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Les cahiers de Saint-Lambert ENSEMBLE FACE À LA CRISE ÉCOLOGIQUE 6 10¤ • juillet-aout-septembre 2010 Entretien> Semer des graines de par le monde / Repères / Infographie / Dossier>Les océans dans la tempête L’industrie de la pêche épuise les océans De la terre à la mer en passant par le saumon La Création sauvée des eaux Le seul avenir, la pêche artisanale Daniel Pauly, berger des mers et des poissons / Portfolio / Initiatives / Document > Les racines historiques de notre crise écologique GRAND ENTRETIEN Semer des graines de par le monde les océans dans la tempête

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Les cahiersde Saint-Lambert

EnSEmbLE facE à La criSE écoLogiquE

610¤ • juillet-aout-septembre 2010

Entretien > Semer des graines de par le monde / Repères / Infographie / Dossier > Les océans dans la tempête • L’industrie de la pêche épuise les océans • De la terre à la mer en passant par le saumon

• La Création sauvée des eaux • Le seul avenir, la pêche artisanale • Daniel Pauly, berger des mers et des poissons / Portfolio / Initiatives / Document > Les racines historiques de notre crise écologique

Grand entretienSemer des graines de par le monde

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édito

Cher Dominique, au moment du « bouclage » de ce numéro, comme l’on dit dans notre jargon, j’ai soudain repensé à Jean de La Fontaine. Notre fabuleux fabuliste, oui. Qui d’entre nous n’a jamais entendu ce bout de phrase : « Petit poisson deviendra grand… » ? Elle figure dans la courte histoire appelée « Le petit Poisson et le Pêcheur », et je viens de la relire. Eh bien, elle décrit admirablement notre inconscience. Un pêcheur attrape un carpillon, un tout petit fretin de carpe qui suggère au pêcheur de le remettre à l’eau, à l’aide de cet argument plein de bon sens : « Laissez-moi Carpe devenir : Je serai par vous repêchée ».

Le pêcheur aurait tout intérêt à laisser à la jeune carpe le temps d’engraisser, mais il décide pourtant de la passer à la poêle, concluant : « Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras ». La situation des océans demanderait pourtant à tous les pê-cheurs du monde de réfléchir à deux fois avant de s’emparer sans trêve de tant de juvéniles, mais ils ne le font pas. Tiens, j’avais oublié le vers complet : « Petit poisson deviendra grand, Pourvu que Dieu lui prête vie ». J’imagine que tu as bien quelque Lumière sur le sujet.

La fable parle du coeur de l’homme, tu le rappelles bien. Un coeur intelligent et

compliqué à la fois, qui cherche bien souvent des réponses rapides et à court terme, là où sa faim l’invitait d’abord à la sagesse. La sagesse d’inscrire toute chose dans la lente croissance des êtres qui fait passer du «fretin» à la «carpe». Peut-on pour autant repro-cher au pêcheur d’avoir d’abord les pieds sur terre et d’assurer ses besoins immédiats ? Ou bien faut-il lui rappeler que ce qui assure ses besoins immédiats, jour après jour, c’est la garantie qu’il laisse bien de quoi «recevoir» dans ce qu’il «prend» ?

Une dynamique du don qui, pour le coup, me parle du coeur du Dieu auquel je crois. Mais que la vie me soit «prêtée» par une succession de hasards ou par le désir secret d’un Créateur, selon nos manières propres de le com-prendre, il est au moins possible de voir ensemble dans ce «prêt» la promesse d’une magnifique abondance intérieure à vivre, au jour le jour. Et dont le respect durable et sensible des autres créatures, dans leur magnifique biodiversité, est le signe et le gage.

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Fabrice Nicolino

Dominique Lang

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Petit poisson deviendra-t-il grand ?

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06 EntrEtiEn Semer des graines de par le monde

12 rEpèrEs Les faits marquants du trimestre

18 infographiE Quand les abeilles disparaissent

20 DossiEr LEs océans Dans La tEmpêtE

23 DécryptagE L’industrie de la pêche épuise les océans

28 proLongEmEnts De la terre à la mer en passant par le saumon

34 spirituaLité La Création sauvée des eaux

36 soLutions Le seul avenir, la pêche artisanale

40 sciEncEs Les grands mystères du recensement

42 portrait Daniel Pauly, berger des mers et des poissons

48 facE-à-facE Jérémy Huet et Andrée Dagorne

50 rEssourcEs Pour aller plus loin

52 portfoLio Beautés sauvages en Cévennes

58 initiativEs Le monde en marche

64 DocumEnt Les racines historiques de notre crise écologique

SommaireNuméro 6juillet-aout-septembre 2010Les Cahiers de Saint-Lambert sont édités par Bayard Service EditionSynergie Park – Zac du Moulin 59118 Wambrechies.Directeur de la publication : Didier Robiliard([email protected])rédaction : Fabrice Nicolino (Rédacteur en chef) ([email protected]) et Dominique Lang (Directeur) ([email protected])Direction artistique : Olivier Duron ([email protected])Comité de rédaction : Martin Arnould, Cécile Cros, Olivier Duron, Dominique Lang, Jean-Claude Pierreont collaboré à ce numéro : Alain Le Sann, Jean-Claude Pierre Fabrication : Michel RiouContrôle de gestion : Muriel SpiritoCommunication : Vincent Fauvel ([email protected])Commercial : Juliette de Villeneuve ([email protected])Communication :Corinne Miguel([email protected])Service abonnements : SER, 14 rue d’Assas 75006 ParisTél. 01 44 39 48 [email protected] : Nature et Impressions (Belfort)ISSN : 2104 0990 CPPAP : 1211 G 90317Dépôt légal : à parutionPour toute correspondance : Les cahiers de Saint-Lambert, Rue du charme et du carrosse, 78470 Saint Lambert des Bois.retrouvez-nous sur notre blog : www.les-cahiers.frCe numéro a été tiré à 2500 exemplaires.imprimé sur papiEr rEcycLé EncrEs végétaLEs

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nEz LEs cahiErs

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67www.les-cahiers.fr

OUI, je désire recevoir gratuitement et sans engagement, la documentation sur le voyage « Voyager solidaire au Maroc, du Moyen Atlas à l’Atlantique »

Bulletin à compléter et à retourner à : Vision du Monde - 3 route de Chambéry - 38300 Bourgoin-Jallieu - Tél. : 04 74 43 91 82.

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D U 2 3 O C T O B R E A U 1 E R N O V E M B R E 2 0 1 0

Un voyage qui privilégie la rencontre et le partage

d’expériences avec des villageois et des

communautés investies dans des projets de

développement économique ou social solidaires.

DU MOYEN ATLAS À L’ATLANTIQUE

Organisation technique : www.visiondumonde.org - agrément tourisme ATES AG 075.08.0001 - Réceptif local : www.tizirando.com - Membre du réseau du tourisme solidaire AREMDT

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DU 23 OCTOBRE AU 1ER NOVEMBRE 2010

Un voyage qui privilégie la rencontre et le partage

d’expériences avec des villageois et des

communautés investies dans des projets de

développement économique ou social solidaires.

DU MOYEN ATLAS À L’ATLANTIQUE

Organisation technique : www.visiondumonde.org - agrément tourisme ATES AG 075.08.0001 - Réceptif local : www.tizirando.com - Membre du réseau du tourisme solidaire AREMDT

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Design : De Stijl - Photo : CCFD

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| JUILLET-AOUT-SEPTEMBRE 2010 | LES CAHIERS DE SAINT-LAMBERT | 5

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Semer des graines de par le monde

Les Cahiers : Nicolas et Laure, on a envie de vous dire : « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage »…

Nicolas : C’est le moins qu’on puisse dire !laure : Nous avons rencontré cependant moins d’obstacles

qu’Ulysse et avons donc pu faire plus de route en moins de temps... Quatorze mois pour rencontrer des hommes et des femmes du Québec, du Brésil, du Chili, de l’Australie, de l’Inde, du Vietnam, du Laos, du Cambodge et de Madagascar. Un pro-gramme réduit pour aller aux rythmes de nos cinq filles, âgées de douze à deux ans et demi au moment du départ, en juillet 2008. Prendre du temps, pour une fois, tous ensemble, pour dé-couvrir des cultures que nous ne connaissions pas, pour admirer les beauté de la nature mais aussi et surtout pour faire de belles rencontres. D’où le nom de notre projet, « Espérance 7 ».

Nicolas : Quand nous nous sommes connus, au cours de nos étu-des, nous partagions déjà tous deux le goût du voyage. Du haut de nos 19 et 20 ans, après un premier voyage humanitaire en Pologne, nous avons réussi à faire valider un séjour à l’étranger.

EntrEtiEn

nicolaS Et laurE Métro

La famille Métro et ses cinq enfants rentrent d’un voyage à travers le vaste monde. Partis à la recherche des arbres, ils ont rencontré en chemin des hommes et des femmes, construit de vrais liens sociaux et des réseaux économiques viables. Ou comment l’espérance opère à taille humaine.

La famille Métro au grand complet sur la photo du bas. Laure, Nicolas et leur cinq filles, sans compter un certain moine bouddhiste. Les autres clichés illustrent des moments singuliers et forts d’un voyage exceptionnel.

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réflexions. « Assure-toi que ce que tu cherches ne soit pas une lubie », était sa constante recommandation. Cela m’a permis d’avancer librement. Six mois plus tard, j’en arrivais à l’heure des nouveaux choix.

En l’occurrence, il s’est agi de quitter la « jungle » des multinationales pour se mettre au service des « fo-rêts » solidaires !

Nicolas : On peut le dire comme ça. C’est aussi le sou-venir de mes grands-pères qui m’a aidé à me décider. L’un d’entre eux notamment, ingénieur des Eaux et Fo-rêts, qui a travaillé longtemps au Maroc, puis à la FAO.

Intéressant, cette « transmission » par saut de génération

Nicolas : Je retrouve cela aussi chez d’autres amis, qui sont rattrapés par leur « ADN familial ». Une transmis-sion qui peut sauter parfois une ou deux générations

avant de se transformer en invitation à changer de sens dans nos engagements professionnels.

Dans votre cas, cet ADN familial s’est exprimé sous la forme d’un « bourgeon ».

Nicolas : Oui. Exactement. C’est d’ailleurs ce que veut dire en japonais « Kinomé », le nom de la société que j’ai créée (1). Nous avons voulu signifier ainsi que notre recherche est celle d’une nouvelle économie centrée sur l’homme. Dans notre cas, elle s’expérimente autour de la question de la forêt et de son exploitation. Une exploitation dans le sens de « l’exploit » et non pas de celui de « pillage ».

D’où l’un de vos slogans, devenu un vrai programme de reforestation communautaire : « Des arbres pour la vie » (2)

Nicolas : Il ne s’agit pas pour nous simplement de planter des arbres mais de travailler au service des humains qui les côtoient. 99 % de l’histoire de l’hu-manité a montré comment l’arbre a été utilisé pour la nourriture, l’abri, les soins, le culte, les outils, même la poésie. Il s’agit donc pour nous de « réactiver » en quel-que sorte ces gènes éteints chez les urbains que nous sommes devenus. Nous travaillons pour que ce lien à l’arbre redevienne une évidence pour tous.

Concrètement, notre projet est d’arriver à planter en dix ans, d’ici 2018, 15 milliards d’arbres. Avec une pro-gression arithmétique régulière, c’est possible. Nous en étions déjà à 500 000 arbres plantés en 2009. Un chiffre multiplié par trois en 2010. Au rythme d’un facteur 3 ou 4, nous devrions y arriver. Et si nous maintenons ensuite ce rythme pendant dix ans, nous aurons atteint le taux de couverture forestière mondiale existant en 1950, avec une population qui aura pourtant fortement crû pendant cette même période.

Mais est-ce que planter suffit à restaurer un éco-système ?

Nicolas : Notre position est pragmatique. Pour nous, le meilleur arbre est celui qui améliore la vie de ceux qui vivent à ses côtés. Lors de notre passage en Inde, nous avons été frappés par la présence d’un très bel arbre, vieux d’au moins 3000 ans, qui était encore très révéré par la population. Mais autour, la déforestation était dramatique. Or, à court terme, l’arbre utile

Une expérience suffisamment marquante pour avoir envie de recommencer ?

Nicolas : Oui. Après notre mariage, nous voilà repar-tis pour sept ans, au Japon notamment. A un moment donné, nous avons eu envie d’être présents autrement dans ces pays. Mais les ONG n’étaient pas intéressées par notre profil. C’est en Equateur que nous avons pu mettre la main à la pâte. Ne parlant pas un mot d’espagnol, nous avons rencontré sur place un prêtre français travaillant dans un bidonville de Quito. D’abord un peu méfiant, il nous a finalement proposé de nous occuper d’une gar-derie pour des enfants de mères célibataires et quelques autres projets sociaux. Un merveilleux souvenir.

L’arrivée de vos propres enfants a dû changer vos plans de voyageurs ?

Nicolas : C’est vrai, évidemment. Mais ces dix derniè-res années, le projet d’un grand voyage nous a toujours

accompagnés, car nous voulions l’offrir à nos jeunes enfants. Une envie de semer des graines dans leur coeur et ainsi contribuer un peu à un meilleur avenir pour ce monde.

laure : Le désir premier de l’aventure a peu à peu laissé place à une envie plus enracinée dans notre aventure familiale : c’est l’envie de vivre à sept un temps fondateur, soudant notre petite communauté, révélant à chacun ses propres dons. Et à travers les rencontres, ouvrir notre regard et notre coeur à l’autre, sans trop de peur. Nous étions prêts à nous laisser conduire par les rencontres que nous ferions. Ce qui a très bien fonctionné.

Ce voyage correspond aussi à une évolution sensible dans vos carrières professionnelles ?

laure : Le rachat de l’entreprise où je travaillais de-puis quinze ans et le plan de licenciement économique qui a suivi m’a permis de passer six mois à organiser notre aventure et à partir libre de tout lien salarié. J’ai aussi créé une structure de commerce équitable avant notre départ, à activer en fonction des projets que nous rencontrerions en chemin.

Nicolas : J’ai eu la chance d’occuper de bons postes dans quelques grandes multinationales. Mais en 2002, au cours d’une formation au management, j’ai pris conscience de la nécessité de quitter tout ce « savoir-faire » accumulé pendant des années pour acquérir et assumer davantage un « savoir-être » qui me ressem-ble. Je crois que je cherchais à répondre, notamment par mon travail, aux besoins universels de tout être humain : manger, boire, avoir accès aux soins, à la connaissance, mais aussi à la reconnaissance de soi. De fait, pendant vingt ans, j’avais vendu de l’alcool, des jeux vidéos et des programmes télé qui n’étaient pas du « Arte » ! Certes, je crois que je faisais honnê-tement mon travail. Mais le sens de ce que je faisais restait bien étouffé.

Un choix difficile ?Nicolas : Pas forcément. Mais on en sent le poids

quand on renonce concrètement à répondre aux sirè-nes des chasseurs de tête qui vous offrent des postes mirobolants pour votre carrière. La présence de Laure m’a beaucoup soutenu. Alors qu’elle s’est occupée de nos enfants, elle ne m’a jamais découragé dans mes

« nous voulions ouvrir notre regard et notre coeur à l’autre, sans trop de peur. nous étions prêts à nous laisser conduire par les rencontres que nous ferions. »

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« concrètement, notre projet est d’arriver à planter en dix ans 15 milliards d’arbres. avec une progression arithmétique régulière, c’est possible. nous devrions y arriver. »

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cée des négociations politiques officielles, mais dans l’énergie collective des forums associatifs organisés pa-rallèlement à la Conférence. Alors que les grands de ce monde peinaient à négocier une « police d’assurance » pour l’avenir de la planète, ces associations très actives gèrent dès à présent les effets des changements. J’ai le sentiment d’un monde qui se « réveille ». Certes, des acteurs existaient déjà avant, mais les urgences mondiales actuelles les mettent davantage sur le devant de la scène. De plus, l’accès aux informations pour agir est désormais très facilité. C’est le bon côté d’Internet qui permet d’accélérer la transmission des « savoir-faire » nécessaires pour agir. Je constate aussi que les jeunes de 25 ans avec qui je travaille ont une magnifique énergie, alors que leurs salaires sont bien loin de ceux qu’ils gagneraient dans des entreprises de consulting. Mais travailler sur le « sens » des choses, les rend dix fois plus heureux.

Et c’est du Sud, que viendrait selon toi le mouvement le plus fort…

Nicolas : Soyons clairs. Si le Sud bouge, c’est parce que ces peuples sont les premiers concernés par les urgences. De plus, ils ont souvent moins perdu la connexion à la nature, même si là aussi l’urbanisation fait des dégâts dans les cultures traditionnelles. Or cette connexion est précieuse pour ne pas déployer que de simples réponses technologiques, chères aux habi-tants des villes. Ce qui marche vraiment, ce sont des réponses qui font le lien avec la nature environnante. Je pense, et l’intuition est partagée avec d’autres, que l’avenir passera beaucoup par l’Afrique. Les commu-nautés que nous avons accompagnées au Sénégal ont ainsi, en quelques mois et malgré des conditions très dures, planté près de 300 000 arbres.

On verrait donc émerger un modèle africain de développement ?

Nicolas : En tout cas, je suis persuadé qu’une aide efficace là-bas est celle qui permet à chacun de rester dans son village. Il suffit de comparer la beauté des villages traditionnels et la déchéance des bidonvilles urbains pour le comprendre. Cela ne signifie pas pour autant que rien ne doit évoluer. L’arrivée généralisée du téléphone portable a ainsi appris aux villageois à mieux vendre leurs produits en ville, au juste prix. Je pense

aussi à ce jeune Sénégalais de 28 ans qui a développé un cybercafé et une mutuelle de microcrédit dans son village, lui permettant d’assumer dignement sa vie de famille. Voilà des réponses sur le « sens » de nos actions. Participer à l’amélioration de la vie de ces villages est plus efficace que bien des plans d’aides internationaux. Nos entreprises partenaires l’ont compris.

On serait entrain de retrouver du bon sens ?laure : Le bon sens n’est jamais loin. Il ne faut pas

hésiter à revenir à l’essentiel : qu’est-ce qui sert la vie ? Qu’est-ce qui me met dans la joie ? A quoi suis-je appelée ?

Nicolas : Lors de mon 45ème anniversaire fêté il y a quelques jours, j’ai raconté à mes amis que ce que je vivais dans ce nouveau projet relevait d’une « voca-tion ». Une chose que je n’aurais jamais dite au cours des vingt premières années professionnelles. Je sens bien que ce chantier actuel va occuper tout le reste de ma vie. Ma foi chrétienne me permet bien sûr de reconnaître là un chemin spirituel très singulier. Mais notre voyage familial nous a aussi permis d’en découvrir les traces dans d’autres traditions spirituel-les. Je dis cela sans tout mélanger, mais quelles belles rencontres que celle de ce yogi indien ou de ces chiites sénégalais avec qui nous partageons un même sens du service de l’humain ! Plus d’une fois, j’ai repensé à ma question sur ma place ici bas. Je réponds aujourd’hui en évoquant cette petite « flamme » intérieure que je sens brûler en moi. 1

PrOPOS rECUEILLIS PAr DOMINIqUE LANg

(1) www.kinome.fr(2) Plus d’informations sur l’opération Trees for life sur : www.treesandlife.com

sera d’abord celui que ces populations auront protégé tout en en tirant un bénéfice pour leur survie. De nombreux acteurs locaux à travers le monde qui travaillent dans ce sens sont nos partenaires. Ce sont eux que nous avons rencontrés au cours de notre voyage familial.

Il y a donc de la place pour de l’espérance ?laure : L’espérance, nous l’avons vue de multiples

manières à l’œuvre. Chez ce médecin belge qui a consacré sa vie à lutter contre la lèpre en Inde. Chez ce prêtre intouchable du Tamil Nadu qui accueille dans ses écoles six mille enfants et forme les femmes à la prise de parole. Chez cette mère de famille qui a fondé un orphelinat à Antananarivo, financé avec son propre salaire au départ. Chez ces couples de Français qui apportent une structure familiale à des enfants abandonnés à Salvador de Bahia. Chez ces adolescents brésiliens qui passent deux après-midi par semaine à semer puis à planter des arbres. Chez cet Australien qui fait publier des livres en laotien et organise leur don et distribution dans les villages reculés, par des « rou-tards ». Et bizarrement, car nous ne l’avions pas prévu – mais nous n’avions heureusement pas tout prévu –, nous avons été à notre tour porteurs d’espérance par la beauté de l’amour vécu en famille.

Nicolas : Pour moi, il s’agit de planter dans le coeur de l’homme avant de planter dans son jardin. Dans notre projet actuel, cela passe par le fait de redonner à l’arbre toute sa place, notamment dans sa dimension économique. Il est connu qu’en Afrique, à l’heure ac-tuelle, 80 % de l’énergie consommée est liée au bois de chauffage et de cuisson. Il ne suffit donc pas, comme le font quelques riches mécènes au Chili par exemple, de préserver de grandes surfaces de terres vierges au profit de quelques centaines de familles. Il faut plutôt, selon nous, redonner les clés de la gestion des forêts aux populations elles-mêmes. Nous travaillons avec des scientifiques, mais aussi des bailleurs de fonds et des acteurs économiques, pour développer au cas par cas, des circuits économiques viables, autour par exemple de la noix de cajou, du citron, du jatropha. Mais aussi autour des services que rend la forêt, en termes de séquestration de carbone, d’entretien des berges, de maintien des paysages agricoles. Autant de débouchés économiquement viables.

