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BiochemicalSystemat~csofEcology, Vol. 8, pp. 127to 132. 0305-1978/80/0601-0127502.00/0 © PergamonPressLtd. 1980.Printed in England. Essai Chimiosyst matique sur la Tribu des Lot es* MAURICE JAY, BERNARD VOIRIN, AURANGZEB HASAN, JEAN-FRANCOIS GONNET et MARIE-ROSE VlRICEL D6partement de Biologie V6g6tale, Universit6 Claude Bernard, Lyon, France Key Word Index-Leguminosae; Loteae; flavonoids; flavonol 7-methyl ethers; myricetin derivatives; 6-O-substituted flavonols; flavone-C-glycosides; biochemical systematics. Abstract - A survey of the leaves and flowers of 62 representatives of the tribe Loteae (Leguminosae) showed the presence of several classes of fiavonoids: flavonol 7-methyl ethers (rhamnocitrin, rhamnetin), 8-O-substituted flavonols (gossypetin, limocitrin, sexangularetin, corniculatusin), 3',4',5'-tri-O-substituted flavonols (myricetin, mearnsetin, syringetin, laricitrin), proanthocyanidins and flavone-C-glycosides. The trisubstitution of the B-ring and the 8-O-substitution of the A-ring allow the definition of a major group including the genera Dorycnium, Bonjeania, Lotus and Tetragonolobus. The presence of proanthocyanidins and 7-O-methylation determine a second group consisting of the genus Anthyllis. Finally, Securigera, on the basis of its flavonoid chemistry, appears to be rather remote from other members of the tribe. Introduction Si I'on s'en tient ~ ses representants europeens, ce qui est le cas ici, la tribu des Lotees est definie dans son sens le plus large par Bentham et Hooker [1] qui rassemblent dans ce taxon les genres: Anthyllis L. (sect. vulneraria DC., physanthyllis Boiss., aspalathoides DC., cornicina DC., dorycnopsis Boiss.), Lotus L. (sect. krokeria Ser., Iotea Ser., eulotus Ser., tetragonolobus Scop.), Hymenocarpus Savi, Securigera DC., et Dorycnium Viii. (sect. bonjeania Reichb.). Un tel point de vue a 6t6 partage et repris par Baillon [2] dans I'Histoire des Plantes, par Taubert dans le Natfirlichen Pflanzenfamilien [3] et par Hutchinson [4] qui, toutefois, eleve au rang de genre les taxa Cornicina, Physanthyllis et Dorycnopsis. Cette homogeneite de conception ne peut cependant pas #tre interpret6e comme I'expression du carac- tere homogene et naturel du taxon Lotees; nous n'en voudrions pour preuve que les travaux de Rouy [5] qui le conduisent ~ sectionner en trois tribus le contenu donne par ses predecesseurs ~ la tribu des Lotees; c'est ainsi que Anthyllis est rattache ~ la tribu des Ononid6es, Securigera annex6 & celle des Coronill6es, et les autres representants regroupes dans celle des Glycyrrhizees: Bonjeania, Dorycnium, Lotus et *43eme communication dans la s(~rie "Etude Chimio- taxinomique des P(antes Vasculaires"; pr6cCdente communication: Lebreton, Ph., Boutard, B. et Thivend, S. (1978). C. R. Acad. Sci. Set D. 287, 1255. Tetragono/obus constituant la sous-tribu des Dorycniees, Hymenocarpus, Dorycnopsis et Physanthyllis celle des Hymenocarpees. Le probleme d'une definition homogene sinon naturelle des Lot~es est donc pose, et il semble qu'aucune discipline n'ait jusqu'alors reussi & lui apporter une solution. La chimie ne fait pas exception ~fi la regle malgre I'interet qu'ont suscite certains genres, tant au plan de leur repartition geographique qu'~ celui de leur importance au sein de I'ecosysteme prairiah Lotus et Anthyllis par exemple. L'un de nous [6] avait tent6 en 1971, sur la base de la bibliographie chimique alors disponible, de donner une definition poly- phenolique de ce taxon (Bentham sensu); elle se resume en deux points: presence de proantho- cyanidines avec en particulier le compose prodel- phinidine, absence d'isoflavondides. Ces deux donn6es s'averent en fait de poids trop faible pour asseoir au sens chimique polyph¢nolique la tribu des Lotees. C'est pourquoi, avec une technique plus elabor6e et selective, nous avons repris retude chimique de la plupart des representants europ~ens de cette tribu; seul Hymenocarpus a ete delaisse faute d'avoir pu disposer de materiel vegetal. PourAnthyllis, nous empruntons certains resultats ~ Couderc [7]; mais cet auteur a travaill6 selon un protocole experimental identique au n6tre. Les r6sultats ici presentes concernent les aglycones flavoniques liberes apres hydrolyse du materiel vegetal; c'est probablement de ces genines que peut venir, avec le plus d'intensit¢, (Received 12July 1979) 127

