérance au profit de la haine, doivent disparaître. Tout le monde est différent, nous ne pouvons pas effacer chaque détail de notre culture, car elle fait de nous des personnes uniques. Vivons avec, et soyons chacun fier de ce que nous sommes…

Cette lettre valait bien qu’on s’y attarde toute la nuit car deux mois plus tard, nous avons reçu une réponse.

Lettre du 21 Décembre 2004 : Chers jeunes hommes, nous avons avec plaisir pris vent de votre réflexion. C’est avec une certaine fierté que nous observons au quotidien l’avancée de vos recherches pour organiser ce fameux concours de nouvelles. De notre coté, la « vie » reprend son cours normal, mais nous vous devons tout de même une sacrée pagaille car le cimetière n’est toujours pas réparé, et qu’en plein hiver les fissures laissent entrer le… Enfin, nous espérons que vos excuses sont sincères et qu’il ne s’agit pas là d’un subterfuge pour éviter la visite des gendarmes à votre domicile. Pour pallier tous problèmes liés à la véracité ou non de vos propos, nous avons décidé de leur envoyer votre lettre d’aveux datée du 20 Octobre 2004. Nous vous saluons amicalement et espérons de vos nouvelles (personnelles ainsi que celles de votre concours) Mrs. Cohen, Abraham, Simon…

« Ils ont tout cassé », la lettre que nous avons reçue ce matin commençait ainsi. Je l’ai lue tranquillement à mon bureau, elle était accompagnée d’une lettre de quatre garçons avouant avoir saccagé le cimetière juif du quartier… Les collègues et moi allions enfin résoudre une enquête ! Ça valait bien de sabrer le champagne ! On a tous fait la fête ce soir là, même le commissaire était de la partie. Enfin ! On pourrait attraper quelqu’un dans cette fameuse affaire du cimetière profané, qui avait tant défrayé la chronique.

Le lendemain ce fut dur de se réveiller, on avait tous la gueule de bois mais bon, on était sur un gros coup et il ne fallait pas laisser filer le poisson. On avait tout préparé la vieille (avant la fête). Je devais entrer le premier, fracasser la porte et interpeller le jeune Xavier D. Ensuite le commissaire devait l’interroger afin d’obtenir de lui la cachette des trois autres complices. De là, je devais encore fracasser des portes et arrêter un par un tous les

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membres de la bande. On était vraiment tous très excités. Au moment de sortir, malheureusement, les quatre jeunes se sont rendus à nous. Voila comment la plus palpitante de nos enquêtes de ces deux dernières années se terminait.

Les quatre adolescents prononçaient de sincères regrets face à la gravité de leur acte et voulaient aider à réparer les dégâts causés par tous les moyens. Etant donné ces aveux spontanés, l’affaire fut vite classée. Nous reçûmes la visite de notre cher ministre qui nous félicita pour notre travail, et les coupables furent menés devant le tribunal de jeunesse… Six mois plus tard, les quatre compères étaient jugés (art. 23.1 et 24 de la loi du 29/07/1881) : « Ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, soit par des écrits (…) soit par tout moyen de communication audiovisuelle (…) auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 305 ,- EUR à 46 000, - EUR, ou de l'une de ces deux peines seulement ». En plus de leur amende, ils durent aider à réparer le cimetière et c’est avec étonnement qu’ils découvrirent sur des stèles les noms de Mr Cohen, Mr Abraham, Mr Simon …

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Journal de bord d’un extraterrestre de Mylène LANCINO - 16 ans

Lundi 9 mai… Ça y est, je la vois, je la vois presque… Je la vois tout

entière… Elle est belle, elle est bleue, elle est ronde… Enfin la vie revient, après cent cinquante jours de voyage dans l’espace. Je la vois cette planète, et j’ai envie de pleurer. Elle est comme on me l’avait décrite, majestueuse et calme… Et dans le silence de la nuit galactique, je ne me lasserai jamais de la contempler… Bon assez de poésie, de blabla et d’attendrissements, j’ai une envie folle d’atterrir, de me dégourdir les jambes, de voir un être bouger. On m’a tellement parlé de cette planète, j’en ai vu des images d’elle, j’en ai entendu des odes en son honneur, j’ai rêvé d’elle des milliers de fois ! Je ne croyais pas qu’un jour je la verrais de mes propres yeux ! Moi, E492, décide solennellement que ce jour restera dans l’histoire comme celui où le premier être de la planète PA5I74X atterrira sur la plus belle des planètes : la Terre !

… Mardi 10 Mai… J’ai enfin atterri, par le petit hublot je n’aperçois que des arbres.

Malheureusement, je n’ai pas encore eu la chance d’apercevoir des êtres vivants. A part, bien sûr, un écureuil venu s’écraser contre la vitre de la salle des commandes en voulant, je suppose, explorer l’intérieur de ma cabine. C’est curieux un écureuil ! Je ne peux pas encore sortir (à mon grand regret !) car il faut attendre la dépressurisation de ma navette, je profite donc de ces heures d’attentes pour t’expliquer, ô très cher journal, comment je vais procéder à l’inspection de cette planète :

- Tout d’abord, je vais étudier la topographie, le climat, le paysage, la faune, la flore et… et puis c’est tout ! De toute façon, je l’ai analysée et visualisée par images reconstituées des milliers de fois, donc quelques photos devraient suffire.

- Ensuite, je passerai à la phase deux (ma partie préférée) : l’étude des Hommes. Car je suis un scientifique, ne l’oublie pas, et

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j’ai pour tâche d’observer et de comprendre ces bipèdes, puis de rapporter les informations récoltées. J’ai fait des pieds et des mains pour obtenir cette mission, la terre, c’est mon pêcher mignon. Sa nature est tellement belle, de l’eau, de l’air, du feu et puis… des centaines de milliers d’espèces animales et végétales différentes. L’Homme, l’héritier de ces richesses, doit être magnifique, intelligent, bon… Il me tarde d’en apercevoir. Bip, oh, je peux sortir !

… J’ai vu des Hommes ! Des vrais ! En chair et en os (puisque

c’est comme cela qu’ils sont tous faits). Il faut avouer que je n’ai pas fait une sortie digne d’un noble PA5I74Xien. En essayant de poser un pied sur le sol, je m’aperçus… qu’il n’y avait pas de sol. J’ai fait une chute de cinq mètres. Ce n’est pas exactement l’arrivée triomphale que je m’étais imaginée ! Je ressemblais à une limace écrabouillée sur le sol ! Cependant, j’ai plusieurs circonstances atténuantes :

- Premièrement, la pesanteur de la terre est plus forte que celle de ma planète, mon poids est donc plus élevé ici. Cela m’a pris de court !

- Deuxièmement, je ne pouvais quasiment rien apercevoir de mes hublots, par conséquent, il m’était impossible de savoir que j'avais atterri à la cime d’un chêne liège de deux cent ans ! Passons. Lorsque j’ai heurté le sol, (souviens-toi la chute de cinq mètres) IL était là ! Je l’ai vu ! Mon premier humain ! C’est bizarrement fait un humain ! Tout en longueur avec des poils à la cime, seulement deux bras et deux jambes. Mais le plus intéressant est la partie intermédiaire entre les poils (appelés cheveux) et le corps.

Elle s’appelle la tête, c’est le centre de commande des humains (enfin pour la plupart !) Mais surtout, il y a le visage, avec une bouche, (c’est ici qu’ils ingurgitent leur nourriture) un nez, (excroissance osseuse, mutilée de deux orifices servant à « sentir », nous, n’en avons pas besoin, il n’y a rien à sentir sur notre planète) et, le plus surprenant, deux yeux tout ronds. Ceux de mon homme se sont un peu plus arrondis en me voyant. Puis il s’est mis à pousser un cri strident, il s’est retourné et partit en courant !

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Rencontre émouvante ! Quant à moi, trop assommé pour bouger, je suis resté au pied de

cet arbre. Je n’ai pas perdu mon temps ! J’ai compté des «fourmis» (insecte terrien) et je suis tombé dans les pommes.

… A mon réveil, j’étais dans une cage de verre. A son contact, je

m’électrocutais. Cruels ces humains ! Je criais, pas de réponse ! Ne pouvant ni m’échapper ni tenter de négocier ma libération, il ne me restait plus qu’à mettre à profit cette situation pour le moins inattendue ! Ce sont des agents de polices qui me transportaient. Où ? Je n’en sais rien. Pourquoi ? Je n’en ai pas la moindre idée. En tout cas, de plus en plus de monde entourait ma cage. Il y avait là des femmes, des hommes et des enfants de tout âge. Quelle diversité ! A première vue, ils paraissaient tous différents, certains avaient la peau jaune, d’autres rose ou bien noire, chaque couleur dégradée à l’infinie. Mais en fait, ils avaient tous des points communs. Deux oreilles, deux jambes, deux bras, un nez et seulement deux yeux ! Ceux-ci braqués sur moi, curieux d’en voir plus, apeurés d’en voir autant ; en résumé perplexes ! Tous ces regards me donnaient le tournis, ou bien les effets secondaires de ma chute se faisaient encore ressentir !

… Je fus amené chez un « préfet », il me semble, et celui-ci

m’examina avec le plus grand soin. Toujours avec ses petits yeux ronds. C’est vrai qu’il devait me trouver étrange, avec mes six yeux carrés, mes deux antennes, mes huit jambes et mon unique oreille. Unique, mais performante, en effet, je peux entendre les ultrasons ! Quelle importance dans ce récit me demanderez-vous ? Aucune, mais c’est une fierté de mes compatriotes et par extension, une des miennes, j’ai plaisir à le noter ! Le préfet me posa une seule question :

« D’où viens-tu ? » Je ne me vexais pas de l’absence de vouvoiement, cependant je fus surpris d’entendre son ton. On aurait dit qu’il parlait à un babouin atteint de cécité. Il détachait les syllabes, de peur, je pense, qu’une ne m’échappe. Je répondis sur le même ton, (il se peut que ce soit la manière dont on doit parler à des personnes de haute importance).

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« Je viens de la planète PA5I74X pour étudier la Terre. - Je vous envoie chez le président. » Cette échange dura au

moins une demi-heure ! Et me revoici dans ma cage de verre, avec mon cortège de badauds à mes trousses, me dirigeant chez le président de la république, le premier dirigeant du pays. Arrivé au centre de commandement principal appelé QG, on m’offre pour compagnie quatre hommes vêtus de noir, le visage caché derrière des lunettes de soleil bien qu’il soit plus de dix heures du soir. Ils portaient aussi des armes à feu à leur ceinture. Appelés gardes du corps, ils étaient très peu loquaces. Pas une parole ne sortit de leur bouche. Je commençais à douter de l’hospitalité de mes chers terriens !

