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BioOne sees sustainable scholarly publishing as an inherently collaborative enterprise connecting authors, nonprofit publishers, academic institutions, research libraries, and research funders in the common goal of maximizing access to critical research. Entre sécurité alimentaire, éthique et peur : premiers jalons d'une recherche anthropologique sur la viande issue d'animaux clonés Author(s): Jacqueline Milliet and Anne-Marie Brisebarre Source: Anthropozoologica, 45(1):185-198. 2010. Published By: Muséum national d'Histoire naturelle, Paris DOI: http://dx.doi.org/10.5252/az2010n1a13 URL: http://www.bioone.org/doi/full/10.5252/az2010n1a13 BioOne (www.bioone.org ) is a nonprofit, online aggregation of core research in the biological, ecological, and environmental sciences. BioOne provides a sustainable online platform for over 170 journals and books published by nonprofit societies, associations, museums, institutions, and presses. Your use of this PDF, the BioOne Web site, and all posted and associated content indicates your acceptance of BioOne’s Terms of Use, available at www.bioone.org/page/terms_of_use . Usage of BioOne content is strictly limited to personal, educational, and non-commercial use. Commercial inquiries or rights and permissions requests should be directed to the individual publisher as copyright holder.

Entre Sécurité Alimentaire, Éthique et Peur : Premiers Jalons D'une Recherche Anthropologique sur la Viande Issue D'Animaux Clonés

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BioOne sees sustainable scholarly publishing as an inherently collaborative enterprise connecting authors, nonprofit publishers,academic institutions, research libraries, and research funders in the common goal of maximizing access to critical research.

Entre sécurité alimentaire, éthique et peur : premiers jalons d'unerecherche anthropologique sur la viande issue d'animaux clonésAuthor(s): Jacqueline Milliet and Anne-Marie BrisebarreSource: Anthropozoologica, 45(1):185-198. 2010.Published By: Muséum national d'Histoire naturelle, ParisDOI: http://dx.doi.org/10.5252/az2010n1a13URL: http://www.bioone.org/doi/full/10.5252/az2010n1a13

BioOne (www.bioone.org) is a nonprofit, online aggregation of core research in the biological,ecological, and environmental sciences. BioOne provides a sustainable online platform for over170 journals and books published by nonprofit societies, associations, museums, institutions,and presses.

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ANTHROPOZOOLOGICA • 2010 • 45 (1) © Publications Scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris. 185

MOTS CLÉSNouvelle viande,clonage animal,

�thique,s�curit� alimentaire,

peur alimentaire,consommateurs,

Europe .

Jacqueline MILLIETLaboratoire d’Eco-anthropologie et Ethnobiologie

Muséum national d’Histoire naturelleUMR 7206 du CNRS, UMPC

57 rue Cuvier, 75231 Paris Cedex 05 (France)[email protected]

Anne-Marie BRISEBARRELaboratoire d’Anthropologie sociale, Collège de France-EHESS-CNRS

52 rue du Cardinal-Lemoine, 75005 Paris (France)[email protected]

Milliet J. & Brisebarre A.-M. 2010. — Entre sécurité alimentaire, éthique et peur : premiersjalons d’une recherche anthropologique sur la viande issue d’animaux clonés. Anthropo-zoologica 45(1): 185-198.

RÉSuMÉAprès l’annonce en mars 2007 par la Food and Drug Administrationam�ricaine (FDA) de l’innocuit� de la viande des bestiau� clon�s et de leurprog�niture, donc de sa possible utilisation dans l’alimentation humaine, laCommission de Bru�elles avait r�clam� des avis à l’Autorit� europ�enne des�curit� des aliments (EFSA) et au Groupe europ�en d’�thique des sciences etnouvelles technologies (GEE) . En janvier 2008, la presse rapportait la « gêne »de Bru�elles face au� opinions contradictoires �mises par ces deu� organismes :le rapport provisoire de l’EFSA s’alignant pratiquement sur la positionam�ricaine, tandis que le Groupe europ�en d’�thique ne voyait pas dejustification à « la production de nourriture à partir de clones et de leurprog�niture » et soulignait « les souffrances caus�es au� femelles porteuses etau� animau� clon�s » . Un sondage Eurobaromètre a �t� lanc� pour recueillirl’avis des consommateurs des vingt-sept pays europ�ens et les r�sultats publi�sen octobre 2008 .À partir des articles de presse, des rapports et des avis des sp�cialistes(v�t�rinaires, �leveurs…), et des r�sultats de l’Eurobaromètre, nous avons suiviles d�bats et les r�actions suscit�s par l’�ventualit� de la production et de lacommercialisation de cette « nouvelle viande », ainsi que la question de son« acceptabilit� » par les consommateurs europ�ens .

Entre sécurité alimentaire, éthique et peur :

premiers jalons d’une recherche

anthropologique

sur la viande issue d’animaux clonés

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Milliet J . & Brisebarre A .-M .

En janvier 2008, aumoment où �tait publi� l’appelà communication de ces journ�es d’�tudes, denombreu� articles parus dans la presse et sur le netont rendu compte d’un avis de l’EFSA (EuropeanFood Safety Authority) sur la comestibilit� de laviande issue d’animau� clon�s et de leurs descen-dants . Or, depuis plusieurs ann�es, nous nousint�ressons au� manipulations de toutes sortes,g�n�tiques ou non, pratiqu�es sur les animau� derente dans un but de productivit� �conomique oude bien-être, et à leurs �ventuelles retomb�es, autresque celles recherch�es, sur les animau� eu�-mêmesou sur leurs produits destin�s à l’alimentationhumaine . Cette actualit� nous a donc incit�es ànous pencher sur cette question du clonage animaldans un but alimentaire, en la formulant de façonun peu provocatrice : « Servira-t-on un jour prochain,dans nos cantines scolaires, des steaks de vachesclon�es accompagn�s de frites OGM1 ? » . À partirdes articles de presse, des rapports produits par

diff�rents organismes internationau� ou nationau�,des avis des sp�cialistes (chercheurs, v�t�rinaires,�leveurs…) et des r�sultats d’un sondage « Euro-baromètre », nous avons suivi les d�bats et lesr�actions suscit�s par l’�ventualit� de la productionet de la commercialisation de cette « nouvelleviande », ainsi que les interrogations sur son « accep-tabilit� » par les consommateurs europ�ens .

QU’EST�CE QU’UN CLONE ?

L’emploi du terme « clone » a d’abord �t� restreintau domaine botanique . Il vient du grec klon d�si-gnant « un rameau, une jeune pousse » . Au d�butdu xxe siècle, en anglais ce terme �tait utilis� pour« la descendance v�g�tale obtenue par reproductionase�u�e » et ce n’est qu’en 1953 qu’il apparaît enfrançais avec le sens de « greffon » ou de « bouture »(Mission Agrobiosciences 2007 : 4) . Si certains

KEYWORDSNew meat,

animal cloning,Ethics,

alimentary security,alimentary fear,consummers,

Europe .