Essai chimiosystématique sur la tribu des Lotées

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BiochemicalSystemat~csofEcology, Vol. 8, pp. 127to 132. 0305-1978/80/0601-0127502.00/0 © Pergamon Press Ltd. 1980. Printed in England.

Essai Chimiosyst matique sur la Tribu des Lot es*

MAURICE JAY, BERNARD VOIRIN, AURANGZEB HASAN, JEAN-FRANCOIS GONNET et MARIE-ROSE VlRICEL

D6partement de Biologie V6g6tale, Universit6 Claude Bernard, Lyon, France

Key Word Index-Leguminosae; Loteae; flavonoids; flavonol 7-methyl ethers; myricetin derivatives; 6-O-substituted flavonols; flavone-C-glycosides; biochemical systematics.

Abstract - A survey of the leaves and flowers of 62 representatives of the tribe Loteae (Leguminosae) showed the presence of several classes of fiavonoids: flavonol 7-methyl ethers (rhamnocitrin, rhamnetin), 8-O-substituted flavonols (gossypetin, limocitrin, sexangularetin, corniculatusin), 3',4',5'-tri-O-substituted flavonols (myricetin, mearnsetin, syringetin, laricitrin), proanthocyanidins and flavone-C-glycosides. The trisubstitution of the B-ring and the 8-O-substitution of the A-ring allow the definition of a major group including the genera Dorycnium, Bonjeania, Lotus and Tetragonolobus. The presence of proanthocyanidins and 7-O-methylation determine a second group consisting of the genus Anthyllis. Finally, Securigera, on the basis of its flavonoid chemistry, appears to be rather remote from other members of the tribe.

Introduction Si I'on s'en tient ~ ses representants europeens, ce qui est le cas ici, la tribu des Lotees est definie dans son sens le plus large par Bentham et Hooker [1] qui rassemblent dans ce taxon les genres: Anthyllis L. (sect. vulneraria DC., physanthyllis Boiss., aspalathoides DC., cornicina DC., dorycnopsis Boiss.), Lotus L. (sect. krokeria Ser., Iotea Ser., eulotus Ser., tetragonolobus Scop.), Hymenocarpus Savi, Securigera DC., et Dorycnium Viii. (sect. bonjeania Reichb.). Un tel point de vue a 6t6 partage et repris par Baillon [2] dans I'Histoire des Plantes, par Taubert dans le Natfirlichen Pflanzenfamilien [3] et par Hutchinson [4] qui, toutefois, eleve au rang de genre les taxa Cornicina, Physanthyllis et Dorycnopsis. Cette homogeneite de conception ne peut cependant pas #tre interpret6e comme I'expression du carac- tere homogene et naturel du taxon Lotees; nous n'en voudrions pour preuve que les travaux de Rouy [5] qui le conduisent ~ sectionner en trois tribus le contenu donne par ses predecesseurs ~ la tribu des Lotees; c'est ainsi que Anthyllis est rattache ~ la tribu des Ononid6es, Securigera annex6 & celle des Coronill6es, et les autres representants regroupes dans celle des Glycyrrhizees: Bonjeania, Dorycnium, Lotus et

*43eme communication dans la s(~rie "Etude Chimio- taxinomique des P(antes Vasculaires"; pr6cCdente communication: Lebreton, Ph., Boutard, B. et Thivend, S. (1978). C. R. Acad. Sci. Set D. 287, 1255.

