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DOSSIER Entreprise I De prime abord, ta question du préjudice répa rabte pourrait paraître simple. Le Code civil envisage ta responsabilité civile sous ses volets contractuel et délictuet; une fois ta faute éta blie, ilsuffit de rechercher te préjudice qui en est résulté et, pour le juge, d’appliquer le principe de la réparation intégrale. S’agissant du préju dice économique, tes notions issues de ce code sont suffisamment générales pour qu’il exerce une fonction normative ; ses composantes, le gain manqué et la perte subie évoqués en son articLe 1149, sont classiquement mobilisées et ta perte de chance, requérant l’application d’un coefficient d’occurrence, t’est aussi. Elle s’est toutefois complexifiée, singulière ment en matière économique. Avant d’aborder quelques-unes de ses spécificités, favorisées par la plasticité des éléments constitutifs de Uaction en responsabilité (II) il paraît utile de clarifier la notion (I). I. La notion de préjudice économique A. Le silence de la loi quant à sa définition et son identification par la pratique Le préjudice, distingué par certains du dom mage, simple fait matériel, en ce que le premier serait la reconnaissance par le droit du second, ne fait pas [‘objet d’une définition juridique générale et pas davantage Le préjudice écono mique. Les auteurs en ont proposé diverses définitions, tel te professeur Nussenbaum : « un préjudice économique est lié à une activité économique de production ou de service (distincts de l’at teinte à une chose ou à une personne ou consé cutive à une telle atteinte) ». Une prolifération d’appellations tendant à en expticiter ta manifestation justifie qu’il soit question de préjudicés économiques. Ainsi, sans exhaustivité : te préjudice commercial, ftnancie boursie te préjudice résultant de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, de la contrefaçon d’un droit privatif Le trouble concurrentiel, le trouble commer cial résultant de faits de concurrence déloyale, ta désorganisation de l’entreprise par divers moyens, l’atteinte à ta réputation consécutive au dénigrement, le parasitisme, plus largement le dommage à l’économie en cas d’ententes illicites ou d’abus de position dominante et te préjudice économique individuel d’infrac tions au droit de la concurrence, te préjudice consécutif aux effets d’ombrelle sur les prix ou à des pratiques commerciales tendant à fausser déloyalement te jeu de la concurrence visées par tes codes de commerce (ventes à perte) et de ta consommation (publicités trompeuses, fraudes)... Ils rie se caractérisent pas par leur unité quant à leurs source, éléments constitutifs ou régime et, sont, pour certains, réservés à la connais sance de juridictions spécialisées. B. La nécessaire identification par le juge du préjudice économique réellement subi Soumis au principe de la réparation intégrale, le juge doit parvenir à une évaluation en termes de gains manqués et de pertes subies. Il lui incombe de déterminer ta situation normale, celle qui aurait existé en l’absence du fait dom mageable, et ta situation réelle qui s’est pro duite à cause dudit fait. Mais ta nécessaire détermination du préju dice réellement subi l’amène à tenir compte d’éléments distincts du fait dommageable lui- même. Tels la capacité de production ou de vente de l’entreprise victime, la période d’obser vation, les coûts évités et tes dépenses induites, une possible interaction de causes aux effets préjudiciables, le contexte économique général ou encore [‘écoulement du temps introduisant ta question de l’actualisation du préjudice... Le principe sus-évoqué et la complexité de ta matière le conduisent donc à comparer les deux situations précitées mais aussi à placer le litige dans son contexte économique. Encore faut-il, pour le circonscrire te plus exactement possible, que les parties introduisent dans te débat, en tes étayant, de tels éléments puisque les principes directeurs du procès cantonnent précisément l’office du juge. II. Singularités dans la mise en oeuvre de l’action en réparation du préjudice économique Elle ouvre des pistes de réflexion, dans notre recherche d’éléments d’identification, suscep tibles de se nourrir des avancées procédurales et substantielles innovantes de ta directive fl0 2o14/1o4/UE du 26 novembre 2014 favori sant l’action en droit de la concurrence. 2e table ronde : Identifier les préjudices réparables Une approche de la notion de préjudice économique 124(10 Sylvie NÉROT Conseiller à la cour d’appel de Paris Petites Affiches 4 septembre 2017 - fl 176 33

Entreprise I - finexsi.eufinexsi.eu/wp-content/uploads/2018/05/PA_176_170904_Table2.pdfcial résultant de faits de concurrence déloyale, ta désorganisation de l’entreprise par

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• DOSSIEREntreprise I

De prime abord, ta question du préjudice réparabte pourrait paraître simple. Le Code civilenvisage ta responsabilité civile sous ses voletscontractuel et délictuet; une fois ta faute établie, ilsuffit de rechercher te préjudice qui en estrésulté et, pour le juge, d’appliquer le principede la réparation intégrale. S’agissant du préjudice économique, tes notions issues de ce codesont suffisamment générales pour qu’il exerceune fonction normative ; ses composantes, legain manqué et la perte subie évoqués en sonarticLe 1149, sont classiquement mobilisées etta perte de chance, requérant l’application d’uncoefficient d’occurrence, t’est aussi.

Elle s’est toutefois complexifiée, singulièrement en matière économique. Avant d’aborderquelques-unes de ses spécificités, favoriséespar la plasticité des éléments constitutifs deUaction en responsabilité (II) il paraît utile declarifier la notion (I).

I. La notion de préjudice économique

A. Le silence de la loi quant à sadéfinition et son identification par lapratique

Le préjudice, distingué par certains du dommage, simple fait matériel, en ce que le premierserait la reconnaissance par le droit du second,ne fait pas [‘objet d’une définition juridiquegénérale et pas davantage Le préjudice économique.

Les auteurs en ont proposé diverses définitions,tel te professeur Nussenbaum : « un préjudiceéconomique est lié à une activité économiquede production ou de service (distincts de l’atteinte à une chose ou à une personne ou consécutive à une telle atteinte) ».

Une prolifération d’appellations tendant à enexpticiter ta manifestation justifie qu’il soitquestion de préjudicés économiques. Ainsi,sans exhaustivité : te préjudice commercial,ftnancie boursie te préjudice résultant de larupture brutale d’une relation commercialeétablie, de la contrefaçon d’un droit privatifLe trouble concurrentiel, le trouble commercial résultant de faits de concurrence déloyale,ta désorganisation de l’entreprise par diversmoyens, l’atteinte à ta réputation consécutiveau dénigrement, le parasitisme, plus largementle dommage à l’économie en cas d’ententesillicites ou d’abus de position dominante et tepréjudice économique individuel né d’infractions au droit de la concurrence, te préjudice

consécutif aux effets d’ombrelle sur les prix ouà des pratiques commerciales tendant à fausserdéloyalement te jeu de la concurrence viséespar tes codes de commerce (ventes à perte) etde ta consommation (publicités trompeuses,fraudes)...

