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Entrevue avec Monsieur François Delahaye. Son parcours exemplaire, mais aussi ses conseils aux futurs diplômés.
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Entretien avec
Monsieur François Delahaye
Directeur Général de l’ Hôtel Plaza Athénée, Paris
Responsable des opérations hôtelières, Dorchester Collection
Frenchy de l’hôtellerie de luxe
Par Adrian Ion, pour le Student Voice
Le bruit des dernières tasses à café qui s'entrechoquent est de plus en plus lointain. Je
cours en desserrant ma cravate, en dévalant les escaliers, direction les vestiaires de l'hôtel Le Richemond, à Genève. Je cours car j'ai rendez vous, ici, 6 aout 2011, dans cet hôtel dorénavant ajouté à la collection Dorchester. J'ai rendez vous avec l'homme qu'on
a appelé le "Frenchy de l'hôtellerie de luxe" (c'est pas moi, c'est le Figaro). Car en plus d'être à la tête du plus luxueux des hôtels parisiens, au 25 de l'avenue Montaigne,
Monsieur Delahaye dirige les opérations de la chaine Dorchester, et prend la température des murs du Richemond et de ceux qui les portent, ici en Suisse.
...donc moi ce qui m'intéresse le plus, c'est votre personnalité et votre parcours, plutôt que l'avenir du Richemond, voyez...
D'accord, super! Donc je m'appelle François Delahaye, je suis né à Lille, d'un père
dentiste et d'une mère qui ne travaillait pas. Une famille de 4 enfants...Je n'ai jamais été très bon à l'école et j'ai fais mes études hôtelières à St-‐Cergues, pas si loin de Lausanne. Celle-‐ci a fermé pendant que j'y étudiais, du à une faillite retentissante à
cause du choc pétrolier en 73. Donc je me suis retrouvé sans diplôme dans une situation un peu particulière...Je ne savais plus trop quoi faire.
Ah d'accord. Et la formation était en combien d'années ?
C'était en trois ans!
Et le diplôme c'était quoi à la fin?
C'était quelque chose qui était
équivalent aux Lausanne et Glion de l'époque...C'était un peu similaire. Pendant le deuxième stage, l'école a
fermé, donc je me suis retrouvé en Angleterre, au Grosvenor hôtel à Chester. C'était un stage de service.
L'écolage que j'avais déjà payé était perdu...C'était une situation un peu compliquée, mais je suis resté en
Angleterre. A ce moment là, un accident s'est produit: le propriétaire, qui était le Duc de
Westminster, a perdu son buttler (son valet de pied), il a eu une crise cardiaque. Il a donc fallu que je le
remplace. Je suis devenu le valet de pied du Duc de Westminster, dans son Château !
Incroyable ?
Oui, tout a fait surprenant ! Et là, ça m’a permis d’être présent dans différents
évènements ou j’ai eu l’occasion de rencontrer la Reine d'Angleterre, des gens absolument incroyables...Mick Jagger entre autres. C'était assez surprenant!
Mais c'est incroyable!
Oui c'était amusant. Lors de ce passage j'ai plutôt appris tout ce qu'il ne fallait pas faire. J’ai beaucoup souffert, c'était très dur. Et du coup j'ai beaucoup appris.
C'est comme ça qu'on apprend au final.
Après j'ai rejoint un groupe appelé le Savoy Group.
...Qui a rénové un hôtel récemment au coeur de
Londres.
Absolument, mais c'était tout un groupe à l'époque. Il y en avait à Paris entre autres. Je suis resté avec eux pendant deux ans, ou j'ai fait un management
trainee, et j'ai tourné dans tous les services. Je suis resté le plus longtemps en cuisine. Là aussi j'ai appris tout ce qu'il ne fallait pas faire. Il n'y avait aucun cost
control, pas de P&L, ni de financial analysis tous les mois. Ils en faisaient un chaque année. Que des choses très surprenantes comme ça.
