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Eric Siblin En quête d’un chef-d’œuvre baroque Les Suites pour violoncelle seul « Un magnifique ouvrage » sur l’œuvre de Bach The New York Times

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Eric Siblin

En quête d’un chef-d’œuvre

baroque

Les Suitespour violoncelle seul

« Un magnifique ouvrage » sur l’œuvre de BachThe New York Times

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Les Suitespour violoncelle seul

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ERIC SIBLIN

En quête d’un chef-d’œuvre baroque

Traduit par Robert Melançon

Les Suitespour violoncelle seul

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Nous remercions le Gouvernement du Canada de son soutien fi nancier pour nos activités de traduction dans le cadre du Programme national de traduction pour l’édition du livre.

En couverture : © emanuelagambazza/iStockphoto ; © Alexandra Bryl Jaev/iStockphotoConception : Gianni CacciaÉléments graphiques intérieurs : Ingrid Paulson, reproduits avec l’autorisation de House of AnansiMise en pages : Bruno Lamoureux

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Siblin, Eric, –

Les Suites pour violoncelle seul : En quête d’un chef-d’œuvre baroque

Traduction de : Th e Cello Suites : J.S. Bach, Pablo Casals, and the Search for a Baroque Masterpiece.

isbn ---- [édition imprimée]isbn ---- [édition numérique pdf]isbn ---- [édition numérique epub]

. Bach, Johann Sebastian, –. Suites, violoncelle, BWV -. . Casals, Pablo, –. . Siblin, Eric, - . I. Titre.

ml.bs .’ c--

Dépôt légal : e trimestre Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Titre original : Th e Cello Suites. J.S. Bach, Pablo Casals and the Search for a Baroque Masterpiece© Eric Siblin,

© Groupe Fides inc., , pour la traduction françaisePubliée en accord avec House of Anansi Press, Toronto, Canada

La maison d’édition reconnaît l’aide fi nancière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition et remercie de leur soutien fi nancier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). La maison d’édition bénéfi cie également du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Gouvernement du Québec, géré par la SODEC.

Imprimé au Canada en mars

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À mes parents, Herbert et Jacqueline Siblin

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PREMIÈRE SUITE(sol majeur)

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PRÉLUDE

On découvre un monde d’émotions et d’idées qui a été créé avec les matériaux les plus simples.

Laurence Lesser

Les premières mesures se déploient avec la puissance narrative d’un maître de l’improvisation. Un voyage a

commencé, mais il semble que la composition se fasse à l’instant même. Les cordes aux tonalités basses nous ramè-nent au xviiie siècle. L’univers sonore est joyeux. Il a la désinvolture de la jeunesse. Il y a de la découverte dans l’air.

Après une pause qui examine l’avenir, le violoncelle reprend avec une intensité douloureuse. Les choses ne seront pas faci-les. Les notes sont murmurées, énoncées avec une résolution courtoise, et proclamées avec ravissement. L’ascension se poursuit. De nouvelles perspectives s’ouvrent, une résolution rhapsodique, puis on descend et atterrit en douceur.

C’est ainsi que les premières notes des Suites pour vio-loncelle seul de Bach résonnaient à mes oreilles alors que

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j’étais en Espagne, dans le jardin d’une villa au bord de la mer qui avait un jour appartenu à Pablo Casals, le violoncelliste catalan qui les avait découvertes un après-midi de alors qu’il était petit garçon. Tandis que j’écoutais cette œuvre dans mes écouteurs, à l’ombre des palmiers et des pins d’un jardin luxuriant, les vagues miroitantes de la Méditerranée toute proche semblaient rouler en parfaite synchronie avec le prélude de la première suite pour violoncelle.

Aucun autre lieu n’aurait permis de mieux apprécier cette musique. Même si les Suites pour violoncelle avaient coulé de la plume du compositeur au début du xviiie siècle, c’est Casals qui, deux siècles plus tard, les avait rendues célèbres.

Je les ai découvertes pour ma part un soir d’automne en , une « Année Bach » qui marquait le deux cent- cinquantième anniversaire de la mort du compositeur. Je me trouvais dans le public du Conservatoire royal de musique de Toronto pour écouter un violoncelliste jouer une œuvre dont je n’avais aucune idée.