Il s’agit donc d’inventer une gestion communautaire de la forêt…

Nicolas : Prenons le cas du Sénégal où nous tra-vaillons beaucoup avec de formidables partenaires locaux. Une loi récente permet de redonner l’usufruit des forêts aux villageois. A partir de là, notre projet a été de les soutenir dans le développement de ruches ou de la cueillette de plantes médicinales etc… Le plus beau signe du changement de mentalité est que désormais un feu de forêt ne laisse plus personne in-différent, comme cela était souvent le cas auparavant. On pourrait multiplier les exemples.

Y a-t-il là quelque chose de nouveau dans cette prise de conscience ?

Nicolas : Il me semble bien que oui. Je l’ai senti par exemple à Copenhague, durant le sommet sur le climat l’année dernière. Non pas dans l’ambiance gla-

« il ne suffit donc pas, comme le font quelques riches mécènes au chili par exemple, de préser-ver de grandes surfaces de terres vierges au profit de quelques centaines de familles. »

D. R

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Au moment où ces lignes sont écrites, bien malin qui pourrait prédire le sort de la marée noire dans le golfe du Mexique. Les estimations concernant le pétrole répandu varient du simple au décuple, et sans doute n’est-on pas à l’abri d’une

évaluation plus grave encore.Le parallèle entre cette catastrophe et celle intervenue en 1979 dans

ce même golfe du Mexique est tentant. Le 3 juin de cette année-là, une plate-forme d’exploration de pétrole appelée IXTOC 1 explose dans la baie de Campeche. Déjà, l’entreprise responsable – la Pemex – tente

toute une série de manœuvres qui seront utilisées… 31 ans plus tard par BP. Par exemple, le brûlage du pétrole ou la couverture acroba-tique de la fuite. Un tel rapprochement ne peut manquer d’inquiéter, car l’on voit mal, dans ces conditions, où seraient les « progrès » technologiques obtenus depuis 1979.

Autre aspect préoccupant : la catastrophe de 1979 ne s’est conclue que le 23 mars 1980, après creusement de forages de décompression. Faudra-t-il, cette fois encore, attendre dix mois ? Et en ce cas, dans quel état se trouveront les côtes américaines, Louisiane en tête ? Comme dans un mauvais film – noir, bien entendu –, l’on voit aussi réapparaître l’une des composantes majeures de ce genre de drame : la cupidité. Selon le très sérieux Wall Street Journal, Red Flags Were Ignored. Autrement dit, les signaux d’alerte auraient été ignorés.

Une fuite de gaz importante et potentiellement dangereuse avait été repérée dans le forage deux jours avant l’explosion, et des mesures techniques coûteuses s’avéraient nécessaires. Bien qu’informés, les responsables locaux de BP ont préféré maintenir en l’état les forages, au risque de rencontrer un problème qui se révèle une catastrophe majeure. Question : le monde a-t-il appris de l’Amoco Cadiz, de l’Exxon Valdez et de toutes les marées noires passées ?

RepèRes

« C’est bien de consi-dérer que la Corse est un endroit merveilleux pour sa qualité environnemen-tale, mais c’est mieux de tout faire pour que cela soit vrai. L’écologie est devenue aujourd’hui pour la Corse un impératif de développement ! ».Paul Giaccobi, président de l’Exécutif de Corse

Comment fait le CouCou ?nOn le sait, le coucou fait cou-ver ses petits par d’autres que lui. Mais comment fait-il ? Deux chercheurs, Claire spottiswoode et Martin stevens, sont allés en Afrique pour examiner de près le comportement de deux espèces. L‘anomalospize parasite, un cou-cou, et la prinia modeste, son hôte de prédilection. Les deux espè-ces cohabitent depuis 20 millions d’années, et le coucou a appris à maquiller ses œufs à la perfection, jusqu’à tromper ses dupes.

Paris, enCore un effortn Malgré tous les beaux dis-cours, ce n’est pas encore demain que la seine abritera des poissons vierges de toute pollution. Notre grand fleuve national, comme le Rhône et bien d’autres, est farci de pCB, produit chimique à la fois très toxique et très stable. Le ministère de l’Écologie, qui publie des résul-tats sur le site internet pollution.eaufrance, signale la présence de ce poison dans tous les poissons – brème, sandre, gardon – étudiés.

les sables bitumineux Contre le Climatplus le pétrole devient rare, plus l’on en cherche, jusque dans les sables bitumineux de l’Alberta, au Canada. Mais les techniques d’ex-traction sont très polluantes. selon l’écologiste des Amis de la Terre Aloys Ligault : « L’Europe risque d’agir en opposition avec son discours sur le climat si elle ne prend aucune me-sure pour empêcher l’importation de pétrole issu des sables bitumineux sur le marché européen ».

l’uruguay Condamnén Le fleuve Uruguay sépare l’Argentine de l’Uruguay, et ce dernier veut imposer par la force l’ouverture d’une papeterie géan-te qui risque de détruire ce fleuve jadis paisible en le polluant en profondeur. Après des années de conflit, la Cour internationale de Justice a « constaté que l’Uru-guay avait manqué à ses obligations procédurales de coopération avec l’Argentine » et l’a condamné. sans rien régler sur le fond.

Cette photo est une archive datant de 1979. Le 3 juin de cette année-là, un puits pétrolier explose dans le golfe du Mexique, Ixtoc 1. Mêmes causes, mêmes conséquences, même irresponsabilité. Rien n’a changé.

Contre Claude Allègre Ici, un livre ? Oui, parce qu’il y a urgence. Le journaliste de Libération Sylvestre Huet vient de publier un livre intitulé L’imposteur, c’est lui (Stock, 12 euros). Il s’agit d’une réponse à Claude Allègre, tête de file de ceux qu’on appelle désormais les « climatosceptiques ». Autrement dit, ceux qui nient tout ou partie du dérèglement climatique en cours. En l’occurrence, le propos de Huet se concentre sur Allègre. S’il disait faux, il devrait supporter non pas un, mais dix procès. Mais il dit vrai : Claude Allègre invente des noms, des études, tout en modifiant des courbes.

Une marée noire qui pourrait en cacher bien d’autres

Respirer du bitume peut tuerAffreuse histoire. Pendant vingt ans, Francisco Andrade a travaillé à

épandre du bitume sur les routes de l’Ain. En 2006, il consulte pour une tumeur au nez. On lui découvre un cancer, on lui enlève le nez, puis la mâchoire gauche. Un grand dermatologue lyonnais lui explique que le bitume est certainement responsable de sa maladie. Le bitume contient en effet des Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), si cancé-rigènes qu’ils figurent depuis 1976 sur la liste des polluants prioritaires établie par l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA). Hélas, rien n’y fait, et en 2008, Francisco meurt après d’insupportables souffrances. En avril 2010, sa famille assigne l’employeur devant le tribu-nal des Affaires sociales de Bourg-en-Bresse, estimant qu’il y a eu ce que le jargon appelle « faute inexcusable » de l’employeur. Mise en délibéré, la décision a été annoncée à la mi-mai. Oui, le patron de Francisco a commis une faute inexcusable. C’est une première.

Les écolos sont les plus beauxUn sondage commandé par la société américaine Timberland semble

montrer que, désormais, il vaut mieux être écolo. Du moins, si l’on veut séduire. Réalisée auprès de 1 025 Américains, l’enquête établit que 54% des hommes renonceraient à nouer une relation amoureuse avec une partenaire jetant ses détritus n’importe où. Mais l’affaire va bien plus loin, puisque 23 % refuseraient celles qui n’éteignent pas les lumières et 25 % celles qui refusent de recycler ! La vertu américaine va si loin que 72% des sondés pensent qu’il faut acheter des ampoules à incandescence plus économes et 57% jurent qu’il faut réduire l’empreinte écologique des trajets quotidiens, par exemple en utilisant des…vélos. Est-ce bien crédible ? Un autre sondage, hélas, révèle que la croissance économique est une priorité qui passe avant la protection de l’environnement.

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Nanotechnologies, maxidangers ?

Quand le crayon s’emmêleQue celui qui n’a jamais mordillé un crayon à papier ou taillé sa pointe

en classe de cours préparatoire lève le doigt. Le crayon, c’est notre ma-deleine de Proust à tous. Il a été inventé vers la fin du XVIe siècle, quand des bergers à Borrowdale, en Angleterre, eurent découvert des dépôts de graphite pur, avant de l’utiliser pour marquer leurs moutons.

Mais tout change : une étude de l’institut World-Watch signale que la production de crayons contri-bue à la disparition de forêts anciennes au profit de monocultures d’arbres. Un seul arbre produit dans ces conditions permettrait la fabrication de 2500 crayons. Tout n’est pas désespéré : d’abord, 41 producteurs de crayons, dans le monde, ont ob-tenu un label de foresterie durable. Ensuite, notez qu’on peut en obtenir à partir de vieux journaux…

Étrange, disons-le. Du 15 octobre 2009 au 24 février 2010 a eu lieu un débat organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP). Sujet : les nanotechnologies, ces petites merveilles capables de travailler à l’échelle du milliardième

de mètre. Mais faut-il parler de débat ? La plupart des discussions organisées en province se sont terminées par des chahuts géants, ou ont dû être annulées à cause de vigoureuses oppositions locales.

Il faut reconnaître qu’on peut discuter l’intérêt de telles réunions, alors que les applications nanos sont déjà à l’œuvre dans des centai-

nes, voire des milliers de produits courants. Faut-il s’inquiéter d’une telle nouveauté, absolument radicale ? Au moins se préoccuper, vient de prévenir l’agence française de sécurité sanitaire de l’envi-ronnement et du travail (Afsset). Dans les résultats d’une expertise collective, cette agence officielle note qu’il existe « plusieurs centaines de produits de grande consommation contenant des nanomatériaux, présents dans notre quotidien : textiles, cosmétiques, alimentaires, équipements sportifs, matériaux de construction ... Des études nouvelles suggèrent la possibilité de risques pour la santé et pour l’environnement de certains produits ».

Une telle mise en garde vaut son pesant de gravité, et l’Afsset recommande en conséquence de « rendre obligatoire la traçabilité des nanomatériaux », la « mise en place d’un étiquetage clair qui mentionne la présence de nanomatériaux dans les produits et informe sur la possibilité de relargage à l’usage ». Elle suggère même « d’aller jusqu’à l’interdiction de certains usages des nanomatériaux pour les-quels l’utilité est faible par rapport aux dangers potentiels ». Reste la question essentielle : s’il s’agit d’une boîte de Pandore, elle est ouverte. Et en ce cas, il est bien improbable qu’on puisse la refermer.

« L’agriculture est une industrie lourde et lente à manœuvrer. Mais dans le futur, c’est sûr, les aides seront liées au respect de l’environnement. Pour moi, les agricul-teurs, avec le système de subventions, provenant notamment de la PAC, vivent de mendicité ! »Patrice Le Penhuizic, maire de Lauzach (Morbihan)

un vrai Plan Pour l’oursLes associations françaises et espagnoles de défense de l’ours réclament un plan de restauration d’une population viable dans les py-rénées. elles notent : « La présence de l’ours est compatible avec les ac-tivités humaines qui existent dans les pyrénées : élevage, tourisme, chasse, etc. Ceci a été démontré dans le massif Cantabrique (espa-gne) et les Abruzzes (Italie) où les activités humaines sont semblables à celles de notre massif ».

nettoyer la montagnenForts du succès des 10 pré-cédentes opérations de nettoyage en haute montagne, l’association Mountain Wilderness et le parc national du Mercantour orga-nisent une 11eme action, de très grande envergure. L’objectif cette année est d’offrir au parc, pour ses 30 ans, un secteur totalement débarrassé de barbelés, de façon à permettre à la faune des chamois, mouflons et chevreuils de profiter plus tranquillement des lieux. et aux promeneurs, bien sûr.

robert eden en Croisade n Un paradoxe. Robert eden, merveilleux vigneron bio depuis 1997 dans l’Hérault, pousse un cri de colère contre ce qu’est devenu, à ses yeux, la bio. pour lui, il s’agit d’une philosophie, qui proscrit par exemple la consommation de rai-sins « bio » venus par avion du Chili. Il propose une mesure simple et comme évidente. Que ceux qui produisent des aliments non natu-rels soient obligés de le mettre sur leurs étiquettes, et non l’inverse.

symPosium sur les KerguelennLe plateau océanique de Ker-guelen abrite la plus grande ré-serve naturelle marine française, peuplée d’albatros, de manchots et de pétrels, mais aussi d’otaries, d’éléphants de mer, de dauphins et de baleines. C’est également une zone de pêche majeure, et un tout premier colloque international consacré à cette merveille vient d’avoir lieu. On attend les Actes du rendez-vous avec impatience.

RepèRes

Ces structures on ne peut plus étranges sont des sortes d’engrenages molé-culaires à base de fullerènes, elles-mêmes des molécules compo-sées de carbone. Détail : elles sont de dimension nanométrique.

Électronique n’est pas écologiqueC’était trop beau pour être vrai. Grâce à Kindle, grâce à l’IPad, nous

allions enfin pouvoir feuilleter nos livres préférés sans détruire les forêts, par la magie de petits écrans électroniques. Hélas, la situation est loin d’être aussi idyllique. D’abord, la fabrication de ces joujoux oblige à utili-ser des minerais très précieux comme le lithium ou le coltan, mais aussi ce qu’on appelle des « terres rares », par définition peu abondantes, qui nécessitent de grosses recherches minières. « Or l’exploitation minière est une cause majeure de déforestation, et plus généralement de destruction des écosystèmes », expliquent Les Amis de la Terre. Autre désavantage majeur du livre électronique : son bilan carbone. Il faut compter 15 ans d’utilisation pour « amortir » ce bilan, alors que l’industriel a « besoin » que ce « merveilleux » objet soit jeté au bout de trois ou quatre…

Un écoquartier à Montreuil ? La ville de Montreuil, qui deviendra peut-être un jour le XXIe arrondissement de Paris, se lance dans un vaste projet urbain, le plus ambitieux jamais réalisé dans cette ville de plus de 100 000 habitants. Il s’agit de transformer et littéralement « recréer » un peu moins d’un quart de la ville, sur 200 hectares, qui prendraient le nom de « Haut-Montreuil ». Historiquement séparée du bas de la ville, où se trouvent les métros, cette partie de Montreuil apparaît de longue date comme délaissée, dépourvue de moyens de transport efficaces. La mairie parle d’y créer le « plus grand écoquartier » d’Europe, incluant 21,5 hectares d’un projet « agriculturel », où la nature dominerait.

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Le retour inattendu du guépard La chercheuse Laurie Marker est une spécialiste du guépard, et c’est pour cette raison qu’elle se trou-vait, début 2010, en mission dans la province du sud de l’Angola, le namibe. La région abrite l’un des plus vieux parcs nationaux de l’Angola, pays dévasté par une épouvantable guerre civile qui aura duré de 1975 à 2002. Et c’est là qu’elle a repéré la trace de deux guépards, pour la toute première fois depuis des décen-nies. L’année dernière, d’autres chercheurs avaient découvert trois antilopes noires devenues rares, des hippotragues, symbole national de l’Angola.

RepèRes

« Malgré ses dénéga-tions véhémentes dans les nombreuses affaires juridiques dans lesquelles il est impliqué depuis ces dernières années, le groupe Total est tout de même régulièrement condamné par la justice ».Suite à une condamnation de Total pour une pollution de la Garonne en 2004, Gwenael Wasse, chargé de campagne des Amis de la Terre.

la franCe signe en CaChettenCe n’est pas très glorieux. La France a décidé d’accorder une garantie financière, via la Coface, pour un projet de centrale au char-bon en Afrique du sud, Medupi. Une bonne opération pour le Fran-çais Alstom, qui devrait construire une partie de l’installation, mais une désastreuse nouvelle pour le climat. Les centrales au charbon sont en effet parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre.

la lettre des 60Dans une lettre au président de la République, 60 scientifiques réputés lancent un cri d’alarme à propos de la biodiversité. Ils s’in-quiètent notamment de « la dis-proportion persistante entre ces menaces et les réponses jusqu’ici apportées ». Ces chercheurs, tous français, demandent à l’État des engagements plus ambitieux. parmi les signataires, Robert Bar-bault, du Muséum, ou pascal picq, professeur au Collège de France.

Contre le tourisme immoralpeut-on tout accepter ? Tel n’est pas le point de vue de l’association survival International, qui bagarre depuis des mois contre l’entre-prise Wilderness safaris. Alors que les Bushmen de la Réserve du Kalahari central, au Botswana, sont privés d’eau par leur propre gouvernement, cette compagnie a pu installer en plein cœur de leur territoire ancestral un lodge avec piscine. D’un côté, le désert et la soif. De l’autre, la profusion.

et la lumière futLe marché mondial de l’électricité tirée du soleil – ce qu’on appelle le photovoltaïque – a poursuivi sa croissance en 2009, et ce malgré les graves problèmes rencontrés sur le marché espagnol. Berlin a pris le relais de Madrid, et selon les premières estimations dispo-nibles, la puissance photovoltaïque installée de l’Union européenne durant l’année 2009 devrait attein-dre 5 485,1 MWc, soit 8,1 % de plus qu’en 2008.

C’est une étude sidérante que vient de publier une as-sociation d’ingénieurs britanniques, Engineering the future alliance (1). Les deux tiers des besoins en eau du Royaume-Uni sont en fait importés sous forme de biens

et d’énergie qui nécessitent eux aussi une forte utilisation de l’eau. Cette eau, dite virtuelle, provient largement de pays soumis à ce que les spécialistes appellent un « stress hydrique ».

Exemple parmi bien d’autres retenu par l’étude : celui du Kenya, qui exporte vers l’Angleterre des haricots verts ou des roses qui ont « coûté » beaucoup d’eau à ce pays pourtant dévasté par une

sécheresse historique. Encore n’est-ce qu’un début, car à l’horizon 2030, la population mondiale pourrait atteindre les 8 milliards d’habitants, et les besoins en eau bondir d’au

moins 30 %. Une telle perspective paraît inconcevable pour ceux des pays du Sud qui consacrent déjà une part notable de leurs maigres ressources en eau à exporter des biens, notamment agricoles, qui leur permettent d’engranger de précieuses devises fortes. Une simple tasse de café nécessite 140 litres d’eau, et un tee-shirt en coton la bagatelle de 2 000 litres. Ne parlons pas du kilo de steak de bœuf, qui dissipe au total 15 000 litres d’eau !

Selon les auteurs du rapport, il n’est guère qu’une voie : reconnaître l’évidence, et revoir toute la politique de l’eau du pays. En gérant d’une manière raisonnable et soutenable les eaux « nationales ». Et en réexaminant l’intérêt et la nécessité d’importer aussi massivement une eau cachée, qui man-que cruellement aux pays du Sud obligés de l’exporter.(1) www.raeng.org.uk

Comment le Royaume-Uni utilise de l’eau virtuelle

Une simple tasse de café nécessite 140 litres d’eau, et un tee-shirt en coton 2 000 litres. Ne parlons pas du kilo de steak de boeuf, et de ses 15 000 litres d’eau !

bœuf

15 000

Pain

1 330

Pomme

700

riz

3500

mouton

6 100

nombre de litres d’eau Pour Produire un Kilo de denrées :

Du nouveau contre le paludismeLa situation reste pis que dramatique : le palu-

disme tue entre un et trois millions de personnes chaque année, dont 90 % en Afrique. Le respon-sable est, comme l’on sait, un parasite transmis par les moustiques, Plasmodium falciparum. Les traitements existent pourtant, mais la résistance

aux nouvelles molécules ne cesse d’en diminuer l’efficacité. Or des cher-cheurs de l’Institut pour la recherche et le développement (IRD) viennent de tenter une nouvelle stratégie basée sur la bithérapie. Il s’agit d’ajouter à des thérapies classiques un dérivé de l’artémisinine 3, l’un des plus récents médicaments antipaludiques. Les premiers résultats sont excep-tionnels : 96% de réussite. L’immense intérêt de l’artémisinine 3, c’est sa nouveauté, qui empêche pour l’heure toute forme de résistance.

Enfin des sanctions contre la déforestationUne hirondelle ne fait pas le printemps, fût-ce au Paraguay. Mais ce

petit pays enclavé au sud du géant brésilien connaît depuis vingt ans une révolution complète de ses paysages. Le soja transgénique, qui rapporte tant aux exportateurs, pousse les industriels de l’agriculture à raser tout ce qui reste de forêt tropicale. Et quand ce n’est pas pour le soja, c’est pour la viande. Or, les autorités paraguayennes viennent de prendre une mesure sans précédent en infligeant une amende à une compagnie brésilienne d’élevage. Cette dernière est accusée de raser illégalement la forêt qui abrite le dernier groupe d’Indiens isolés en dehors du bassin amazonien. Fort opportunément pour elle, la compagnie Yaguarete Pora avait caché aux services de l’État que la forêt qu’elle détruit est le territoire ancestral des Indiens avoreo-totobiegosode. Reste que l’amende paraît bien faible : environ 12 000 euros.

