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L’apport des TIC à l’enseignement-apprentissage des langues étrangères, un regard critique – Erwan Morel. 2012 Si la didactique des langues a vu son paradigme de départ (transmission des connaisances verticales maître-élève) évoluer vers un champ des possibles complexifié à mesure que les théories de référence ont changé, l’apport récent des TIC vient lui aussi complexifier le paysage de l’enseignement-apprentissage des langues. En effet, la multiplicité des applications des TIC (de la simple recherche d’information, les tutoriels, l’ALAO, les chats à la visioconférence…), des outils existants et des utilisations possibles rendent la tâche difficile, en particulier pour l’enseignant qui souhaiterait s’y retrouver dans ce chaos ambiant. Il semble donc important en premier lieu de définir un cadre solide de réflexion et d’analyse afin de mieux appréhender la question au niveau épistémologique : quelles théories de référence peuvent être convoquées dans notre réflexion ? Quelle est la validité des hypothèses sous-tendues par ces théories ? À la réflexion épistémologique vient se greffer une réflexion technologique : que sont les TIC exactement ? Il nous faut restreindre notre définition au champ de l’enseignement-apprentissage des langues pour ne pas avoir le vertige : la simple (et complexe) utilisation d’Internet, des logiciels spécialisés visant à enrichir des supports déjà existants pour la classe en présentiel ainsi que des applications spécifiques pour monter une formation à distance (les plateformes du type moodle par exemple…). Revenons-en à l’enseignement des langues : ne faudrait-il pas avant de réfléchir sur l’apport des TIC faire référence (de manière non prescriptive, comme le CECR) à une méthodologie cohérente en didactique des langue ? Là encore, les applications sont complexes et ne sauraient se résumer à une série de maximes pédagogiques ; or il est possible de proposer un cadre méthodologique stable au-delà des contextes d’enseignement-apprentissage (priorités institutionnelles, profils et objectifs des apprenants, formation des professeurs…). Nous avons en effet abordé précédemment la possibilité d’une approche par les tâches (J-P Narcy Combes), située méthodologiquement dans la perspective actionnelle mais faisant intervenir de nombreuses théories en sciences humaines comme le socio-constructivisme, la psychologie cognitive ou encore les théories sur l’acquisition des LE. Nous avons vu l’intérêt de cette approche car elle permet d’intégrer les deux modes de production langagière : exemplar based system et ruled-based system, car constitue un moyen terme entre le tout linguistique et le tout sociolinguistique. En effet, la déclinaison des tâches à un niveau macro (la mise en œuvre d’actions réalistes) et à un niveau micro (ciblées sur l’entraînement en focalisant sur la/les form-s) facilite la prise en compte des besoins spécifiques de l’apprenant puisqu’elle dynamise son apprentissage en optimisant son investissement (réalisme de la tâche) et permet un travail individualisé, au niveau micro. Une utilisation pertinente des TIC avec une médiation efficace de l’enseignant en centre de

Erwan morel apport des tic à l'enseignement-apprentissage des langues

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Page 1: Erwan morel   apport des tic à l'enseignement-apprentissage des langues

L’apport des TIC à l’enseignement-apprentissage des langues étrangères, un regard critique – Erwan Morel. 2012

Si la didactique des langues a vu son paradigme de départ (transmission des connaisances verticales

maître-élève) évoluer vers un champ des possibles complexifié à mesure que les théories de

référence ont changé, l’apport récent des TIC vient lui aussi complexifier le paysage de

l’enseignement-apprentissage des langues. En effet, la multiplicité des applications des TIC (de la

simple recherche d’information, les tutoriels, l’ALAO, les chats à la visioconférence…), des outils

existants et des utilisations possibles rendent la tâche difficile, en particulier pour l’enseignant qui

souhaiterait s’y retrouver dans ce chaos ambiant.

Il semble donc important en premier lieu de définir un cadre solide de réflexion et d’analyse afin de

mieux appréhender la question au niveau épistémologique : quelles théories de référence peuvent

être convoquées dans notre réflexion ? Quelle est la validité des hypothèses sous-tendues par ces

théories ?

