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Espace mathématique francophone 2018
22-26 oct. 2018Gennevilliers
France
SP2: Transitions dans l’enseignementdes mathématiques
2
Table des matières
SP2: Transitions dans l’enseignement des mathématiques 2
QUELLE INSTITUTIONNALISATION POUR UNE MEME SITUATION DEGEOMETRIE EN PRIMAIRE ET AU COLLEGE ?, Blanquart Henry - . . . . . 1
DES OUTILS POUR ANALYSER LA TRANSITION COLLÈGE-LYCÉE ENMATHÉMATIQUES, Horoks Julie [et al.] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
ENSEIGNER LES NOMBRES DECIMAUX ET LES FRACTIONS - TRANSI-TIONS (OU RUPTURES ?) PRIMAIRE-SECONDAIRE, Coulange Lalina [et al.] 12
L’enseignement de la géométrie dans la transition collège-lycée, Mrabet Slim . . . 20
FACTEURS DE COMPLEXITÉ DES MATHÉMATIQUES SUPÉRIEURES, Na-jar Ridha . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
1
QUELLE INSTITUTIONNALISATION POUR UNE MEME SITUATION DE
GEOMETRIE EN PRIMAIRE ET AU COLLEGE ?
BLANQUART-HENRY* Sylvie
Abstract – This paper begins with an observation of a same situation in a CM2 class and a 6° class. In a
second part, it analyzes reasoning product by pupils and the teacher during the institutionalization phase,
within the framework of the theory of didactical situations. The confrontation between analysis in the
elementary level and in the second level permits to identify difficulties the teachers meet. It also shows how
teachers manage the construction of meaning and knowledge.
Keywords: geometry, institutionalization, knowledge, reasoning.
I. INTRODUCTION ET PROBLEMATIQUE
Brousseau (1988) a mis en évidence le rôle essentiel du maître dans l’institutionnalisation
La réalisation effective de cette institutionnalisation est d’autant plus complexe que la situation
proposée aux élèves est ouverte. Des procédures d’élèves nombreuses riches, variées, qu’elles
soient justes ou erronées sont autant de choix à faire par l’enseignant. Quelle connaissance
retenir ? Quel raisonnement valoriser ? Margolinas (2004) souligne cette problématique et la
tension entre les processus de dévolution et d’institutionnalisation, associée à une incertitude
importante pour le professeur. Allard (2015) montre qu’en primaire il n’y a pas un mais « des »
processus d’institutionnalisations, dépendants de la notion traitée. En géométrie la tension entre
introduction de connaissances et exposition de connaissances décontextualisées est d’autant
plus forte que les possibles sont nombreux et variés. Les problèmes de géométrie en fin de
primaire ou début de collège consistent souvent en de nombreux allers et retours entre les
niveaux de géométrie G1 et G2 tels que définis par Houdement & Kuzniak (2006) avec une
grande diversité de niveaux de conceptualisation chez les élèves. L’enseignant doit
institutionnaliser des connaissances à partir de productions très diversifiées, en « jouant » entre
les niveaux de géométrie et en tenant compte de différents niveaux d’appréhension de la figure
par ses élèves. Ces difficultés de gestion de l’enseignant se retrouvent particulièrement à l’issue
des situations adidactiques ( Bloch, 2009). C’est ce qui motive notre problématique :
Par quels moyens l’enseignant, en situation didactique parvient-il à réunir les conditions
nécessaires à la réalisation de l’institutionnalisation des savoirs géométriques mobilisés
explicitement ou implicitement en situation adidactique ?
II. METHODOLOGIE
Pour répondre à notre problématique, dans notre mémoire de master (Henry, 2014) nous
analysons la mise en œuvre d’une même séquence de géométrie en cycle 3 dans deux classes :
une classe de CM1-CM2 et une de sixième. Cette séquence s’articule autour d’une situation de
communication, qui a pour enjeu la reproduction, par des récepteurs, d’une figure modèle
(losange découpé dans du papier) donnée aux émetteurs. Emetteurs et récepteurs échangent par
l’intermédiaire d’un message écrit qui ne comporte pas de tracés.
Le corpus recueilli pendant les séances observées comporte les productions d’élèves et
l’enregistrements vidéo de toutes les interventions des enseignants lors des phases didactiques
ainsi que les enregistrements des actions et échanges au sein de certains groupes d’élèves
pendant les phases adidactiques.
* Laboratoire de Didactique André Revuz – France – [email protected]
2 sciencesconf.org:emf2018:217952
EMF2018 – SPE2 2
Nous utilisons le cadre de la Théorie des Situations Didactiques (Brousseau, 1998), afin
d’expliciter les situations didactiques et adidactiques qui structurent le déroulement de la
séquence. Le modèle d’analyse des raisonnements défini par Bloch et Gibel (2011) qui
conjugue trois axes d’analyse : les fonctions des raisonnements en lien avec les niveaux de
milieu ; les signes et représentations observables et l’actualisation du répertoire didactique
(Gibel, 2015) nous permet d’analyser les raisonnements produits par les élèves et les
enseignants lors de la mise en commun. Nous observons plus particulièrement, dans les
interventions des enseignants, quels liens ils établissent avec les situations objectives, de
référence et d’apprentissage pour institutionnaliser des savoirs. Nous cherchons à différencier
ces interventions des apports qui sont faits sans lien avec ces situations.
III. RESULTATS ET CONCLUSIONS
Cette recherche permet d’identifier des similitudes et des différences dans les choix effectués
par les enseignants. Tous deux conduisent les élèves à faire évoluer des messages erronés.
Les réécritures successives aboutissent à la production collective d’un message idoine. Dans
les deux classes, les connaissances institutionnalisées tiennent compte des productions des
élèves mais les savoirs institutionnalisés et les moyens mis en œuvre pour faire évoluer les
messages produits sont différents. L’enseignant de primaire s’emploie à travailler la forme des
messages produits et focalise l’attention des élèves sur l’emploi d’un lexique géométrique
adéquat. En collège l’accent est mis sur les informations mathématiques délivrées par les
messages. Pour cela l’enseignant de collège autorise temporairement des formulations
partiellement erronées ou incomplètes d’un point de vue mathématique. Quand cela est
nécessaire, il interprète les messages de façon totalement objective, c’est-à-dire sans tenir
compte de certains éléments implicites. Ces premiers éléments méritent une exploration
complémentaire actuellement en cours.
REFERENCES
Allard, C. (2015). Étude du processus d’institutionnalisation dans les pratiques de fin d’école
primaire, le cas des fractions. Thèse. Université Paris-Diderot.
Bloch, I. (2009). Les interactions mathématiques entre professeurs et élèves. Comment
travailler leur pertinence en formation ? Petit x, 81, 25-52.
Bloch, I. & Gibel, P. (2011). Un modèle d'analyse des raisonnements dans les situations
didactiques : étude des niveaux de preuves dans une situation d'enseignement de la notion
de limite. Recherche en Didactique des Mathématiques, (31/2), 191-228.
Brousseau G. (1988) Les différents rôles du maître. Bulletin AMQ, 14-23.
Brousseau, G. (1998). Théorie des situations didactiques. Grenoble, France : La Pensée
Sauvage.
Gibel P. (2015), Mise en œuvre d’un modèle d’analyse des raisonnements en classe de
mathématiques à l’école primaire, Éducation et Didactique. Presses Universitaires de
Rennes. 9-2, 51-72.
Houdement, C. & Kuzniak, A.(2006). Paradigmes géométriques et enseignement de
lagéométrie. (I. d. Strasbourg, Éd.) Annales de didactique et de sciences cognitives, 11, 175-
193.
Henry, S. (2014). Analyse didactique d'une situation de géométrie plane. Mémoire de Master.
Pratiques et Ingénierie de la formation, Innovation didactique et conseil en formation, ESPE
d'Aquitaine Université de Bordeaux
Margolinas, C. (2004). Points de vue de l'élève et du professeur. Essai de développement de la
Théorie des Situations Didactiques. Université de Provence
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DES OUTILS POUR ANALYSER LA TRANSITION COLLÈGE-LYCÉE EN MATHÉMATIQUES
CHESNAIS* Aurélie (auteur1) – HOROKS** Julie (auteur2)
Résumé – Nous questionnons les pratiques enseignantes dans l’enseignement d’une même notion mathématique en classes de 3e et 2nde pour comprendre les difficultés des élèves dans la transition entre ces deux classes. Pour cela, nous présentons nos outils d’analyse des contenus, que nous illustrons sur la résolution de problèmes liés à la représentation graphique de fonctions, pour anticiper des différences de pratiques chez les enseignants des deux niveaux.
Mots-clefs : pratiques, activités, transition, registres, fonctions,
Abstract – We analyze teaching practices related to the same mathematical topic, in grades 9 and 10, to understand the possible difficulties for students in the transition between these two classes. To this end, we present our tools to analyze mathematical contents and tasks, which we illustrate on a task involving the graphical representation of functions, and try to anticipate some differences among practices of the teachers at both levels.
Keywords: practices, activity, transition, register, functions
Notre questionnement porte sur l’étude des difficultés des élèves en mathématiques dans la
transition, en France, entre le collège (élèves de 12 à 15 ans quatre niveaux de classes, le dernier étant la classe de 3e) et le lycée (élèves de 15 à 18 ans, trois niveaux, le premier étant la classe de 2nde) dans l’enseignement des mathématiques.
I. LA TRANSITION COLLEGE-LYCEE : UN MOMENT CLE POUR REVELER LES DIFFICULTES DES ELEVES
1. Notre constat de départ
Notre étude repose sur un constat de départ : les difficultés d’élèves de classe de 2nde (15-16 ans) à résoudre certaines tâches sur les fonctions impliquant le registre graphique, alors même que, selon les programmes scolaires actuels en France, ces tâches peuvent être traitées dès la classe de 3e. Nous interrogeons alors l’enseignement de cette même notion de part et d’autre de la transition, pour essayer de comprendre les écarts possibles et éventuels malentendus pour les élèves.
Ainsi, lors d’une réunion d’un groupe d’enseignants de 3e et de 2nde il y a quelques années, une vive discussion avait été engagée autour des difficultés des élèves des deux niveaux à résoudre un même type de tâche : dire si, une fonction étant donnée par sa formule algébrique, un point de coordonnées données appartenait ou non à la courbe représentative de la fonction. Les enseignants de 3e alors présents considéraient que cette tâche était très difficile pour leurs élèves, tandis que ceux de 2nde la considéraient comme une tâche a priori simple et qui aurait dû être familière pour leurs élèves, mais qui pourtant leur posait généralement problème. Pourquoi ces difficultés pour les élèves, au collège comme au lycée ? Quels éléments, dans la transition 3e / 2nde, pour expliquer les différences d’attentes des enseignants des deux niveaux ?
* Laboratoire LIRDEF – France – [email protected] ** Laboratoire de Didactique André Revuz – France – [email protected]
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Cette tâche en effet correspond aux attendus des programmes scolaires des deux niveaux, et on la trouve dans les manuels de 3e et de 2nde, mais elle n’est vraisemblablement pas considérée comme complexe en 2nde : elle n’apparaît souvent que de manière relativement « anecdotique », comme application directe de la définition de la courbe représentative d’une fonction. Ainsi, par exemple, dans le manuel Indice 2nde (2009) (p. 37)1 à la question « f est la fonction définie sur [0 ;3] par f(x)=x²-x-2. […] le point A(2,25 ; 0,81) est-il un point de [la courbe représentative de f] ? », la réponse corrigée est uniquement : « On a f(2,25)=0,8125 ; or 0,8125 ≠0,81. Le point A n’appartient donc pas à la courbe. » Notons que le manuel précise dans une bulle : « pour vérifier si le point de coordonnées (a ;b) appartient à la courbe, on compare b et f(a). ».
Les moments de transition dans l’enseignement des mathématiques ont déjà été pointés par la recherche comme des moments de rupture, à la fois révélateurs et aggravateurs des difficultés des élèves. Leur étude a pour nous l’objectif de mieux comprendre ces écarts, en questionnant des différences entre les deux niveaux, pour aider les élèves et leurs enseignants à mieux appréhender ces passages. L’analyse des manuels scolaires, et de leur utilisation par les enseignants, est un moyen de déceler certains de ces écarts éventuels.
2. Des pratiques enseignantes différentes de part et d’autre de la transition ?
Nous faisons l’hypothèse, confortée par le cas de la discussion reportée plus haut, que les pratiques des enseignants ne sont pas les mêmes de part et d’autre de ces transitions, mais que ces différences sont ignorées par tous, ou du moins minorées, et, par manque de communication, peu prises en compte dans l’enseignement, bien que ces enseignants aient eu, en France, un recrutement et une formation initiale identiques.
Nos hypothèses sur les apprentissages des élèves guident notre regard sur les pratiques. En nous appuyant sur la théorie de l’activité, élargie au champ de la didactique des mathématiques (Vandebrouck, 2016), nous considérons que les apprentissages des élèves se font, au moins en grande partie, à travers leurs activités mathématiques (c’est-à-dire tout ce que les élèves font, disent, écrivent, pensent…), elles-mêmes provoquées par les tâches proposées par les enseignants, et par les choix d’organisation de la résolution de ces tâches en classe.
Ces activités ne résultent cependant pas uniquement des intentions de faire apprendre les mathématiques aux élèves, mais sont aussi contraintes par d’autres dimensions du métier d’enseignant. Nous analysons les pratiques enseignantes dans le cadre de la Double Approche didactique et ergonomique des pratiques (Robert & Rogalski, 2002) qui distingue leurs différentes composantes. Ainsi, pour caractériser les pratiques nous prenons en compte non seulement les tâches proposées, et la gestion de leur déroulement en classe (composantes cognitive et médiative des pratiques) mais aussi des composantes externes aux contenus mathématiques, et qui relèvent du public concerné (composante sociale), de l’expérience de l’enseignant (composante personnelle) ou des programmes et instructions officielles (composante institutionnelle).