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BRETAGNE30 à 40%

AQUITAINE20 à 30%

MIDI-PYRÉNÉES20 à 30%

CENTRE30 à 40%

AUVERGNE30 à 40%

LANGUEDOC-ROUSSILLON20 à 30%

RHÔNE-ALPES20 à 30%

PACA20 à 30%

CORSE20 à 30%

BOURGOGNE40 à 50%

CHAMPAGNE-ARDENNES30 à 40%

FRANCHE-COMTÉ40 à 50%

ALSACE> 50%

NORD / PICARDIE20 à 30%

InfographIeOlivier Duron, engagé sur les questions écologiques, est infographiste et directeur artistique de la revue. Il collabore à Bayard de longue date.

C’est un signal d’alarme. Depuis quelques décennies, déjà, on com-mençait à observer leur déclin. Puis, à partir de 2006, la situation s’est brusquement dégradée : par millions, par milliards, et sur tous les continents, les abeilles ont commencé à disparaître massivement.

Parfois sans laisser de traces, ou presque. En 2007, les États-Unis signalent plus de 30% pertes et jusqu’à 90% dans certains États. De nombreux pays d’Europe affichent des taux de mortalité record qui at-teignent 80% dans certains ruchers. Un phénomène que l’on retrouve également en Chine ou en Amérique du Sud et que les scientifiques nomment désormais syndrome d’effondrement des colonies.

Les causes du désastre sont multiples et surtout complexes. Parasi-tes, virus, prédateurs sont régulièrement cités. Mais les scientifiques, apiculteurs et associations soulignent les impacts de l’agriculture intensive : régression des espaces naturels, développement de la monoculture... et bien sûr utilisation généralisée des pesticides. Ces derniers sont au coeur du débat en France qui, avec 80 000 tonnes déversées chaque année, se place au troisième rang mondial.

La plupart des recherches ont porté sur des causes séparées et la question des synergies reste cruciale. Un exemple : on ne sait pratiquement rien des interactions entre différents pesticides. Or une étude américaine a récemment dénombré jusqu’à 31 résidus de pesticides dans des échantillons de pollens ! Avec des effets combinés démultipliés. Mauvaise cerise sur le gâteau, le dérèglement climatique viendrait accentuer l’état d’affaiblissement généralisé des abeilles.

La situation est plus que préoccupante. L’abeille est le principal pol-linisateur de la planète et des cultures aussi diverses que la pomme, le coton ou l’arachide en sont totalement dépendantes. Selon Bernard Vaissière de l’Inra, 80% des espèces cultivées en Europe sont essentiel-lement pollinisées par les abeilles. Et que dire des conséquences sur les fragiles équilibres des écosystèmes ? Les abeilles sauvages, très peu étudiées, sont elle aussi frappées par ce fléau. Elle assurent pourtant le maintien de la biodiversité et la survie d’un nombre incalculable d’animaux dont l’alimentation est liée à la pollinisation.

Les abeilles sont sur terre depuis 30 millions d’années. Bien avant l’apparition de l’homme. Elles ont surmonté tous les bouleverse-ments qui ont marqué l’évolution de la planète. Pour combien de temps encore ? 1 OlIvIer DurOn

Voir : Le mystère de la disparition des abeilles – DVD – Arte éditions.Agir : L’abeille, sentinelle de l’environnement – www.abeillesentinelle.net

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Quand les abeillesdisparaissent

L’étude menée par le Centre national du développement agricole (CNDA) auprès de 500 apiculteurs professionnels donne une idée de l’hécatombe. En France, on estime que pratiquement 30% des colonies d’abeilles n’ont pas passé l’hiver en 2007. Certaines régions affichent des pertes impressionnantes, comme la Bourgogne (50 %) ou l’Alsace (62%). Et ce ne sont que des valeurs moyennes. De fait, on observe une baisse de la production de miel qui est passée d’environ 32 000 tonnes en 1995 à 20 000 tonnes en 2009. Des centaines de milliers de ruches disparaissent, et avec elles des milliers d’apiculteurs dont une majorité de petits producteurs.

estimation du taux de perte moyen de colonies d’abeilles durant l’hiver 2007-2008Source : CNDA

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Des pertes alarmantes en France

en une journée, une colonie de 40 000 abeilles, dont 30 000 butineuses, visite 21 millions de fleurs, soit 700 fleurs par abeille.

80% des plantes à fleurs sont pollinisées par les abeilles.

Il existe 1000 espèces d’abeilles sauvages en france qui interviennent toutes dans la pollinisation et interagissent entre elles.

35% de la quantité de notre alimentation et 65% de sa diversité dépendent de cette pollinisation.

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DOSSIERLes océans dans latempête

Il serait temps de payer notre dette aux océans de la planète. En échange de leurs innombrables bienfaits, nous ne cessons de les salir, de les surexploiter, de les détruire. Cela ne peut ni ne pourra durer. Fabrice Nicolino rappelle (page 23) comment on est passé de l’illusion de l’abondance à la prise de conscience des limites de la mer, imposée par une pêche industrielle démesurée.

Encore ne faut-il pas ignorer les fleuves, dont les rejets telluriques représentent plus des trois quarts des pollutions marines. Jean-Claude Pierre nous invite, avec son art habituel (page 29), à saisir les liens qui unissent la terre et la mer, via le fabuleux saumon. Quant à Alain Le Sann, il explique (page 36) que la pêche artisanale représente, à beaucoup d’égards, un authentique modèle social et écologique, notamment dans les pays du Sud. La pêche industrielle n’est donc pas une fatalité !

Dominique Lang revient pour sa part sur l’Évangile de Jean, dont un passage évoque tout à la fois Jésus et la pêche. En théologien, il nous entraîne (page 34) dans une méditation sur l’abondance de la vie, contrebalancée par l’ombre de la mort.

L’abondance et même la luxuriance sont également au programme du vaste Census of Marine Life, ce recensement mondial des formes de vie marine, qui s’achèvera en octobre, après dix années d’efforts (page 40). On demeure stupéfait par la diversité et la richesse des fonds marins, malgré tous nos excès. Enfin, le portrait de cette livrai-son des Cahiers est consacré au scientifique Daniel Pauly (page 42). Comme on dit parfois, voilà un sacré gaillard ! Sa vie est un roman, mais son point de vue sur l’état des mers fait autorité dans le monde entier. Bonne lecture.

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Nous sommes au Japon, sur un port de débarquement du thon. Ne croirait-on pas une haie d’honneur ? Le début d’un défilé militaire, comme une sorte de cortège du triomphe de la Rome antique, où défilaient les vaincus ? Le Japon est fou de thon rouge, qui vaut une fortune. Sur le marché tokyoïte de Tsukiji, un thon de 128 kilos a été vendu l’an passé 75 000 euros. Et le record est de 160 000 ! 80% des thons dégustés au Japon viennent de Méditerranée, où ce poisson est au bord de l’extinction.

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Alexandre Dumas était-il fou ? Le génial inventeur du comte de Monte-Cristo et du mousquetaire d’Artagnan écrivait-il n’impor-te quoi ? Dans son plantureux Grand Dictionnaire de Cuisine, paru en 1871, on lit exactement ceci : « Dans un cabillaud de la plus

grosse taille (…), on a trouvé huit millions et demi et jusqu’à neuf millions d’œufs. On a calculé que si aucun accident n’arrêtait l’éclosion de ces œufs et si chaque cabillaud venait à sa grosseur, il ne faudrait que trois ans pour que la mer fût comblée et que l’on pût traverser à pied sec l’Atlantique sur le dos des cabillauds ».

Le cabillaud, c’est bien entendu la morue, et dans son bel ouvrage, notre romancier ne fait que répéter ce que tout le XIXe siècle ne cesse de proclamer. La mer est sans limites, et les poissons si nombreux que jamais ils ne pourront disparaître. L’historien Jules Michelet, contemporain de Dumas, écrit à sa manière la même chose dans son livre appelé simplement La Mer : « Dans la nuit de la Saint-Jean, cinq minutes après minuit, la

grande pêche du hareng s’ouvre dans les mers du Nord (…) Ils montent, ils montent tous d’ensemble, pas un ne reste en arrière. La sociabilité est la loi de cette race; on ne les voit jamais qu’ensemble. Ensemble ils vivent en-sevelis aux ténébreuses profondeurs (…) Serrés, pressés, ils ne sont jamais assez près l’un de l’autre (…) Millions de millions, milliards de milliards, qui osera hasarder de deviner le nombre de ces légions ? ».

Pendant des siècles, pendant des millénaires,

fabrice Nicolino est journaliste et conseiller éditorial du groupe Bayard Presse. il suit de près, depuis une vingtaine d’années, l’évolution de la crise écologique. auteur de

plusieurs livres, dont Pesticides, révélations sur un scandale français ( avec françois Veillerette, chez fayard ), et Bidoche (LLL). il écrit également des ouvrages pour les enfants.

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L’industrie de la pêcheépuise les océansTout a basculé en quelques décennies. L’apparition du moteur et des filets en nylon a permis à la pêche de devenir une industrie. D’abord florissante, elle n’a cessé d’augmenter ses moyens techniques et matériels, en épuisant les océans. SOS ! Il est temps de rappeler que ce message d’urgence signifie Save Our Souls. Sauvez nos âmes.

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pendant des centaines de siècles et des centaines de millénaires, le poisson était bien le roi des océans. Tous les récits de voyage attestent par exemple sa stupéfiante abondance dans l’Atlantique nord-ouest. La seule pêche à la morue aura permis de nourrir les marins, de faciliter la colonisation de l’Amérique du Nord grâce au cabillaud salé et créé d’immenses fortu-nes commerciales, souvent au cœur du développement industriel de l’Europe. Même s’il est difficile d’y voir clair, il semble qu’une innovation française ait joué un rôle important dans l’emballement généralisé. En 1815, le gouvernement décide en effet de subventionner les « longues lignes », c’est-à-dire des kilomètres de fils à pêche munis d’innombrables hameçons.

Les chalutiers font cap sur l’islandeJusqu’ici, les pêcheurs n’avaient jamais

utilisé que l’antique méthode de la pêche à la ligne. Le recours aux palangres était donc bien une révolution, susceptible de multiplier les prises et de garantir des gains de plus en plus élevés. Le début de tout ? Faut-il au contraire incri-miner l’invention du chronomètre, dès le XVIIIe siècle, rendant possible la détermination de la longitude ? Ou encore l’apparition du schooner, cette goélette si efficace sur les bancs de morue de Terre-Neuve ?

Deux points apparaissent, rétrospectivement, comme de rupture. À l’extrême fin du XIXe siècle – 1892 –, un chantier écossais met au point un chalut moderne, dit chalut poche. Le bas du filet est équipé d’une chaîne, installée sur des roues. Le chalut s’ouvre sur deux portes, et la chaîne roulante lui permet de passer des obstacles auparavant infranchissables. Dans la foulée, la flottille européenne commence à installer à bord les premiers moteurs. Cette fois, l’aventure industrielle peut commencer.

Dès 1902, les Anglais s’avisent que la (petite) mer du Nord présente des signes de fatigue, et déplacent leurs chalutiers en acier du côté de l’Islande. Après la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle les hom-mes ont eu, hélas, d’autres préoccupations, les stocks de morue se sont reconstitués. C’est pourtant le début de la fin. Autour de l’Islande, dans ces eaux si poissonneu-ses, les flottes se font concurrence, avant de passer aux menaces. Nouvellement indépendante, l’Islande étend

la zone de protection de ses côtes, seule capable à ses yeux de préserver ses pêches, notamment de morue. Trois « guerres » – la dernière en 1975 – s’ensuivent, à mesure que grandit la zone que l’Islande se réserve, jusqu’à atteindre les fameux 200 milles marins de la Zone économique exclusive (ZEE).

Autour des Grands bancs qui bordent au sud l’île de Terre-Neuve, les mêmes causes finirent par produire les mêmes effets. D’abord amérindienne, puis britan-nique avant de devenir canadienne, Terre-Neuve aura été pendant 500 ans le paradis mondial de la pêche

à la morue. En 1977, quand l’île voulut appliquer la réserve de 200 milles autour de ses côtes, les pêcheurs européens, Espagnols et Portugais en tête, hurlèrent au scandale, mais sans obtenir satisfaction. Chassés de la ZEE canadienne, ils durent comme tous les autres, Français compris, se tourner vers de nouvelles zones.

Le moratoire de 1992 sur la morueCe qui aurait pu devenir un acte majeur de protection

de la ressource se transforma peu à peu en simple me-sure protectionniste. Les pêcheurs canadiens se ruèrent sur la zone de protection et en profitèrent tant qu’ils purent. En 1981, gorgés de subventions, suréquipés de filets et de bateaux performants, les pêcheurs canadiens sur les bancs de Terre-Neuve avaient augmenté leur nombre de 41 % par rapport à 1977. Mais dès la fin des années 80, les signes d’épuisement du stock de morues devinrent évidents, malgré le déni de réalité d’une population sourde à tous les avertissements. Bravant les pêcheurs et leurs nombreux soutiens, s’appuyant sur des rapports scientifiques et des statistiques impla-cables, le ministre canadien des Pêches, John Crosbie, annonça le 2 juillet 1992 un moratoire sur la pêche commerciale à la morue. Environ 30 000 pêcheurs et travailleurs à terre se retrouvèrent sans travail.

DoSSieR / DécRyPtage

En 1815, le gouvernement décide en effet de subventionner les « longues lignes », c’est-à-dire des kilomètres de fils à pêche munis d’innombrables hameçons. L’innovation est française.

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Profondeur moyenne (en mètres)Source : Millennium Ecosystem Assessment

Des capturesde plus en plus profondes

Des moyens techniquesde plus en plus perfectionnés

LES OCÉANS SOUS PRESSION

Evolution des prises (en millions de tonnes)Source : FAO. 2009. FishSTAT Fishery Statistical Collections Global

Signe de l'épuisement : une baisse des rendements de pêche

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Un vrai drame commence. Car la pensée méca-niste, qui prévaut dans la plupart des esprits, postule que la morue, une fois la pêche stoppée, reviendra à coup certain. Tel n’est pas le cas. Les années passent, et le poisson ne réapparaît pas. Cinq ans, dix, quinze, bientôt vingt ans de moratoire n’auront pas suffi : la morue a déserté Terre-Neuve et les Grands Bancs. Bien que très complexe, la question met fatalement en jeu l’ensemble des écosystèmes sous-marins de la région. La surpêche a bouleversé l’ensemble des chaînes alimentaires, libérant des niches écologiques aussitôt occupées par d’autres espèces que la morue. Laquelle, littéralement, ne trouve plus de place. D’autres causes encore discutées ajoutent au casse-tête.

Quoi qu’il en soit, l’exemple de la morue est bien l’archétype de nos relations avec les poissons et les océans qui les abritent. Depuis le début, il s’est agi de prendre, sans souci du lendemain. On pense que vers 1900, les hommes pêchaient environ 3 millions de tonnes de poissons et fruits de mer par an. La naissance du chalutage, déjà mentionné, donna un coup de fouet phénoménal aux prises, surtout avec l’apparition des immenses filets de nylon, après la Seconde Guerre mondiale. Mais le coup de grâce est venu avec l’électronique, d’abord sous la forme de radars et de sonars, à partir de 1975, puis de GPS et de télédétection des bancs de poissons par satellites et logiciels spécifiques.

20 % des protéines animalesLe résultat est sans appel : de 1950 à 2000, la popula-

tion humaine est passée de 2,5 milliards à 6, soit plus qu’un doublement. Mais dans le même temps, les prises de poisson ont explosé, de 20 millions de tonnes chaque année à 85 millions. Davantage que quatre fois plus ! Or, si l’on s’en tient aux captures marines au sens strict, hors aquaculture, le tonnage de pêche n’augmente plus depuis l’an 2000, malgré la sophistication technique et la taille de bateaux dont certains dépassent 150 mètres de longueur. Le signal du début de la fin ?

Inutile en tout cas d’insister sur la menace qui pèse sur l’alimentation humaine. Le poisson fournit autour de 20 % des protéines animales nécessaires à 2,6 mil-liards d’hommes. Si l’on vient à buter sur une limite infranchissable, par quoi pourra-t-on remplacer cette manne ? La question n’est nullement théorique, car la

dauphins, d’oiseaux marins, de tortues et bien sûr de poissons qui ne les intéressent pas, et qui sont ensuite rejetés, morts, à la mer.

Cette pratique ne leur est d’ailleurs pas propre. Sur tous les océans de la planète, les filets dérivants, dont les plus longs atteignent 100 kilomètres, arrêtent tout ce qui passe, tout ce qui bouge, tout ce qui flotte. Il faut ajouter qu’environ le tiers des prises mondiales, soit des dizaines de millions de tonnes chaque année, finissent en… farine destinée à d’autres poissons d’élevage ou à notre bétail. Bien entendu, sur fond de mondialisation,

tous les pêcheurs du monde, et toutes les pêcheries, ne portent pas la même responsabilité dans ce désastre. 1% des bateaux de pêche mondiaux – 35 000 navires en-viron – sont de taille industrielle et s’emparent bon an mal an de près de 60% des prises. À l’autre bout, dans l’autre monde, dans ce Sud qui nous indiffère tant, près de 3,5 millions d’embarcations, dont certaines ne sont que des pirogues, assurent la subsistance de commu-nautés locales pour lesquelles la pêche est une question vitale (voir l’article d’Alain Le Sann, page 36).

Sans oublier le dérèglement climatique D’un côté des moyens démesurés, de l’autre des be-

soins croissants, dans des pays où la population côtière ne cesse d’augmenter à un rythme souvent très élevé. Que restera-t-il demain, pour l’homme et la nature ? En 1997, l’océanographe Charles Moore découvrait entre la Californie et Hawaï The Great Pacific Garbage Patch, ou Grande nappe de déchets du Pacifique. Un immense continent formé de peut-être 100 millions de tonnes de déchets flottants, dont la taille pourrait atteindre aujourd’hui dix ou même quinze fois la taille de la France ! La même sinistre découverte a été faite côté At-lantique en mars 2010, à moins de 1 000 kilomètres des eaux américaines. Cette décharge liquide contiendrait

FAO – l’agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture – ne cesse d’alerter depuis des années sur ce redoutable danger. Selon elle, environ la moitié des zones de pêche sont exploitées au maximum de leur capacité. 20 % seraient « modérément » exploités, mais 25 % surexploités à des degrés divers, allant jusqu’à l’épuisement total de la ressource. Au total, seuls 3 % des zones de pêche resteraient sous-exploitées, ce qui donne une idée de la situation générale.

thriller dans l’océan australLes scientifiques multiplient de leur côté des mises

en garde solennelles, souvent appuyées sur d’impla-cables études. Il faut, parmi elles, citer le travail de Ransom Myers et Boris Worm, publié par Nature le 15 mai 2003 (1). C’est un coup de tonnerre ! Après avoir analysé une masse colossale de données, dont des livres de bord de chalutiers, ils concluent que « la biomasse de gros poissons prédateurs est aujourd’hui d’environ 10 % du niveau préindustriel ». La pêche aurait donc réduit les stocks de morues, thons, espadons, requins, églefins, raies, colins, flétans, de 90 %. Un pur carnage, un authentique désastre planétaire.

En novembre 2006, Boris Worm, seul cette fois, publie une étude dans la revue Science (2). Bien qu’il soit, selon lui, encore temps de réagir, son travail reste alarmant. Si les tendances actuelles se poursuivent, no-te-t-il, la pêche commerciale sera totalement effondrée en… 2048. Il ne s’agit pas de prophéties de Nostrada-mus, mais d’un rigoureux travail scientifique.

En attendant, les mers sont devenues le décor d’un mauvais film noir, d’un thriller qui n’en finit plus. Dans l’océan Austral, par exemple, les marines sud-africaine, australienne, française, parfois argentine mènent des traques de plusieurs milliers de kilomètres avant d’arraisonner et de saisir en pleine mer des cha-lutiers pirates. Beaucoup sont spécialisés dans la pêche illégale à des poissons comme la légine australe, sorte de grosse morue. Grâce à Internet, ces pirates peuvent s’acheter en un clic un pavillon de complaisance, rassembler des équipes n’ayant pas froid aux yeux – certains « pêcheurs » opèrent masqués ! –, et partir à l’assaut des espèces les plus menacées, souvent les plus chères. Avec des filets dont l’ouverture peut atteindre deux kilomètres de circonférence, ils prennent sans faire le détail des quantités effarantes de requins, de

200 000 fragments de plastique par kilomètre carré.Dernière menace globale : le dérèglement climati-

que entraîne un réchauffement des eaux de surface océaniques, lequel a tendance à bloquer la remontée de nutriments essentiels à l’alimentation du plancton végétal. Or ce dernier est à la base des chaînes alimen-taires les plus complexes. S’attaquer à sa profusion ne peut que saper tout l’édifice. Et ce n’est pas une vue de l’esprit : des travaux menés par la NOOA (National Oceanic and Atmospheric Administration) agence fédérale américaine, révèlent l’apparition accélérée

de vrais « déserts » biologiques au cœur des mers, sur des millions de km2.