Mais ça marchait quand même à l'époque?
Ca marchait fort! Il y avait des clients, il y avait un très bon service ! Mais il n'y avait pas
de gestion du tout, tel qu'on pourrait le comprendre vous et moi. Très bizarre. Et fort de ce que j'avais appris à l'école, le directeur, qui était très ouvert, était ravi de voir mis en place un cost control, un mini P&L...Donc, j'ai le sentiment d'avoir apporté plus que
j'en ai retiré moi même. Bien sur, c'est le sentiment que j'ai eu sur le champ, mais au final c'est moi qui les ai exploités, car j'ai appris énormément dans cette situation désorganisée. C'était génial ! Avec du recul.
Ensuite je suis parti à l'armée, et j'ai fait quelque chose de complètement différent: je
me suis occupé d'une bibliothèque. Donc, ça m'a permis d'avoir un contact avec les gradés. Ca m'a donné un petit coté...je vais pas dire intellectuel, faut pas exagéré non plus, mais ça m'a apporté une ouverture d'esprit, que je ne pensait pas que les
militaires avaient.
Vous les pensiez très...droit, n'est-‐ce pas?
Très! A l'issu de ça, j'avais vraiment besoin de structure, car ni l'école ni mes expériences sur le terrain ne me l'avaient apporté. Donc je suis rentré en 77 dans un groupe qui s'appelle Sofitel, pendant 9 ans. D'abord comme attaché de direction au
Sofitel de Sèvre, à Paris, qui possédait 600 chambres. Je suis ensuite devenu chef de
réception et directeur de nuit. Je suis alors parti en mission pendant 6 mois, pour faire
l'ouverture d'un hôtel à Marrakech, ou je suis devenu assistant F&B. Rien à voir mais...
Ca vous a plu?
J'ai trouvé génial! L'expatriation...Il fallait tout faire, tout apporté! Plus on amène, plus on a l'impression d'apporter une valeur ajoutée. Ca m'a apporté beaucoup de satisfaction. Donc, je leur ai demandé de repartir à l'étranger....Et alors là...Ils m'ont
envoyé à Bamako, au Mali! Je suis devenu directeur de l'hébergement. Ca m'a permis de partir très jeune, d'accepter des postes impossibles dans des destinations impossibles, donc assez rapidement je me suis retrouvé avec un poste d'encadrement
important. 180 chambres, en Afrique, c'était un gros poste, j'étais super jeune! J’avais 26-‐27 ans.
C'était l'époque ou...ça marchait bien en fait l'hôtellerie!
Oui bon, ça marche toujours bien! Mais c'était en effet l'époque ou on pouvait prendre des risques sans diplômes à des postes importants et apporter une valeur. Et avec un
peu de structure et un peu de bon sens, on arrivait à faire de trucs. Ca c'était génial.
C'était super dur au niveau affectif. J'étais seul.
Vous étiez loin ?
Les blancs, ils ne vous invitaient pas, car ils voyaient en vous le petit jeune qui allait
piquer leurs femmes. Et les noirs ne vous invitiez pas car vous étiez blancs. Du coup on était invité nul part!
Compliqué, en effet…
Pas de télévision. La radio c'était que deux heures par jour, en fonction du satellite. C'était un enfer! J'ai souffert. Ca marque, ça forge. Mais c'était encore une bonne école,
encore dans la difficulté. J'ai toujours appris grâce à la difficulté que j'ai traversé.