Pour le problème de transition qui nous intéresse, il est probable que la composante institutionnelle joue un rôle non négligeable, à travers les instructions officielles et en particulier leurs interprétations dans les ressources à la disposition des enseignants. En ce qui concerne le public d’élèves, une orientation est opérée entre la classe de 3e et la classe de 2nde générale, et les élèves les plus en difficulté peuvent être amenés à suivre une autre filière, ce
1 Manuel de l’élève 2nde collection Indice, Gauthier R. & Poncy, M. (2009), éditions Bordas
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qui amène peut-être les enseignants à penser que les élèves de 2nde générale ont un bon niveau en mathématiques, qui est une matière sélective pour les élèves français. Tout cela a une influence potentielle sur ce que les enseignants choisissent pour leur classe, et donc sur les activités mathématiques qui peuvent en découler pour leurs élèves.
Pour approcher au plus près ces activités, aux deux niveaux de classe concernés, nous cherchons de quelle façon les notions mathématiques y sont mobilisées, et avons besoin pour cela de mettre en relief les spécificités des contenus mathématiques sous-jacents, pour mieux anticiper les obstacles possibles pour les élèves, et la façon dont les enseignants les prennent ou non en charge.
II. AU CENTRE DE NOS ANALYSES DE LA TRANSITION : LES ACTIVITES MATHEMATIQUES POSSIBLES DES ELEVES
Pour un même contenu mathématique au programme de part et d’autre de la transition, nous nous demandons si les notions proposées sont identiques a priori pour chacune des deux classes, à travers une analyse épistémologique, institutionnelle et didactique des contenus. Nous interrogeons les niveaux de conceptualisation attendus des élèves à chaque niveau, constitués, d’après Robert (2003), par des fondements, explicites ou non, des définitions et théorèmes, modes de raisonnement, démarches, avec un certain niveau de rigueur, et les problèmes que cela permet de résoudre.
Nous présentons dans cette partie nos outils d’analyse des contenus et des tâches. Nous les illustrons sur le thème des fonctions du 1er degré, et plus particulièrement de la résolution de problèmes mettant en jeu leur représentation graphique.
1. Dans les programmes scolaires
Les programmes scolaires nationaux, obligatoires pour toutes les classes de l’enseignement général, nous renseignent en partie sur des potentielles différences dans les contenus enseignés.
Dans les deux cas, en 3e comme en 2nde, le thème des fonctions apparaît en premier dans les programmes2 et on trouve à la fois l’apprentissage de généralités sur les fonctions (image, antécédent) et l’étude spécifique des fonctions du 1er degré (les seules évoquées en 3e). En 2nde se rajoutent donc d’autres types de fonctions (degré 2 ou homographiques) ainsi que plusieurs définitions et propriétés nouvelles relatives aux fonctions (domaine de définition, sens de variation), amenant par conséquent de nouveaux types de tâches. La définition de fonction n’est pas au programme de 3e, et elle y est présentée comme un processus de correspondance, laissant de côté les idées de dépendance ou de covariation des deux grandeurs en jeu (cf. René de Cotret, 1988).
Pour le type de problème qui nous intéresse, si l’ancien programme de 3e, en place jusqu’en 2015, mentionnait explicitement dans les capacités attendues : « Connaître et utiliser la relation y=ax + b entre les coordonnées (x,y) d’un point M qui est caractéristique de son appartenance à la droite représentative de la fonction linéaire xàax+b. », le programme en vigueur depuis 2016 mentionne uniquement le fait que les élèves « En 3e, […] font le lien entre forme algébrique et représentation graphique [d’une fonction]. » En 2nde, la notion de « courbe représentative » d’une fonction est mentionnée, avec la précision qu’il faut « […]
2 Pour le cycle 4, incluant la classe de 3ème : http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=94717 Pour la 2nde : http://cache.media.education.gouv.fr/file/30/52/3/programme_mathematiques_seconde_65523.pdf
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apprendre aux élèves à distinguer la courbe représentative d’une fonction des dessins obtenus avec un traceur de courbe ou comme représentation de quelques données. », mais la caractérisation des points de la courbe par une relation de dépendance entre leurs coordonnées n’est pas mentionnée, et cela reste peu explicite en termes de types de tâches associés. Par ailleurs, compte tenu de l’absence de quantification constatée dans l’exposé des propriétés mathématiques relatives à cette courbe représentative dans les manuels de 3e, et du fait que l’équivalence entre le fait d’appartenir à la courbe représentative de la fonction f, et celui d’avoir des coordonnées (x ;y) reliées par la relation y=f(x) n’est peut-être pas étudiée « dans les deux sens » dans toutes les classes, nous pouvons faire l’hypothèse que cette équivalence entre est rarement comprise par les élèves, et donc difficilement mobilisable dans les deux sens (des coordonnées du point vers son appartenance à la courbe et réciproquement) pour résoudre des tâches telles que celle exposée plus haut. Il y a probablement une difficulté à percevoir qu’un point de la courbe représentative d’une fonction porte plusieurs informations : ses deux coordonnées mais aussi la relation de co-variation qui existe entre les deux.
En revanche, dans le domaine « géométrie », les programmes mentionnent la notion d’équation de droite, dont on peut penser qu’elle est précisément associée à la capacité à dire si un point appartient à une droite ou non. Le lien avec les fonctions affines est aussi explicitement indiqué : « Droite comme courbe représentative d’une fonction affine. » Il semblerait donc que le type de tâche qui nous intéresse peut légitimement être traité en 3e et en 2nde, mais que le degré de précision des programmes ne permet pas d’assurer qu’il le soit, ni de quelle manière. La question est particulièrement vive en 2nde où il existe une grande variété d’organisations possibles d’une progression entre les contenus relevant des généralités sur les fonctions, des fonctions affines et des équations de droites (Cerclé et al., op. cité).
De manière générale, la question de la prise en compte, en 2nde, des connaissances plus anciennes intervenant dans les activités mathématiques mettant en jeu une notion nous paraît importante, ainsi que la reprise ou non de ces acquis, qui n’en sont peut-être pas, par les enseignants.
2. Caractéristiques de la notion de fonction
Pour comprendre ce que pourraient être les activités des élèves sur les fonctions du 1er degré et leur représentation graphique dans ces deux classes, nous étudions les caractères outil et objet de cette notion, au sens de Douady (1992).
Du côté objet, la fonction n’est pas définie formellement en 3e, mais on peut noter l’apprentissage d’un vocabulaire et d’un formalisme, et ce dans les différents registres de représentations possibles des fonctions. La question des registres de représentations sémiotiques (Duval, 1993) est fondamentale ici pour appréhender le concept de fonction, qui se décline dans plusieurs registres dès la classe de 3e (voire avant) : algébrique (formule de la fonction), graphique (courbe représentative), numérique (programme de calcul, tableau de valeurs), fonctionnel (avec des notations propres aux familles de fonctions) entre autres. Chacun de ces registres rend explicites certaines des propriétés de l’objet représenté, avec des traitements plus ou moins coûteux, un formalisme et un vocabulaire spécifiques, dont la congruence, pour passer d’un registre à l’autre, ne va pas de soi (par exemple : « la fonction f est positive » et « la courbe représentative de f est au-dessus de l’axe des x »). Si on considère plus spécifiquement les droites représentatives de fonctions linéaires ou affines, il est pertinent de mentionner aussi le registre géométrique, dans lequel les droites ont des propriétés qui s’expriment encore différemment (position relative de deux droites, droites sécantes, perpendiculaires ou parallèles), et un registre analytique dans lequel les équations de
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droite rajoutent encore une nouvelle façon d’exprimer la fonction sous-jacente, ce qui n’est vraisemblablement pas clair pour les élèves (Cerclé et al, 2015).
Une autre dimension importante, pointée par Vandebrouck (2016), est l’articulation des différentes perspectives, c’est-à-dire les points de vue spécifiques adoptés dans le travail sur les fonctions, associées ici principalement à leurs propriétés ponctuelles et globales. La perspective ponctuelle, point par point, s’accompagne en particulier de la question de quantification qui l’accompagne, peu présente avant l’entrée au lycée, ce qui n’amène peut-être pas le lien avec la perspective globale. La question du statut de x est attachée aussi au travail entre ponctuel et global, tantôt nombre généralisé, tantôt variable, ou encore inconnue lorsqu’on cherche un point particulier sur une courbe.
Pour donner du sens au concept de fonction, le fait de pouvoir être amené à considérer cet objet dans sa globalité nous paraît pourtant être souhaitable. Or les occasions de le faire ne nous paraissent pas nombreuses (recherche d’extremum, passage de la courbe à la formule, appui sur les propriétés des familles de fonctions, opérations sur les fonctions) et a priori absentes des programmes de 3e. Nous questionnons alors le moyen de donner des raisons d’être aux fonctions et à leur représentation graphique au collège, autrement que comme objets d’étude, dans des tâches où des outils issus de connaissances mathématiques préalables (algèbre, lecture graphique, proportionnalité, programmes de calcul) semblent suffisants pour résoudre.
Du côté outil par conséquent, nous nous demandons quels types de problèmes peuvent motiver l’introduction des fonctions et de leur courbe représentative, rendant d’autres procédures de résolution inefficaces. En dehors des problèmes d’optimisation, qui supposent un travail sur les variations de la fonction, il y a peu d’occasions d’en ressentir le besoin, ce qui laisse présager un manque d’activités de découverte réelle des fonctions.
Quelle est la variété et la complexité des tâches proposées aux élèves des deux niveaux ? Quels y sont les registres et les perspectives privilégiés ? Avec quelle articulation, et quelles initiatives pour les élèves ?
3. Les tâches
Nos outils pour analyser les tâches permettent de les catégoriser suivant plusieurs dimensions :
- les différentes connaissances mathématiques qu’elles font mobiliser dans leur résolution (et donc qu’elles font apprendre selon nous), donc ici les propriétés des fonctions ;
- la complexité de cette mobilisation, ou niveaux de fonctionnement (Robert, 1998), suivant que celle-ci se fait en appliquant directement une connaissance mathématique déjà abordée (par exemple, tracer la courbe représentative d’une fonction, en mettant en œuvre une méthode déjà automatisée : remplacer x par des valeurs successives et calculer ainsi les coordonnées d’un certains nombres de points), ou, à l’opposé, nécessite une prise d’initiative pour reconnaître la connaissance à utiliser, et à faire des choix dans son application, que ce soit dans les étapes de la méthode de résolution (choisir les axes et leur graduation pour représenter la fonction), le registre pour la représenter (faire le choix de tracer la courbe représentative d’une fonction pour en chercher un extremum, plutôt que de n’utiliser qu’un tableau de valeurs), ou encore les autres notions à mobiliser conjointement (par exemple la résolution algébrique d’équations pour trouver des valeurs particulières de la fonction).
Pour une même connaissance mathématique à mobiliser, on pourrait donc trouver les mêmes tâches (dans les manuels, dans les classes) en 3e et en 2nde, ou des tâches apparemment
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similaires mais avec des adaptations différentes (en particulier en ce qui concerne l'articulation des registres, à la charge ou non des élèves), ou bien encore des tâches dont les énoncés sont très différents mêmes s'ils amènent à mobiliser les mêmes connaissances (par exemple suivant qu’est rendu plus ou moins visible dans l’énoncé le fait d’avoir recours aux fonctions pour résoudre la tâche).
Ainsi pour la tâche qui nous intéresse, il nous faut noter des points potentiellement délicats pour les élèves :
- En terme de perspective, on travaille ici sur du ponctuel, même si on questionne l’appartenance à une courbe, qui donne à voir un aspect global de la fonction, avec une équivalence pour tout point M de coordonnées (x;y) (y=f(x) si et seulement si M appartient à la courbe représentative de la fonction f). Cette articulation entre les deux perspectives, nécessaire pour résoudre la tâche, est probablement peu explicite pour les élèves.
- Le fait de poser la question dans le registre graphique, faisant référence à la notion géométrique d’appartenance d’un point à une courbe / une droite, appelant une réponse dans le registre graphique aussi (le point de coordonnées données appartient-il à la courbe ?), ne donne pas d’indication sur le passage obligé par le registre algébrique pour résoudre (le registre graphique seul n’offrant a priori pas une précision suffisante pour y répondre). Le changement de registre n’est a priori pas indiqué, bien qu’il puisse être devenu « automatique » si la tâche a été répétée de nombreuses fois. Mais les élèves de 3e sont-ils confrontés souvent à une telle adaptation, avec un niveau de fonctionnement relativement élevé, puisqu’il leur faut choisir, sans indication, le registre le plus approprié ?
4. Les activités possibles des élèves
Les activités mathématiques possibles des élèves en classe sont déterminées non seulement par les énoncés des tâches choisies par les enseignants, mais aussi par les déroulements associés, pendant lesquels les interventions des enseignants peuvent modifier les tâches prescrites, et probablement changer la nature des adaptations qu’elles supposaient a priori, selon le temps et les initiatives laissées aux élèves pour y travailler. Quelle est alors l’influence des contraintes institutionnelles (temps, programme) et de ce que l’enseignant pense que les élèves savent déjà, dans le fait de choisir de leur laisser ou non des initiatives ?