Encore n’a-t-on rien dit de la disparition programmée du thon rouge en Méditerra-née. Ce poisson, qui a pourtant accompagné les civilisations humaines depuis au moins 9 000 ans selon les fouilles archéologiques les plus incontestables, est sacrifié pour le seul bénéfice d’une poignée de pêcheurs. Peut-on imaginer pire situation ?

L’urgence sonne à nos portes, à la porte de chacun d’entre nous. Pour l’heure, des dizaines de gouverne-ments, du nord au sud, accordent chaque année 27 mil-liards d’euros de subventions à une pêche industrielle condamnée par l’état des mers(3). L’Europe elle-même continue à favoriser la surpêche par des aides qui conti-nuent à favoriser le suréquipement technique et donc la pression sur les poissons (4) et les écosystèmes.

Où est l’espoir ? Dans la parole et dans l’action. Seule une mobilisation rapide des opinions publiques peut enrayer cette épouvantable mécanique et contraindre les États à cesser de financer le grand massacre. À nous tous de jouer. 1 faBRice NicoLiNo

(1) Rapid worldwide depletion of predatory fish communities, nature 423(2) Impacts of Biodiversity Loss on Ocean Ecosystem Services, Science, Vol. 314. no. 5800, pp. 787 – 790(3) Selon les calculs du spécialiste mondial des pêches daniel Pauly(4) Rapport de mars 2010 réalisé par Poseidon Aquatic Resource Management, portant sur dix États de l’Union européenne, dont la France, sur la période 2000-2006.

DoSSieR / DécRyPtage

La même découverte a été faite côté Atlantique en mars 2010, à moins de 1 000 kilomètres des eaux américaines. Cette décharge liquide contiendrait 200 000 fragments de plastique par km2.

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Symbole de la connaissance poétique chez les Gaëls – un peuple celte –, le saumon est aussi…le symbole de la fidélité au pays natal ! En effet, sans jamais se tromper, après avoir parcouru des milliers de kilomètres dans l’immensité des océans, salmo salar, mû par ce que nos voisins bri-

tanniques désignent sous le vocable de homing instinct, revient toujours, et sans jamais se tromper, assurer la pérennité de l’espèce, au plus près des sources du fleuve dans lequel il a effectué les deux ou trois pre-mières années de son existence.

À la différence de l’anguille qui est un poisson d’eau douce assurant sa reproduction en mer, le saumon est un poisson de mer qui se reproduit en rivière. Ce pois-son mythique – il a toujours fasciné les hommes – est un fabuleux migrateur qui symbolise bien l’étroitesse des liens qui fonde la relation terre-mer. Car, si c’est bien des océans que la vie est issue, il convient aussi de mieux prendre en compte le fait que, pour une part – essentielle peut-être -cette vie marine est étroi-tement tributaire de celle qui s’élabore sur la frange côtière. L’interface, la « lisière » pourrait-on dire,

DOSSIER / pROlOngEmEntS

Le grand oublié de la mer, c’est la terre, d’où viennent pourtant 80 % des pollutions marines. Quel meilleur messager d’espoir que le saumon, qui va sans trêve de l’une à l’autre ? Jean-Claude Pierre nous invite au voyage, à dos de poisson. Embarquement immédiat !

De la terre à la meren passant par le saumon

pêcher ainsi, à l’ancienne ou presque, défiant la vague, le roc, le haut-fond qui soudain apparaîtra dans l’écume. Ce pêcheur-là est ce qu’on appelle un ligneur. Il s’agit d’attraper des bars du côté du raz de Sein, à la pointe de la Bretagne, dans des courants dangereux où la moindre erreur peut conduire au drame. On appâte au maquereau vivant, l’œil vissé au mouvement perpétuel des lames d’eau. Quand la pression sur le fil est enfin là, l’homme ganté remonte le poisson. À la main.

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UnE InfO

Jean-Claude pierre, marqué par la tradition catholique familiale, a fait une part de sa carrière professionnelle dans l’univers coopératif.

Créateur d’Eau et Rivières, l’une des grandes associations de protection de la nature, il s’est imposé, au fil des décennies, comme un orateur unique. au cours de plus de 2500 conférences, il a constamment plaidé, devant les publics les plus divers, pour un « développement durable et solidaire ». apôtre de l’engagement concret, défenseur des solutions réalistes, il est notamment membre du Conseil économique et social de Bretagne.

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adeptes du remembrement, ingénieurs en tête, qui bouleversait alors le Massif Armoricain(2).

Alerté par ses services, le maire de Lorient en appelle au Préfet du Morbihan. Ce dernier organise alors une réunion à laquelle sont conviés tous les maires du « bassin versant », les organismes consulaires et… le responsable de l’association « Eau et Rivières de Breta-gne » que j’étais alors. Pour nous, c’était une première ! Nous commencions d’être connus et reconnus du fait des nombreuses actions engagées pour la réhabilita-tion des cours d’eau. Des chantiers « rivière propre »

avaient réuni plusieurs centaines de bénévoles et, bien médiatisés, ils avaient contribué à susciter la sympa-thie des consommateurs. Nos actions juridiques pour contraindre les pollueurs à respecter la loi nous va-laient aussi l’estime de nombreux élus qui appréciaient notre travail. Les associations contribuaient en effet à contrebalancer ce fameux lobby agro-industriel qui, de plus en plus, dictait sa loi sur les campagnes…

Au cours de cette réunion le directeur départemental de l’Agriculture (DDA), à qui le Préfet avait confié le rôle central, effectua un long exposé illustré de cour-bes et de graphiques et au terme duquel il concluait que seule la réalisation d’une retenue de l’ordre de 20 millions de m3 mettrait Lorient et les autres localités riveraines du Scorff à l’abri d’une nouvelle sécheresse. Il m’apparut rapidement que toute sa démonstration reposait sur un postulat qu’il utilisait avec adresse : à savoir que le progrès et le développement induisaient une augmentation des consommations d’eau de l’ordre de 8% l’an. Selon lui, les experts étaient formels : cette progression relevait de la loi dite du « doublement dé-cennal » et elle était valable aussi bien pour l’eau que pour l’électricité ! Des barrages sur les rivières et une centrale nucléaire à Plogoff étaient inéluctables.

Au terme de cet exposé le Préfet précisa à l’as-

de la terre et de la mer, est une zone riche et fragile où s’entremêlent les eaux douces et les eaux salées et elle doit être considérée comme la nursery de l’Océan et donc préservée avec soin.

C’est loin d’être le cas. Partout, les espaces littoraux sont dégradés. Ils le sont du fait du « thalassotropisme » qui sévit à l’échelle planétaire provoquant l’urbanisation du littoral, l’endigage, le comblement et la poldérisation des vasières et zones humides et en y concentrant un nombre croissant d’activités qui bouleversent de fragi-les équilibres naturels. Mais la dégradation de la qualité des eaux côtières et, d’une manière plus générale, celle des océans a bien d’autres origines, qui sont à recher-cher sur l’ensemble des espaces terrestres.

le saumon est un symboleDu cœur des villes au plus profond des campagnes

à des centaines, voire à des milliers de kilomètres des littoraux, d’une façon ou d’une autre, toutes nos maniè-res d’aménager, de produire, de consommer agissent sur le régime des eaux, leur qualité et donc sur la vie des océans. « Des sources à la mer », l’extraordinaire chevelu des rus, ruisselets, ruisseaux et rivières qui drainent l’ensemble des bassins versants de nos fleuves doit être pris en considération si l’on tient vraiment à comprendre ce qui affecte la vie marine.

Le cycle de l’eau contribue à donner à cet élément son caractère d’unicité et la métaphore du papillon doit ici, plus qu’ailleurs peut être, être prise au sé-rieux. Une pollution dans la rivière et c’en est fait de l’anguille qui n’en dévalera pas le cours pour gagner la Mer des Sargasses. C’en sera fait aussi des jeunes et fragiles alevins de saumons qui s’y trouvaient. Ils ne connaîtront jamais la richesse des profondeurs mari-nes où ils se seraient gavés de crevettes abyssales… À une autre échelle, comment ne pas comprendre que la multiplication des barrages sur le Gange et le Brahma-poutre affectera en profondeur la richesse halieutique du Golfe du Bengale ?

Tout se tient et c’est pour l’avoir bien pressenti que, dès le début des années 70, l’association « Eau et Rivières de Bretagne » – qui avait fait du saumon le symbole de son action en faveur de l’intégrité des riviè-res – conviait les mytiliculteurs et les ostréiculteurs à se joindre à elle en leur rappelant une évidence : « nos saumons et nos truites protègent vos huîtres ».

Quarante années se sont écoulées depuis la création de cette association et ce sont maintenant les « marées vertes » qui interpellent les Bretons. Elles viennent – fort opportunément peut-être – leur rappeler que l’on ne triche pas avec l’eau. Des sources à la mer, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre cet élément nous renvoie à toutes nos turpitudes…

On ne saurait longtemps tricher ou biaiser avec l’eau : elle est bien, ainsi que l’a si justement dit Jacques Lacarrière, « ce miroir premier qui reflète aussi nos actes ». Comme « le battement d’ailes du papillon… », le ballet des libellules au-dessus de la rivière, le saut majestueux du saumon remontant le cours du fleuve, porteront témoignage de l’état de la planète et donc… des qualités hu-maines que nous aurons déployées pour en préserver l’équilibre, la richesse et la beauté. Celles-là mêmes qu’il va nous falloir mettre en œuvre pour nous sauver nous-mêmes.

Une histoire peu connue, mais extraordi-naire, permet de comprendre ce que les hom-mes sont capables de faire. Et parfois pour le meilleur. Pendant l’été de 1976, une sécheresse exceptionnelle touche notre pays. Même la Bretagne n’y échappe pas et, compte tenu du fait que ce sont les eaux dites « de surface » qui assurent son alimentation, l’approvision-nement des collectivités devient problématique.

la réunion du maireÀ Lorient, le Scorff, ce petit fleuve côtier qui est en

quelque sorte la fontaine de la ville voit son débit réduit à sa plus simple expression. Il l’est en raison bien sûr des conditions climatiques, mais il l’est aussi et surtout du fait des multiples prélèvements générés illégalement tout le long de son cours et de celui de ses affluents. Au fur et à mesure de l’aggravation de la sécheresse, des dispositifs de pompage ou de détournement de l’eau ont été mis en place. Ici ou là pour irriguer une terre de culture, un peu plus loin pour arroser des espaces verts, ailleurs encore pour alimenter une pisciculture ou l’un de ces innombrables plans d’eau publics ou privés aménagés sans la moindre considération pour les équilibres naturels. Des équilibres déjà mis à mal par l’arasement des talus, le drainage des zones hu-mides et la « rectification » des rus et ruisseaux, dont les méandres contrariaient l’esprit de géométrie des

DOSSIER / pROlOngEmEntS

le saumon est un athlète incomparable, qui se reproduit par miracle dans quelques-uns de nos fleuves pollués, avant d’aller se gorger se crevettes et de krill dans la mer des Sargasses. Combien de barrages, combien d’obstacles est-il capable de franchir ?

Selon lui, les experts étaient formels : cette progression relevait de la loi dite du « doublement décennal » et elle était valable aussi bien pour l’eau que pour l’électricité !

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sistance que ses services avaient même poussé leur mission jusqu’à la recherche des sites les plus favorables à l’installation du barrage et que l’un d’entre eux semblait remplir toutes les conditions, tant sur le plan géologique que sur le plan hydrologique. « Voyez-vous », ajouta-t-il sentencieusement, « gouverner c’est prévoir, et mes services n’ont pas failli à leur mission »… Convié par le maire de Lorient à donner le point de vue des environnementalistes sur le projet de barrage, je me gardais bien de prendre le contre-pied des arguments ainsi développés. Le préfet était énarque et le DDA, un

spécialiste auréolé du titre « d’ingénieur général du génie rural et des eaux et forêts » (IGREF). Je pris le parti d’éviter une contestation frontale, en me limitant à poser un certain nombre de questions relatives au coût du barrage et à ses impacts écologiques.

la perplexité du préfetJe rappelai que le Scorff était une rivière à poissons

migrateurs encore fréquentée par l’anguille, la lam-proie, la truite de mer et le saumon et qu’un barrage ne manquerait pas d’avoir des conséquences sur ces populations ainsi que sur toute la vie de l’estuaire et donc sur des activités économiques comme le tou-risme rural et la pêche côtière… Je m’appliquai aussi à poser le maximum de questions sur le devenir des exploitations agricoles dont tout ou partie des terres seraient ennoyées par la retenue. J’insistai aussi pour demander à la direction de l’agriculture de préciser les contraintes supplémentaires qui affecteraient les pratiques agraires sur l’ensemble du bassin amont de la retenue, c’est-à-dire sur les quelque 15 000 hectares où l’usage des pesticides, des engrais chimiques et l’épandage des déjections animales seraient sans nul doute sévèrement réglementés du fait de leurs impacts sur une eau destinée à la consommation…

Perplexité du Préfet qui ne put que reconnaître le bien-fondé de mon questionnement, précisant que des études complémentaires seraient effectivement nécessaires. Je m’engouffrai dans la brèche ainsi ouverte en proposant à la ville de Lorient de mettre à profit le délai nécessaire à la réalisation de ces études et à leur chiffrage pour s’atteler à un vaste programme d’économie d’eau… Contrairement à ce que j’avais appréhendé, mes propos ne furent pas tournés en dérision, ils furent même l’objet d’une réelle attention et, quelques jours plus tard, le maire de Lorient me

convia à développer mes arguments devant ses collaborateurs les plus concernés.

J’eus alors tout le loisir d’expliquer qu’à mes yeux, un projet de barrage, en accrédi-tant l’idée d’une abondance de la ressource en eau, génèrerait encore davantage de gaspillage, alors que tout militait pour un usage plus économe et plus rationnel de cette ressource. J’ajoutai que le problème était d’abord d’ordre culturel et qu’il convenait

donc d’engager prioritairement ce programme d’éco-nomie d’eau dans tous les bâtiments scolaires.

Une année fut nécessaire pour établir un premier dia-gnostic et définir une méthodologie d’action compor-tant deux volets bien distincts mais complémentaires : un volet technologique et un volet pédagogique. Nous ne les développerons pas ici, mais très vite les résultats

(1) L’anguille, poisson cathadrome, le saumon, poisson anadrome (2) nous serons amenés à revenir sur les problèmes de cette région qui paye cher aujourd’hui la mise en œuvre de métho-des d’agriculture et d’élevage sans égards pour l’eau, les sols et les équilibres naturels. « des sources à la mer », selon une expression qui prend ici tout son sens comme le montrent les phénomènes de marées vertes qui défrayent la chronique, les excès du productivisme y ont provoqué de salutaires réactions : entretien des rivières selon des méthodes « douces », intensifica-tion des actions juridiques contre les pollueurs, remise en cause de multiples barrages, promotion des économies d’eau, mise en œuvre de méthodes d’agriculture durable…et surtout peut être le renforcement et le dynamisme du tissu associatif ainsi qu’en témoigne l’émergence du Réseau cohérence. (3) L’énergie est présente tout le long du cycle de l’eau : pour la pomper, la traiter, l’acheminer, la chauffer, l’épurer…

DOSSIER / pROlOngEmEntS

dépassèrent les espérances et des postes « d’économe de flux » furent créés afin de généraliser le programme à l’ensemble des bâtiments municipaux (3).

plus question du barrageEntre 1978 et 2006, la consommation d’eau de la

ville est passée de près de 350 000 m3 par an à moins de 100 000, alors que durant la période considérée, le patrimoine municipal a augmenté de 50 % ! C’est en fait tout un processus vertueux qui s’est enclenché ; très vite en effet il est apparu que la réduction des consommation d’eau entraînait une réduction conco-mitante des consommations énergétiques. Sans bien entendu construire le barrage prévu sur le Scorff. Per-sonne ne l’avait prévu, mais le mouvement se prouve en marchant et, en l’occurrence la Ville de Lorient a été amenée à s’engager encore plus avant dans la modifica-tion de ses pratiques et consommations d’eau.

Une nouvelle étape dans la politique de l’eau vient d’être engagée, qui consiste à récupérer l’eau de pluie pour de nombreux usages – comme par exemple le lava-ge des bus de la Communauté d’Agglomération. Quant à la politique énergétique, elle évolue aussi, ainsi qu’en témoignent l’installation de panneaux photovoltaïques sur les édifices emblématiques de la Cité de la Voile ou la création d’un réseau de chaleur doté d’une chaudière à bois approvisionnée par la Communauté d’Emmaüs… À l’échelle locale on apporte ainsi la preuve qu’il est

possible de réconcilier l’économique, l’écologique et le social et donc que la mise en œuvre d’un authentique développement soutenable ne relève pas de l’utopie.

Du barrage, il n’est bien entendu plus question et, re-tournement de situation, à une centaine de kilomètres de là, celui de Kernansquillec sur le Leguer vient d’être éradiqué afin de permettre aux saumons de retrouver leurs zones de frayères au cœur de l’Argoat ! Un chan-gement d’époque, qui aura pris une bonne trentaine d’années. 1 JEan-ClaUDE pIERRE

Population vivant à moinsde 100 Km des côtes :

Littoral :

Sélection de villes ayantplus d'un million d'habitants

Population côtièreet dégradation du littoral

Nul

30 à 70%> 70%

Source: Adapted from UNEP 2002b,based on Burke and others 2001, Harrison and Pearce 2001

Peu modifié

< 30%

Très modifiéModifié

J’eus alors tout le loisir d’expliquer qu’à mes yeux, un projet de barrage, en accréditant l’idée d’une abondance de la ressource en eau, génèrerait encore davantage de gaspillage.

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la majeure partie de la pollution provient de la terre et des fleuvesCette carte est éclairante et presque fascinante. On comprend en un clin d'œil deux phénomènes majeurs qui expliquent la dégradation des océans . Un, une fraction croissante de la population mondiale se concentre sur le bord des mers, pour des raisons qui restent en partie mystérieuses. Deux, la zone intertidale, balayée par les marées chaque 24 heures, est la plus polluée. Or, elle concentre une grande partie de la richesse biologique des mers. Protéger les côtes, c'est protéger la vie.

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La Création sauvée des eauxUne mer vide. Une mer pleine. Le texte

de l’Evangile de Jean évoqué ici peut lais-ser une impression étrange. Comme si le merveilleux de la situation nous empêchait d’écouter ce qui est profondément en jeu dans cet épisode qui clôt pratiquement le quatrième Evangile. Une mer vide. Une mer pleine donc. Un peu comme le cœur de Pierre et de ses compagnons, déroutés par tout ce qu’ils ont eu à vivre au contact de cet homme de Galilée qu’ils avaient choisi comme leur maître. Une impression de vide et de plein, comme tout deuil, quelque temps après l’exécution sommaire de ce même Jésus, à Jérusalem. Mort et vie, en-fantement et création. Il est bien question de « rivage », de « nuit », d’impuissance et de non-sens. Reste pourtant le bon sens de l’homme de la terre, qui pousse à se remettre malgré tout au travail, en écho même à cette œuvre incessante de création de Dieu. Il faut, une fois encore, et contre toute espérance, retourner jeter ses filets en haute mer.

La mer, lieu de mort, lieu de vie Il faut dire qu’il s’en est passé des histoires

sur les rives et les eaux de ce lac de Galilée, une mer intérieure du Nord d’Israël. Autant d’épisodes qui manifestent que le travail de « création » du Dieu d’Israël se poursuit, comme à chaque instant. La multiplication des pains, ce fut ici. La marche sur les eaux de la mer, également. Les guérisons multi-ples de foules désemparées, encore là. Et on ne parle même pas des possédés libérés et des tempêtes apaisés par une simple parole,

ou un geste... Un vrai travail de création vous dis-je. Il est d’autant plus impression-nant pour ces petits paysans de Galilée que la mer reste pour eux un espace incertain, évoquant aussi bien l’abondance de la vie que le péril permanent de la mort.

Un filet plein et quelques braises

On retrouve ainsi dans ce bel épisode évoquant la résurrection du Christ, cette conviction récurrente de l’univers biblique : la Création, comme geste libre de Dieu, n’est pas un événement originel, remontant à la nuit des temps, mais bien plus profon-dément, une dynamique de vie qui ne de-mande qu’à se manifester à qui sait prendre le risque de répondre aux appels intérieurs qu’il peut entendre, après une nuit « sans rien prendre ».

Et voilà. 153 poissons plus tard, il faut se rendre à l’évidence : cet homme assis sur le rivage, c’est bien le Maître, celui qui fait signe jusque dans la mort, vers la Vie. Le lit de braise en témoigne. Dessus grille déjà du poisson, venu là on ne sait comment. Tout est donné, tout est à recevoir.

Les eaux originelles L’extrait évangélique peut être mis en

résonance avec ce que raconte, à sa manière le livre de la Genèse, dans le premier récit de la Création. A partir d’un schéma cos-mologique ancien de son temps, l’auteur de cette fresque des origines donne à la masse des eaux une étonnante place. Si le souffle de Dieu « planait à la surface des eaux » (Gn 1, 2), sa parole vient faire émerger, par

l’intermédiaire des eaux de l’enfantement, une orientation fondatrice dans cette créa-tion nouvelle. Le firmament se dessine, en haut comme un ciel. Et en dessous, une terre ferme émerge des eaux qui se retirent avec élégance. « Il existait il y a très longtemps des cieux et une terre tirant origine de l’eau et gardant cohésion par l’eau grâce à la Parole de Dieu », affirme solennel le même Apôtre Pierre quelques siècles plus tard dans une de ces lettres pastorales (2 Pi 3, 5).

