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This article was downloaded by: [The Aga Khan University]On: 10 October 2014, At: 18:12Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registeredoffice: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK
Innovation: The European Journal ofSocial Science ResearchPublication details, including instructions for authors andsubscription information:http://www.tandfonline.com/loi/ciej20
ÉMERGENCE ET LÉGITIMITÉ DESINSTITUTIONS, COORDINATIONÉCONOMIQUE ET NATURE DE LARATIONALITÉ DES AGENTSAbdelillah HamdouchPublished online: 22 Jan 2007.
To cite this article: Abdelillah Hamdouch (2005) ÉMERGENCE ET LÉGITIMITÉ DES INSTITUTIONS,COORDINATION ÉCONOMIQUE ET NATURE DE LA RATIONALITÉ DES AGENTS, Innovation: The EuropeanJournal of Social Science Research, 18:2, 227-259, DOI: 10.1080/13511610500096558
To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/13511610500096558
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EMERGENCE ET LEGITIMITE DES
INSTITUTIONS, COORDINATION
ECONOMIQUE ET NATURE DE LA
RATIONALITE DES AGENTS
Abdelillah Hamdouch
Si le role des dispositifs institutionnels dans la realisation de la coordination economique est
aujourd’hui reconnu par l’essentiel des courants de la pensee economique, l’articulation theorique
entre la problematique de la coordination et les dimensions institutionnelles qu’elle recouvre reste
souvent partielle ou superficielle. L’hypothese exploree dans cet article est que c’est le maintien du
principe de rationalite strictement individuelle et calculee qui empeche de raccorder de maniere
coherente institutions et coordination. Par contraste, l’adoption d’un principe alternatif de
rationalite, dans lequel cette derniere est concue comme un phenomene a la fois socialise et
essentiellement systemique, permet de justifier sur une base endogene les conditions d’emergence,
de legitimite et d’activation des institutions en tant que regles et dispositifs specifiques de
coordination.
[Emergence and Legitimacy of Institutions, Economic Co-ordination and the Nature of Agents’
Rationality.] While the role of institutions in the achievement of economic co-ordination is
recognized by a large body of economic thought, the theoretical articulation between economic
co-ordination and the institutional dimensions it involves remains partial or superficial. The
hypothesis explored in this article is as follows: the preservation of the principle of a strictly
individual and calculated rationality prevents linking institutions coherently and obstructs and
coordination. By contrast, the adoption of an alternative principle of rationality, conceiving it as a
social and essentially systemic phenomenon, allows the endogenous vindication of the
emergence, legitimacy and activation of institutions, viewed as co-ordination rules as well as
specific co-ordinating devices.
Introduction1
La place des institutions dans le fonctionnement du systeme economique et la
coordination des agents qui y participent, de meme que les conditions du changement
institutionnel (adaptation ou renforcement des institutions existantes, emergence de
nouvelles institutions) constituent des questions essentielles au sein des debats
economiques et politiques contemporains au plan international ou regional, comme
aux differents niveaux nationaux. En effet, qu’il s’agisse des mecanismes de «gouver-
nance» de l’economie mondiale, des institutions necessaires au developpement
Innovation, Vol. 18, No. 2, 2005ISSN 1351-1610 print/ISSN 1469-8412 online/05/010227-33– 2005 Interdisciplinary Centre for Comparative Research in the Social Sciences
DOI: 10.1080/13511610500096558
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economique ou a la transition des pays a economie planifiee vers des systemes
d’economie de marche, des dispositifs permettant de prevenir les crises financieres et
de reguler les marches boursiers, ou encore des normes de transparence comptable et de
«gouvernement» des grandes entreprises, les enjeux pratiques et theoriques lies a la
definition de la nature des institutions permettant d’assurer une meilleure coordination
des agents et une regulation efficace du systeme economique sont unanimement
reconnus comme etant decisifs.
D’un point de vue pratique, ces enjeux sont par exemple nettement perceptibles au
niveau des debats persistants au sein du Fonds Monetaire International et de la Banque
Mondiale sur la reforme de ces institutions et de leur role, au sein de l’Organisation
Mondiale du Commerce */ notamment a propos de la question epineuse des «Aspects
des Droits de Propriete Intellectuelle lies au Commerce» */ ou encore au sein de l’Union
Europeenne sur la question de la redefinition des institutions communautaires dans le
cadre du processus d’elargissement. Au sein des Etats-Nations, les debats sont tout aussi
cruciaux, notamment concernant la question recurrente de la reforme des regimes
sociaux, et, plus generalement, de la redefinition de la place de l’Etat dans l’economie. Au
cœur de tous ces debats nationaux, regionaux ou internationaux et de la difficulte patente
d’engager les changements institutionnels juges souhaitables ou necessaires, se situe la
question cle de la definition des modalites «praticables» de mise en place de nouvelles
institutions ou de reforme de celles existantes2.
C’est a ce niveau que l’appui des economistes apparaıt naturel et utile, a condition
toutefois qu’ils aient « l’assurance de detenir la bonne reponse»3. En clair, cette condition
implique que les conclusions des theories et des analyses proposees par les economistes
sur l’articulation entre, d’une part le role et l’emergence ou le changement des institutions
et, d’autre part, les caracteristiques du fonctionnement d’une economie de marche et les
conditions de coordination efficace des comportements des agents qui y participent,
soient bien etablies. Or, rien n’est moins sur.
En effet, si le role des dispositifs institutionnels dans la realisation de la coordination
economique est aujourd’hui reconnu par l’essentiel des courants de la pensee
economique, l’articulation theorique entre la problematique de la coordination et les
dimensions institutionnelles qu’elle recouvre reste encore souvent partielle ou super-
ficielle. De fait, le constat general qui ressort de l’examen de la litterature est celui d’un
traitement de l’institution davantage comme element rapporte a la problematique de la
coordination, plutot que comme l’une de ses composantes intrinseques, definie de
maniere endogene.
Certes, la notion d’institution est par nature polysemique et polymorphe, donc
difficile a cerner et a manier. Selon les approches, les institutions peuvent ainsi etre tout a
la fois considerees comme : (i) un «cadre» (institutionnel) dans lequel s’inscrit la
coordination (conditions amont de la coordination dans le modele d’equilibre general
et regles specifiques definissant une configuration d’interaction strategique dans le cadre
de la theorie des jeux non cooperatifs) ; (ii) des regles, conventions ou normes de
comportement intervenant a la fois en amont et dans la realisation meme de la
coordination (fonction coordinatrice des institutions dans l’approche de l’economie des
conventions) ; (iii) des structures ou organisations de marche ou «hors marche» (formes
institutionnelles de la coordination dans le courant neo-institutionnaliste) ; (iv) des
habitudes, coutumes ou regularites de comportement determinant de maniere tres
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generale le fonctionnement economique et social au sein d’une collectivite (conception de
l’economie institutionnaliste « a la Veblen»).
Cependant, si il est aise d’admettre que les institutions peuvent d’une maniere ou
d’une autre recouvrir toutes les dimensions evoquees ci-dessus, on peut en revanche
s’interroger sur la maniere dont les principales approches de la coordination economique
integrent le fait institutionnel dans leur cadre d’analyse. Or, force est de constater que,
quelle que soit l’approche envisagee, les conditions d’emergence, de legitimite et
d’activation des institutions en tant que regles et/ou dispositifs specifiques de coordina-
tion restent de facon generale mal definies, sinon problematiques. Ces conditions sont, en
effet, soit evacuees de l’analyse ou simplement postulees */ le plus souvent de maniere
implicite */4, soit partiellement prises en compte, mais dans tous les cas sans examen ou
demonstration de leur coherence avec les hypotheses comportementales fondant le cadre
theorique de coordination propose.
L’hypothese exploree dans cet article est que c’est le maintien du principe de
rationalite individuelle calculee (ou controlee) qui empeche de raccorder de maniere
coherente institutions et coordination. Il est en effet possible de montrer que, quel que
soit le cadre theorique de coordination envisage, le fondement de l’analyse sur
l’hypothese de rationalite strictement individuelle et calculee debouche systematique-
ment sur un probleme de regression infinie du raisonnement qui laisse indeterminees les
conditions d’emergence, de legitimite et d’activation des institutions dans le processus de
coordination.
Plus precisement, ainsi que cela peut etre soutenu de maniere argumentee, le
respect de cette hypothese de rationalite conduit a une impasse theorique qui se decline
sur deux plans. Sur un plan general, l’impasse vient de ce que les proprietes
comportementales des agents, impliquees par le principe de rationalite individuelle
calculee (poursuite intentionnelle et finalisee de leurs interets strictement personnels par
des agents decentralises) et celles induites par la notion d’institution (regles et normes de
comportement collectives elaborees et activees de maniere essentiellement non
intentionnelle), sont mutuellement exclusives. Au niveau plus specifique des conditions
d’emergence et de legitimite des institutions, le probleme de regression infinie decoule du
fait qu’il n’existe a priori aucune procedure praticable garantissant l’elaboration collective
de regles de coordination legitimes qui puisse etre logiquement fondee sur ce principe de
rationalite.
L’enjeu theorique (mais aussi pratique, comme cela a ete souligne plus haut) est
donc de tenter de voir sous quelles conditions un changement d’hypothese comporte-
mentale peut permettre de depasser cette double impasse theorique et d’endogeneiser la
categorie institution dans la problematique de la coordination economique. Nous
soutenons ici que seule l’adoption d’un principe alternatif de rationalite, dans lequel
cette derniere est concue comme un phenomene a la fois socialise (Arrow, 1987 [1986];
Simon, 1991) et essentiellement systemique (March, 1978 [1991]), peut constituer une base
analytique coherente d’articulation logique du fait institutionnel sur la problematique de
la coordination. En effet, les proprietes et les logiques comportementales induites par une
conception socialisee et systemique de la rationalite des agents */ fussent-ils partielle-
ment mus par des interets conflictuels et caracterises par des comportements plus ou
moins intentionnels et finalises */ entretiennent, dans leur essence meme, une sorte de
« jeu de miroirs» etroit avec le caractere largement impersonnel et non intentionnel des
institutions. Ce caractere intervient a la fois au niveau des conditions d’emergence et de
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legitimite des institutions, et dans les principes de leur activation sous forme routiniere ou
conventionnelle par les agents dans leurs comportements et multiples interactions
economiques. On montre alors comment cette imbrication essentielle entre institutions et
principe de rationalite systemique permet de soutenir l’hypothese d’une endogeneisation
du fait institutionnel dans la problematique de la coordination selon une procedure auto-
organisationnelle.
Meme si les enjeux pratiques de la question de l’emergence et du role des
institutions dans la realisation de la coordination economique constituent en arriere plan
le point focal de l’argumentation developpee dans cet article, celle-ci se veut essentielle-
ment analytique. Elle comporte trois sections. La premiere vise tout d’abord a clarifier le
sens et le contenu de la notion d’institution, tant dans ses acceptions generales au sein de
la litterature economique et sociologique qu’au niveau plus specifique des principales
theories de la coordination. Ce rapide examen permet alors de specifier les principales
proprietes impliquees par la notion d’institution, en particulier celles concernant la nature
impersonnelle et routiniere, mais relativement durable et contraignante des schemas de
comportement impulses par les institutions.
Nous examinons ensuite, dans la deuxieme section, les termes de l’incompatibilite
fondamentale des proprietes comportementales respectives induites par la logique
institutionnelle et le principe de rationalite strictement individuelle et calculee, puis les
raisons de l’impossibilite logique d’elaboration et de legitimation de regles et de dispositifs
institutionnels de coordination selon des procedures de choix collectifs (explicitement ou
implicitement) fondees sur l’hypothese de rationalite individuelle controlee. En effet, sous
cette hypothese, le probleme de regression infinie du raisonnement resurgit de maniere
systematique car aucune des trois procedures de choix collectifs theoriquement
envisageables */ qualifiees respectivement de rationnelle , d’autoritaire ou dictatoriale , et
de negociee ou democratique */ ne permet de faire emerger et de legitimer de maniere
coherente des regles et dispositifs institutionnels de coordination.