La quantité totale de tâches différentes possibles mobilisant les plus ou moins nombreuses connaissances mathématiques visées, semble beaucoup plus grande en 2nde qu’en 3e, si on étudie les manuels de chaque niveau. Cela nous amène à interroger la possibilité ou non de travailler chacune de manière répétée dans le cadre des horaires alloués à leur enseignement. On peut penser que le fait de proposer ou non des tâches répétitives aux élèves a une influence sur leur capacité à réussir ces tâches à nouveau par la suite, même si une automatisation de certaines tâches n’est pas forcément bénéfique (cf. par exemple Butlen, 2003, en calcul mental ou Dumail 2007 sur la racine carrée).
Qu'est-ce qui est alors proposé aux élèves pour à la fois relier ce grand nombre de tâches (entre elles et par rapport au cours) et pour tirer parti de chaque tâche traitée un petit nombre de fois pour généraliser ? Cela pose la question des proximités organisées par l’enseignant (Robert & Vandebrouck, 2010) entre le général (les éléments du cours, ici les propriétés des fonctions dans leurs différentes représentations) et le contextualisé (la mobilisation de ces propriétés déjà institutionnalisées, ou leur découverte, dans les tâches proposées), que ce soit dans les moments de cours ou dans les moments de résolution d’exercices. Cela pose aussi la question des initiatives éventuellement laissées aux élèves dans ces différents moments.
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Cela pose enfin la question de ce qui est évalué par les enseignants, entre les objets du cours et les exercices associés, où les notions visées sont outils ou bien objets. En particulier quelle est la représentativité des tâches de l’évaluation par rapport à celles vues en classe auparavant, sachant que l’écart peut être plus ou moins grand suivant les enseignants (cf. Horoks 2006, Horoks & Pilet, à paraître). La question se pose d’autant que le nombre de types de tâches possibles est plus grand. Ainsi, si les évaluations sont révélatrices des difficultés des élèves, des différences potentielles dans les pratiques évaluatives des enseignants des deux niveaux seraient aussi responsables de ces difficultés.
III. EN CONCLUSION : DES PISTES METHODOLOGIQUES POUR DEBUSQUER DES ECARTS ENTRE 3E ET 2NDE
Les outils que nous avons utilisés pour analyser les contenus mathématiques relatifs aux fonctions, et leur enseignement de part et d’autre de la transition collège-lycée nous paraissent donc tout à fait pertinents pour anticiper, comprendre et interpréter certaines difficultés des élèves, dans la résolution de tâches mobilisant les fonctions et leur représentation graphique. Ces outils nous permettent aussi de porter un regard plus précis sur les pratiques des enseignants des deux niveaux, et de pointer des différences éventuelles dans les choix de tâches et de déroulement (adaptations non rencontrées par les élèves ou pas à leur charge lors de la résolution en classe) et le discours de l’enseignant (existence d’implicites dans les liens entre registres des fonctions ou entre les tâches et les propriétés qu’elles mobilisent).
Pour la suite de notre étude, nous projetons, compte tenu des points soulevés, d’analyser :
- Des manuels de 3e et 2nde, dans les chapitres relatifs à la représentation graphique de fonctions du 1er degré, avec pour objectif de repérer les niveaux de mise en fonctionnement des connaissances mobilisées dans les exercices, et plus particulièrement les adaptations relatives aux registres de représentation des fonctions et équations de droites, et les occasions de rencontrer le concept de fonction dans une perspective globale, pour analyser les activités possibles offertes aux élèves des deux niveaux ;
- Des séances en classe, et en particulier des moments de résolution de tâches avec des choix à faire en ce qui concerne les registres, pour voir quelles initiatives sont laissées aux élèves, et quel discours est tenu sur les objets de savoirs étudiés, en lien avec les activités mathématiques des élèves.
Le recueil de données et les analyses sont en cours et les résultats en seront ajoutés au texte pour la conférence.
REFERENCES
Butlen, D., & Charles-Pézard, M. (2007). Conceptualisation en mathématiques et élèves en difficulté. Le calcul mental, entre sens et technique. Grand N, 79. 7-32
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ENSEIGNER LES NOMBRES DECIMAUX ET LES FRACTIONS
TRANSITIONS (OU RUPTURES ?) PRIMAIRE-SECONDAIRE
COULANGE* Lalina – TRAIN
** Grégory
Résumé – Ce texte se veut une synthèse de résultats de nos recherches actuelles sur l’enseignement et
l’apprentissage des décimaux et des fractions dans la transition école collège. Nous abordons des aspects
liés aux différents registres de représentations sémiotiques de ces nombres, qui nous semblent des points
importants à considérer pour mieux appréhender leur enseignement dans le contexte d’une telle transition.
Mots-clefs : fractions, décimaux, transition (primaire-secondaire), représentations, désignations
Abstract –We synthetize the results of our current research on the teaching and learning of decimal
numbers and fractions in the school transition from primary to secondary. We will focus on aspects
related to the different registers of semiotic representations related to these numbers. From our viewpoint,
these aspects seem to be important in such a school transition.
Keywords: fractions, decimal numbers, transition (primary-secondary), representations, designations
Nous étudions depuis plusieurs années, des phénomènes didactiques liés à l’enseignement et à
l’apprentissage des nombres décimaux et des fractions dans la transition primaire-secondaire
en prenant appui sur des observations faites sur la durée dans un Lieu d’éducation Associé,
l’école primaire Carle Vernet, située dans un quartier prioritaire1 de la ville de Bordeaux et
dans différents collèges. Nous adoptons une perspective langagière, sémiolinguistique dans
l’étude de ces phénomènes didactiques. Nous nous intéressons tout particulièrement aux
registres de représentation sémiotique (à la fois discursif, symbolique, iconique…) des
décimaux et des fractions (Duval 1993, 1995) et à leur(s) rôle(s) au sein des situations
d’enseignement et d’apprentissage que nous observons ou co-construisons dans ce contexte.
Nous commencerons par présenter les éléments de ce cadrage théorique, puis nous
présenterons une synthèse des résultats de nos recherches, en centrant notre propos sur ce qui
nous semble éclairer des questions plus spécifiques de la transition école-collège, qu’il
s’agisse de potentielles continuités ou ruptures relativement aux savoirs à enseigner,
enseignés ou appris sur les nombres décimaux et les fractions.
I. ENSEIGNEMENT DES NOMBRES DECIMAUX A L’ECOLE ET AU COLLEGE
1. Registres de représentation sémiotique des nombres décimaux
Dans l’enseignement des nombres décimaux, différents registres de représentation sémiotique
sont potentiellement à l’œuvre, à la fois :
- symboliques : les écritures fractionnaires2 notamment celles du type
; les
écritures décimales et les sommes associées à ces écritures
- discursifs : faisant intervenir ce que Chambris (2008) ou Tempier (2013) appellent des
unités de numération, dixième, centième et millième.
- mixtes : à l’œuvre par exemple dans des écritures du type 1 unité + 3 dixièmes + 2 centièmes
ou dans des tableaux de numération
- matériels ou iconiques : comme un carré constitué de 100 carreaux dont 25 sont grisés.
* Lab-E3D, Université de Bordeaux - France – [email protected]
** Lab-E3D, Université de Bordeaux - France – [email protected]
1 Les élèves de cette école sont majoritairement issus de milieux socio-défavorisés.
2 Signalons qu’en France, les écritures décimales sont introduites après les écritures « fractionnaires –
décimales », et ce depuis plusieurs années, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays.
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Souvent présents de manière concomitante dans les situations d’enseignement et
d’apprentissage des décimaux, ces registres de représentation sémiotique sont également
susceptibles d’être évoqués doublement, à la fois à l’oral et à l’écrit. Le concept de double
désignation, associant des désignations liées à des représentations sémiotiques distinctes au
même objet, proposé par Duval (1995) permet de rendre compte de ce phénomène. Ainsi lit-
on oralement l’écriture symbolique3
comme vingt-cinq centièmes, ce qui permet sa mise
en relation avec le registre des unités de numération, au primaire. Cette désignation pourra
trouver d’autres formes oralisées au secondaire, vingt-cinq sur ou divisé par cent, nous y
reviendrons. Pour poursuivre l’investigation de la complexité qui se dessine dans des lectures
possibles d’écritures symboliques, notons que ces désignations des nombres, multiples ou
associées, symboliques, discursives et autres, sont convoquées dans des contextualisations
variées en prise d’appui sur des registres iconiques supports de la construction des nombres.
Par exemple, on lit
comme vingt-cinq centièmes, en référence à des situations qui
contextualisent la fraction comme partage d’une unité, au sein desquelles la fraction est
représentée sous des formes schématiques ou matérielles.
Nous faisons l’hypothèse que ces désignations multiples d’un même objet, le nombre
décimal, dans différents registres de représentations jouent un rôle essentiel dans la
conceptualisation de ces nombres. Il nous semble d’autre part, que la manière dont ces modes
de désignation orale ou écrit des décimaux se négocient ou se (re)négocient dans la transition
primaire-secondaire, tant du point de vue des pratiques langagières d’élèves et d’enseignants
que de celui des contenus en jeu, est intéressante à considérer.
2. Doubles désignations, conversions et traitements
Les observations conduites au sein des classes de primaire du LéA ont été l’occasion de
rencontrer différents phénomènes à l’œuvre dans les classes et liés aux désignations
symboliques et/ou discursives des nombres décimaux.
Les écritures fractionnaires décimales et les sommes liées à de telles écritures sont, de
manière récurrente, désignées à la fois par les élèves et les enseignants en ayant recours aux
unités de numération dans leur discours oral :
est ainsi désigné un centième. Une des
fonctionnalités de cette double désignation réside particulièrement dans la mise en œuvre de
techniques de comparaison ou de calcul des nombres décimaux, en prise d’appui direct sur
des conversions entre unités de numération, du type « dix centièmes égalent un dixième ». Ce
constat fait écho aux valences sémiotique et instrumentale des unités de numération,
caractérisées dans les travaux de Chambris (2008) et de Tempier (2013) sur l’enseignement
de la numération décimale. Autrement dit, dans la perspective adoptée dans ce texte, les
unités de numération spécifiques des décimaux sont un point d’appui plébiscité dans
différents traitements liés aux savoirs à enseigner sur ces nombres à l’école ou au collège.
Dans le même temps, ce jeu de double désignation qui convoque le registre de
représentation des unités de numération dans la lecture d’écritures symboliques fractionnaires
et qui permet le contrôle de différentes écritures fractionnaires associées à un même nombre
décimal, semble parfois manquer d’une forme d’autonomie du côté des élèves. Ainsi, dans les
observations conduites à l’école primaire, faut-il, de manière récurrente, attendre
l’intervention d’un tiers (celle d’un autre élève ou du professeur) pour régler la question du
caractère erroné d’égalités du type
: le recours à une (re)désignation orale de
3 Ecriture lié au registre symbolique des écritures fractionnaires des nombres décimaux.
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l’écriture
en cinq centièmes permettant alors d’emporter la conviction des « fautifs ». Par
ailleurs, ces transformations erronées d’écritures symboliques semblent gagner en importance
à l’entrée au collège : comme le montrent des réponses à des évaluations posées à des élèves
de sixième que nous suivions en primaire. Ce phénomène pose question : Est-il lié à des
modalités de travail spécifiques de la transition école-collège ? Les élèves ont-ils à traiter des
écritures symboliques fractionnaires de manière plus autonome et plus « silencieuse » au
début du secondaire ?
Malgré des recommandations institutionnelles déjà anciennes en la matière (programmes
de 20024) le registre discursif des unités de numération semble plus difficilement associé à
l’écriture décimale des nombres – une fois celle-ci introduite –par les élèves et les enseignants
du primaire, comme du secondaire. Ainsi, un nombre écrit sous la forme « 2,58 » est
spontanément lu comme « deux virgules cinquante-huit » que comme « deux et cinquante-
huit centièmes » par les élèves et par les enseignants et ce, malgré le fait que ces derniers
soient conscients des potentialités des unités de numération5. Plus encore, lorsque des
formulations en lien avec les unités de numération, visant à justifier diverses techniques (de
comparaison, opératoires, etc.) sont convoquées par l’enseignant, une forme de résistance
apparaît parfois du côté d’une partie des élèves. Nombre d’entre eux, notamment les plus en
difficulté, adhèrent visiblement plus volontiers à la verbalisation d’actions sur l’écrit rendant
compte de transformations d’écritures symboliques. Ainsi, quand sous l’insistance de son
professeur, un élève de primaire formule la justification de la transformation d’écriture 1,9 en
1,900 (pour le comparer à 1,589) « car c’est 900 millièmes » ce qui est pareil que « 9
dixièmes », une majorité d’élèves retiendra d’un tel épisode de classe, l’ajout possible de
zéros, privé de la justification pourtant formulée à l’oral dans le registre des unités de
numération. Là encore, ce phénomène questionne. Quelle place donner à ce registre des unités
de numération ? S’agit-il de veiller à le faire vivre davantage, y compris à l’écrit comme le
suggèrent les auteurs cités auparavant, ou comme un intermédiaire, nécessaire à la
compréhension de l’écriture décimale ? Si oui, comment6 ?
Dans ce jeu de double désignation, d’autres formes possibles d’associations sont apparues.
Celles en lien avec des représentations iconiques, convoquées classiquement dans la
construction de la fraction « partage », nous sont apparues comme intéressantes à considérer.
Ces associations peuvent s’avérer propices pour mettre en relation diverses représentations
sémiotiques symboliques des nombres décimaux. En l’espèce, nos observations des pratiques
enseignantes, mais également de leurs ressources professionnelles nous conduisent à faire
l’hypothèse que si les fractions décimales fondent l’enseignement des nombres décimaux en
primaire (en France), il y a par la suite, peu d’occasions de mettre en relation des écritures
fractionnaires et des écritures décimales de nombres décimaux. Chesné (2017) rappelle à ce
sujet que peu d’élèves français (26,9 %) et encore moins d’élèves issus de zones d’éducation
prioritaire (14,9%) arrivent à répondre à la question suivante posée lors d’évaluations
nationales à l’entrée au collège de manière satisfaisante :
Parmi ces quatre nombres, deux sont égaux.