ABSTRACTBetween food safety, et�ics and fear: foundation for Ant�ropological Researc� onmeat from cloned animalsIn March 2007 the American Food and Drug Administration (FDA)announced the innocuousness of cloned animal meat, as well as from itsoffspring . Thus, concerning the possible utilization of cloned animal meat inhuman consumption, the Commission of Brussels had requested the advice ofthe Commission de Brussels of the European Food Safety Authority (EFSA)and of the European Group on ethics in sciences and new technologies in theEuropean commission (EGE) . In January 2008, the press reported the“discomfort” felt by Brussels in aligning itself practically with the Americanposition, at the same time as EGE did not see any justification in “theproduction of food from cloned animals and their offspring”, emphasizing“the suffering caused to pregnant animals and to cloned animals” .A Eurobarometer survey was launched to collect the opinion of consumersfrom twenty seven European countries, with results published inOctober 2008 .For this research, we have used articles, reports and the advice of e�perts andspecialists (veterinarians, breeders, etc .), and the results of the Eurobarometersurvey . We have also followed the debates and reactions generated by theeventuality of the production and the marketing of this “new meat”, as well asthe very question of its acceptability by European consumers .

1 . Organisme g�n�tiquement modifi� .

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Entre s�curit� alimentaire, �thique et peur

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v�g�tau� ont la capacit� de se reproduire de façonase�u�e naturellement (marcottage) et artificielle-ment (bouturage), il n’en est pas de même pour lesanimau� (AFSSA 2005 : 6) .Cloner un animal, ce n’est pas modifier son patri-moine g�n�tique mais produire, à partir de sonADN, ce que l’on pensait être une « copie conforme »,e�pression que nous empruntons au titre d’unouvrage du g�n�ticien A�el Kahn (Kahn &Papillon 1998)2 .Diff�rentes techniques permettent d’obtenir un oudes clones, qu’il s’agisse de cellules ou d’êtres vivantscomplets . L’une, le « clivage embryonnaire », consisteen la scission des cellules d’un embryon pr�coce dequelques cellules (morula ou blastocyte) produisantainsi deu� h�mi-embryons identiques sur le modèledes vrais jumeau� . Cette technique de clonage a�t� e�p�riment�e avec succès en 1979, mais sonint�rêt scientifique et �conomique semble limit�3 .L’autre m�thode, le « transfert de noyau », consisteà pr�lever le noyau d’une cellule embryonnaire,puis à le transf�rer dans un ovocyte vid� de sonpropre noyau . Cette technique a �t� e�p�riment�eavec succès au d�but des ann�es 1950 sur des batra-ciens . Mais il faudra attendre 1996 pour que deschercheurs r�ussissent à cloner unmammifère seloncette technique à partir du noyau d’une celluleadulte4 : c’est la fameuse brebis Dolly (Wilmut &Highfield 2007), obtenue à partir d’une cellulemammaire pr�lev�e sur une brebis de 6 ans, maisdont on a constat� le vieillissement pr�matur�5 .Un clone est donc un être vivant poss�dant, enprincipe, le même g�notype que l’individu dont ilest issu, mais « n’ayant pas strictement la même

identit� g�n�tique » (CNA 2008 : 5-6) . Jusqu’àpr�sent la technique n’a �t� appliqu�e avec succèsqu’à une dizaine d’espèces de mammifères . Chezles bovins par e�emple, on constate un tau� très�lev� d’avortements (moins de 5 % des embryonsimplant�s se d�veloppent jusqu’à donner naissanceà un veau) et une forte mortalit� juv�nile (40 %des veau� issus de clonage meurent avant un an) .En revanche, les animau� qui atteignent l’âge adultesemblent normau� . Ils se reproduisent sans pro-blème et leur descendance est tout à fait normale(Wells 2005)6 . Dans le conte�te de l’�levage, l’uti-lisation du clonage consiste, pour l’instant, à mul-tiplier des reproducteurs d’e�ception, des« champions » ayant remport� des concours7, lesmeilleurs animau� pour leurs performances, leurrendement en lait, la quantit� et la qualit� deleur viande…

L’INFORMATION SUR LE CLONAGEÀ BUT ALIMENTAIRE : LES MOTSPOUR LE DIRE OU NE PAS LE DIRE !

Au d�but de janvier 2008, des titres comme « Dela viande d’animau� clon�s dans les assiettes ? » (LeFigaro, 12 janvier 2008), « Les produits issus d’ani-mau� clon�s bientôt en vente au� états-Unis ? »(Le Monde, 13 janvier 2008), apparaissent dans lapresse �crite française et sur la toile . S’agissait-il descience-fiction ou de v�ritables interrogations surles problèmes pos�s par la consommation de viandeet de lait issus d’animau� clon�s ? Ces articles e�pli-quaient qu’au� états-Unis et en Europe, les agences

2 . L’avanc�e de la science fait que cette e�pression est maintenant contest�e car on a constat� que les clonespr�sentent entre eu� plus de diff�rences physionomiques que des vrais jumeau� (Mission Agrobiosciences 2008 :note 9) .3 . En recherchant les r�f�rences bibliographiques sur le clonage animal, nous avons �t� frapp�es par le silencedes publications r�centes sur cette technique qui a pourtant �t� utilis�e dans les d�cennies 1980 et 1990 et quia eu pour r�sultat la production d’un nombre important de clones, en particulier au Japon comme on le verradans la partie de cet article intitul�e « Un pays à la pointe du progrès ? » .4 . Cette technique est d�sign�e par l’e�pression « Transfert de noyau de cellule somatique », Somatic CellNucleus Transfer (SCNT) en anglais .5 . Un vieillissement qui semble li� à celui des t�lomères, e�tr�mit�s des chromosomes, lorsque la t�lom�rase,enzyme protectrice, est absente . Une d�couverte qui vient d’être r�compens�e par le pri� Nobel de M�decine(Le Monde, 7 octobre 2009) .6 . <http://www .science-decision .fr/cgi-bin/topic .php?topic=CLO&chapter=3>7 . Par e�emple des champions de jumping . « En 2006, la soci�t� Cryozootech pr�sentait un poulain issu d’uncheval de renom . Dans ce cas pr�cis, la technique du clonage pr�sente un int�rêt particulier dans la mesure oùles meilleurs comp�titeurs sont en g�n�ral des mâles castr�s » (CNA 2008 : 12) .

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Milliet J . & Brisebarre A .-M .

ayant en charge la s�curit� sanitaire des alimentsavaient �t� sollicit�es pour d�terminer s’il y avaitdes risques pour la sant� humaine à consommer detels produits .Si les m�dias, pour remplir leur devoir d’informerou profiter d’un sujet « vendeur », ne se sont paspriv�s de titrer sur la viande d’animau� clon�s,« dans les communiqu�s de presse �manant de laCommission europ�enne le terme “clonage”, ris-quant d’effrayer les consommateurs, a �t� gomm�et remplac� par des euph�mismes tels “m�thodesnon-traditionnelles” ou proc�d�s “�mergents” dereproduction pour obtenir du lait et de la viande .[…] Le projet de règlement concoct� par Bru�ellesconcerne en fait les nouveau� aliments, dont il viseà faciliter le lancement en r�formant le te�te ant�-rieur de 19978 . Il ne mentionne à aucun momentle clonage en tant que tel .Mais il parle pudiquementdes denr�es provenant d’animaux produits au moyende tec�niques de reproduction non traditionnelles,pr�cisant qu’elles font d�sormais partie des nouveauxaliments » (Lesec�os.fr, 21 janvier 2008) . Sur lemême site, Katia Lenz, avocate du cabinet Gide,Loyrette et Nouel, sp�cialiste du droit alimentaire,affirme que « c’est sans aucun doute du clonagedont il est question, mais dans un manque total detransparence . Les quelques mots concernant leclonage sont pass�s complètement inaperçus » .Par contre, les l�gislateurs ne peuvent faire l’�co-nomie de clarifier la terminologie en s’adressantau� e�perts que sont les scientifiques pour en enca-drer les pratiques . Or la science avance vite, et il seproduit un d�calage entre les termes employ�s dansles lois et la r�alit� des recherches .Pour le profane, le vocabulaire utilis� par les scien-tifiques pour parler des biotechnologies est toutsauf transparent . Ce que remarquent les institutsde sondage quand ils cherchent à recueillir à cepropos l’opinion des non-sp�cialistes, comme onle verra plus loin dans le rapport Eurobaromètre