Tetragono/obus constituant la sous-tribu des Dorycniees, Hymenocarpus, Dorycnopsis et Physanthyllis celle des Hymenocarpees.

Le probleme d'une definition homogene sinon naturelle des Lot~es est donc pose, et il semble qu'aucune discipline n'ait jusqu'alors reussi & lui apporter une solution. La chimie ne fait pas exception ~fi la regle malgre I'interet qu'ont suscite certains genres, tant au plan de leur repartition geographique qu'~ celui de leur importance au sein de I'ecosysteme prairiah Lotus et Anthyllis par exemple. L'un de nous [6] avait tent6 en 1971, sur la base de la bibliographie chimique alors disponible, de donner une definition poly- phenolique de ce taxon (Bentham sensu); elle se resume en deux points: presence de proantho- cyanidines avec en particulier le compose prodel- phinidine, absence d'isoflavondides. Ces deux donn6es s'averent en fait de poids trop faible pour asseoir au sens chimique polyph¢nolique la tribu des Lotees. C'est pourquoi, avec une technique plus elabor6e et selective, nous avons repris retude chimique de la plupart des representants europ~ens de cette tribu; seul Hymenocarpus a ete delaisse faute d'avoir pu disposer de materiel vegetal. PourAnthyllis, nous empruntons certains resultats ~ Couderc [7]; mais cet auteur a travaill6 selon un protocole experimental identique au n6tre. Les r6sultats ici presentes concernent les aglycones flavoniques liberes apres hydrolyse du materiel vegetal; c'est probablement de ces genines que peut venir, avec le plus d'intensit¢,

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I'eclairage nouveau que nous esperons donner ~ ce taxon; en outre, pour Securigera nous avons approfondi le probl~me des C-glycoflavones.

Mat6riel v6g6tal et r6sultats chimiques Les resultats chimiques sont rapportes dans le Tableau 1; ils concernent Anthyllis barba-jovis L., A. hermanniae L., A. montana L., A. cytisoides L. (soit 4 Anthyllides ligneux), Anthyllis vu/neraria L. (38 echantillons repr6sentatifs des sous-especes vulgaris, hispida, vulnerarioides, forondae, borealis et alpestris), Tetragonolobus siliquosus Roth. (3 #chantillons), Bonjeania hirsuta Reichb. (3 ~:;hantillons), Dorycnium suffruticosum Viii. (4 echantillons), Lotus comiculatus L. (4 echantillons), L. uliginosus Schk. (3 echantillons), L. alpinus Schleich. (2 echantillons) et Securigera coronilla DC. Dans la plupart des cas, feuilles et fleurs ont ete analysees s6par6ment.

Cette etude a permis de caracteriser par les methodes physicochimiques modernes (UV, SM, RMN) un certain nombre d'entit6s mol6culaires parmi lesquelles nous retenons plus particuliere- ment, du fait de leur originalite ou de leur valeur en tant que marqueurs systematiques:

(a) desoxy-5 flavondides: desoxy-5 isorham- netine (geraldol), desoxy-5 quercetine (fis~tine), desoxy-5 kaempferol; (b) flavond(des 8-O-substitues: hydroxy-8 quercetine (gossypetine), m6thoxy-8 quercetine (corniculatusine), methoxy-8 kaempf6rol (sex-

angular6tine), m6thoxy-8 isorhamn6tine (limo- citrine); (c) m6thyl-7 flavondides: m6thyl-7 quercetine (rhamn6tine), m6thyl-7 kaempf6rol (rhamno- citrine); (d) flavondfdes ~ noyau B trisubstitu~: myri- c6tine, m6thyl-3' myricetine (laricitrine), methyl- 4' myric6tine (m6arns6tine), dimethyl-3',5' myri- c6tine (syring6tine); (e) C-glycoflavones: derives O-glycosyl6s d'iso- vitexine, d'isoorientine, de swertiajaponine et d'isocytisoside.