Entoure-les 0,25 0,4 1,4
Figure 1 : Evaluations nationales diagnostiques de 2008 – MEN
4 Le document d’application des programmes de primaire de 2002 mettait déjà l’accent sur les unités de
numération : «5,23 se lit 5 et 23 centièmes ou 5 et 2 dixièmes et 3 centièmes. La lecture courante (5 virgule 23)
n’est pas exclue mais il s’agit de ne pas la systématiser (...) » (cycle 3, p. 23) 5 Rappelons que l’on parle d’enseignants avec qui nous travaillons sur le sujet depuis 4 années, déjà.
6 Cela passe sans doute par un réinvestissement des unités de numération dans des consignes liées à des tâches
proposées aux élèves du LéA, par exemple : « comparer 45 dixièmes et 440 centièmes ».
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Pourtant, un épisode observé dans une classe de primaire illustre, nous semble-t-il,
particulièrement les potentialités qu’offrent des associations entre écritures fractionnaires et
décimales dès le primaire. Ainsi, lors de la présentation d’un jeu numérique, un échange
collectif orchestré par l’enseignante autour de la figure suivante a permis à certains élèves de
l’associer à une représentation de « 25 centièmes » en l’interprétant comme « une unité
partagée en 100, 25 parts étant grisées », cette même représentation a permis à d’autres dans
le même temps de voir « un quart » en l’interprétant comme « une unité partagée en 4 ». Les
conditions semblaient dès lors réunies pour conclure collectivement à l’égalité :
,
laquelle partage une proximité certaine avec celle évoquée ci-avant :
.
Figure 2 :
=
Ceci nous conduit à envisager que de telles représentations iconiques pourraient
potentiellement conduire à des doubles désignations, à même de faciliter la mise en relation
d’écritures symboliques (fractionnaires, décimales…) des nombres décimaux. Nous nous
interrogeons sur la possibilité de faire vivre des tâches qui permettraient d’entretenir une telle
flexibilité entre différents registres d’écritures symboliques au primaire comme au
secondaire : par exemple, calculer +
dès le début du collège et pourquoi plus tard
encore calculer +
? De telles tâches sont pourtant actuellement rarement envisagées
dans l’institution scolaire française, que ce soit au niveau du primaire ou du secondaire.
3. Rôle(s) d’un registre discursif de représentation sémiotique : les unités de numération
Nous avons signalé les potentialités d’un registre de représentation discursif spécifique dans
l’enseignement et l’apprentissage des nombres décimaux : celui des unités de numération. De
tels constats rejoignent ceux faits par Chambris (2008) et Tempier (2013) dont les travaux
portaient initialement sur l’enseignement et l’apprentissage des nombres entiers mais dont les
résultats semblent pouvoir s’étendre aux décimaux, ce qui est d’ailleurs envisagé par ces
mêmes auteurs (Chambris 2014 ; Chambris, Tempier et Allard 2017). Toutefois les unités de
numération spécifiques des nombres décimaux comportent des spécificités à considérer de
près, à même d’interroger les potentialités et les limites de ce registre de représentation
discursif des nombres décimaux, à reconsidérer de plus près dans la transition école-collège.
Les unités de numération spécifiques des décimaux (le dixième, le centième et le millième)
sont construites en lien avec la fraction partage de l’unité à l’école primaire. Une
conséquence immédiate est que cette construction est réalisée dans un sens partage (le
dixième comme l’unité partagée en dix, le centième comme l’unité partagée en cent ou le
dixième partagé en dix…). Or, il est un constat que nous avons pu faire à de nombreuses
reprises : le sens « groupement » largement convoqué dans les traitements propres à ce
registre discursif peut faire défaut dans des situations d’enseignement et d’apprentissage
observées. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on sait qu’une unité d’ordre n-1
correspond à un partage de l’unité d’ordre n en dix (ou d’une unité d’ordre n+2 en cent), que
l’on sait que dix (ou cent) unités d’ordre n-1 peut être convertie en une unité d’ordre n (ou
d’ordre n+2). Un travail de reconstruction des unités de numération dans le sens groupement
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nécessite une prise en charge explicite. Des relations indirectes entre les unités de numération
construites dans le sens partage apparaissent problématiques, dès lors qu’elles sont
convoquées. Ainsi si le centième a été construit comme l’unité de référence partagée en cent,
considérer que dix centièmes égalent à un dixième représente un saut de complexité important
pour les élèves. Ce type de difficultés a notamment surgi dans des tâches de positionnement
d’écritures fractionnaires sur une droite graduée : par exemple, placer
, désigné oralement
par quinze dixièmes, sur une droite graduée en centièmes nécessite le recours à des relations
entre unités de numération qui reposent sur le sens groupement. De telles observations,
récurrentes dans les classes de primaire du LéA, illustrent des difficultés à (re)construire un
sens groupement des unités de numération construites dans un sens partage, ce qui peut
contribuer à éclairer le tarissement d’usages autonomes des unités de numération par les
élèves (voir page 2). C’est également, dès la construction de relations entre unités de
numération dans le sens partage, l’existence de choix entre des partages possibles à interroger
de ce point de vue : par exemple, en ce qui concerne le centième, un partage de dix du
dixième ou un partage de cent de l’unité. Remarquons que certaines de nos observations nous
conduisent à considérer que la formulation de rapports entre les unités de numération (le
centième comme « dix fois plus petit » que le dixième ou le dixième comme « dix fois plus
grand » que le centième) apparaissent comme des leviers possibles, permettant de lever
partiellement ces difficultés.
Si comme le signale Chambris (2008, 2010), le registre de représentation des unités de
numération peut également nourrir un rapprochement entre des savoirs à enseigner sur la
numération décimale et des savoirs à enseigner sur la mesure impliquant le registre des unités
de mesure, un tel rapprochement soulève d’assez nombreuses questions, s’agissant des
décimaux pour lesquels un tel rapprochement a d’ailleurs pu être décrié par le passé, au regard
des confusions sur les décimaux appréhendés comme couples d’entiers. Nous affirmons que
le rôle de la virgule dans le registre d’écritures décimales diffère, s’agissant de l’écriture de
nombres décimaux – grandeurs ou de nombres décimaux - abstraits. S’agissant de nombres
décimaux – grandeurs la virgule a la fonction d’indicateur de l’unité de mesure qui va servir
de référence, cette dernière pouvant varier : ce que formule d’ailleurs très bien un élève (« la
virgule elle sert à savoir si on parle de mètres, de décimètres ») au sein d’une classe de
primaire dans laquelle un tel rapprochement a été envisagé dès l’apparition de l’écriture
décimale pour désigner des nombres décimaux – grandeurs. (Coulange et Train 2015). Dans
le domaine stricto sensu de la numération, en revanche, la virgule sert à indiquer comment se
situent les chiffres par rapport à une unité de référence, cette dernière étant donnée et
immuable (l’unité) : elle devient un marqueur positionnel permettant de situer cette unité dans
l’écriture décimale d’un nombre. Cette dissymétrie du rôle de la virgule est rendue
particulièrement visible dès lors qu’est envisagé de sortir un nombre versus une mesure, d’un
tableau d’unités de numération versus un tableau d’unités de mesure, comme illustré ci-après.
Centaines Dizaines Unités Dixièmes
2 5 5
1 7 3 4
Quand on sort les nombres du tableau, on écrit
25,5 et 173,4– la virgule pallie la « disparition »
d’unités de numération dans l’écriture positionnelle
dam m dm cm
2 5 5
1 7 3 4
Dans 2,55 cm (écriture licite) la virgule désigne
l’unité de mesure retenue comme « unité de
référence » (unité de mesure)
Figure 3 : « sortir » un nombre décimal / une mesure d’un tableau de numération / de mesure
En conclusion, le registre des unités de numération spécifiques des nombres décimaux
présente des spécificités fortes. Il est d’une part voué à disparaître dans l’écriture
positionnelle chiffrée, contrairement à celui des unités de mesure dans l’écriture décimale de
nombres décimaux - grandeurs. Ce registre est, d’autre part, construit dans un sens partage de
16 sciencesconf.org:emf2018:215663
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l’unité. Ainsi a-t-on pu s’interroger sur la pertinence d’une tâche comme écrire en chiffres
« 13,5 dizaines », plutôt absente du curriculum (y compris passé) du primaire comme du
secondaire, dans laquelle coexistent écriture décimale positionnelle chiffrée et unités de
numération. L’analyse d’une telle tâche donne à voir la complexité des techniques à l’œuvre
pour l’accomplir dans le registre des unités de numération décimale. Cette complexité tient en
particulier au fait que les techniques envisagées convoquent à la fois le traitement du dixième
construit comme partage de l’unité en 10 et de la dizaine construite comme groupement par
10 de l’unité. De telles techniques sous-entendraient notamment que dans une action de
partage, il s’agirait de partager autre chose que l’unité ou qu’une subdivision7 de l’unité, ce
qui n’est a priori abordé que plus tardivement, par exemple, quand on introduit la fraction
d’une quantité dans le curriculum scolaire. Pour mieux acter de cette dissymétrie, notons que
la tâche « 13,5 décamètres » est à l’inverse tout à fait envisageable, dans ce même curriculum,
ce qui tend à illustrer la différence de traitement d’écritures décimales en lien avec le registre
des unités de numération et de celles en lien avec le registre des unités de mesure. Une
exception semble toutefois liée à des usages sociaux : il s’agit de « 13,5 millions » dont il
s’agit sans doute d’envisager le traitement un jour dans le contexte scolaire !
Si l’on peut dès lors s’accorder sur les potentialités du registre des unités de numération
dans l’enseignement des décimaux, comme étant à même de favoriser une certaine continuité
dans la construction plus globale de la numération décimale, et plus particulièrement dans la
transition école-collège, on peut aussi s’interroger sur les limites d’un tel projet. Si l’addition
et la soustraction posées de nombres décimaux paraissent des lieux privilégiés pour « faire
parler » les unités de numération et des traitements intrinsèques à ce registre de
représentation, il n’en est pas de même pour la multiplication posée, autrefois reléguée à
l’entrée au secondaire (entre 1995 et 2008) en France. L’analyse de discours possibles ou
effectivement tenus sur un algorithme posé de la multiplication de deux nombres décimaux
illustrent des limites potentielles d’usages d’un tel registre de représentation. On retombe sur
l’écueil signalé avant, en lien avec le dixième de la dizaine ou d’autres, comme d’avoir à
calculer le produit d’un nombre de dixièmes par un nombre de centièmes. C’est pour cette
raison entre autres, que nous faisons l’hypothèse que les nombres décimaux sont à redéfinir
comme des « nombres qui multipliés par 10, 100, 1000 … donnent des nombres entiers » à
l’entrée au collège. Une telle redéfinition représente selon nous, une rupture nécessaire8 qui
en recouvre une autre : le passage d’une fraction partage enseignée au primaire à une fraction
quotient enseignée au secondaire, dont nous disons quelques mots ci-après.
II. ENSEIGNEMENT DES FRACTIONS A L’ECOLE ET AU COLLEGE
Depuis plusieurs années déjà (dès 1996 ; cette injonction officielle a été renouvelée en 2016),
les programmes français mettent en avant deux acceptions institutionnelles de la fraction :
- La fraction
dite partage appréhendée comme partage d’une unité – liée à l’action de
prendre un bième
de l’unité (en partageant l’unité en b parts équitable),
étant alors « a fois un
bième
de l’unité », étudiée en primaire.
- La fraction
dite quotient appréhendée comme « le nombre qui multiplié par b donne a »,
étudiée dès l’entrée au secondaire.
7 Le partage d’une subdivision de l’unité a pu été abordé dans la construction d’une unité de numération : quand
on construit par exemple le centième comme le dixième du dixième de l’unité. 8 Muni d’une telle définition, si l’on s’intéresse à P = on a et , puis
. P est donc le nombre qui multiplié par 100 donne .
17 sciencesconf.org:emf2018:215663
La fraction partage recouvre de nombreuses potentialités à même d’être étudiées au
primaire. Dès son introduction à l’école, il est un fait constaté : les élèves « partagent » l’unité
mais aussi (souvent en deux) des subdivisions de l’unité (construisant le quart de l’unité
comme la moitié du demi ou le huitième de l’unité). Dans les classes observées, les élèves de
primaire semblent investir des connaissances quotidiennes ou sociales sur « la moitié », « le
quart » et « le tiers » d’une unité. Ces connaissances construites en dehors de l’école peuvent
se constituer comme autant de points d’appui mais aussi parfois comme des obstacles9
dans la
construction scolaire de la fraction partage. Il existe par ailleurs des tensions entre des actions
(correspondant au partage de l’unité, de subdivisions de l’unité) et les résultats de ces actions
dans les situations d’enseignement et d’apprentissage de la fraction partage. Par exemple,
dans un contexte lié à la mesure de longueurs, le huitième de l’unité est construit comme la
moitié du quart de l’unité (par des actions successives de pliage en deux) et ce n’est que dans
un second temps qu’il sera véritablement considéré comme un huitième quand on donnera à
observer le résultat de l’action qui a permis d’obtenir un partage en huit parts égales. Aussi, si
des raisonnements complexes permettant la production d’égalités d’écritures fractionnaires ou
de sommes (du type
), sont tenus par les élèves sous certaines conditions et qu’on
partage « plus que l’unité » (des subdivisions de l’unité), la référence à l’unité joue un rôle
essentiel dans la production et de validation de tels raisonnements au niveau du primaire.