Ils rie se caractérisent pas par leur unité quantà leurs source, éléments constitutifs ou régimeet, sont, pour certains, réservés à la connaissance de juridictions spécialisées.

B. La nécessaire identification par le jugedu préjudice économique réellementsubi

Soumis au principe de la réparation intégrale,le juge doit parvenir à une évaluation en termesde gains manqués et de pertes subies. Il luiincombe de déterminer ta situation normale,celle qui aurait existé en l’absence du fait dommageable, et ta situation réelle qui s’est produite à cause dudit fait.

Mais ta nécessaire détermination du préjudice réellement subi l’amène à tenir compted’éléments distincts du fait dommageable lui-même. Tels la capacité de production ou devente de l’entreprise victime, la période d’observation, les coûts évités et tes dépenses induites,une possible interaction de causes aux effetspréjudiciables, le contexte économique généralou encore [‘écoulement du temps introduisantta question de l’actualisation du préjudice...

Le principe sus-évoqué et la complexité de tamatière le conduisent donc à comparer les deuxsituations précitées mais aussi à placer le litigedans son contexte économique. Encore faut-il,pour le circonscrire te plus exactement possible,que les parties introduisent dans te débat, en tesétayant, de tels éléments puisque les principesdirecteurs du procès cantonnent précisémentl’office du juge.

II. Singularités dans la mise enoeuvre de l’action en réparation dupréjudice économique

Elle ouvre des pistes de réflexion, dans notrerecherche d’éléments d’identification, susceptibles de se nourrir des avancées procéduraleset substantielles innovantes de ta directivefl0 2o14/1o4/UE du 26 novembre 2014 favorisant l’action en droit de la concurrence.

2e table ronde : Identifier les préjudices réparables

Une approche de la notion de préjudice économique 124(10

Sylvie NÉROTConseiller à la cour d’appelde Paris

Petites Affiches 4 septembre 2017 - fl 176 33

DOSSIER• Entreprise

A. Les conditions d’exercice de l’action

L’une des conditions de mise en oeuvre de l’action en concurrence déloyale tenait à L’existenced’un tien de concurrence mais ta Cour de cassation énonce désormais que « l’existence d’unesituation de concurrence directe et effectiveentre Les sociétés n’est pas une condition del’action en concurrence déloyale ou parasitairequi exige seulement l’existence de faits fautifsgénérateurs d’un préjudice »‘.

La relation de compétition conserve néanmoinsun rôle déterminant dans l’appréciation de lafaute et du préjudice.

Dans le cadre d’une action en contrefaçon dedroits d’auteur, ta question de leur titularité s’estposée aux entreprises exploitant des oeuvresprotégées en raison de la difficulté de prouver laparticipation au processus créatif ou la cessionde droits.

La jurisprudence a introduit une présomptionsimple selon laquelle la personne morale quicommercialise de façon non équivoque uneoeuvre de l’esprit sous son nom est présumée, àl’égard des tiers recherchés en contrefaçon et en[‘absence de revendication de l’auteur, détenirsur celte-ci Les droits patrimoniaux de celui-ci.

Plus récemment, l’action des victimes indirectesde pratiques anti-concurrentielles a été facilitée.Leurs auteurs se voient infliger par lutorité de Laconcurrence des sanctions pécuniaires aux finsde préservation de l’ordre public économiquequi ne visent pas à réparer le préjudice qu’ont pusubir des tiers du fait de ces pratiques.

Àla suite des livres blanc puis vert de la Commission européenne révélant ta faible importancedes actions privées, ta directive n° 2o14/1o4/UEaméliore Leur situation « afin degarantirla pleineefficacité du droit à réparation intégrale ». Sesarticles 12 à 16 sont consacrés à ta répercussiondes surcoûts, ceci en tout ou en partie, le longde la chaîne de distribution et introduisent uneprésomption réfragable au profit de l’acheteurindirect, « réputé avoir apporté La preuve d’unerépercussion à son encontre ».

B. L’appréciation des préjudiceséconomiques

S’agissant de l’action en concurrence déloyale,fondée sur l’article 1382 du Code civil, la Courde cassation, dans un arrêt de censure rendu te22 octobre1985, a énoncé qu’(( il s’inférait nécessairement des actes déloyaux constatés l’existence d’un préjudice résultant des faits fautifsutilisés contre La société X et que celle-ci avait unintérêt né et actuel à ce que soient sanctionnés

i) Cass, com., 27 avr. 2011, n’ 10-15648.

des faits générateurs d’un trouble commerciat ».

Une formule postérieurement reprise, avec incidemment [‘ajout du morceau de phrase « fût-ilseulement moral ».

Cela permet d’admettre un principe de préjudice. Reste à ta victime présentant unedemande indemnitaire à justifier de tétenduedu préjudice invoqué.

Elle a également jugé, sur des faits de débauchage accompagnés d’une installation à courtedistance du concurrent, qu’4 il [en] résultaitnécessairement une désorganisation de l’établissement concerné »2

Parmi leurs composantes figure le préjudicemoral. L’arrêt rendu te 15 mai2012 par la chambrecommerciale (publié au Bulletin), consacre lareconnaissance du préjudice moral de la personne morale alors que pour ses opposants, unepersonne morale n’est qu’une fiction juridique.

Reste à en déterminer te contenu (image, réputation, crédit...?) et à. L’évaluer.

Les bénéfices réalisés par L’auteur du dommageen sont une autre en droit de ta propriété intellectuelle. Transposant la directive n° 48/2004/CEdu 29 avril 2004 et pour renforcer La lutte contreta contrefaçon, le législateur a introduit une grilled’évaluation du préjudice outre les « conséquences négatives, dont Le manque à gagnersubies », te juge est invité à prendre en compteces bénéfices.

Dommages-intérêts punitifs pour certains,variable d’ajustement pour d’autres, ta finalitéaffichée est d’éviter la faute lucrative, sans manquer de susciter une question subséquenten’admettons-nous pas, ce faisant, un préjudiceLucratif?