sur le clonage . Par e�emple, un r�cent rapport dûà des sociologues belges (Claeys et al. 2004) et titr�Biotec�nologie et grand public constate « une diff�-rence d’acceptabilit� qui d�pend de la terminologieemploy�e . Pour l’Europ�en moyen, le terme“biotechnologie” possède une connotation pluspositive que «manipulation g�n�tique» et est doncplus acceptable . Ce ph�nomène peut s’e�pliquerpar l’ajout du pr�fi�e “bio” au mot “technologie”(ibid. : 5), un pr�fi�e connot� positivement enraison de son emploi pour d�signer des pratiquesagricoles respectueuses de l’environnement .

HISTORIQUE DES RAPPORTSSUR LE RISQUE ALIMENTAIRE LIéAU CLONAGE DES BESTIAUx

Le 28 d�cembre 2006, l’Agence am�ricaine des�curit� des aliments et des m�dicaments, Food andDrug Administration (FDA), interrog�e surl’�valuation des risques li�s au clonage animal à butalimentaire, publie un avis favorable soutenant quela viande et les produits laitiers issus de bovins,porcins et caprins clon�s, et de leurs prog�nitures,sont adapt�s à la consommation humaine9 . Cetavis �tait à l’�tude depuis 2004 . Il a donc fallu à laFDA près de trois ans pour se prononcer, c’est direla comple�it� de la question . Dans son rapport laFDA ne requiert pas de mesure particulière deprotection des consommateurs, pas même l’�tique-tage mentionnant l’utilisation de cette techniquede reproduction, estimant qu’il n’y a pas de diff�-rence entre les aliments issus de bestiau� �lev�s« normalement » et ceu� issus du clonage10 . Pourl’affirmer, elle se fonde « sur une notion dite “d’�qui-valence en substance” — il n’y a pas de diff�renceentre un animal et son clone —, ce qui lui permetde consid�rer les clones comme des animau�normau� » .

8 . Règlement (CE) n° 258/97 du Parlement europ�en et du Conseil, du 27 janvier 1997, relatif au� nouveau�aliments et au� nouveau� ingr�dients alimentaires . Il a plusieurs fois �t� modifi� pour autoriser ou interdire desproduits dans l’Union europ�enne, la dernière fois le 25 mars 2009 pour ceu� issus du clonage .<http://europa .eu/legislation_summaries/consumers/consumer_safety/l21119_fr .htm><http://www .romandie .com/infos/news2/0903251642 .8HYDH610 .asp>9 . <http://fda .gov/cvm/Guidance/Finalguideline179 .pdf>10 . D’après le site Agribionet, « la publication de ce rapport a provoqu� une lev�e de boucliers de la partd’organismes de consommateurs au� états-Unis » (P�loquin 2010) .

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Entre s�curit� alimentaire, �thique et peur

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À la suite de la publication de cet avis de la FDA, enmars 2007, à son tour la Commission europ�ennedemande à son autorit� de s�curit� des aliments,l’EFSA (European Food Safety Authority11), un avisscientifique sur les r�percussions du clonage desbestiau� sur la s�curit� alimentaire, le bien-être ani-mal et l’environnement . Elle enjoint notammentl’EFSA de d�terminer si la viande et le lait provenantd’animau� clon�s sont adapt�s à la consommationhumaine . Parallèlement, elle charge leGroupe euro-p�en d’�thique des sciences et des nouvelles techno-logies (GEE), son propre comit� d’�thique, d’�mettreune opinion sur l’�thique du clonage animal .Le 11 janvier 2008, l’EFSA publie un rapport pr�-liminaire dans lequel elle estime peu probable quela s�curit� alimentaire varie entre les produits issusdu clonage et ceu� provenant d’animau� �lev�straditionnellement .

LES PREMIERES REACTIONS DESéLEVEURS ET DES CONSOMMATEURS

Cet avis, rendu en pleine pol�mique sur les v�g�tau�OGMet r�v�l� par lesm�dias, a suscit� denombreusescritiques de la part d’organisations agricoles etd’associations de consommateurs12 . LaCommissioneurop�enne a alors pris ses distances avec l’EFSAet annonc� son intention de lancer une consultationauprès des citoyens europ�ens (Eurobaromètre) surla viande et le lait issus d’animau� clon�s .Les articles mis en ligne ont provoqu� de vivesr�actions et on a vu fleurir des blogs sur le thèmede la consommation de la viande clon�e, parfoisd�sign�e comme « nourriture Frankenstein » cr��epar des « apprentis sorciers » .On y relève par e�emplecette phrase, qui renvoie à notre propre question-nement de d�part : « L’avis rendu vendredi parl’EFSA a fait surgir chez certains le spectre d’avoir

bientôt dans les assiettes un steak coup� dans unclone de bœuf nourri au maïs OGM, dont la crois-sance pourrait avoir �t� acc�l�r�e avec des hormones »(comlive.net, 16 janvier 2008)13 .Sans attendre la consultation des consommateurseurop�ens, certains m�dias ont organis� « à chaud »des sondages sur la toile . Dès le 16 janvier 2008,le Journal du Dimanc�e demandait à ses lecteurs :« Mangeriez-vous de la viande clon�e si elle devaitarriver dans votre assiette ? » Sur les 752 personnesayant r�pondu, 76 % ont d�clar� « sûrement pas »,12 % « pourquoi pas », 7 % « bien sûr », 5 % sedisant « sans opinion » . Quant au site belge, www.levif.be, r�sumant l’avis de l’EFSA et celui �mis parle GEE rapport� ci-dessous, il titrait : « Clonageanimal : sain pour les consommateurs, n�faste pourles animau� », provoquant en retour des r�actionsanti-clonage mais aussi pro-v�g�tarisme14 .

L’AVIS DU GROUPE EUROPéEND’éTHIQUE �GEE�

Cette mention du caractère « n�faste pour les ani-mau� » du clonage, affirm� par le site pr�c�demment�voqu�, s’appuyait sur l’avis du GEE rendu publicle 16 janvier 2008 . Contrairement à l’EFSA, leGEEd�clarait ne pas voir d’arguments convaincants jus-tifiant la production de denr�es alimentaires à partirde bestiau� clon�s et de leurs descendants . Il s’inter-rogeait sur les aspects �thiques du clonage, mettanten avant le respect du bien-être animal . Consid�rantque les niveau� de souffrance, ainsi que les problèmesde sant� des mères porteuses et des animau� clon�s,rendaient cette technique de reproduction difficile-ment justifiable, ces e�perts ont estim� qu’il faudraitdavantage de recherches scientifiques avant de d�ter-miner si cette th�orie s’appliquait �galement au�descendants des animau� clon�s .