Par suite, ainsi que cela est soutenu dans la troisieme section, la justification
theorique de l’existence et de la legitimite d’institutions dans la problematique de la
coordination necessite d’adopter une conception alternative de la rationalite, definie
comme phenomene a la fois socialise et recouvrant de multiples dimensions systemiques.
Dans un premier temps, nous analysons les proprietes et les formes de la rationalite
systemique, avant d’etablir leur imbrication etroite avec la notion d’institution. Sur cette
base, il s’agit, dans un deuxieme temps, de «boucler» le raisonnement en montrant que
seule une procedure de nature auto-organisationnelle permet */ tout en respectant le
principe democratique */ d’apprehender l’emergence et la legitimite des institutions
selon un principe logiquement derive du caractere systemique de la rationalite qui
soutient les comportements des agents et oriente leurs modes d’interaction. La
composante institutionnelle de la coordination economique, a la fois sous forme de
regles amont de coordination et de dispositifs institutionnels coordinateurs, peut alors etre
logiquement etablie.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il me semble necessaire de preciser pourquoi
l’article est deliberement centre sur une problematique relativement stricte de theorie
economique. Ce positionnement de l’article peut en effet sembler indument etroit et
curieux pour au moins deux raisons. Premierement, parce que, etant publie dans une
revue qui revendique explicitement l’interdisciplinarite, on aurait pu en attendre une large
ouverture sur les autres sciences sociales. Deuxiemement, parce que les debats autour de
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la nature de la rationalite des agents et des fondements du comportement humain ne
sont, bien entendu, pas specifiques a l’economie. Les autres sciences sociales, en
particulier la sociologie et les sciences politiques, sont traversees depuis fort longtemps
par de tels debats et fournissent des eclairages precieux pour l’economiste5.
Si en depit de ces raisons indiscutables j’ai opte pour un ancrage de la reflexion dans
la theorie economique, c’est tout d’abord parce que mon objectif central reste ici non pas
de discuter de la nature de la rationalite des agents per se en economie par rapport aux
autres sciences sociales6, mais d’examiner comment, en economie , la question centrale de
l’emergence et de la legitimite des institutions necessaires a la coordination economique
bute sur une impasse logique du raisonnement directement imputable au maintien de
l’hypothese de rationalite individuelle stricte. Mais ce centrage sur l’economie se justifie
aussi, a mon sens, pour deux autres raisons cruciales (en partie liees). D’une part, en effet,
l’economie est engagee depuis plusieurs decennies (et de maniere tres explicite
aujourd’hui) dans un processus d’« imperialisme economique» revendique d’envahisse-
ment ou d’annexion, par l’economie neoclassique, de la plupart des autres sciences
sociales a travers l’application de la theorie du choix rationnel a tout type de
comportement humain et d’interactions sociales. Cette tendance est notamment exprımee
dans les positions «musclees» de Gary Becker (1976, 1993, entre autres), Jack Hirshleifer
(1985), Edward Lazear (2000) et George Stigler (1984). D’autre part, dans plusieurs sciences
sociales, on observe un phenomene concomitant d’« importation» a partir de l’economie
de l’hypothese de rationalite individuelle calculee comme base de «refondation» de ces
disciplines, comme cela est notamment le cas en sociologie avec les travaux de James
Coleman (1990, 1994, entre autres)7.
Face a ces deux tendances, l’enjeu de l’analyse developpee dans l’article est clair : si
l’on parvient a montrer de maniere argumentee que le principe de rationalite individuelle
calculee tel qu’il est utilise en economie ne permet pas de garantir l’emergence et
l’activation d’institutions legitimes pour la realisation de la coordination economique, alors
le recours a un tel principe dans d’autres sciences sociales ou pour traiter system-
atiquement, y compris en economie, des comportements humains et des interactions
sociales ne peut plus etre justifie. Par suite, nous serions fondes a opposer a l’imperialisme
du principe de rationalite individuelle calculee ou a son application inconditionnelle en
economie comme dans les autres sciences sociales la mise en œuvre d’un principe de
rationalite different, base, comme cela est soutenu ici, sur l’idee d’une rationalite de type
systemique.
Conception et role des institutions dans les principales theories de lacoordination
L’analyse du role des institutions dans la structuration et le fonctionnement des
economies de marche a connu un renouveau important depuis une vingtaine d’annees,
avec d’une part la redecouverte du courant institutionnaliste americain du debut du
vingtieme siecle (en particulier les analyses pionnieres de T. Veblen et de J. R. Commons)
et, d’autre part, les developpements recents des theories des contrats (notamment
l’approche neo-institutionnaliste de la Theorie des Couts de Transaction et la Theorie de
l’Agence) et de l’Economie des Conventions. Toutes ces approches soulignent la necessite
d’inscrire l’analyse des comportements des agents economiques dans un cadre theorique
prenant explicitement en compte les institutions8.
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Toutefois, le caractere fondamentalement polysemique de la notion d’institution et
la variete des statuts qui lui sont reconnus dans les differents courants theoriques
debouchent sur des conceptions tres differentes de la facon dont le fait institutionnel peut
etre raccorde a la problematique de la coordination. D’ou une necessaire clarification
conceptuelle de ce que recouvre cette notion, avant d’en examiner le traitement dans les
principales theories de la coordination.
Les institutions : de quoi parle-t-on ?
Un rapide examen de la litterature economique et sociologique suffit pour se
convaincre de la polysemie attachee a la notion d’institution9. On peut, pour faire bref, se
referer a deux tentatives particulierement eclairantes de synthese des significations et des
caracteristiques des institutions dans les principaux courants de pensee. La premiere,
proposee par Claude Menard (1995, pp. 164�/167), identifie trois grandes acceptions de la
notion d’institution : (i) les institutions comme «ensembles abstraits de regles», a partir
des travaux de Stiglitz et d’Hurwicz ; (ii) les institutions comme «modeles» ou
«regularites» de comportement d’agents rationnels, a partir des travaux de Lewis et de
Schotter, et, de maniere plus specifique, a partir de la theorie des jeux non-cooperatifs ; (iii)
enfin, de maniere tres restrictive, Hurwicz reduit l’institution a « un mecanisme
informationnel qui coordonne les actions de differents agents» (Menard, 1995, p. 166).
Menard discute ensuite de ces trois conceptions et tente de preciser les principales
caracteristiques d’une institution, avant d’en fournir une definition generale :
An institution is manifested in a long-standing historically set of stable, abstract and
impersonal rules, crystallized in traditions, customs, or laws, so as to implement and
enforce patterns of behavior governing the relationships between separate social
constituencies (Menard, 1995, p. 167).
Cette definition particulierement claire permet ainsi de distinguer les institutions ,
«qui delimitent les regles du jeu», et les marches et les organisations , qui constituent les
arrangements institutionnels ou les structures de gouvernance qui fonctionnent au sein de
ces regles (Menard, 1995, p. 164)10.
La seconde tentative de synthese a ete proposee par Geoffrey Hodgson (1998), qui,
bien que se rattachant pour l’essentiel au courant institutionnaliste americain du debut du
vingtieme siecle, tente d’integrer dans sa caracterisation des institutions les conceptions
neo-institutionnalistes (notamment celles de Schotter et de North). L’auteur prend comme
point de depart la definition donnee par W. Hamilton en 1932, qui approfondit celle
fournie par Veblen en 1919 : ‘[An institution] is a way of thought or action of some
prevalence and permanence, which is embedded in the habits of a group or the customs
of a people’ (Hamilton, 1932, p. 84, cite par Hodgson, 1998, p. 179). La notion cle dans
cette definition de l’institution est celle de ‘Habit ’ (traduite generalement par habitude ou
coutume ) :
Habit can be defined as a largely non-deliberative and self-actuating propensity to
engage in a previously adopted pattern of behavior. A habit is a form of self-sustaining,
nonreflective behavior that arises in repetitive situations. (Hodgson, 1998, p. 178)
Pour Hodgson, c’est l’absence de prise en compte de cette dimension qui distingue
le neo-institutionnalisme de l’approche institutionnaliste traditionnelle. En effet, alors que
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cette derniere insiste sur les dimensions d’auto-incitation et d’enracinement historique et
social des normes de comportement habituelles au sein d’une collectivite, les approches
neo-institutionnalistes se focalisent davantage sur les notions de regularites et de regles du
jeu . Hodgson pense cependant que les deux approches adoptent une conception plutot
large des institutions, qui englobe egalement les organisations (notamment les firmes) et
des «entites sociales systematiques» comme la monnaie, le langage et la loi. Dans cette
perspective, toutes les formes d’institutions (qu’elles correspondent a des modes de
pensee ou d’action, a des organisations ou a des entites sociales perennes) recouvrent des
caracteristiques communes (Hodgson, 1998, p. 179):
All institutions involve the interaction of agents, with crucial information feedbacks.
All institutions have a number of characteristic and common conceptions and routines.
Institutions sustain, and are sustained by, shared conceptions and expectations.
Although they are neither immutable nor immortal, institutions have relatively durable,
self-reinforcing, and persistent qualities.
Institutions incorporate values, and processes of normative evaluation. . . .
Au total, malgre des nuances plus ou moins significatives, les approches
synthetiques proposees par Menard et Hodgson apparaissent tres largement conver-
gentes. En particulier, les deux approches soulignent tres clairement les dimensions
d’impersonnalite, de non intentionnalite, de relative durabilite et de contrainte sur les
comportements des agents induites par les institutions . Cependant, en depit des avancees
significatives permises par ces deux syntheses dans la caracterisation des contours et des
proprietes des institutions, le raccordement du fait institutionnel a la problematique de la
coordination reste peu clair dans les principales approches theoriques.
Les institutions dans les principales theories de la coordination : unepresentation schematique
De maniere tres schematique, on peut distinguer, d’une part les approches
s’inscrivant dans la mouvance neoclassique , et, d’autre part, les approches conventionna-
listes et institutionnalistes .
Les approches theoriques de la coordination s’inscrivant dans la mouvance
neoclassique recouvrent principalement la theorie de l’equilibre general avec systeme
complet de marches, la theorie des jeux non cooperatifs, la theorie de l’Agence, et, dans
une moindre mesure, le courant neo-institutionnaliste11. Ces approches s’accordent
globalement sur la nature du probleme a resoudre (la plus ou moins grande
decentralisation des agents), l’objectif (mettre en coherence les «plans» ou les choix
rationnels des agents), et les principaux mecanismes envisageables pour assurer cette
mise en coherence (prix ; contrats ; commandement, par la hierarchie et/ou l’autorite).
Dans ce cadre, la coordination vise fondamentalement a assurer une affectation efficiente
des ressources «commandees» par des agents plus ou moins decentralises, mais dont les
preferences sont supposees donnees et homogenes. L’analyse repose en general sur des
conditions d’information imparfaite des agents : leurs decisions sont prises dans
l’ignorance totale ou partielle de celles des autres agents et n’integrent pas pleinement
la memoire des decisions anterieures, des elements contextuels, et de la constitution
progressive de leurs echelles de preferences.
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En depit d’une diversite certaine (notamment quant a l’etendue supposee de la
rationalite des agents et a la nature plus ou moins complete et parfaite de l’information),
les approches constitutives de ce courant reconnaissent la necessite de l’existence d’un
«cadre institutionnel» general qui permette au minimum de definir les «regles du jeu»
(droits de propriete, regles et lois, procedures d’arbitrage et de sanction, etc.), c’est-a-dire
les droits, obligations et recours eventuels specifiant l’espace des comportements
admissibles des agents et de leur interactions economiques.
