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Entrée de Jésus à Jérusalem (Luc 19,29-44)
Je me suis parfois demandé ce que Jésus vivait, éprouvait dans ce moment où il entre à Jérusalem.
Lorsqu'on se l'imagine, ce moment sonne un peu étrange : déjà la manière dont les disciples vont
chercher l'ânon, puis Jésus monté sur un petit âne, ses pieds qui touchent par terre, et la foule qui
l'acclame. Lorsque Jésus regarde et entend cette foule, qu'est-ce qu'il pense ?
Quelques temps auparavant, alors que Jésus est encore en Galilée, Luc nous dit (9.51): « Comme
arrivaient les jours où il allait être enlevé de ce monde, Jésus prit la ferme résolution de se rendre à
Jérusalem ». Le texte grec dit littéralement : « il durcit son visage ». Jésus sait vers quel destin il
marche en allant à Jérusalem, mais il fait le choix d'y aller résolument. Sans doute que pour certains
des disciples, il s'agit de la marche vers la conquête du pouvoir. Et on sent bien, au fur et à mesure
de la progression des évangiles, qu'il commence à y avoir du monde avec lui dans sa marche. Ce
n'est pas parce que Jésus est le Fils de Dieu que tout est facile pour lui. Il est venu pour faire la
volonté du Père, mais il possède une humanité semblable à la nôtre, et comme nous, il n'a aucune
envie de marcher vers la souffrance. Mais il le choisit, un choix qui coûte, par amour pour son Père
et par amour pour nous.
Et après avoir continué à enseigner et à faire des miracles en chemin, voici qu'il arrive à Jérusalem.
Les disciples sont inquiets, ils sentent la tension qui est en Jésus, ils présentent la confrontation à
venir, mais, si, à nouveau, pour certains, il s'agit de la confrontation pour conquérir le pouvoir. Et
les événements actuels dans divers pays nous montrent ce type de confrontation. Pourtant, à
plusieurs reprises, de façon claire ou voilée, Jésus a évoqué sa mort. Et juste quelques versets avant
notre texte de ce matin, Marc nous dit : « Les disciples étaient en chemin pour monter à Jérusalem,
et Jésus allait devant eux. Les disciples étaient troublés, et le suivaient avec crainte. Et Jésus prit de
nouveau les douze auprès de lui, et commença à leur dire ce qui devait lui arriver : Voici, nous
montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux principaux sacrificateurs et aux scribes.
Ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux païens, qui se moqueront de lui, cracheront sur
lui, le battront de verges, et le feront mourir ; et, trois jours après, il ressuscitera. » Tout cela dans
un langage énigmatique.
Et la veille au soir, alors qu'il est à Béthanie prenant le souper chez ses amis Marie, Marthe et
Lazare, alors que Marie oint ses pieds de parfum et que Judas la critique, Jésus réagit en disant :
« Laisse-la faire ! C’est pour le jour de mon enterrement qu’elle a réservé ce parfum. »
Jésus sait qu'il ne va pas à Jérusalem pour régner. Les disciples le croient peut-être encore. Jésus lui
ne l'a jamais cru. Mais à plusieurs reprises, notamment juste après ce texte, les auteurs des évangiles
soulignent que les disciples ne comprennent pas trop ce qui se passe.
Jésus sait qu'il ne va pas monter sur le trône de son père David. Il sait que cette foule qui est là et
qui l'applaudit va se retourner contre lui, crier « crucifie-le » et demander que Barrabas soit libéré à
sa place.
Tout est présent dans ces versets, l'arrestation, la crucifixion et surtout l'objectif final : la
résurrection. Jésus ne nous donne pas simplement l'exemple de quelqu'un qui meurt pour ses idées.
Il sait que cette croix est le chemin pour nous apporter la vie. Et non seulement le sait-il à ce
moment-là, mais il le sait, plus encore, il le choisit en venant dans ce monde. On connaît le texte de
Philippiens 2 où Paul dit que « le Fils, qui, dès l’origine, était de condition divine, ne chercha pas à
profiter de l’égalité avec Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même, et il a pris la condition du serviteur.
Il se rendit semblable aux hommes en tous points, et tout en lui montrait qu’il était bien un homme.