La fraction quotient peine, quant à elle, davantage que la fraction partage, à trouver une
place dans les savoirs enseignés en France, au niveau du secondaire. Dans les manuels
scolaires, il est aisé de constater soit des absences, la fraction partage continuant à vivre
largement au sein de différentes activités ou exercices, soit des tentatives maladroites
d’introduction de cette fraction quotient (Coulange et Train 2017). Ces éléments et constats
invitent à s’interroger plus avant sur cette fraction, souvent construite comme le bième
de a
unités dans le cadre des grandeurs (longueurs ou aires notamment) conformément à des
attentes institutionnelles exprimées en ce sens. Cette action de « partage » de grandeurs, ici
étendue à plusieurs unités (au lieu d’une) n’apparaît, nous semble-t-il, pourtant pas si proche
qu’elle en a l’air de la définition de la fraction quotient telle que formulée ci-avant. Une autre
acception de la fraction dans le cadre des grandeurs, matérialisée par la « situation de
l’épaisseur des feuilles de papier » (Brousseau et Brousseau 1987, 2005), celle relative à la
commensuration : « la fraction n/m est la mesure d’un objet tel qu’il en « sommer » m, égaux
pour équivaloir à n unités » paraît plus proche et conforme de la définition de la fraction
quotient. Elle paraît malheureusement un oublié de l’institution scolaire française.
L’adaptation d’une ressource ancienne (« les automates » ou « les robots », issue du ERMEL
1981, reprise et adaptée par des auteurs variés10
) que nous avons réalisée paraît un support
possible en vue d’aménager une vie à cette fraction commensuration comme un préalable à la
fraction quotient (Coulange et Train 2017) dont nous persistons à penser qu’elle recouvre des
potentialités, comme celle déjà citée relative au produit de décimaux. Des expérimentations
dans des classes nous renseigneront bientôt sur les potentialités d’une telle approche, et plus
globalement sur la fraction quotient telle qu’elle pourrait être appréhendée au collège.
III. EN GUISE DE CONCLUSIONS
Ce texte se veut une synthèse d’un certain de nombre de réflexions, abouties ou encore en
chantier, et de résultats de nos recherches actuelles sur l’enseignement et l’apprentissage des
9 Ainsi des élèves n’éprouvent pas lors d’une séquence observée la nécessité de plier une bande unité, étalon de
longueur, pour mesurer la longueur des segments, sachant par ailleurs identifier et qualifier « la moitié » et
même « le quart » de cette unité (voire la contribution de Coulange et Train pour le GT6) 10
Nous avons pris le soin de citer ces différents auteurs dans Coulange et Train (2017)
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nombres décimaux et des fractions à l’école et au collège. Ces contenus illustrent nous
semble-t-il, assez bien ce qui parfois peut se jouer du point de vue d’une transition
institutionnelle : des continuités à aménager à un niveau global, concernant l’enseignement de
la numération décimale, en questionnant le rôle du registre sémiotique des unités de
numération, mais aussi des ruptures, sans doute tout aussi nécessaires dans l’enseignement de
nombres comme les fractions et des décimaux qui ne peuvent pas conserver le statut de
nombres-grandeurs… D’autres questions, plus indirectement liées aux contenus, mais qui
nous paraissent les conditionner ou les contraindre émergent également : comme des modes
d’interactions entre élèves ou entre élèves et enseignants, à l’oral, à l’écrit plus ou moins
typiques d’une institution scolaire ou d’une autre (primaire ou secondaire). Il s’agit peut-être
dans certains cas de considérer une toute autre transition, celle avec un monde plus extérieur à
l’école. Dans le cas présent, s’agissant des fractions et des décimaux, cela peut revêtir une
certaine importance, les élèves arrivant visiblement à l’école en ayant déjà rencontré et
fréquenté des usages sociaux ou quotidiens du fractionnement de l’unité et de l’écriture
décimale. Dans une des classes observées au sein du LéA Carle Vernet, un scénario « à
l’envers » s’est même joué à deux reprises autour de l’écriture décimale, introduite à
l’initiative d’un (ou plusieurs) élève(s) sans avoir fait l’objet d’un enseignement préalable, et
dont l’enseignante a choisi de construire la signification dans un « après coup »…
REFERENCES
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IREM de Bordeaux.
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3 - Quelles perspectives ? Colloque mathématiques en cycle 3 (8 et 9 juin 2017), Poitiers.
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didactique pour le développement d’une ressource. Thèse de l’Université Paris Diderot.
19 sciencesconf.org:emf2018:215663
L’ENSEIGNEMENT DE LA GÉOMÉTRIE DANS LA TRANSITION
COLLÈGE-LYCÉE
MRABET Slim
Université de Carthage, Tunisie
Résumé – Dans ce travail, nous tentons d’étudier les choix didactiques faits actuellement dans
l’enseignement de la géométrie, et la façon dont les thèmes enseignés sont découpés et répartis,
notamment dans la transition collège-lycée. A partir de l’analyse d’un thème spécifique de cette période
dans les systèmes d’enseignement tunisien et français, nous nous interrogeons sur les conséquences
didactiques de nos choix, sur l’apprentissage des élèves.
Mots-clefs : Transition – géométrie –théorème de Thalès -vecteurs-proportion
Abstract – In this work, we try to study the didactic choices made at present in the teaching of the
geometry, and on the way the taught themes are cut and distributed, in particular in the transition college -
high school. From the analysis of a specific theme of this period, in the Tunisian and French teaching
systems, We wonder about the didactic consequences of the choices which we make, for the learning of
the pupils.
Keywords: Transition - geometry- Thales theorem-vectors-proportion
I. INTRODUCTION
Nous partons de la conviction que les choix que nous faisons actuellement dans
l’enseignement des mathématiques constituent un moment propice pour analyser des
problèmes liés à l’enseignement. Un ensemble d’interrogations s’impose concernant les choix
didactiques faits actuellement dans l’enseignement de la géométrie, le lien entre
mathématiques et réalité physique, le rapport entre espace mathématique et espace empirique,
la répartion des thèmes de géométrie enseignés actuellement et l’évolution dans la
construction des connaissances. Sur quel savoir savant s’appuie-t-on dans l’enseignement de
la géométrie ? Et à quel savoir enseigné est-on parvenu ? (Chevallard, 1989)
Plus précisément, on pourra s’interroger sur la façon dont la transition entre diffférentes
géométries est négociée dans l’enseignement actuel, et si dans ce passage, il y a un
changement dans le statut, le rôle et l’importance de la figure.
Dans le présent travail, nous avons l’ambition de donner quelques éléments de réponse à
ces questions, et d’étudier les conséquences qui en découlent sur l’apprentissage des élèves.
I. LES GRANDS DOMAINES DE LA GEOMETRIE
Une étude de certains traités historiques et de l’histoire de l’enseignement des
mathématiques en Tunisie ou ailleurs que nous avons menée dans notre thèse de doctorat
(Mrabet, 2010) nous a permis de fixer trois grands domaines de la géométrie :
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1. La géométrie élémentaire
Les Eléments d’Euclide constituent un moment important de l’évolution de la géométrie.
Dès l’Antiquité, ils étaient considérés comme un moyen de rompre avec l’appréhension
perceptive dominante à ce moment. La géométrie d’Euclide et de ses successeurs est basée
sur la mesure des grandeurs géométriques à travers des figures. C’est une science où les
figures, situées dans un plan ou dans l’espace, occupent une place centrale. Chez Euclide, les
figures apparaissent figées et ne peuvent qu’être découpées, superposées ou reconstruites.
L’un des principes forts de la géométrie chez Euclide est le principe de l'égalité par
superposition. Euclide énonce parmi ses axiomes ce qui suit :"Et les choses qui s'ajustent les
unes sur les autres sont égales entre elles.". Cette condition d'égalité qui fait appel au
mouvement, celui de la superposition, fixe des critères d’égalité à partir desquels le
mouvement des figures n’est plus utile. En effet, la démonstration du premier cas d’égalité
des triangles utilise le mouvement à partir du principe de l’égalité par superposition. L’énoncé
de ce premier cas d’égalité permet de se débarrasser par la suite du mouvement.
Cette géométrie est également caractérisée par la prédominance du raisonnement qui
l’emporte sur l’aspect calculatoire, et l’un de ses objectifs est d’établir des relations entre les
figures semblables (du plan ou de l’espace) et des proportions.
2. La géométrie des transformations
A partir de l’idée de déplacement, l’étude des relations entre les figures de l’espace a
conduit progressivement à la notion de transformation, qui étudie les figures et surtout les
relations entre ces figures.
Nous pouvons dire qu’une différence essentielle entre la géométrie élémentaire et la
géométrie des transformations réside dans le changement d’appréhension de la figure : dans
la géométrie classique, nous regardons les figures comme étant des surfaces et nous les
comparons en comparant leurs éléments (angles, côtés), mais ces figures sont statiques. La
géométrie des transformations met en avant les droites et les points par rapport aux surfaces et
favorise le mouvement et le transfert de propriétés entre des figures. Chasles (1889) définit ce
point de vue comme permettant de retrouver les propriétés caractéristiques d’une figure de
départ par application d’une transformation :
« Qu’on prenne une figure quelconque dans l’espace, et l’une de ses propriétés connues ;
qu’on applique à cette figure l’un de ces modes de transformations, et qu’on suive les diverses
modifications ou transformations qui éprouvent le théorème qui exprime cette propriété, on
aura une nouvelle figure et une propriété de cette figure qui correspond à celle de la
première » (p. 268).
3. La géométrie analytique
Dans le cadre analytique, la signification des transformations peut être occultée par des
propriétés où la puissance du calcul remplace les configurations. Les traités de Choquet
(1964) et de Dieudonné (1964) montrent la puissance de l’aspect calculatoire dans la
résolution des problèmes de géométrie, qui l’emporte sur le raisonnement sur les figures.
Dans son traité, Dieudonné mène une comparaison entre la géométrie basée sur l’algèbre
linéaire, proche de la géométrie analytique et la géométrie traditionnelle :
L’algèbre linéaire permet, à partir d’axiomes extrêmement simples, d’avoir des résultats
importants par un calcul concis et précis. La géométrie traditionnelle part d’axiomes
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compliqués. Dans la résolution de problèmes, elle fait un détour pour ramener le problème à
un cas d’égalité ou de similitude de triangles.
L’algèbre linéaire retrouve tous les résultats de la géométrie classique rapidement et
rigoureusement. Elle peut être enseignée à tous les élèves compte-tenu de la simplicité des
notions d’espace vectoriel et d’application linéaire.
Contrairement à sa réputation d’être une science abstraite, les possibilités d’avoir des
objets représentables à chaque étape permettent de mettre l’accent sur la pratique des
graphiques vu leur importance dans plusieurs domaines. La géométrie traditionnelle ne sert
qu’aux futurs professeurs de mathématiques. Ses systèmes sont tellement complexes que l’on
ne peut les enseigner qu’à des spécialistes. Ceci n’est pas la mission de l’enseignement
secondaire, puisque les élèves qui seraient des spécialistes ne forment qu’une minorité de
l’ensemble total des élèves.
L’algèbre linéaire traite séparément, dès le début, les propriétés de nature « affine » et
celles de nature « métrique » ainsi que leurs conséquences. La géométrie traditionnelle a
l’inconvénient de mettre au même niveau deux notions de natures différentes : le parallélisme
et la perpendicularité.
Le travail de Rauscher (1994) indique que l’enseignement de la géométrie passe par trois
stades différents :
- La géométrie d’observation : c’est la géométrie réservée au primaire. Elle se base sur le
visuel et sur les mesures effectuées sur les dessins comme moyens de validation et donne
donc au dessin le statut de preuve.
- La géométrie de traitement commence en début de collège et constitue réellement la
transition entre la géométrie d’observation et la géométrie déductive. Dans cette période,
l’élève est initié à distinguer entre les informations qui définissent une situation et celles qui
en résultent, et à effectuer le passage d’un registre à l’autre (texte, figure, codages,
symboles…).
- La géométrie déductive qui apparaît en fin de collège et prend appui sur le raisonnement
déductif. L’élève est appelé à faire l’articulation entre différents registres d’expression
mathématique que ce soit à l’écrit ou à l’oral : des allers-retours entre le texte et le dessin.
Le passage à la géométrie basée sur l’algèbre linéaire doit se faire avec prudence: la
puissance du calcul vectoriel occulte le rôle des figures et constitue une rupture avec la
géométrie enseignée pour plusieurs années.
II. PROGRESSION DANS L’ENSEIGNEMENT DE LA GEOMETRIE
1. La géométrie au collège
La géométrie d’Euclide nous paraît la plus pertinente pour les élèves du collège, pour les
raisons suivantes :
- Il s’agit de permettre aux élèves de déterminer la signification des objets géométriques et
de leurs propriétés à partir de la perception sensible, que les géométries analytique et des
transformations vont permettre d’expliquer et d’approfondir.
- Elle permet de travailler sur des figures simples, d’étudier les propriétés communes de
ces objets, puis progressivement, l’accession de ces propriétés au statut de théorèmes.
- Elle contribue à l’apprentissage de la démonstration par des raisonnements simples.
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La construction d’Euclide, qui passe rapidement d’une perception pragmatique à un
développement théorique, correspond à l’acquisition des connaissances géométriques chez les
élèves du collège, et à l’évolution du descriptif sensible au théorique. Un exemple qui illustre
bien ce passage est le premier cas d’égalité des triangles.
Une question se pose : quelle progression cohérente entre la géométrie élémentaire et les
transformations ?
On peut chercher au collège une conception de la notion des transformations cohérente
avec le cadre euclidien : on ne considère les transformations que par leur action sur les
figures et non pas sur l’espace tout entier. En particulier, une transformation agit sur les
points situés sur des lignes ou définis par leur intersection, mais pas sur des lignes comme des
ensembles de points. Même si les transformations s’appliquent à des points, ceux-ci devraient
être considérés comme des objets géométriques faisant partie de figures (comme extrémités
de lignes) et non comme constituants élémentaires de figure.