Le point crucial reside cependant dans le fait que toutes ces approches fondent
explicitement le comportement (et donc la nature de la coordination) des agents sur
l’hypothese d’une rationalite strictement individuelle et controlee , c’est-a-dire de comporte-
ments intentionnels, plus ou moins clairvoyants et egoıstes en vue d’atteindre des
objectifs propres a chaque individu */ donc etablis sur la base de preferences ou d’interets
individuels independants de ceux des autres agents. La coordination s’inscrit ainsi dans un
monde de juxtaposition d’interets individuels exclusifs dans lequel le calcul et l’in-
tentionnalite sont supposes etre la regle.
Comment peut-on alors, dans un tel contexte, justifier logiquement de l’existence et
de la legitimite d’institutions dans la problematique de la coordination autrement que de
maniere exogene ? On voit en effet mal comment on peut concilier, d’une part le caractere
impersonnel (propriete de non intentionnalite), collectif et contraignant des regles de
comportement induites par les institutions, et, d’autre part, les proprietes de comporte-
ment intentionnel, strictement individuel et interesse impliquees par l’hypothese de
rationalite individuelle calculee (ou, plus generalement, controlee).
Les approches conventionnalistes et institutionnalistes considerent, quant a elles, les
institutions a la fois comme des contraintes et des normes de comportement qui
specifient les regles du jeu en amont de la coordination economique, mais egalement
comme des dispositifs qui assurent une fonction coordinatrice essentielle, notamment au
travers de l’ajustement mutuel entre agents, de normes sociales12, de coutumes, de
valeurs culturelles, etc. En particulier, ces approches insistent sur le role de la confiance,
des attitudes morales, de la reciprocite, des normes et des conventions comme
mecanismes susceptibles de favoriser les comportements cooperatifs dans les interactions
entre individus ou organisations (cf. entre autres : Granovetter, 1985; Elster, 1989a, 1989b,
1996; Favereau, 1989a; Le Cardinal & Guyonnet, 1991; Pernin, 1993; Guth & Kliemt, 1994;
Orlean, 1994; Cordonnier, 1997)13.
Les institutions sont ainsi considerees comme des dispositifs coordinateurs
derogeant au principe de comportements strictement interesses ou opportunistes. Elles
illustrent la capacite des agents a se conformer a des regles de conduite permettant de
depasser le conflit interindividuel systematique et de favoriser la cooperation par la
convergence au moins partielle des interets.
La question essentielle est alors de savoir quelles sont les conditions d’emergence et
de soutenabilite (degre de generalite, de durabilite et de legitimite) de ces modes
d’interaction bases sur d’autres logiques que celle du calcul individuel rationnel. Or, ces
conditions sont loin d’etre assurees. En particulier, la confiance comme mecanisme
d’incitation a l’adoption de comportements cooperatifs pose probleme. En effet, si la
confiance decoule d’un simple calcul d’interet14, fut-ce dans un cadre d’incertitude et de
rationalite limitee, alors elle perd toute la substance distinctive qui peut la justifier comme
institution et, comme le souligne fort logiquement Oliver Williamson (1993), elle devient
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au mieux un «concept mou», au pire une notion superflue */ car redondante avec celle
de calcul , qui apparaıt alors plus generale.
D’un autre cote, comme le soutient de maniere convaincante Mark Granovetter
(1985), si l’on retient une conception purement institutionnaliste de la confiance, on
tombe dans le travers inverse de la «sous-socialisation» des comportements impliquee par
l’assimilation de la confiance a un calcul, en lui donnant cette fois-ci un caractere «sur-
socialise», c’est-a-dire totalement surdetermine en amont par des normes de comporte-
ment preexistant aux interactions entre agents. Cette conception de la confiance comme
norme generale de comportement et d’interaction des agents entre ainsi en conflit avec le
principe de rationalite individuelle controlee, alors meme que l’existence de cette norme
est simplement postulee, et non pas deduite logiquement d’une conceptualisation
theorique de la question de la coordination qui serait basee sur un principe de rationalite
alternatif a celui de la rationalite individuelle calculee.
En definitive, aucune de ces deux conceptions de la confiance ne permet de justifier
l’existence et la legitimite des institutions dans une problematique coherente de la
coordination. Dans le premier cas, la confiance comme dispositif institutionnel de
coordination est sans objet, alors que dans le second, elle ne peut etre ni justifiee ni
legitimee.
De maniere plus generale, ainsi que nous le montrons a present sur un plan logique,
l’hypothese d’une rationalite strictement individuelle et controlee ne permet pas
d’introduire de maniere coherente les institutions dans la problematique de la coordina-
tion, que ce soit sous forme de regles amont ou au titre de dispositifs coordinateurs
specifiques.
Institutions, coordination economique et rationalite individuelle calculee :les termes d’une impasse theorique
L’objet de cette section est de montrer que l’existence et la legitimite d’institutions,
a la fois en amont et dans la realisation meme de la coordination economique, est
logiquement incompatible avec l’hypothese de rationalite strictement individuelle et
controlee */ fut-elle consideree comme limitee. Notre argumentation s’effectue en deux
temps. Nous posons tout d’abord de maniere formelle les termes generaux de cette
incompatibilite logique. En nous referant a la theorie des choix collectifs, nous montrons
ensuite qu’aucune des procedures de choix collectifs fondees sur les principes de
rationalite strictement individuelle et d’intentionnalite n’est en mesure d’assurer l’emer-
gence et l’activation d’institutions legitimes au sein de la problematique de la coordination
economique.
L’incompatibilite logique entre institutions et rationalite individuellecalculee
L’impasse theorique sur laquelle butent les principales approches de la coordination
dans leur justification du fait institutionnel peut etre exprimee de la maniere suivante :
(i) En vertu des proprietes induites par la notion d’institution, pour que des institutions
puissent pretendre au statut de dispositifs intervenant en amont et/ou au sein de la
realisation de la coordination economique, il faut : 18 que les regles et normes de
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comportement impliquees par ces institutions soient collectives et activees de maniere
essentiellement routiniere, et non pas intentionnelle ou calculee ; 28 que les regles et les
normes en question ne soient pas fondamentalement le produit de choix individuels
deliberes, encore moins calcules.
(ii) En vertu de l’hypothese de rationalite individuelle calculee (ou controlee), le comporte-
ment d’agents independants (decentralises et aux preferences strictement individuelles) :
18 ne repond qu’au principe de la poursuite intentionnelle et finalisee des interets
personnels exclusifs ; 28 n’est pas soumis a des contraintes autres que celles impliquees
par la dotation en ressources et les capacites informationnelles et cognitives permettant a
chaque agent d’allouer au mieux les ressources disponibles en fonction des objectifs
individuels poursuivis.
(iii) Ces deux series de conditions sont mutuellement exclusives : l’existence et la legitimite
des institutions remet en cause le principe de rationalite individuelle calculee, alors que,
symetriquement, il est logiquement impossible de pouvoir deduire le fait institutionnel de
comportements verifiant les conditions de la rationalite individuelle calculee.
D’ou, de maniere plus formelle, la Proposition 1 :
Proposition 1 : L’existence et la legitimite d’institutions en amont et/ou au sein de la
coordination sont logiquement impossibles sous l’hypothese de rationalite strictement
individuelle et controlee.
Cette proposition peut etre etayee tres simplement a partir d’un raisonnement par
l’absurde. Supposons que les comportements individuels repondent au principe de
rationalite strictement individuelle et controlee. Nous aurions alors une prevalence totale
du «chacun pour soi» et de la logique du conflit interindividuel. Or, comme le souligne
Christian Schmidt (1993, p. 545) : « la logique de l’homo bellicus . . . ne reconnaıt, en
principe, de legitimite a aucune instance exterieure au conflit». L’existence d’in-
stitutions */ ou, si l’on prefere, de mecanismes de mediation */ ne peut alors plus etre
justifiee, fut-ce de maniere exogene, encore moins sur une base endogene. En effet,
l’hypothese d’exogeneite des regles et normes de comportement individuel pose, en
plus du probleme de l’origine des institutions, celui de leur legitimite. Or cette legitimite
est essentielle pour que les individus adherent ou se conforment a des regles et
contraintes collectives (cf. Simon, 1991; Menard, 1995) qui, par definition, contrarient ou
remettent en cause les principes d’independance des choix individuels et de calcul
rationnel isole (North, 1990, pp. 24�/25; Simon, 1991, pp. 35�/37; Hodgson, 1998, pp.
178�/179).
L’existence d’institutions implique donc que celles-ci soient determinees de maniere
endogene . Mais il faut alors admettre que les institutions emergent au sein du « jeu» lui-
meme, c’est-a-dire au travers des interactions entre les individus, fussent-ils parfaitement
rationnels (Arrow, 1987 [1986], pp. 34�/36; Menard, 1995, pp. 164�/167; Sen, 1995, pp. 3,
8, 15�/16; Hodgson, 1998, pp. 185�/189). Elles doivent ainsi etre le produit d’une
coordination .
Or, sur un plan purement logique, cette coordination ne peut en aucun cas etre
intentionnelle ou calculee, car il faudrait supposer, dans ce cas-la, que la «coordination
sur les regles» resulte elle-meme de comportements fondes sur un calcul individuel
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rationnel, dont nous avons vu qu’il ne permet pas de justifier l’existence et la legitimite
des institutions15.
Ainsi que nous allons le voir a present, ce probleme d’« infinite regress » dans le
raisonnement (cf. Menard, 1995, pp. 166�/167; Conslik, 1996, pp. 686�/690; Hodgson, 1998,
pp. 182�/185) se manifeste de maniere tout aussi incontournable lorsqu’il est formule dans
une problematique de choix collectif de regles de coordination.
La theorie des choix collectifs et l’indetermination de l’emergence desinstitutions
Formule en termes de processus de choix collectifs, le probleme souleve par les
conditions d’emergence et de legitimite des institutions peut etre pose comme suit :
(i) Dans un univers d’agents dont les preferences et le comportement repondent au principe
de rationalite strictement individuelle et calculee, la realisation de la coordination
economique requiert des regles collectives qui specifient l’espace des comportements
individuels admissibles et les modalites d’interaction des agents16 */ i.e., des dispositifs
permettant de depasser le conflit interindividuel systematique et de favoriser la
convergence au moins partielle des interets.
(ii) L’existence et la legitimite de ces «regles de la coordination» necessitent a leur tour, en
amont, un accord sur le choix des regles particulieres qui vont presider a cette
«coordination sur les regles».
(iii) Or cet accord est problematique dans la mesure ou, precisement, il concerne des agents
aux preferences heterogenes et aux interets plus ou moins conflictuels.
(iv) L’atteinte d’un tel accord implique ainsi a nouveau de definir les regles permettant de
realiser un compromis entre des interets individuels divergents.
(v) D’ou un nouveau probleme de coordination sur les regles de selection collective de regles
de coordination sur les regles . . ., et ainsi de suite jusqu’a une hypothetique «coordination
primitive» dont les regles restent elles-memes indeterminees.
Comment sortir de cette impasse ? Autrement dit, existe-t-il une procedure
collective praticable d’elaboration des regles applicables dans la realisation de la
coordination economique ?
Pour tenter de resoudre ce probleme, on peut, en principe, deriver de la theorie des
choix collectifs trois procedures potentielles d’emergence et de legitimation des regles
collectives de coordination.