… Mardi 10 Mai… (Vingt trois heures) Après une attente qui me parut interminable, le président

s’approcha enfin. Il semblait sollicité de toutes parts. Il fut interpellé une vingtaine de fois avant de parvenir à la hauteur de ma cage. Mon ouïe extra développée parvint à voler quelques bribes de conversation entre le politique et un de ses collègues.

« Préparez-vous à la guerre ! La communauté Jaune a attaqué la communauté Noire ! Motif : ils ont les oreilles trop écartées du nez», informa le président à son ministre des affaires étrangères.

- Mais, dans quel camp intervenons-nous ? » répondit celui-ci. - N’importe ! Les Jaunes n’ont pas tort après tout. Cependant, il

est vrai qu’eux-mêmes ont les genoux trop proches des orteils et c’est une tare suffisante pour les exterminer ! » Enfin, le président s’approche de moi, me regarde longuement et finalement dit :

« En plus, cette erreur de la nature qui vient au même moment ! On m’gâte vraiment pas ! Regardez-moi ces yeux, ça doit être agressif en plus ! »

Je pense que personne n’avait averti le président que je parlais sa langue, que je suis pacifique comme tous ceux de ma planète et que sa coupe de cheveux est ridicule !

« Bonjour. » répondis-je simplement. Un horrible cri jaillit alors de sa gorge. Je crus avoir marché sur la patte d’un cochon.

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L’homme d’Etat se remit cependant assez vite de sa frayeur et bien qu’en sueur, blanc comme un linge et tout essoufflé, il réussit à articuler presque intelligiblement :

« Vous êtes pacifique ? - Oui, je viens de la planète PA5I74X et… » (je lui racontais ma

situation). Après une bonne heure de dialogue, le chef d’Etat me permit de rester une nuit au ministère pour me reposer et faire plus ample connaissance avec les habitants de cette planète.

… Mon Dieu, cette planète est en danger ! J’ai passé toute la nuit le nez au milieu de livres d’histoire,

d’encyclopédies ou devant l’écran d’un ordinateur à parcourir l’histoire de cette planète. Elle n’est pas glorieuse ! Les guerres se sont succédées au fil des siècles. Sur toute la surface de cette planète, pas un mètre carré n’a été épargné. Les êtres humains ne semblaient pas tirer de leçon de leurs erreurs. Des guerres de plus en plus violentes avaient éclaté. Bizarrement, toujours pour la même raison : une différence. Que ce soit une différence de couleur de peau, une différence de religion, ou une différence de politique, des Hommes en avaient tués d’autres dans le seul but d’éradiquer ce qui les terrifiait, ce qu’ils ne comprenaient pas, enfin, tout ce qui n’était pas identique à leur vision de la vie ou de la mort. A ce moment même, une guerre était sur le point d’éclater. La grande faucheuse se préparait à emporter des milliers d’hommes parce qu’une infime poignée d’entre eux avait décidé que les oreilles devaient être placées à 9,57 centimètres de part et d’autre des yeux ! Il faut à tout prix que quelqu’un sauve cette planète avant qu’elle ne s’autodétruise !

… Je demandai une audience auprès du président du pays. Elle me

fut accordée. J’expliquais donc au chef d’Etat que cette guerre n’était qu’un premier pas vers l’autodestruction de sa planète, qu’il fallait cesser les conflits de différences etc., etc. ! Mon discours paraissait convaincant. Il fut inefficace, pire, il fut même inutile ! L’homme d’Etat me rit au nez (même si je n’en ai pas).

« Pour qui vous prenez-vous pour conseiller un président ? rétorqua t’il.

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- Un simple extraterrestre qui aime votre planète et venant d’un astre sans guerre où les différences sont considérées comme une richesse ! » Cette réponse le surprit. C’est à ce moment précis que son regard changea. L’homme portait des lunettes à foyers très épais, ce qui faisait apparaître ses yeux de la taille de balles de golf, ainsi je vis très précisément ce qui lui traversa l’esprit. Le peu d’amusement et de curiosité qu’il ressentait envers ma personne disparurent. A la place naquit de l’étonnement, puis de la suspicion, de la peur et enfin de la haine. En quelques secondes, la vision du président vis-à-vis de moi avait changé. De l’extraterrestre drôle, gentil et muet, j’étais devenu l’étranger ayant ses idées, les exposant et les revendiquant. Nul doute que mon opinion, différente de celle du président, était devenue pour celui-ci le moyen pour moi de voler sa place et par extension d’envahir sa planète. Je me sentis dès cet instant en danger. Un homme qui déclarait une guerre pour des oreilles trop écartées n’allait pas laisser s’exprimer, ni même vivre, un être possédant six yeux carrés ! Il me fallait retourner à mon vaisseau au plus vite ! Par chance, le président qui me prenait depuis quelques instants pour un envahisseur sanguinaire, voulu le voir. Je suppose qu’il s’imaginait y trouver une cargaison d’armes assez importante pour appuyer sa conviction. Malheureusement pour moi, j’avais effectivement des armes. Elles étaient destinées à ma défense durant mon trajet intergalactique. L’air menaçant du chef des armées ainsi que ses gardes du corps à l’approche de ma navette ne me surprit pas et je n’imaginais que trop bien ce qui allait découler de la découverte de canons ultra perfectionnés. Je pris peur, je pris mes jambes à mon cou, je pris ma navette, je pris mon envol !

… Ainsi, ce journal restera témoin de la tentative qui fut faite dans

l’espoir de sauver la Terre. J’ai finalement regagné ma planète, le retour fut calme et rapide. Je suis profondément déçu, choqué de savoir qu’une planète s’autodétruise. Surtout celle-ci. J’écris ces lignes depuis mon appartement et le soulagement d’avoir retrouvé les miens est profond. Cependant, le rapport que j’ai remis à mes supérieurs me consterne, j’imaginais mon retour autrement. De magnifiques descriptions de la Terre, de ses habitants, une

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promesse d’union entre nos deux peuples, voilà ce que je pensais ramener de mon voyage ! Ma radio grésille à mon coté et…

« Flash info express, la Terre, planète appartenant à la Voie Lactée vient d’exploser. Plusieurs morceaux dérivent en ce moment dans leur système solaire. Une guerre avait éclaté entre les différents peuples de cette planète. Nos sources nous informent que dix huit pays auraient lancé simultanément une bombe nouvelle génération, cause de l’explosion. Les dégâts sont incommensurables, il ne semble pas y avoir de survivants. Les dirigeants de PA5I74X ont, bien sur, envoyé des vaisseaux secouristes pour tenter de sauver ce qui peut l’être… »

Eh bien voilà ! … Quel gâchis !

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La petite Camille de Clémence VOCHER - 15 ans

Camille joue à l’élastique dans la cour, cela l'amuse beaucoup,

c’est son jeu préféré. Elle adore sautiller dans tous les sens avec ses amies. De sa classe, l'institutrice Madame Fichier l'observe.

C'est vrai qu'elle est jolie la petite Camille avec ses petits yeux bridés et son teint pas comme les autres. Seulement en classe, je ne sais pas pourquoi, elle a toujours des mauvaises notes. Avant chaque contrôle, elle me récite sa leçon et elle la sait, mais quand la maîtresse les rend, elle n'a jamais de bonnes notes.

La mère de Camille non plus ne comprend pas, ce qui explique qu'elle regarde la copie de sa fille et s'aperçoit qu'il y a trop de rouge sur la feuille comparé au nombre de fautes. Elle décide donc de prendre rendez-vous avec sa professeur.

Seulement Madame Fichier n'est jamais disponible, mais ce que je ne comprends pas c'est que maman a pris rendez-vous avec elle, et c'est curieux, la mère de Camille, elle, n'a jamais réussi.

Un jour, la mère de Camille est arrivée, furieuse, parce que sa fille avait eu la veille, une fois de plus, une mauvaise note et il y avait, une fois de plus, trop de rouge... Elle est rentrée dans la classe et a demandé à mon institutrice de la voir immédiatement. Alors on est sorti, sauf Camille, et on a attendu.

Au bout d'un moment, Camille est sortie en pleurs avec sa mère et est partie pour ne revenir qu'au bout d'une semaine.

Quand elle est revenue, on lui a demandé la cause de son absence, c'est qu'elle nous avait beaucoup manqué ! « C'est maman, elle n'aime pas beaucoup Madame Fichier... car elle est méchante avec moi. » nous répondit-elle.

On a rien dit mais on était très tristes, on est rentré en classe et on a travaillé comme tous les autres jours.

A la fin de la journée, maman est venue me chercher et je lui ai demandé la cause de la dispute entre la maîtresse et la mère de Camille. Elle ne m'a pas répondu tout de suite, puis elle m'a dit qu'elle l'ignorait mais que visiblement c'était plutôt la faute de Madame Fichier. Je me suis tue mais j'ai quand même le droit de

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savoir, Camille c'est une de mes meilleures amies ! Alors un jour je lui ai demandé : « C'est quoi l'histoire entre toi

et la maîtresse ? » mais elle n'a pas voulu me répondre, j'ai dû attendre un mois avant de connaître la raison. Un matin, Madame Fichier n'était plus là et on l'avait remplacée par une jeune et jolie dame très gentille. Pourquoi ? « Parce qu'elle était raciste... » me dis ma mère. « Ok, bon, elle est raciste, mais ça veut dire quoi ? »

Elle m'a répondu : « C'est compliqué à expliquer, alors prends le dictionnaire et cherche au mot « racisme ». » Je l'ai donc pris et je suis tombée sur cette définition écrite noir sur blanc :

« Idéologie qui affirme la supériorité d'un groupe racial sur les autres, préconisant, en particulier, la séparation de ceux-ci à l’intérieur d'un pays ou même en visant à leur élimination.» Bon, je dois avouer que j'ai pas trop compris, mais heureusement maman me l'a expliqué plus simplement.

D'après ce que j'ai compris, Madame Fichier n'aimait pas Camille parce qu'elle n'était pas Française mais d'une nationalité différente. C'est idiot de ne pas l'aimer juste parce qu'elle est chinoise et en plus lui mettre des mauvaises notes.