11 . La cr�ation de l’EFSA en 2002, comme celle de l’AFSSA, Agence française de s�curit� sanitaire des aliments,dès 1999, sont des r�ponses au� grandes crises sanitaires des ann�es 90, lesquelles sont à l’origine de l’applicationen Europe du « principe de pr�caution » n� de l’« incertitude » scientifique face à de nouveau� risques sanitaires,alimentaires ou environnementau� . Voir le dossier « Après la vache folle » dans Esprit, 1997 ; Grosclaude 2001 ;GIS Risques collectifs et Situations de Crise 2002 .12 . Communiqu� de presse, European Community of Consumer Cooperatives, Animal Cloning : Euro Coopcalls for more researc� and an open debate, <www .eurocoop .coop>13 . <http://www .comlive .net/La-Viande-Clonee-Bientot-Commercialisee >14 . <http://www .levif .be/sante-et-equilibre/72-86-20394/> le 25 juillet 2008>

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Milliet J . & Brisebarre A .-M .

Par ailleurs, le GEE a e�prim� des interrogations�thiques plus globales sur le statut et l’utilisationdes embryons et des fœtus, arguant que les autori-sations accord�es dans le domaine animal pouvaientinfluencer les d�cisions que l’on pourrait prendrepour les humains15 .Au cas où la viande et d’autres produits alimentairesissus d’animau� clon�s devaient être autoris�s pourla consommation humaine sur le march� europ�en,le GEE demandait des garanties quant à la s�curit�de ces aliments, d�gageant ainsi sa responsabilit�par rapport au� risques sanitaires ; il e�igeait lerespect des lignes directrices pour le bien-être ani-mal fournies par l’Organisation mondiale de lasant� animale (OIE, e�-Office international des�pizooties), et l’application de la l�gislation euro-p�enne sur la traçabilit� des animau� et des produitsalimentaires qui en sont issus, notamment dans lecadre des importations et des �changes internatio-nau� . Il recommandait en outre l’�laboration d’en-quêtes et d’analyses compl�mentaires sur la sant�et le bien-être à long terme des animau� clon�s etde leurs descendants16 .Enfin, il conseillait d’organiser des d�bats publicssur l’impact du clonage des animau� d’�levage surl’agriculture et l’environnement, sur les effets del’augmentation globale de l’�levage bovin et de laconsommation de viande sur la soci�t�, ainsi que surla distribution �quitable des ressources alimentaires .

LA PRUDENCE DES POLITIQUESET DES INDUSTRIELS

Le 24 juin 2008, la commission de l’agriculture duParlement europ�en a adopt� à l’unanimit� unprojet de r�solution e�trêmement d�taill� invitant« la Commission [europ�enne] à pr�senter despropositions interdisant le clonage d’animau� à desfins alimentaires, l’�levage d’animau� clon�s ou deleur prog�niture, la mise sur le march� de viandeou de produits laitiers issus d’animau� clon�s oude leur prog�niture, et l’importation d’animau�clon�s, de leur prog�niture, de leur sperme et d’em-bryons d’animau� clon�s ou de leur prog�niture,ainsi que de viande et de produits laitiers issusd’animau� clon�s ou de leur prog�niture »17 . Uneposition qui, si elle �tait ent�rin�e par l’Unioneurop�enne, pourrait la faire accuser de protection-nisme par l’OMC (Officemondial du commerce)18 .De leur côt�, les états-Unis ne semblent pas press�sde se lancer dans la commercialisation de tels ali-ments . En effet, à la suite du rapport de la FDA, aud�but de 2008, le d�partement am�ricain de l’Agri-culture (USDA) a propos� unmoratoire et demand�au� agriculteurs am�ricains de ne pas mettre leursanimau� clon�s sur le march�19 . La F�d�rationam�ricaine des industries de production et de publi-cit� des produits laitiers a soutenu cette approche,pensant qu’« il est en effet pr�f�rable d’attendre que

15 . Rappelons que la loi française de bio�thique de 2004 r�glemente les diff�rents types de clonage humainselon leur finalit� . Car il y a clonage et clonage : si « toute forme de clonage, reproductif ou th�rapeutique, esten France interdite, le premier est consid�r� comme un «crime», alors que le second n’est qu’un «d�lit» » (MissionAgrobioscience 2007 : 13 . Voir aussi Vermersch 2003 : 32 et s .)16 . Un programme de recherche, intitul� « Qualit� et s�curit� de produits issus de bovins clon�s », r�alis� pardes chercheurs de l’INRA et des �coles v�t�rinaires de Maisons Alfort et de Nantes, sous l’�gide du COMEPRA(comit� d’�thique de l’INRA), a d�velopp� une approche multidisciplinaire pour �tablir une e�pertise scientifiquesur la qualit� des animau� clon�s et de leurs produits ((Heyman et al. 2007) . Il conclut sur la n�cessit� d’effectuerdes analyses plus longues et plus pouss�es pour �carter tout risque avant l’�ventuelle mise sur le march� desproduits (viande et lait) issus d’animau� clon�s (site www.inra.fr) . Voir aussi Charley et al. 2007 .17 . Communiqu� de presse du 25 juin 2008, <http://www .europarl .europa .eu/news/e�pert/infopress_page/032-32487-176-06-26-904-20080623IPR32472-24-06-2008-2008-false/default_en .htm>18 . Cependant, dans l’Avis du CNA, Conseil national de l’alimentation français, « instance consultativeind�pendante dont la vocation est d’aider les d�cideurs publics et priv�s à gouverner le secteur de l’alimentation »,où cette question est trait�e, les e�perts estiment qu’en s’appuyant sur l’Accord SPS de l’OMC (Mesures sanitaireset phytosanitaires), « les Communaut�s europ�ennes pourraient interdire l’importation de produits alimentairesissus d’animau� clon�s ou de leur prog�niture en se fondant notamment sur les pathologies sp�cifiques de telsanimau� » (CNA 2008 : 25) .19 . Ce moratoire ne concernerait que les animau� clon�s, non leurs descendants ou les produits issus de cesderniers qui auraient d�jà �t� mis sur le march� sans que la traçabilit� soit assur�e . D’autre part, de l’aveu del’USDA, des semences et embryons issus de ces descendants et même des taureau� clon�s seraient d�jà pass�sdans les �levages am�ricains (CNA 2008 : 16-17) .

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les principau� partenaires commerciau� �trangersaient e�amin� et approuv� la même technologie declonage dans leur pays respectif » et de laisser au�consommateurs du temps pour qu’ils acceptent l’id�ed’acheter du lait provenant de vaches clon�es20 . Lafilière viande am�ricaine soutient aussi cemoratoire .Des sondages sont effectu�s r�gulièrement au� états-Unis : ils montrent qu’une majorit� des Am�ricains(61 % de ceu� qui disent avoir entendu parler duclonage animal et 68 % de ceu� qui n’en ont pasentendu parler) �mettent les plus grandes r�servesquant à son utilisation . Même parmi ceu� qui affir-ment n’avoir aucun problème àmanger des alimentsg�n�tiquementmodifi�s, 51%�prouvent unmalaiseface au clonage animal21 .Pour Joël Gellin, g�n�ticien à l’INRA, cette r�servedes industriels s’appuie sur « la crainte de d�graderl’image d’un produit comme le lait et de d�clencherune suspicion n�faste au march� et sur la n�cessit�de “tâter le terrain” pour voir s’il y a des acheteurs�trangers potentiels » . Selon ce chercheur, « lesAm�ricains, d’une certaine manière, “bottent entouche”, attendant de voir les positions des uns etdes autres avant de se lancer dans l’aventure »22.