Et j'ai demandé pour des raisons d'équilibre mental de rentrer à la fin de mon contrat. Ils voulaient me renvoyer en Afrique. Mais j’ai dis non, je suis rentré à Paris, au Sofitel Saint Dominique aux Invalides; je suis rentré comme directeur de l'hébergement,
pendant deux ans. Ca m'a appris à travailler dans une vraie structure, et encore dans beaucoup de difficultés, on y a vécu des moments difficiles, mais sur la grande qualité, ce que je n'ai pas vraiment vécu en Afrique. J'ai vécu des situations à Bamako...Je vais
vous raconter une anecdote, parce que dans ce genre de récit les anecdotes sont intéressantes : Un jour je reçois du protocole de la république du Mali un appel disant..."Je voudrais parler au directeur". Je réponds qu'il est en France et que je suis le
seul responsable. "Ah ben écoutez il me faut pour dans 45 minutes, 80 chambres". Et moi je lui dis que je suis désolé mais l'hôtel est complet. "Je crois que vous ne comprenez pas, ici c'est la présidence de la république. J'ai besoin de 80 chambres, j'ai
une délégation étrangère qui arrive. Vous allez me donner 80 chambres." Et moi, fort de mes 26 ans, je lui réponds...C'est pas possible, je n’ai pas 80 chambres, il y a des clients qui sont dans les
chambres... "D'accord, vous ne comprenez pas! On arrive!" Et là arrive deux
camions de militaires en mitraillettes qui tapaient aux portes et viraient les
clients. Il a fallu que j'installe dans la salle de banquet des lits
supplémentaires pour loger les équipages de
compagnies aériennes et pour les clients qui avaient déjà payé leur chambre et qui
s'étaient fait viré manu militari. Ca ce sont des expériences qui vous marquent !
N'y avait-‐il pas d'autres solutions, reloger les clients dans un autre hôtel?
Oui, mais c'était le seul hôtel de la ville!
AH oui en effet...Bamako à l'époque...
Et il y a deux hôtels maintenant, ça n'aurait pas changé grand chose! Ce sont des moments intenses dans une vie: vous êtes obligés de vous démerder.
C'est ça l'hôtellerie!
C'est faire face à une situation et rendre le client le plus satisfait possible. Donc je suis rentré en France pendant deux ans. Et puis j'ai été contacté par un chasseur de tête
pour rentrer dans un groupe qui s'appelle Warwick, ou j'ai travaillé pendant neuf ans. J'ai travaillé d'abord comme sous directeur dans un hôtel de petite taille à Paris qui s'appelle le Westminster. Il y avait un restaurant, ou l’on y a mis une étoile, on a bien
travaillé en restauration. J'étais responsable F&B, mais avec un titre de sous directeur de l'hôtel. On travaillait beaucoup sur la qualité, on a fait des choses géniales pendant trois ans. Et puis un directeur s'est fait virer. Il a fallu que je parte immédiatement pour
aider comme directeur général à Hong Kong. Donc je me suis retrouvé GM pour la première fois à Hong Kong avec un bébé de deux mois, ma fille. Je devais tout organiser, c'était très
intéressant. J'y suis resté pendant un an. Je suis rentré et j'ai
été muté par la direction générale de cette chaine à New
York, ou j'étais numéro deux. Donc je suis passé de numéro
un d'un hôtel de 80 chambres, à numéro deux d'un hôtel de
600 chambres.
D'accord.
D'accord?
Je vois la chose.
A New York!
A New York?
A New York!
Le Warwick de New York?
Le Warwick de New York, qui est 54th and 6th, donc sur Avenue of Americas. En face du
Hilton. Et c'était génial. Là j'ai travaillé comme une bête. Je me suis surpris quelque fois de ne pas être sorti pendant deux mois, cloitré dans l'hôtel. Pas un pied sur le trottoir, tellement on travaillait comme des fous. Mais c'était exceptionnel. Très dur avec les
syndicats. Il fallait remettre en place les systèmes de management, que j'avais appris avec Accord et Warwick. Moi qui pensais apprendre énormément au niveau management aux Etats Unis, pas du tout, ils étaient très en retard. On avait mis en
place les cercles de qualité, c'était un des concepts à l'époque. On avait beaucoup avancé grâce à ça. C'était en 1988. Et puis ma femme s'est fait attaqué quatre fois, donc elle est rentrée seule avec ma fille à Paris.