Il ressort de ces brefs propos que ta responsabilité civile déploie ici toutes ses fonctions: réparatrice, préventive/dissuasive, punitive.

Pour autant, une réparation cohérente et effective des préjudices économiques pourraits’orienter vers des règles et procédures inspirées de’récentes directiyes: conçues « pour nepas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile [‘exercice du droit », en permettant « de prendre en considération tous lesaspects appropriés » pour fixer des dom mages-intérêts4 et avec l’objectif d’ estimer » le montant du préjudice Lorsqu’il est « pratiquementimpossibte ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la basedes éléments de preuve disponibles ».

2) Cass. com., 3 janv. 2012. n’ ii-iogiz

3) Dir. n’ 2o14/1o4/uE, 26 nov. 2014, art. 4.

4) Oir n’ 48/2004/CE, 29 avr. 2004, art. 13.

) Dir. n’ 2014/104/UE, 26 nov. 2014, art. 17.

34- Petites Affiches -4septembre2017- n°176

DOSSIERs Entreprise

Les précédents intervenants ont déjà brosséun riche tableau des préjudices réparables1.Afin d’éviter tes redites, nous nous bornerons àexaminer une idée qui semble assez Largementpartagée, selon laquelle te droit de la responsabilité civile serait accueillant aux dommageséconomiques mais trop imprécis pour assurerleur réparation efficace. Chacun souligne que leprincipe de base est excellent: sont réparablesles pertes éprouvées, les gains manqués, lespertes de chance et même le dommage moral.Mais dès qu’il faut répondre à des questionspointues, résoudre des difficultés pratiques, temanque de règles sûres se ferait rapidementsentir. Le droit de la responsabiUté souffriraitd’incomplétude, et la mise en oeuvre de la réparation en serait affectée.

Ce diagnostic nous sem ble exagérément négatif.Quand on examine la jurisprudence relativeaux dommages économiques — on sait que ledroit commun de la responsabilité est jurisprudentiel — on observe qu’elle est plus fourniequ’on ne le pense. L’ennui est que son accèsn’est pas facile, pour deux raisons. La premièreest la grande diversité des dommages économiques, qui donne naissance à une jurisprudence éparse. Ainsi, la solution d’un problèmeposé par un dommage de concurrence peut setrouver dans un arrêt portant sur la responsabilité des constructeurs, ou celle des notaires. Laseconde est te relatif désintérêt de la doctrine.Des articles spécialisés de qualité sont publiésmais on manque d’études de synthèse, et lecontraste est frappant avec la Grande-Bretagne,où des ouvrages volumineux traitent des dommages réparables en général.

En dépit de ces obstacles, on peut trouver dansle droit de la responsabilité un ensemble assezriche de règles propres aux dommages économiques (I). Cet ensemble présente évidemmentdes lacunes, mais certaines pourraient êtreaisément comblées (H).

I. Les richesses de la responsabilitécivile

Nous tenterons, en quelques lignes, d’en donnerun aperçu convaincant.

A. Certains arrêts majeurs concernent le«contrefactuel »

MM. Nussenbaum et Faury ont souligné l’importance de cette notion. Larrêt Manoukian du26 novembre 2003, relatif à la rupture fautivede pourparlers, a précisé qu’il ne fallait pas sedemander dans quelle situation la victime seserait trouvée si le contrat avait été conclu, maisdans quelle situation elle se serait trouvée si larupture n’avait pas été fautive 2 La Cour de cassation décide également que lorsqu’un contractant demande l’annulation d’un contrat et desdommages-intérêts, ceux-ci ne peuvent pasêtre mesurés aux gains qui auraient été retirésdu contrat3. On ne peut pas demander à la foisl’anéantissement de l’accord et son exécutionpar équivalent. Ces décisions sont très utileselles placent le raisonnement sur de bons railset elles permettent aux victimes de savoir cequ’elles peuvent obtenir dans ces circonstances.

B. D’autres décisions concernent lanotion de dommage réparable

Une jurisprudence abondante enseigne que lesdettes de restitution ne sont pas un damnurn; uncontractant condamné à restituer une sommed’argent ne peut donc pas appeler un tiers fautifen garantie de cette condamnation. De même,les pertes d’exploitation relatives à une activitéqui a été conduite sans une autorisation requisepar la loi ne sont pas réparables5. Présente aucontraire cette qualité, le paiement d’un impôt,ou celui d’une amende, qui aurait été évité si lafaute n’avait pas été commise6. Un arrêt récentdécide que sont également réparables « le tempset l’énergie consacrés par un dirigeant au traitement de procédures contentieuses ». Alorsque la cour d’appel avait jugé que cette activité« entrait dans les fonctions du dirigeant » et« n’ouvrait droit à aucune réparation financièresupplémentaire », la Cour de cassation a retenuque ce dommage devait être indemnisé, car lesefforts du gérant s’étaient exercés « au détrimentde ses autres tâches de gestion et de développement de l’activité de la société ».

2) cass. com., 26 nOV. 2003, n° 00-10243 BuIL civ. ‘J, n 186.

3) V. par ex. cass. com., 21 juin 2016, n 15-10028.

4) V par ex. cass. 1” civ., 28 oct. 2015, fl0 14-17518.

s) com., 3 mai 2016, fl 14-29483.

6) cass. 1e 15 janv. 2015, n 14-10256.

7) cas. com., 12 avr 2016, fl 14-29483.

Suzanne CARVALProfesseur à l’universitéde Pouen

2 table ronde: Identifier les préjudices réparables

Les préjudices économiques réparables : les réponsesdu droit de la responsabilité civile 124d1

1) Le style oral de la présentation e été conservé.

36 - Petites Affiches 4 septembre 2017 - n’ 176

C. À ce sujet, sur les méthodesd’évaluation

Quelques décisions prennent position sur desnotions assez techniques. On pense aux arrêtsde ta Cour de cassation qui préconisent de sefonder sur la marge brute pour réparer te pré) udice né de la rupture brutale de relations commerciales établies. Ainsi qu’aux arrêts relatifsaux dommages matériels, qui imposent d’appliquec selon la situation, la valeur vénale ou tavaleur de remplacement du bien endommagé,ou qui interdisent tes abattements pour vétusté.

Le corpus des règles existantes n’est donc pasnégligeable, même s’il comporte des Lacunes.

II. Ses lacunes

Nous en donnerons deux exemples.