LE POIDS D’UNE PREMIÈRECONSULTATION EUROPéENNE

Pour mieu� d�finir sa position, dès f�vrier 2008, laCommission europ�enne lance une consultationsur les cons�quences du clonage animal sur la s�cu-rit� des aliments, la sant� et le bien-être des animau�,et l’environnement : à cette occasion, elle reçoit

128 contributions, venant de 64 parties int�ress�es .Distincte de l’Eurobaromètre annonc� qui ne seraeffectu� qu’au d�but dumois de juillet, cette consul-tation est destin�e à recueillir l’avis de sp�cialistesou de repr�sentants des « secteurs concern�s » :scientifiques, organisations non gouvernementales,organisations sectorielles et organes nationau�d’�valuation23 .S’appuyant sur ces opinions, le 24 juillet 2008,l’EFSA publie son rapport final adopt� le15 juillet 2008, pr�cisant qu’il ne porte que sur lesclones de bovins et de porcs car il n’y a pas assez dedonn�es e�p�rimentales pour conclure sur les autresespèces24 . La position de l’EFSA a alors �volu� parrapport à son avis du 11 janvier 2008 ; elle divergede celle de l’agence am�ricaine (FDA), en particulierà propos de la notion de « bonne sant� » des ani-mau�25, car elle met en avant celle de « porteursain » d�fini comme un individu porteur d’unmicro-organisme pathogène, sans signe clinique decette infection mais pouvant n�anmoins la trans-mettre : les animau� clon�s semblent donc pr�sen-ter plus de risques d’être des porteurs sains que ceu�issus de l’�levage conventionnel .Ce rapport indique aussi que le clonage peutinduire des « mutations silencieuses », n’entraînantpas de modifications visibles mais pouvant, àterme, alt�rer la s�lection g�n�tique des animau� .Contrairement à ce que d�clare la FDA, le clonagene serait donc pas « g�n�tiquement neutre » . Enfinl’EFSA souligne qu’en permettant cette techniquepour la production alimentaire, la FDA encoura-gerait l’�levage d’animau� clon�s comme repro-ducteurs dans un but de s�lection g�n�tique . Le

20 . <http://www .euractiv .fr/environnement/article/clonage-animau�-quelle-position-europe-00632>21 . Pew Inititative finds public opinion about genetically modified foods remains “Up for Grabs” en years afterintroduction of Ag Biotec�, 2007 . The Pew Initiative on Food on Biotechnology, a Project of the University ofRichmond supported by The Peew Charitable trusts, <http://www .pewtrusts .org/default .asp�>22. <http: //www .agrobioscience .org/IMG/pdf/Suite_peut_on_manger_des_clones_oc_2008 .pdf>23 . Public Comments Received During Public Consultation of EFSA Draft Scientific Opinion on Food Safety, AnimalHealt� and Welfare and Environmental Impact of Animals derived from Cloning by Somatic Cell Nucleus Transfer(SCNT) and t�eir Offspring and Products Obtained from t�ose Animals (Related to Question N°EFSA-Q-2007-092),<http://www .efsa .europa .eu/EFSA/efsa_locale-1178620753812_1211902019540 .html>24 . Food Safety, Animal Health and Welfare and Environmental Impact of Animals derived from Cloning bySomatic Cell Nucleus Transfert (SCNT) and their Offspring and Products Obtained from those Animals, T�eEFSA Journal (2008) 767 : 1-49, <http://www .efsa .europa .eu/EFSA/efsa_locale-1178620753812_1211902019762 .html>25 . L’un des arguments avanc� par la FDA est qu’« un animal visiblement en bonne sant� ne peut pas êtredangereu� pour l’alimentation humaine » .

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clonage des meilleurs animau� leur garantirait unedescendance importante, ce qui serait dangereu�à la fois pour la biodiversit� et au cas où, par lasuite, on d�couvrait diverses anomalies g�n�tiqueschez les clones .Ce rapport de l’EFSA a fourni à la Commissioneurop�enne une argumentation pour demander, le2 septembre 2008, l’instauration d’un moratoireavalisant et reprenant termes à termes le projet der�solution �mis le 24 juin 2008 par la commissionde l’agriculture duParlement europ�en . Àdeu� reprises,les parlementaires europ�ens ont donc adopt� despositions plus prudentes que celles contenues dansle premier rapport de l’EFSA . Ils ont aussi tenucompte des recommandations du GEE sur lesaspects �thiques du clonage animal à des finsalimentaires qui n’entraient pas dans les attributionsde l’EFSA .

UNE DEUxIÈME CONSULTATIONEUROPéENNE : L’EUROBAROMÈTRE

D�but juillet 2008, la Commission europ�enne alanc� un sondage Flash Eurobaromètre auprès dupublic des 27 pays de la Communaut� . Le rapportintitul� « Europeans’ attitudes towards animalcloning . Analytical Report », publi� le 9 octobre 2008,ne livre que des donn�es chiffr�es malgr� son sous-titre26 .Il ressort de la partie consacr�e à la question g�n�-rale de l’�thique du clonage animal qu’un pourcen-tage très �lev� de citoyens europ�ens en ont uneopinion n�gative : la majorit� (61 %) est d’accordavec la proposition « le clonage animal est “mora-lement mauvais” (morally wrong) » [65 % desFrançais, au� deu� e�trêmes on trouve d’un côt�les Autrichiens (79%) et de l’autre les Britanniques(46 %)] .

Des propositions plus pr�cises permettent d’affinerce r�sultat : une �crasantemajorit� des sond�s (84%)estime que « les effets à long terme du clonage animalsur la nature27 sont inconnus » [87 % des Français,tandis qu’au� e�trêmes on trouve 94 % des Finlan-dais et 68 % des Bulgares], e�primant ainsi leurm�fiance envers une technique mal maîtris�e enmême temps que leur sensibilit� à la protection del’environnement . Presque aussi importante (77 %)est la proportion de ceu� qui pensent que « le clonageanimal pourrait mener au clonage humain » [83 %des Français, au� e�trêmes 88%des Lu�embourgeoiset 69 % des Roumains], d�montrant ainsi la per-m�abilit� de la frontière entre les humains et lesanimau�, en particulier les grandsmammifères au�-quels on s’identifie plus facilement28 . Par contre lesopinions sont partag�es à propos de l’affirmation« le clonage causera des souffrances et du stress inu-tiles au� animau� » [41 % des Europ�ens sont d’ac-cord contre 42%qui r�pondent n�gativement ; chezles Français 35 % contre 50 %] . Cette formulationnous semble ambiguë car elle ne permet pas ded�partager ceu� qui sont sensibles au bien-être ani-mal, de ceu�qui pensent que le clonageneprovoquerapas de souffrances, ni de ceu� qui estiment que leclonage et les souffrances qu’il peut entraîner sontun « mal n�cessaire »29 . Par ailleurs, ces chiffres sur-prennent d’une part par rapport au jugement sur le« clonage moralement mauvais » qu’on aurait pumettre en partie sur le compte du respect du bien-être animal, d’autre part en comparaison de la sen-sibilit� affich�e ici à la « nature » .En ce qui concerne sa l�gitimit�, 57% (contre 38%)des Europ�ens sond�s justifient— toujours ou danscertaines circonstances— le recours au clonage « pouram�liorer la r�sistance des animau� au� maladies »[les Français 51 % contre 43 %, au� e�trêmes lesTchèques 73 % contre 21 % et l’Autriche 41 %contre 56%, tandis que les Anglais r�pondent posi-

26. Flas� Eurobarometer, 2008 – European’s attitudes towards animal cloning. Analytical Report (Fieldwork :july 2008, Publication : October 2008), Brussels, European Commission, n° 238 .<http://ec .europa .eu/public_opinion/archives/flash_arch_fr .htm>27 . L’emploi du terme « nature » correspond probablement, dans l’esprit des sondeurs, au « vivant » au senslarge, incluant les animau�, tant sauvages que domestiques, mais aussi l’environnement .28 . « Le silence des clones, c’est avant tout le silence de l’id�e du clone humain » (Mission Agrobioscience 2007 :6) . Voir aussi Vermersch (2003 : 32 et s .)29 . Formule souvent employ�e pour l’acceptation de l’e�p�rimentation animale car elle permet des avanc�espour la sant� humaine .