Discussion Probl#me Lotus/Tetragonolobus Les affinit6s entre les repr6sentants de ces deux genres devraient etre particuli~rement 6troites comme en t6moignent certaines classifications qui reconnaissent en Tetragono/obus siliquosus le repr6sentant d'une simple section du genre Lotus (L. s///quosus L.). II faut en effet souligner qu'ils partagent un certain nombre de traits communs essentiels: feuilles trifoliol6es ~ folioles sensiblement 6gales, stipules ~ peu pros sem- blables aux folioles, tiges enti~rement herbac6es, fleurs ~ ailes soud6es, gousse non renfl6e maturit& II n'en reste pas moins vrai que le botaniste les diff6rencie ais6ment par la disposition des fleurs (solitaires et grandes chez Tetra- gonolobus, petites et en ombelle pedoncul6e chez Lotus), la forme de la gousse (grosse, quad-

TABLEAU 1. DISTRIBUTION DES FLAVONO'IDES DANS LA TRIBU DES LOTEES

Genres

Flavondl"des*

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19

Anthyllis l igneux Feuiltes +

Anthyllis vu/neraria Feuilles + Fleurs +

Tetragonolobus s#l~luosus Feuilles + Fleurs +

Bonjeania hirsuta Feuilles +

Dorycnium suffrudcosum Feuilles + Fleurs +

Lotus sp. Feuilles + Fleurs +

Securigera coronilla Feuilles + Fleurs +

+ + + + + . . . . . . . . . . . . .

+ + + ( + ) + + . . . . . . . . + + + ( + ) + + . . . . . . . . . .

+ + ( + ) + . . . . . . . + + + ( + ) + - + + + . . . . . .

( + ) + - + . . . .

+ ( + ) + + + + . . . . . . ( + ) + - + + + . . . . .

+ + + ( + ) + . . . . . . . . . . + + ( + ) + - + + + + -

+ I + ) + . . . . . . . + + + + ( + ) + . . . . . . . + -

*L~!~gendes= 1, flavonols (querc~tine, kaempferol ou isorhamn(~tine); 2, g(~raldol; 3, d6soxy-5 kaempf(~rol; 4, fis~tine; 5, teneurs en proantho- cyanidines ( + + = fortes teneurs, ( + ) = faibles teneurs); 6, prodelphinidine; 7, rhamn~tine et (ou) rhamnocitrine; B, myric6tine; 9, laricitrine; 10, m~.arns~tine; 11, syringetine; 12, corniculatusine; 13, sexangular(~tine; 14, limocitrine; 15, gossypetine; 16, C-glycoflavones; 17, lutL, oline; 18, apig~nine; 19, chrysoeriol.

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ESSAI CHIMIOSYSTEMATIQUE SUR LA TRIBU DES LOTEES 129

rangulaire et ailee chez Tetragono/obus, petite et cylindracee chez Lotus), ou encore la forme du style (filiforme chez Lotus, epaissi au sommet chez Tetragonolobus) .

Au plan chimique, les ressemblances se situent au niveau des desoxy-5 flavondides et des pro- anthocyanes (plus particulierement la prodelphini- dine), c'est ~ dire pour des caracteres qui dans le contexte Legumineuses n'ont que tres peu de valeur syst~matique generique; il s'agit davantage de criteres tribaux ou familiaux [8]. Par contre, les divergences sont ~ notre avis essentielles: Tetra- gonolobus se definit par sa richesse en flavonols phenyle lateral trisubstitu~ (myricetine, laricitrine, syringetine), et Lotus par sa richesse en flavonols 8-O-substitues (gossypetine, limocitrine, sex- angularetine, corniculatusine). II faut souligner que ces divergences concernent le metabolisme floral. Au niveau du metabolisme foliaire, la definiti- tion polyphenolique de Lotus est tr~s banale, par contre celle de Tetragono/obus se distingue tres nettement du fait de la presence de flavones, marqueurs systematiques forts. II existe donc tout un faisceau de caracteres flavondldiques qui vont dans le sens de Rouy [5], Coste [9], Fournier [10] et Tutin et al. [11] dont les flores marquent une distinction tr~s nette entre Lotuset Tetragonolobus.