Il s’abaissa lui-même en devenant obéissant, jusqu’à subir la mort, oui, la mort sur la croix. »
L'épître aux Hébreux (10.5-7) le dit autrement: « C’est pourquoi Christ, entrant dans le monde, dit :
Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, Mais tu m’as formé un corps ; Tu n’as agréé ni holocaustes ni
sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : Voici, je viens (Dans le rouleau du livre il est question de
moi) Pour faire, ô Dieu, ta volonté. » Nous le rappelons régulièrement, nous le rappelons déjà à
chaque fois que nous prenons ensemble le pain et le vin, symboles que Christ nous a laissé en
souvenir de sa mort pour nous ; mais alors que nous avançons vers vendredi saint, il est bon de s'en
souvenir tout particulièrement : le Fils, depuis le moment où il choisit de venir vivre parmi les
hommes sait qu'il vient pour donner sa vie pour nous.
Je ne sais pas si c'est spécifique à la tradition luthérienne, en Alsace où le vendredi saint est un jour
férié, mais dans mon enfance, ce jour est sans doute le plus sacré de l'année. Sacré dans le sens où
ne pas le respecter était quelque chose de grave. Il y a les jours joyeux, comme Noël et le dimanche
de Pâques, il y a les jours tristes, moroses, comme la Toussaint. Celui-ci n'était pas triste, il était
sérieux, grave, sacré. On ne travaillait pas, on ne bricolait même pas. On était dans le recueillement
et la pensée de Christ souffrant pour nous.
Jésus sait où il va. L'épisode où Jésus envoie les disciples chercher l'ânon souligne cette
omniscience de Jésus. Il sait où est l'âne, il sait ce que les disciples doivent dire, il sait que les
personnes vont permettre aux disciples de prendre l'âne. Et pourtant ce que les disciples doivent dire
est bien vague : « le maître en a besoin ». Je vous propose d'allez voir dans la rue, prendre un
scooter ou une voiture qui ne vous appartient pas en disant : « mon patron en a besoin ». Je serais
étonné qu'on vous réponde : « Ah oui, si c'est ça, pas de soucie ». En tout cas, je ne vous
conseillerais pas d'essayer. Jésus, par cette phrase nous montre que non seulement il sait, mais qu'il
conduit même les événements. On a bien l'impression qu'il a conduit toutes choses pour que ces
personnes elles répondent favorablement à la demande des disciples, qu'elles leur donne l'ânon. Il
n'est pas pris au dépourvu, il ne marche pas vers une espérance déçue, il va accomplir sa mission.
Jésus est résolu, la foule, elle, va changer et se retourner contre lui. Ce n'est pas que la foule soit
hypocrite, elle est sincère à ce moment-là. Luc nous dit : « toute la multitude des disciples, saisie de
joie, se mit à louer Dieu à haute voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus. Ils disaient : Béni
soit le roi qui vient au nom du Seigneur ! » Mais la foule est changeante, manipulable et les
pharisiens la retourneront sans trop de difficulté.
On a un bel exemple de cela, lorsque Napoléon revient de l'ïle d'Elbe pour reprendre le pouvoir.
Exemple quasiment inverse de celui de Jésus. Ce n'est pas la foule, c'est la presse qui parle, mais on
a conservé les titres des journaux au fur et à mesure que les jours se passent et qu'il se rapproche de
la capitale lors de son retour :
- L'ogre de Corse a débarqué à Golf Jouan !
- Le cannibale marche sur Grasse !
- L'usurpateur est entré dans Grenoble.
- Napoléon marche sur Fontainebleau.
- Sa Majesté est attendue demain à Paris.
En tout cas, pour la foule, Jésus vient à ce moment là pour s'asseoir sur le trône de son ancêtre
David. Est-ce parce qu'ils ont la prophétie de Zacharie en tête : « Ne crains point, fille de Sion ;
Voici, ton roi vient, Assis sur un ânon, le petit d’une ânesse. » ? Non, car Jean dit des disciples eux-
mêmes concernant cette prophétie : « Ses disciples ne comprirent pas d’abord ces choses ; mais,
lorsque Jésus eut été glorifié, ils se souvinrent qu’elles étaient écrites de lui, et qu’ils les avaient
accomplies à son égard. » Ce n'est qu'après la résurrection que les disciples vont prendre
conscience de cette prophétie et de la manière dont Jésus l'a réalisé.
Mais cette prophétie est bien sûr à l'esprit de Jésus, lorsqu'il fait chercher l'ânon. Dans la prophétie
de Zacharie, l'attitude du roi messianique qui vient est mise en contraste avec les chars et les
chevaux de guerre : « Danse de toutes tes forces, ville de Sion ! Oui, pousse des cris de joie,
Jérusalem ! Regarde ! Ton roi vient vers toi. Il est juste, victorieux et humble. Il est monté sur un
âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. À Éfraïm, il supprimera les chars de guerre, et à Jérusalem,
il supprimera les chevaux. Il cassera les arcs de combat. Il établira la paix parmi les peuples. »
C'est donc un roi humble, un roi de paix qui entre à Jérusalem. Et l'ânon, même s'il n'est pas un
animal dénigré en Israël comme il peut l'être en France, souligne cet état de fait. Même s'il n'est pas
en Israël « bête comme un âne », ce n'est malgré tout pas un cheval majestueux sur lequel Jésus est
monté, pas même un âne adulte.