Du coup, quand j'ai raconté cela à mes amis, on a tous décidé d'en parler en classe avec tout le monde, et surtout avec la maîtresse.

A la fin de cette journée j'étais très contente, j'en sortais comme grandie... mais je voulais en savoir encore plus ! Alors j'ai demandé à ma mère comment je pouvais avoir d'autres informations plus précises sur ce thème et elle me répondit que je pouvais aller au SIJ (Suresnes Information Jeunesse) et demander des renseignements ou bien aller à la bibliothèque municipale. Comme le SIJ est plus près de chez moi, j'y suis donc allée. Là-bas j'ai rencontré une dame qui m'a expliqué beaucoup de choses !! C’était bien, et en sortant je lui ai demandé pourquoi elle n'irait pas dans les écoles pour expliquer toutes ces choses, et elle m'a répondu : « Mais on le fait, seulement on est pas encore venus dans ta classe, tiens dis moi le nom de ton école et je te dirai quand on viendra. »

Elle venait dans une semaine. Toute contente, je le révèle à ma classe. On a alors préparé

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pendant une semaine des exposés, des grands dessins, des poésies, et on a essayé de faire notre propre définition du mot «racisme ».

Le jour J, on était tout excités, on avait préparé un grand goûter sur les tables noires et on avait accroché aux murs blancs tous les exposés ainsi que les poésies, et quand la dame est arrivée, elle fut agréablement surprise.

Il y avait avec elle un homme très grand et noir de peau, il avait un beau sourire avec des dents blanches... je pense qu'il ne doit pas manger beaucoup de bonbons pour avoir d'aussi jolies dents.

Ils sont restés tout l'après-midi, ils nous ont parlé du racisme, on leur a montré nos exposés, récité nos poésies, et on a ensuite savouré le goûter.

Je pense qu'ils ont beaucoup apprécié cet après-midi avec nous... surtout le gâteau au chocolat recouvert de chantilly.

La fille la plus comblée ce jour là fut Camille, d'ailleurs à la sortie de la classe elle me dit :

« Merci ». Depuis ce jour, plus aucun acte raciste n'a été commis au sein

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Le destin d'un petit noir d’Alexia LE MENN - 16 ans

Comme chaque jour, Catherine, jeune veuve afro-américaine, emmena son petit garçon âgé de douze ans, au parc au bout de la rue où ils vivaient. Ce square était uniquement peuplé des familles les plus riches de Boston. Cependant, à cette époque, cela représentait presque uniquement les familles blanches d’Amérique et on voyait d’un mauvais œil qu’une femme noire, à présent veuve avec un enfant à sa charge, vienne tous les jours. Pourtant le défunt mari de Catherine ayant fait fortune dans les gisements pétroliers d’Afrique, il n'aurait jamais dû y avoir de différence, malgré tout cela il n’en était jamais autrement. Chaque début d’après-midi, Catherine arrivait portant à l’épaule gauche son sac de couture et de la main gauche tenant son fils. Il était jeune, mais le décès de son père, auparavant, l’avait rendu très mature pour son âge ; il était de couleur noire, ce qui lui rendait la vie difficile dans le monde blanc, dans lequel sa mère tenait à le faire évoluer. A l’école, il subissait sans cesse les critiques et parfois les coups de ses camarades de classe, malgré que tous soient instruits dans une école catholique privée prônant le respect entre cultures, religions et couleurs. Ce petit noir avait le regard franc et droit, il découlait de sa prestance une honnête et sincère envie de s’en sortir et de faire quelque chose de grand de sa vie, malgré l’oppression qu’il subissait à cause de sa couleur de peau. Cet après-midi là, ils arrivèrent tous les deux au parc St Martin, à 15 heures. Catherine s’installa sur son banc habituel, invita son fils à aller jouer, sortit ses affaires puis commença à tricoter l’écharpe sur laquelle elle travaillait depuis quelque temps. Son fils partit jouer pelle et seau à la main, pour faire des châteaux de sable. Après une heure de construction, son château commençait à prendre forme, il entreprenait la quatrième tour lorsqu’on vint l’importuner. Un groupe de quatre garçons petits mais forts, tous blancs et américains, écrasèrent l’un après l’autre les quatre tours

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qui composaient le château. Un des quatre garçons le regarda droit dans les yeux et lui dit sur un ton méprisant : « Eh le négro ! Qu’est-ce que tu fais là, on t’a déjà dit à l’école que l’on ne voulait plus te voir ici ! » Un autre ajouta :

« Retourne dans ton pays, sale négro ! » Et tous se regardèrent en rigolant et partirent, mais l’un d’entre eux se retourna et cracha sur les restes du château du petit noir, laissant celui-ci désespéré … Le petit noir connaissait ses quatre assaillants, ils étaient dans son école et se comportaient souvent ainsi à son égard … Le petit noir se releva, épousseta son pantalon. Il se dirigea vers le banc où se trouvait sa mère. Il s’installa auprès d’elle et lui demanda son goûter. Elle lui donna un pain au lait puis se remit à son tricot. Son fils commença à le déguster tout en regardant les autres enfants jouer dans les bacs à sable. Il devait être 17 heures de l’après-midi lorsqu’une petite fille et sa mère arrivèrent au parc. La fillette était noire et déjà très belle du haut de ses dix ans. Celle-ci s’installa sur une balançoire et commença à se balancer énergiquement. Le petit noir ne l’avait jamais rencontrée auparavant, contrairement à sa mère apparemment … Cette femme s’installa auprès de Catherine et toutes deux commencèrent à bavarder. Le petit noir observait la fillette et ne la quittait pas du regard, elle se balançait de plus en plus vite, de plus en plus haut, il avait l’impression qu’elle allait toucher les nuages. Les deux femmes lui proposèrent d’aller la rejoindre. Mais étant très timide, il resta là, à l’admirer. C’est à ce moment là que les quatre garçons qui l’avaient auparavant importuné, s’approchèrent par l’arrière de cette inconnue. Puis sous un air de déjà vu, l’un essaya de la pousser pour la faire tomber de la balançoire, mais il n’arriva pas à l’atteindre. Il réessaya et d’une main puissante, il la propulsa hors de la balançoire. Elle était tombée la tête en avant, son menton était écorché et ses deux mains saignaient, plein de petits graviers se mélangeaient à son sang et collaient à sa peau. Ces quatre petits américains n’en pouvaient plus de rire, cela en devenait étouffant.

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Ils étaient de plus en plus fiers de leur méchanceté envers la race noire … Mais ce qu’ils faisaient, pour la plupart ils ne le comprenaient pas ; enfin pas totalement … Chaque soir au dîner, les parents de ces quatre petits blancs, abordaient le même sujet : ils parlaient des noirs. Les noirs à cette époque n’avaient pas beaucoup de droits, ils ne pouvaient garder leur place dans un bus, ils devaient la céder à un blanc si celui-ci la demandait, ils exerçaient rarement des métiers à haute importance, ne pouvaient résider que dans les ghettos et les blancs ne leur accordaient que très peu d’estime. Ceux-ci les traitaient pour la plupart avec mépris, ce qui était le cas des parents de ces quatre garçonnets. Les enfants surtout à cet âge là sont assez influençables, ils écoutent ce que disent leurs parents et le répètent, ils observent ce qu’ils font et le reproduisent. Les quatre petits étaient dans cette situation mais ils étaient trop jeunes pour tout comprendre, ce qui provoquait certaines fausses notes dans leur comportement qui découlait de leur jugement. Le fils de Catherine avait accouru pour l’aider à se relever, il lui avait tendu son mouchoir blanc pour qu’elle puisse retirer moins douloureusement les petits cailloux qu’elle avait dans les genoux et essuyer son sang qui ne cessait de couler, quelques gouttes s’étaient réparties sur le sol. La fillette retenait ses larmes par fierté, elle avait mal mais ne voulait pas accorder à ses assaillants le plaisir jouissif de la voir pleurer. Le petit noir voulu se dresser devant ces brutes mais étant de morphologie et de taille nettement inférieur à eux, il resta figé devant eux, son esprit et surtout son cœur lui dictaient de s’opposer à eux mais son corps ne répondait pas à ses envies héroïques. Celui qui avait craché sur les décombres de son château le poussa de son chemin car il se tenait devant la fillette, il avança devant celle-ci d’un pas lent mais déterminé avec une très grande prestance. Il se baissa à son oreille et lui dit d’une voix douce mais pourtant si sarcastique :

« Pas trop douloureux j’espère … » Cette question rhétorique n’attendait pas de réponse, ce qui justifia le lourd silence de la fillette … Mais cela ne satisfit pas le garçonnet car il ajouta d’un ton dédaigneux :

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« Eh, la négresse, quand je te parle tu me réponds et tu me regardes ! »

Elle le regarda droit dans les yeux avec le plus de mépris possible, elle n’avait pas besoin d’ajouter mot, son regard dévoilait ses pensées. Elle se refusait à s’abaisser devant lui, sa force physique le rendait supérieur mais son étroitesse d’esprit le rendait inférieur, elle était très jeune mais des idées de boycott voyaient le jour en elle. Le garçon ne supportait pas qu’une noire ne s’abaisse pas devant lui, d’autant qu’elle était une fille, le sexe féminin étant considéré comme le sexe faible encore plus qu’il ne l’est aujourd’hui. La situation qui était en train de se créer indisposait de plus en plus ce garçon, ses nerfs qui lui permettaient de rester humble, allaient lâcher. Un de ses amis le prit par l’épaule pour l’écarter et ainsi lui éviter de perdre son sang froid. Le troisième garçonnet de ce petit groupe prit la parole et s’adressa au petit noir et à la fillette :

« Mais vous le faites exprès ? » Un silence suivi d’une incompréhension pesa dans l’atmosphère, il continua :

« On ne veut pas de noirs chez nous ! La race blanche n’a pas à être polluée par une race nettement inférieure qu’est la vôtre … »

Dans un élan d’héroïsme, le petit noir se leva d’un bond et voulu se jeter sur cet étrange individu qui tenait des propos racistes aussi délibérément… Il n’était pas un héros, il n’avait jamais voulu l’être mais en cet instant, il lui était poussé des ailes. Cependant, il retomba vite sur terre lorsqu’il sentit une jambe faire basculer la sienne ; le quatrième petit américain qui avait gardé le silence depuis le début de l’après-midi, venait de le faire s’écrouler dans les graviers pour l’empêcher d’atteindre son ami. Le petit noir était dans le même état que la fillette, son visage était entaillé, la peau s’était retirée à cet endroit, la plaie n’était pas profonde mais douloureuse, il n’aurait pas pu se relever et se servir de ses mains pour se défendre car ses paumes étaient profondément ouvertes. Tous les quatre se mirent à rire d’un rire sadique, puis disparurent en laissant là derrière eux leurs deux victimes. La fillette se mit à sangloter et laissa couler les larmes qu’elle retenait depuis le début

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par fierté, sur ses joues joufflues. Le petit noir la prit dans ses bras, il ne la connaissait pas mais il s’en voulait de ne pas avoir été assez fort pour se dresser devant les quatre garçons et de ne pas l’avoir protégée face à eux. La voix tremblante, il lui dit la tête baissée :

« Je suis désolé … - Pourquoi t’excuses-tu ?? » lui demanda-t-elle.