A. Le premier est celui du préjudice néde l’écoulement du temps entre laperte et le jugement

Supposons qu’une entreprise Soit privée d’unesomme de 1 000 € à un instant T et que le jugement de réparation soit rendu dix ans plus tard.L’entreprise peut-elle être indemnisée, outre les1 000 €, de ta privation de cette somme pendantdix ans ? L’enjeu est important: si l’on prend uncoût du capital de 7 % sur dix ans, les 1 000 €

sont devenus 2 000€.

Curieusement, la jurisprudence est ici plutôtrare8. Il semble que la réparation de ce dommagesoit peu demandée, ce qui est paradoxat car il estimportant et plutôt facile à réparer. Ceci résultepeut-être d’une confusion avec les intérêts moratoires de l’article 1153-1 du Code civil (devenul’article 1231-7 au 1’ octobre 2016). Si c’est Le cas,cette confusion doit être dissipée. t n’est pasquestion ici d’intérêts moratoires mais compensatoires, qui visent à assurer La réparation intégrate du dommage concerné. Leur taux n’est paste taux légat. Il est fonction de la situation de tavictime : a-t-elle dû emprunter pour faire face àla perte de trésorerie ? Ou a-t-elle perdu ta possibilité de faire fructifier cette somme?

Si le principe est simple, il serait bon que lajurisprudence donne des exemptes plus nombreux

s) V. toutefois CA Paris, 5-4, 14 déc. 2016, n’ 13/08975 TGI Paris,6’ ch., 26août 2016, n° 13/11562 T com. Paris, 15’ ch., 16 mars2015, n’ 2010/073867 et T. com. Paris, 15° ci,., 18 oct. 2011,n’ 2002/084275.

de son application. Il serait également utilequ’elle prenne position sur certains aspectsdélicats, telle la combinaison de ces intérêtsavec le procédé de l’actualisation9.

B. Une autre question mal fixée est cellede l’impact de l’attitude de la victimeface au dommage

Si la victime n’a pas limité son dommage, peut-on le lui reprocher? Mm°Nérot a rappelé que laCour de cassation s’orientait vers une réponsenégative. La directive 2014/104 est dans lemême sens10. Elle donne les conséquences àtirer de ta répercussion du surcoût causé parune entente, mais elle n’impose pas cette répercussion. En revanche, L’avant-projet de réformede la responsabilité, du 29 avril 2016, consacrel’obligation d’éviter l’aggravation du dommage,mais seulement en matière contractuelle(art. 1263).

Si la victime a limité son dommage, doit-on entenir compte? Le droit commun commande deréduire les dommages-intérêts à proportion dela limitation ; le juge doit être attentif à l’évolution de la consistance du dommage, qu’elleaugmente ou diminue. Pourtant, la Cour decassation a pris une position différente dans lecontentieux fondé sur l’article L. 442-6 du Codede commerce. Elle juge que l’indemnité est calculée en fonction de la durée du préavis jugéenécessaire, et qu’elle ne doit pas être réduite sita victime s’est reconvertie avant ta fin de ce préavis11. Cette solution pourrait être étendue, carelle renforce te caractère dissuasif de la sanction civile les dommages-intérêts prennentainsi la nature d’une peine privée. Il sera doncintéressant de voir comment ta jurisprudenceva évoluer sur ce terrain : restera-t-elle fidèleau principe de réparation intégrale ou se montrera-t-elle sensible à la fonction punitive de laresponsabilité?

9) Sur cette question, y. Carvat S., « Les intérêts compensatoires —

La réparation de la dimension temporelle des préjudiceséconomiques », D. 201Z p. 414.

10) Dir. du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissanttes actions en dommages et intérêts en droit national pourtes infractions aux dispositions du droit de la concurrence destats membres et de l’union européenne.

,) Cass. com., 6 nov. 2012, n’ 11-24570 Cass. com., 22 oct. 2013,n°12-28704.

Petites Affiches -4septembre 2017- fl 176-37

DOSSIERU Entreprise

Didier FAURYExpert-comptableCommissaire aux comptes

Président du Conseilnational des compagniesd’experts de justice

Pour tenter de répondre à cette question, ilconvient de revenir sur Les caractéristiques despréjudices économiques.

La première caractéristique de ce type de préjudice est que [e droit de la responsabilité ne mentionne pas cette catégorie de préjudice, contrairement à des droits voisins comme le droitanglo-saxon (<t pure ecortomic Loss »). La doctrine s’est attachée à conceptualiser ou définirta notion, généralement énoncée comme uneatteinte fautive à une activité de production etde commercialisation de biens ou de services,mais cette définition n’entraîne pas de conséquence particulière en matière de droit à réparation.

La deuxième caractéristique est La diversité dessituations constitutives des préjudices ainsidéfinis.

Ces préjudices peuvent exister en matière quasidélictuelle comme en matière contractuelle etconcerner:

• des perturbations d’activités d’entités industrielles ou commerciales suite à des sinistresentraînant des pertes d’exploitation;

• des inexécutions contractuelles, des rupturesbrutales de relations commerciales, de pourparlers;

• des actions relatives à des situations deconcurrence déloyale, parasitisme, contrefaçon;

• Les conséquences des atteintes au marché(entente, abus de position dominante);

• des préjudices boursiers...

Cette liste, qui n’a pas la prétention de l’exhaustivité, illustre donc la grande diversité des situations rencontrées.

La troisième caractéristique, qui est sans doutela plus importante au regard de notre sujet,est que tévatuation des préjudices concernés,l’identification et L’évaluation nous semblant audemeurant difficiLes à distingueç nécessite dedisposer d’informations économiques et financières pertinentes, cette information pouvantrecouvrer des données historiques (données

• comptabLes et analytiques) mais aussi des données prévisionnelles de même nature, puisquedes préjudices peuvent perdurer au moment oùils sont évalués.

Deux points seront développés:

• quelles informations financières et quelle méthodologie sont nécessaires à l’évaluation despréjudices économiques (I)?

• quelles sont les difficultés spécifiques généralement rencontrées (II)?

I. Quelles informations financièreset quelle méthodologie?

La loi, dans ses dispositions relatives au préjudice contractuel mais qui sont considéréescomme également applicables aux préjudiceséconomiques nés de fautes quasi détictuetles,précise que le préjudice correspond à ta pertesubie et au gain manqué par ta victime.

La jurisprudence a, par ailleurs, développé lanotion de perte de chance qui trouve spécialement à s’appliquer dans te domaine économique.