Je n’avais aucune raison de me trouver là sinon l’annonce d’un concert dans un journal local, une vague curiosité, et le fait que mon hôtel était tout à côté. Mais il se peut que j’aie été à la recherche de quelque chose sans le savoir. Quelques temps auparavant, j’avais mis fi n à un contrat de critique de musique pop au quotidien montréalais Th e Gazette, un tra-vail qui m’avait rempli la tête d’une masse de musique dont je me serais bien passé la plupart du temps. Les succès du Top avaient trop traîné dans mon cortex auditif, et la culture qui entourait la musique rock s’était usée. Je continuais à souhaiter que la musique occupe une place au centre de ma vie, mais d’une autre manière. Les Suites pour violoncelle, comme cela allait se révéler, m’off raient une solution.

Dans le programme du récital, les notes de Laurence Lesser, éminent violoncelliste de Boston, expliquaient que les Suites pour violoncelle avaient été considérées, « pour

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une période étonnamment longue », simplement comme une série d’exercices. Mais depuis que Casals avait com-mencé à les jouer au début du xxe siècle, « nous savons quelle chance nous avons de posséder ces extraordinaires chefs-d’œuvre. Ce que la plupart des mélomanes ignorent toutefois, c’est qu’on ne possède pas de manuscrit auto-graphe de ces œuvres... Il n’y a pas de source vraiment fi able pour les suites ». Ces phrases ont éveillé mes instincts de journaliste : qu’était-il advenu du manuscrit de Bach ?

On dit que c’est dans la petite ville allemande de Cöthen, en , que les Suites pour violoncelle ont été composées et transcrites par la plume de corbeau de Bach. Mais en l’absence du manuscrit original, comment peut-on en être certain ? Pourquoi une œuvre aussi monumentale a-t-elle été composée pour le violoncelle, instrument modeste qui était généralement relégué à produire du bruit de fond à l’époque ? Et comme Bach transposait fréquemment ses œuvres pour divers instruments, comment pouvons-nous être sûrs que celle-ci a eff ectivement été composée pour le violoncelle ?

Considéré de ma place dans la salle de concert du Conser-vatoire royal, le personnage solitaire qui produisait ces sonorités massives à l’aide d’un instrument si élémentaire semblait lancer un défi aux lois de la musique. Instrument soliste, qui plus est confi né à un registre très bas, le violon-celle semblait inadapté à sa tâche, comme si quelque compo-siteur suprême avait imaginé une partition trop ambitieuse, un texte idéal, sans porter attention au véhicule grossier qui aurait à le transmettre.

En observant Laurence Lesser interpréter magistralement les Suites, j’ai été frappé par le caractère encombrant de son instrument, qui faisait penser à quelque lourd paysan médié-val du royaume des instruments à cordes, grossièrement équarri et primitif, en aucun cas assez sophistiqué pour

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l’œuvre raffi née qui était jouée. Mais un examen plus attentif m’a permis d’observer la volute en bois, sculptée de manière compliquée, et les ouïes recourbées, qui avaient la forme d’une exquise signature de l’âge baroque. Et ce qui sortait de ces ouïes était une musique plus charnue et extatique que toute autre que j’avais pu entendre. Je me suis laissé aller à rêver. Comment une telle œuvre avait-elle sonné en ? Il était facile d’imaginer le violoncelle faisant ses preuves devant un auditoire aristocratique et séduisant les perruques poudrées.

Mais si elles sont une œuvre si évidemment prenante, pourquoi les Suites pour violoncelle n’avaient-elles, pour ainsi dire, presque jamais été entendues avant que Casals les découvre ? Pendant plus de deux siècles après que ce chef-d’œuvre épique eut été composé, seul un petit cercle de musiciens professionnels et de spécialistes de Bach le connaissait. Et ceux qui le connaissaient pensaient qu’il consistait plus en exercices techniques qu’en une œuvre destinée au concert.

L’histoire de ces six suites concerne plus que la musique. La politique leur a donné forme, du militarisme prussien du xviiie siècle au nationalisme allemand qui a promu Bach à la célébrité un siècle plus tard. Et lorsque les dictatures européennes se sont imposées au xxe siècle, leurs notes sont devenues des balles dans le violoncelle antifasciste de Casals. Des décennies plus tard, Mstislav Rostropovitch les a jouées devant le Mur de Berlin qui tombait.

