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ARTICLE IN PRESS Modele + Journal de Radiologie Diagnostique et Interventionnelle (2014) xxx, xxx—xxx LETTRE / Digestif Embolisation artérielle et hémorragie intrapéritonéale idiopathique spontanée : étude d’un cas et revue de la littérature Mots clés : Rupture de l’artère rectale supérieure ; Apoplexie abdominale ; Hémorragie intrapéritonéale idiopathique spontanée ; Hémopéritoine ; Embolisation artérielle par cathétérisme Cas Un homme âgé de 64 ans s’est présenté au service des urgences de notre centre de soins tertiaires en rai- son de douleurs du bas abdomen. Le patient décrivait l’apparition subite d’une gêne sous-ombilicale 6 heures avant l’admission, avec progression de la douleur et deux épisodes de syncope spontanément résolutifs. L’anamnèse n’a pas retrouvé de fièvre, de frissons, de nausées, de vomis- sements, de diarrhée, rectorragie, de méléna, de dysurie ou de prise de stupéfiants. Les antécédents médicaux ont révélé un cancer de la prostate traité par prostatectomie radicale par laparotomie 10 ans auparavant, sans radio- thérapie. Le patient était normotendu mais tachycarde à 107 bpm. Le bilan biologique indiquait une hémoglobiné- mie à 124 g/L, une numération leucocytaire à 12,2 G/L, un INR de 1,1, et un ionogramme et des explorations fonc- tionnelles hépatiques dans les limites de la normale. Une tomodensitométrie multidétecteurs (TDM) avec injection de produit de contraste iodé a révélé la présence de liquide intra-abdominal libre avec une densité de 35 unités Houns- field, compatible avec un hémopéritoine (Fig. 1). L’origine la plus probable de l’hémorragie intra-abdominale a été identifiée par l’extravasation du produit de contraste au voisinage de la branche gauche de l’artère rectale supé- rieure (Fig. 2). Le patient a été placé sous observation pendant la nuit à l’unité de soins intermédiaires du ser- vice des urgences. Une réanimation par administration de DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.diii.2013.12.006. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Diagnostic and Interventional Imaging, en utilisant le DOI ci-dessus. solution cristalloïde intraveineuse a été mise en route. L’hémoglobinémie a diminué à 84 g/L au cours des 14 heures suivantes. Une seconde TDM de contrôle a montré une légère augmentation de l’hémopéritoine, sans visualisation de la source active du saignement. Une embolisation artérielle percutanée (EAP) a été réalisée. Aucune anomalie vascu- laire significative n’a été visualisée durant l’intervention, et la vascularisation artérielle rectale a paru normale. La branche antérieure de l’artère rectale supérieure gauche présentait des signes de spasme et a été embolisée par éponge de gélatine (Gelfoam Slurry ® Ethicon, Somerville, NJ, États-Unis) à travers un microcathéter de 2,7 F sur la base des observations de la première TDM (Fig. 3). L’intervention a duré 45 minutes et a été bien tolérée ; l’hémoglobinémie est demeurée stable à environ 95 g/L après l’intervention. Le patient est sorti de l’hôpital trois jours plus tard. Le patient était asymptomatique lors d’un suivi téléphonique à six mois. Une coloscopie de contrôle a exclu une néoplasie, mais n’a pas élucidé l’étiologie de cette hémorragie. Revue de la littérature Une recherche dans PubMed utilisant les termes MeSH « spontaneous hemoperitoneum embolization » (emboli- sation pour hémopéritoine spontané) a identifié neuf cas d’hémorragie intrapéritonéale idiopathique spontanée (HIIS) traités par EAP. Le taux de succès du traitement intra- vasculaire de l’HIIS a été de 100 %, mais ce résultat pourrait avoir été biaisé par le fait qu’il est moins probable que les cas d’échec soient rapportés. L’origine du saignement était : artère splénique (2/9 cas), artère cystique (2/9), artère gastro-épiploïque gauche (1/9), artère pancréatico- duodénale inférieure (1/9), artère lombaire (1/9), artère épiploïque (1/9) et artère utérine durant une grossesse (1/9). L’embolisation de l’artère cystique a entraîné une nécrose de la vésicule biliaire, qui a nécessité une cholé- cystectomie laparoscopique dix jours plus tard [1]. Discussion Décrite pour la première fois en 1909, l’apoplexie abdomi- nale, ou HIIS, est une affection rare et souvent fatale Elle atteint plus souvent des hommes (3/2) et son incidence est maximale à la cinquième et la sixième décennie de la vie [2]. Les facteurs de risque sont l’hypertension essentielle ou portale, l’artériosclérose, la connectivite, la syphilis vas- culaire, les mycoses, la dysplasie fibromusculaire, le lupus 2211-5706/$ see front matter © 2014 Éditions franc ¸aises de radiologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jradio.2013.11.002 JRDIA-389; No. of Pages 3