New York était si dangereux?
Oui, très. J'ai demandé à rentrer aussi. J'ai été directeur du Warwick à Paris. Et j'ai été
chassé par une autre compagnie pour qui j'ai travaillé pendant neuf ans...Voyez que 9 c'est mon chiffre. Pour un groupe qui s'appelle Vivendi. J'ai fait une présence de directeur général d'un hôtel qui s'appelle Le Parc, dont le chef s'appelait Robuchon. Il a
été remplacé par Ducasse. J'ai commencé à travailler avec lui en 1995 et puis en 1999, j'ai été chassé à nouveau. Je n'y croyais pas. Quand on m'a appelé pour le Plaza...”Oh! Le Plaza c'est beaucoup trop grand”...Vous imaginez, le Plaza Athénée c'est
incroyable....
J'ai l'impression qu'à chaque fois qu'on dit Plaza Athénée à un Parisien...il est surpris, il est...C'est une image forte...
C'est un bel hôtel vous savez. C'est un hôtel magique! C'est un...
A l'époque quand vous l'avez repris c'était comment?
C'était une poubelle.
D’accord, et sa place dans le classement au niveau des palaces à Paris?
On était sixième au niveau Rev Par. Maintenant sur les six derniers mois, on est numéro
un sur Paris. On a réussi en dix ans a faire un super boulot. Vraiment. Quand je suis arrivé c'était un peu comme ici, une situation de désorganisation complète, changement de propriétaire, démotivation des équipes. On a du investir, ça a mis du
temps. J'ai fais venir Alain Ducasse...
C'est votre meilleur partenaire?
C'est mon meilleur partenaire. C'est lui qui m'a permit de remonter le Plaza. Il a amené une qualité, une rigueur incroyable au niveau de la restauration de tout l'hôtel. Si bien que je l'ai fait rentrer au Dorchester, à Londres, il y a quatre ans.
Vu le succès que j'avais mis en place au Plaza, on m'a demandé de prendre la tête des
opérations et d’instaurer les mêmes préceptes dans tous les hôtels de la chaine Dorchester.
Et ça marche…
Oui enfin...Je touche du bois, vous savez je suis prudent! Ca a marché jusqu’à l’heure,
ça n'a pas toujours été facile. Ca ne se passe pas en un jour. C'est quelque chose que les
jeunes comprennent mal. Les jeunes veulent tout tout de suite. On ne devient pas
directeur général du Plaza en sortant de l'école. Ca n'existe pas. Il m'a fallu du temps, j'ai beaucoup souffert. Quand les professeurs vous disent que l'école coute cher mais que vous en sortez directeur et bien c'est faux. C'est faux. Je le dit quand je fais des
discours devant des anciens de Lausanne à Paris. J'ai 55 ans maintenant, je souffre toujours comme ici, ou il faut apporter notre énergie, notre passion, notre enthousiasme dans des hôtels comme le Richemond. Donc en 2005-‐2006 on a mis en
place la Dorchester Collection, et...ça marche plutôt pas mal. On s'est basé sur les préceptes du Plaza Athénée, mais ceux aussi du Dorchester à Londres, avec Christopher Cowdray (CEO de Dorchester), qui était GM à l'époque.
Donc en fait, tous ces hôtels, c'est la fusion du Plaza Athénée et du Dorchester, c'est la structure de base?
Au niveau de l'organisation, ce sont trois hôtels. Le Plaza, le Dorchester et Le Beverly
Hills, qui ont tiré le tout vers le haut financièrement, en marchant très bien. Ce sont rajouté à ces hôtels le Meurice à Paris, qui est un établissement incroyable, le Principe di Savoy, extraordinaire. Et un hôtel qui est arrivé après, le New York Palace, mais que
nous avions revendu car nous ne possédions pas les murs. On n’arrivait pas à apporter de valeur, car on ne pouvait pas investir. Cela nous bloquait par rapports aux clients et ça endommageait la réputation du groupe. Ici, au Richemond, c'est pareil. Si on ne peut
pas faire de travaux...La façon dont c'est décoré...ça pique aux yeux des Suisses.