Ainsi donc, c’est à cette substance insaisis-sable, l’eau, qu’est confiée aussi la tâche de manifester la cohésion de l’œuvre créatrice de Dieu.1

Dominique Lang, biologiste de formation, est aujourd’hui journa-liste. Et aussi théologien catholique et religieux assomptionniste. Il propose ici une réflexion qui croise perspectives bibliques et réflexions anthropologiques contemporaines.

«Après cela, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord du lac de Tibériade, et voici comment. Il y avait là Simon-Pierre, avec Thomas (dont le nom signifie : Jumeau), Nathanaël, de Cana

en Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres disciples. Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, ils passèrent la nuit sans rien prendre.Au lever du jour, Jésus était là, sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus les appelle : « Les enfants, auriez-vous un peu de poisson ? » Ils lui répondent : « Non. ». Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. ». Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le ramener, tellement il y avait de poisson.(…) Jésus leur dit : « Apportez donc de ce poisson que vous venez de prendre. ». Simon-Pierre monta dans la barque et amena jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré. Jésus dit alors : « Venez déjeuner. ». Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? ». Ils savaient que c’était le Seigneur. Jésus s’approche, prend le pain et le leur donne, ainsi que le poisson.C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.

Extrait de l’Evangile selon Saint Jean, au chapitre 21, versets 1 à 14

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Dans les quatre premiers numéros des Cahiers, les pages spiritualité vous ont proposé des rencontres avec des figures bibliques dont les expériences humaines et spirituelles évoquent nos propres temps de crises. Dans la nouvelle série qui s’ouvre ici, nous vous offrons un regard sur des textes fondamentaux de la Bible juive et chrétienne illustrant l’idée de « Création ».

autant d’épisodes qui manifestent que le travail de « création » du Dieu d’Israël se poursuit, comme à chaque instant. La multiplication des pains, ce fut ici. La marche sur les eaux de la mer, également.

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La pêche artisanale, à l’instar de l’agri-culture paysanne, suscite un intérêt grandissant, au Nord comme au Sud. Le terme de pêche à petite échelle, tra-duction de small scale fisheries, tend à s’imposer aux côtés du traditionnel « pêche artisanale ». Il est difficile de trouver des définitions précises de ces

notions. Pour John Kurien, promoteur de la pêche ar-tisanale, « vouloir trouver une définition unique pour ce secteur serait un exercice futile car chaque pêcherie est un cas unique (1) ». Il propose de retenir quelques traits communs à ces pêcheries : embarcations et investissements modestes, savoir-faire traditionnels transmis de génération en génération, entreprises familiales avec patron embarqué, sorties à la journée, et, pour les pays du Sud, populations généralement démunies. Ces pêches concernent le Nord comme le Sud, la mer comme les eaux intérieures. En France, l’expression prête à confusion avec la petite pêche, bien définie, alors que la pêche artisanale recouvre une réalité plus large et plus complexe.

En 2006, la FAO estimait que 47,5 millions de per-sonnes participaient à temps plein, à temps partiel ou

DOSSIER / SOlutIOnS

Des centaines de millions d’humains ont besoin du poisson pour vivre. Et la pêche artisanale est la seule capable de satisfaire ces immenses besoins sans détruire les écosystèmes marins. Mais le mastodonte industriel ne lui laisse guère de place.

Le seul avenir, la pêche artisanale

de manière intermittente, à la pêche ou l’aquaculture. Il faut ajouter les emplois induits, ce qui porte, selon la FAO, les données à 170 millions de personnes. Cha-cune fait vivre une famille, ce sont donc 500 millions de personnes qui dépendent, totalement ou en partie, de la pêche pour vivre. Les femmes jouent un rôle important, sous-estimé, dans les activités d’amont, la capture (collecte de coquillages, de larves de crevettes, etc), la transformation, la commercialisation et l’équi-libre des structures familiales. Le nombre de pêcheurs à temps partiel s’accroît rapidement, surtout en Asie. Celui des pêcheurs à temps plein diminue dans tous les

Alain le Sann est un professeur d’histoire, venu d’une famille paysanne. nommé à lorient en 1972, il découvre le monde prodigieux des pêcheurs, dans une ville qui en comptait alors 2 000. C’est le début d’une longue

histoire d’amour. Perpétuellement occupé à ravauder les liens entre ceux du nord et ceux du Sud, il a crée le passionnant bulletin Pêche et développement.

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pays développés, mais aussi dans de nombreux pays du Sud, signe d’une crise

Les artisans constituent une majorité des pêcheurs. En Europe, 80% des bateaux ont moins de 12 mètres, plus de 95% en Asie et en Afrique. Il faut de plus tenir compte des nombreux pêcheurs à pied, y compris en Europe… L’Afrique et l’Asie regroupent la plus grande partie des pêcheurs : 37 millions en Asie et 3,6 mil-lions en Afrique. Sur les littoraux d’Asie, la densité des pêcheurs est impressionnante : plus d’un pêcheur au mètre de côte en Inde du Sud. Un seul port en Inde peut compter autant de pêcheurs que la France entière.

le Sud face au déferlement de la pauvretéLa pauvreté touche une grande partie de ces commu-

nautés. Pour la FAO, elle concerne 50% des pêcheurs africains, 25% en Asie. Le littoral constitue un espace de survie pour les victimes de la sécheresse ou la crise rurale. Cette pression s’ajoute souvent à la croissance démographique propre des villages de pêcheurs. De ce fait, les ressources disponibles pour chacun s’amenui-sent alors qu’elles sont déjà faibles, aléatoires et très saisonnières. Les captures par pêcheur ne dépassent guère deux tonnes par an : 2,1 en Afrique et 2,5 en Asie. A cette pression s’ajoutent les captures des flottes indus-trielles nationales ou étrangères qui pêchent souvent près des côtes. Cette aggravation de la pauvreté a été révélée au grand jour par l’exode massif de milliers de Sénégalais, dont de nombreux jeunes pêcheurs.

D’autres menaces s’accumulent et précarisent encore plus les communautés. La pollution touche les côtes des pays développés où se multiplient des déserts marins, en particulier au débouché des fleuves. Des zones d’anoxie (sans oxygène) ou d’hypoxie (déficit d’oxygène) représentent des espaces considérables perdus pour la pêche : 30% de la Baltique est concerné. La pollution accumulée menace la consommation. On vient d’interdire la pêche des sardines en Manche Est. Les planctons toxiques interdisent de plus en plus fréquemment la consommation des coquillages sur les côtes bretonnes. Ces phénomènes touchent aussi les pays du Sud puisque l’utilisation des produits chimiques se généralise.

Les pêcheurs perdent fréquemment l’accès au litto-ral, convoité par l’aquaculture, l’urbanisation, le tou-risme, les constructions portuaires et industrielles. Il

arrive que les pêcheurs n’aient pas de titre de propriété et soient donc expulsés. Les changements climatiques affectent gravement les communautés. Les cyclones se multiplient dans des zones très peuplées, peu tou-chées jusqu’à présent. Les littoraux sont soumis à une forte érosion qui oblige les familles de pêcheurs à se déplacer ou à changer d’activité, comme dans les Sun-

darbans en Inde. Le réchauf-fement modifie la répartition des espèces, affectant parfois gravement les ressources dis-ponibles. Ainsi, au Maroc, les sardines ont migré vers le sud, loin des zones accessibles aux pêcheurs, tandis qu’en Europe les morues remontent vers les eaux plus froides du nord.

la mondialisation à l’œuvreLa pêche est depuis long-

temps l’une des activités les plus mondialisées dans un cadre libéral. Certains considèrent même que le commerce de la morue en Nouvelle-Angleterre fut à l’origine du libre-échange

(2). Aujourd’hui, près de 40% des captures entrent sur le marché mondial. Les pays du Sud fournissent 50% de ces exportations, essentiellement en direction des pays du Nord, et les pêcheurs artisans n’échappent pas à cette mondialisation. Dans les recoins perdus de Guinée-Conakry, sans liaison routière, les pêcheurs livrent leurs plus beaux poissons à des sociétés coréen-nes pour le marché asiatique. Des milliers de femmes et d’enfants dans les zones tropicales collectent des larves pour l’élevage de crevettes qui viennent garnir nos supermarchés. Dans ce marché libéralisé, il y a des gagnants et des perdants. Certains artisans du Sud peuvent améliorer, au moins provisoirement, leur si-tuation, surtout s’ils réussissent à établir un rapport de force avec les exportateurs. Ainsi, à Cayar au Sénégal, les pêcheurs ont pu améliorer leurs revenus.

Cependant, sans maîtrise de l’effort de pêche, la pres-sion sur la ressource mène à un effondrement rapide des captures. L’histoire de la perche du Nil, introduite dans le gigantesque lac Victoria, en Afrique, est

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Sur les littoraux d’Asie, la densité des pêcheurs est impres-sionnante : un seul port en Inde peut compter autant de pêcheurs que la France entière.

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La crise de la pêche est apparue avec évidence dans les années 80, au moment même où les politiques libérales s’imposaient à la planète. Pour la majorité des scientifi-ques, la crise est liée à « la tragédie des communs ». La mer n’appartiendrait à personne, et cette absence d’ap-propriation entraîne une course au poisson, renforcée par le développement technologique. Les critiques les plus libéraux, comme Charles Clover (3), considèrent même que les pêcheurs sont les voleurs d’une res-source commune. Des intérêts puissants s’emparent aujourd’hui de la mer et considèrent l’intérêt économi-que de leur activité bien supérieur à celui de la pêche.

Idéologiquement, le terrain est bien préparé pour exclure le maximum de pêcheurs de leur activité, sans aucune reconnaissance de leurs droits. Un droit de l’environnement marin très contraignant se met en place, du niveau international jusqu’au niveau local. Il s’impose sans discussion aux pêcheurs, ils n’ont pas par-ticipé à son élaboration et ils n’ont aucune reconnais-sance juridique de leurs droits d’usage collectifs sur des territoires et des ressources qu’ils exploitent et souvent gèrent depuis des décennies sinon des siècles.

Il existe pourtant de multiples exemples de gestion commune de ressources, en particulier dans la bande lit-torale, et un homme comme Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, confirme l’intérêt d’une approche communautaire pour la gestion des biens communaux. Ces exemples sont menacés par les nouveaux investis-seurs de la frontière maritime, parce que les pêcheurs n’ont aucune protection juridique de leur activité.

l’écologie et la défense des droits humainsL’enjeu du débat entre privatisation et gestion com-

munautaire, c’est la conception même de l’activité de pêche, de la durabilité et des priorités. Pour les libéraux, il faut réduire le nombre des pêcheurs pour concentrer la rente entre les mains de quelques bénéficiaires. Tout cela est bien théorique quand les résultats dépendent d’une productivité primaire extrêmement fluctuante. Pour les écologistes, la priorité est d’assurer l’intégrité de l’environnement marin par des réserves (jusqu’à 40% pour Greenpeace) en limitant la pêche, et ils consi-dèrent qu’il est préférable de rechercher les bénéfices d’une non exploitation pour le tourisme. L’effet réserve sur les ressources, associé aux profits du tourisme, permettrait d’améliorer les revenus. Dans la réalité,

ces mesures se traduisent souvent par l’exclusion des pêcheurs sans compensation.

L’Institut pour la recherche et le développement (IRD), dans son étude sur les Aires protégées (4) constate que l’intégration entre conservation et développement est faible. La définition des objectifs et des règles de pro-tection est réalisée par des écologistes qui disposent de

l’argent et du pouvoir. L’objectif de conservation ne tient pas compte des demandes locales. Il devrait pourtant exister un préalable à toute politique des pêches : la reconnaissance des droits collectifs des pêcheurs et de la priorité aux fonctions de production alimentaire de la mer. Ces droits impliquent en contrepartie des responsabili-tés de gestion, de préservation de l’environnement et d’équité. Les zones concernées sont la bande littorale mais aussi les 200 milles de la Zone économi-que exclusive (ZEE). Cette re-vendication se retrouve dans la déclaration de Bangkok adoptée

en 2008 par les organisations de pêcheurs artisans. « Les droits des communautés de pêcheurs sont indivisibles et le développement des pêches artisanales et autochtones responsables et durables n’est possible que si leurs droits politiques, civils, sociaux, économiques et culturels sont pris en compte de façon intégrée ».

La déclaration rappelle 36 principes qui constituent les bases d’une pêche artisanale fondée sur les droits et responsabilités des pêcheurs. Gérer des ressources, c’est définir les conditions de leur partage en assurant leur pérennité. 1 AlAIn lE SAnn

éclairante. L’essor des exportations a attiré des milliers de pêcheurs qui ont pu provisoirement trouver une source de revenus intéressante, mais la surexploi-tation les réduit aujourd’hui à la misère. Dans le même temps, l’essor des importations dans les pays du Nord a contribué à peser sur les prix à la baisse. Paradoxa-lement, les pêcheurs européens sont dans la position des paysans africains face aux importations – même si leur situation sociale n’est pas comparable. L’Union Européenne importe 60% de sa consommation de produits de la mer, d’autres pays développés (Islande, Canada, Norvège), mais aussi de plus en plus de pays du Sud – merlu d’Afrique du Sud ou d’Argentine, cre-vettes tropicales, pangasius du Vietnam.

les mirages de l’aquacultureLa pêche seule est incapable de satisfaire l’appétit

insatiable des pays développés, mais aussi des riches des pays émergents. L’aquaculture industrielle a connu depuis les années 90 une croissance spectaculaire. Le saumon a été le premier produit concerné, suivi par la crevette. Chaque année, de nouvelles espèces entrent dans le processus. C’est maintenant le cas de la morue, engraissée dans des cages après sa capture. Pour certains, ce modèle – capture des juvéniles puis engraissement – pourrait devenir la forme dominante d’association pêche/pisciculture. On a vu où cela a mené avec le thon rouge. La pisciculture intensive butte sur des limites environnementales, elle implique une pression accrue sur les ressources sauvages, car elle utilise des farines et huiles de poisson. Pour l’huile, la quasi-totalité est déjà absorbée par l’aquaculture, pour la farine, c’est 60%.

Paradoxalement, ce sont les espèces herbivores ou omnivores (pangasius, tilapia), qui consomment plus de 50% de ces farines, essentiellement en Chine, la farine permettant une croissance plus rapide. L’aqua-culture asiatique, qui avait élaboré un modèle intégré fondé sur la valorisation des déchets agricoles, a donc sacrifié la durabilité de son système. Partout, la pres-sion des industriels de la crevette ou de la pisciculture menace les littoraux, les mangroves, les fonds et les eaux littorales. Par contre, il existe diverses formes d’aquaculture familiale aptes à valoriser la richesse des milieux (conchyliculture, algoculture).

DOSSIER / SOlutIOnS

(1) John Kurien, Pour un développement de la pêche à petite échelle, 25 p, éd cRISLA, Lorient, 2000. (2) Mark Kurlansky. « Cod ». Ed. Vintage. 1999. 294p(3) charles clover : Surpêche, l’océan en voie d’épuisement . Paris, démopolis-WWF, 2008. 360 p.(4) catherine Aubertin, Estienne Rodary, Aires protégées, espaces durables ?, Marseille, IRd éditions, 2008, 260 p.

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Partout, la pression des indus-triels de la crevette ou de la pisciculture intensive menace les littoraux, les mangroves, les fonds et les eaux littorales.

Cette femme est à elle seule l’Afrique, une certaine Afrique qui ne peut combattre les usines flottantes de la pêche industrielle qui passent et repassent au large, ne laissant aux pêcheurs locaux que les miettes du festin. Tout pour eux, si peu pour les autres. La scène se passe sur la plage de N’Dar, à Saint-Louis du Sénégal. Elle est de tous les Suds de la planète.

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DOSSIER / SCIENCES

2000 scientifiques du monde entier achèvent un fantastique recensement des formes de vie sous-marine. D’innombrables surprises sont au rendez-vous. Avez-vous entendu parler de Kiwai hirsuta, le crustacé velu des grands fonds ?

La vérité est simple : nous ne savons rien. D’où ce Recensement de la vie marine (Census of Marine Life, CoML, www.coml.org), lancé en l’an 2000. Il s’agit du plus important programme

scientifique jamais consacré aux océans, qui mobilise la bagatelle de 2000 chercheurs répartis dans 80 pays de la planète. Le résultat de ces étonnantes investigations est prévu pour octobre 2010, autrement dit demain.

Mais en attendant, nous ne savons réellement rien. En février 1977, des géologues américains découvrent grâce au sous-marin Alvin, au large des Galápagos, par 2 500 m de fond, des sources dites hydrothermales. Ces sources se forment au contact de fissures de la croûte océanique, là où bouillonne le magma de volcans sous-marins. L’eau s’infiltre jusqu’à rencontrer le magma, puis remonte, souvent le long de cheminées appelées « fumeurs noirs ».

En bonne logique, la vie devrait être aussi rare que ne l’est la nourriture, essentiellement constituée de parti-cules de matière – par exemple les restes de poissons – qui atteignent le fond. Or elle foisonne, notamment

rencient de toutes les autres familles du même groupe. La dernière découverte d’une famille chez les anomoures remontait au… XIXe siècle.

Dans l’Atlantique, c’est la ride médio-océanique qui semble impressionner le plus les chercheurs. Il s’agit d’une frontière sous-marine de 7000 km de long, qui sépare les plaques tectoniques afro-européenne d’une part, et américaine d’autre part. Enthousiastes, les scientifiques parlent d’un nouveau continent, immergé certes, qui abrite des centaines, peut-être des milliers d’espèces inconnues.

Une dernière mention pour les ophiures, ces animaux voisins des étoiles de mer. Des biologistes néo-zélandais et australiens ont pu filmer une véritable « ville » constituée de dizaines de milliers d’individus accrochés les uns aux autres. Installés sur le pic d’un mont sous-marin, ils forment un édifice plus haut que le plus grand immeuble humain. Et le courant alentour est assez fort pour décourager les prédateurs tout en apportant une abondante nourriture à domicile.

Qui pourrait dire mieux ? Au rythme lent où les spécia-listes décrivent, classent, vérifient les espèces marines nouvelles, il faudra peut-être – l’estimation est sérieuse – cinq siècles pour seulement réaliser l’inventaire des milliers de secrets de la mer. Si nous savons la laisser vivre jusque-là. 1 FabRICE NICOlINO

sous la forme de coquillages de grande dimension. Évidemment, l’énergie du soleil ne peut parvenir aussi bas. Le mystère est donc total. Pourquoi tant de vie concentrée ? Il faudra presque dix ans pour comprendre le mécanisme à l’œuvre. La vie n’y repose pas sur la photosynthèse, mais sur la chimiosynthèse, par une renversante association entre les invertébrés et les bactéries. Disséquant les branchies des coquillages bivalves, les scientifiques y ont trouvé des bactéries très spécifiques. Ne pouvant utiliser l’énergie du soleil, elles ont trouvé le moyen de capter celle du méthane ou de sulfures, avant de produire des molécules organiques assimilables par les coquillages. De la nourriture. Sans soleil. Par 2000 mètres de fond. Une révolution.

Des coraux dans les mers froidesChaque année qui passe apporte son lot de révélations

sur l’extrême diversité des formes de vie sous-marine. Jusqu’à ces dernières années, nul ne savait que les mers froides abritent, elles aussi, leurs récifs de corail. Dans les mers chaudes, les coraux se développent dans des eaux peu profondes, profitant de leur symbiose avec des micro algues capables d’exploiter la photosynthèse. Mais dans les mers froides, entre 200 et 1000 mètres de profondeur ?

Car c’est là, dans des eaux dont la température varie entre 4 et 13 degrés, de l’Atlantique au Pacifique, de

l’Océan Indien à la Méditerranée, qu’on a détecté tout récemment la présence de bancs de corail. Comment se nourrissent-ils ? Peut-être – ce n’est qu’une hypothèse – grâce à des particules en suspension qui leur seraient servies sur un plateau par les courants marins. On comprend mieux ainsi la passion qui anime les chercheurs du grand Census of Marine Life, qui vont de surprise en stupéfaction.

Pour l’heure, environ 230 000 espèces marines sont connues, répertoriées, et conservées dans des collections scientifiques et des musées. Mais il y en aurait en fait au moins trois fois plus. Le Census à lui seul avait déjà découvert à peu près 5 300 nouvelles espèces, et plusieurs milliers devraient s’ajouter à la liste d’ici la fin des travaux.

la « ville » des ophiuresLe résultat est saisissant, d’autant plus que les mers

demeurent hors de portée, pour l’essentiel, des efforts de recherche. 95 % de la masse des océans de la planète demeurent en effet inexplorés !