Si chacun comprend les notions de pertes etde gains, ta seule référence à des notions aussigénérales, ne permet pas la mise en oeuvred’une méthodologie opérationnelle.

En effet, lorsqu’il s’agit de « pertes » parle-t-onseulement de coûts ou d’un écart négatif entredes coûts et des produits?

De surcroît, de quel type de coûts s’agit-il ?S’agit-il de coûts nouveaux, c’est-à-dire supplémentaires par rapport aux charges de gestionfixes de L’entreprise?

Concernant le gain manqué s’agit-il d’un bénéfice brut, net, d’une marge intermédiaire? Uneperte plus forte que prévue du fait d’une fauteest-elle une perte subie ou un gain manquénégatif?

Comment distingue-t-on un gain manqué futurd’une perte de chance?

Ces questions montrent que tes notions de pertesubie et de gain manqué, si elles permettent dequalifier les préjudices par référence à la Loi,sont insuffisantes pour mettre en oeuvre une démarche d’identification et dévaluation.

La démarche généraLe d’identification et dévaluation doit découler directement du principeindemnitaire selon lequeL lobjectif de l’indemnisation est de remettre lavictime dans la situation qui aurait été ta sienne en l’absence defaute dommageable.

2 table ronde : Identifier les préjudices réparables

Identifier les préjudices économiques : quelles difficultéscette démarche pose-t-elle ? 124d2

38-Petites Affiches-4 septemtre 2017 - n°176

En pratique, le préjudice à indemniser est constitué d’une différence entre deux situations:

• celte qu’aurait connue la victime en l’absencede faute;

• et sa situation réelle.

L’indemnisation de l’écart entre ces deux situations rétablira donc la victime du dommagedans sa situation antérieure à celui-ci.

La situation qu’aurait connue la victime en l’absen ce de faute est souvent qualifiée de scénariocontrefactuel.

La contrafactualité ou contrefactualité est uneforme grammaticale qui renvoie à la réflexionsur des événements qui ne se sont pas réalisésmais qui auraient pu se réaliser:

• que se serait-il passé si?

• ou bien si tel événement s’était réalisé, alors...

Les écarts entre les deux situations vont permettre d’identifier:

• les coûts supplémentaires supportés par lavictime au titre du préjudice par rapport àceux qu’elle aurait supportés en l’absence defaute, par exemple les frais engagés pour faireface aux premières conséquences d’un sinistre. Cette notion de coûts supplémentairesest, nous semble-t-il plus claire, que celle deperte subie;

o l’écart de marge, gain manqué s’il est positif,entre les deux situations, étant entendu quecette notion de marge doit être précisée;

• et bien sûr les actifs corporels et incorporelséventuellement affectés.

Lamarge non réaliséeou gain manqué qui résultera de la comparaison de la situation contre-factuelle et de la situation réelle correspondra:

• au chiffre d’affaires non réalisé;

• diminué des coûts qui auraient dû être supportés pour la réalisation de ce chiffre d’affaires (charges variables économisées commedes achats de matières, voire charges fixes réduites si, par exemple, du personnel a dû êtrelicencié à la suite du dommage).

Dans de nombreuses situations la mesuredii préjudice correspond à la perte de margesur coûts variables puisque, à charges fixesconstantes avant et après le dommage, la victime sera rétablie dans la situation antérieure àla faute par l’obtention d’une indemnité correspondante à la marge sur coûts variables manquée.

Il doit par ailleurs être relevé que, sur ce sujet,la Commission européenne a publié un guidepratique sur la quantification des dommageset intérêts en matière de pratiques anticoncur

rentielles dans lequel cette méthodologie duscénario contrefactuel est expressément mention née.

Il convient toutefois d’observer en comptémentque, dans des situations extrêmes de disparitionde l’activité ou de l’entreprise victime, l’indemnisation est alors plus complexe et peut conduireà devoir estimer la valeur de l’activité disparue.

Enfin, cette démarche générale, si elle est applicable dans de nombreuses situations, doit êtrecomplétée d’une analyse plus spécifique danscertains types de préjudice comme les préjudices d’image pour lesquels les quantificationssont souvent particulièrement difficiles.

Il. Les principales difficultés de miseen oeuvre de la méthode

Ces principales difficultés sont autant d’ordrethéorique que pratique.

A. Les difficultés théoriques

Concernant le caractère direct du dommage,la condition est formellement posée par l’article ]15] du Code civil qui précise, en matièrecontractuelle, que les dommages et intérêts nedoivent comprendre que ce qui est une suiteimmédiate et directe de l’inexécution de laconvention.

En matière de préjudice économique, il existetrès fréquemment des dommages successifsdont l’indemnisation est demandée : une baissed’activité peut, par exemple, entraîner un accèsplus difficile au crédit si l’entreprise a peu defonds propres, les difficultés de financementen résultant pouvant entraîner elles-mêmesdiverses conséquences négatives sur l’exploitation. Cet enchaînement est susceptible d’êtretraduit par la victime dans son scénario contre-factuel.

Ces préjudices en cascade ou par ricochetposent le problème complexe de la causalité,illustré par les principales théories explicativeséquivalence des conditions et causalité adéquate.

Le scénario contrefactuel élaboré par la victimepeut ainsi intégrer des suites des dommages quine seront pas indemnisables car trop éloignéesde celui-ci.

Concernant le caractère certain du dommage lecontenu du scénario contrefactuel, par définition hypothétique, pose nécessairement question.

Il convient, en fait, de distinguer le caractèrecertain du dommage et celui de l’évaluation quis’accompagne nécessairement d’une certaineapproximation.

Petites Affiches-4 septembre 2017 -Q 176-39

DOSSIERI Entreprise

L’approximation est, en effet, inhérente à t’évaLuation de ce type de préjudice qui repose parconstruction sur l’estimation d’une situationéconomique qui n’a pas eu lieu.

C’est le préjudice de perte de chance qui illustreparticulièrement ce constat puisque non seulement te scénario doit traduire l’hypothèse deréalisation de la chance mais il doit en outre,être affecté d’une probabilité de réalisation.La troisième difficulté théorique provient de taLimitation Légale au principe de réparation intégrale qui figure dans l’article 1150 du Code civilqui exclut, en matière contractuelle, la réparation des dommages imprévisibles, sauf lorsqueces derniers ont été causés par le dol du débiteur. Ce texte a pour objet de modérer la réparation de préjudices lointains, difficiles à imaginertors de ta conclusion du contrat.On peut s’interroger sur te point de savoir sicette condition, dont ta mise en oeuvre est souvent difficile à cerner; ne se recoupe pas avec tanécessité d’un tien de causalité directe.