Prob/#me Dorycnium/Bonjeania Le probl~me de systematique generique ici pose est tr~s voisin du cas precedent, certains auteurs ayant reconnu en Bonjeania hirsuta le representant d'une simple section du genre Dorycnium (Dorycnium hirsutum DC.). Les divergences morphologiques et anatomiques reposent sur la presence ou I'absence de tissu entre les graines dans le fruit, sur la plus ou moins grande largeur des folioles, sur la forme plus ou moins ovdlde des gousses, sur le caract~re plus ou moins rectiligne de la carene, c'est ~ dire sur des caract~res dans I'ensemble assez tenus, exception faite du premier qui peut etre juge plus significatif.

Au plan chimique, notre comparaison ne concerne que le metabolisme flavonique foliaire; nous n'avons en effet pas eu acces au materiel floral pour Bonjeania hirsuta. Le Tableau 1 revile au niveau des molecules marqueurs systema- tiques, des potentialites biogenetiques assez proches pour Dorycnium suffruticosum et pour Bonjeania h/rsuta; en effet, la trisubstitution du noyau B des flavonols s'exprime dans les deux cas, mais d'une mani~re plus diversifiee chez Dorycnium. Ces resultats temoignent plus en faveur du point de vue de Bentham [1], de Taubert [3] (Dorycnium hirsutum) que de celui de Rouy [5] ou de Coste [9] (Bonjeania hirsuta).

L'analyse du materiel floral de Bonjeania per- mettra peut-etre de ruancer notre conclusion.

Les Relations Lotus-Tetragonolobus/ Dorycnium-Bonjeania L'etude des relations entre ces quatre genres conduit ~ poser le probleme du fond de la tribu des Lot~es, car selon I'avis unanime des systema- ticiens, force est de reconnaTtre que leurs affinites sont probablement tr~s 6troites. Les donnees chimiques du Tableau 1 vont nous permettre de preciser le degr6 de leurs affinites donc de structurer la tribu des Lotees sur la base de ses potentialites metaboliques polyphenoliques.

On trouve chez les representants de ces quatre genres un certain nombre de caract~res ancestraux [12] communs: presence de proanthocyanidines (dont la concentration reste toutefois faible) et de flavonols, ainsi que de caract~res ancestraux diff~rentiels: trisubstitution du phenyle lateral des flavonols chez Bonjeania, Dorycnium et Tetra- gono/obus, et 8-O-substitution chez Dorycnium et Lotus. Pour ces deux derniers caract~res des nuances sont toutefois introduites avec I'appari- tion de methylations des hydroxyles phenoliques concernes.

Ces r~sultats nous am~nent & formuler I'hypo- these suivante: il existerait, ~ proximite d'un ancetre commun, un premier ensemble taxinomique constitu~ de Dorycnium--Bonjeania -Tetragonolobus, et defini par le caractere tri- substitution du ph~nyle lateral; ce groupe serait lui- meme structure, avec Dorycnium au niveau le plus bas et Tetragonolobus au niveau le plus haut, du fait du maintien de la 8-O-substitution chez le premier, et de I'apparition de flavones chez le second. Un deuxi~me ensemble regrouperait les Lotus; chimiquement il serait plus 6volue puisque depourvu de flavonols ~ noyau B trisubstitu~ et pourrait deriver du premier ensemble au niveau du genre Dorycnium puisquil partage avec celui-ci la presence de flavondides 8-O-substitues. Ainsi les representants actuels des quatre genres etudies se rattacheraient-ils & un seul et meme phylum central des Lotees sensu stricto.