Mais c'est malgré tout bien un roi qui entre à Jérusalem. Jésus peut souligner son humilité, sans se
dévaluer lui-même. En s'asseyant sur cet ânon, il ne dit pas : « Je ne vaux rien comparé aux autres »,
il n'offre pas une image ridicule de lui-même. Il dit : « Je suis le Roi messianique attendu ». Et ce
roi, chez Zacharie, est un roi victorieux, qui vient établir son règne en brisant les arcs de combat. Il
amène la paix, mais il l'amène avec force, il est un roi conquérant. On peut être fort sans être violent.
Bien sûr il va décevoir les attentes de la foule en liesse. Il ne vient pas repousser par la force les
occupants romains. Mais il est le Roi. Un petit détail souligne bien qu'il ne se dévalue pas lui-
même : il prend un ânon qui souligne sa simplicité, mais il prend un ânon qui n'a jamais été monté.
Il choisit une monture digne de lui. Il ne passe pas après quelqu'un d'autre et il y a comme une idée
de pureté dans cet ânon jamais monté.
Comment Jésus reçoit-il alors cette acclamation ? Sans doute accepte-il pleinement de recevoir ces
acclamations en tant que roi. D'ailleurs les pharisiens veulent à un moment que Jésus fasse taire la
foule et il refuse : « Quelques pharisiens, du milieu de la foule, dirent à Jésus : Maître, reprends tes
disciples. Et il répondit : Je vous le dis, s’ils se taisent, les pierres crieront ! » Pour autant, la foule
est en liesse, mais je ne pense pas que Jésus le soit. Il ne l'est pas, parce qu'il sait quel sort l'attend, il
ne l'est pas parce qu'il sait que cette foule va crier crucifie-le, et il ne l'est pas parce qu'il perçoit la
destinée des personnes de cette foule : « Comme il approchait de la ville, Jésus, en la voyant, pleura
sur elle, et dit : Si toi aussi, au moins en ce jour qui t’est donné, tu connaissais les choses qui
appartiennent à ta paix ! Mais maintenant elles sont cachées à tes yeux. Il viendra sur toi des jours
où tes ennemis t’environneront de tranchées, t’enfermeront, et te serreront de toutes parts ; ils te
détruiront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce
que tu n’as pas connu le temps où tu as été visitée. »
Il évoque là la destinée de Jérusalem qui refuse de voir en Jésus son roi, et qui va être détruite, mais
est-ce qu'il n'évoque pas aussi la destinée de ceux qui sont là et qui le refuseront comme Sauveur et
Seigneur de leur vie ?
On voit souvent le dimanche des rameaux comme un jour de joie, de fête, les catholiques font
même bénir les rameaux ce jour-là. J'ai du mal à voir cette entrée dans Jérusalem comme un
moment de joie et à m'identifier avec la foule. Sachant que la foule n'a pas compris qui est Jésus,
qu'elle va le trahir et qu'il est en train de marcher vers la croix, ai-je envie de faire partie de cette
foule ?
En même temps, est-ce que je ne ressemble pas aux individus de cette foule ? D'un côté rempli de
joie de savoir que Jésus est mon sauveur, en même temps le trahissant par toutes mes mesquineries,
par ma médiocrité, par tous ces moments où à travers mon comportement ou mes paroles, je renie
qu'il soit réellement mon Seigneur ? Je ressemble sans doute plus à cette foule que je ne le croie.
En regardant cette foule, je me regarde moi-même et peut-être le Seigneur a-t-il sur moi le même
regard qu'il a sur Jérusalem, à cause de mes infidélités ?
Mais dans la foule, il y a aussi Pierre, Pierre qui se réjouit ici avec les autres, Pierre qui va prendre
la défense de Jésus au Jardin de Gethsémané, par la violence même. Pierre qui va renier Jésus
quelques instants plus tard. Pierre qui se voit alors telle qu'il est dans sa médiocrité. Mais Pierre qui
sera aussi parmi les premiers à voir le Seigneur ressuscité et avec qui Jésus aura l'occasion
d'échanger quelques mots pour avant de partir rejoindre son Père, pour l'aider à se relever.