B. Les difficultés pratiquesOn constate, en pratique, que Les demandesd’indemnisation sont assez souvent mat documentées.

La demande d’indemnisation doit répondreà une logique spécifique, Logique qui est parfois mal maîtrisée par les demandeurs (il n’est

pas rare, en effet, de constater des confusions,double emplois, omissions dans tes chefs dedemandes).

Pourtant, ta qualité du dossier du demandeurest, après débat contradictoire et critiquesapportées par les défendeurs, la seule matièrequi permettra au juge de motiver sa décision etde chiffrer de façon transparente l’indemnisation qu’il retiendra.

À défaut, Le juge ne pourra rendre de jugementexposant clairement le raisonnement suivi.Nous savons que l’exposé de La méthode d’évaluation suivie par le juge n’est pas une exigencede ta Cour de cassation qui a indiqué que « Lesjuges du fond justifient suffisamment l’existence du préjudice par la seule évaluation qu’itsen font » ou encore qu’ils ne sont tenus « ni depréciser tes éléments qui servent à l’évaluer »ni de « s’expliquer sur ta méthode d’évaLuation.apptiquée ».

Cependant, dans un souci de prévisibitité desdécisixns, de cohérence entre elles et de transparence, la motivation des évaluations et doncl’exposé des raisonnements suivis par le juge asouvent été présentée comme souhaitable parta doctrine.

L’absence dans le jugement d’exposé méthodologique des évaluations retenues peut, en effet,laisser planer un doute sur le caractère possiblement forfaitaire de certaines d’entre elles.

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• DOSSIEREntreprise I

Joèlle SIMON

Comme t’indiquait te professeur Muriel Chagnytors d’un colloque organisé sur l’expert-comptable et l’évaluation du préjudice économique,à Nice, en septembre 2011, « le préjudice économique est partout », mais tn constate également qu’il est moins tangible que le préjudicecorporel.

Cette identification, qui est une phase-clé d’uneindemnisation intégrale des dommages subispar l’entreprise pour faire te départ entre cequi est consécutif au fait générateur et ce quirésulte d’autres causes, n’est pas aussi évidenteque l’on pourrait le penser car elle soulève taquestion de ta causalité entre le fait générateuret te dommage.

Si le constat n’est pas totalement satisfaisant,tes responsabilités sont partagées entre:

• d’un côté, les entreprises victimes et leurs conseils qui ne prennent pas toujours suffisamment ta peine de détailler dans leur demandeles chefs de préjudice dont ils demandentta réparation (un oublié souvent : [es intérêts destinés à compenser l’écoulement dutemps), ou cherchent à préserver la confidentialité de certaines données et informations;

• et de l’autre, des juges qui ne sont pas suffisamment rompus à la matière économique,comptable et financière, exception faite desjuges consulaires, d’où te rôle essentiel desexperts. En pratique, les juges ont tendanceà ne pas individualiser les chefs de préjudice,ce qui rend difficile l’appréciation de ta pertinence de l’indemnisation accordée.

L’inscription dans l’avant-projet de toi de réformede la responsabilité civile présenté par le gardedes Sceaux, ministre de la justice en avril derniedu principe d’évaluation distincte de chacun deschefs de préjudice allégués (art. 1262) devraitcontribuer à amétiorer cette situation.

La difficulté d’identifier tous les chefs de préjudices ne doit pas pour autant conduire à faire l’impasse sur cette phase importante, ni à s’écarterdes principes du droit commun de la responsabilité et notamment du principe fondamental de laréparation intégrale.

Or que constate-t-on en pratique?

• un affaiblissement du tien de causalité, d’unepart (I);

•et un courant favorable au renforcement del’aspect répressif de ta responsabilité civilE,d’autre part (II).

L Un affaiblissément du lien decausalité

Cet affaiblissement du Lien de causalité tient àplusieurs causes.

Lexistence de présomptions Légates ou jurisprudentieltes, tout d’abord. Aux présomptionsjurisprudentiellesen matièredeconcurrence déloyale où ta seule existence d’une faute suffit àidentifier le préjudice1, et Légale en matière depropriété intellectuelle qui dispense de l’identification du préjudice dès Lors que le contrefacteur a réalisé un bénéfice du fait de la ventedu produit contrefait, te législateur communautaire vient d’ajouter avec l’article 17-2 de ladirective n° 2014/104/UE du 26 novembre 2014précitée une présomption d’existence du préjudice en cas d’ententes qui mérite que l’on s’yattarde quelques instants.

Le Medef s’est opposé à L’introduction de cetteprésomption même simple, parce qu’il y a descas où des ententes ne causent de préjudice,mais également parce que cela ne va pas faciliter l’évaluation du préjudice puisqu’il sera présum&. Comme l’a souligné M. Faury, « identifierc’est évaluer ».

Mais si cette présomption fait désormais partiedu droit positif il ne serait pas acceptable queson champ soit étendu au-delà du texte de Ladirective lors de sa transposition et donc auxautres infractions au droit de la concurrence.Or c’est malheureusement l’approche retenuepar ta Chancellerie dans le projet d’ordonnancesoumis à la consultation et ce, malgré les engagements pris par [e gouvernement de ne passurtransposer les directives sauf impératifdûment motivé3.

La forfaitisation qui conduit à faire L’impassesur la phase d’identification des préjudices,ensuite. Si la forfaitisation et sa traduction formalisée dans des barèmes peut avoir un sens

2 table ronde : Identifier les préjudices réparables

Identifier les préjudices réparables : le point de vuedes entreprises 124d3

DirectrLce des ciffairesjuridiques du Medef

i) V. not. Cass. com., 27 avr. 2011.

2) En ce sens, y. Choné-Grimald A-S., Revue de Droit Henri Capitant fl 9,31 déc. 2015.

3) RappeLons qu’en juin 2015, Le Conseil de La simplification pourLes entreprises a recommandé d’éviter La surtranspositionde textes communautaires et d’expliquer et justifier toutesurtransposition éventuelle.