Embolisation artérielle et hémorragie intrapéritonéale idiopathique spontanée : étude d’un cas et revue de la littérature

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ARTICLE IN PRESSModele +

Journal de Radiologie Diagnostique et Interventionnelle (2014) xxx, xxx—xxx

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LETTRE / Digestif

Embolisation artérielle ethémorragie intrapéritonéaleidiopathique spontanée : étuded’un cas et revue de lalittérature�

Mots clés : Rupture de l’artère rectale supérieure ;Apoplexie abdominale ; Hémorragie intrapéritonéaleidiopathique spontanée ; Hémopéritoine ; Embolisationartérielle par cathétérisme

Cas

Un homme âgé de 64 ans s’est présenté au service desurgences de notre centre de soins tertiaires en rai-son de douleurs du bas abdomen. Le patient décrivaitl’apparition subite d’une gêne sous-ombilicale 6 heuresavant l’admission, avec progression de la douleur et deuxépisodes de syncope spontanément résolutifs. L’anamnèsen’a pas retrouvé de fièvre, de frissons, de nausées, de vomis-sements, de diarrhée, rectorragie, de méléna, de dysurieou de prise de stupéfiants. Les antécédents médicaux ontrévélé un cancer de la prostate traité par prostatectomieradicale par laparotomie 10 ans auparavant, sans radio-thérapie. Le patient était normotendu mais tachycarde à107 bpm. Le bilan biologique indiquait une hémoglobiné-mie à 124 g/L, une numération leucocytaire à 12,2 G/L, unINR de 1,1, et un ionogramme et des explorations fonc-tionnelles hépatiques dans les limites de la normale. Unetomodensitométrie multidétecteurs (TDM) avec injection deproduit de contraste iodé a révélé la présence de liquideintra-abdominal libre avec une densité de 35 unités Houns-field, compatible avec un hémopéritoine (Fig. 1). L’originela plus probable de l’hémorragie intra-abdominale a étéidentifiée par l’extravasation du produit de contraste auvoisinage de la branche gauche de l’artère rectale supé-

rieure (Fig. 2). Le patient a été placé sous observationpendant la nuit à l’unité de soins intermédiaires du ser-vice des urgences. Une réanimation par administration de

DOI de l’article original :http://dx.doi.org/10.1016/j.diii.2013.12.006.

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2211-5706/$ — see front matter © 2014 Éditions francaises de radiologiehttp://dx.doi.org/10.1016/j.jradio.2013.11.002

olution cristalloïde intraveineuse a été mise en route.’hémoglobinémie a diminué à 84 g/L au cours des 14 heuresuivantes. Une seconde TDM de contrôle a montré une légèreugmentation de l’hémopéritoine, sans visualisation de laource active du saignement. Une embolisation artérielleercutanée (EAP) a été réalisée. Aucune anomalie vascu-aire significative n’a été visualisée durant l’intervention,t la vascularisation artérielle rectale a paru normale. Laranche antérieure de l’artère rectale supérieure gaucherésentait des signes de spasme et a été embolisée parponge de gélatine (Gelfoam Slurry® Ethicon, Somerville,J, États-Unis) à travers un microcathéter de 2,7 F sur

a base des observations de la première TDM (Fig. 3).’intervention a duré 45 minutes et a été bien tolérée ;’hémoglobinémie est demeurée stable à environ 95 g/Lprès l’intervention. Le patient est sorti de l’hôpital troisours plus tard. Le patient était asymptomatique lors d’unuivi téléphonique à six mois. Une coloscopie de contrôle axclu une néoplasie, mais n’a pas élucidé l’étiologie de cetteémorragie.

evue de la littérature

ne recherche dans PubMed utilisant les termes MeSH spontaneous hemoperitoneum embolization » (emboli-ation pour hémopéritoine spontané) a identifié neufas d’hémorragie intrapéritonéale idiopathique spontanéeHIIS) traités par EAP. Le taux de succès du traitement intra-asculaire de l’HIIS a été de 100 %, mais ce résultat pourraitvoir été biaisé par le fait qu’il est moins probable quees cas d’échec soient rapportés. L’origine du saignementtait : artère splénique (2/9 cas), artère cystique (2/9),rtère gastro-épiploïque gauche (1/9), artère pancréatico-uodénale inférieure (1/9), artère lombaire (1/9), artèrepiploïque (1/9) et artère utérine durant une grossesse1/9). L’embolisation de l’artère cystique a entraîné uneécrose de la vésicule biliaire, qui a nécessité une cholé-ystectomie laparoscopique dix jours plus tard [1].

iscussion

écrite pour la première fois en 1909, l’apoplexie abdomi-ale, ou HIIS, est une affection rare et souvent fatale Elletteint plus souvent des hommes (3/2) et son incidence est

aximale à la cinquième et la sixième décennie de la vie

2]. Les facteurs de risque sont l’hypertension essentielleu portale, l’artériosclérose, la connectivite, la syphilis vas-ulaire, les mycoses, la dysplasie fibromusculaire, le lupus

. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

JRDIA-389; No. of Pages 3

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ARTICLE IN PRESSModele +

2 Lettre

Figure 1. Image d’une TDM axiale effectuée 70 secondes aprèsl’injection intraveineuse du produit de contraste. Une importantequantité de liquide est présente, dont la densité mesurée estde 35 unités Hounsfield dans les espaces péri-hépatiques et péri-spléniques (*), compatible avec un hémopéritoine.