Un sentiment de honte vint saisir tout son être… Personne ne pouvait comprendre ou ressentir la honte qu’il éprouvait à ce moment précis. Il avait honte de se taire devant cette discrimination à laquelle ils étaient constamment confrontés. Ses nerfs, sous la pression de sa honte, lâchèrent. Elle s’approcha de lui, se servit du mouchoir qu’il lui avait proposé pour essuyer ses larmes, passa ses mains dans ses cheveux, les descendit en caressant son visage puis prit fermement son visage dans ses deux mains et lui dit, les yeux dans les yeux :

« Tu n’as pas à avoir honte ! C’est à eux de se remettre en question ! Leur ignorance et leurs jugements raciaux et discriminatoires les perdront, nous ils nous rendront plus forts… - Comment cela est-il possible ? Je n’ai pas eu le courage de m’opposer à eux… Je veux faire changer les choses et que notre race soit égale à la leur ; mais comment pourrais-je m’élever face à eux ?? - Nous sommes nés noirs, nous ne pourrons jamais rien y changer, mais nous pouvons changer nos destinées, à nous de tout faire pour que cela se réalise. »

Elle n’avait que dix ans, pourtant il y avait déjà dans son discours la maturité d’une femme, vouée à faire de grandes choses… Dans les yeux encore humides du petit noir apparut une lueur d’espoir, elle ajouta :

« Bats-toi, pour que plus jamais un homme blanc ne nous dise de nous abaisser devant lui… »

La nuit commençait à s’abattre sur la ville, c’est en cet instant que la mère de la fillette l’appela :

« Rosa ! Nous rentrons, il se fait tard, l’après-midi est à présent terminée. »

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Les deux se relevèrent pour rejoindre leurs mères respectives. « Oh mes pauvres enfants, dans quel état êtes-vous ! s’apitoya Catherine. - En effet regardez-vous, Rosa, dans quel état avez-vous mis votre jupon ? » s’énerva la mère de la fillette.

Les deux enfants baissaient leurs têtes pour éviter de devoir répondre à la question et avouer la situation si humiliante dans laquelle ils venaient de se trouver.

« Oh ces enfants toujours à chahuter ! » s’exclama l’autre dame en prenant sa fille par la main, « bonne soirée Madame Luther King » ajouta-t-elle, à l’adresse de Catherine.

Cette mère et sa fille partirent en direction de la grille d’entrée, mais Rosa se retourna une dernière fois pour observer ce petit noir qu’elle sentait voué à faire de grandes choses … « Au revoir, Madame Parks ! » cria au loin Catherine.

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Réflexion personnelle, vacances de Noël 2004 de Guillaume ROUBAIX - 16 ans

25 décembre 2004 (16h30) : Bonjour aux lecteurs qui tomberont sûrement par hasard sur ce carnet. Je m’appelle François et je suis en terminale S au lycée Paul Eluard de Boulogne Billancourt. Mais en réalité j’habite à Saint-Cloud, près du tramway. Je suis un adolescent a peu près normal. Si vous avez la chance de lire ces quelques lignes, c’est grâce à un conseil de mon meilleur ami qui pense que quand je ne me sens pas bien ou qu’il y a un problème quelque part, il faut que je le couche sur du papier. En l’occurrence, le problème c’est ma vie de tous les jours qui me donne un goût de déjà vécu. En voici un aperçu. Depuis mon entrée en seconde, je sors avec une fille très charmante qui s’appelle Mylène. Elle a un caractère très particulier mais je l’aime vraiment de mon cœur tout entier. Elle est également en terminale S mais au lycée Jacques Prévert de Boulogne Billancourt. Elle est très forte en classe. Tous les matins nous prenons le bus ensemble même si nos horaires sont différents. Malheureusement, peu de temps avant les vacances de Noël, il nous est arrivé une drôle d’aventure qui a fait remonter en moi des moments que je cherchais tant à oublier. Mais je ne vais pas gâcher une si belle journée de Noël en contant mes malheurs, je continuerai plus tard. 27 décembre 2004 (1h50 du matin) : Voilà, vous ne savez pas encore de quoi je veux parler mais sachez que cette histoire me tourmente tellement que je n'arrive plus à trouver le sommeil. Tout d’abord, un point important mais que vous ne pourriez pas deviner. Je n’ai pas toujours habité à Saint-Cloud. Je n’y suis arrivé que depuis mon entrée en seconde, en 2001. Auparavant, j’habitais à Aubervilliers dans le 9-3.

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Je vous avoue être un peu déboussolé et ne savoir trop par où commencer. Il me semblerait pourtant évident de commencer par l’aventure en cause de ce trouble. Bon, je me lance. Nous étions, le mercredi 15 décembre 2004, tous les deux, Mylène et moi, dans le bus pour aller en cours. Le trajet se passa bien, la surprise nous attendait à l’arrivée. En descendant du bus, Marion, la meilleure amie de Mylène qui est en terminale L, nous sauta dessus pour nous apprendre que Sébastien, son petit copain, était dans le coma depuis hier soir. Pourquoi ? Je ne le sus que le samedi 18. En fait le mardi 14, Sébastien et Marion étaient allés au cinéma. Puis après avoir raccompagné Marion, Sébastien est rentré en RER C où il se fit racketter à la sortie. Je ne sus jamais les circonstances exactes, juste que ses agresseurs étaient trois. Pour vous, le chiffre 3 n’évoque pas grand chose. Pour moi, il fait écho à un événement particulier survenu au cours de mon année scolaire de 3ème. Ce fut un moment difficile que je ne tiens pas à expliciter avant de dormir, je continuerai donc cette après-midi. 27 décembre 2004 (17h00) : Me voici réveillé après une longue nuit de sommeil très agité. Je ne sais toujours pas quels mots employer car je ne connais pas mon interlocuteur, après tout peut-être que je parle seul. Mais si quelqu’un parcourt ces pages, je le remercie de son attention car il me libère d’un sacré poids. Le souvenir douloureux précédemment évoqué me ramène à mon ancien lieu de résidence et à mon « ancienne vie ». A cette période j’étais au collège municipal Jules Vallès avec mon meilleur ami Stan. Juste un petit détail : sa couleur de peau était noire et il avait un petit frère et deux sœurs, tout comme Sébastien le petit ami de Marion. Mais le lien ne s’arrête pas là. Avec Stan nous étions très unis, toujours fourrés ensembles, deux vrais frères. D’ailleurs cette amitié en surprenait plus d’un.

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Seulement un jour, alors que j’attendais Stan à notre point de rendez-vous habituel pour aller au collège, il ne vint pas. De peur d’être en retard, je partis sans lui et faillis à notre devise : « Prestigieux ou Bouseux ! Mais toujours tous les deux ! » Ce jour là Stan arriva très en retard et avec un visage emprunt de tristesse mêlée à de la colère. Lors de la récréation j’allais le voir lorsque, me sentant approcher, il se retourna et me lança : « Toi et tes Blancs restez en dehors de tout ça. » Cela me choqua énormément venant de Stan. D’autant plus que l’après-midi, plutôt que de m’attendre comme nous en avions l’habitude après les cours, Stan partit tout de suite. Très naturellement je pensais qu’il était rentré chez lui, je décidais donc d’aller le voir pour avoir des explications sur ce qui c’était passé. Arrivé chez lui je tombai sur sa mère qui me dit qu’il n’était pas là, qu’il avait sûrement dû aller voir son frère a l’hôpital. C’était donc ça qu’il me cachait. Je n’étais pas sûr de devoir y aller, en raison de ce qui c’était passé le matin. Mais d’un autre côté une petite voix au fond de moi me disait : « Va le soutenir. » Dans ma détresse, je demandai à sa mère si elle pensait que je pouvais aller le rejoindre. Elle me répondit sans hésitation : elle pensait que c’était une très bonne idée et que Stan aurait besoin de mon soutien dans cette épreuve. Je mis du temps pour arriver à l’hôpital et sur le trajet j’étais très anxieux. Et si Stan était déjà reparti ? Et si ça l’énervait encore plus que je vienne ? J’en étais là de mes interrogations quand je me pointai à l’accueil. Les premiers mots qui sortirent de ma bouche furent : « Où se trouve la chambre de Sébastien Martineau ? » J’étais tellement pressé et stressé que j’en oubliais de dire «bonjour » et « s’il vous plaît ». Maintenant vous comprenez peut-être un peu mieux pourquoi le lien entre les deux histoires fut si évident et si troublant pour moi. Mais tout n’est pas encore dit.

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Dès que je sus le numéro de la chambre, 206 pour être exact, je m’y précipitai. J’entrai silencieusement, m’approchai de Stan, qui était au chevet de son frère, et lui posai la main sur l’épaule. Il se retourna, je vis qu’il pleurait. Il se leva et me prit dans ses bras en me disant : « Je n’aurais jamais imaginé que tu puisses venir après ce que je t’ai dit ce matin. Pardonne-moi » Et je n’eus qu’une seule réponse : « Tu es déjà pardonné. » Je pris une chaise et m’assis à mon tour au chevet de son frère. C’est alors que Stan commença à me raconter ce qui c’était passé. Mais je vais devoir attendre pour l’écrire, car ma main me fait mal à force de vouloir aller aussi vite que les souvenirs me reviennent. 28 décembre 2004 (11h30) : Les fêtes de Noël sont finies, le nouvel an approche et pourtant le tourment qui m’habite ne s’estompe pas. Je pleure souvent en repensant à ce qui va suivre alors ne m’en voulez pas si mon écrit devient quelque peu brouillon. Mais Stan, lui, devait être encore plus troublé que moi lorsqu’il me raconta ça. Nous étions donc tous les trois dans cette chambre, Stan jeta un regard à son frère et entama son récit. Pour tout vous dire, son petit frère était allé la veille prendre un cours de soutien chez un professeur particulier dans Paris, pour cela il avait du prendre les RER B puis C. C’est à la sortie du RER C qu’il s’était fait agresser par trois personnes qui voulaient lui racketter le portable que lui avait prêté sa mère en cas de besoin. Cette petite bande l’avait insulté et roué de coup, car il avait d’abord refusé. Et finalement, si son professeur, inquiet du retard de son élève, n’avait pas appelé la mère de Stan, son petit frère n’aurait sans doute pas été retrouvé à temps et les médecins n’auraient pas pu intervenir. Son petit frère se serait retrouvé en état de mort cérébrale. Stan tint également à me faire comprendre que même si son état était stable aujourd’hui, tout pouvait basculer demain ou un autre jour. A cela je ne trouvais qu’une réponse : « Il faut qu’on l’aide ! - Mais comment ?