Oui ce n’est pas fait pour les Suisses. C'est plus axé sur le Moyen Orient, et encore.
Oui et encore, ils ont plus de gout que ça je trouve. Donc, on a ensuite créé des hôtels en Angleterre, le Coworth Park et le 45 Park Lane. Et puis depuis le 1er Aout, la Dorchester Collection reprend en management contract, un hôtel mythique, le
Richemond, pour essayer d'apporter de la valeur comme on l'a fait il y a dix ans au Plaza Athénée et au Dorchester. Tout doucement essayer de réveiller ces vieilles dames qu'étaient ces hôtels mythiques et qui sont un peu endormies...
On en est là. 2011.
Oui. Ca va être long, il va falloir réorganisé, formé, apporter nos valeurs.
On a l'impression que vous avez fait de l'hôtellerie toute votre vie.
C'est la seule chose que je sais faire!
Mais j'ai une question simplissime. Quand vous étiez petit vous vouliez faire quoi?
Quand j'étais petit je rêvais d'être géologue. Étudier la terre, la pierre. Non, je n'avais
personne dans l'hôtellerie. Je ne savais pas trop quoi faire.
C'est intéressant, vous n'avez personne de la famille dans l'hôtellerie?
Pas du tout. Jusqu'à l'âge de 14 ans, ou j'étais tellement mauvais à l'école, vraiment mauvais, je ne savais pas quoi faire. Ma mère m'a dit: "Ca suffit, tu ne partiras pas en vacances cet été avec tes soeurs. Tu vas, pendant deux mois, travailler comme commis
en restaurant". Et là, il m'est arrivé un truc un peu particulier. Il faut dire que je traversais une période difficile. Je venais de perdre mon père. J'étais véritablement en chute libre dans la vie. Je me suis retrouvé cuisinier, alors que je n'en avait jamais fait.
C'était votre premier job?
C'était pas un job, j'avais 14 ans, c'était juste une punition. Je me suis retrouvé à faire
des entremets. Des oeufs mayonnaise, ou à la russe. Des champignons à la grecque, des choses comme ça. Et un jour il y a un serveur qui m'a dit: "Tu sais mon p'tit, l'oeuf mayonnaise que tu as fait. Eh bien le client a dit que c'était très bon". Et donc pour la
première fois de ma vie, on m'a dit autre chose que: "T'écris comme un porc, tu comprends rien, t'écoutes pas!". Pour la première fois on me faisait un compliment. Mon père était très strict et j'était dans ma bulle, j'avais totalement perdu confiance en
moi. Et ce jour-‐là j'ai compris que je pouvais faire quelque chose de mes mains. C'était une révélation! Alors que je pensais que j'étais le pire des nuls. La personne la plus nulle de la terre. Et j'étais sur que j'allais rester nul toute ma vie. Je l'avais accepté, c'était
comme ça. J'étais un nul. J’étais né pour être nul. Mais je me suis rendu compte que la restauration me permettais de faire quelque chose de mes dix doigts. Et en plus ils m'ont donné un peu d'argent à la fin. Incroyable. Donc j'ai voulu faire l'école hôtelière,
j'ai appris. J'ai beaucoup aimé la cuisine. J'avais cette impression d'apporter une vraie valeur. C'est à dire que vous transformer quelque chose de brut en quelque chose qui a une vraie valeur, et ça c'est quelque chose qui me plaisait énormément. Pareil en
service, un sourire, une belle nappe et la dame en face de vous se disait qu'elle avait
passé un bon moment. Et je crois que notre métier c'est ça. On est des petits marchands de bonheur. On vend du bonheur à des gens qui sont de passage, quelque soit notre poste. C'est ce que recherche les employés dans l'hôtellerie, de la
reconnaissance. On apporte quelque chose qui fait que l'on sait à quoi on sert sur cette terre.