À la réflexion épistémologique vient se greffer une réflexion technologique : que sont les TIC

exactement ? Il nous faut restreindre notre définition au champ de l’enseignement-apprentissage des

langues pour ne pas avoir le vertige : la simple (et complexe) utilisation d’Internet, des logiciels

spécialisés visant à enrichir des supports déjà existants pour la classe en présentiel ainsi que des

applications spécifiques pour monter une formation à distance (les plateformes du type moodle par

exemple…).

Revenons-en à l’enseignement des langues : ne faudrait-il pas avant de réfléchir sur l’apport des

TIC faire référence (de manière non prescriptive, comme le CECR) à une méthodologie cohérente

en didactique des langue ? Là encore, les applications sont complexes et ne sauraient se résumer à

une série de maximes pédagogiques ; or il est possible de proposer un cadre méthodologique stable

au-delà des contextes d’enseignement-apprentissage (priorités institutionnelles, profils et objectifs

des apprenants, formation des professeurs…).

Nous avons en effet abordé précédemment la possibilité d’une approche par les tâches (J-P Narcy

Combes), située méthodologiquement dans la perspective actionnelle mais faisant intervenir de

nombreuses théories en sciences humaines comme le socio-constructivisme, la psychologie

cognitive ou encore les théories sur l’acquisition des LE. Nous avons vu l’intérêt de cette approche

car elle permet d’intégrer les deux modes de production langagière : exemplar based system et

ruled-based system, car constitue un moyen terme entre le tout linguistique et le tout

sociolinguistique. En effet, la déclinaison des tâches à un niveau macro (la mise en œuvre d’actions

réalistes) et à un niveau micro (ciblées sur l’entraînement en focalisant sur la/les form-s) facilite la

prise en compte des besoins spécifiques de l’apprenant puisqu’elle dynamise son apprentissage en

optimisant son investissement (réalisme de la tâche) et permet un travail individualisé, au niveau

micro. Une utilisation pertinente des TIC avec une médiation efficace de l’enseignant en centre de

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ressources1 par exemple donnera tout son sens à cette individualisation de l’apprentissage, tout en

conservant le réalisme social de la tâche.

Adopter un regard critique sur l’apport des TIC à l’enseignement des langues reviendra par

conséquent à adopter une attitude réflexive et analytique sur les relations complexes de chaque

membre (cf. la pensée complexe d’E.Morin) du triangle didactique. En effet, la médiation

technologique ne s’insérera pas de la même manière dans les relations didactiques si le modèle

choisi est celui de Houssaye, Legendre ou encore Engeström… Sous le triangle didactique choisi,

c’est la face cachée de l’iceberg qui serait pertinente de dévoiler : quelles relations transductives

sont à l’origine des interactions établies (relations interdépendantes entre langue, société, machine

par exemple) ? La présence de l’humain dans les dispositifs de formation médiatisés et à distance

semble susciter des débats animés entre les tenants d’une position plus humaine, à l’encontre des

TIC et une posture techniciste qui laisse peu de place à l’homme par rapport à la machine.

Ce débat illustre bien que l'enjeu n'est alors plus seulement technologique, informatif ou

communicatif (les « TIC »), mais relationnel. Il ne s'agit plus de transmettre des informations mais

de dynamiser des relations humaines qui sont déjà inhérentes à la formation créée par l’homme. Il

faudra donc s’assurer d’adopter un cadre de référence solide pour optimiser une utilisation

cohérente des TIC et dynamiser cette dimension humaine. Ce qui posera problème se situera

davantage au niveau de l’imprévisible ; mais cet aspect n’est pas la seule caractéristique des TIC,

c’est avant tout dans la perspective de l’émergentisme2 que s’inscrit l’apparition de nouveaux

besoins émanant des apprenants. L’imprévisible se situera peut-être au niveau de l’inadéquation

entre un parcours de formation proposé et les attentes des apprenants. Armando Rocha note par

exemple l’inadéquation entre des profils cognitifs et l’auto-apprentissage : en raison d'un manque

de confiance en soi, d'une difficulté chronique d'organisation du travail individuel, de vraie

incapacité d'étudier en situation d'isolement. Pour ce genre de profils, il devient absolument

indispensable de prévoir des mécanismes d'accompagnement individuel3. À l’instar d’A.Rocha,