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- Il faut faire bouger les personnes qui nous entourent pour lui. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés à attendre, il faut mettre toutes les chances de notre côté. » Stan me regarda d’abord avec des yeux ronds, puis il finit par me sauter au cou en me disant : « Mais oui tu as raison ! Tu es vraiment un frère pour moi. Que ferais-je sans toi ? » Ce fut là dessus que se termina notre visite du jour. Le soir même, après être rentrés chez Stan, on prépara plein d’affiches pour les coller dans le quartier. Ces affiches annonçaient une marche d’appel au calme contre ce genre de violences, qui était prévue deux jours plus tard. Le lendemain au collège, sur notre demande, la principale avait réuni tous les élèves pour qu’ils écoutent l’histoire de Stan et qu’ils préparent tous quelque chose pour la marche (pancartes, déguisements, slogans…) Pour l’instant notre action se déroulait à merveille. La veille au soir nous apprîmes même que France 3 île de France couvrirait l’événement. Malheureusement, le matin du jour de la marche, le bruit courait que l’état du petit frère de Stan avait empiré pendant la dernière nuit. Stan lui-même me le confirma. De plus, Stan commençait à douter que cette marche soit utile si son frère mourait. Je réussis à le convaincre en une seule phrase : « Peut-être, mais elle servira à prouver que nous sommes unis, prêts à tous nous entraider pour la cause des personnes en difficulté. » Et je retrouvai de nouveau mon Stan plein d’espoir en leader de la marche. Le soir après la marche, l’état de son frère s’était de nouveau stabilisé, ce qui nous rassura vivement. Tous les soirs nous rendions visite à son petit frère, nous restions là, à côté de lui, silencieux. Une semaine exactement après la marche, son frère sortit du coma et un mois plus tard il sortait de l’hôpital. Il fut accueilli en miraculé au collège, nous étions tous très heureux de son retour. L’histoire s’arrête ici. Par la suite, la vie reprit son cours, mais légèrement différemment : plus jamais l’un d’entre nous ne se déplaça seul. Du moins jusqu’à ce que je déménage.

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29 décembre 2004 (9h30) : Mon sommeil est à peu près redevenu calme, je me sens plus léger, vraiment libéré. Hier je n’ai pas eu la force ni le courage de conclure mais aujourd’hui je n’y manquerai pas. Mis à part Mylène, Marion et les lecteurs de cet écrit, personne ne connaît cette face cachée ou, du moins, personne n’y prête attention. Cette fois-ci pour aider Sébastien nous avons eu recours, sur les conseils de Mylène, à des moyens plus modernes. Entre autres nous nous sommes servis d’Internet pour lancer une multitude de débats dans divers forums. Et nous avons décidé que si Sébastien allait mieux, à la rentrée nous irions témoigner tous ensemble dans nos lycées respectifs. Mon récit et ma réflexion s’arrêtent ici, j’ai retrouvé ma voie et je me sens soulagé. Merci d’être allé au bout de ces lignes. Maintenant je vous laisse à votre libre arbitre ainsi qu’à votre réflexion personnelle.

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Souvenir d’une lutte de Sofia MLALA - 16 ans

Dans une belle et grande maison du quartier de Houghton à Soweto vit quelqu’un d’exceptionnel entouré de sa famille. Cette personne, qui a participé à l’une des plus grandes avancées humaines et a, pour cet idéal, donné 27 ans de sa vie à la prison, c’est Rolihahla alias Nelson Mandela. Le voilà assis dans le jardin avec son petit fils sur les genoux :

« Dis papy, c’est vrai que t’as été en prison ? - Oui, pendant 27 ans. - Comment c’était là-bas ? - Et bien, il y avait des gens gentils et d’autres un peu moins

gentils, et je m’y suis fait des amis. - Comment ils étaient tes amis ? - A vrai dire, j’avais deux très bons amis. L’un d’entre eux était

un gardien de la prison et l’autre était un prisonnier qui m’a beaucoup aidé à faire passer des messages à mes amis de l’extérieur. Nous avons vécu beaucoup d’aventures ensembles.

- Raconte-moi en une s’il te plaît ! - D’accord. Je vais te raconter la fois où nous avons essayé de

faire passer un message et que ça a failli mal tourner. En fait, nous étions à la cafétéria, pendant le deuxième service

et j’avais montré à mon camarade une lettre de recommandations, que je devais absolument faire parvenir à mes amis de l’ANC pour les aider à mettre fin à l’apartheid. Tu sais, c’est la loi qui disait que les blancs et les noirs devaient être séparés dans tout ce qu’ils faisaient. Il existait même des distributeurs pour blancs et pour noirs. Bien sûr, les blancs étaient toujours les mieux servis.

Bref, nous étions en train d’en discuter et de chercher un moyen de faire parvenir ma lettre aux membres de l’ANC. Joe my Baby - c’est le surnom de cet ami - m’avait parlé de ses complices qui surveillaient constamment la prison de l’extérieur.

Depuis des années, ils avaient établi un code secret et communiquaient ensemble pendant la pause après le déjeuner. Joe utilisait des miroirs de la fenêtre de sa cellule et à l’aide du code, il

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leur donnait une date et une heure pour un rendez-vous à un lieu qu’ils avaient fixé et qui ne changeait que si besoin était.

Nous décidions donc pendant le déjeuner de la date et de l’heure

que nous allions choisir cette fois-ci. Le lendemain, à 16h00, juste après l’atelier « cassage de pierres », nous devions mettre les draps sales à laver dans la laverie de l’aile Est de la prison, au sous-sol. Là, nous pourrions nous faufiler en douce pour aller porter la lettre à l’ami de Joe. Donc, après le repas, nous nous sommes séparés pour retourner chacun dans nos cellules qui étaient voisines.

Joe a donné rendez-vous à son ami le lendemain à 16h45, le temps que nous arrivions à l’endroit prévu.

Nous attendions le lendemain tout frémissants, forcément,

lorsque l’on veut faire un coup pareil en prison, c’est assez angoissant.

Lorsque le jour suivant se leva enfin, nous avions tout calculé pour ne pas se faire prendre. J’avais même pensé à des idées d’excuses que nous pourrions donner si ça ratait à un moment ou un autre.

Donc lorsque ce fut l’heure d’aller trier le linge à la laverie, nous commençâmes le travail comme tout le monde en sortant les draps propres des machines. Quand ce fut le tour des draps sales, nous nous faufilions dans les bacs à roulettes où ils étaient placés pour être acheminés vers l’endroit où ils devaient être lavés, dans l’autre laverie, celle de l’aile ouest.

Le plus difficile dans cette « mission » c’était d’être de retour avant l’appel de fin d’atelier. Nous avions demandé à quelques camarades de nous couvrir si un garde s’apercevait de quelque chose.

Nous partions donc en direction de l’aile Ouest cachés dans les bacs de draps sales. Je dois avouer que le voyage n’a pas été des plus confortables. Un peu avant d’arriver à la laverie, nous sommes sortis des bacs en essayant de ne pas être repérés.

L’étape suivante devait être la plus dangereuse. Nous devions traverser le couloir de la section B qui était le plus sécurisé de toute la prison, pour pouvoir atteindre un escalier de l’autre côté.

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Je demandais à Joe comment il comptait s’y prendre, et il me dit de ne pas m’inquiéter, un petit sourire aux lèvres.

Il tenait à la main un petit caillou qu’il avait gardé de l’atelier de 15h00. Il le fit glisser le long du couloir du côté où nous nous trouvions. Le caillou s’arrêta juste devant la porte d’une cellule et, comme s’il avait tout déclenché, l’homme qui se trouvait dans la cellule commença à crier. Il semblait être malade ou avoir une attaque. Je compris tout de suite le stratagème.

Pendant que plusieurs gardiens se dirigeaient vers sa cellule, Joe m’expliquait que c’était un vieil ami à lui et qu’il nous aidait à passer en faisant diversion. Joe avait vraiment beaucoup de relations et semblait maîtriser beaucoup de codes secrets.

Il traversa le couloir en premier mais un gardien, qui avait soit senti sa présence, soit entendu le bruit de ses pas, se retourna vivement et je ne pu aller plus loin. Le gardien se dirigeait dangereusement vers l’endroit où je me trouvais et je devais rapidement trouver quelque part où me cacher. Je trouvai finalement un renfoncement dans le mur qui faisait l’angle. Il était destiné au gardien de nuit je crois : il y avait une chaise. Je montai dessus et j’arrêtai de respirer tandis que le gardien suspicieux jetait un coup d’œil dans l’allée où je me trouvais.

Heureusement, il fut satisfait de ses vérifications une fois à quelques mètres de moi et repartit vers le faux malade. J’attendis quelques secondes et je rejoignis Joe aussi vite que possible de l’autre côté du couloir.

Nous nous pressâmes ensuite de descendre à l’endroit de rendez-vous. C’était un endroit assez sombre où il y avait un soupirail qui laissait entrer la faible lumière de l’après-midi. On pouvait à peine passer un bras par les barreaux et le soupirail était en hauteur.

L’étape suivante de l’expédition allait donc être de trouver de quoi atteindre le soupirail. Joe et moi réunissions et entassions des caisses et d’autres objets que nous trouvions ça et là. Une fois la pile faite et relativement stable, Joe entreprit de l’escalader. Une fois dessus, il entreprit de signaler sa présence à son ami avec son miroir de poche. Celui-ci lui répondit de la même manière, après

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quoi il s’approcha pour récupérer la lettre et donner des nouvelles de l’extérieur.