2. La géométrie au lycée
Au lycée, on peut considérer les transformations opérant sur des figures comme une
application du plan dans lui-même, qui opère sur des points puis plus généralement et
globalement sur des figures
Ce choix est appuyé par le fait que la notion de « fonction » n’apparaît aux élèves qu’en
première année du lycée, par les fonctions linéaires et les fonctions affines, et ainsi, on peut
passer à l’idée qu’une transformation associe à tout point du plan un point du plan bien
déterminé.
La transition collège lycée pourrait être accompagnée d’un changement dans la conception
des transformations : l’élève passera d’une transformation opérant sur des figures à une
application du plan dans lui-même qui opère sur des points puis plus globalement sur des
figures. Ce passage constitue une rupture épistémologique certaine.
III. DISTINCTION : DESSIN-FIGURE EN GEOMETRIE
Le dessin désigne l'objet concrètement tracé sur une feuille de papier alors que la figure
appartient au monde de la géométrie dont le dessin n'est qu'une représentation ou encore une
matérialisation sur le papier, sur le sable ou sur l'écran de l'ordinateur. Lorsque deux dessins
diffèrent par une mobilisation de certaines variables, la non abstraction par l'élève de l'objet
théorique auquel renvoient ces dessins peut lui donner l'illusion de l'existence de deux figures
différentes (Duval, 1994).
Le changement du statut du dessin vers celui de la figure, qui est une rupture
épistémologique, constitue une réelle difficulté dans l’enseignement et l’apprentissage de la
démonstration: les élèves ne sont pas prêts à réorganiser leur pensée sur la base des notions
abstraites. En même temps, parfois, les enseignants inconcients de cette rupture ne peuvent
pas mener un discours explicite pour expliquer ce statut de la figure.
IV. ETUDE D’UN EXEMPLE : LE THEOREME DE THALES
1. Le théorème de Thalès dans l’enseignement tunisien
- Dans l’enseignement tunisien, les trois domaines: géométrie élémentaire, géométrie des
transformations et géométrie analytique coexistent au collège et au lycée.
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- En 7e et 8e de base1, utiliser les transformations dans certaines séquences déductives est
d’un niveau cognitif élevé pour des enfants de 13 - 14 ans. On pourra remarquer ceci dans
certains exemples : les élèves sont plus à l’aise dans l’utilisation du théorème de Thalès
appliqué dans un triangle qu’avec l’approche « projection », dans une figure formée de
« parallèles et séquentes ».
- En 8e de base, on introduit la symétrie centrale simultanément par ses caractères
fonctionnel et global.
- Au lycée, le passage au vectoriel occulte le travail de la géométrie élémentaire, et le
recours à la figure est rare.
Pour analyser de près la problématique du passage au vectoriel, nous avons proposé à trois
classes de 2ème
S (en Tunisie)2 et à trois classes de 2
nde (en France) un test sous deux versions :
l’une avec distances, l’autre avec vecteurs. Les deux versions du test proposé ne diffèrent que
du point de vue de la forme des énoncés. Les figures étant les mêmes, nous pouvons donc lier
les différences éventuelles dans les réponses des élèves à l’influence du type d’énoncé utilisé
qui dépend lui-même du programme de chaque pays.
L’objectif principal de ce test est donc de répondre aux interrogations suivantes : existe-t-
il une rupture chez les élèves, entre les deux formes possibles du théorème de Thalès. Ce
théorème, le plus souvent rencontré dans sa présentation utilisant des distances, est-il reconnu
dans les situations vectorielles ?
Énoncé 1 (test B, avec distances)
Dans la figure ci-contre, EFGH est un parallélogramme,
les droites (KL) et (FG) sont parallèles, les droites
(IJ) et (EF) sont parallèles.
Le point P est tel que EP = 3/5 EG
1) Exprimer EP à l’aide de PG
2) Trouver un réel m tel que PI = m PJ
3) Montrer que PK = m PL
4) En déduire que les droites (IK) et (JL) sont parallèles.
Énoncé 2 (test A, avec vecteurs)
Dans la figure ci-contre, ABCD est
un parallélogramme, les droites (KL) et (BC) sont
parallèles, les droites (IJ) et (AB) sont parallèles.
Le point M est tel que 2
5AM ACuuuur uuur
2) Trouver un réel a tel que MI aMJuuur uuur
3) Montrer que MK aMLuuuur uuur
1 Première et deuxième année du collège, élèves de 13 à 14 ans.
2 2
ème année du lycée, élèves de 14 à 15 ans.
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4) En déduire que les droites (IK) et (JL) sont parallèles.
Précisons d’abord le choix des moments de la passation des tests. Nous avons fait en sorte
de neutraliser autant que possible l’effet des thèmes de géométrie que les élèves ont étudiés
durant l’année du test et les années précédentes. Pour que les élèves soient dans des
conditions aussi proches que possible, nous avons choisi de placer ce test après les leçons sur
le théorème de Thalès et les vecteurs, qui diffèrent en quelques points dans les deux systèmes,
et avant l’introduction de l’homothétie et du barycentre. Pour les classes tunisiennes le test a
été fait au mois de février 2007, les classes françaises un mois après.
Consultons les entretiens que nous avons tenus avec les enseignants des classes visitées
dans le but d’éclairer les pistes que les élèves pourraient suivre dans leurs réponses, auxquels
nous avions posé la question suivante :
« Est-ce que vous vous attendez à une (ou à des) différence(s) dans la manière de résoudre
les exercices du test A et du test B ? Si oui, préciser laquelle (lesquelles), si non, préciser ce
qui vous fait penser qu’il n’y a pas de différence ».
Les remarques suivantes apparaissent à travers leurs réponses :
- Tous les enseignants (des deux pays) ont prévu que les élèves réussiraient plus facilement
la version « distance », la version « vecteur » risquant de les désorienter.
- Les enseignants tunisiens pensent qu’il serait difficile aux élèves de reconnaître une
situation de Thalès utilisant les vecteurs, et qu’ils s’engageront dans un calcul vectoriel en
utilisant la relation de Chasles. Un enseignant précise que : Il leur est difficile d’appliquer le
théorème de Thalès avec des parallélogrammes. La version « vecteur » sera complètement
ratée. Chez les élèves, le théorème de Thalès ne sera pas reconnu avec les vecteurs ».
Un enseignant français fait la même remarque et ajoute qu’en l’absence d’un énoncé
vectoriel du théorème de Thalès, les élèves ne seront pas en mesure de produire des
démonstrations commodes et rigoureuses.
Une deuxième question a été posée aux enseignants :
« Quelles procédures, propriétés utilisées, difficultés et erreurs, attendez-vous dans
chacune des deux versions du test ? »
Dans leurs réponses, les enseignants tunisiens prévoient des erreurs dans la version
« distance » dans le choix des rapports (rapports faux) dus à un mauvais choix de figure. Ils
prévoient aussi beaucoup de non réponses dans la version vectorielle.
Les deux enseignants français s’accordent autour d’une même idée : dans la version
vectorielle, certains élèves peuvent donner des démonstrations hybrides où ils mêlent les
calculs avec distances et avec vecteurs. Certains types d’erreurs dans ce sens sont cités
comme exemple : l’utilisation de la colinéarité des vecteurs, avec des justifications de type
Thalès classique, ou des égalités de type : un vecteur = un nombre.
L’un de ces deux enseignants prévoit deux types de réponses :
- Le passage à Thalès classique par l’utilisation des critères de : direction, sens et norme.
- une utilisation intuitive et non justifiée de Thalès vectoriel.
2. Les résultats du tetst obtenus :
Des points communs
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- L’énoncé Thalès-vectoriel n’est pas disponible chez les élèves. Pour les élèves tunisiens
ou français, cet énoncé n’est pas cité dans les programmes comme objet d’enseignement.
Dans le manuel tunisien3 de 2
ème S, une petite place lui est accordée.
- Dans les deux pays, la version « distance » permet d’avoir un taux de réussite plus élevé
que la version vecteur. Avec les vecteurs, les élèves font plus d’erreurs de types divers.
- L’intuition chez quelques élèves tunisiens et français leur a permis d’« inventer » le
Thalès-vectoriel sans mettre la réponse sous le titre du « théorème de Thalès ».
- Dans la version « distance », les élèves font des tentatives de passage des écritures
« linéaires » aux rapports de distances, mais ils se confrontent à un passage auquel ils ne se
sont pas habitués, avec deux écritures littérales : l’une de type AM ABk , l’autre de type
AM
ABk . Remarquons que dans les manuels tunisiens ou français, les écritures sous forme de
proportion sont les plus fréquentes dans les applications liées au théorème de Thalès. Nous
pensons, avec Cousin-Fauconnet (1995), qu’il faudrait initier les élèves, dans l’apprentissage
du théorème de Thalès, à passer de l’écriture de type AM
ABk à l’écriture de type AM ABk
dans le but de les préparer à l’arrivée des vecteurs.
Des points de différence
- En Tunisie, dans la version « vecteur », beaucoup d’élèves ne donnent pas de réponse.
Certains élèves tentent de donner une réponse et s’engagent dans un calcul vectoriel en
utilisant la relation de Chasles, sans reconnaître qu’il s’agit d’une situation de Thalès. Ils font
des erreurs de type : produit ou quotient de deux vecteurs
- En France, les élèves tentent de donner une réponse dans la version « vecteur » et font
des erreurs de types divers. Ils utilisent rarement le calcul vectoriel à la place du théorème de
Thalès et font surtout des erreurs dans le passage des proportions à l’écriture linéaire. La
forme vectorielle du théorème de Thalès permet de passer d’une égalité du produit d’un
vecteur par un réel à une égalité analogue en considérant les vecteurs images par projection,
se réduit chez les élèves à retrouver à partir d’une écriture de type AM ABk , déduite de
l’énoncé, une écriture de type AM
ABk qui leur est plus familière.
V. CONCLUSION
Dans les systèmes tunisien et français, le passage de la géométrie classique à la géométrie
vectorielle est supposé comme allant de soi. Avec l’arrivée des vecteurs, l’algébrisation de la
géométrie rend peu utile le recours à la figure et aux théorèmes importants du collège dont
celui sur le théorème de Thalès sous sa forme classique. La transition entre deux domaines de
la géométrie: la géométrie ponctuelle et la géométrie vectorielle est passée sous silence.
L’exemple du théorème de Thalès a montré l’insuffisance des connaissances que les élèves
ont dans sa version classique pour traiter des situations qui relèvent du vectoriel. Ceci nous
renvoie à la question plus générale : en 1ère
S, le terrain est-il bien préparé pour l’arrivée des
vecteurs ? Comment est négocié le passage de la géométrie classique, qui domine au collège,
au cadre vectoriel ? Avec ses différentes approches, il nous semble que le théorème de Thalès
est un outil propice pour assurer cette transition.
3 En Tunisie, il existe un seul manuel scolaire officiel pour chaque niveau.
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8
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Tunis, Université Paris Diderot (Paris 7).
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FACTEURS DE COMPLEXITÉ DES MATHÉMATIQUES SUPÉRIEURES
NAJAR* Ridha
Résumé – Dans cet article, nous étudions l’effet des changements qui se produisent en mathématiques
lors du passage du secondaire au supérieur. L’analyse des réponses d’étudiants entrant à l’université à un
test d’évaluation, fait état de difficultés persistantes et d’obstacles dans la mise en œuvre des
connaissances apprises. L’article envisage de caractériser ces difficultés et de déterminer les besoins
d’apprentissage pouvant les atténuer.
Mots-clefs : rupture, abstraction, formalisme, praxéologie mathématique.
Abstract – In this article, we study the effect of the changes that occur in mathematics during the
transition from high school to university. The analysis of the responses of students entering the university
to an evaluation test, reveals persistent difficulties and obstacles in the use of the knowledge learned. The
paper considers characterizing these difficulties and identifying learning needs that can mitigate them.
Keywords: rupture, abstraction, formalism, mathematical praxeology.
I. INTRODUCTION
Les mathématiques enseignées dans les filières scientifiques spécialisées du supérieur ont
toutes les caractéristiques des mathématiques savantes : concepts abstraits, raisonnement
logique, développement axiomatique et formel. Les étudiants poursuivant leurs études dans
ces filières sont généralement « choqués » par ce changement brutal de la discipline par
rapport à ce qu’ils se sont habitués à voir et à étudier avant en mathématiques. Malgré leurs
efforts pour acquérir les nouveaux modes de travail et réussir cette « nouvelle » matière,
beaucoup d’étudiants, attachés à « des façons de faire » et à des habitudes longuement
apprises au secondaire, se trouvent désarmés devant cette transition brutale. Cette situation
nous conduit à nous interroger sur les facteurs à l’origine de la complexité des mathématiques
supérieures, et sur les besoins d’apprentissage en résultant.
II. PROBLEMATIQUE ET CADRE THEORIQUE
Nous considérons que la complexité des mathématiques enseignées n’y est pas intrinsèque,
elle décrit plutôt le rapport de compréhension de l’apprenant vis-à-vis la discipline. Ce rapport
se trouve étroitement lié à la formation institutionnelle préalable, qui détermine, pour une
bonne part, les possibilités de réussite de l’étudiant dans la matière. Ce faisant, nous adoptons
l’approche anthropologique (Chevallard 1998) pour chercher ce qui, dans les choix
institutionnels d’enseignement se trouve à l’origine de la complexité des mathématiques
enseignées au supérieur. Des recherches antérieures ont ciblé trois composantes particulières
des mathématiques supérieures qui pourraient engendrer cette complexité : la nature abstraite
des objets mathématiques (Chin et Tall 2002), le formalisme mis en œuvre dans les énoncés
mathématiques (Dorier 1997, Durand-Guerrier V. Arsac G. 2003), et les praxéologies
mathématiques composant ces énoncés (Bosch 2004). La première composante renvoie au
mode de construction axiomatique et formel des objets mathématiques, le formalisme se
réfère au langage symbolique et aux règles de logique utilisés dans les développements
mathématiques, quant à la troisième composante, elle concerne la complétion des
praxéologies mathématiques construites, leur possibilité d’intégration, ainsi que les rôles
joués par leurs composantes (tâches, techniques, technologies, théories).
* Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue – Canada – [email protected]
28 sciencesconf.org:emf2018:218096
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Concernant cette troisième composante, Bosch, Fonseca et Gascon (2004) expliquent les
difficultés en mathématiques qui surgissent à l’entrée de l’université par le fait que les
praxéologies mathématiques (PM) enseignées au secondaire sont généralement ponctuelles,
rigides et peu coordonnées entre elles, ce qui rend difficile à l’université, voire empêche les
étudiants, de travailler sur les praxéologies mathématiques locales (PML), ou régionales,
relativement complètes enseignées. Pour justifier ce point de vue, les auteurs postulent
l’existence d’indicateurs caractéristiques du degré de complétude d’une PML, que nous
résumons dans les points suivants :
i1) Intégration des types de tâches composant la PML, soit par un discours technologique, soit
par le développement successif des techniques associées.
i2) Existence de techniques alternatives associées aux types de tâches des PML et présence
d’éléments technologiques permettant de questionner ces techniques et d’effectuer un choix
approprié parmi plusieurs techniques pour réaliser une tâche donnée.
i3) Indépendance des techniques par rapport aux objets ostensifs et importance du choix et de
la gestion des ostensifs dans la réalisation de la tâche donnée.
i4) Existence de techniques réversibles permettant de résoudre une tâche et la tâche inverse.
i5) Possibilité d’interpréter le fonctionnement des données et/ou des techniques.
i6) Existence de tâches mathématiques ouvertes, où les données, les inconnues et/ou le mode
de raisonnement à adopter ne sont pas préétablis ou indiqués.
i7) Incidence des éléments technologiques associés aux PML sur la pratique mathématique,
comme la génération de nouveaux types de tâches et de techniques (par le biais, entre autres
moyens, d’un changement de cadre de travail ou de système de représentation sémiotique).
Utilisant ces indicateurs, nous avons étudié dans (Najar 2015) les rapports aux notions
ensemblistes fonctionnelles des institutions enseignement secondaire (ES) et première année
des classes préparatoires scientifiques (CPS1) en Tunisie. Cette étude fait état d’une rupture et
de dysfonctionnement institutionnels lors du passage de ES aux CPS1. Elle montre que dans
les CPS1, l’environnement praxéologique relatif à l’enseignement des notions ensemblistes
fonctionnelles est dominé par des PML relativement complètes, et que le savoir en jeu
fonctionne essentiellement au niveau formel-structural. D’un autre côté, dans ES, l’étude
montre que le fonctionnement des connaissances dans le topos des élèves est de niveau
technique-procédural et que l’environnement praxéologique est dominé par des PM
ponctuelles (PMP) et isolées, dont la mise en œuvre est axée essentiellement sur le bloc
pratico-technique, et dont le matériel technologique joue un rôle négligeable dans le travail
donné aux élèves. Cette situation semble être à l’origine de difficultés et d’obstacles
d’apprentissage pour les étudiants entrant en CPS1. Notre travail dans cet article envisage de
caractériser ces difficultés et de voir s’il y a un rapport entre ces difficultés et les choix
d’enseignement dans les institutions ES et CPS1.
III. METHODOLOGIE
Pour répondre à notre questionnement, nous analysons les réponses de deux classes
d’étudiants des CPS1 à un exercice extrait d’un test d’évaluation. Notons que dans les CPS1,
les mathématiques constituent la matière d’enseignement de base1, et les étudiants sont
généralement fortement investis dans le projet de formation de leur institution. Cela suppose
une limite de l’effet des caractéristiques personnelles des étudiants (p. ex., manque de travail
ou d’intérêt pour la matière) et permettra, de ce fait, de différencier ce qui relève réellement
des choix et des contenus d’enseignement, de ce qui relèverait d’apprentissages normalement
attendus des étudiants, mais non réalisés.
1 Les étudiants font 12 heures de mathématiques par semaine durant toute l’année universitaire.
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Nous situant dans ce contexte, notre travail comprend deux parties. Dans la première, nous
réalisons une analyse a priori de l’exercice du test pour décrire les caractéristiques des
mathématiques enseignées. Cette analyse se fera par rapport aux trois facteurs présentés dans
le cadre théorique : nature des objets mathématiques en jeu, langage formel à mettre en œuvre
et complétude des PM intervenant dans la réalisation des tâches. Dans la deuxième partie,
nous analysons les réponses des étudiants aux questions de l’exercice, en vue d’identifier,
parmi les caractéristiques déterminées dans la première partie, les facteurs de complexité qui
sont à l’origine des difficultés qu’éprouvent les étudiants.
IV. TEST D’EVALUATION
Le test est soumis à 43 étudiants des CPS1. Il entre dans le cadre d’une évaluation
sommative ordinaire donnée dans le courant du deuxième trimestre de l’année universitaire.
Durant la période qui a précédé le test, les étudiants ont étudié dans le cours d’algèbre les
thèmes sur : les ensembles et les applications, les structures algébriques, les espaces vectoriels
et les applications linéaires, les espaces vectoriels de dimensions finies et les matrices. De ce
fait, les étudiants sont supposés être familiarisés avec les notions en jeu dans le test ainsi
qu’avec les types de tâches donnés.
1. Analyse a priori
L’analyse a priori vise à caractériser les mathématiques enseignées dans les CPSI. Nous
nous référons pour cela aux trois facteurs décrits dans le paragraphe III : la nature des objets
mathématiques en jeu, la complétion des PM intervenant dans la résolution et le formalisme à
mettre en œuvre pour la réalisation des tâches données.
L’exercice porte sur les notions d’injection et de surjection dans le contexte des
morphismes d’espaces vectoriels de matrices. Nous nous limitons dans cette analyse à la
question 3-b. Toutefois, dans notre conclusion, nous tenons compte des réponses des étudiants
à toutes les questions de l’exercice.
L’exercice : On désigne par Mn( ) l’espace vectoriel sur des matrices carrées d’ordre n à
coefficients complexes. Soit A une matrice de Mn( ) et considérons l’application
: Mn( ) Mn( )
M AM – MA
1) Montrer que est une application linéaire.
2) En déduire que l’ensemble F des matrices M de Mn( ) vérifiant MA = AM est un sous-
espace vectoriel de Mn( ).
3) a- Calculer , où désigne la matrice unité de Mn( ).
b- Existe-t-il des matrices A de Mn( ) telles que soit injective?
c- Existe-t-il des matrices A de Mn( ) telles que soit surjective?
L’exercice étudie des propriétés d’une application paramétrée à l’aide d’une matrice A.
La distinction entre les statuts du paramètre A et de la variable M est essentielle pour répondre
aux questions de l’exercice. Les questions 1 et 2 sont fermées et peuvent être considérées
comme routinières dans les CPS1. De même pour la question de calcul 3-a. Les questions 3-b
et 3-c sont ouvertes et sont susceptibles de diverses formulations dont dépend le choix des
techniques de résolution. La question 3-b fait intervenir les notions de matrice, d’application
linéaire entre espaces vectoriels, et d’injection. Il s’agit de trois notions abstraites, définies et
étudiées dans les CPS1 de façon axiomatique formelle.
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Pour étudier la complétion des PM intervenant dans la résolution, nous utilisons les
indicateurs (ind.) i1 à i7 formulés dans II.
La question est ouverte (ind. i6). Plusieurs techniques sont possibles pour répondre à la
question (ind. i2), selon que le résolveur choisit de travailler dans le cadre linéaire ou
ensembliste. Toutefois, la réalisation de la tâche est supposée facilitée par la réponse à la
question 3-a [ ] qui suggère implicitement le travail dans le cadre linéaire. Nous
présentons deux techniques de résolution possibles :
Technique 1 : travail dans le cadre linéaire :
D’après 3-a, Mn( ) : . Donc, Mn( ), . est donc non
injective, quelle que soit la matrice A de Mn( ).
Cette technique requiert de tenir compte du contexte de l’exercice et d’utiliser une
caractéristique de l’injection pour les applications linéaires (ind. i7), de faire le lien entre les
questions 1, 3-a et 3-b, d’interpréter le calcul en termes de noyau (ind. i5), et
d’utiliser la négation logique d’une proposition (pour non injective) (ind. i4).
Technique 2 : travail dans le cadre ensembliste.
La résolution peut se faire de plusieurs manières, selon la caractéristique ensembliste choisie
pour l’injection. Une façon de procéder est :
[ est injective] [Pour tous M et N dans Mn( ), ] (1)
On peut ensuite poursuivre de plusieurs façons :
1. Remarquer que avec , et ceci pour toute matrice A de Mn( ).
On en déduit que, quelle que soit la matrice A de Mn( ), n’est pas injective.
2. Traiter la question dans le cas général. (1) devient alors :
est injective [Pour tous M et N dans Mn( ), ] (2)
On remarque ensuite que (2) peut toujours se réaliser sans que l’on ait nécessairement,
. Il suffit de considérer M quelconque dans Mn( ) et .
Cette technique demande d’abord d’adapter la caractéristique ensembliste de l’injection au
cas de l’application (ind. i5). Pour cela, il faut distinguer entre le statut de la matrice A
d’une part et celui de M et N d’autre part, il faut traiter convenablement le calcul matriciel et
bien gérer les connecteurs et les quantificateurs logiques en jeu (ind. i3). Il faut ensuite savoir
résoudre le problème d’existence des matrices M et N vérifiant (1) et utiliser la négation
logique d’une proposition (pour non injective) (ind. i4).
Cela dit, d’autres techniques sont également possibles dans le cadre ensembliste. Dans tous
les cas, la réponse à cette question demande de fixer un cadre de travail, de bien comprendre
la fonctionnalité des données de l’exercice, de choisir une technique appropriée au cadre de
travail choisi et de mobiliser les savoirs appropriés que requièrent la technique et le cadre
choisis. Il est important également de bien gérer le symbolisme et les notions de logique en
jeu. Tous ces facteurs font que la PM associée à la tâche intègre autour de la notion
d’injection plusieurs PMP (ind. i1). Il s’agit des PMP relatives aux notions : application
injective, application linéaire, noyau d’une application linéaire, calcul matriciel, équation
matricielle, quantificateurs et connecteurs logiques.
Nous considérons pour cela que la PM associée à la tâche donnée est de niveau local. La
présence des indicateurs i1, i2, i3, i4, i5, i6 et i7 montre que cette praxéologie est d’un bon degré
de complétude. Nous remarquons par ailleurs que le choix de la technique 1, qui est attendue
des étudiants, fera preuve d’une certaine expertise au niveau du choix de la stratégie de
résolution. Par contre, le choix d’une technique utilisant le cadre ensembliste montre des
difficultés au niveau stratégique, vu que le travail dans ce cadre néglige le contexte de
l’exercice, et omet la mise en relation de ses différentes données.
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Finalement, pour ce qui est du formalisme à mettre en œuvre dans la résolution, il est
évident que la réponse à la question 3-b met en œuvre un lange formel assez développé et
requiert une bonne maitrise de ce langage et l’appropriation du sens qu’il porte.
Notons à cet égard que l’étude des rapports institutionnels aux notions ensemblistes
fonctionnelles dans ES (Najar 2015) a révélé que les tâches données aux élèves à propos de
ces notions sont essentiellement rigides et stéréotypées. Elles sont construites de manière à ce
que leurs techniques de réalisation ne fassent pas appel au matériel théorique sous-jacent et de
façon à ce que les élèves soient capables de reproduire ces techniques sans avoir besoin de
mettre en œuvre le matériel technologique associé, ou de connaitre le sens et les règles
d’usage du symbolisme manipulé. Cet état mène souvent les élèves de ES à développer des
mécanismes de travail peu réfléchi à propos desdites notions.
2. Analyse des productions des étudiants
Cette analyse vise l’identification et la caractérisation des difficultés qu’éprouvent les
étudiants dans leur travail. Nous déterminons en conséquence ce qui constitue, pour les
étudiants, la complexité des mathématiques enseignées. Nous nous référons pour ce faire aux
trois composantes de la complexité pointées dans II.
Pour la question 3-b, sur 43 copies, nous dénombrons 23 réponses correctes, 17 réponses
fausses et 3 copies sans réponses (soit un taux d’échec de 47 %).
Sur les 23 réponses correctes, il y a 16 étudiants qui ont donné des solutions précises et
convenablement rédigées. Pour les 7 autres solutions, nous notons un certain implicite ou
non-conformité dans la rédaction, notamment à propos de l’usage des éléments de logique.
Concernant les 17 réponses fausses, 4 étudiants n’ont pas réussi à exprimer correctement la
propriété d’injectivité dans le contexte de l’exercice. Les 13 autres étudiants sont arrivés à
formuler convenablement l’injectivité de , soit en termes de noyau, soit dans le cadre
ensembliste. Nous commentons ci-après deux exemples de réponses fausses représentant les
erreurs et les difficultés les plus fréquentes constatées chez les étudiants.