1) La premiere possibilite est constituee par ce que l’on appeler la procedure
rationnelle . Elle consiste a considerer que les regles de la coordination emergent comme
resultat (ou «choix collectif») de la confrontation de choix individuels (independants les
uns des autres) strictement rationnels (en particulier transitifs). C’est la solution qui semble
a priori la plus simple et la plus efficiente */ i.e., si tous les agents se comportent de
maniere rationnelle, alors les regles choisies doivent etre optimales. En realite, comme le
montre le theoreme d’impossibilite de Arrow (1974[1951, 1963]), ce resultat est inacces-
sible aux agents economiques des lors notamment que l’on admet l’hypothese d’absence
de «comparaison interpersonnelle des utilites» (Arrow, 1974[1951, 1963]), pp. 31�/35)
et que sont verifiees les conditions de «souverainete des citoyens» (fonction de bien-
etre collectif non imposee par la coutume ou une «force exterieure», c’est-a-dire que
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« . . . tous les choix collectifs sont determines par les aspirations individuelles» ; ibid ., pp.
66�/67) et «d’absence de dictature» (ibid ., pp. 67�/68)17.
Mais, au-dela de l’impossibilite induite par le theoreme de Arrow de realisation d’un
choix collectif optimal a partir de choix individuels parfaitement rationnels, la difficulte
d’atteinte d’un accord sur des regles collectives de coordination, fussent-elles sous-
optimales, decoule aussi de nombreuses indeterminations . En particulier : Qui garantit la
« liberte de choix individuel» ? Qui fixe la procedure de choix et garantit l’application de la
solution collective atteinte par l’agregation des choix individuels ? Enfin, qui determine
(«decrete» ?) la norme d’efficience collectivement souhaitable ou acceptable ? Nous
retrouvons ici */ sous une forme plus elaboree */ l’incompatibilite fonciere entre le
principe de rationalite individuelle calculee et le fait institutionnel (voir supra la
Proposition 1) et le probleme de «regression infinie» qu’elle induit.
2) En fait, la difficulte d’atteinte d’un accord sur des regles collectives de
coordination n’est pas vraiment levee meme en presence d’un «dictateur». En effet, si
la procedure autoritaire ou dictatoriale , consistant pour un agent singulier a pouvoir fixer
unilateralement les regles de la coordination, semble elle aussi a priori efficace
(elimination du probleme de choix collectif), elle souleve egalement */ en plus de ses
implications ethiques et philosophiques desastreuses, sur lesquelles il n’est pas besoin de
s’appesantir */ des difficultes analytiques redoutables.
En particulier, la procedure dictatoriale elimine de fait la question de la coordination
car cette derniere se confond alors avec la definition de ses regles : le «dictateur», en
imposant des contraintes strictes sur les choix, les comportements et les normes de
resultats a atteindre, fait egalement office d’unique coordinateur. Mais n’est-ce pas la
precisement le role de «grand ordonnateur» attribue par la theorie economique au
«secretaire de marche» (version walrasienne) ou au «planificateur central» (version Lange-
Taylor) ? Dans les deux modeles (voir Hamdouch, 1998b), la coordination (mise en
coherence des plans d’agents interdependants aux preferences et aux interets plus ou
moins divergents), son issue (atteinte d’un equilibre general de l’economie) et sa norme
d’efficience (allocation optimale des ressources), de meme que les preferences et les
normes de comportement des agents, sont autant de conditions et de parametres
theoriquement «regles» a l’avance.
Dans ce cadre tres particulier, regles de la coordination et coordination par les
regles se confondent pour dissoudre le probleme fondamental de la coordination,
mais aussi la notion d’institution elle-meme. Car, a moins de considerer le «grand
ordonnateur» comme etant un deus ex machina intangible, il faut bien qu’il vienne de
quelque part et beneficie d’une legitimite reconnue par (ou imposee a) la majorite */ voire
l’ensemble */ des membres de la collectivite consideree. Par la violence directe et la
soumission des peuples ? Cela s’est deja vu dans l’Histoire, en fait pas si lointaine que cela.
Par le biais d’elections « libres et democratiques» ? Cela s’est deja vu dans l’Histoire, dans
ses pages contemporaines les plus sombres. Par la persuasion, le charisme et le leadership
de l’« individu providentiel» ? Cela se rencontre encore couramment de nos jours et est
percu comme quelque chose de «naturel», de « legitime» ou d’« incontournable», au
niveau des Etats-Nations comme dans les organisations economiques, sociales et
politiques.
Dans tous les cas, l’accession au pouvoir permettant au dictateur ou au leader
charismatique d’edicter les regles de la coordination et de les faire appliquer ne vient pas
du neant. Elle est le fruit d’evolutions historiques, de comportements volontaires ou au
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contraire progressivement normes, mais aussi de ruptures brutales (endogenes ou
imposees «de l’exterieur») ou de «choix» collectifs malheureux, autant de mecanismes
qui, chacun a sa maniere, s’enracinent dans un existant , c’est-a-dire dans des structures (ou
normes) politiques, sociales, culturelles . . . et economiques predominantes a un moment
donne de l’histoire d’une collectivite.
En bref, les regles de la coordination, fussent-elles elaborees de maniere
dictatoriale */ ou, a tout le moins, autoritaire */ etablissent un cadre impose ou
«collectivement choisi» pour la realisation de la coordination, mais un cadre necessaire-
ment enracine dans l’histoire d’une collectivite et/ou impulse par son environnement
externe. Le dictateur reglant, en amont, les conditions de la coordination */ et donc,
pouvant pretendre dans le meme temps au statut d’« institution» et de producteur
d’institutions */ est donc aussi, logiquement, path-dependent . . . Il est, par voie de
consequence, lui-meme le produit d’une evolution historique et institutionnelle dont il
reste a definir l’origine et a specifier les principes de deploiement.
3) La procedure dictatoriale, pour pessimiste, philosophiquement desastreuse et
extreme qu’elle soit, ne regle donc pas vraiment le probleme de la «regression a l’infini».
On peut alors envisager, de maniere beaucoup plus optimiste, une procedure diame-
tralement opposee a celle de la dictature : celle d’une elaboration democratique de regles
du jeu collectives a travers la negociation volontaire et l’ajustement mutuel entre des
individus ayant des preferences plus ou moins compatibles.
La procedure negociee ou democratique reconnaıt ainsi une large capacite de choix et
d’expression libre des individus pouvant permettre d’elaborer une solution collective
acceptable. On retrouve ici l’idee de «gouvernement par la discussion» avancee par James
Buchanan (1954, p. 120) comme composante essentielle de la democratie. Dans ce cadre,
les «valeurs sont etablies ou validees et reconnues et acceptees a travers la discussion , une
activite qui est a la fois sociale, intellectuelle et creative» (Knight, 1947, p. 280, cite par Sen,
1995, p. 16 ; notre traduction)18.
La «discussion» constitue donc une procedure tout a fait plausible */ et, sans doute
aussi, philosophiquement desirable */ d’elaboration de valeurs et de normes collectives
de comportement sur une base d’interaction democratique entre les individus constitutifs
d’une collectivite. Mais elle necessite, en amont, a la fois des outils de communication (en
particulier le langage) et des modeles individuels de representation de l’environnement
dans lequel s’inserent les agents et leurs interactions sociales. En effet, comme le souligne
Geoffrey Hodgson (1998, p. 183 ; notre traduction) : «Avant qu’un individu puisse choisir, il
ou elle requiert un cadre conceptuel donnant un sens au monde. . . . De plus, notre
interaction avec d’autres necessite l’utilisation de l’institution qu’est le langage. Nous ne
pouvons pas comprendre le monde sans concepts et nous ne pouvons pas communiquer
sans une certaine forme de langage.» Arrow (1987 [1986], p. 38) va encore plus loin et
souligne que, meme dans l’hypothese d’interactions entre individus parfaitement
rationnels, «[c]haque agent doit . . . disposer d’un modele de l’economie tout entiere, si
l’on veut preserver le caractere rationnel de la theorie».
Ainsi, la discussion (ou la negociation) comme procedure d’elaboration de regles
collectives de la coordination n’apparaıt-t-elle realisable que si elle repose elle-meme sur
des dispositifs institutionnels (valeurs, codes ou normes) preexistants . . . Mais alors, d’ou
viennent ces dispositifs institutionnels ?19 Par ailleurs, comment ou par qui sont fixees les
regles de negociation ou la procedure democratique a suivre de maniere a ce que leur
legitimite soit assuree ? On retrouve a nouveau le probleme de regression a l’infini du
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raisonnement20. Cependant, ainsi que nous le verrons plus loin, la procedure democra-
tique reprend toute sa pertinence des lors que l’on abandonne le principe de rationalite
strictement individuelle et controlee.
Au total, bien que ce soit sous des formes et avec des implications (notamment
philosophiques) tres differentes, les trois procedures passees en revue se heurtent au
meme probleme d’indetermination des conditions permettant de justifier de maniere
coherente, sous l’hypothese de rationalite individuelle calculee (ou controlee), l’emergence
et la legitimite d’institutions dans la problematique de la coordination
On peut alors formuler une deuxieme proposition generale, a la fois corollaire et
complementaire de la Proposition 1 :
Proposition 2 : Sous l’hypothese de rationalite strictement individuelle et controlee, il n’existe
logiquement aucune procedure collective garantissant l’elaboration et la legitimation de
regles ou de dispositifs specifiques de coordination.
Cette proposition peut etre justifiee comme suit :
Pour les procedures rationnelle et negociee, cette impossibilite logique resulte
directement du principe de rationalite individuelle controlee (voir l’argumentation
developpee ci-dessus sur l’apparition systematique du probleme de regression infinie
du raisonnement).
Concernant la procedure dictatoriale, l’impasse est moins directe, mais tout aussi
patente. En effet, dans ce cas-la, le principe de rationalite stricte peut etre a priori
logiquement compatible avec l’emergence de l’« institution» particuliere qu’est le
dictateur, mais a condition toutefois de considerer que seul ce dernier peut etre dote
d’un tel attribut de comportement */ qu’il utilise ainsi unilateralement pour imposer aux
autres membres de la collectivite des regles de coordination conformes a ses seules
preferences individuelles. En admettant cela, il faudrait alors expliquer pourquoi seul le
dictateur potentiel pourrait beneficier de ce privilege exorbitant d’attribut de rationalite
stricte. A contrario , si l’on s’ecarte de cette hypothese improbable et que l’on admet la
generalite du principe de rationalite stricte, alors tout membre de la collectivite est un
dictateur en puissance, car il serait logiquement en position d’user de sa rationalite
individuelle calculee pour imposer ses propres regles aux autres membres. Le conflit
interindividuel entre «candidats a la fonction dictatoriale» serait alors total et illimite.
D’ou, la encore, l’impossibilite d’une emergence et d’une legitimite endogenes de regles
collectives de coordination.
Pour echapper a cette impasse logique et au probleme d’« infinite regress » qu’elle
souleve, il faut alors renoncer a un double titre a l’hypothese de rationalite individuelle
calculee21 et admettre que le comportement des agents :
18 est base sur un principe de rationalite socialisee . Ainsi, en suivant K. Arrow, on doit
convenir que la rationalite ne peut plus etre apprehendee « seulement [comme] une
propriete de l’individu [isole] . . . Le concept meme de rationalite est menace, parce que
la perception des autres, et en particulier de leur rationalite, devient un element de notre
propre rationalite» (Arrow, 1987 [1986], pp. 25�/26). Dans cette perspective, la rationalite
devient une propriete relationnelle , et non pas strictement individuelle ;
28 repond, au moins partiellement, a un principe de rationalite systemique (March, 1978
[1991]), c’est-a-dire une forme de rationalite qui fait reference a la fois a l’interde-
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pendance contextuelle et inter-temporelle des choix des agents, a la nature en partie non
intentionnelle et non calculee des comportements individuels et des interactions entre
agents, et au caractere historique de la formation de leurs preferences individuelles et
collectives22.