Le Cas des Anthyllides Nous avons dej& soulign6 les divergences de point de vue dont ont 6t6 I'objet les representants du genre Anthy//is; certains auteurs comme Taubert [3] les consid~rant comme des Lot~es ~fl fruit indehiscent par opposition aux Lot~es typiques dont le fruit s'ouvre en deux valves, d'autres comme Rouy [5] les rangeant dans un taxon nettement distinct, les Ononid~es par exemple.

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Au plan chimique, les travaux de I'un de nous relatent [13, 14] avec pr6cision les possibilit~s flavoniques de I'Anthyl/is vu/neraria au niveau des m6tabolismes foliaire et floral; ~ ce propos, le Tableau 1 montre que cette esp~ce se distingue assez nettement des quatre genres pr6c6dents- perte totale de la trisubstitution port6e par le noyau B des flavonols - disparition de la 8-O-substitution, - apparition de la m6thylation en -7 des flavonols. Elle conserve toutefois comme les quatre autres repr6sentants des Lot~es la prodelphinidine et les flavonols banaux.

En ce qui concerne les Anthyllides ligneux, les travaux de Couderc [7] r~v~lent par rapport ~ la pr6c6dente d6finition de I'Anthyllis vulneraria, une richesse particuli~re en proanthocyanidines et I'absence (non apparition au sens phylog~n~tique) de flavonols m~thyl~s en -7. Nous ne poss~dons pas pour ces arbustes d'information sur le m~tabolisme floral.

II nous semble que le profil polyph~nolique des Anthyllides ligneux permette de situer I'Anthy/lis vu/neraria par rapport aux autres Lot~es. A notre avis, il n'est pas n~cessaire de crier (ou d'annexer) un taxon particulier pour ce genreAnthyl/is; il suffit d'envisager plus simplement rexistence d'un second phylum de Lot~es qui se serait d~gag~ de la souche en perdant le caract~re trisubstitution du ph~nyle lateral, mais en conservant intactes les potentialit~s du m~tabolisme proanthocyanique selon un cheminement strictement inverse de celui pr~sidant ~ la d~finition du phylum central. Ce second phylum se serait tout d'abord exprim~ par les Anthyllides ligneux, puis aurait conduit I'Anthyl/is vulneraria par ~volution simplificatrice des proanthocyanidines et par apparition d'O- m~thyltransf~rases de I'O H-7 flavonique.

Le Cas de Securigera coronilla Tout comme les Anthyllides, Secungera coroni/la (genre monosp6cifique) a ~t6 consid~r~ soit comme une Lot6e ~ fruit ind6hiscent ou d~hiscent tr~s tardivement, soit comme le repr6sentant d'un autre taxon; dans cette hypoth~se, Rouy [5] en fait une Coronill~e.

L'analyse de son contenu polyph6nolique foliaire et floral I'individualise assez nettement des deux lign6es pr6c6demment trac6es par la chimie au sein des Lot~es sensu /ato; en effet, sur un fond commun de prodelphinidine et de flavonols, I'accent est mis sur des C-glycoflavones qui constituent I'expression majeure de son m6ta- bolisme flavonique. II s'agit I~ d'une donn6e enti~rement nouvelle pour les Lot6es, et qui nous fait douter du bien-fond6 d'un tel rapprochement.

Frapp6 par la similitude de port et d'organisation

entre Securigera coronilla et les Coronilles elles- m~mes, nous avons analys6 le contenu flavonique de Coroni/la varia: prodelphinidine, procyanidine et C-glycoflavones pour les feuilles, procyanidine et flavonols (querc~tine et kaempf~rol) pour les fleurs. Nous constatons qu'~ I'exception du d6soxy-5 kaempf6rol, il y a superposition parfaite des diagnoses entre Securigera et Coronilla, les deux taxa se singularisant par leur richesse particuli~re en C-glycoflavones. Nous relevons qu'ils partagent 6galement dans ce profil, proanthocyanidines et flavonols. II est clair que ces r6sultats militent forte- ment en faveur d'un rapprochement Securigera- Coroni/la; nous ne pouvons toutefois, en 1'6tat actuel de nos connaissances, pr6ciser le degr6 d'ind~pendance de cette unit~ syst~matique vis vis du taxon des Lot6es tel que nous I'avons pr6c6demment d6fini.