Exemple 1
Figure 1 – Production 1
Dans cette réponse, l’étudiant exprime convenablement l’injectivité de en termes de
noyau et calcule , mais ne cherche pas si contient des éléments autres que . Il
semble confondre entre le fait que contient et se réduit à . Dans sa conclusion,
l’étudiant attribue à , valeur particulière de la variable M, le statut du paramètre A. Il y a là
difficulté dans l’appropriation du sens de la caractérisation de l’injection énoncée et
également dans le traitement du formalisme qui en a découlé.
Exemple 2
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Figure 2 – Production 2
L’étudiant ici utilise une caractérisation ensembliste de l’injection et emploie le mot
«donc» à la place d’un connecteur logique. Après avoir reformulé l’égalité fonctionnelle
par l’égalité matricielle , l’étudiant ne réussit pas à
terminer son travail convenablement. Il se limite à donner un cas de matrice A pour lequel
l’égalité est vérifiée pour tous M et N dans Mn( ), alors qu’il devrait
chercher la (ou les) matrice(s) A pour lesquelles l’égalité n’ait lieu
que si . La quantification des matrices dans la formulation de « injective » de départ
(absente dans le travail de l’étudiant) est essentielle pour la réalisation de la tâche. N’ayant
pas tenu compte de cette quantification a, semble-t-il, induit l’étudiant dans des confusions
pour connaitre ce qu’il doit chercher exactement. À la fin, l’étudiant ne précise pas si pour
, est injective ou non!
3. Commentaire pour les réponses à la question 3-b
Notons tout d’abord que le taux d’échec de 47 % pour cette question est significatif. C’est
que la technique 1 de résolution est supposée accessible pour les étudiants des CPS1. D’un
autre côté, nous remarquons que la majorité des étudiants dont les réponses étaient erronées
(13 sur 17) ont réussi à formuler convenablement le problème de l’injectivité de , soit dans
le cadre linéaire, soit dans le cadre ensembliste. Les difficultés éprouvées se sont produites
lors du traitement avec la formulation donnée, elles se situent essentiellement dans les points
suivants : appropriation du sens porté par les énoncés formels, confusion entre les statuts des
matrices en jeu, traitement avec une application, une équation ou un ensemble paramétré,
difficultés dans l’usage des éléments de logique.
D’un autre côté, considérant le choix de la technique de résolution (pour les réponses
correctes, comme pour les réponses fausses), nous dénombrons 22 étudiants sur 43 (soit plus
que la moitié) qui ne sont pas arrivés à tirer profit de la réponse à la question 3-a et effectuer
une déduction. Ceci pourrait s’expliquer par des difficultés dans la mise en relation des
données de l’exercice et une tendance à travailler la question de façon isolée. Autrement dit,
une tendance à travailler au niveau ponctuel des praxéologies mathématiques (application de
la définition de l’injection dans le cadre ensembliste).
4. Constats quant aux réponses des étudiants aux autres questions de l’exercice
En regardant les réponses des étudiants aux autres questions de l’exercice, nous constatons
que les trois premières questions (fermées ou de calcul), dont les techniques de résolution
consistent à des applications directes de définitions, de propriétés ou de calcul simple, sont les
mieux réussies par les étudiants (taux de réussite respectifs de 100%, 77% et 98%). Les
échecs dans la question 2 sont dus principalement à des difficultés à traiter avec l’ensemble
paramétré F pour montrer que F est stable pour les opérations de l’espace vectoriel Mn( ).
Nous notons également, pour cette question, que 16 étudiants sur 43 (soit 37%) n’ont pas
réussi à remarquer que F est le noyau de l’application linéaire et d’en déduire le résultat,
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comme le suggère la question. Ces étudiants ont plutôt utilisé une caractéristique générale des
sous-espaces vectoriels.
La question 3-c, quant à elle est la moins réussie dans l’exercice (79 % d’échec). Dans les
réponses erronées (49 %), tous les étudiants ont travaillé dans le cadre ensembliste et la
plupart d’entre eux ont réussi à donner une formulation correcte de la surjection dans le
contexte de la tâche, mais ils se sont heurtés à des difficultés lors du traitement de l’équation
paramétrique , résultante de cette formulation. La complexité de la tâche découle
notamment des nuances entre les statuts des matrices A, M et M’ en jeu et des confusions
entre notions contiguës (surjection/application, ensemble image/ensemble d’arrivée, matrice
A/matrice de l’application linéaire ).
D’un autre côté, le fait de travailler dans le cadre ensembliste et de répondre à la question
sans tenir compte de la réponse à la question 3-b2, confirme le constat établit dans la question
3-b à propos de la tendance des étudiants à travailler au niveau ponctuel des praxéologies
mathématiques.
V. CONCLUSION
L’analyse des réponses des étudiants aux différentes questions de l’exercice fait état, en
premier lieu, d’une bonne connaissance, par la majorité des étudiants, des énoncés
mathématiques caractérisant les notions intervenant dans les questions, et d’une possibilité de
reformuler ces énoncés dans le contexte de l’exercice. Le tableau 2 donne, pour chacune
desdites notions, le nombre de formulations données par les étudiants, selon qu’elles sont
conformes ou erronées.
Questions Notions Formulations
conformes
(sur 43)
Formulations
erronées
(sur 43)
1 Application
linéaire
43 (100 %) 0
2 Sous-espace
vectoriel
39 (91 %) 4 (9 %)
3-b Injection 37 (86 %) 6 (14 %)
3-c Surjection 28 (64 %) 15 (36 %)
Figure 2 – Conformité des formulations fournies par les étudiants
Ces résultats pourraient s’interpréter par une maitrise, de la part des étudiants, des énoncés
mathématiques enseignées et une aptitude à les reformuler dans des situations particulières.
Nous considérons ceci comme preuve quant à l’aptitude des étudiants à traiter avec les
notions mathématiques abstraites. Toutefois, pour beaucoup d’étudiants, la mise en œuvre des
formulations données n’était pas toujours évidente. Les difficultés constatées concernent
essentiellement l’appropriation du sens porté par ces formulations et la gestion du
symbolisme qui y est impliqué. D’un autre côté, notre analyse révèle une tendance chez
plusieurs étudiants (même pour ceux dont les réponses sont correctes) de travailler chaque
question de façon isolée, sans prendre en compte les possibilités de déduction présentes dans
l’exercice. Ceci pourrait s’interpréter comme une certaine disposition chez les étudiants à
2 La réponse attendue à cette question consiste à remarquer que est une application linéaire entre deux espaces
vectoriels de même dimension finie. Dans ce cas, les notions d’injection et de surjection sont équivalentes et la
réponse à cette question découle immédiatement de la réponse à la question précédente. Soit que, n’est pas
surjective, quelle que soit la matrice A de Mn( ).
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travailler au niveau ponctuel des praxéologies mathématiques disponibles et en même temps
une difficulté à mettre en intégration les PM ponctuelles et à travailler de façon autonome
avec des PM locales.
Il résulte de ces constatations que parmi les trois caractéristiques des mathématiques
supérieures pointées dans II, ce sont surtout celles qui concernent la gestion du formalisme
mathématique et le travail avec des PM locales, qui constituent principalement la complexité
des mathématiques chez les étudiants entrant à l’université. A notre avis, deux facteurs
contribuent à l’installation de ces difficultés, le premier concerne les choix d’enseignement
des mathématiques dans les institutions ES et CPS1, quant au deuxième, il se rapporte aux
connaissances qualifiées par certains auteurs de pratiques et opératoires.
En ce qui concerne le premier facteur, l’étude faite dans (Najar 2015) montre que dans ES,
l’environnement praxéologique relatif au travail des notions ensemblistes fonctionnelles se
caractérise par une prédominance de PM ponctuelles isolées, dont l’intervention se limite le
plus souvent au niveau pratico-technique et dont la plupart des tâches associées sont
routinières, de techniques de réalisation rigides et stéréotypées. Dans CPS1, en revanche,
l’enseignement des mathématiques est dominé par des praxéologies mathématiques locales
relativement complètes (comme le montre l’exercice donné dans le test analysé) et le
fonctionnement du savoir dans le topos des étudiants se rapproche, en ce qui concerne les
méthodes et le formalisme mis en œuvre, à celui qui est le sien dans les développements
théoriques des thèmes d’étude. En même temps, il y a dans CPS1 une sous-estimation quant
au travail d’ordre technique et une négligence quant à la mise en œuvre des PMPs dans les
tâches données aux étudiants. Par ailleurs, plusieurs chercheurs (Dorier 1997 ; Bosch et
Chevallard 1999 ; Durand-Guerrier & Arsac 2003…) considèrent que les questions touchant à
l’abstraction et au formalisme mathématiques sont à l’origine de multiples ruptures entre le
secondaire et le supérieur, conduisant à des difficultés résistantes chez les élèves et les
étudiants. La faible sensibilité des enseignants universitaires quant à l’importance qu’il faut
accorder dans l’enseignement au langage symbolique ajoute à ces difficultés. Ils considèrent,
généralement, que l’appropriation du sens du symbolisme mathématique et des règles qui
régissent son choix et sa manipulation est naturelle et va de soi dès que les notions et objets
qui y sont engagés sont convenablement explicités, ce que réfutent plusieurs recherches.
Selon Bosch et Chevallard (1999),
La méprise qui consiste à supposer que la perception des ostensifs serait naturelle – c’est-à-dire non
construite – explique dans une large mesure ce que la théorie des situations a mis en évidence sous le
nom de stratégies didactiques d’ostension. On désigne par ce terme la pratique d’enseignement où le
professeur se limite à montrer aux élèves un objet ostensif en croyant qu’il se créera spontanément un
rapport adéquat à cet ostensif et, surtout, aux non-ostensifs auxquels il est censé renvoyer (Bosch &
Chevallard, 1999, p. 92).
Pour ce qui concerne le deuxième facteur, il soulève le problème des apprentissage liées à
la pratique des mathématiques, que les apprenants ne semblent pas pouvoir acquérir par des
efforts personnels et pour lesquelles des actions didactiques semblent être nécessaires. Dans
l’objectif de décrire ces besoins d’apprentissage et prouver leur nécessité pour la réussite des
apprenants, Castela (2008) distingue au niveau de la technologie de toute PM intervenant
dans un problème deux composantes, respectivement théorique et pratique. La composante
théorique assure la validité de la technique utilisée, quant à la composante pratique, elle
correspond à des savoirs très ancrés dans l’expérience, permettant de choisir, de mettre en
œuvre et de piloter la technique. Pour Castela, ces connaissances d’ordre pratique sont dotées
d’une légitimité mathématique (par référence à l’activité du mathématicien) et se trouvent
implicitement reconnues par l’institution éducative, vu que leur nécessité se manifeste dans
les tâches d’évaluation et c’est leur absence qui est institutionnellement évoquée comme
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facteur d’échec. Néanmoins, l’institution reste muette à propos de ces apprentissages, et
n’organise aucun système didactique visant explicitement à permettre leur apprentissage.
Nous considérons que la difficulté remarquée chez les étudiants des CPS1 à mettre en
intégration les PM ponctuelles et à travailler de façon autonome avec des PM locales,
s’explique par des insuffisances de connaissances d’ordre pratique telles que définies par
Castela.
L’ensemble des facteurs que nous venons de citer, expliquent, en quelque sorte, la rupture
institutionnelle lors du passage de ES aux CPS1. Les résultats d’analyse du test montrent que
les étudiants des CPS1 ont de la difficulté à dépasser cette rupture de façon autonome et
semblent avoir du mal à s’adapter aux changements qui se produisent lors du passage du
secondaire au supérieur. Ces étudiants, se trouvent, semble-t-il, encore influencés par la
culture mathématique du secondaire.
En guise de conclusion, notre recherche confirme l’importance du travail à mener au
niveau de l’enseignement sur le langage formel, sur les connaissances d’ordre pratique ainsi
qu’à l’égard de l’intégration et de la complétion des praxéologies mathématiques en jeu dans
les contenus d’enseignement. Ce rôle doit être pris en charge par l’institution par le biais
d’organisations didactiques et mathématiques adaptées.
REFERENCES
Bosch M., Chevallard Y. (1999) La sensibilité de l’activité mathématique aux ostensifs. Objet
d’étude et problématique. Recherches en didactiques des mathématiques 19 (1) 77–124.
Bosch M., Fonseca C. Gascon J. (2004) Incompletitud de las organizaciones matematicas
locales en las instituciones escolares. Recherches en didactiques des mathématiques 24
(2/3), 205–250. Grenoble : La Pensée Sauvage.
Castela C. (2008) Travailler avec, travailler sur la notion de praxéologie mathématique pour
décrire les besoins d’apprentissage ignorés par les institutions d’enseignement. Recherches
en Didactique des Mathématiques 28 (2), 135-182. Grenoble : La Pensée Sauvage.
Chevallard Y. (1998) Analyse des pratiques enseignantes et didactique des mathématiques :
l’approche anthropologique. Actes de l’université d’été de la Rochelle (Juillet 1998), 91–
118.
Chin E. T., Tall D. (2002) Mathematical proof as formal procept in advanced mathematical
thinking. http://homepages.warwick.ac.uk/staff/David.Tall/pdfs/dot2002l-formal-
procept.pdf
Dorier J.-L. (Eds.) (1997) L’enseignement de l’algèbre linéaire en question. Grenoble : La
Pensée Sauvage.
Durand-Guerrier V. Arsac G. (2003) Méthodes de raisonnement et leurs modélisations
logiques. Le cas de l’analyse. Quelles implications didactiques ? Recherches en Didactique
des Mathématiques 23(3) 295–342.
Najar R. (2015) A propos de l’enseignement de la théorie des ensembles : les choix
institutionnels dans la transition secondaire/supérieur en Tunisie. Recherches en
Didactique des Mathématiques 35 (2), 141- 182. Grenoble : La Pensée Sauvage.
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