C’est a cette double condition que la coordination particuliere susceptible de faire
emerger des normes et regles institutionnelles legitimes de coordination economique
peut etre justifiee sur une base endogene (car essentiellement non intentionnelle et
decoulant des interactions memes entre agents), et que des mecanismes institutionnels
comme la confiance ou l’ajustement mutuel peuvent etre envisages comme dispositifs
impliques dans la realisation de la coordination entre les agents */ fussent-ils partielle-
ment mus par des interets specifiques et guides par des finalites plus ou moins
explicites. Dans ce cadre, la discussion, le debat et la negociation, comme mecanismes
fondant la procedure democratique, peuvent alors prendre toute leur place
comme despositifs essentiels d’elaboration ou de modification des institutions de la
coordination.
Rationalite systemique, coordination et emergence auto-organisationnelledes institutions
La these esquissee dans cette derniere section peut etre formulee de la maniere
suivante : l’endogeneisation des institutions dans la problematique de la coordination
necessite d’inscrire leur emergence et leur activation dans un cadre de rationalite
socialisee et non strictement intentionnelle, c’est-a-dire essentiellement de type system-
ique. Dans ce cadre, ce sont les interactions en large partie non intentionnelles entre
agents au sein d’une collectivite qui produisent, essentiellement de facon auto-organisee ,
des regles et des regularites de comportement indispensables a la realisation de la
coordination economique.
Notre demarche procede en trois temps. Nous explicitons tout d’abord brievement
les proprietes et les formes de rationalite induites par l’hypothese de rationalite
systemique. Nous examinons ensuite les points de raccordement de ces proprietes a la
notion d’institution. Nous montrons, enfin, comment l’interpenetration essentielle entre le
fait institutionnel et le principe de rationalite systemique conduit a soutenir l’hypothese
d’une emergence auto-organisationnelle des institutions impliquees dans le processus de
coordination.
Proprietes et formes generales de la rationalite systemique
La notion de rationalite systemique proposee par James March (1978 [1991])
constitue une base conceptuelle extremement feconde pour depasser l’impasse theorique
sur laquelle debouchent les principales approches de la coordination dans leur
apprehension des institutions. Pour aller a l’essentiel, le concept de rationalite systemique
signifie en particulier que : (i) l’individu (ou l’organisation) prend ses decisions dans un
environnement «ouvert», c’est-a-dire permeable a l’influence des comportements des
autres agents (ou organisations) ; (ii) les decisions actuelles dependent a la fois des
decisions passees («rationalite adaptative») et concomitantes («rationalite contextuelle»),
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et de la maniere dont les preferences se sont historiquement construites et ont evolue
(selon un principe de «rationalite selectionnee») au sein d’une collectivite donnee.
La rationalite systemique repose ainsi sur une vision de la rationalite concue comme
phenomene a la fois social, endogene et evolutif, mais qui n’exclut pas la possibilite de
comportements individuels relevant (plus ou moins significativement) de la logique de
rationalite calculee. En effet, cette derniere n’est pas gommee, mais seulement replacee
dans l’espace social au sein duquel elle se manifeste.
Cette idee d’une rationalite individuelle socialement determinee est partagee */
bien que sous des formes differentes ou nuancees */ par toute une serie d’economistes
de renom, tels Arrow (1974 [1951, 1963], p. 8, 1987), Buchanan (1954, pp. 116�/120), North
(1990, ch. 3), Sen (1995, pp. 2�/3 et 8�/9) ou encore Simon (1991, pp. 35�/37)23. C’est par
exemple le cas de Kenneth Arrow (1987 [1986]) qui ecrit :
Je voudrais en particulier souligner que la rationalite n’est pas une propriete de l’individu
isole , meme si elle est generalement presentee ainsi. En fait, elle tire non seulement sa
force, mais sa signification meme du contexte social dans lequel elle est ancree (Arrow, 1987
[1986], p. 22; nos italiques).
Il ajoute plus loin dans le meme texte :
En realite, pour construire une theorie du comportement economique fondee sur la
notion de rationalite, il faut meme supposer davantage [que la simple presomption par
chaque agent de la rationalite des autres], a savoir que la rationalite de tous les agents doit
appartenir au fonds commun de la societe . . . C’est en ce sens que la rationalite, de meme
que la connaissance de la rationalite, est un phenomene social et non individuel (Ibid ., p. 34;
nos italiques).
L’expression de la rationalite individuelle, fut-elle intentionnelle ou meme calculee,
s’inscrit donc dans le champ des interdependances caracterisant les choix et les
comportements des agents en interaction, c’est-a-dire dans le cadre d’une rationalite au
moins partiellement de type systemique. Par suite, a la difference de Herbert Simon (1957,
1972, 1978), James March ne se contente pas de distinguer rationalite substantive et
rationalite limitee24. Il etablit une typologie fine des formes de la rationalite en opposant
deux grandes categories : d’une part, celle qui recouvre les formes de rationalite calculee
ou controlee (y compris la rationalite limitee)25 ; d’autre part, celle qui regroupe les formes
de rationalite systemique . Cette derniere recouvre trois formes principales (March, 1978
[1991, pp. 140�/141]) :
(i) la rationalite adaptative , qui decoule de « l’apprentissage experimental des individus et
des collectivites» ;
(ii) la rationalite selectionnee , qui traduit le fait que « . . . les regles de comportement tirent leur
intelligence non pas du calcul conscient de leur rationalite par les detenteurs presents
d’un role, mais de la survie et de la croissance des institutions sociales au sein desquelles
ces regles sont appliquees et ces roles interpretes . . .» ;
(iii) enfin, la rationalite a posteriori , qui signifie que « la decouverte d’intentions [apparaıt] plus
comme une interpretation de l’action que comme une position a priori . . . . Selon cette
optique, les actions sont endogenes et conduisent a une experience qui est organisee en
une evaluation apres le fait. L’evaluation se fait en termes de preferences generees
par l’action et ses consequences, et les choix sont justifies par leur coherence a posteriori
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avec des objectifs qui ont eux-memes ete elabores par une interpretation critique du
choix . . .».
Par opposition aux formes de rationalite calculee ou controlee26, les formes de
rationalite systemique presentent ainsi des caracteristiques qui renvoient a des dimensions
institutionnelles tres perceptibles, notamment celles d’absence d’intentionnalite systema-
tique des choix27 et de comportements des agents bases essentiellement sur l’experience,
l’habitude la croyance ou la « logique pratique» (Bourdieu, 1980).
Les institutions, produit et miroir de la rationalite systemique
Sur un plan general, le rapprochement entre les notions d’institution et de rationalite
systemique , et entre leurs caracteristiques et proprietes essentielles telles qu’elles viennent
d’etre explicitees, laisse peu de doute quant a leurs multiples intersections et articulations.
De maniere directe, on peut en effet inferer du rapprochement entre ces deux notions le
fait que les comportements humains sont en large partie non intentionnels et reguliers . Ils
decoulent fondamentalement de preceptes , de regles , de procedures habituelles , de
croyances , de normes sociales ou morales . . . issus de l’histoire des individus et des
collectivites, et de l’apprentissage et de l’experience accumules au cours du temps.
Les choix et comportements actuels ne se definissent donc pas dans l’absolu : ils
sont faconnes par des modes de pensee et des schemas d’action elabores progressive-
ment sur la base des choix et des comportements passes. Ils reposent sur des routines
constituees par accumulation et selection de procedures, d’experiences et de resultats
apparaissant, ex post , comme acceptables ou satisfaisants. Ils sont ainsi «dependants du
sentier», c’est-a-dire de la trajectoire d’elaboration et d’evolution des choix et des
comportements qui les ont precedes.
Ce role cle de l’Histoire dans la determination institutionnelle des comportements
est souligne avec clarte par Douglass North (1990, preface, p. vii) :
History matters. It matters not just because we can learn from the past, but because the
present and the future are connected to the past by the continuity of a society’s
institutions. Today’s and tomorrow’s choices are shaped by the past. And the past can
only be made intelligible as a story of institutional change.
Le comportement humain est donc conditionne par des regles et des normes
sociales historiquement construites et evolutives, et il apparaıt comme etant fondamen-
talement adaptatif. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le concept de «docilite»
defini par Simon (1991, p. 35) :
To be docile is to be tractable, manageable, and above all, teachable. Docile people tend
to adapt their behavior to norms and social pressures of the society. . . . The argument is
not that people are totally docile, nor that they are totally selfish, but that fitness calls for
a measured but substantial responsiveness to social influence. . . .
De fait, ainsi que l’indique March (1978 [1991, p. 143]), les preferences et les gouts
sont eux-memes largement determines par des regles institutionnelles et un environne-
ment social :
Les choix sont souvent faits sans reference aux gouts. Les decideurs prennent chaque
jour des decisions en laissant de cote leurs propres preferences. Ils suivent les regles, les
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traditions, leur intuition et les conseils de leurs pairs. . . . Si les gouts ont leur part dans le
choix des actions, il est egalement vrai que ces actions et leurs consequences influent a
leur tour sur les gouts. Ceux-ci sont en partie determines de maniere endogene.
Les comportements humains repondent ainsi a un principe de rationalite system-
ique parce qu’ils sont institutionnalises, alors que les institutions sont elles-memes le
produit des comportements des individus et de leurs interactions passes28. Et ce
«produit», qui se manifeste au travers de regularites de comportement et de formes
routinieres d’interaction entre individus, resulte lui-meme de comportements et de choix
au moins en partie non intentionnels, en particulier parce que les preferences changent
essentiellement de maniere endogene29, sont adaptatives et souvent elaborees a
posteriori */ en ce qu’elles permettent de «rationaliser l’action apres coup» (March,
1978 [1991, pp. 151�/152]).
Institutions et rationalite systemique constituent ainsi deux notions jumelles,
indispensables l’une a l’autre dans leur essence meme, ou, plus precisement, se
determinant l’une l’autre de maniere endogene. D’ou la Proposition 3 :
Proposition 3 : Dans leurs fondements essentiels comme leurs modes de manifestation, le
fait institutionnel et le principe de rationalite systemique s’impliquent mutuellement.
En effet, le caractere en partie non intentionnel, adaptatif et socialement norme des
comportements individuels (rationalite systemique) decoule de l’existence durable de
regles et de normes agissant comme des preceptes de comportement reguliers juges
globalement comme acceptables ou satisfaisants (institutions «selectionnees» a poster-
iori comme resultat des interactions et des comportements adaptatifs passes). On
retrouve ici la caracteristique de «docilite» des individus (conformation et adaptation des
comportements individuels aux normes et pressions de la societe) dont parle H. Simon
(1991), pp. 35�/36; voir supra ). Symetriquement, l’existence de regles et de normes de
comportement ayant emerge et s’etant imposees (rationalite selectionnee ) de maniere
largement non intentionnelle (rationalite a posteriori ) et progressive (rationalite
adaptative ) apparaıt clairement comme etant le resultat de comportements et
d’interactions repondant aux principes generaux de la rationalite systemique.
Il reste alors, pour assurer le «bouclage» du raisonnement, a etablir les conditions
formelles d’emergence endogene des institutions.
Rationalite systemique, auto-organisation et emergence endogene desinstitutions
Le depassement de l’impasse logique sur laquelle butent les principales approches
de la coordination necessite de modifier les hypotheses comportementales sous-tendant
la procedure d’elaboration collective des regles. En particulier, il faut non seulement rejeter
l’hypothese de choix realises a partir de comportements strictement individuels et
parfaitement rationnels, mais aussi purement intentionnels (dans un cadre de rationalite
limitee).
La procedure auto-organisationnelle repose precisement sur cette hypothese
d’emergence essentiellement non intentionnelle des regles et des institutions. On dit en
effet d’un systeme qu’il est auto-organisateur lorsqu’il est capable de «produire [en
presence d’un ‘bruit’ ou d’un desequilibre], par lui-meme, et pas necessairement de maniere
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volontaire ou consciente , une structure, une organisation, un nouveau mode de
comportement et/ou ses propres regles de fonctionnement » (Paulre, 1997, p. 134; nos
italiques).