Une fois l’échange d’informations fini, nous essayâmes de remettre les lieux en ordre mais je fis tomber un objet dans un grand fracas. Nos souffles s’arrêtèrent. Nous croyions être sauvés mais des bruits de pas se firent entendre, le bruit très reconnaissable des chaussures en cuir des gardiens. Tandis que l’ombre de l’homme se dessinait sur le mur d’en face, nous cherchions un endroit où nous cacher, mais il n’y en avait aucun ! Je cherchais donc une excuse qui tiendrait la route dans de telles circonstances, parmi toutes celles auxquelles j’avais pensé pendant la nuit. Je n’en trouvais pas, et le garde se rapprochait de plus en plus pour enfin nous faire face.

Lorsque nous vîmes son visage, nous fûmes tout de suite rassurés. C’était James Gregory, l’autre très bon ami dont je te parlais.

Il nous demanda ce que nous faisions là et nous lui expliquâmes que nous avions un message urgent à faire passer. Il était parfaitement au courant de la cause que nous défendions et il était aussi pour la fin de l’apartheid, je savais donc qu’il nous soutiendrait.

Nous vîmes qu’il ne nous restait plus que dix minutes avant l’appel de fin d’atelier, ce qui faisait dix minutes pour retraverser toute la prison, chose que nous avions faite en quinze minutes juste avant. James se proposa pour nous aider.

Il décida de faire diversion pendant que nous traversions le couloir B. Après cela, il nous rejoignit et nous escorta jusqu’à notre atelier où tout le monde nous attendait, l’appel étant fini. James dit alors aux autres gardiens qu’il avait dû nous accompagner à l’infirmerie à cause de douleurs au ventre. Grâce à lui, nous sortîmes sains et saufs de cette histoire.

- Waou ! Tu étais un grand aventurier ! Et tu as dû refaire ça plusieurs fois ?

- Oui, pas mal de fois mais ça n’a pas toujours été aussi dangereux et puis au fur et à mesure que les années passaient nous avions de plus en plus d’amis et de relations dans la prison.

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- Comment tu as fait pour devenir président alors que tu as fait de la prison pendant 27 ans ?

- J’ai simplement suivi mes rêves et mes convictions jusqu’au bout et je me suis battu contre tous les gens qui s’y opposaient. Lorsque l’on croit vraiment en une chose et que l’on a la volonté de l’accomplir, rien n’est impossible. La preuve en est, l’apartheid a été aboli et l’Afrique du Sud est devenue un état métissé. Si ce n’est pas un rêve réalisé ça… »

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Tchadri d’Héloïse AMILCAR - 16 ans

« Race : Division de l’espèce humaine fondée sur certains caractères héréditaires, physiques et physiologiques.

Racisme : Théorie de la supériorité de certaines « races » sur les autres, ségrégation entres « races inférieures » et « races supérieures ». »

Voilà la manière dont je comptais commencer mon article sur

les femmes en Afghanistan. Je n’étais pas très emballée, je ne me sentais pas le cœur d’une fervente militante féministe, mais le sort de ces femmes éveillait tout de même en moi un vague sentiment d’indignation, en étant moi-même une. Toutefois, mon copain n’était pas assez méchant avec moi pour que j’aie quelque chose à redire, alors… A vrai dire, je pensais plutôt à la colère de mon patron quand il saurait que je ne l’aurai pas fini à temps pour l’édition du mois de Mars.

C’est alors qu’une vague connaissance à moi me parla d’un congrès sur la situation politique en Afghanistan, suite à la destruction par les talibans des statues des bouddhas de Bamiyan, et qu’il y aurait sûrement un débat sur la condition des femmes là-bas.

Je n’étais vraiment pas emballée, j’aurais préféré faire un article sur la fabrication des rouges à lèvres G… ce n’est pas une blague, j’ai toujours voulu travailler dans la mode.

Le destin en a décidé autrement, et je lui en suis reconnaissante, car sans lui je ne me serais jamais réveillée de cette profonde léthargie que j’appelais « vie ».

Donc, j’allais à ce congrès sans grande conviction, et j’assistais au débat sur la politique et sur la condition des femmes. Je devisais gaiement avec une jeune fille de type arabe à côté de moi, car je m’ennuyais ferme, je dois bien l’avouer. Nous sortîmes de la conférence en pouffant de rire, et nous nous arrêtâmes sur un banc, pour parler plus sérieusement. Je m’étonnais de voir une fille aussi jeune ici, à cette conférence. Elle me répondit qu’elle était Afghane.

C’est alors que mon « flair » de journaliste se déclencha : peut-être accepterait-elle de m’aider pour mon article ?

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Nous commençâmes donc réellement les présentations. Elle s’appelait Sophia, avait 19 ans, habitait la France depuis deux ans, et était très fière de ce prénom car il symbolisait pour elle la pionnière du visage découvert : Sophia Nezani, fille d’un prince afghan et d’une française qui, bientôt suivie par sa petite sœur Nasreen, rêvant d’émancipation, sortit de sa « prison de tissu » et retira son tchadri en Septembre 1959.

Cette petite était très jolie ; elle avait de longs cheveux bruns, le teint mat, des yeux d’un brun si profond qu’ils en paraissaient noirs, un sourire magnifique et un accent chantant, mais nullement dérangeant. Un blanc s’installa car je pressentais que derrière un sourire éclatant, se cachait un passé plutôt sombre. Je sortis mon dictaphone et, de manière très professionnelle, pris aussi un bloc-notes, ainsi que ma voix la plus solennelle.

« Sophia. Vous avez 19 ans. Permettez-moi de vous demander les raisons de votre arrivée en France » dis-je, le plus sérieusement du monde.

Je sus que mon profond ennui dans la vie allait commencer à se dissiper. Inutile de me demander pourquoi. Peut-être un relent de féminisme ancré dans ma mémoire…

« C’est très solennel tout ça, répondit-elle, toute nerveuse, en me scrutant. Tu sais, c’est assez compliqué, et un peu long. Je risque de te faire un monologue, expliqua t-elle un peu plus confiante, je ne veux pas que tu perdes ton temps !

- Ah, mais tu sais que je n’ai absolument rien à faire, là, tout de suite. Un peu d’altruisme n’a jamais fait de mal, surtout de nos jours. Alors vas-y, je t’en prie, je t’écoute » ajoutais-je, un grand sourire aux lèvres, en agitant mon dictaphone sous son nez.

Elle baissa la tête et je vis alors de légères cicatrices roses au-dessus de son crâne. Je ressentis une légère appréhension, je n’étais plus sûre de vouloir continuer.

« Et ton copain… il ne va pas t’attendre ? » demanda la jeune fille, qui paraissait être une petite fille maintenant.

« Non, il peut attendre. On est un couple très libre, tu sais… - La liberté… » m’interrompit-elle. « Tu sais que je l’ai perdu chez moi la liberté ? Tu sais qu’il n’y a qu’ici

que je vis normalement ? » Je fis non de la tête.

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« Je vais te raconter ce qui m’est arrivé, j’ai confiance en toi, je ne sais pas pourquoi… »

Et elle me raconta sa vie là-bas, sans fioritures ou marques un peu trop

appuyées d’émotions, sobrement, mais la douleur et la souffrance pourtant palpables dans son discours, toujours omniprésentes dans son esprit.

Sophia grandit à Kaboul, dans un joli appartement avec ses parents, elle était fille unique. Son père était professeur à l’université, et sa mère, infirmière. C’était une jeune fille très normale, à part qu’elle vouait une passion incommensurable aux Beatles ; elle voulait d’ailleurs travailler dans le monde de la musique plus tard, et qui plus est, jouait parfaitement bien du piano. Elle me décrit la période de sa vie avant les talibans comme heureuse et insouciante « une vie d’adolescente, quoi ». Quand ces hommes sont arrivés au pouvoir, les femmes en ont été ravies au départ car elles s’attendaient à plus de sécurité les concernant. En effet, il était fréquent qu’elles se fassent agresser dans les rues de Kaboul. Comme nous le savons, elles ont en effet été plus que bien protégées. Bref, à l’automne 1996 (à l’arrivée des Talibans au pouvoir), les contacts hommes-femmes dans le travail furent restreints à l’inexistence, et les droits des femmes mis aux oubliettes. La ségrégation commença : la mère de Sophia, ainsi qu’elle-même, durent se mettre à porter le « masque de tissu, une horreur trop chaude ou trop peu épaisse », le fameux tchadri, à sortir accompagnées au moins d’un homme dans la rue, et Sophia n’avait plus le droit d’aller à l’école. Son père, en tant qu’enseignant, fut ulcéré quand il apprit la nouvelle, il mit en place avec quelques collègues une « école clandestine » où des filles pourraient quand même avoir leurs cours et le niveau requis pour suivre à l’université. C’est par ces cours, parfois faits par son père ou ses collègues, que ses ennuis arrivèrent. « Remarque, je ne regrette rien de tout ce que j’ai pu faire à cette époque-là. Tu sais, on était jeunes, on s’emballait facilement et en plus, on avait des raisons valables pour se révolter… Je regrette juste ce qu’il lui est arrivé, elle ne le méritait pas ».

Sophia rencontra une jeune fille tout à fait charmante : Soraya. C’était le genre de fille espiègle, très sociable, intelligente, à qui on aurait pu donner le bon Dieu sans confession : un démon vêtu comme un ange. Elles devinrent rapidement amies et avaient les Beatles en passion commune. Soraya, un jour, comme à son habitude bavarde comme une

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pie, racontait à Sophia que dans le centre ville existait une boutique pleine de vieux vinyles, dont ceux des Beatles et elle connaissait le vendeur. Sophia, un peu plus terre-à-terre que Soraya lui répondit, tout en chuchotant pour ne pas se faire remarquer :

« Je vois où tu veux en venir, c’est non, personne n’acceptera de nous accompagner là-bas et…

- Qui te parle d’y aller accompagnées ?… Allez, viens, on verra le jour au moins ! Ce serait notre premier acte révolutionnaire ! Fais-le pour Paul ou Ringo au moins ! Je suis sûre qu’ils apprécieraient ton geste ! » rétorqua le visage malicieux de Soraya.

Sophia soupira et continua d’écrire sa leçon. Elle savait de toute façon qu’elle finirait par accepter, elle trouvait sa condition injuste, et pathétique le fait de se cacher, aussi bien sous un tchadri que pour étudier, et puis elle était jeune ! Elle ne pouvait pas vivre librement, alors autant faire des bêtises, quitte à prendre ses responsabilités après, et puis elle ne risquait pas grand-chose, elle était jeune.