Exactement, c'est vrai ! On m’a dit qu’un jour vous êtes passé devant le Plaza, vous vous êtes arrêté devant et vous avez dis : « Un jour, je dirigerai cet Hôtel ! »
Ah ça on me le dit souvent. Je ne m'en souvient pas. C'est ma petite amie du moment
qui me l'a rafraichit. On traversait l'avenue Montaigne avec sa 2 Chevaux. En toute franchise je ne me souviens pas. Elle très bien.
Et puis après la rénovation du Plaza Athénée, le bar qui voit passer le beau peuple Parisien tous les soirs, la restauration, le chef pâtissier champion du monde...
Tout ça ça fait partit d'une équipe. J'ai fait venir toutes les équipes de Ducasse mais
aussi d'autres équipes d'anciens, qui travaillaient avec moi au Parc, au Ritz, ou au Westminster.
Des gens de confiance...
Oui c'est ça, je crois que vous avez dit le mot juste. Des gens en qui j'ai confiance. J'essaie de m'entourer de gens avec qui j'ai déjà travaillé. Ils vont aller plus loin, on
connait leurs valeurs.
Ca nous amène aux ressources humaines. A l'école on apprend des techniques idéalistes, de champion des employés...Même Yannick Alléno est idolâtré par ma prof de RH, que j'idolâtre aussi parce que ses cours sont géniaux. Mais ces techniques de
gestion des ressources humaines, les avez-‐vous plus apprises avec votre expérience, votre éducation?
Non. Le groupe Accord m'a énormément formé. En ressources humaines surtout. C'est ce qu'il y a de plus important. D'abord, avant toute chose, il faut aimer les gens. Parce
qu'il y a des gens qui n'aiment pas les gens. Ceux là ils ne faut pas qu'il fasse de la restauration, ni d'hôtellerie.
Il faut qu'ils soient clients.
Aha, oui c'est ça, il faut qu'ils soient tout de suite riches et qu'ils soient clients! Mais je
crois que l'hôtellerie est le métier le plus incroyable. Il y a des choses différentes en face de nous.
On se réveille le matin, et on ne sait pas à quoi s'attendre!
Oui, on ne sait pas ce qu'on va faire dans trois minutes. Contrairement aux
finances...Ou c'est chiant. Ils achètent, ils revendent, ils copient ce que font les autres...Etre trader, c'est quelque chose de très boring. Dans l'hôtellerie on gagne beaucoup moins d'argent, mais on fait un métier mille fois plus épanouissant. On se
couche le soir en se disant qu'on a réellement fait quelque chose: on a rendu des gens heureux, et ça c'est génial. Il faut être comme ça, avoir envie de rendre service. Moi je demande toujours, quand je recrute quelqu'un, "Dans le petit appartement que vous
avez en ce moment, est-‐ce que vous avez déjà invité des gens?" Alors les gens répondent "oui oui, j'ai fait à diner"; "vous pouvez m'expliquer la journée que vous avez passé avant le diner?"; "Eh bien c'est simple, je suis parti, je suis aller au marché, j'ai
pris ce qu'il y avait de mieux selon mes moyens, je suis rentré, j'ai fait le ménage, j'ai sorti la belle vaisselle, j'ai aéré, et puis j'ai ouvert la porte, j'ai accueilli les gens avec le sourire...";"Eh bien c'est ça. C'est votre petit appartement. Vous avez accueilli les gens
que vous aimez, eh bien dans mon hôtel je veux que vous fassiez la même chose avec tous les clients." C'est faire le maximum avec les moyens qu'on a pour impressionner ses invités. Vous mettez en quatre pour donner de la valeur aux peu de choses que
vous avez.
Oui c'est bien résumé… Hum… Vous pensez que vous arrivez à vous résumer en un seul adjectif?