Parmi les innombrables bizarreries trouvées au fond des océans, citons arbitrairement et pour le seul plaisir cette sorte de crabe poilu vivant au large de l’île de Pâques, par 2 300 mètres de profondeur. Kiwai hirsuta n’est d’ailleurs pas un crabe, mais un crustacé de 15 centimètres de long appartenant au groupe des anomoures, où figurent par exemple les Bernard l’ermite. Kiwai hirsuta est à la fois une espèce nouvelle, mais aussi une famille zoologique à lui tout seul, nommée Kiwaidae. Les études génétiques réalisées sur les individus remontés montrent en effet qu’ils se diffé-

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PHOTOS de GaucHe à drOiTe : BaHamaS deeP-Sea cOral exPediTiOn Science ParTy, nOaa-Oe / Bruce mOravcHik, nOaa / PeTer ParkS, Bermuda: SearcH fOr deeP WaTer caveS 2009 / nOaa

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Daniel Pauly, comme le Rémi de Sans famille, dans le roman d’Hector Malot ? Il y a incon-testablement de cela dans l’histoire de ce scientifique né en 1946. Et de l’Oliver Twist,

cher à Dickens. Mais aussi une certaine fantaisie, à la manière d’Huckleberry Finn, le héros de Mark Twain. La mère de Daniel Pauly, ouvrière française, noue à la fin de la guerre une relation sans lendemain avec un soldat de l’armée américaine. L’un de ces fameux GI qu’on voit dans les albums photo des lendemains de la Libération. Le père de Daniel est un Noir, ce qui fait de son fils un métis. Un métis aux yeux verts.

À l’âge de deux ans, il est envoyé à La Chaux-de-Fond, en Suisse, chez un couple qui s’est lié d’amitié avec sa mère. Simple séjour au départ, le voyage devient peu à peu sans retour. Le couple, qui a perdu un fils, décide de garder Daniel et lui annonce – ce qui est faux – que sa mère a choisi de l’abandonner. On saura beaucoup plus tard que, pour inti-mider la jeune femme restée à Paris, le couple lui a adressé des lettres menaçantes.

La séparation devient peu à peu définitive, et pour Daniel, le traumatisme est immense. Ses « parents » nullement adoptifs finissent par le prendre en grippe et lui font faire tous

souvient Daniel. Il aurait voulu être pilote. Mais un Noir, en Arkansas, ne devenait pas pi-lote. Alors, il construisait des modèles réduits. Puis il a obtenu sa licence. J’ai volé avec lui. Mais il buvait. » L’une de ses tantes – nous sommes en 1969 – lui dit sans détour de ne pas traîner dans les rues, car « la police tire sur les jeunes Noirs qui traînent ».

De retour en Allemagne, il devient manœu-vre dans l’industrie chimique le jour, étudiant d’arrache-pied le soir. Féru d’histoire et de philosophie, il décide de s’orienter vers… l’halieutique. Sorte d’agronomie des mers,

les travaux domestiques possibles. Il apprend en outre, année après année, à devenir un Noir dans une ville blanche. De cette époque douloureuse entre toutes, il dira au New York

Times : « Si vous songez à une famille qui aime son enfant et s’en occupe, oubliez. Je n’ai jamais connu cela ».

Le chaos n’est pas très loin. À 16 ans, profitant d’une mission de l’Église protestante, il part en Alle-magne, pour ne plus jamais revenir. Il s’inscrit à des cours du soir à Wuppertal, pour passer le bac, mais l’armée française, qui tient à jour ses registres, lui rappelle qu’il doit accomplir son service militaire. En réalité, il est considéré comme un in-

soumis, et doit aller en France régler sa situa-tion. À Paris, le jeune homme se fait réformer et retrouve enfin sa mère, qui entre-temps a eu sept enfants. Il y est merveilleusement ac-cueilli, au point que son beau-père finira par l’adopter légalement. Mais le temps a fracassé le rêve, et Daniel repart en Allemagne.

Ce n’est qu’à 23 ans qu’il y obtiendra le bac, avant de partir – enfin – aux Etats-

Unis, où il retrouve dans l’Arkansas un père biologique qui a pris sa retraite de l’armée. « Il avait mal vécu le racisme américain, se

l’halieutique vise à fournir aux hommes les moyens de mieux « exploiter » les richesses marines. On est là en face d’une énigme. Pourquoi un jeune homme de 24 ans, au lourd passé, choisit-il une discipline aussi singulière ? Il dira, sans rien expliquer vrai-ment : « Je ne suis pas comme beaucoup de biologistes qui ont une sensibilité forte à la nature. J’aime analyser les données chiffrées et déceler les grandes tendances ».

En 1974, Daniel Pauly décroche une maî-trise de biologie marine. Il part en stage au Ghana où ce fils de Noir découvre qu’il

Un tel personnage ne peut réellement exister. Et pourtant, Daniel Pauly, fils d’une ouvrière française et d’un soldat noir américain, est devenu le meilleur spécialiste de la pêche au monde. Métis aux yeux verts, marginal pendant toute sa jeunesse, il a finalement frayé une voie unique et singulière. Au service des mers et des hommes.

DOSSIER / PORtRaIt

Daniel Pauly, berger des mers

et des poissons

À l’âge de deux ans, il est envoyé à La Chaux-de-Fond, en Suisse, chez un couple qui s’est lié d’amitié avec sa mère. Simple séjour au départ, le voyage devient peu à peu sans retour. La séparation devient définitive. W

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est « néanmoins un Européen ». L’univer-sité allemande l’envoie ensuite en Tanzanie, où il commence à étudier le swahili, l’une des langues principales de l’Afrique de l’Est. Mais le grand basculement se déroule peu après, en Indonésie, où il commence un tra-vail scientifique sur les poissons tropicaux. Nous sommes en 1975, et Daniel découvre la mer de Java. « Soudainement, confie-t-il, alors que je travaillais sur le chalutage, j’ai compris que nous ne parviendrions jamais à ordonner les centaines d’espèces de poissons multicolores qui se tortillaient sur le pont devant moi. Du moins, pas en utilisant les méthodes européennes appliquées à la morue ou à la plie, qui faisaient jusque-là le cœur de mes études et de mon savoir scientifique ». Pauly découvre la stupéfiante diversité des formes de vie sous-marines.

Mais il n’est pas seulement un cher-cheur parmi d’autres, car il a gardé

de sa jeunesse tumultueuse, de l’Allemagne à l’Amérique des Black Panthers, une vision sociale de l’existence. Il croit, et ne cessera de le répéter, que son travail doit être utile à la société. Dans un entretien à la célèbre revue Nature, en 2003, il précise même : « Je pensais que je devais plutôt “servir le peuple” plutôt que de me laisser aller à mes penchants pour la littérature, l’histoire ou la philosophie ». Installé à Manille (Philippines) en 1979, Pauly se lie d’amitié avec des gens venus de tous les horizons sociaux et cultu-rels. Pendant des années de travail, il tente de définir avec ses interlocuteurs des milieux de la pêche des « règles du jeu équitables ». À ses yeux, il faut aider les chercheurs du Sud à mener leurs recherches, au service de leurs propres besoins sociaux.

C’est à Manille qu’il met au point une méthode simple, efficace, peu coûteuse d’éva-luation des stocks de poissons tropicaux. 25 ans plus tard, en lisant le livre qui résume ce travail (publié en 1985 par la FAO), on

ne peut manquer d’être frappé par le ton « Pauly », fait de clarté, de pédagogie, de formules. Certes, il faut avoir fait un peu de mathématiques pour tout suivre, mais à l’arri-vée, quelle révélation ! Dans son chapitre VII, Pauly aborde une question encore limitée à quelques cercles : la surpêche, qui conduit fatalement à l’épuisement de la ressource. Lisons ensemble : « “Surexploitation” est en

fait le péché capital, la faillite de la gestion des pêcheries. C’est le plus mauvais épithète qu’un biolo-giste des pêches peut jeter à la tête d’une communauté de gens liés à la pêche ». Et il ajoute, abordant l’un des aspects de ce qu’il faut bien appeler un désastre : « La surex-ploitation (…), c’est ce qui se passe quand le stock parental est réduit, à cause de la pêche, à une dimension si faible qu’il ne peut plus produire suffisamment de jeunes poissons

pour assurer son renouvellement. Tout le monde est bien conscient qu’il ne pourra pas y avoir des jeunes poissons si la pêcherie ne laisse aucun parent dans le stock. Ces parents doivent devenir matures, pondre et féconder les oeufs qui vont éclore en larves dont seule une petite fraction survivra ».

Tout est déjà (presque) dit, et fort bien. En 1994, Pauly devient professeur à l’université canadienne de la Colombie-Britannique, et c’est dans ce cadre confortable autant qu’exi-geant qu’il va mettre au point une banque de données unique au monde, The Sea Around Us. Ce projet, qui reprend le titre d’un livre célèbre de Rachel Carson – en français, Cette mer qui nous entoure –, est puissamment aidé par une fondation américaine, The Pew Chari-table Trusts. L’outil créé par Pauly permet de montrer les dégâts infligés aux écosystèmes marins par les pêcheries. Et de proposer des politiques capables de limiter leur impact.

Commencé en 1999, ce travail est visible d’un clic sur Internet, en anglais (www.seaa-

roundus.org). Pour le commun des mortels, cela ne signifie pas grand-chose. Mais pour tous ceux dont la vie dépend peu ou prou de l’état de santé des océans, c’est une révo-lution. Il devient possible et même aisé de visualiser sur des cartes, dont certaines sont sous-marines, la situation des ressources halieutiques. Et, au-delà, l’état de santé des principales zones de pêche planétaires.

Devenu dès 1998 le directeur du Centre d’étude sur les pêches de l’université

de Colombie-Britannique – un poste qu’il conservera jusqu’en 2003 –, Pauly ne cesse de publier. Rappelons qu’une carrière scien-tifique se juge à l’aune des articles parus dans les revues reconnues par des pairs. Dans ce domaine, Daniel Pauly s’impose peu à peu comme un champion du monde. Il cumule en effet, en cette année 2010, environ 500 pu-blications scientifiques, ainsi qu’une tren-taine de livres, et il a reçu de nombreux prix prestigieux, dont le Cosmos en 2005, sorte de prix Nobel de l’écologie. Le gosse métis d’antan, ballotté d’une famille à l’autre, est devenu une légende vivante. « C’est le numéro un dans son domaine. Il a fait comprendre à la communauté scientifique et au monde l’ampleur de la surexploitation des poissons », dit de lui Philippe Cury, directeur du Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale (CRH) de Sète. De son côté, le biologiste marin Ray Hilborn, de l’université de Washington, à Seattle, estime que Pauly est « un gars grand format, immensément charismatique au milieu d’une science qui produit plutôt des types de petit format. Pour le meilleur comme pour le pire, il a probable-ment eu plus d’impact dans notre discipline qu’aucun autre de sa génération ».

On notera l’expression « pour le meilleur comme pour le pire », qui signale une distance par rapport au personnage. Disons-le franche-ment, Pauly ne fait pas l’unanimité. Tantôt on lui reproche des liens trop étroits avec la fon-

dation qui a financé le projet The Sea Around Us. Tantôt on critique son débraillé, ses coups de gueule et au fond, tout ce qui ne fait pas de lui un chercheur académique. Il faut dire que Pauly sait rire jusque dans les cénacles les plus sacrés de la science. Dans un entretien plein de liberté et d’insolence donné à la vénérable revue Nature, il répond du tac au tac à son interlocuteur. Quel étudiant du présent ou du

passé aurait-il aimé être ? « Charles Darwin. En fait, nous venons de finir un livre ensemble – Les poissons de Darwin – dont il a écrit environ le tiers ». La personne avec laquelle il aurait le plus envie de dîner ? « La déesse Circé ». Qui emploierait-il comme étudiant en post-doctorat ? « Sherlock Holmes. Je lui donnerais la responsabilité de pister, quantifier et cartographier les prises illégales de poissons ». La musique qu’il écou-terait en priorité dans sa voiture

ou au labo ? « Aretha Franklin ». La musique qu’il aimerait savoir jouée à son enterrement ? « R.E.S.P.E.C.T, par Aretha Franklin ».

Reste à aborder le message obsédant que Daniel Pauly ne cesse d’adresser à un

monde incrédule. Il tient en peu de mots : les mers se vident pour cause de surpêche. Il a eu très tôt conscience des ravages du produc-tivisme appliqué à la pêche, mais quelques dates méritent d’être rappelées. Dès 1995 dans Nature, Pauly et son collègue Christensen s’attaquent aux chiffres officiels sur les consé-quences de la pêche, bien trop optimistes selon eux. Mais le vrai coup de tonnerre date de novembre 2001. Dans un nouvel article de Nature, rédigé avec Reg Watson, il entend démontrer que, contrairement à ce que pro-clament les statistiques officielles de la FAO, les prises de poissons ont diminué depuis la fin des années 1980. Parce que la Chine, plus gros producteur de poissons mondial si l’on compte l’aquaculture, truque ses chiffres.

DOSSIER / PORtRaIt

Mais il n’est pas seulement un chercheur parmi d’autres, car il a gardé de sa jeunesse tumultueuse, de l’allemagne à l’amérique des Black Panthers. Il croit que son travail doit être utile à la société.

Daniel Pauly s’impose peu à peu comme un champion du monde. Il cumule en effet, en cette année 2010, environ 500 publica-tions scientifiques, ainsi qu’une trentaine de livres, et il a reçu de nombreux prix prestigieux.

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Cet homme définitif a assemblé des nappes, des chiffons, un ou deux draps usagés peut-être, deux tiges de bambou et réinventé la navigation et la pêche. Nous sommes à quelques encablures de la plage birmane de Ngapali. Connue par les touristes du monde entier, Ngapali déroule ses kilomètres de plages et de cocotiers, ses boissons fraîches d’après-baignade, des corps bronzant au soleil, des foules de serviteurs empressés. Et à 200 mètres de là, l’homme définitif.

UnE IMagE

UnE InFO

Elle le fait pour des raisons politiques. La dictature qui règne à Pékin, comme avant elle l’Union soviétique, récompense les res-ponsables qui annoncent de « bons » chiffres, du haut en bas de l’édifice bureaucratique. Ce qui vaut pour l’acier vaut pour le poisson, dont les prises sont, sur le papier, constamment réé-valuées. Mais la réalité, qui s’impose à tous, est différente : pour la première fois depuis des millions d’années, une crise de la vie frappe bel et bien les écosystèmes marins.

Dans un autre travail, qui complète l’article de Nature, Pauly montre que les hommes, sans souci de l’avenir, pêchent des poissons situés de plus en plus bas dans la chaîne alimentaire. Moins de prédateurs carnivores comme le thon, dont la raréfaction devient évidente. Mais plus de maquereaux et de sardines, qui se nourrissent pour l’essentiel de plancton. « Si nous continuons sur cette voie, résumera d’ailleurs Pauly, nous finirons par manger du zooplancton ».

Comment résumer son point de vue sur l’état de la pêche mondiale ? « L’état

du stock de poissons, en Europe comme en France, est très mauvais, déclare-t-il. Mais ailleurs dans le monde, c’est bien pire, car les plupart des pays du Sud ne mettent en place aucune mesure de gestion de la ressource. On assiste à une fuite en avant dans trois directions. D’abord vers les latitudes basses de la planète, où l’effort de pêche est moindre. Ensuite vers les profondeurs, avec des engins de pêche de plus en plus performants. Enfin en direction d’espèces de poissons qui n’étaient pas, auparavant, pêchés. Mais ce mouvement touche de toutes manières à sa fin ».

Mondialisation oblige, pense Pauly, les pays du Sud ne sont pas de taille à lutter dans les négociations internationales. « Que pèse un petit pays d’Afrique de l’Ouest en face de l’Union européenne ? demande-t-il. En théorie, la pêche artisanale représente un modèle de durabilité, et pourrait à la fois fournir des

emplois locaux et de la nourriture, mais elle est bien souvent lancée dans une course à la modernisation qui la fait ressembler à une pêche industrielle de seconde catégorie ».

Reste la question des « aires marines proté-gées ». Actuellement, ces zones ne représen-tent que 0,8 % de la surface totale des océans, et au rythme actuel, elles doubleraient en… 15 années. « C’est beaucoup trop peu, assure Daniel Pauly. Et c’est bien trop lent ! Sans des initiatives majeures, susceptibles de créer de vastes zones de protection où les petits poissons deviendraient grands, avant d’être éventuellement pêchés, qu’adviendra-t-il ? ».

Daniel Pauly, pourtant un homme d’espoir, de conviction, de volonté, ne voit donc pas l’avenir en rose. Mais cela n’interdit pas d’ap-peler à l’action. « Quand on me demande, à la fin d’une conférence, ce que chacun peut faire pour protéger les océans, conclut-il, je réponds qu’on ne gère pas les stocks avec son estomac, mais avec sa tête. Je réponds : “mangez ce que vous voulez, allez dans une ONG faire du raf-fut et utilisez votre bulletin de vote” ». Voilà qui a le grand mérite d’être clair. 1

FaBRICE nICOLInO

Les citations de daniel Pauly sont extraites des journaux suivants : The new York Times, Le Monde, nature, Libération, médiathèque de l’IRd, site en ligne de la FAO.

DOSSIER / PORtRaIt

Facétieux et rebelle, travailleur et inventeur, Daniel Pauly incarne une espèce rare de scientifique. Celle qui pense, envers et contre toutes les modes, que le savoir doit être mis au service des hommes.W

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DOSSIER / facE-à-facE

La création d’Aires Ma-rines Protégées (AMP) fonctionnelles est priori-

taire. Ces AMP doivent jouer le rôle de zone refuge pour les es-pèces marines, afin qu’elles puis-sent s’alimenter, se reproduire, et reconstituer la ressource ha-lieutique dont nous dépendons au quotidien. L’implication des populations dans le fonction-nement de ces AMP est un défi urgent pour la protection de la biodiversité marine !

Il semble que la première des choses à préconiser soit de surveiller de très près les zones qui ont une très forte productivité primaire à la base de la chaîne trophique : les zones humides, les marais

littoraux, les nurseries à poissons, les mangroves, les herbiers sous-marins. Pour le domaine maritime, il serait utile de repérer dans des captures halieutiques mises à terre, les espèces qui voient leur taille moyenne diminuer (signes de surpêche), celles qui ont une tendance à devenir moins fréquentes ou au contraire à proliférer parce que moins sensibles que d’autres. Ainsi, en Méditerranée, le Barracuda devient plus fréquent ; d’autres espèces invasives existent (comme certaines algues) à cause de l’élévation de la température moyenne des eaux. La fréquence d’autres espèces d’eaux plus froides diminue (les sprats par exemple).

Pour tenter d’affiner l’élévation annoncée du niveau de la mer, il serait intéressant de surveiller l’évolution d’espèces d’algues (par exemple) qui balisent le niveau moyen de l’eau sur les digues en enrochement. D’où l’utilité des recherches participatives chercheurs/pêcheurs pour une meilleure connaissance des écosystèmes marins en vue de la pratique d’une pêche responsable.

Toutes les formes de pêche artisanale ne sont pas une solution puisque par exemple,

en Guinée-Bissau, les années 1990 et 2000 ont vu une diminution dramati-que des populations de requins, ciblés pour leurs ailerons, avec le phéno-mène d’implantation de campements de pêcheurs migrants présents dans toute l’Afrique de l’Ouest ! (il existe aujourd’hui plus de 15 000 pirogues artisanales au Sénégal par exemple) Mais il semble évident qu’une pêche responsable, exercée avec de peti-tes unités de pêche, polyvalentes, et s’adaptant localement aux périodes de migration des espèces ciblées, soit une solution pour l’avenir.

La filière pêche est en crise et les captures mondiales plafon-nent autour du rendement maximum soutenable et l’effort de pêche doit être ralenti. L’aquaculture relaie partiellement

la demande. La filière pêche est complexe et nombreux sont les acteurs qui interviennent. Elle est profondément mondialisée ! Tra-ditionnellement, revient à la pêche artisanale (qui donne de l’emploi) l’exploitation des petits fonds situés près de la côte apportant aux populations littorales un certain quota de protéines (souveraineté alimentaire oblige) tandis que la pêche au large, hauturière, est laissée aux bateaux plus puissants nationaux ou non.

Il revient aux bateaux industriels de respecter les quotas imposés par l’Europe et la politique commune des pêches : ainsi, les efforts de limitation des captures commencent à se faire sentir et certains stocks de poissons et crustacés de portent mieux en Mer du Nord (maquereau, églefin, sole, langoustines, lieu noir) ; d’autres stocks inquiètent l’Ifremer en mai 2010 (anchois du Golfe de Gascogne, le merlu et le cabillaud en Mer Celtique). Produire moins mais mieux pourrait être une orientation à afficher.

Le Grenelle de la mer a remis au centre récemment l’idée de la mer en lien avec les po-pulations qui vivent sur ses côtes. En quoi la mer concerne t-elle aussi les «terriens» ?

Les problèmes de pollution (marées noires, industries, etc.) ou de surex-ploitation des ressources que nous

offre la mer (« dans 40 ans, nous n’aurons plus de poissons » selon le rapport sur l’éco-nomie verte du PNUE qui sera rendu public courant 2010) est dû en grande partie à notre comportement de consommer n’importe quoi n’importe quand sans réfléchir sur les consé-quences sur notre environnement. Par exem-ple, la surexploitation des requins conduit à la disparition progressive de certaines espèces comme le Poisson-Scie, cet animal extraor-dinaire pourvu d’un rostre conçu après des millions d’années d’évolution, et qui n’aura pas résisté à notre société de consommation ! Quoi dire ? Tant pis pour lui ou devons-nous changer de comportement ?