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DOSSIERB Entreprise

pour les dommages corporels4, IL en va toutautrement en ce qui concerne Le préjudice économique. O souvent par manque de moyens,Les juges du fond, y compris les juges consu[aires, ont tendance à forfaitiser tes dommagesau mépris de la recherche du tien de causalité.La question du préjudice potentiellement subipar les actionnaires et Les investisseurs en casd’infractions à ta Législation sur Les abus demarché est particulièrement topique à cet égard.Il suffit de citer La décision rendue par Le tribunal de grande instance de Paris et confirméepar la cour d’appel dans raffaire Sidel5 qui aattribué une même réparation forfaitaire deio € par action détenue à tous les actionnairessans prendre en compte la situation individuelle de ceux-ci, selon la date de leur acquisition, sans calculer l’impact des informationsinexactes sur le cours des actions. Fort heureusement, cette décision a été censurée parta chambre criminelte de ta Cour de cassation6pour défaut de motivation et l’on peut noterqu’en novembre 2014, le Club des juristes a faitdes propositions tout à fait intéressantes7 enmatière d’évaluation des préjudices financiers.Le risque d’arbitraire est grand car La forfaitisation affaiblit nécessairement L’exigence dulien de causalité. Le préjudice doit être prouvéet évalué in concreto, En outre, contrairement àce que d’aucuns prétendent, il n’y a pas de Lienautomatique entre forfaitisation et préjudicesdits de masse, puisqu’aux États-Unis, dans [‘affaire Vivendi, il y a bien eu évaluation individualisée des préjudices subis.Enfin, la tendance à ta forfaitisation peut avoircomme effets pervers:

• soit d’inciter les demandeurs à augmenterartificiellement Leur demande;

• soit de les dissuader de procéder à une identification sérieuse et précise des préjudices.

L’application de La théorie des effets d’ombrelle sur les prix en droit de La concurrence,enfin. Dans une décision Kone AG et autres du5 juin 2014, en réponse à une question préjudicielle, ta Cour de justice de l’Union européenne areconnu aux victimes d’une pratique d’augmentation des prix par une entreprise tierce à l’entente pour s’adapter aux prix du marché issusde la pratique anticoncurrentielle, la faculté

4) V. en ce sens Le barème dit Dintithoc et l’avant-projet de loi deréforme de La responsabilité civile précité.

s) CA Paris, 3 oct. 2008.

6) Déc. du 18 novembre 2009. V. égal Paris, 19 mai 2014 quirappelle L’éxigence de La preuve d’un lien de causalité entrela faute commise et Le préjudice global allégué par Les partiesciviles, dans un dossier d’abus de marché,

7) L’évaluation du préjudice financier de l’investisseur dans Lessociétés cotées.

d’agir en réparation contre tes participants del’entente.

Cette jurisprudence, que certains estimentconfortée par ta directive de 2014 précitée,pourrait avoir des conséquences excessives siles tribunaux n’étaient pas suffisamment exigeants sur la caractérisation du lien de causalité. Si L’on se réfère aux conclusions de l’avocatgénéral, Mtm Kokotte, cette décision relève de Lavolonté de faire jouer à raction civile et donc àla responsabilité civile son rôle dans Uefficacitéde la mise en oeuvre du droit de ta concurrence.

II. Une tendance au renforcementde la fonction répressive de laresponsabilité

Lobjectif de l’identification de l’ensemble des préjudices subis est d’assurer la réparation intégrale.O même si la fonction de peine privée n’ajamais été totalement absente du droit de Laresponsabilité civile8 et qu’il existe des dispositions spécifiques en matière de contrefaçon demarques et brevets9, il y a un courant favorableau dévetoppement de la fonction répressive oumême de justice sociale de la responsabilitécivile.

Lors des débats qui ont précédé la préparationde la réforme de la responsabilité civile, denombreux rapports ont soulevé la question del’opportunité d’introduire en droit français desdommages et intérêts punitifs.Et même si certains essaient de tirer les dommages et intérêts punitifs du côté de la réparation, en arguant que ces dommages constitueraient une variable d’ajustement Lorsque lespertes subies et te gain manqué se révéleraientd’un montant inférieur au bénéfice qu’auraittiré le contrefacteur de ses agissements délictueux, la question s’avère plus complexe qu’iln’y paraît.

Depuis un certain nombre d’années, il existe undébat entrè les deux voies possibles pour faireappliquer le droit : celle de L’action publique« public enforcement » et celle de l’action privée« private enforcement » sous L’influence américaine. Alors qu’en Europe, c’est ta première quiprédominait du moins jusqu’à [‘adoption de tadirective n° 20’14/1o4/UE du 26 novembre 2014précitée, aux ÉtatsUnis c’est la seconde qui prévaut.

8) Régime des astreintes, réparation des dommages moraux,y. en ce sens M’ Sairit-Esteben R., « La réparation du préjudiceéconomique résuLtant d’infractions du droit de La concurrence(point de vuea d’un juriste français »).

9) V. uifra.

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C’est dans ce contexte que se sont développésaux États-Unis les dommages et intérêts punitifs.

Depuis toujours et particulièrement lors desdébats relatifs à l’introduction de [‘action degroupe en droit français, le Medef a expriméson opposition à [‘introduction de dommages etintérêts punitifs. Lexemple américain est t’illustration des effets pervers du système qui inciteles victimes à faire du contentieux et qui peutconduire à leur enrichissement sans cause.

Rappelons que ce qui peut se justifier dansle contexte américain, ne se justifie pas de lamême façon en Europe et en France tout particulièrement où [‘intervention publique pourfaire appliquer la loi est dominante. Il n’existepas de raison objective en France d’ajouter endroit civil une sanction à connotation répressive, à l’arsenal de sanctions déjà existant. Allerdans cette voie aboutirait à cumuler les inconvénients des deux systèmes.

On comprend à cet égard que [es dommages etintérêts punitifs suscitent une sérieuse réserveau sein des États membres.

Ii suffit de citer l’article 3-3 de la directive de2014 précitée qui dispose que la « réparationintégrale au sens de la présente directive n’entraîne pas de réparation excessive, que ce soitau moyen de dommages et intérêts punitifs oumultiples ou d’autres types de dommages etintérêts »‘°.

Si [aspect répressif n’est pas totalement absentdu droit de la responsabilité civile, ce serait uneerreur de basculer vers un système où la répression ser&t [‘objectif principal de [‘action.