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tivement à 68% contre 28% (une position qui chezeu� est peut-être en relation avec la crise de la vachefolle)] ; enfin 67 % (contre 29 %) trouvent que leclonage serait justifi� — toujours ou dans certainescirconstances — au� fins de pr�servation d’espècesanimales rares [70% contre 26% des Français ; au�e�trêmes 91 % contre 15 % des Slovaques et 57 %contre 41%des Autrichiens], alors que 63% (contre22 %) craignent que le clonage entraîne un appau-vrissement de la diversit� g�n�tique du b�tail d�jàconstat�e avec le recours à l’ins�mination artificielle30 .S’agissant de la production d’aliments, 58 % desr�pondants estiment que « le clonage animal seratoujours injustifiable » [61 % des Français ; au�e�trêmes 80 % des Autrichiens et 39 % desTchèques] . Ce rejet du clonage est e�prim� �gale-ment au travers d’une opinion largement n�gative(86%) à l’encontre des industries agro-alimentairesqui seraient les grandes b�n�ficiaires de cette pro-duction de nourriture par clonage, alors que pourrespectivement 54 % et 44 % des sond�s, cettetechnique ne b�n�ficierait en d�finitive ni au�consommateurs ni au� �leveurs . Rappelons que cesont pr�cis�ment les associations de consommateurset les organisations professionnelles agricoles quiont r�agi dès la publication aumois de janvier 2008du premier avis de l’EFSA .Des proportions importantes de citoyens (63% dela moyenne europ�enne) ont d�clar� qu’ils n’achè-teraient « certainement pas » ou « vraisemblablementpas » d’aliments provenant d’animau� clon�s [68%des Français ; au� e�trêmes 86 % des Autrichienset 45 % des Espagnols] ou de la prog�niture d’ani-

mau� clon�s [62 % des Europ�ens ; 70 % desFrançais ; au� e�trêmes 83 % des Autrichiens et47 % des Espagnols] même si une source cr�dibleaffirmait qu’il n’y a aucun danger à les consommer .Il nous semble difficile de tirer plus d’enseignementsd’un tel sondage . En effet, les « questions » sontparfois formul�es comme des affirmations, parfoiscomme des interrogations, sous forme positive oun�gative . D’où des r�ponses parfois contradictoiresd’un thème à l’autre . D’autre part, s’agissant del’impact du clonage animal sur l’alimentationhumaine, un amalgame est fait entre la productionde lait et de viande, ne permettant pas une analyseplus fine des repr�sentations dont nous savonsqu’elles sont significativement diff�rentes selon lescultures, les religions, les groupes sociau�… Il estainsi difficile de tirer des conclusions de donn�esrecueillies à une �chelle nationale et de comparerentre eu� les pays europ�ens .

UN PAYS � À LA POINTE DU PROGRÈS � ?

Dans plusieurs te�tes et rapports provenant desdiverses commissions ainsi que dans des articles depresse, il est affirm� qu’aucun pays ne commercia-lise encore de b�tail clon�, cette information sevoulant en quelque sorte rassurante face au d�batsoulev� par ce dossier . Or un rapport �mis parl’ambassade de France au Japon et dat� du31 août 2007 (Miau� 2007) vient la contredire31 .Selon cette note, au 31mars 2007 le Japon poss�dait« probablement » le plus grand nombre de bœufs

30 . En France, le Conseil national de l’alimentation invite à « ne pas surestimer l’int�rêt potentiel de cettetechnique du fait que cette sauvegarde [des races menac�es] est in fine conditionn�e par la possibilit� del’e�pression de la variabilit� g�n�tique de la population restante » . Il e�iste en effet un « point de non retour »,c’est-à-dire un effectif en dessous duquel on pourrait augmenter le nombre des individus mais très peu lavariabilit� . D’où un espoir illusoire de sauver une population par la seule technique de clonage (CNA 2008 :12-13) .31 . Une commercialisation av�r�e au Japon, mais aussi au� USA, si on en croit le communiqu� de presse du14 octobre 2008 du CNA dans lequel celui-ci « se prononce contre la pr�sence de produits alimentaires issusd’animau� clon�s, ou de leur prog�niture, dans nos assiettes à l’heure où le Wall Street Journal r�v�lait le3 septembre 2008 que de la viande issue d’animau� clon�s serait pr�sente sur le march� am�ricain, comme celaest d�jà le cas depuis plusieurs ann�es au Japon, et ce sans �tiquetage sp�cifique » (<www .cna-alimentation .fr>) .Le Figaro (11-12 septembre 1999) avait d�jà signal� cette consommation au Japon sous le titre « le veau clon�à la carte » . Cet article se concluait ainsi : « en France, certains des quelque cent veau� produits par l’Inra ontvraisemblablement �t� commercialis�s, aucune r�glementation ne l’interdisant . L’un des d�bouch�s envisag� duclonage n’est-il pas de reproduire à l’identique des animau� s�lectionn�s pour leur viande ? Difficile à faire avaleren ces temps où le consommateur ne sait plus trop ce qu’il met dans son assiette . » .

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et de vaches clon�s au monde . Depuis la naissancedu premier veau par clonage en 1990, 1242 bœufset vaches clon�s sont n�s au Japon, soit par scissionde l’embryon (714 bovins), soit par transfert denoyau de cellule somatique diff�renci�e (528 bovins) .La recherche japonaise a �galement produit partransfert de noyau de cellule somatique des clonesd’autres espèces (205 porcs et 9 chèvres) .Dès mars 1993, de la viande provenant d’un bœufclon�n� en1990a �t� consomm�e au Japon .En1995,c’est le lait d’une vache clon�e n�e en 1993 qui pas-sait dans l’alimentation humaine . En effet, toujoursselon cette source diplomatique disponible sur latoile, le risque associ� à l’utilisation des clones cr��spar scission de l’embryon et surtout de leurs descen-dants �tait consid�r� comme nul ou n�gligeable parle gouvernement japonais, une position qui a �t�confirm�e par le ministre japonais de l’Agriculture .Cette consommation de la viande des bovins clon�ssemble se faire dans les règles de la traçabilit�, dumoins au niveau de la production ! On apprendainsi qu’à la date du 31 mars 2007, les Japonaisavaient d�jà consomm� la viande de 312 des714 bœufs clon�s obtenus par scission de l’embryon .« Le ministère impose au� laboratoires et institutsqui produisent ces animau� d’indiquer clairementqu’il s’agit d’animau� clon�s lorsqu’ils les mettenten vente . Il a par contre d�cid� de donner au�commerçants de d�tail la libert� de signaler ou nonsur l’�tiquette l’origine des produits (animau� clo-n�s par scission de l’embryon ou non clon�s) .L’appellation correspondante est soit “viande clon�e/Juseiran Clone Gyu”, soit “C-bœuf/C-Beef”, cettedernière appellation ayant �t� trouv�e afin d’�viterde donner une impression n�gative au� consom-mateurs en leur rappelant trop e�plicitement leterme de clone . Le même ministère a d�cid� d’in-former r�gulièrement le public afin de promouvoirune compr�hension correcte des consommateurssur la technique du clonage . En effet, le ministèreconsidère que cette technique par scission de l’em-bryon est un moyen efficace pour produire plus