Après que Casals eut transmis cette œuvre à un public immense — ce qui s’est produit bien après qu’il l’eut décou-verte —, rien n’a pu arrêter les Suites. Il en existe actuelle-ment plus de cinquante enregistrements et la partition a fait l’objet de plus de soixante-quinze éditions de concert. D’autres instrumentistes se sont avisés qu’ils pouvaient transcrire les Suites pour violoncelle et se les approprier :

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elles ont été jouées avec un succès étonnant à la fl ûte, au piano, à la guitare, à la trompette, au tuba, au saxophone, au banjo et sur plusieurs autres instruments. Mais pour les violoncellistes, elles sont rapidement devenues leur alpha et leur oméga, un rite de passage, le mont Everest de leur répertoire. (Ou le mont Fuji : en , le violoncelliste italien Mario Brunello a grimpé à son sommet, à près de , mètres au-dessus du niveau de la mer, où il en a joué des extraits, déclarant ensuite que « la musique de Bach est celle qui s’approche le plus de l’absolu et de la perfection ».)

On ne considère plus que cette œuvre oppose un trop grand défi à l’auditeur moyen. De nouveaux enregistrements obtiennent régulièrement le prix du « disque de l’année ». Et le vieil enregistrement monophonique grinçant de Casals se maintient au sommet des ventes des versions historiques.

Mais il ne s’agit pas de musique légère. Une revue som-maire des performances récentes établit que les suites ont été jouées en Angleterre et aux États-Unis lors de céré-monies commémoratives en l’honneur des victimes des attentats du septembre , lors d’une autre cérémonie commémorant le génocide rwandais ainsi que lors de plu-sieurs funérailles de personnalités célèbres, comme celles, grandioses, de l’ancien éditeur du Washington Post et celles du sénateur Edward Kennedy. Je me souviens d’avoir été une fois, peu après que je m’en fus entiché, vertement tancé par l’hôtesse lors d’une fête parce que je faisais jouer de la « musique funèbre » sur son lecteur de cd.

Si cette œuvre a souvent été utilisée en des occasions tristes, cela s’explique en bonne partie par la tonalité sombre et mélancolique du violoncelle, à quoi s’ajoute le fait qu’elle ne requiert qu’un seul instrument. Pourtant le violoncelle est l’instrument qui ressemble le plus à la voix humaine ; il peut rendre beaucoup plus que la tristesse et la mélanco-lie. Les Suites de Bach, qui sont pour la plupart écrites en

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mode majeur, comportent une bonne part d’enjouement, d’insouciance, et d’abandon extatique. Elles plongent leurs racines dans la danse — la plupart des mouvements sont en fait d’anciennes danses européennes — et les danseurs n’ont pas tardé à en tirer des chorégraphies. Mikhaïl Baryshnikov, Rudolf Noureyev, Mark Morris et le Cloud Gate Dance Th eatre de Taïwan, entre autres, ont tiré parti de leurs ryth-mes propulsifs.

Et elles se répandent. Le violoncelliste Yo-Yo Ma a produit six fi lms brefs qui font appel au jardinage, à l’architecture, au patinage artistique et au kabuki pour les illustrer. La star rock Sting a tourné un court métrage dans lequel il joue le premier prélude à la guitare pendant qu’un danseur de ballet italien traduit la mélodie en gestuelle. On les a entendues dans de nombreux fi lms, en particulier (hélas, d’une manière lugubre) dans plusieurs d’Ingmar Bergman, dans De l’autre côté du monde, Le Pianiste, ainsi que dans la série télévisée À la Maison-Blanche. On peut en entendre des extraits dans des compilations aussi variées que Classic FM Music for Studying, Bach for Babies et Tune Your Brain on Bach, pour ne rien dire de Bach for Barbecue. Une cantatrice a déclaré qu’elles étaient ce qu’elle préférait écouter en faisant la cui-sine. De courts extraits peuvent être téléchargés en guise de sonnerie de téléphone cellulaire.

Mais les Suites pour violoncelle ne sont pas tout à fait devenues populaires. Elles restent après tout de la musique « classique », et elles ont le parfum raffi né d’une œuvre pour connaisseurs. C’est précisément ainsi que les critiques les considéraient — « une chose pour connaisseurs » — lorsque les enregistrements pionniers de Casals ont été rendus publics pour la première fois au début des années quarante. « Elles sont fraîches et pures et sublimes, écrivait alors le critique du New York Times, exposées avec la simplicité caractéristique de tout art qui va au fond des choses. » Elles

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conservent leur statut d’œuvres sérieuses, grâce à des articles de haute volée intellectuelle qui laissent entendre qu’elles « représentent une sorte de sommet de la création musicale occidentale » ou qu’elles « ont une pureté et une intensité qui s’approche de l’art japonais tout en restant plus accessibles à des oreilles occidentales ».