La question des dommages et intérêts restitutoires mérite cependant que l’on s’arrêteun instant pour souligner qu’elle se pose demanière un peu différente. Il ne s’agit plus, eneffet, d’obtenir le prononcé d’une peine privée,mais la restitution du profit indûment perçu par[‘auteur de l’acte illicite, que la seule réparationdu préjudice ne suffit pas à « effacer ». Dans certaines hypothèses, [‘institution de dommageset intérêts restitutoires semble légitime. C’estd’ailleurs dans cette voie que s’est engagé lelégislateur en matière de propriété industrielleavec [es lois du 29 octobre 2007 sur la contrefaçon et du u mars 2014 renforçant la luttecontre ta contrefaçon, ce que te Medef soutient.

Mais ceux-ci portent également atteinte au principe de la réparation intégrale, et soulèvent, audemeurant, des problèmes lorsqu’il y a pluralitéde victimes et que seule l’une ou plusieurs d’entre

10) V cependant Chagny M.:» La proposition de directive relativeaux actions endommages et intérêts pour pratiques anticoncurrentielles «, D. 2013, p. 2532 et s.

elles demande [‘attribution de dommages etintérêts restitutoires, car il existe alors un risquede distorsion de concurrence.

Afin d’éviter une exception trop importante auprincipe de réparation intégrale, la Chancelleriepropose pour sanctionner certains comportements de retenir une voie différente : celle d’uneamende civile dont [e produit irait à un u fondsd’indemnisation en lien avec la nature du dommage subi ou, à défaut, au Trésor public ».

Cette approche nous paraît tout aussi’ contestable et soulève, de notre point de vue, un problème de compatibilité avec la Constitution.Le Conseil constitutionnel a déjà jugé que leprincipe de [égalité des délits et des peiness’appliquait aux sanctions administratives prononcées par une autorité non juridictionnelle,au regard des critères élaborés par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pourdéfinir la matière pénale, et en particulier celuide la nature et du degré de sévérité de la sanction prévueï. Il ne fait guère de doute que cetteamende introduite dans le Code civil revêt enréalité un caractère pénal12 et devrait dès lorsêtre soumise à l’ensemble des principes attachés à cette matière (notamment le principede légalité des délits et des peines alors qu’il n’ya pas d’incrimination spécifique, le principe depersonnalité des peines, le principe de nécessité et de proportionnalité des peinesl3).

De plus, le plafond fixé pour les personnes morales est exorbitant et ne respecte pas le principe de proportionnalité.

En effet, le pourcentage de 10% du montant duchiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevéréalisé au cours d’un des exercices clos depuisl’exercice précédent celui au cours duquel lafaute a été commise, pourrait conduire à desmontants de plusieurs centaines de millionsd’euros pour les grands groupes, ce qui paraîttotalement hors de proportion avec la gravitéde la faute.

La rédaction est très directement inspirée del’article L. 442-6 du Code de commerce.

11) CEDH, 8juin1976, Engel et a. cl Pays-Bas.

12) La CEDH note que relèvent en général du droit pénal desinfractions dont les auteurs s’exposent à des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif et qui consistentd’habitude en des mesures privatives de liberté et en desamendes (cEDH, 28 oct. 1999, Escoubet c/ Belgique [GcJ).Lorsqu’il n’y a pas de privation de liberté en jeu, La cour estimeque des sanctions entraînant des conséquences financièresimportantes peuvent être qualifiées de sanctions pénales(cEDH, 11 sept. 2009, Dubus SA cl France et cEDH, 26 sept.2000, Guisset cl France). La cour prend en considération lefait que la sanction présente un caractère répressif et préventif (CEDH, 27 sept. 2011, Menarini c/ italie).

13) V. en ce sens La décision n 2016-554 QPC du 22juillet 2016).

et le principe dindividualisation des peines.

Petites Affiches - septembre 2017 n’ 176-43

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Rappelons que la compatibilité de cet articleavec ta Constitution a fait robjet d’une questionprioritaire de constitutionnalité qui a donnélieu à une décision du Conseil constitutionneln° 2010-85 du 13 janvier 2011. Dans cette décision, te Conseil a rappelé que si le législateurétait compétent pour assortir la violation de certaines obligations civiles et commerciales d’uneamende civile, il doit définir « en des termesclairs et précis la prescription dont il sanctionnele manguement », condition qui n’est nullementremplie en l’espèce en raison de La généralitédes termes retenus par L’avant-projet.En aucun cas Le contentieux civil ne peut êtreutilisé pour pallier ta lenteur et L’incapacité dela justice pénale à réprimer certains comportements délictueux.

En conclusion, nous considérons que seuls peuvent se justifier des dommages et intérêts restitutoires au titre de la seule faute turative, àL’instar de ce qui a été retenu en matière de propriété industrielLe1 et uniquement dans des casspécifiques par des Lois spéciales.Mais en aucun cas, il n’est justifié d’en faire unprincipe général du droit de la responsabilitécivile devant figurer dans le Code civil.Ceci montre clairement que l’on veut faire jouerà la responsabilité civiLe un rôle de régulationsociale qui transparaît encore plus nettementdans la théorie du préjudice dit diffus.Il est intéressant, en effet, de noter que dans lathéorie du préjudice dit diffus, développée parles partisans des cLass actions dans le milieu desannées 1970, terme peu approprié qui vise des

4) V. supra.

préjudices de masse de faible montant issus decomportements itticites, te juge devrait pouvoiçlorsqu’il serait d’avis qu’il serait impraticable outrop onéreux de procurer une compensationindividuelle aux membres du groupe, ordonnerune réparation en nature: par exemple, diminution des courses de taxis pendant une certainepériode en compensation d’une surcharge dutarif imposée aux clients..., mesure qui ne profiterait pas aux personnes lésées.

On voit bien alors que l’on n’est plus du toutdans la réparation et on peut même se poser Laquestion de ta compatibilité de telles mesuresavec Le droit de la concurrence, en ce qu’ellesdonnent aux entreprises fautives un avantageconcurrentiel, Lon est très loin de l’identification des préjudices aux fins de réparation.S’en écarter en dehors de cas très spécifiquesserait risquer d’ouvrir la porte à’arbitraire.En conclusion et pour répondre aux souhaits dela première présidente, quelques suggestions:• la poursuite d’une amélioration de ta forma

tion des juges tant de l’ordre judiciaire que del’ordre administratif à l’économie, à ta financeet à la comptabilité;

• une motivation plus détaillée à laquelle l’obligation à venir d’evaluer distinctement les chefsde préjudice devait contribuer;

• le cantonnement de dommages et intérêtsrestitutoires à quelques situations clairementdélimitées;

• Le rejet de toute barémisation ou nomenclature en matière de préjudice économique.

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