Deux constats : D’ici à 2025, on estime que 60 % de la population mondiale vivront en ville et les problèmes de gestion de cet afflux de personnes sont les mêmes

partout : comment maîtriser ce phénomène d’urbanisation en progression ? Parallèlement, déjà en 1993, le géographe Pirazolli estimait déjà que sur un linéaire côtier mondial d’un million de km et sur une bande de 60 km de largeur, vivaient déjà 60 % de la population de la planète soit 4 milliards d’habitants, un chiffre qui pourrait passer en 2025 à 7 milliards de person-nes. Or, le «littoral» est par essence, un espace linéaire, étroit, fragile voire fragilisé et un espace convoité pour l’habitat et les activités diverses des hommes. Une gestion intégrée des zones côtières devient de plus en plus nécessaire en associant tous les acteurs opérant à terre comme en mer (et de nombreuses administrations ou services interviennent), les bénéficiaires des actions à mener sans oublier les anciens qui ont la mémoire des lieux et des coups de mer. Revient à l’esprit un vieux dicton breton : « La mer permet tout à condition qu’on la respecte ».

De votre point de vue, quels sont les grands défis urgents pour préserver la biodiversité et l’état des océans ?

Les formes de pêche artisanales sont-elles une solution pour l’avenir ? Comment ins-taurer un équilibre avec des formes de pêches industrielles ?

questions à3 Jérémy Huet...En charge du projet de conservation du poisson-scie et de la biodiversité marine menacée dans le Parc National d’Orango (archipel des Bijagos, Guinée-Bissau). ce programme est mis en œuvre par Noé conservation (association française de protection de la biodiversité) et ses partenaires.

...et Andrée DagorneMaître de conférences honoraire au Laboratoire d’analyse spatiale de l’Université de Nice - Sophia antipolis. au cours de sa carrière de géographe, elle s’est notamment intéressée aux risques naturels, et a publié aux PUf Les risques natuels.

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PROPOS REcUEILLIS PaR DOMINIqUE LaNG

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DOSSIER / RESSOuRcES

LIvRES chOISIS

La mer, comme on le sait, c’est grand. Pour s’immerger lentement et en beauté, on conseillera pour commencer un guide visuel superbe intitulé simplement Mers et océans (par Stephen Hutchinson et Lawrence Hawkins, Sélection du Reader’s Digest, 28,5 euros). Non seulement pour les photos, mais pour les textes remarquables de clarté et de savoir.

On complètera ce point de vue général par trois coups de projecteur sur la France. Le premier est un Atlas du littoral de France (Jean-Pierre Monza éditeur), qui date de 1994, mais garde

un intérêt majeur. Les auteurs, qui travaillent à l’Ifremer, passent en revue la plupart des questions qu’un « honnête homme » de 2010 peut se poser sur les côtes de France. Le deuxième est un livre franchement indispensable, Zones humides du littoral français (par Fernand Verger, Belin, 45 euros). Son auteur nous permet de comprendre, exemples à l’appui, le rôle des zones humides et marais littoraux, espaces d’échanges entre la terre et la mer où la vie explose. Asséchées, drainées, polluées, elles sont aujourd’hui (un tout) petit peu mieux considérées. Mais elles continuent à disparaître !

Le troisième livre est consacré aux oiseaux (Les oiseaux des côtes de France, par Georges Dif, Nathan-LPO, 32 euros). Le livre date de 1997, mais cormorans, goélands, sternes, fous de Bassan ou guillemots sont encore là. Dif, excellent ornithologue, dresse un panorama convaincant sous la forme de fiches bien illustrées. Une mention pour la photo de la page 195, où figure un couple de Grands Corbeaux.

Les autres animaux, ceux de la mer elle-même ? Voyez du côté de L’Encyclopédie des animaux de la mer (Sélection du Reader’s Digest). Paru en 1993, le livre est difficile à trouver, ce qui est bien dommage. Il permet en effet de replacer 1000 espèces illustrées dans leur milieu de vie. Ainsi de l’éléphant de mer, du crabe des cocotiers, du rouget, du thon rouge, du poulpe, mais aussi de…la hache d’argent de Garman, un poisson abyssal aux yeux tournés vers le haut. À peine plus récent, La mer et la vie, par Yves Paccalet (Larousse, 1994) est un précieux sésame qui nous entraîne dans le tourbillon fou, des premières molécules organiques jusqu’à la conquête des océans par l’homme. Ajoutons pour faire bon poids un coup de cœur personnel pour le livre de François de Beaulieu, Mer vivante en Bretagne (Le Chasse-Marée/Armen, actuellement vendu 20 euros, contre 35 précédemment). Peut-être parce que cette mer est plus proche de nous, on a le sentiment exaltant d’entrer dans un monde à la fois proche et merveilleux. Et combien d’histoires !

Il n’est que temps de passer aux ennuis. On le sait, les mers vont mal. Signalons Fragile Méditerranée, par l’Institut océanographique Paul Ricard (Édisud, 1996), qui se veut optimiste, parfois un peu trop. En revanche, et bien qu’il s’agisse d’un rapport de la Commission d’enquête du Sénat, La catastrophe de l’Amoco Cadiz (Hachette littérature, 1978) reste, trente ans après, d’une terrible sévérité pour les grands pollueurs. On ajoutera au lot deux livres majeurs. Le premier, écrit par le grand journaliste Fred Pearce (Quand meurent les grands fleuves, Calmann-Lévy, 19,50 euros) ne parle pas directement des océans. Mais de ces fleuves malades et épuisés qui s’y jettent, injectant près de 80 % des pollutions marines. Le second est la meilleure synthèse sur la pêche publiée en France. Une mer sans poissons (par Philippe Cury et Yves Miserey, Calmann-Lévy, 18,90 euros) dit tout ce qu’il faut savoir.

Signalons enfin, car c’est tout de même l’été, deux romans, en tout arbitraire. Le classique Deux années sur le gaillard d’avant (par Richard Henry Dana, petite collection Payot). Et bien entendu l’immense flot des 20 volumes de Patrick O’Brian, Les aventures de Jack Aubrey (Omnibus). Bonnes vacances.

INITIATIvES

une journée pour les océansEn 1992, on évoqua au sommet de la Terre à Rio de Janeiro l’idée d’une journée mondiale de l’océan. D’abord poussée par le gouver-nement canadien, elle verra le jour en 2003, organisée par le Réseau Océan Mondial et l’association américaine The Ocean Project. Depuis 2009, l’ONU a décrété que le 8 juin serait désormais Journée Mondiale de l’Océan. L’objectif est de mobiliser pour une vraie protection des mers. Aquariums, centres scientifiques, musées, associations, ONG du monde entier proposent des événe-ments de toutes sortes. En France, l’opération a du mal à trouver sa place, mais au niveau mondial, de très nombreuses manifestations ont lieu. Signalons que le Réseau Océan Mondial édite un Passeport du Citoyen de l’Océan pour les enfants de 8 à 12 ans.

Le Grenelle de la merAnnoncé le 27 février 2009, par Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie, le Grenelle de la Mer a réuni pendant des semaines, jusqu’à l’été passé, quatre groupes de travail d’une cinquantaine de personnes. Tout a été discuté, de la pêche au tourisme, des pollutions aux nouvelles formes de régulation internationale. 137 engagements d’importance très diverse ont été retenus. La question est maintenant de les appliquer.1www.legrenelle-mer.fr

Greenpeace veut sauver le thon rougeDepuis cinq ans, l’association écologiste mène des actions en France et en Méditer-ranée pour alerter sur le sort du thon rouge, menacé d’extinction dans cette mer prati-quement fermée qu’est la Méditerranée. À la mi-mai, des membres de Greenpeace ont tenté d’empêcher le départ de trois bateaux thoniers français dans le port de Frontignan, et le Rainbow Warrior, navire amiral de l’ONG, patrouillera en Méditerranée jusqu’à la fin de la saison de pêche 2010.1http://oceans.greenpeace.fr

BuLLETINS ET BLOGS

Pêche et développementLe groupe « Pêche et développement » est né d’une rencontre étonnante entre pêcheurs bretons et pêcheurs sénégalais. Dans un premier temps, en 1986, apparaît le « Collectif d’appui au Comité National des Pêcheurs Sénégalais (CNPS) ». « Pêche et dévelop-pement » a été créé plus tard, en 1996. L’association défend l’idée d’un développement solidaire et durable du secteur de la pêche et de l’aquaculture, notamment au travers de relations équitables entre le Nord et le Sud. Elle édite un bulletin trimestriel, rempli d’informations qu’on ne peut trouver ailleurs.1Adresse : 1 Avenue de la Marne, 56100 Lorient. Tél : 02 97 84 05 87. Courriel : [email protected]

Des escales maritimesC’est l’un des meilleurs blogs consacrés à la mer et à ses problèmes. Très bien informé, caustique, souvent drôle, le blog de Maurice Duron s’est imposé en peu de temps comme un point de passage nécessaire. Car, comme d’ailleurs indiqué, « il est indépendant de tous pouvoirs officiels ou occultes, de tous lobbies économiques, ça va de soi. Ni interdits, ni tabous, mais un œil critique ». À noter la belle place laissée aux vidéos. Certaines sont impressionnantes !1http://escales.wordpress.com

ASSOcIATIONS

Les surfeurs font de la résistanceSurfrider Foundation Europe a un nom anglais, mais cette puissante association est née dans les vagues françaises de Biarritz, en 1990. Les surfeurs, d’abord anglo-saxons, puis du monde entier, n’en pouvaient plus de voir l’état lamentable des côtes, jonchées d’ordures. D’où ce sursaut, dont le but est « la défense, la sauvegarde, la mise en valeur et la gestion durable de l’océan, du littoral, des vagues et de la population qui en jouit ». Surfrider rassemble aujourd’hui un réseau de 1 000 bénévoles, 5 000 adhérents, une quarantaine d’antennes locales et plus de 15 000 sympathisants en Europe.1www.surfrider.eu

Jardiniers de la merFondée en 1973 par Georges Cooper, l’association française « Les jardiniers de la mer » lutte sans relâche contre les pollu-tions, l’extension des ports, et pour la création de zones marines protégées. Mais le cœur symbolique de l’activité reste la réimplan-tation manuelle d’herbiers de posidonies au fond des mers.1www.posidonies.fr/

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fleurs de ventEt dire qu’on l’appelle vulgaire ! Incroyable ? Oui. Cette fleur sublime est en effet appelée anémone pulsatille. Ou vulgaire. Ou pulsatille commune, comme si une beauté pouvait être commune. On lui préférera trois autres noms qui font rêver. D’abord coquelourde. Cela semble pesant, mais il suffit de regarder la fleur dans les yeux pour la voir comme un galion chargé d’or pourpre, prêt à prendre la mer. On a le droit de préférer Herbe au vent, ou mieux encore Fleur de vent. Dans nos Cévennes, on la trouve sur des pelouses sèches, en lisière de bois sablonneux. Dernier point, presque évident : y goûter accélère le rythme cardiaque.

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Portfolio

Jean du boisberranger, photographe infati-gable, a sillonné le monde pour en saisir la beauté. Jusqu’au jour

où il décide de poser ses valises en pays cévenol, dont il est devenu l’un des témoins les plus sensibles. avec son dernier livre, Fleurs sauvages des Cévennes, aux éditions alcide, il nous convie à un autre voyage, sublime et flamboyant, dans l’intimité des landes et des prairies. communes ou rarissimes, parfois protégées, ces fleurs sauvages sont avant tout saisissantes de beauté. un hymne à la biodiversité.Je

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Guérir et manGerAvez-vous reconnu l’herbe qui sauve (page de gauche) ? Il vaudrait mieux. Celle qu’on appelle Toutebonne ou Herbe sacrée est aussi nommée sauge, notre bonne vieille sauge commune. Une étymologie parfaite, qui conduit droit au latin salvare, mot qui veut dire sauver, mais aussi guérir. Ne dit-on pas : « Qui a de la sauge dans son jardin n’a pas besoin de médecin » ? Quant à la gesse chiche ci-dessus, sachez qu’elle est l’une des premières de sa famille à fleurir chaque printemps. Jadis, hier encore, on cuisinait ses graines comme des… lentilles.

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du poireau à l’orchidéeMa foi, oui, il faut bien reconnaître. Cette fleur ci-dessous s’appelle notamment une Barbe de bouc. Mais aussi salsifis blanc ou encore salsifis à feuilles de poireaux. La mange-t-on ? Et comment ! Les jeunes feuilles composent des salades délicates et l’on peut déguster les boutons

floraux comme les racines, crus comme cuits. L’orchidée de la page de droite n’est plus classée dans le genre Orchis depuis que des analyses génétiques ont montré qu’elle appartenait aux Neotinea. Ce qui ne change rien à l’insolente joliesse de son port.

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InItIatIves

Un accord poUr les vieUx pneUsQuoi de plus désolant que les montagnes de pneus usés, abandonnés parfois en plein vent ? L’accord passé entre aliapur – la filière qui gère les pneus hors d’usage – et le ministère de l’ecologie est donc une excellente nouvelle… peut-être. aliapur devrait récupérer 10 000 tonnes d’excédents d’ici la fin de l’année et l’etat s’engage à mettre en place des sanctions.Pourquoi des sanctions ? Parce que malgré la loi, qui impose la récupération des pneus usagés, payée par une taxe spéciale, les garages se remplissent d’au moins 22 000 tonnes de pneus chaque année, qui ne sont pas récupérés, et qui échappent à la taxation. Un authentique casse-tête pour le gouvernement, qui promet d’appliquer des amendes plus nombreuses aux contrevenants. Mais il faut avouer qu’un certain scepticisme règne de part et d’autre. Patience.ƒplus d’infos : www.aliapur.fr

Vieilles usineset nature neuve

Quand le temps se met au beau, il peut être magnifique. Marpent est une bourgade de 2 600 habitants située dans le Nord, près de Maubeuge, lieu d’un célèbre pèlerinage dédié à la Vierge, célébré sous le nom de Notre-Dame d’Ayde. Marpent a connu un puissant développement industriel au XIXe siècle, grâce au travail du marbre, avant l’installa-tion de nombreuses usines. Mais dès la fin des années 60 du siècle passé, les usines commencent à fermer. Marpent « hérite » de friches industrielles souvent polluées et même

potentiellement dangereuses. Derrière le parc Barbusse, l’an-cien site industriel HK-Porter, fermé en 1977, qui occupait les deux rives de la Sambre. Que faire de

cet encombrant cadeau ? La ville décide d’acheter l’usine, qui occupe la bagatelle de 30 hectares !

Il faut imaginer l’état des lieux. Des fosses géantes – on y construisait des équipements ferroviaires –, des centaines de rouleaux de câbles électriques, des déchets à foison, des bâtiments encrassés. La ville obtient des aides de la région Nord-Pas-de-Calais – elle compte la moitié des friches indus-trielles de France – de l’État et même de l’Europe. Pour un coût dérisoire de 1,3 million d’euros, tout a été nettoyé – mais non dépollué –, et les dalles de béton concassées de façon à favoriser le retour des arbres. Des chantiers nature ont permis à des jeunes des environs de créer des mares et de réaliser divers aménagements.

Le résultat est impressionnant : un recensement a permis de dénombrer 66 espèces d’oiseaux, 27 de mammifères ainsi que de nombreux amphibiens, dont des tritons rares.ƒplus d’infos : www.marpent.fr

Au service des paysans marocains

L’association Agrisud International aide des communautés paysannes du Sud à entreprendre pour faire reculer la misère. Elle mène ainsi des programmes dans des pays comme l’Angola, le Brésil, le Cambodge, l’Inde, le Laos, Madagascar ou encore le Maroc. Dans ce dernier pays, Agrisud travaille depuis 2004 dans les vallées du Drâa et du Dadés (sud marocain). Confrontés à des sécheresses à répétition, les paysans locaux continuent leur migration vers des villes pourtant surpeuplées. Agrisud y forme une centaine de personnes à l’agroécologie, c’est-à-dire une agriculture peu gourmande en eau et en produits de synthèse comme les pesticides. Et l’as-sociation aide à valoriser des produits cultivés sur place, comme les olives. Dans le même temps, l’association de Pierre Rabhi Terre et Humanisme soutient une ferme exemplaire proche de Casablanca, « Jnane Elkbir », qui récupère les eaux de pluie, fabrique ses propres engrais organiques et vend en ville, en d’association avec d’autres fermes, des paniers d’une quinzaine de kilos de fruits et de légumes.ƒplus d’infos : www.agrisud.org - www.terre-humanisme.org

Le prix Goldman pour une Polonaise

La Polonaise Małgorzata Górska, ornithologue, a mené huit années de combat contre un projet d’autoroute, qui devait relier Varsovie à Helsinki, traversant des zones très riches sur le plan naturel, d’ailleurs répertoriés dans le réseau européen Natura 2000. La route aurait notamment éventré la très belle vallée de Rospuda, l’une des dernières zones de l’Europe vrai-ment sauvages. Le projet a été finalement abandonné, et Małgorzata vient de recevoir le prestigieux prix Goldman, doté de 150 000 dollars. Bravo !ƒplus d’infos : www.goldmanprize.org/theprize/about_francais

Une épicerie à domicileHeureux habitants de Mésanger (Loire-atlantique) ! L’épicerie 21 livre ses produits dans cinq points-relais de son petit territoire. Les clients peuvent commander par internet et être ensuite livrés à domicile ou presque. Créée par un couple hors normes, Hélène et Guillaume, elle est aujourd’hui gérée par quatre associés réunis dans une structure écono-mique originale coopérative. Le résultat est là : 300 clients, dont 60 réguliers, passent commande la veille de la livraison et viennent chercher leur panier le lendemain dans le lieu choisi, ouvert de 17h à 20h. Les produits livrés sont locaux, équitables ou bio, privi-légiant les circuits courts. Les fruits et légumes sont tous issus de l’agriculture biologique et viennent de producteurs situés à une distance maximale de 15 kilomètres. Les prix restent raisonnables, comparables à ceux pratiqués dans le réseau Biocoop pour un service sur mesure. L’aventure – car c’en est une – a reçu le prix régional du concours talents pour l’année 2009. Qu’on se le dise, l’idée fait son chemin, et de plus en plus de personnes intéressées aimeraient reproduire le concept ailleurs.ƒplus d’infos : Jean-Baptiste Robin, 02 51 14 11 23

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InItIatIves

L’atelier des dames fait des flammesAu point de départ, il y a un atelier brésilien de Cabo Frio

(État de Rio de Janeiro), où des femmes de pêcheurs récu-pèrent après les marchés les écailles de poissons, avant d’en faire des objets de décoration et même des bijoux. Résultat : de petites merveilles qui permettent à ces femmes pauvres de mieux gagner leur vie en créant de la beauté. En 2007, une jeune Française, Caroline Manuel, rend visite à son père, qui habite au Brésil. Elle découvre sur place le travail de ces dames, et comme elle sait dessiner, propose un modèle de bijou, aussitôt adopté par les Brésiliennes, qui se mettent à le fabriquer. C’est le début de l’aventure.

Au retour, Caroline, qui a fait une école de commerce, com-prend qu’il existe un marché parisien pour ces bijoux et lance « L’atelier des Dames ». En 2008, elle lance sa première col-lection, fabriquée en totalité au Brésil, et les magasins qu’elle démarche se jettent les uns après les autres sur ces bijoux à la fois équitables et écologiques. Car bien sûr, les dames du Brésil continuent d’utiliser des écailles, et Caroline rétribue à bon prix leur travail. Ce qu’on appelle une stratégie win-win. En bon français, un accord gagnant-gagnant.ƒplus d’infos : www.latelierdesdames.fr

des herbiers grâce à Un simple clictela Botanica, sur internet, est bien connue de tous les grands amoureux des plantes. C’est un réseau de botanistes qui acceptent de mettre en commun, et en ligne, leur grand savoir, « dans une éthique de partage des connais-sances et de respect de l’homme et de la nature ». Créé en 1999, le réseau annonçait ainsi la couleur : « La Botanique, en France, pour survivre et se développer, doit donc être reprise en mains par les botanistes eux-mêmes, aujourd’hui encore trop dispersés. La mise en place de projets collectifs ne peut être menée à bien que si tous ceux qui s’intéressent à la Botanique se regroupent, unissant leurs connais-sances et leurs efforts ».Depuis, l’eau de pluie a coulé sur les orchidées, et les plantes ont beaucoup grandi. Dernière nouveauté : la mise en ligne d’une interface qui permet, grâce à un simple clic, de situer les principaux herbiers des collections françaises. avec leurs caractéristiques, leurs responsables, les différentes insti-tutions concernées. Remarquable. ƒplus d’infos : www.tela-botanica.org/actu/article3738.html

Le lieu noir en de bonnes mains

La société Euronor est un poids lourd de la pêche fran-çaise. Basée à Boulogne-sur-Mer, elle emploie 200 personnes et possède 90 % des quotas de pêche au lieu noir détenus par la France. Ce poisson, qui n’est pas pour l’heure menacé, est pêché par Euronor en mer du Nord, Ouest Ecosse et en mer de Norvège. Oui, mais dans quelles conditions ?