sûrement et peut-être plus �conomiquement desanimau� donnant une viande de qualit� sup�rieure »(Miau� 2007 : 11) .Quant au principe de pr�caution, il n’est pas n�glig�puisque, bien que les souris nourries avec cette vianden’aient pas montr� d’anomalies, les produits issusdes animau� clon�s par transfert de noyau ou deleurs descendants ne pouvaient, jusqu’à il y a peu,être utilis�s dans la chaîne alimentaire . Le ministèrejaponais de l’Agriculture vient de faire �valuer las�curit� alimentaire de cette viande par la Food SafetyCommission qui a rendu son avis le 19 janvier 2009 :qu’elle soit issue de bœuf ou de porc, cette viandeserait « aussi sûre que la viande normale »32 .S’agissant de produire « peut-être plus �conomi-quement » des bestiau� de qualit�, il faut savoir quele coût de fabrication d’un bœuf clon� varie entre15 000 et 60 000 euros selon les �valuations . Quelsera donc le pri� de 100 g de filet de bœuf clon�sur l’�tal du boucher ? Sans doute plus cher qu’unetranche du c�lèbre bœuf de Kobe, une autre sp�-cialit� japonaise dont les pièces nobles peuventatteindre environ 150 euros le kilo . L’�levage de cewagyu, ce qui veut dire « bœuf japonais », n�cessiteune alimentation choisie, sans stimulant de crois-sance ni antibiotique, mais arros�e de bière, etsurtout des attentions pour �viter tout stress commedes massages r�guliers avec du sak�, alcool de rizlocal . On obtient ainsi une viande marbr�e, le grass’�tant r�parti harmonieusement dans les muscles,dont on vante la tendret� et la d�licieuse saveur debeurre (Pollet 2008) .

� MEATRO �, UNE PROPOSITIONBIOTECHNOLOGIQUEDES ANIMALITAIRES

Si certaines organisations protectionnistes prônentdepuis plusieurs ann�es le v�g�tarisme pour stoppertoute utilisation des animau�, êtres sensibles prochesdes humains33, une autre r�ponse a �t� envisag�e

32 . BE Japon n° 489 (23 janvier 2009) . Ambassade de France au Japon/ADIT, <www .bulletins-electroniques .com>33 . Le caractère sensible des animau�, que d’ailleurs personne ne nie, a �t� au centre des discussions lors des« Rencontres Animal et Soci�t� », encore appel�es « Grenelle de l’animal », organis�es par le ministère del’Agriculture français au premier semestre 2008 (<www .animaletsociete .com>) .

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dans un but de protection animale, sous une formequi se rapproche du point de vue de ceu� qui refu-sent l’e�p�rimentation animale et r�clament queles essais th�rapeutiques se fassent sur des culturesde cellules : il s’agit de promouvoir la culture invitro de cellules de viande . Avec le d�veloppementde cette « viande » baptis�e « meat without feet »,viande sans pattes, « animal-free flesh », viande sansanimal, ou « victimless meat », viande sans victime,on cesserait d’�lever et surtout de maltraiter lesanimau� pour les manger .Dans ce but, l’association internationale PETA(People for the EthicalTreatment of Animals) offreun million de dollars de r�compense à la premièrepersonne qui trouvera une m�thode permettant deproduire des quantit�s commercialement viablesde viande in vitro («Meatro », contraction de «meatin vitro ») à des pri� comp�titifs d’ici à 201234 . Ils’agit de fabriquer un ersatz de poulet, ayant lemême goût et la même te�ture que la viande issuede l’�levage et de l’abattage d’une volaille .Cette position de PETA, consid�r�e par certains deses membres comme une reddition morale, a qua-siment d�clench� une guerre civile au sein de l’as-sociation . Les puristes trouvent abominabled’e�ploiter des cellules et de manger le tissu animalainsi produitmême s’il n’y a pas n�cessit� d’abattage .La pr�sidente de PETA, Ingrid Newkirk, soutientcependant cette initiative qui impliquerait moinsde souffrance dans le futur . Mais elle cherche,semble-t-il, surtout à provoquer un d�bat de fondsur la consommation de viande .En cherchant ce qui peut justifier le choi� de PETAde « reproduire » in vitro de la volaille, dont le

clonage semble pourtant particulièrement compli-qu� et difficile à obtenir35, une hypothèse nousvient à l’esprit : celle de la moindre sensibilit� dela plupart des gens, protecteurs ou non des animau�,à l’�gard des volailles qui sont souvent �lev�es engrand nombre, alors que les grands mammifèresont une plus grande pro�imit� et ressemblancephysionomique avec les humains . Ainsi le clonagedes bovins concerne surtout des individus dont onsouhaite reproduire certaines qualit�s, alors que lesanimau� �lev�s en masse comme les volailles, oules poissons d’�levage que beaucoup de v�g�tariensconsomment sans �tat d’âme, sont plutôt l’objetde manipulations destin�es à obtenir une plusgrande masse pond�rale, une croissance acc�l�r�e,une meilleure r�sistance à certaines maladies…D’autre part, les supermarch�s proposant à bas pri�à leurs clients des produits d’�levage industriel, deplus en plus insipides et anonymes — des filets depoulet ou de dinde sous cellophane—, la diff�renceavec une future viande in vitro, sans goût ni te�ture,serait alors minime .

EN GUISE DE CONCLUSION

Après les pilules36 ou les g�lules nutritives issues del’industrie p�trolière que, dans les ann�es 1970, onnous promettait pour l’an 2000 et qui devaientnous affranchir de la corv�e des repas quotidiens,allons-nous craindre à l’avenir de consommer sansle vouloir cette « frankenfood », la nourriture deFrankenstein ? D’autant qu’il est impossible dedistinguer « en substance » la viande et le lait issus

34 . « The first person to come up with a method to produce commercially viable quantities of in vitro meatat competitive prices by 2012 » . M���� C ., « Is in vitro meat the future? Chicken, beef and pork that hasnever been a living animal could be better for people and the planet . But will it catch on ? », Timesonline,9 mai 2008 . <http://www .timesonline .co .uk/tol/life_and_style/health/features/article3894871 .ece>35 . « On Aug . 18, 2001 New Scientist announced that the US’s National Institute of Science and Technologyhas given Origen Therapeutics of Burlingame, Calif ., and Embre� of North Carolina, $ 4 .7 million to fundchicken cloning e�periments for the poultry industry . A “problem” to be solved is that, unlike the eggs ofmammals, birds’ eggs cannot be removed and implanted in another bird, because the yoke is too fragile andthe avian ovum’s pronuclei cannot be visualized for microinjection, By the time a hen lays her egg, an embryohas already begun to develop on the yolk and has about 60,000 cells . », <http://www .upc-online .org/winter2002/cloning .html>36 . En 1973, le film Soleil vert, dû au r�alisateur Richard Fleischer, imaginait, en 2022, un monde ayant dilapid�ses ressources naturelles, où les habitants de New York survivaient grâce à de petites pilules produites dans devastes usines recyclant les cadavres humains .