Suivant ce principe, les regles impliquees dans la coordination economique
emergent historiquement des interactions */ y compris a travers la «discussion», le debat
et la negociation fondant la logique democratique */ entre individus (ou groupes
d’individus) au sein d’une collectivite. Les regles emergentes se renforcent, se stabilisent
et se transforment, a un moment donne, en normes ou contraintes de comportement,
mais elles evoluent aussi sous l’impulsion des comportements (en partie calcules, en partie
non intentionnels, voire inconscients) des individus ou groupes d’individus et de leurs
multiples interactions (avec des nuances d’un auteur a l’autre, cf. Granovetter, 1985; North,
1990; Simon, 1991; Brochier, 1994; Swedberg, 1994; Hodgson, 1998).
Dans cette perspective, les regles amont et les dispositifs institutionnels de la
coordination dans une economie decentralisee30 constituent un ordre global ou collectif , a
la fois selectif et organise , base sur des comportements locaux non necessairement
intentionnels31.
On retrouve ainsi l’idee avancee par Mark Granovetter (1985) d’emergence des
normes de comportement et d’interaction au travers de relations sociales specifiques (a un
groupe ou a un reseau d’individus) et contextuelles, et non pas generales ou universelles.
En particulier, c’est en inscrivant la confiance dans la logique d’«embeddedness » */ c’est-
a-dire d’«encastrement» du phenomene dans les relations sociales ou interpersonnelles
telles qu’elles prennent place dans des interactions specifiques entre individus ou groupes
d’individus au sein d’une collectivite */ que l’on peut echapper a l’etau conceptuel
induit par les conceptions «sur-socialisee» (confiance�/calcul) et «sous-socialisee»
(confiance�/institution universelle) de la confiance (voir supra section 1) :
The embeddedness argument stresses . . . the role of concrete personal relations and
structures (or ‘networks’) of such relations in generating trust and discouraging
malfeasance . . . ; social relations, rather than institutional arrangements or generalized
morality, are mainly responsible for trust in economic life (Granovetter, 1985, pp. 490�/
491).
Du point de vue de la problematique de la coordination, cette approche nous
semble presenter un triple avantage : d’une part, elle n’elimine pas la possibilite de
comportements bases sur le calcul ou l’opportunisme, mais indique que des relations
interpersonnelles specifiques peuvent decourager ce type de comportements (sur ce
point, voir aussi Menard, 1994, et Cordonnier, 1997)32 ; elle souligne ensuite le caractere
contextuel et non pas general de l’emergence et de la soutenabilite de relations de
confiance ; enfin, elle insiste sur le fait que la confiance emerge dans les interactions
effectives entre agents, c’est-a-dire dans la coordination elle-meme.
La confiance, comme mecanisme de support de la cooperation entre des agents aux
preferences et aux interets partiellement divergents, s’inscrit donc essentiellement dans
une logique de rationalite systemique , et son caractere institutionnel n’est pas pre-
determine, mais enchasse dans la durabilite et la stabilite des reseaux de relations
interpersonnelles. Pour dire les choses autrement, des agents en interrelation cooperent
essentiellement, non pas selon des codes preetablis qui s’imposent systematiquement a
eux «de l’exterieur», mais selon des regles ou normes de conduite qu’ils contribuent eux-
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memes, collectivement , a forger au fil de leurs interactions et de l’evolution des reseaux de
relations sociales dans lesquels s’inscrivent ces interactions.
L’argumentation qui precede souligne ainsi clairement la coherence conceptuelle de
la logique auto-organisationnelle et du principe de rationalite systemique dans la
justification des conditions d’emergence, de legitimation et d’activation endogenes de
regles generales et de dispositifs institutionnels specifiques de coordination. D’ou la
Proposition 4, qui permet de «boucler» logiquement le raisonnement structurant cet
article :
Proposition 4 : L’emergence endogene */ c’est-a-dire satisfaisant simultanement aux
conditions d’existence et de legitimite */ d’institutions en amont et/ou au sein de la
coordination economique doit etre realisee de maniere essentiellement non intentionnelle ou
auto-organisationnelle. Elle decoule donc fondamentalement d’un principe de rationalite
systemique.
Cette proposition se justifie comme suit : l’existence et la legitimite d’institutions en
amont et au sein de la realisation meme de la coordination ne peuvent etre etablies que
si l’on se place explicitement dans un cadre d’emergence essentiellement auto-
organisationnelle des institutions. Or ce cadre repose fondamentalement sur l’hypothese
d’une capacite relativement autonome du systeme (par opposition aux comportements
strictement individuels et intentionnels supposes des agents) a produire un «ordre» ou
ses propres regles de fonctionnement. La logique auto-organisationnelle implique donc
le respect des hypotheses de non intentionnalite systematique et de socialisation des
comportements et des modalites d’interaction entre agents. Elle repond, par consequent,
a un principe de rationalite socialisee et systemique . Par suite, l’emergence endogene des
institutions dans la problematique de la coordination est logiquement impossible dans
un cadre de rationalite strictement individuelle et calculee.
A partir des Propositions 1 a 4 et des arguments qui ont servi a les etayer, on peut
alors poser l’articulation theorique entre institutions, nature de la coordination et principe
de rationalite systemique de la maniere suivante :
1) Si les regles de la coordination et les dispositifs institutionnels qui y sont actives
emergent essentiellement de maniere conventionnelle ou auto-organisee, alors la
rationalite qui fonde les comportements des agents et leurs interactions est au moins
partiellement de nature systemique.
2) Par suite, les comportements et interactions des agents au sein du processus de
coordination economique sont eux-memes en partie conventionnels, routiniers, regle-
mentes ou normes. Dans ce cadre, la coordination economique ne peut pas
fondamentalement correspondre a la confrontation de plans individuels ou de choix
d’arrangements contractuels etablis independamment les uns des autres sur la base d’un
calcul rationnel isole. Elle recouvre, au contraire, un processus d’interaction effective entre
des agents plus ou moins differencies et decentralises, mais interdependants 33, dont le
resultat (allocation, echange et creation de ressources) decoule de la combinaison
evolutive de choix, de comportements et d’actions a la fois rationnellement limites (finalises
mais imparfaits), adaptatifs (progressivement construits et modifies par apprentissage),
en partie non intentionnels (fortuits ou conventionnels), et interconnectes (s’influencant
les uns les autres), dans leur elaboration comme dans leur deploiement.
3) Ce sont alors precisement ces comportements et interdependances qui permettent de
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produire, dans la realisation meme de la coordination, des dispositifs d’interaction bases
sur la cooperation, la confiance, la discussion, la negociation, la communaute de valeurs
ou l’ajustement mutuel, c’est-a-dire des dispositifs repondant a un principe de rationalite
sociale (ou «partagee») et adaptative, et non pas strictement individuelle et controlee.
Conclusion
La demarche adoptee dans cet article visait a identifier, au travers d’une
argumentation essentiellement deductive, les conditions d’endogeneisation du fait
institutionnel dans la problematique de la coordination economique. L’effort analytique
a ainsi consiste a tenter de montrer que c’est la renonciation au principe de rationalite
strictement individuelle et controlee */ et, parallelement, la reconnaissance des dimen-
sions systemiques de la rationalite */ qui constitue la cle fondamentale de cette
endogeneisation. Dans ce cadre, c’est la nature largement non intentionnelle des
comportements des agents et le caractere socialise et conventionnel de leurs interactions
qui, a la fois, permet d’etablir des regles collectives de coordination, et contribue a la
realisation meme de cette coordination par le biais de mecanismes routiniers ou habituels,
comme la cooperation, la negociation et l’ajustement mutuel.
Cependant, ainsi que cela est souligne avec force par de nombreux auteurs, tous
eminents economistes ou sociologues */ tels Arrow (1963 [1974], 1987), Bourdieu (1980,
1997), Elster (1985, 1989b), Granovetter (1985), Simon (1991), Brochier (1994), Swedberg
(1994), Sen (1995), Hodgson (1998) */ les individus ne sont pas de simples esclaves des
structures qui orientent leurs comportements ; ils en sont aussi et surtout, volontairement
ou non, a travers leurs preferences, actions et interactions multiformes et evolutives, les
concepteurs decisifs.
On peut ainsi suivre Simon (1991, p. 35) qui, tout en reconnaissant la force
d’influence et de contrainte de la societe sur les comportements individuels (‘Society has
enormous powers, enduring through a person’s lifetime, to enhance or reduce
evolutionary fitness ’), prend le soin de souligner quelques lignes auparavant : ‘Society is
not imposed on humans; rather, it provides the matrix in which we survive and mature and
act on the environment’ (ibid .).
C’est aussi la position defendue notamment par Hubert Brochier (1994), qui indique
que la relation entre l’individu et les structures sociales se situe vraisemblablement dans
une conception intermediaire entre individualisme methodologique et holisme.
Plus precisement, dans cette relation complexe entre le contraint et le construit,
entre les structures et les comportements, ou encore entre le macro-economique et le
micro-economique, les individus et les organisations evoluent en fait dans une dynamique
de type «macro�/micro�/macro» (Hamdouch, 1998b). Au sein de cette dynamique, les
comportements microeconomiques sont, au cours d’une periode donnee, orientes,
normes ou contraints par les structures et regles existantes */ qui ne sont elles-memes
que le produit historique et cumulatif des comportements et changements passes */,
mais ils contribuent, a leur tour, au travers des actions et interactions plus ou moins
intentionnelles qu’ils induisent, a transformer progressivement ou plus brutalement ces
structures ou regles et a en dessiner de nouvelles. C’est en ce sens que les individus,
interagissant entre eux et avec leur environnement selon un principe de rationalite
systemique, apparaissent a la fois comme «produits» et «producteurs» (Hodgson, 1998,
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p. 177) des structures institutionnelles au sein desquelles ils agissent, se coordonnent et
evoluent.
La spirale de la regression infinie caracterisant l’articulation entre coordination et
institutions est ainsi rompue. Non pas tant principalement grace a un changement de
perspective methodologique dans la structuration du raisonnement et de l’analyse, mais
essentiellement et plus fondamentalement par la reconnaissance du fait que l’Histoire,
produit cumulatif de comportements humains, d’interactions sociales . . . et du temps
irreversible, se charge tres bien toute seule de modeler et de transformer les individus,
leurs modes de pensee, de comportement et d’interrelation, tout en assumant sa propriete
naturelle d’« infinite regress » par son caractere non moins naturellement «path-depen-
dent ». Et c’est precisement en tenant compte explicitement de ce caractere structurant de
l’Histoire et de la nature systemique de la rationalite des agents que l’analyse economique
peut, nous semble-t-il, contribuer a eclairer les decideurs sur les possibilites de
depassement des blocages institutionnels herites du passe et soutenir les tentatives
actuelles de changement institutionnel qui apparaissent si necessaires dans de nombreux
domaines, aux differents niveaux nationaux comme au plan mondial.
NOTES
1. J’ai beneficie de nombreuses remarques et de suggestions tres utiles sur deux versions
precedentes de cet article. Je voudrais ici remercier tout particulierement Med Kechidi,
Roland Lantner, Didier Lebert, Ronald Pohoryles et les rapporteurs anonymes de la revue
pour leurs encouragements et leurs commentaires stimulants. Il va cependant de soi que
je reste seul responsable des idees exprimees dans le texte et des erreurs ou omissions
qui pourraient y subsister.
