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doi:10.1016/j.evopsy.2006.02.005 L’évolution psychiatrique 71 (2006) 137 http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/ En couverture Louise Bourgeois, Eye Benches 1 Aurore Cartier* Documentaliste, institut Marcel-Rivière, 78321 Le Mesnil-Saint-Denis, cedex, France Disponible sur internet le 20 mars 2006 Un salon en granite, composé de deux yeux juxtaposés sur lesquels on peut s’asseoir pour contempler le monde, ou mieux encore s’assoupir et laisser ce regard dorsal se nourrir avide- ment de l’éclat de ceux qui l’observent. Réfractant peut-être, transperçant plus certainement pour mieux envahir le corps d’une multitude de perceptions, de sensations et d’émotions, cet œil banquette fait justement corps avec celui qui, ne pouvant le voir, ressent précisément par son intermédiaire. La sculpture est déjà une construction mentale, comme le souligne Xavier Chard-Hutchinson dans la notice qu’il consacre à l’artiste 2 , à l’occasion de l’installation réal- isée au Palais de Tokyo dont est issue la reproduction qui figure en couverture de ce numéro 3 , mais chez Louise Bourgeois la construction va encore plus loin et reproduit le phénomène phy- siologique et sensitif lui-même, voir, sentir ou encore percevoir à travers ce que l’on ne voit jamais autrement que dans un miroir. Née en 1911 à Paris, Louise Bourgois vit à New York depuis 1938. Son œuvre, internatio- nalement reconnue, associe la sculpture et l’installation, elle a inspiré de nombreux commen- taires psychanalytiques tant elle éveille des associations multiples devant cet usage détourné d’objets du quotidien. Mais c’est aussi au cœur d’une expérience sensible, c’est-à-dire phéno- ménologique, qu’elle propulse les spectateurs invités à non seulement partager l’œuvre, mais plus encore à la coconstruire dans l’éphémère d’une rencontre inédite où la perception déborde les contraintes de la trop rassurante rationalisation. 1 Louise Bourgeois ©, « Eye Benches », dans l'exposition « le jour la nuit le jour » du 8 octobre au 24 novembre 2003, au Palais de Tokyo, site de création contemporaine de Paris. 2 Consultable sur le site Internet du Palais de Tokyo avec les archives de l'exposition : http://www.palaisdetokyo.com/ index.php?npage=fr/docu/fichar/bourgeois.html 3 Nous tenons à remercier vivement Margherita Balzerani et le Palais de Tokyo pour leur aide et leur disponibilité.

En couverture : Louise Bourgeois, Eye Benches

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Page 1: En couverture : Louise Bourgeois, Eye Benches

doi:10.1016/j.evopsy.2006.02.005

L’évolution psychiatrique 71 (2006) 137

http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/

En couverture

Louise Bourgeois, Eye Benches1

Aurore Cartier*

Documentaliste, institut Marcel-Rivière, 78321 Le Mesnil-Saint-Denis, cedex, France

Disponible sur internet le 20 mars 2006

Un salon en granite, composé de deux yeux juxtaposés sur lesquels on peut s’asseoir pourcontempler le monde, ou mieux encore s’assoupir et laisser ce regard dorsal se nourrir avide-ment de l’éclat de ceux qui l’observent. Réfractant peut-être, transperçant plus certainementpour mieux envahir le corps d’une multitude de perceptions, de sensations et d’émotions, cetœil banquette fait justement corps avec celui qui, ne pouvant le voir, ressent précisément parson intermédiaire. La sculpture est déjà une construction mentale, comme le souligne XavierChard-Hutchinson dans la notice qu’il consacre à l’artiste2, à l’occasion de l’installation réal-isée au Palais de Tokyo dont est issue la reproduction qui figure en couverture de ce numéro3,mais chez Louise Bourgeois la construction va encore plus loin et reproduit le phénomène phy-siologique et sensitif lui-même, voir, sentir ou encore percevoir à travers ce que l’on ne voitjamais autrement que dans un miroir.

Née en 1911 à Paris, Louise Bourgois vit à New York depuis 1938. Son œuvre, internatio-nalement reconnue, associe la sculpture et l’installation, elle a inspiré de nombreux commen-taires psychanalytiques tant elle éveille des associations multiples devant cet usage détournéd’objets du quotidien. Mais c’est aussi au cœur d’une expérience sensible, c’est-à-dire phéno-ménologique, qu’elle propulse les spectateurs invités à non seulement partager l’œuvre, maisplus encore à la coconstruire dans l’éphémère d’une rencontre inédite où la perception débordeles contraintes de la trop rassurante rationalisation.

1 Louise Bourgeois ©, « Eye Benches », dans l'exposition « le jour la nuit le jour » du 8 octobre au 24 novembre 2003,au Palais de Tokyo, site de création contemporaine de Paris.

2 Consultable sur le site Internet du Palais de Tokyo avec les archives de l'exposition : http://www.palaisdetokyo.com/index.php?npage=fr/docu/fichar/bourgeois.html

3 Nous tenons à remercier vivement Margherita Balzerani et le Palais de Tokyo pour leur aide et leur disponibilité.