Lorsque je regarde cette foule alors, je me dis : « Je n'ai pas envie d'être parmi les hypocrites »,
mais je le suis parfois. Se reconnaître dans Jérusalem sur laquelle Jésus pleure à cause du jugement
à venir n'est peut-être pas non plus la meilleure image qui soit pour la vie chrétienne. Mais peut-être
que de se voir en Pierre présent dans cette foule, avec tout son cheminement, avant et après et une
meilleure image pour la vie chrétienne.
Car si la foule est versatile, le Seigneur, lui, ne change pas, et il est là pour me relever.
Puis Jésus arrive à Jérusalem, et va dans le Temple. Dans l'évangile de Marc, il prend le temps de
regarder ce qui s'y passe, et retourne passer la nuit à Béthanie avec les douze. Plusieurs évangiles
n'évoquent pas ce moment, et donnent l'impression que la montée à Jérusalem finit en apothéose,
lorsque Jésus entre dans le Temple, renverse les tables et chasses les vendeurs, revendiquant le
Temple comme une maison de prière pour son Père.
Mais Marc ajoute cette précision, donnant un temps de pause, un temps pour le regard, l'observation,
la réflexion. Sans doute la foule est elle un peu surprise. Est-ce qu'elle s'imaginait marcher jusqu'à
la Bastille, ou plutôt au Palais Royal ? Jésus me fait penser à Néhémie lorsque lui aussi arrive à
Jérusalem, et de nuit, fait le tour de la ville et des murs pour mesurer le travail à entreprendre.
Ce regard de Jésus sur le Temple et sur la ville va donner lieu à ce que nous connaissons bien dans
le jours qui suivront : le geste symbolique de la malédiction du figuier, comme symbole de la
condamnation d'Israël, la purification du Temple, les discours très critiques à l'encontre des
sadducéens et des pharisiens...
Chacun de ces gestes affirme l'autorité et la royauté messianique de Jésus. Ils indiquent aussi
combien il est en désaccord avec les pratiques religieuses de son époque. Et chacun de ces gestes
précipite un peu plus sa perte, provoquant de plus en plus la colère des responsables religieux.
La semaine sainte est une semaine de confrontation, où Jésus, en prophète, dénonce toutes les
errances du peuple de Dieu, et où, en définitive, et comme Jésus le rappelle au cours de cette
semaine par la parabole du maître et des vignerons, où après avoir battu et blessé les serviteurs que
le maître avait envoyé, les vignerons vont tuer le fils du maître, appelant ainsi la colère du maître
sur eux.
Dans la liturgie catholique, ce dimanche s'appelle « Dimanche des Rameaux et de la Passion ». En
réfléchissant à ce message, je me suis rendu compte de combien il était effectivement difficile de
séparer les Rameaux et la Passion. Pourtant on a l'impression que tout oppose ces deux moments :
les Rameaux, moment de joie et d'allégresse de la foule qui célèbre Dieu et son Messie, la Passion,
moment de souffrance du Seigneur dans la solitude, où même Dieu semble loin.
A travers ce message, j'aimerais nous amener à réfléchir à deux choses :
- D'abord, dans cette foule, où il y a beaucoup de monde, où est-ce que je me situe ? Il y a des
personnages connus dans cette foule : Pierre, nous l'avons, dit, mais aussi Jean, Jacques, Matthieu,
les autres disciples, Judas même. Et aussi les femmes, Marie de Magdala, que nous avons évoqué à
la veillée de l'aumônerie, Marie la mère de Jésus, d'autres femmes, Marie et Marthe peut-être,
Lazare leur frère aussi. Et dans cette foule, ceux qui vont devenir croyants après la résurrection, ou
ceux qui ne s'intéresseront pas à lui. Ceux peut-être qui, après la résurrection croiront en lui, mais
qui abandonneront la voie après les premières persécutions, ou à cause des épreuves.
Dans cette foule, le Seigneur me regarde comme il a regardé Jérusalem, et je me regarde. Que pense
le Seigneur de moi ?
- Mais nous voulons aussi et surtout regarder à Jésus. Jésus qui choisit un chemin qui lui coûte, pour
notre salut et le pardon de nos péchés. Le regarder pour lui apporter notre adoration et lui exprimer
notre reconnaissance. Mais le regarder aussi pour le prendre pour modèle pour nos vies. Savoir nous
engager pour lui comme il s'est engagé pour nous, savoir faire des choix qui coûte, pour lui rester
fidèle, comme lui a choisit un chemin qui lui a coûté car il est fidèle à sa parole et il nous est fidèle.