2. Dans la Societe bloquee , Michel Crozier (1984) [1970]) soulignait deja la difficulte de
mettre en œuvre les changements institutionnels (reformes structurelles, evolution des
mentalites et des modes d’interaction entre les differents groupes d’acteurs, etc.) requis
pour depasser les blocages de la societe francaise et mettait en garde contre les
«solutions» brutales :
Certes, la societe francaise est affligee de blocages graves. Mais ce n’est la qu’un
aspect des choses. Cette meme societe, par ailleurs, change et construit. Pour
l’aider a aller dans ce sens, il n’est pire recette que de vouloir la «debloquer» d’un
seul coup */ soit par un reformisme brutal, heritier des illusions revolutionnaire,
soit meme par une constante tentative de «faire sauter les verrous», sans plus de
reflexion. Car jamais le changement ne naıt de quelque miraculeuse « liberation» :
il exige un difficile apprentissage collectif, dont nous n’avons pas encore une idee
bien claire, mais que deja nous pressentons incontournable. Tous les choix
collectifs, toutes les actions politiques, devraient se mesurer a l’aune de cette
question decisive : contribuent-ils a surmonter les blocages ou a les renforcer ? Ou,
pour le dire autrement, favorisent-ils ou non l’apprentissage de rapports nouveaux
entre les hommes (Crozier, 1984 [1970], p. 5).
3. Dans son intervention lors du Forum economique organise par le Fonds Monetaire
International le 8 novembre 2002 sur le theme du role du Fonds (et des organisations
internationales en general) dans le renforcement de « la qualite et [de] la portee des
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rouages institutionnels [comme] composantes essentielles du developpement, de la
croissance et surtout de la stabilite economique des pays», Jeffrey Frankel a propose une
analyse dans laquelle un des deux parametres cles de definition de ce role est constitue
par les reponses possibles a la question qu’il a formulee de la maniere suivante : «A quel
point les economistes ont-ils l’assurance de detenir la bonne reponse ?». Voir le compte-
rendu du Forum publie dans le Bulletin du FMI , vol. 31, no. 22, pp. 369 et 372�/374 (FMI,
2002).
4. Ce constat est patent par exemple dans le cas de l’analyse des changements
institutionnels censes promouvoir le developpement economique. Comme l’exprime
bien Moises Naim (1999, p. 11) a propos de la mise en œuvre de la «deuxieme generation
de reformes» pour les pays en developpement dans le cadre du «Consensus de
Washington» :
Once the economic reform establishment discovered ‘institutions’, no speech or
policy paper could be written about market reform without including a fashion-
able reference to the need to strengthen institutions. In particular, it has become
now obligatory to refer to the need to develop the institutions that are relevant for
the establishment of the rule of law, for effective regulatory frameworks, and, of
course, for the provision of health and education to the poor. Unfortunately, far
fewer of these speeches and papers include useful ideas of how to implement these
needed institutional reforms . (Nos italiques)
Pour d’excellentes analyses sur la question des changements institutionnels dans les
pays en developpement ou en transition, cf. aussi Matthews (1986), Lavigne (1994),
Stiglitz (1999) et Kornai (2000).
5. Des references regulieres a de tels travaux sont cependant faites tout au long de l’article
(travaux de Pierre Bourdieu, Jon Elster, Mark Granovetter, Richard Swedberg, etc.) pour
appuyer precisement l’idee que la conception standard de la rationalite en economie */
ce que Pierre Bourdieu (1997, p. 51) appelle le «cynisme rationnel» */ doit necessaire-
ment s’ouvrir a une certaine sociologie des motivations du comportement humain et a la
prise en compte des dimensions sociale et historique dans la caracterisation des
processus de coordination.
6. Je ne traite pas non plus des fondements philosophiques de la rationalite en economie.
Pour une analyse fouillee, cf. l’excellent article de Robert Sugden (1991). Jon Elster (1985,
1989a, 1996a, 1998, entre autres), pour sa part, traite egalement de cette question et
d’autres aspects (psychologiques, anthropologiques, etc.) de la rationalite, notamment au
travers des relations entre rationalite, emotions, morale et normes sociales.
7. D’autres economistes ou sociologues (tels George Akerlof, Kenneth Arrow, Jon Elster ou
Harrison White, par exemple) adoptent des positions beaucoup plus nuancees et
mesurees par rapport a ces deux tendances. Pour un panorama des conceptions variees
des relations entre sociologie et economie, on peut se reporter aux interviews realisees
par Richard Swedberg (1990) aupres d’eminents economistes et sociologues. Parmi les
questions posees aux interviewes, celles relatives a la rationalite optimisatrice et a
l’« imperialisme economique» etaient parmi les plus importantes.
8. Sur toutes ces approches, cf. en particulier : Favereau (1989a,b), Menard (1990, pp. 16�/
18, 1995), Hodgson (1993, 1994, 1998), Brousseau (1993, 1999), Orlean (1994), Villeval
(1995) et Aoki (2001).
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9. De fait, meme si on se limite au sens general fourni par les dictionnaires, le caractere
polysemique de la notion d’institution ressort tres clairement. Ainsi, par exemple, Le Petit
Robert recense-t-il pas moins de quatre grandes significations differentes dans l’usage
moderne du terme : (i) institution�/«action d’instituer» quelque chose ou quelqu’un ; (ii)
institution�/« la chose instituee (personne morale, groupement, regime)» ; (iii)
institution�/«Les institutions : l’ensemble des formes ou structures sociales, telles
qu’elles sont etablies par la loi ou la coutume» ; (iv) institution�/«Donner un caractere
d’institution a quelque chose (institutionnaliser)». Toutes ces significations apparaissent
egalement importantes, meme si la troisieme semble suffisamment generale pour
pouvoir englober les trois autres.
10. On retrouve ici la conception developpee par Douglass North (1990, p. 3) : ‘Institutions
are the rules of the game in a society or, more formally, are the humanly devised
constraints that shape human interaction.’
11. Ces approches constituent globalement ce que Olivier Favereau (1989a) appelle la
«Theorie Standard Etendue». Pour une presentation claire et une discussion du modele
d’equilibre general, cf. Guerrien (1985). Pour une mise en ordre plus generale des
approches se situant dans la mouvance neoclassique, voir en particulier Favereau
(1989a,b), Brousseau (1993) et Villeval (1995).
12. Jon Elster (1996a, p. 1389) definit les normes sociales de la maniere suivante : ‘. . . social
norms as injunctions of behaviour that (i) are non-outcome oriented, (ii) apply to
others as well as to oneself, (iii) are sustained by the sanctions of others, and (iv) are
sustained by internalised emotions’. Voir aussi Arrow (interview in Swedberg, 1990,
pp. 139�/140).
13. Pour une presentation plus detaillee, cf. Hamdouch (1998a).
14. On trouve dans la litterature differentes versions de la nature calculee de la confiance,
du type : «Je fais confiance a l’autre ou je respecte la confiance qu’il a placee en moi . . .»
(i) « . . . parce que j’y ai interet» (position de Williamson, 1993) ; (ii) « . . . parce que la
cooperation vigilante, y compris avec pardon de trahisons ponctuelles, paye plus que la
defection systematique» (interpretation du resultat du jeu experimental initie par
Axelrod, 1984) ; (iii) « . . . parce que, si je trahis, je risque une sanction sous forme d’arret
definitif des transactions avec tous les co-contractants potentiels» (version de Klein &
Leffler, 1981) ; ou encore (iv) « . . . parce qu’un non respect de mes engagements vis-a-vis
d’un autre agent risque d’eroder ou de remettre en cause mon capital-reputation»
(version des jeux de reputation de Kreps & Wilson, 1982).
15. Outre le probleme classique dans la theorie des choix collectifs du passage de la
rationalite individuelle a la rationalite collective tel qu’il est presente par Kenneth Arrow
(voir infra ), on rejoint ici une appreciation plus generale formulee par Alan Kirman (1992,
p. 118) : ‘Individual maximization does not engender collective rationality, nor does the
fact that a collectivity exhibits a certain rationality necessarily imply that individuals act
rationally. There is simply no direct relation between individual and collective behaviour.’
Pour sa part, Jon Elster (1985), p. 146) souligne : ‘It follows my definition of a collective
action problem that rational, selfish, outcome-oriented actors will never choose to
cooperate’, apres avoir defini l’action collective de la maniere suivante : ‘By collective
action, I mean the choice by all or most individuals of the course of action that, when
chosen by all or most individuals, leads to the collectively best outcome’ (ibid ., p. 137).
16. Pour une synthese d’arguments allant dans ce sens, cf. Brochier (1994, pp. 41�/45).
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17. Pour une discussion critique des conditions retenues par Arrow, voir notamment Sen
(1995).
18. Pour Amartya Sen (1999), la democratie est l’institution par excellence, non seulement
parce qu’elle constitue une valeur par elle-meme et qu’elle a un role instrumental dans la
decision politique, mais aussi parce qu’elle est a la base de la construction des valeurs,
des priorites et des besoins au sein d’une societe, notamment par la discussion et le
debat public :
. . . the practice of democracy gives citizens an opportunity to learn from
one another, and helps society to form its values and priorities. Even the idea of
‘needs’, including the understanding of ‘economic needs’, requires public
discussion and exchange of information, views, and analyses. In this sense,
democracy has constructive importance, in addition to its intrinsic value for the
lives of the citizens and its instrumental importance in public decisions. (Sen, 1999,
p. 10)
Sen souligne par ailleurs que l’idee de democratie comme forme «normale» de
gouvernement a emerge historiquement de maniere lente et differenciee au sein de
chaque nation en fonction des ses specificites economiques, sociales et politiques.
Elle ne s’est progressivement imposee comme «valeur universelle» qu’au cours du
vingtieme siecle.
19. Cela est vrai de maniere generale pour la coordination economique, comme le souligne
bien Kenneth Arrow (interview in Swedberg, 1990, p. 140) :
My point is that you need all three elements of the social system for the economic
system to work: the element of communication, such as codes, symbols, and
understanding; the element of social shared norms, which is the reasonable
expectation that the norms will be followed even if it would be profitable not to
follow them at least in the short run; and thirdly, the existing institutions for
enforcement, which themselves operate outside the market system and are
needed for enforcement purposes.
Mais Arrow ne nous dit pas d’ou viennent ces institutions et ce qui les legitime pour
que les individus s’y conforment dans leurs comportements et interactions . . .
20. Cette absence d’explicitation ressort clairement par exemple chez Jon Elster (1996b)
lorsqu’il traite de l’elaboration de nouvelles constitutions dans les pays d’Europe de l’Est
apres la chute du Mur de Berlin. Il defend l’idee que les constituants sont motives
essentiellement par un « interet institutionnel» (defense des valeurs et des interets des
institutions dont sont issus les constituants) alors meme que les contraintes qui pesent
sur leur liberte de choix sont, nous dit-il, generalement faibles ou inexistantes : ‘Usually
these constraints are weak or non-existent because constituent assemblies tend to have
(or to arrogate themselves) . . . the power to determine their own powers’ (p. 63). Le tout
s’inscrit dans un cadre conceptuel fonde sur l’hypothese d’un individualisme methodo-
logique revendique, de possibilite de comportements individuels potentiellement
interesses des constituants et de partialite potentielle dans les choix constitutionnels
operes. En definitive, si les mecanismes potentiels d’agregation des preferences des
constituants sont bien identifies par Elster (argumentation rationnelle, marchandage
base sur des menaces credibles, vote), le processus prevalent in fine reste mal defini.
Dans tous les cas, Elster ne nous indique a aucun moment clairement ce qui explique et
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legitime le fait que des citoyens parmi d’autres s’erigent d’eux-memes en constituants,
ou encore ce qui garantit la legitimite des choix constitutionnels operes. L’emergence,
fut-elle negociee, de cette institution par excellence qu’est une constitution requiert
necessairement l’existence et la legitimite d’institutions prealables (procedures de
designation ou de selection des constituants, regles de negociation, procedures de
compromis et d’arbitrage, etc.), mais dont ni l’origine ni la superiorite sur d’autres
institutions ne sont explicitees.