L’idée d’écrire sur les Suites de Bach un livre qui ne s’adres-serait pas aux connaisseurs de musique classique m’est venue lorsque j’en ai entendu trois pour la première fois lors de ce récital de Laurence Lesser à Toronto. C’était une idée vague, mais je sentais bien qu’il y avait là une histoire, cachée quelque part, et j’ai décidé de suivre les notes à la trace.

Depuis, je les ai entendues sur la Costa Dorada espagnole, dans la villa même de Casals, transformée en un merveilleux musée à la mémoire du violoncelliste. J’ai écouté une jeune interprète allemande les jouer dans un entrepôt, à Leipzig, non loin de la tombe de Bach. Matt Haimovitz, qui fut un enfant prodige, en a proposé un compte rendu exubérant dans un bar-restaurant routier des collines de Gatineau, au nord d’Ottawa. J’ai suivi une leçon de maître donnée par l’éminent violoncelliste hollandais Anner Bylsma à un camp musical perché sur les rives du Saint-Laurent. J’étais au Lincoln Center lors de l’exécution marathon des six suites par Pieter Wispelwey, et à un colloque, à Manhattan, sur Bach au xxie, au cours duquel elles furent superbement exécutées sur un marimba (marimBach !). Dans une tour d’habitation de la banlieue de Bruxelles, j’ai entendu un violoniste russe émigré les jouer sur un intrigant violon à cinq cordes de sa fabrication, dont il était convaincu qu’il était le mystérieux instrument perdu pour lequel Bach les aurait réellement composées.

Les disques compacts se sont accumulés — de l’Ancien Testament des enregistrements de Casals au cours des années trente aux disques élégamment présentés des der-nières années, qui vont d’approches « authentiques » de

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la musique ancienne à des transcriptions pour divers ins-truments, à des exécutions jazzifi ées ou associées à de la musique traditionnelle d’Afrique occidentale. En , trois siècles après leur composition, les Suites pour violoncelle ont atteint la première position au palmarès classique d’iTunes dans un enregistrement de Rostropovitch. (Bach semblait en imposer à la génération iPod ce mois-là : une autre version des Suites fi gurait dans les vingt premières places de ce pal-marès, ainsi que trois de ses autres œuvres.)

À ce moment-là, cette œuvre était déjà devenue une histoire pour moi. Et il me semblait tout à fait naturel que cette histoire se moule sur sa structure. Les six Suites pour violoncelle comportent chacune six mouvements ; elles com-mencent par un prélude et s’achèvent par une gigue. Entre les deux interviennent d’anciennes danses de cour — une allemande, une courante et une sarabande —, après les-quelles Bach insère une danse plus « moderne » : menuet, bourrée ou gavotte. Dans les pages qui suivent, Bach occu-pera les deux ou trois premiers mouvements de chaque suite. Les danses subséquentes seront consacrées à Pablo Casals. Et les gigues qui ferment chaque suite seront réser-vées à une histoire plus récente, celle de ma quête.

Si j’ai suivi à la trace si longtemps les Suites pour violon-celle, c’est parce qu’il y a tant de choses à y écouter. Elles peuvent bien appartenir à un genre baroque, mais elles ont plusieurs personnalités et comportent plusieurs change-ments d’atmosphère. J’y entends des mélodies paysannes un peu cabotines et du minimalisme postmoderne, des lamentations spirituelles et des riff s heavy metal, des gigues médiévales et des trames sonores de fi lms d’espionnage. La meilleure expérience pour la plupart des auditeurs pourrait ressembler à la mienne lorsque je les ai entendues pour la première fois, sans idées préconçues. Mais enchaînez les notes, et une histoire prend forme.

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ALLEMANDE

Les élégantes allemandes dans les Suites pour violoncelle, toutes précédées par un prélude dramatique, ont été décrites comme des pièces lentes et méditatives d’une grande beauté.

Oxford Composer Companions : J. S. Bach

Pour reconstituer l’histoire des Suites pour violon celle, il faut qu’on fasse connaissance avec leur compositeur.

Et pour une personne née au cours du dernier demi-siècle, se familiariser avec Jean-Sébastien Bach — vraiment se fami-liariser —, cela signifi e entrer dans une autre forme d’art, dans une autre époque, dans un autre état d’esprit. Pour me lancer dans le baroque, je me suis mis à écouter une masse de musique de Bach, à courir les marchands de disque d’occasion pour me constituer une collection digne de ce nom, à lire tout ce qui se rapportait à Bach et pouvait me tomber sous la main, des comptes rendus du xviiie siècle aux magazines de musique classique sur papier glacé, et à fréquenter des concerts applaudis par un public grisonnant, qui étaient aux antipodes du circuit du rock.