Les deux jeunes filles s’entraînèrent alors à braver le couvre-feu des talibans et y arrivèrent. Au bout de deux mois, leur plan pour y aller était fini : elles attendraient que le soleil se couche, sortiraient par des petites ruelles et trouveraient la boutique, ainsi que le vendeur qui leur ouvrirait sans problème. Sophia décida même d’y aller sans tchadri. Soraya, elle était plus réticente puis se ravisa « tu as raison, nous sommes libres, on s’en fout de ces hommes qui ont si peur de nous qu’ils n’ont pas trouvé de meilleurs moyens de lutter contre leur peur que de nous séparer d’eux ! »

Le grand soir arriva. Sophia descendit de sa chambre « comme dans les films, avec mes draps noués entre eux, c’était très drôle à faire » et rejoignit Soraya un peu plus loin de chez elle. Elle habitait une très jolie maison, remarqua Sophia, elle aperçut l’intérieur de la chambre de Soraya, éclairée par une petite lumière, et vit les murs recouverts de posters… de Madonna. Sophia déglutit difficilement. Elle se sentit d’un coup très stupide, ainsi le soir avec cette fille dans la rue, et aussi très vulnérable par rapport aux dangers que représentait le manquement au couvre-feu.

« Ça t’as servi à quoi de me mentir ? Ca t’a fait rigoler ? Tu t’es sentie plus forte, c’est ça ? Tu…

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- Ecoute, on ne va pas en faire une montagne. Tu l’aurais fait, Beatles ou pas, maintenant tu assumes tes actes. Moi aussi j’ai peur, je suis tétanisée… »

« Ses mains tremblaient et pour la première fois elle me laissait voir une partie de sa véritable personnalité, et je me suis sentie rassurée. On était dans une sale situation, mais nous étions deux ».

« … Alors ta morale, tu te la gardes. Soit tu viens avec moi, et dans ce cas tu fais un joli pied de nez à ces ordures, ou tu restes chez toi, et tu finiras vieille fille avec tes parents vieux et gâteux, et tu leur tricoteras des jolis pulls, en écoutant « Let It Be » comme une pauvre malheureuse jusqu’à la fin de ta vie à cause des talibans. » Ces paroles avaient touché Sophia plus qu’elle ne le voulait et toutes deux, à visage découvert, partirent vers le magasin de disques.

When I find myself in times of trouble Mother Mary comes to me Speaking words of wisdom “Let It Be” Elles y arrivèrent enfin, sans avoir échangé beaucoup, elles avaient trop

peur d’être repérées par les gardes. Elles virent la grande enseigne en néons lumineux bleus « Planet Music ». Elles se collèrent toutes les deux à la vitrine, et Sophia n’avait jamais vu autant de vinyles sur les Beatles. Elles se regardèrent toutes les deux et se mirent à rire. Soraya se décolla de la vitre et tourna sur elle-même en riant. On aurait dit qu’elle était possédée, sûrement par le démon de la liberté… Sophia commençait maintenant à s’inquiéter, Soraya faisait du bruit et il n’y avait aucune trace de vendeur dans la boutique. Sophia se mit alors à ressentir un horrible sentiment de peur. « Soraya était du genre imprévisible, tu vois, elle voulait juste vivre à cent pour cent, et se battre contre le racisme ambiant là-bas ».

« Eh, il est où ton vendeur ? demanda Sophia, le cœur palpitant. -Y en a pas, gloussa Soraya, j’ai dit ça au hasard, je savais juste qu’il y

avait ce magasin. » Et d’un seul coup, si vite que Sophia ne put l’en empêcher, elle se jeta

dans la vitrine en criant « On est comme eux ! » Le bruit, bien évidemment, alerta les hommes. Sophia entra à l’intérieur du magasin pour trouver Soraya. Elle était vivante, un peu sonnée mais plutôt en bon état ; elle se leva en titubant avec l’aide de Sophia. Sophia vit alors le

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regard de Soraya : un regard de haine et de peur, et puis elle se baissa et rapidement frappa la jeune fille à la tête avec un bout de vitre de la vitrine. Sophia s’évanouit sur le coup.

« Je me suis réveillée le lendemain chez moi. Je n’étais accusée de rien, mon père avait des amis influents, mais il ne réussit pas à sauver Soraya. Elle était accusée de tentative de meurtre sur ma personne et de vandalisme… et aussi d’être née femme. Elle était condamnée à mort le surlendemain, sur une place du centre ville pour l’exemple. On l’a pendue, à la barbare. Le plus surprenant c’est qu’elle avait l’air totalement détendue, elle fredonnait Let It Be tandis qu’on lui accrochait la corde au cou. Quand on lui a demandé quels étaient ses derniers mots, elle a répondu : « Je vais être banale, j’aimerais l’égalité dans le monde. »

Pour ma part, ma vie devint difficile, en plus d’avoir à porter le deuil, mon père était sous surveillance et ma mère reléguée au foyer. Ils ont décidé alors de m’envoyer en France, où je serais en sécurité. Le pire c’est que c’est grâce à elle que je te parle maintenant. Elle m’a frappée pour porter le chapeau toute seule. Voilà, tu sais tout maintenant » dit-elle en me fixant.

J’étais totalement abasourdie par cette histoire qui faisait totalement

cliché, voire inventée. Mais ses yeux remplis de larmes me dissuadèrent d’exprimer mes pensées à voix haute. Une larme coula sur le banc.

« Je sais, ça à l’air incroyable, mais je t’assure, les Hommes sont assez bêtes pour se bouffer le nez pour une histoire de couleur, d’origines, de sexe, de préférence sexuelle… c’est dans leur nature » fit-elle d’une voix étrangement calme pour le flot de larmes qui se déversait de ses yeux.

« Je te crois. Je pense que chacun d’entre nous à déjà vu des cas de racisme. Mais je pense aussi, car je pense beaucoup, dis-je pour essayer de la faire sourire, qu’on ne peut rien y faire, c’est les inégalités, il y en aura toujours tu sais, c’est comme les religions, vaut mieux ne pas s’y aventurer… et je ne me vois pas dédier ma vie à une cause perdue d’avance, expliquais-je, tout en rangeant mon dictaphone et mon bloc-notes.

- Je ne dis pas que tout le monde devrait se prendre par la main non plus, on ne vit pas dans une utopie, mais on pourrait respecter… Les Talibans auraient pu nous respecter, ils auraient pu respecter Soraya, nous permettre de vivre normalement. Vis ce que j’ai vécu et après tu réviseras

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ton jugement. Si ça se trouve je suis raciste moi aussi. Mais qu’avec les Françaises, parce que je les trouve arrogantes et je n’aime pas leur couleur de peau. Toi tu peux être raciste avec les Afghanes car tu nous trouves passives et soumises, car tu ne connais pas l’inégalité et tu n’aimes pas nos cheveux. Tu sais, on trouve des tas de raisons au racisme, alors je trouve ça un peu égoïste ce que tu dis, c’est un discours de quelqu’un qui à toujours été choyé et respecté » répliqua t-elle, sans méchanceté aucune dans la voix.

Nous nous quittâmes un peu plus tard et nous devinrent amies. Mon

article fit sensation, mon patron me félicita, il m’avoua qu’il avait jusqu’à présent trouvé mes articles passablement barbants. J’en fus ravie.

Je réfléchissais souvent à cette conversation avec Sophia et je réalisais que j’avais envie d’aider ces femmes et d’autres personnes victimes de ségrégations ou de racisme. Je ne savais pas où ça allait me mener mais certainement plus loin que ce minable emploi de chroniqueuse dans la gazette du coin.

Je n’avais pas trouvé de réponse pour lutter contre le racisme, il est

différent suivant une personne à l’autre, et ce qui m’a réconfortée c’est que chacun est un petit peu raciste au fond de lui, puisque chacun à des préjugés. Ouf ! Je ne suis pas la seule à en avoir ! ! Mais je restais par contre persuadée que je me battais pour une cause indéfiniment perdue d’avance. Quand je restais fixée sur cette idée, j’avais sans cesse à l’esprit l’image que je m’étais faite de Soraya et la chanson « Let It Be ».

And in my hour of darkness Jesus standing right in front of me Speaking words of wisdom “Let It Be” There will be an answer “Let It Be”.

Fin

Paroles de chanson: Let It Be –Beatles

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Un Univers de diversités de Chloé LEVET-IENCO - 16 ans

Tout commence à la nuit des temps, où les astres se forment, où l'univers entame son existence et où les planètes choisissent un soleil autour duquel graviter. Tout était en mouvement, plusieurs explosions retentissaient faisant jaillir d'énormes cailloux, bleus, gros, petits, lumineux et l'on en voyait même certains portant des anneaux autour d'eux. C'était une symphonie de BIG et de BANG !!!

L'infiniment grand à l'infiniment petit venait de se créer ; c'était un univers immense, sombre et lacunaire. Dans ce résultat de BIG et de BANG, plusieurs familles se formaient grâce à certaines similitudes et caractéristiques qui étaient propres à chacune d'elles ; certaines s'appelaient astres, d'autres planètes, soleils ou encore étoiles. Mais une ne trouvait pas sa place, un être solitaire, triste et sombre dont personne ne voulait ou n'osait s'approcher, comme si cet être était une anomalie dans la masse.

Une étoile la surnomma "Lune" car elle était terne, cabossée et froide. Ce nom lui colla à la "peau" car il fut repris par tous pour nommer cette "anomalie". La Lune était donc délaissée, solitaire, malheureuse et surtout très, très seule. Elle décida donc de partir. Et elle erra dans les galaxies les plus lointaines du cosmos, afin de trouver sa place...

Puis un "jour" la Lune fatiguée, à bout de force à cause d'errer sans cesse, arriva dans un "pays" appelé "Voie Lactée". À sa venue, la Lune provoquait toujours les mêmes réactions hostiles à la vue de ceux qui la croisaient. Cela ne l'attristait plus, elle s'y était habituée maintenant, alors elle chercha un coin dans la matière lacunaire où elle pourrait se reposer quelque temps.