21. La necessite de ce renoncement (ou, a tout le moins, d’une revision en profondeur du
principe de rationalite individuelle maximisatrice) a ete soulignee sous des formes
differentes par plusieurs economistes de renom appartenant clairement au mainstream ,
mais de facon lucide et critique. C’est le cas notamment de Robert Sugden (1991) qui
ecrit :
. . . I have looked at the suggestion that rational-choice theory is self-defeating. . . .
A conventionally rational person may be less successful at solving problems of
coordination than one who acts on universalisable maxims */ even when the
problem is to coordinate with someone who is conventionally rational. A person
who is forward-lookingly rational as the theory prescribes may do less well in
interactions with others than one who believes that his past intentions provide
him with reasons for present actions (p. 783).
Il conclut :
There was a time, not long ago, when the foundations of rational-choice theory
appeared firm . . . But it is increasingly becoming clear that these foundations are
less secure than we thought, and that they need to be examined and perhaps
rebuilt. Economic theorists may have to become as much philosophers as
mathematicians. (Ibid .)
Voir aussi Kirman (1992).
22. Le concept de rationalite systemique apparaıt ainsi plus general que celui de rationalite
socialisee, qu’il englobe et enrichit de maniere tres feconde. Voir infra .
23. L’idee d’une rationalite socialisee qui n’exclut pas la rationalite individuelle, mais
l’enchasse dans le collectif social auquel appartient l’individu, a ete exprimee il y a
longtemps deja par James Buchanan (1954, p. 116) sous une forme differente : ‘. . .
rationality or irrationality as an attribute of the social group implies the imputation to
that group of an organic existence apart from that of its individual components’. Chez
Jon Elster (1989a, p. 102), la socialisation de la rationalite apparaıt dans le fait que l’action
humaine est guidee a la fois par la rationalite individuelle et par des normes sociales
selon des combinaisons variees :
To accept social norms as a motivational mechanism is not to deny the importance
of rational choice. One eclectic view is that some actions are rational, others are
norm-guided. A more general and more adequate formulation would be that
actions typically are influenced both by rationality and by norms. Sometimes, the
outcome is a compromise between what the norm prescribes and what rationality
dictates . . . At other times, rationality acts as a constraint on social norms . . .
Conversely, social norms can act as a constraint on rationality’. (Cf. supra note 12 la
definition des normes sociales donnee par Elster).
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Voir aussi Defalvar (1992) et Brochier (1994) pour une discussion eclairante sur les
liens entre rationalite individuelle et rationalite collective, et entre individualisme
methodologique et holisme dans les differents courants de la theorie economique
orthodoxe et heterodoxe.
24. Pour plus de clarte, il faut signaler ici que le concept de rationalite limitee a un statut et
un contenu distincts chez March et Simon. Chez ce dernier, le concept de rationalite
limitee a une portee generale dans la caracterisation du comportement humain. Il
designe une rationalite de type procedural, c’est-a-dire une rationalite caracteristique du
comportement d’individus rationnels, mais limites au plan cognitif, et qui, de ce fait,
procedent par apprentissage a la recherche de solutions seulement satisfaisantes ou
acceptables (et non pas maximales ou optimales, comme cela est suppose dans le cadre
de l’hypothese de rationalite substantive) aux problemes qu’ils doivent resoudre (Simon,
1957, 1972, 1978). Pour March (1978 [1991]), au contraire, la rationalite limitee reste
avant tout caracterisee par l’intentionnalite et le calcul. Elle ne constitue qu’une forme
relachee de la rationalite substantive, alors que l’opposition fondamentale, reprise dans
notre argumentation, concerne rationalite calculee (ou controlee) et rationalite system-
ique.
25. March (1978 [1991, pp. 139�/140]) identifie quatre formes generales de manifestation de
ce qu’il appelle la «rationalite calculee ou controlee», respectivement qualifiees de
rationalite limitee , de rationalite contextuelle , de rationalite des jeux et de rationalite de
processus : «Toutes ces optiques envisagent le comportement de personnes intelli-
gentes, evaluant les consequences de leurs actes et agissant pour atteindre les objectifs.
L’action de chacun est supposee etre logique, liee de facon consciente et sensee a sa
connaissance des objectifs et des resultats et controlee par ses intentions . . .» (March,
1978 [1991, p. 140]).
26. Il faut cependant souligner que la frontiere entre rationalite calculee (ou controlee) et
rationalite systemique n’est en realite pas aussi tranchee que le laisse supposer la
presentation qu’en fait March. En effet, deux des formes qu’il range dans la rationalite
calculee, a savoir la rationalite contextuelle et, dans une moindre mesure, la rationalite des
jeux , recouvrent au moins en partie des dimensions systemiques importantes. La
rationalite contextuelle souligne en effet le fait que « . . . le comportement de choix est
noye au milieu des nombreux autres sujets de preoccupation des acteurs et des diverses
structures de relations sociales et cognitives . . .». La rationalite des jeux insiste, quant a
elle, sur le role des « incitations mutuelles» dans les interactions entre agents rationnels
(March, 1978 [1991, pp. 139�/140]). Certes, ces dimensions s’inscrivent, dans l’analyse de
March, dans un contexte de calcul et d’intentionnalite reposant sur une rationalite
individuelle. Mais, en meme temps, cette rationalite ne s’exprime pas dans l’absolu. Elle
se manifeste dans un contexte d’interactions sociales (voir supra la citation de Arrow). Si
l’on admet cela, on peut alors aller plus loin et dire que la rationalite calculee s’inscrit elle-
meme en partie dans un cadre de rationalite systemique, et que donc le champ de la
rationalite systemique est vraisemblablement plus etendu que ce que suggere l’analyse
de March.
27. En suivant Giddens (1987), on peut d’ailleurs ajouter que, meme lorsque l’action
entreprise par un agent est intentionnelle ou finalisee, ses consequences, elles, ne le sont
pas necessairement ni meme frequemment dans l’ensemble. En effet, toute action
declenche generalement une serie d’evenements et d’actions d’autres agents dont les
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consequences cumulees et le resultat ultime peuvent etre difficilement anticipes par
l’agent initiateur de l’action originelle.
28. C’est ce qu’exprime clairement Hodgson (1998, p. 177) lorsqu’il ecrit : ‘Individuals interact
to form institutions, while individual purposes or preferences also are molded by socio-
economic conditions. The individual is both a producer and a product of her
circumstances.’
29. Dans un article remarquable, Samuel Bowles (1998) analyse tres precisement les
mecanismes qui font des preferences essentiellement des «traits culturels» ou des
« influences sur le comportement» acquises par apprentissage au travers des interactions
sociales, c’est-a-dire de maniere endogene.
30. Pour une discussion eclairante des liens entre decentralisation et coordination, et de la
necessite d’institutions legitimes (en particulier l’Etat) afin de depasser le conflit des
«droits individuels» et des interets egoıstes, voir l’article remarquable de Partha
Dasgupta (1980). Douglass North (1991), pour sa part, souligne comment, historique-
ment, l’emergence de «regles impersonnelles» de comportement permettant de
discipliner les comportements opportunistes ou arbitraires sur les marches a cree un
systeme d’obligations et de limites contraignant a la fois les organisations economiques
(basees sur l’echange volontaire, c’est-a-dire sur les interactions decentralisees entre
agents) et l’Etat. Ce dernier ne pouvait en effet etre legitime comme institution garante
des droits et obligations des participants au marche (en particulier le marche des
capitaux) que parce qu’il se limitait a institutionnaliser et a faire respecter les regles
creees de maniere decentralisee par les agents eux-memes.
31. Sur les proprietes impliquees par la notion d’auto-organisation , cf. aussi : Yovits et al .
(1962), Stengers (1985), Lesourne (1992, 1993), Paulre (1997), et Lesourne et Orlean
(1999).
32. On peut faire ici le lien avec l’approche neo-structurale developpee par Emmanuel
Lazega (2003), qui en s’inscrivant dans la lignee des travaux de Harrison White (cf.
notamment White et al ., 1976), tente d’amender et de completer (tout en en acceptant
l’essentiel) la perspective de refondation de la sociologie sur le principe de rationalite
individuelle optimisatrice developpee par James Coleman (1990, 1994). A la suite de
White, Lazega souligne l’importance du niveau meso-social pour comprendre le
comportement et la responsabilite des acteurs, de meme que leurs modes de
coordination au sein de la «societe organisationnelle». Dans ce cadre, les acteurs
rationnels (dans le sens, donne par Lazega, de capacite des acteurs de juger de la
pertinence de leurs actions en les contextualisant) «politisent leurs echanges et leurs
interdependances» (Lazega, 2003, p. 307), mais ils sont egalement soumis a une
«discipline sociale». Cette derniere designe « la capacite de l’acteur a s’auto-restreindre,
au cours de ses negociations avec autrui, dans la definition de ses propres interets
individuels et de l’etendue du champ de ses revendications, ainsi que dans l’exercice de
son pouvoir individuel . . .» (ibid .). Pour aller a l’essentiel, l’auto-restriction vient de ce
que, d’une part l’acteur est suppose pouvoir exercer un «[controle] sur son propre
comportement» (ibid ., p. 314) et, d’autre part, du fait que dans chacun des collectifs
«dont il se reconnaıt etre membre» et au sein desquels il «negocie ses identites d’une
maniere qui hierarchise plusieurs groupes de reference possibles, et donc plusieurs
allegeances et instances de controle social . . .», « . . . l’acteur personnalise l’autorite a
laquelle il temoigne d’une certaine deference, aupres de qui il repond de ses actes en
cherchant une validation ou un assentiment» (ibid ., p. 315). Cette approche est
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interessante en ce qu’elle souligne l’importance de la contextualisation des actions
en reference a un collectif d’appartenance sociale de l’acteur. Elle nous semble
cependant problematique dans la mesure ou elle ne resout pas vraiment la contradiction
entre la conception encore relativement forte de la rationalite individuelle qu’elle retient
et les comportements de «deference» ou d’«allegeance» dont est cense, dans le meme
temps, faire preuve l’individu vis-a-vis d’une «autorite» ou d’« instances de controle
social».
33. Les agents decentralises sont en effet a la fois fondamentalement differents et
interdependants . D’une part, parce que la logique meme de la division sociale du travail
et de l’echange entre des agents plus ou moins decentralises implique a la fois une
differenciation (en termes de fonction d’utilite, d’information, de nature des ressources et
competences, etc.) et une interdependance structurelles de ces agents (Smith, 1776
[1976]; Hayek, 1937, 1945; Richardson, 1972; Arrow, 1987 [1986]; North, 1990; Teece,
1992; Loasby, 1994), et, parallelement, une reconnaissance mutuelle de cette inter-
dependance generalisee. Par suite, les preferences et les choix individuels */ fussent-ils
intentionnels et controles */ tiennent necessairement compte des preferences, des choix
et des comportements des agents avec lesquels existent des interactions (Hahn, 1982;
Arrow, 1987 [1986]; Brochier, 1994; Swedberg, 1994; Hodgson, 1998). D’autre part, parce
que les agents sont caracterises par des differences de representation ou de perception du
contexte d’interdependance dans lequel ils se situent (March, 1978 [1991]; Radner, 1986,
1992; Arrow, 1987 [1986]; Simon, 1991). D’ou la necessite de mettre en œuvre des
mecanismes a la fois formels (commandement par l’autorite et la hierarchie ; contrats) et
informels (culture d’entreprise, persuasion, ajustement mutuel, conventions, etc.)
permettant de coordonner les comportements individuels (ou de groupe) et de gerer
les interrelations instables que genere l’interdependance des agents. (Pour une
presentation plus detaillee de ces arguments, cf. Hamdouch, 1998b.)
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