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Je suis aussi devenu membre en bonne et due forme de l’American Bach Society. Le principal bénéfi ce consistait à recevoir de temps en temps le bulletin de l’ABS, orné du sceau personnel de Bach, avec ses initiales élégamment entrelacées, surmontées d’une couronne. Je parcourais les quelques pages qui annonçaient les dernières recherches savantes à la recherche d’indices sur les Suites pour violon-celle. C’était comme si j’avais été admis dans une société secrète. Quand j’étais à l’école secondaire au cours des années soixante-dix, alors que le choix musical paraissait devoir se faire entre les forces ennemies du disco et de l’ électro-rock défoncé, il semblait vaguement ésotérique d’être un fan des Rolling Stones. Depuis, ceux-ci sont devenus le groupe préféré de gens qui sont pratiquement de la même généra-tion que ma mère, mais les vrais fans des Stones n’étaient pas si nombreux alors. Deux décennies plus tard, il m’était à peu près impossible de trouver un compagnon d’enthousiasme pour Bach dans le cercle de mes relations.

Aussi, lorsque j’ai appris que l’American Bach Society tenait des colloques bisannuels et que le prochain aurait lieu pas très loin, à l’Université Rutgers au New Jersey, je me suis empressé de m’inscrire. Ayant fait mes devoirs sur les Suites pour violoncelle, je pouvais plus ou moins me présenter comme un vrai bachien et frayer avec les miens.

En avril , je me suis donc retrouvé sur les pelouses émeraude de l’Université de Princeton dans une volière de dévots de Bach, qui étaient presque tous des érudits et dont un nombre inquiétant portaient la barbe et un blazer sombre. Nous venions d’entendre une conférence pour très grosses têtes sur Bach et nous sortions d’un pavillon de l’Université, clignant des yeux dans le soleil tandis qu’une activité étudiante appelée « Carnaval de printemps » suivait bruyamment son cours. Il y avait de la peinture faciale, de la balle aki, du football, un barbecue, et un ensem-

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Les Suites pour violoncelle seulEn quête d’un chef-d’œuvre baroque

Traduit de l’anglais par Robert Melançon

Voici un livre hybride, qui tient autant de l’enquête policière que de la biographie, autant de l’histoire politique et artistique que de la quête personnelle. Aussi passionnant à lire qu’un bon roman, aussi instructif qu’un documentaire, aussi bouleversant qu’une lettre d’amour, il raconte l’histoire d’un chef-d’œuvre de la musique baroque : les Six suites pour violoncelle seul de Bach.

Vous êtes mélomane ? Ce livre est pour vous. Vous y retrouverez, enrichi de plusieurs anecdotes éclairantes, tout ce qui fait la richesse de ce monument musical de gravité et de recueillement.

Vous ne connaissez rien à la musique ? Ce livre est aussi pour vous. Avec l’auteur, vous vous initierez à la grande musique, vous suivrez les péripéties entourant la composition d’une œuvre qui, après des débuts modestes et incer-tains, force l’admiration de la postérité jusqu’à accéder au rang de monument.

De Weimar à Berlin, de Barcelone à Paris, en passant par Montréal, Leipzig, défi lent ainsi trois siècles d’histoire, marqués par les grandeurs et les vicissi-tudes de la vie familiale et professionnelle de Jean-Sébastien Bach, celles de la vie amoureuse du violoncelliste Pablo Casals, qui fi t connaître les Suites au monde entier, marqués aussi par les rivalités à la cour de Prusse, les bombes de la Guerre d’Espagne, les massacres de la Deuxième Guerre mondiale — autant de chemins menant à votre propre rencontre avec les Suites.

Énorme succès dans le monde anglophone, sur trois continents, traduit en une dizaine de langues, l’ouvrage a reçu le prix Mavis-Gallant et le McAuslan First Book Prize, et a été choisi Livre de l’année en 2010 par le magazine Th e Economist.

Eric Siblin a fait des études en histoire à l’Université Concordia, à Montréal, avant d’entreprendre une carrière de journaliste qui l’a conduit à travailler, notamment, à la section anglaise de la Presse canadienne (Montréal) et au quotidien The Gazette, où il a été critique de musique pop. Il a codirigé plusieurs documentaires pour la télévision et collaboré à divers magazines. Les Suites pour violoncelle

seul est son premier livre. Eric Siblin vit à Montréal.

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29,95 $

isbn 978-2-7621-3312-7