L’affaire devient très intéressante, car Euronor a délibé-rément tourné le dos aux (très) mauvaises pratiques qui menacent de disparition, par exemple, le thon rouge de Méditerranée. Les patrons de l’entreprise viennent en effet

d’obtenir – une première dans l’univers de la pêche française – l’écolabel MSC (Marine Stewardship Council), qui certifie « une

pêche durable et bien gérée ». Les règles du MSC n’ont rien de facile. Elles comportent 31 points, qui sont vérifiés par des inspecteurs indépendants. Ce qui implique l’ouverture des livres de bord et de compte !

Avant d’accorder le label, une équipe du MSC, parmi lesquels cinq scientifiques, a regardé à la loupe, pendant des mois, les pratiques de pêche d’Euronor. Conclusion : le stock de lieu noir n’est pas menacé, et les chaluts de l’entreprise, qui travaillent sur fonds sablonneux, ne commettent pas de ravage écologique.

Mieux encore, Euronor s’impose des contraintes supplé-mentaires, parmi lesquelles l’interdiction de travailler dans les zones de reproduction, ou l’utilisation de mailles plus grosses pour ne pas attraper les plus jeunes poissons.

Le résultat a tout du cercle vertueux : en vendant ses pois-sons sous le label MSC, Euronor garantit à ses clients un poisson « durable ». Et en retour, ces derniers assurent aux pêcheurs un avenir « durable ».

Voyager pour de vrai en AfriqueUne entreprise unique : Le

Point-Afrique. Créée en 1995 par Maurice Freund, déjà fondateur du mythique Point-Mulhouse, cette compagnie aérienne est spécialisée dans les charters à destination de l’Afrique.

Loin des clichés et du miséra-bilisme, le projet repose sur un constat : « 400 ans de rapports Nord-Sud n’ont pas permis d’éta-blir une relation juste et équilibrée entre les deux parties ». Sollicité directement par le gouvernement malien, Freund lance pour com-

mencer le premier vol direct Fran-ce-Gao. C’est le début d’un projet de développement touristique inédit dans une région durement frappée par les sècheresses à répé-tition des années 80.

D’un côté, les touristes euro-péens découvrent une zone très éloignée des images de cartes pos-tales, mais qui est pourtant fasci-nante de culture et d’intelligence. De l’autre, les paysans locaux et les villageois obtiennent emplois ou compléments de revenus. Cette vision neuve provoque l’incrédu-

lité et même les quolibets de la profession de voyagiste, avant de convaincre de sa pertinence.

Coopérative, Le Point-Afrique a une grande liberté d’action, car elle n’a pas de comptes à rendre à des actionnaires. Ce qui lui permet de choisir et soutenir ou développer les projets en accord avec sa phi-losophie. Qui n’est guère éloignée du propos de l’écrivain africain Hampâté Bâ : « La main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit. » ƒplus d’infos : www.point-afrique.com

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InItIatIves

les philippines dU côté d’agenPendant une semaine, alicia Raymundo, 43 ans, responsable philippine de la Fondation pour le développement rural intégré, a été reçue par le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) du Lot-et-Garonne. en juillet, elle accueillera à son tour trois Français, dont l’évêque d’agen Mgr Herbreteau. au programme : comment unir les efforts pour assurer la sécurité alimentaire du plus grand nombre ?

Un google dU développement dUrableCréée en 1996 par l’écologiste Michel Giran, l’association adome a réalisé un grand nombre de produits multimedia autour du développement durable. Des CD-Roms, des livres, des sites sur internet. La dernière entreprise est de loin la plus vaste : Écobase 21 est une encyclopédie qui entend devenir une sorte de « Google du développement durable ». et il faut reconnaître que le résultat est impressionnant, avec 700 fiches , 120 000 liens, et 5 000 vidéos en ligne. Le tout consacré au développement durable sous toutes ses formes. Indispensable. ƒplus d’infos : www.ecobase21.net

Pour le retourdu tigre en Europe

Une lubie ? En tout cas, elle change d’autres visions. Mais commençons par présenter Alain Sennepin, naturaliste de grande valeur. Le 23 janvier 2010, il donnait une conférence à la Société des Amis du muséum d’histoire naturelle, à Paris. Pour lui, il n’y a pas de doute : l’avenir de l’Europe passe par le…tigre. Citation : « Lors de l’époque historique, l’Europe a hébergé, sur son territoire, au moins quatorze

grands carnivores terrestres dont cinq ne sont jamais mentionnés dans les répertoires de la faune européenne. Aux côtés du loup, du renard roux et du chacal, des ours brun et blanc, du

blaireau et du glouton, des lynx boréal et ibérique, devraient être aussi mentionnés quatre grands félins, le lion, le tigre, le léopard et le guépard, et une hyène, la hyène rayée ».

Le tigre occupa bel et bien, jadis, il n’y a pas si longtemps, des territoires allant de la Chine occidentale actuelle à la mer Noire, peut–être même jusqu’au Danube. On le rencon-trait – très rarement, il est vrai – en Turquie il y a seulement vingt ans, et même si ce pays n’appartient pas à l’Europe, n’en est-il pas très proche ? Que veut donc Sennepin ? L’im-possible. C’est-à-dire la création d’un gigantesque corridor écologique le long des forêts alluviales qui relient l’Asie à l’Europe. Entre le Fleuve Jaune et le Danube. Où pourrait circuler le tigre. Selon lui, « la destruction du tigre est liée à la barbarie des hommes contre eux-mêmes. Son retour serait la meilleure garantie contre le désespoir et la misère sociale ».ƒplus d’infos : http://europe-tigre.over-blog.com

Les Voyageurs de l’eauCe sont deux globe-trotters, Lionel Goujon

et Gwenael Prié, ingénieurs dans les télécoms, partis pendant un an autour du monde. Che-min faisant, ils tiennent un blog hébergé par le quotidien Libération, dont le fil conducteur – car c’est là leur passion – est l’eau. Exemple : le 28 août 2008, nos deux voyageurs notent : « En 1994, quand l’Afrique du Sud tourne la page de l’apartheid, l’inégalité érigée entre les populations blanche et noire du pays se

traduit également dans les services de base : plus d’un quart de la po-pulation n’a pas accès à l’eau potable ».

Ainsi ira la vie, faite de rencontres, de portraits, d’initiatives et d’his-toires d’eau, dans16 pays en Afrique, en Amérique et en Asie. Au retour, Lionel et Gwenael décident d’écrire un livre qui est tout sauf de lamenta-tion. Certes, le drame fait partie de la réalité, mais il ne faut pas oublier toutes ces actions locales qui marchent. Au Cambodge, on parvient à désinfecter l’eau par le: rayonnement solaire. En Inde, on retient la pluie dans des bassins de rétention. Au Pérou, on capture l’humidité au filet ! Un beau livre, qui fait rêver, et espérer.ƒplus d’infos : Lionel Goujon, Gwenael Prié, Les voyageurs de l’eau, éditions dunod, 190 pages, 22 €

Un collège exemplaire en Isère

De longue date, le conseil général de l’Isère dispose d’un service de l’Environnement très efficace, qui doit beaucoup à la présence enthou-siaste du naturaliste Jean-François Noblet, figure locale.

Ce même Conseil général a mis en place un agenda 21 et mène une politique en faveur de la biodiversité la plus banale. Il vient d’inaugurer un espace vert écologique au collège de Pré Bénit à Bourgoin-jallieu. Conçu et réalisé par le service Environnement, avec des aides diverses, il comprend notamment une mare pédagogique, une prairie fleurie, des nichoirs et mangeoires, des haies champêtres – plantées –, des poubelles sélectives, des points de compost. Et, cerise bio sur le gâteau, la façade a été végétalisée.

Le projet, ambitieux comme on le voit, a été labellisé Année interna-tionale de la biodiversité.

la carte des commUnes sans ogmDe nombreuses communes de toute la France ont émis des vœux, et parfois adopté des arrêtés pour s’opposer à la culture des OGM sur leur territoire. sous l’amicale pression du Réseau semences paysannes, certaines s’engagent en outre en faveur de la biodiversité cultivée et de la défense des semences, si souvent menacées par le commerce international.Une autre association, Inf’OGM, vient de réaliser une carte édifiante de la France sans OGM. De cette France locale ou régionale qui refuse toute culture OGM de plein champ. Depuis le début des années 2 000, plus de 1 000 communes françaises ont pris position contre les OGM. Mais la carte d’Inf’OGM ne recense que les initiatives prises après mars 2008, date des dernières élections municipales. Ce choix permet de ne pas faire figurer d’informations « périmées », par exemple à la suite d’un changement d’équipe municipale.ƒplus d’infos : www.infogm.org/spip.php?article4291

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LES RACINES HISTORIQUES DE NOTRE CRISE ÉCOLOGIQUE (extraits) Lynn WHITE, Jr.

Le 26 décembre 1966, l’historien américain spécialiste du Moyen‑Âge Lynn White (1907‑1987) donnait une conférence, publiée quelques mois plus tard dans la revue Science. S’intéressant aux racines de la crise écologique, il propose de reconnaître dans une certaine théologie chrétienne les ressorts qui ont mené à un rapport faussé au monde naturel en Occident. Une thèse iconoclaste qui eut un grand retentissement dans les milieux écologistes depuis lors.

(…) I1 y a une chose qui est si évidente qu’il semble stupide de l’expliciter : la technique moderne et la science moderne sont toutes deux spécifiquement occidentales. (…) Aujourd’hui, tout autour du globe, toute la science qui compte est occidentale dans son style et sa méthode, quelle que soit la langue ou la couleur de la peau des scientifiques (…) Le symbole de cette supériorité technologique, c’est le fait que le Portugal, l’un des plus faibles Etats de l’Occident, fut capable de conquérir les Indes orientales et de les conserver un siècle durant. (…)

Révolutions sociales et psychologiques

Dans la mesure où nos deux mouvements, à la fois technologique et scientifique, ont pris leur essor, acquis leur caractère et atteint leur prédominance mondiale au Moyen Age, il semble que nous ne pouvons comprendre leur nature et leur impact actuel sur l’écologie sans examiner les développe-ments et les présupposés fondamentaux de l’époque médiévale.

Jusqu’à une date récente, l’agriculture a été la principale occupation même dans les sociétés « avancées »; de sorte que tout changement dans les méthodes de labour a une importance majeure. (…) Pour utiliser la nouvelle charrue, plus efficace [mise au point au Moyen Age en Europe], les paysans mi-rent en commun leurs boeufs pour former de grands attelages, chacun recevant (semble-t-il) des bandes de terres labourées proportionnelles à sa contribu-tion. Ce faisant, ce ne furent plus les besoins de la famille qui servirent de base à la répartition des ter-res, mais plutôt la capacité d’une puissante machine pour labourer la terre. La relation de l’homme au sol en fut profondément transformée. Auparavant l’homme faisait partie de la nature ; à présent, il était l’exploiteur de la nature. Nulle part ailleurs dans le monde les cultivateurs ne développèrent un instru-ment agricole équivalent. Est-ce une coïncidence si la technique moderne, avec sa brutalité envers la nature, a été si largement le produit des descendants de ces paysans de l’Europe du Nord ? (…)

Ces innovations semblent correspondre à des catégories intellectuelles plus générales. Ce que les gens font de leur écologie dépend de ce qu’ils pensent d’eux-mêmes en relation aux choses qui

Le temps des pouvoirs nouveaux(…) Toutes les formes de vie modifient leurs mi-

lieux. (…) L’homme, depuis qu’il est devenu une es-pèce prolifique, a toujours notablement affecté son environnement. (…) En ce dernier tiers du xxe siècle dans lequel nous entrons, on se préoccupe de plus en plus fébrilement du problème des répercussions écologiques. (…)

Il n’y a que quatre générations que l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord arrangèrent un mariage entre la science et la technique, une union des approches empiriques et théoriques de notre environnement naturel. L’émergence dans la prati-que la plus largement répandue du credo de Francis Bacon selon lequel la connaissance scientifique signifie pouvoir technique sur la nature peut rare-ment être datée avant 1850 environ, sauf dans les industries chimiques où elle est anticipée au XVIIIe

siècle. Son acceptation comme une forme normale d’activité pourrait bien marquer le plus important événement depuis l’invention de l’agriculture dans l’histoire humaine, et peut-être même dans l’histoire non humaine de la Terre. (…)

Notre crise écologique est le produit de l’émergen-ce d’une culture démocratique entièrement nouvelle.

les entourent. (…) La victoire du christianisme sur le paganisme fut la plus grande révolution psychologi-que dans l’histoire de notre culture. (…) Nos actions quotidiennes habituelles, par exemple, sont domi-nées par une foi implicite dans le progrès perpétuel qui était inconnue aussi bien de l’Antiquité gréco-romaine que de l’Orient. Elle puise ses racines dans la téléologie judéo-chrétienne, et elle est indéfenda-ble en dehors d’elle. (…) En détruisant l’animisme

païen, le christianisme a per-mis l’exploitation de la nature dans un climat d’indifférence à l’égard de la sensibilité des objets naturels.

Une théologie volontariste

(…) Lorsqu’on parle en ter-mes aussi généraux, un mini-mum de précaution s’impose. Le christianisme est une foi complexe et ses conséquen-ces varient selon les diffé-rents contextes. Ce que j’ai dit peut bien s’appliquer à l’Occident médiéval où en effet les techniques firent des progrès spectaculaires. Mais l’Orient grec, un monde de haute civilisation et de même

dévotion chrétienne, ne semble pas avoir produit d’innovations techniques remarquables après la fin du VIe siècle, qui vit l’invention du feu grégeois. L’explication de ce contraste peut sans doute être trouvée dans une différence de tonalité que les spécialistes de théologie comparée découvrent entre les Eglises latine et grecque. Les Grecs croyaient que le péché était un aveuglement intellectuel et que le salut se trouvait dans l’illumination, l’ortho-doxie – c’est-à-dire la pensée claire. Les Latins, par contre, ressentaient le péché comme un mal moral et considéraient que le salut était à trouver dans la bonne conduite. La théologie orientale a été intellec-tualiste ; la théologie occidentale a été volontariste. (…) Puisque c’est Dieu qui a créé la nature, la nature aussi doit révéler la sagesse divine. La théologie

DOCUmENT

nL’émergence dans la pratique la plus largement répandue du credo de Francis Bacon selon lequel la connaissance scientifique signifie pouvoir technique sur la nature peut rarement être datée avant 1850 environ, sauf dans les industries chimiques.

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naturelle représenta l’étude religieuse de la nature pour la meilleure compréhension de Dieu. Dans l’Eglise primitive, et toujours dans l’Orient grec, la nature fut conçue d’abord comme un système symbolique par lequel Dieu s’adresse aux hommes : la fourmi est un sermon pour les fainéants; les flammes qui montent sont le symbole de l’aspira-tion de l’âme. (…) Cependant, dans l’Occident latin du début du XIIIe siècle, la théologie naturelle prit une orientation très différente. Elle cessa d’être le décodage des symboles physiques de la communi-cation de Dieu avec l’homme et devint l’effort pour comprendre l’esprit de Dieu à travers la découverte de comment sa création fonctionne. (…)

Un nouveau rapport spirituel à la terre

(…) Nous aboutissons apparemment à des conclu-sions désagréables pour beaucoup de chrétiens. (…) Comme nous le reconnaissons à présent, il y a un peu plus d’un siècle, la science et la technique – jus-que-là deux activités pratiquement séparées – s’uni-rent pour donner à l’humanité des pouvoirs qui, à en juger par de nombreuses conséquences écologiques, ne sont pas maîtrisés. S’il en est ainsi, le christia-nisme porte une lourde part de responsabilité.

Je doute personnellement que les répercussions écologiques désastreuses puissent être évitées sim-plement en appliquant à nos problèmes plus de science et plus de technique. Notre science et notre technique proviennent des attitudes chrétiennes envers la relation de l’homme à la nature qui sont partagées presque universellement non seulement par les chrétiens et les néochrétiens mais aussi par ceux qui naïvement se considèrent comme des postchrétiens. (…)

La révolution d’AssiseNous pourrions peut-être méditer sur le plus

grand révolutionnaire de l’histoire chrétienne de-puis le Christ : saint François d’Assise. (…) La clé pour comprendre saint François, c’est sa foi dans la vertu d’humilité, non seulement pour l’individu mais encore pour l’homme en tant qu’espèce vi-vante. Saint François essaya de le destituer de son rang de roi de la création et d’instaurer une démo-cratie de toutes les créatures de Dieu. Avec lui, la

fourmi n’est plus seulement un sermon pour le flemmard, les flammes un signe de l’aspiration de l’âme à l’union avec Dieu; à présent, ils sont frère fourmi et soeur feu, chantant chacun à sa manière les louanges du Créateur, comme frère homme le fait dans la sienne. (…) Saint François ne soutenait ni la transmigration des âmes ni le panthéisme. Sa vision de la nature et de l’homme reposait sur une sorte unique de panpsychisme de toutes les choses

animées et inanimées, desti-nées à la glorification de leur Créateur transcendant qui, dans un ultime geste d’humi-lité cosmique, s’est fait chair, reposa sans défense dans une crèche et mourut suspendu à une croix.

(…) Dès lors que les raci-nes de notre malaise sont en grande partie religieuses, le remède, lui aussi, doit être essentiellement religieux, que nous le nommions ainsi ou non. Nous devons repenser et ressentir notre nature et notre destinée. La conscience profondément religieuse, bien qu’hérétique, que possédaient les premiers franciscains de l’autonomie spirituelle de tou-

tes les parties de la nature pourrait nous suggérer une direction. Je propose François d’Assise comme saint patron pour les écologistes. 1

nous remercions les Editions Labor et Fides qui nous ont autorisé à publier de larges extraits de cette traduction du texte originel de Lynn White, réalisée par Jacques Grine-vald. L’intégralité du texte et plusieurs articles de mise en perspectives peuvent être retrouvés dans un passionnant ouvrage récent : dominique Bourg et Philippe Roch (dir.) crise écologique, crise des valeurs ? défis pour l’anthropologie et la spiritualité., Labor et Fides, 2010, 330 p.

Soute

nez leS cahierS

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UNE CONVICTION : face aux urgences de la crise écologique, des femmes et des hommes différents mettent en commun leurs réflexions au service du bien commun.

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nCependant, dans l’Occident latin, la théologie naturelle cessa d’être le décodage de la communication de Dieu avec l’homme et devint l’effort pour comprendre l’esprit de Dieu à travers la découverte de comment sa création fonctionne.

66 | LES cAHIERS dE SAInT-LAMBERT | JUILLET-AOUT-SEPTEMBRE 2010 |

Page 35: Entretien >Semer des graines de par le monde / Repères Infographie Dossier …fabrice-nicolino.com/wp-content/uploads/2015/06/bat... · 2019-05-13 · rencontres. D’où le nom

Une petite maison d’édition française, belle et courageuse : Gallmeister. Un écrivain américain tout en force, tout en finesse : Rick Bass. Et une vallée du Montana, où coule une rivière : Le livre de Yaak (192 pages, 20,90 euros)

« Pourquoi la nature, en quoi est-elle si importante ? Notre empreinte écologique pèse d’un poids énorme, tout comme les forces cumulées de nos désirs, de nos besoins, de nos consommations. Certaines années, il semble dérisoire de consacrer tant d’efforts et de temps à ce combat dans un monde où tellement d’injustices, de crises ou de ca-tastrophes requièrent notre attention. Nous vivons à une époque et dans une civilisation où les ressources sont en constante diminution, et toutes ces causes finissent par se concurrencer les unes les autres. Un membre du Congrès ne peut se vouer a toutes. Je crains que, dans un avenir proche, on ne comprenne plus guère le désir – ou le besoin – de nature qu’éprouve un homme ou une femme, que ce désir n’apparaisse plus que comme un caprice ou une faiblesse.

Quand cela arrivera, alors la nature – au moins le lien riche et complexe que les hommes entretiennent avec elle – aura perdu une partie d’elle-même. Certains jours, je sens que le temps nous est compté : non le temps passé à nous battre pour obtenir une législa-tion en faveur du Yaak, mais plutôt le temps qui érode peu à peu l’urgence, le désir et la passion, et la révérence que nous inspire une réalité mystérieuse, un ordre qui dépasse l’entendement humain.

Je crains qu’un jour ne vienne où une majorité de gens, quand ils entendront parler d’un combat comme celui que nous menons pour les espaces sauvages du Yaak, songeront : “Pourquoi faire tant de bruit autour d’une cause aussi futile, quand il y a tant de problèmes et de besoins en ce monde”.

Je crains que ce jour ne soit proche. Je refuse de considérer la nature comme un anachro-nisme ou une relique du passé – un résidu de la période romantique, des Lumières, ou de toute autre époque sinon celle du souffle originel de la création. La nature est à la fois le fondement et la pierre angulaire de l’aventure humaine. Nos inquiétudes vis-à-vis du réchauffement climatique, de la surpopulation, de la guerre ou de la pauvreté ne peuvent se substituer à l’attention constante que nous devons lui porter. Elle est ce lieu des origines, qui a puissamment contribué à faire de nous ce que nous sommes. »

Une vallée du Montana

&:CGKKPA=\]Y^WY: Code Sodis : S452505