Conclusion Avec les r6serves qui s'imposent du fait d'un 6chantillonnage non exhaustif, I'apport des donn6es biochimiques ~ la r6solution du probl~me syst~matique et phylog6n~tique pos6 par la tribu des Lot6es est r6capitul6 dans le Fig. 1.

Patt ie exp6r imenta le Les donn6es relatives ~ I'origine geographique et au profil polyph6nolique des echantillons de Lotus corniculatus [15],

L o t u s Tetragonolobu$ L/I"°v°°e" c~c.i / Biy'1~°"°(? )

Anthyllis vu/neraria M6thylations

/ / ,,oooux II /I

I Proanthocyanidines I ,, C- Glycoflavones I U . . . . . . . . J

t Coron#la

FIG. 1. RELATIONS PHYLOGENETIQUES AU SEIN DES LOTEES SUR LA BASE DE LEUR DEFINITION POLYPHENOLIQUE.

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ESSAI CHIMIOSYSTEMATIQUE SUR LA TRIBU DES LOTEES 131

Anthyllis vulneraria [13, 16], Tetragonolobus siliquosus [17] et Dorycnium suffruticosum [17] ont dej~ ete publiees.

Bonjeania hirsuta Reichb. a et6 recolt6 dans trois stations des departements de I'Ardeche, de la DrC)me et du Gard (France). Lotus alpinus Schleich. a et6 cueilli dans le departe- ment des Hautes-Alpes (cols du Lautaret et de la Ponson- niere). Lotus uliginosus Schk. provient du departement de I'Ain (trois prairies bordantes d'etangs de la Dombes). Securigera coronilla DC. a ete recolt6 dans le departement des AIpes Maritimes. Les Anthyllides ligneux proviennent de quatre stations du d6partement du Var pour A. barba-jovis L., d'une station du departement des Pyr6n~es orientales pour A. cydsoides, de quatre stations des departements du Doubs, Aveyron, Hautes Alpes et Alpes Maritimes pour A. montana L., d'une station de Crose pour A. hermanniae L.; Coronilla varia L. a 6t6 cueilli dans une station du departement des Hautes Alpes.

Le protocole analytique a ete anterieurement public [18, 19]. Les molecules nouvellement citees par rapport t] nos precedents travaux appartiennent ~ la famille des C-glyco- flavones dont respectivement 4 et 5 representants ont ete identifies chez Coronilla varia et chez Securigera coron/lla.

Les C-glycoflavones de Securigera coronilla. 4 g de feuilles seches sont extraites par te melange MeOH-H20 (7:3); awes evaporation du solvant d'extraction et reprise du residu par H20 bouillante, les C-glycoflavones sont entrainees par le-n-BuOH et separees par CP dans AcOH 15%, puis dans BuOH-AcOH-H20 (4:1:5) (BAW). Les bandes chromato- graphiques eluees sont filtrees sur cotonne de polyamide MN SC6 par un melange C6H6-MeOH. Les produits naturets ainsi purifies sont identifies au vu de leur comportement chromatographique en presence de substances temoins, de leurs caracteristiques UV, et awes permethylation selon la technique de [20], de leurs caract6ristiques SM [21,22].

Compos6 1. UV ~max nm: MeOH 272, 324; NaOAc 280, 374; H3BO 3 276, 334; NaOMe 280, 374 avec diminution d'intensit6 de la bande I. SM du derive perm6thyle, principaux ions m/e (%): 734 (5%), 719 (4), 703 (13), 559 (12), 545 (13), 515 (56), 499 (100), 467 (7), 397 (8), 355 (20), 341 (88), 325 (28), 311 (20). Le spectre UV est typique d'une structure apigenine m0thylee en 4' et le spectre de masse, d'une PM O-gtucosyl-2" C-glycosyl-6 apigenine. Le compose 1 serait donc le O-glycosyl-2" isocytisoside.