Jean-Louis Weissberg s’intéresse à l'augmentation du coefficient charnel dans la communication à

distance et élabore des propositions didactiques dans le domaine de la FOAD (cf. la téléprésence)4 ;

ces exemples de réflexion nous montrent des postures méthodologiques fiables qui nous invitent à :

- identifier les caractéristiques concrètes du terrain, dans une perspective systémique (qui sont les

apprenants ? quels sont leur objectifs ? Quelles sont les possibilités offertes par l’institution ? Ses

contraintes ?, etc…).

- identifier avec pertinence les composantes d’un dispositif médiatisé, hybride ou à distance (cf.

triangle didactique : quel degré de complexité est rattaché aux interactions entre chaque médiation)

- repenser non seulement le rôle traditionnel de l’enseignant, mais également celui de l’apprenant, 1 Un des rôles de l’enseignant sera celui de développer la capacité de repérage (noticing) pendant que l’apprenant est exposé à de l’input en L2 lors des micro-tâches. Ce dernier est aussi amené à « dénativiser » et fixer des automatismes. 2 La sérendipité représente de façon analogue cet aspect imprévu, celui de naviguer à vue sur la toile par exemple. 3 http://rhrt.edel.univ-poitiers.fr/document.php?id=425 4 http://rhrt.edel.univ-poitiers.fr/document.php?id=429

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- prendre en compte l’importance de la recherche dans ce domaine (pour valider les hypothèses de

départ),

- transposer l’efficacité du modèle de l’approche par tâches au contexte d’utilisation des TIC pour

l’enseignement-apprentissage des langues,

- nous interroger dans quelle mesure les innovations technologiques optimisent la qualité de

l’output de l’apprenant (les exemples de la voix sur IP, etc…).

- considérer le potentiel des TIC en tant qu’accélérateur d’interactions et de médiations

(pédagogique, technologique, le suivi, le tutorat), en particulier en FOAD.

Pour conclure, il ne semble donc pas trop risqué d’avancer que dans le cadre d’une ingénierie de

formation complexifiée5 et cohérente répondant à un cahier des charges précis selon les besoins des

apprenants et intégrant une analyse fine de chaque pôle du triangle didactique initial, les TIC

peuvent être utilisées à bon escient afin de dynamiser des relations humaines (médiatisées, à

distance, mais aussi en présentiel) de qualité, enrichissantes pour l’apprenant de langue(s)

étrangère(s).

Bibliographie :

Françoise Demaizière, Jean-Paul Jean-Paul Narcy-Combes, Du positionnement épistémologique

aux données de terrain, Les Cahiers de l'Acedle, numéro 4, 2007

Jean-Claude Bertin, Jean-Paul Narcy-Combes, Patrick Gravé, Médiation, suivi et tutorat en ligne :

approche théorique, perspectives de recherche, Cahiers du Lairdil, n°14, 2008. Numéro spécial

intitulé: "Le suivi des apprenant/es par les systèmes numériques.

Jean-Paul Narcy-Combes Didactique des langues et TIC, vers une recherche-action responsable

Ophrys

Jean-Claude Bertin, Jean-Paul Narcy-Combes, Tutoring at a distance, Modelling as a tool to

control chaos.

5 C’est-à-dire d’une ergonomie didactique selon J-C Bertin BERTIN J-C. Eléments d’ergonomie didactique, Document de synthèse pour soutenir une Habilitation à Diriger des Recherches, décembre 2000, http://hal.inria.fr/docs/00/23/29/60/PDF/HDR_JC_Bertin.pdf