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d’un animal clon� des mêmes aliments provenantd’un animal « conventionnel », comme le soulignele Conseil national de l’alimentation français dansses conclusions (CNA 2008 : 44) .En Europe, l’avis de l’EFSA, rendu public dans lespremiers jours de 2008 et semblant adopter lespositions de la FDA am�ricaine, avait provoqu�une avalanche d’articles de presse, mais aussi desprises de position de professionnels de l’�levage37et d’associations de consommateurs . De nombreu�rapports ont alors �t� demand�s à des organismesinternationau� ou nationau� rassemblant des scien-tifiques de diverses disciplines . Ces diff�rentesr�actions, s’appuyant e�plicitement ou non sur le« principe de pr�caution », ont e�ig� la plus e�trêmeprudence s’agissant du passage de ces alimentse�tra-ordinaires dans nos assiettes .Dans sonAvis, le CNA a recommand� au� instanceseurop�ennes, du fait « d’une très vraisemblablecommercialisation dans d’autres pays hors com-munaut� de produits issus d’animau� clon�s et deleur prog�niture, et du positionnement actuel deleurs autorit�s de r�gulation qui ne semblent pasen mesure d’empêcher sur le sol europ�en de telsproduits, […] de se donner dès à pr�sent les moyensd’une traçabilit� et d’un �tiquetage garantissantle libre choi� au consommateur, notamment enmentionnant le mode d’obtention de ces produits »(2008 : 44) . La même demande a �t� faite par lesd�put�s europ�ens38, saisis par la Commission del’environnement, de la sant� publique et de las�curit� alimentaire de nouvelles interrogations àpropos des nanomat�riau� invisibles qui « colo-nisent » nos assiettes pour « renforcer les arômes,servir de colorants ou de compl�ments alimentaires »et dont « l’effet sur la sant� n’est pas d�montr� »39 .

Tenant compte de tous ces avis et des r�sultats del’Eurobaromètre, le 25 mars 2009, le Parlementeurop�en s’est prononc� à une large majorit� contrele clonage des animau� dans un but alimentaireet la commercialisation des aliments ainsi obtenus40 .C’est peut-être le changement le plus importantintervenu dans les dernières d�cennies du xxe siècleque cette prise en compte, devenue incontournable,des opinions et des attentes des consommateurs41 .Les r�sultats du sondage Eurobaromètre ont bienmontr� la m�fiance des Europ�ens, qu’ils soient ounon bien inform�s sur le clonage animal, à l’id�ed’être un jour confront�s à ces « nouveau� aliments » .Selon les e�perts du CNA (2008 : 15), « l’accepta-bilit� sociale d’une nouvelle technologie renvoieau� croyances, à la perception subjective des risques,au� contraintes sociales et normatives qui motive-ront chacun d’entre nous à recourir effectivementou non à son utilisation, ou au� produits issus deson utilisation » . La d�finition floue de la frontièreentre les humains et les animau� est un facteurd’an�i�t� que partagent nombre des personnesinterrog�es dans l’Eurobaromètre et qui, on s’ensouvient, ont refus� le clonage animal de peur quecette technique soit appliqu�e au� hommes . Quantà l’ingestion de produits animau� (viande et lait),elle revêt une dimension symbolique certaine : siceu�-ci provenaient de bestiau� clon�s ou de leurprog�niture, ils risqueraient d’autant plus d’effrayerles consommateurs, ce que craignent au plus hautpoint les repr�sentants de ces filières professionnelles .En France, l’identit� se d�cline encore au traversde la diversit� des productions agricoles et de lagastronomie des diff�rentes provinces . Après la« crise de la vache folle », celle de l’influenza aviaireet le refus des OGM, les �volutions constat�es

37 . COPA-COGECA 2008 – Première contribution du COPA-COGECA � l’utilisation de la tec�nologie de clonagepar TSNC (Transfert somatique du noyau de cellules) pour les animaux d’élevage, Bru�elles, Rapport du Comit�des Organisations professionnelles agricoles et de la Conf�d�ration g�n�rale des coop�ratives agricoles de l’UnionEurop�enne, <www .copa-cogeca .eu>38 . Amendement 8 / consid�rant 21, à la l�gislation sur les « nouveau� aliments », 2008 .39 . « Ils colonisent vos assiettes mais on ne les voit pas », 19 mars 2009, <http://www .europal .europa .eu/news/public/story_page/063-5187>40 . <http://www .romandie .com/infos/news2/090325151642 .8hydh610 .asp>41 . Un rapport sur « les attitudes des consommateurs à l’�gard de l’�tiquetage », demand� par la Directiong�n�rale Sant� et Protection des consommateurs de la Commission europ�enne, r�vèle que, s’agissant de laviande fraîche et des produits à base de viande fraîche pr�emball�s, « des questions se font jour quant au�conditions d’�levage et à leurs implications sur la substance du produit » . Il souligne en particulier « la d�nonciationde pratiques d’�levage d�rogeant au� lois de la nature » (OPTEM 2005 : 8-9) .

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Entre s�curit� alimentaire, �thique et peur

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dans les di� dernières ann�es, qui tendent vers lescircuits courts et la vente directe, la traçabilit� etles produits localis�s, la recherche de la qualit� etle souci grandissant du bien-être animal, r�vèlentpourquoi les Français ne sont pas prêts à adopterune telle nourriture . Aumêmemoment, les conclu-sions du « Grenelle de l’environnement » fi�ent à15 % la part de produits issus de l’agriculturebiologique42 dans la restauration collective publiqued’ici 2010 et 20 % à l’horizon de 2012 (LeMonde,17 septembre 2008) . Pour ce faire, l’objectif duministère de l’Agriculture, annonc� le 19 f�vrier 2009à la veille du Salon de l’Agriculture de Paris, estde « produire mieu� » en engageant un nouveaumodèle d’agriculture respectueu� de la biodiversit�,fond� sur le d�veloppement durable et la croissancedes productions labellis�es en agriculture biolo-gique (Objectif Terres 2020) . Ces modèles suivent,semble-t-il, la tendance actuelle à la baisse de laconsommation de viande en Occident, alors qu’enfait elle augmente au niveau mondial, en particu-lier dans certains pays dits �mergents . En effet,selon un article duMonde (23-24 septembre 2007)titr� « Le vrai-fau� d�clin de la viande », « entre2007 et 2016, selon les perspectives communesFAO-OCDE, la production mondiale de viandedevrait augmenter de 9,7 % pour le bœuf, 18,5 %pour le porc et 15,3 % pour le poulet . Principa-lement en Inde, en Chine et au Br�sil . D’ici à2050, la production de viande pourrait mêmedoubler, passant de 229 millions de tonnes aud�but des ann�es 2000 à 465 millions » . Il est dèslors permis de se demander si l’int�rêt pour leclonage dans le but de produire de la viande ne« cible » pas ces nouveau� consommateurs, car lesenjeu� �conomiques sous-jacents sont colossau� !

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Soumis le 8 avril 2009 ;accepté le 16 octobre 2009.