Figure 2. Image d’une TDM axiale effectuée 70 secondes aprèsl’injection intraveineuse du produit de contraste (flèche). Il existeune extravasation de produit de contraste dans l’espace péri-rectalpa

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Figure 3. Angiographie suprasélective par soustraction numé-rique, incidence oblique antérieure droite. L’extrémité dumicrocathéter est positionnée dans l’origine de la branche gauchede l’artère rectale supérieure. Aucun saignement actif n’estobservé, mais l’artère rectale supérieure présente un certain degréde spasme dans sa partie la plus postérieure (flèche). L’embolisationa été réalisée en position immédiatement proximale par rapport àc

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eldr

ostérieur, compatible avec un saignement actif. Aucun vaisseaunormal n’a été observé lors de cet examen.

rythémateux, la périartérite noueuse et la radiothérapie3]. L’HIIS évolue en trois phases :

douleur abdominale légère à sévère indiquant un saigne-ment sentinelle précédant une hémorragie massive ;absence de symptomatologie pendant plusieurs heures oujours ;douleur abdominale croissante et collapsus cardiovascu-laire [4].

La stratégie diagnostique est dictée par la situationémodynamique : chez un patient stable (indice de choc,5—0,9), la TDM est la modalité d’imagerie de choix.lle permet de détecter un hémopéritoine, une extrava-ation de produit de contraste de 0,2—0,5 mL/min [5] etn anévrisme, ou procure un diagnostic différentiel. Quand

a cause de l’HIIS a été identifiée, une angiographie peuttre réalisée dans le but de confirmer les observations ete traiter la source du saignement au cours de la même

aTd

e segment.

éance. La laparotomie reste le traitement de choix chez lesatients hémodynamiquement instables. Elle permet égale-ent l’examen histologique de l’artère rompue. La chirurgierésente plusieurs inconvénients : chez les patients en étate choc, les explorations chirurgicales non thérapeutiquesont associées à une mortalité pouvant s’élever jusqu’à0 %. Les laparotomies réalisées en urgence sont à l’origine’une morbidité non négligeable, d’une prolongation de’hospitalisation et d’une incapacité de travail. Dans laituation qui nous intéresse, le traitement conservateurboutit à une mortalité de 100 % et n’est donc pas une option6]. L’EAP présente plusieurs avantages par rapport à la chi-urgie : elle est rapide, très peu invasive et ne nécessite pas’anesthésie, des lésions vasculaires multiples peuvent êtreiagnostiquées et traitées à partir du même point d’entrée,lle peut être effectuée même chez des malades présentantes altérations de la crase et n’induit pas d’hypothermiei de pertes sanguines additionnelles [7]. L’inconvéniente l’embolisation est l’absence d’examen anatomopatho-ogique. Les complications potentielles sont une infectionu un hématome au site de ponction, une lésion vasculaireatrogène et une nécrose, une sténose, un ulcère ou uneerforation intestinale [8].

Le cas d’apoplexie artérielle rectale que nous présentonst la revue de la littérature sont en faveur de la validité de’EAP à titre d’approche thérapeutique dans l’HIIS. Cepen-ant, dans le cas présenté, la chronologie des examensadiologiques n’a pas été optimale, car une angiographie

urait dû être réalisée immédiatement après la premièreDM, à la suite de l’objectivation de l’extravasation du pro-uit de contraste. La mise en observation du patient dans
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INModele +

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[

ARTICLELettre

l’unité de soins intermédiaires l’a exposé à un risque de chochémorragique et a retardé les soins définitifs.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Références

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D. Geroa, N.-I. Simionb, H. Vuilleumiera,A. Denysc, B. Guiuc, N. Demartinesa,

P.-E. Bizec,∗a Service de chirurgie viscérale, hôpital

universitaire de Lausanne, CHU Vaudois (CHUV),rue du Bugnon 46, 1011 Lausanne, Suisseb Service de médecine d’urgence, hôpital

universitaire de Lausanne, CHU Vaudois (CHUV),rue du Bugnon 46, 1011 Lausanne, Suisse

c Service de radiologie diagnostique etinterventionnelle, hôpital universitaire de

Lausanne, CHU Vaudois (CHUV), rue du Bugnon 46,

1011 Lausanne, Suisse

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (P.-E. Bize)