La Lune dormit longtemps, longtemps... jusqu'à être réveillée

par un mouvement et une agitation inhabituels provenant de la famille des planètes. La Lune s'approcha discrètement pour voir la raison de cette agitation. Alors là, elle vit une chose qu'elle n'avait encore jamais vue : une planète bleue, avec de drôle de croûtes, qui

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était peuplée de centaines de créatures rouges à quatre pattes et à queues fourchues, tenant des fourches. Elles avaient au moins la taille de 4 étoiles !! Et on pouvait les voir, avec leurs fourches, en train de creuser cette planète, certainement dans le but d'atteindre son noyau pour la détruire. La Lune entendit les autres planètes affolées dire : « La Terre est malade !! La Terre est envahie !! »

La Lune pensa alors que cette planète, qui s'appelait Terre, devait vraiment souffrir car elle faisait des rotations sur elle-même à grande vitesse. La Lune réussit même à avoir de la pitié pour cette planète alors que personne n'en avait jamais éprouvé pour elle-même. En restant à l'écart du groupe de planètes qui s'étaient réunies pour mettre au point un plan, la Lune décida de rester en Voie Lactée pour attendre la suite des évènements.

On décida d'une première tentative lancée par le seigneur Soleil, afin de délivrer la Terre. Alors le Soleil s'élança au devant des créatures dans l'espoir de les brûler de ses rayons lumineux et brûlants. Mais c'était peine perdue, les créatures gardèrent les flammes autour d'elles qui au lieu de les brûler, leur faisaient un bouclier les rendant encore plus terrifiantes et dangereuses. L'une des créatures, qui semblait être le chef, alla même jusqu'à dire au Soleil : « Merci seigneur Soleil, vous venez de nous fournir une nouvelle arme ! Ah ! Et j'allais oublier, je ne me suis pas présenté, je suis le roi Satan et voici mes diables ! »

Satan finit sa phrase dans un rire qui fit frissonner toute la Voie

Lactée. Les planètes se réunirent en conseil de guerre, encore une fois, et proposèrent une attaque massive de toutes les planètes sur Satan et ses diables. La Lune, qui était restée de côté, se jeta en avant dans un élan impulsif et proposa son aide. Les étoiles la dévisagèrent du Nord au Sud, d'Ouest en Est et lui dirent : « Tu ne fais pas partie de notre race, tu n'as rien de commun avec nous, tu es criblée d'impacts, petite et moche ! Vas-t'en, nous n'avons pas besoin de ton aide, cela ne te regarde pas, c'est une affaire entre habitants de la Voie Lactée !! » La Lune, abasourdie, touchée au plus profond de son noyau par les paroles qui avaient été proférées envers sa différence et son origine, se sentit exclue une « année lumière » de plus.

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Tandis que les planètes menaient leur attaque, la Lune ne pouvait s'empêcher de penser à la Terre qui était en train de souffrir tout comme elle ; alors que la Terre vivait une souffrance extérieure, la Lune, elle, vivait une souffrance intérieure tout aussi douloureuse et poignante.

Pendant ce temps les planètes chargeaient de toute leur puissance sur les diables. Malheureusement, les planètes qui étaient bien trop grosses et donc trop visibles échouèrent en beauté! Certaines d'entre elles avaient été blessées, brûlées ou même enfourchées par les diables. Le bilan était désastreux ! Les planètes, affaiblies par leur défaite et affectées de voir leurs sœurs blessées, ne savaient plus quoi faire. La Lune, noble de « noyau », éprouvait de la peine pour ces planètes, malgré les insultes qu'elles avaient proférées à son encontre.

Alors la Lune décida de réitérer son offre et argumenta que comme elle était plus petite et donc pour le coup moins visible, les diables auraient plus de mal à la voir. Les planètes, à contrecœur et en désespoir de cause, acceptèrent son offre. La Lune, encouragée par cette première victoire, était prête à mener le combat.

Il avait été décidé que la Lune resterait à l'arrière pour créer un effet de surprise. Et l'attaque fut lancée! Alors que les planètes se démenaient face aux diables, la Lune, pleine de combativité arriva par surprise. La Lune, qui était plus petite que les planètes, ne s'en trouvait que plus habile et plus rapide ! Elle écrasa les diables qui essayaient en vain de se défendre avec leurs flammes et leurs fourches. Satan, voyant ses diables massacrés, tenta une dernière action désespérée en lui jetant toutes ses flammes. Mais c'était peine perdue, les flammes n'étaient d'aucun effet sur la Lune qui était plus froide que les planètes.

Et c'est ainsi que la Lune envoya « valser » Satan et ses diables dans un éclair tourbillonnant, libérant ainsi la Terre de ces êtres malfaisants. La petite histoire dit que Satan et les diables arrivèrent dans un univers lointain appelé « l'enfer »...

Après la victoire, la Lune exténuée alla partager sa joie avec les

autres planètes. Mais les planètes reprirent aussitôt envers elle un comportement hostile. La Lune « bouche bée » allait exploser de

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rage et de peine. « C'est trop injuste !! Après l'aide que je leur ai procurée elles ne trouvent qu'à m'insulter de nouveau ! Elles se sont servies de moi ! » se disait-elle. La Lune prête à s'enfuir fut retenue par une voix à la fois puissante et chaude qui disait : « Vous êtes méchantes, stupides et racistes ! Vous ne voulez pas l'accepter sous prétexte qu'elle est différente et qu'elle ne vient pas d'ici ! Vous vous êtes servies d'elle puis vous l'avez rejetée de nouveau ! »

La Lune se retourna pour voir la « personne » qui venait de parler et tomba nez à nez avec le seigneur Soleil. Elle vit aussi, sur le visage des planètes, s'inscrire la honte et à la fois la surprise suite à la réaction de leur seigneur.

Les planètes, touchées à vif par les réprimandes du Soleil, se retournèrent vers la Lune et lui dirent : « Il est vrai que nous avons été injustes avec toi ! Accepte nos excuses. Nous te promettons de faire évoluer nos mentalités. »

La Lune n'entendit leurs excuses et leur grande promesse que d'une « oreille », car elle, elle ne voyait que 1'être qui avait pris sa défense comme aucun être ne l'avait fait encore pour elle depuis sa naissance. Et cet être s'appelait SOLEIL.

Et depuis ce temps là, la Lune s'associa au Soleil. Il était beau,

elle était courageuse, il la fait rayonner de ses rayons et elle le rejoint de temps en temps, pour l'aimer, provoquant ainsi des éclipses.

La Terre quant à elle, sauvée de justesse, fut pansée avec une chose appelée « la végétation » grâce à laquelle elle retrouva ses formes, malgré quelques bosses encore présentes de ci de là.

De 1'union du Soleil et de la Lune naquirent les humains, qui

peuplèrent la Terre afin de finir de panser ses plaies. Ces humains se voulaient tous différents mais à la fois divers et égaux car ainsi l'avaient voulu le Soleil et la Lune pour faire taire les injustices.

Aujourd'hui, au XXI ème siècle de notre ère, le Soleil et la Lune

se désolent, les humains rouvrent les plaies de la Terre et le racisme fait persister les inégalités...

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La question qui se pose à nous maintenant est la suivante :

« attendrons-nous la fin du monde pour enfin découvrir que nous sommes tous égaux ? » Les diversités font notre force. L'Egalité, 1'Union, la Tolérance, le Respect d'autrui sont les mots qui nous feront avancer pour un monde et un avenir meilleurs....

La Lune et le Soleil pourront-ils êtres fiers de leurs enfants ? ?

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Nota bene. L’ensemble des textes des nouvelles éditées dans ce recueil a été corrigé uniquement au niveau orthographique et de la conjugaison. Les formes grammaticales et les formulations n’ont pas été modifiées pour respecter l’authenticité du texte et la pensée de l’auteur.

Les lauréats :

1er Théo AMPILHAC, 17 ans : « Ils ont tout cassé »

2ème Alyson DECALONNE, 17 ans :

« Confessions » 3ème Mylène LANCINO, 16 ans :

« Journal de bord d’un extraterrestre » 4ème Léopoldine LITCH, 15 ans :

« Chansons » 5ème Chloé LEVET-IENCO, 16 ans :

« Un univers de diversités » 6ème Khadija ANDJAR, 17 ans :

« Du rêve à la réalité »

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Remerciements. Nous remercions pour leur précieuse contribution à la réalisation de cet ouvrage et de façon plus globale pour l’ensemble de cette action de sensibilisation et d’expression autour du racisme : - Madame la Proviseure du lycée Paul Langevin et toute l’équipe éducative, - Tous les membres du jury, - La Ville de Suresnes,

La médiathèque de Suresnes, Le Suresnes Magazine,

- La librairie « Book’n Co » Pour l’initiative et l’organisation : - Le Point d’Information Jeunesse Payret de SIJ, « Nous félicitons et remercions tout particulièrement les 11 auteurs des nouvelles qui nous ont fait partager leurs réflexions riches d’émotion, de création, d’imagination et d’originalité. »

Suresnes Information Jeunesse.

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Cet ouvrage est un recueil de nouvelles écrites par 11 lycéens âgés

de 15 à 17 ans, du Lycée Paul Langevin de Suresnes, à l’occasion d’un concours de nouvelles sur le thème du racisme initié par une association locale , Suresnes Information Jeunesse.

Extraits de la nouvelle gagnante : « Ils ont tout cassé ! Ma belle, ma jolie tombe ! Voila dix ans que je

vis ici, dans ce sarcophage de marbre.(….) (….) A vrai di re, la vie i ci n’est pas si ennuyeuse que ça, nous

retrouvons des vieilles connaissances et nous parlons beaucoup. Nous avons tous de longues histoires à raconter, la famille, les expériences, la guerre aussi, car nous l’avons tous vécue, ou presque tous. (….) (….) Dans l’humidité du caveau nous avons opté pour une solution paci fiste, il fallait prendre contact avec ces mal frats saccageurs de tombes… »

Extrait de la lettre du 12 Octobre 2004 : Chers messieurs… A la suite des différentes dégradations (tags et autres peintures symboles d’une idéologie dépassée) effectuées dans la nuit du 10 septembre 2004 dans notre cimetière, nous vous demandons non seulement un remboursement des dégâts occasionnés, mais encore une réflexion sur la tolérance […] En espérant avoir fait naître en vous de sincères regrets, nous vous saluons chaleureusement. Mrs. Cohen, Abraham, Simon…

(….) Mais ce matin, j’ai reçu une lettre bizarre. Je suis allé la montrer à mes potes et au début, on a tous cru à une blague... On était pourtant sûrs que personne ne nous avait vus, et puis même si on s’était fait voir, on nous aurait au moins dénoncés à la police. Une lettre pour nous dire de réfléchir…