(...) un seul adjectif, non...Je suis passionné. Oui...J'aime bien les hommes...Enfin les femmes aussi!
Moi aussi! Les hommes avec un grand H.
Tout à fait, j'aime l'être humain. Vous avez parlé des HR, c'est vraiment ce qu'il y a de
plus important.
C'est le moteur, c'est la valeur ajoutée.
Vraiment! Vous savez, vous pouvez mettre des robinets en or, du marbre...Si il n'y a personne pour vous dire bonjour, on a tout loupé.
L'avenir de l'hôtellerie en général, vous le voyez comment?
Je vois que du beau, il y a de plus en plus de gens qui veulent voyager, découvrir d'autres cultures, et surtout s'enrichir. Pleins de nouveaux pays, les BRIC comme le
Brésil, l'Inde, la Russie et la Chine...ils grandissent vraiment. Ce sont des gens qui ont
beaucoup souffert dans leur passé, tout comme l'Afrique. Il est logique qu'un échange se passe entre eux et nous, l'Occident, qui sommes les rois du Monde depuis des siècles. Les pays d'Europe qui sont trop gâtés, et trop endettés vont en payer le prix.
Tous ces pays qui travaillent autant que ces quatre pays que j'ai mentionné, qui prennent le lead. Quand je vois comme on travaille en France, 35h. C'est dramatique, parce que les gens ne gagnent pas beaucoup d'argent. Ils ont beaucoup de temps libre,
mais pas d'argent à dépenser, ça les rend bêtes, ils restent devant leurs télévisions. Ca ne fait pas grandir les gens. Alors que dans d'autres pays, en Chine par exemple, où ils pensent se faire exploité, ils s'enrichissent, très vite, jusqu'à devenir les leaders du
monde. Ils auront envie de voyager, et nous on a des entreprises, qui ne sont pas délocalisables. L'hôtellerie, en France, en Suisse, représentent notre culture…
Quelques conseils ou des avertissements aux futurs diplômés?
Ne quittez pas l'hôtellerie, c'est un métier extraordinaire.
Vous êtes au courant qu'à Lausanne, la plupart des diplômés quittent le secteur?
Bien sur, oui. 80% des étudiants se font piquer par des sociétés qui viennent vous
séduire en vous payant plus. Et c'est vrai que vous gagnez plus d'argent quand vous allez rejoindre Goldman Sacchs ou Merry Lynch...Mais c'est vraiment dommage d'avoir fait l'EHL avant. D'avoir visé un métier si extraordinaire et de le quitter simplement
parce que les cinq premières années sont trop dures. Vous êtes la génération "Y", vous voulez tout tout de suite. C'est la génération Iznogoud, vous voulez tous être Khalif à la
place du Khalif. Ce n’est pas possible, ça n'existe pas. Je suis ce que je suis parce que j'ai
attendu. Je n’étais pas comme ça plus jeune, j'étais comme vous. Je voulais être directeur général, j'avais les capacités. Parce que si vous avez ma place à 25 ans, qu'est ce que vous ferez à 75? Parce que vous allez vivre longtemps, et travaillez longtemps.
C'est l'énorme message que j'ai du mal à transmettre, même à mes propres enfants.
Je comprends...Il y a une recette pour le succès au final?
Il faut travailler. La recette c'est le travail. Il faut être bosseur, passionné, et sympa. Sympa avec ses clients, en haut comme en bas, ses collaborateurs. Les plongeurs, les femmes de ménages, il faut passer du temps avec eux. Ils font un métier admirable.
Nettoyer 12 chambres toute seule, c'est très dur. Savoir qu'une gouvernante va vérifier votre travail ajoute de la pression. Elles sont admirables ces femmes! Je ne sais pas si vous êtes capable de le faire si elles sont absentes.
Non. Les femmes sont plus fortes que nous. Mentalement en tout cas.