Compos# 2. UV ~max nm: MeOH (260), 272, 340; NaOAc 272, 392; H3BO 3 268, 360; AICI 3 277, 298, 352, 416; AICI3-HCI 280, 300, 354, 386; NaOMe 278, 408 sans diminution d'intensite de la bande I. SM du derive permethyle, principaux ions m/e (%): 734 (9%), 575 (10), 545 (50), 529 (100), 515 (5), 499 (6), 427 (5), 385 (8}, 371 (50), 355 (10), 341 (10). Le spectre UV est caracteristique d'une structure luteoline methylee en 7, et le SM, d'une PM O-rhamnosyl-2" C-glucosyl-6 luteoline. Le compose 2 serait la O-rhamnosyl-2" swertiajaponine.

Compos6 3. UV~ max rim: M~OH 258, 271,348; NaOAc 274, 400; H3BO 3 261,374; AICI 3 276, 300, 332, 426; AICI3-HCI 278, 298, 360, 388; NaOMe 268, 410 sans diminution d'intensit& SM du derive permethyle, principaux ions m/e (%): 734 (20%), 575 (8), 545 (56), 529 (100), 515 (5), 427 (5), 385 (5), 371 (50), 355 (8), 341 (5). Le spectre UV temoigne

d'une structure luteoline; quant au S M il correspond ~ une PM O-rhamnosyl-2" C-glycosyl-6 lut~oline. Le compose 3 serait donc une O-rhamnosyl-2" isoorientine.

Compos6 4. UV ~max nm: MeOH 272, 336; NaOAc 280, 390; H3BO 3 272, 344; AICI 3 277, 302, 352, 380; AICI3-HCI 280, 304, 348, 380; NaOMe 279, 332, 400 sans diminution d'intensit& SM du derive perm6thyle, principaux ions m/e (%): 704 (5%), 559 (5), 545 (13), 515 (45), 499 (100), 485 (5), 457 (6), 397 (6), 381 (6), 369 (5), 367 (5), 355 (9), 341 (84). Le spectre UV temoigne d'une structure apigenine; quant au SM il correspond t] une PM O-rhamnosyl-2" C-glycosyl-6 apigenine. Le compose 4 serait donc la O-rhamnosyl-2" isovitexine.

Compos~ 5. II est par routes ses caracteristiques physico- chimiques identique ~ r isovitexine.

Les C-g/ycoflavones de Coronilla varia. 3g de feuilles seches sont hydrolyses avec HCI 2 N au bain-marie bouillant pendant 40 min; apres refroidissement, rhydrolysat est epuise par Et20 puis par n-BuOH; la fraction BuOH est traitee en CP bidimensionnelle dans BAW et AcOH 15%; 4 taches sont reper6es sous UV et eluees. Les identifications sont realisees t] I'aide de la spectrophotom6trie UV en presence des reactifs classiques, et grace ~ la chromatographie en presence de substances temoins. Les deux composes flavoniques majeurs sont identifies respectivement comme vitexine et isovitexine; les deux compos~s mineurs s'averent identiques ~ orientine et isoorientine. Bien qu'il ne soit pas possible de garantir le caractere naturel des produits identifi6s dans la mesure oe la technique analytique a fait appel ~] un processus d'hydrolyse pouvant donner lieu ~ des transpositions de type Wessely-Moser, la presence de C-gtycosyl flavones dans les feuilles de Coronilla varia est indeniable; nous confirmons en cela de prec6dentes identifi- cations relatives ~ cette espece [23].

R e m e r c i e r n e n t s - Nous remercions M. Couderc (Universite Paris XI, F-Orsay) pour la fourniture du materiel vegetal de I'Anthyllis vulneraria, et M. Salanon (Universite de Nice, F-Nice) pour celle de quelques individus de Securigera coronilla.

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