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L IOneL C ruzILLe L’éveil est le début du Chemin

est le début du Chemin - Essayiste et romancier ... · saturation tel que se crée soudain un efface-ment de l’ego, momentané le plus souvent. ... accepter et travailler avec

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L i o n e LC r u z i L L e

“ L’éveilest le début du

Chemin ”

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a question de l’éveil est sou-vent sujette à débat. Il règnedans le milieu spirituel beau-coup de flous concernant laquestion de l’éveil et aussi

beaucoup de rêves, d’extrapola-tions et de purs fantasmes. Jevous invite donc à la plus grandecirconspection, à faire appel àvotre sens critique autant qu’àvotre confiance en la Voie et enl’instructeur que vous suivezpeut-être déjà. C’est un subtiléquilibre à trouver, mais c’est làune des grandes vertus du véri-table disciple que de reconnaîtreun chemin authentique. Pouraborder cette question, et bien queje sois sur un chemin de spiritua-

lité laïque, je vais reprendre dansles grandes lignes ce que définitla grille de lecture sur les étapesd’intégration de l’éveil qu’utiliseJack Kornfield dans son livreAprès l’extase, la lessive [1] etqui est issue du bouddhismeThéraveda. J’utilise celle-ci carelle a le mérite d’être à la foisclaire et connue (voire recon-nue). Toutefois, je vous invite àvoir au-delà de toute forme ettenter de goûter le fond du sujet.

Pour commencer, nous dis-tinguerons ce qu’on nomme

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Sculpture “ Cosmos” © Catherine Cairn

http://catcairn.wix.com/cc

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éveil et la Réalisation. J’ai rencontré plu-sieurs instructeurs et maîtres spirituels pourqui l’éveil est en fait le début du Chemin.C’est tout à fait déroutant la première foisqu’on voit clairement ce que cette approchesignifie. Les implications de cette affirma-tion montrent qu’il y a d’abord une sorte depropédeutique à la voie. une préparation quipeut durer un certain nombre d’années et oùl’on est ce que la plupart nomment un “cher-cheur spirituel”.

durant ce temps, nécessaire d’un certainpoint de vue, chacun cherche vraiment et àtous les niveaux. Les chercheurs peuventmême se perdre dans leur recherche car lesrisques de confusion, de butinage de stagesen stages voire d’épuisement et d’errancessont assez importants, d’autant plus si lasouffrance intérieure est grande et niée.nombre de pièges peuvent jalonner le che-min du chercheur, dont les plus gros seraientà l’heure actuelle un syncrétisme maladroitet le matérialisme spirituel. Les écueils sontfréquents simplement parce que le chercheurest, comme son nom l’indique, quelqu’unqui cherche. C’est donc l’ego qui cherche, etce n’est ni bien ni mal, c’est ainsi. Il en atoujours été ainsi. Il cherche à travers sasouffrance, ses névroses, ses emportementsémotionnels etc. nous sommes là bien loinde l’engagement profond du disciple.

Toujours est-il que le chercheur n’estdonc pas, par définition, quelqu’un qui trou-ve. C’est un spécialiste de la recherche,chose qui pose question. Certains se refusentplus ou moins consciemment à envisager de“trouver”, ce qui est un terrible piège dumental, car ils se retrouvent ainsi face à descroyances du type  : «  l’éveil n’est pas pourmoi, mais uniquement pour les grands lamaset autres héros de la spiritualité » etc. L’éveilexisterait, oui peut-être, mais certainement

pas pour eux. Or, il y a là un non sens. LaRéalisation complète est sans doute réservéeà une poignée («  il y a beaucoup d’appelé,peu d’élus ») mais non l’éveil. Car l’éveil estle début de la Voie.

Il est important de préciser que larecherche spirituelle n’est pas du tout à reje-ter car elle est le plus souvent nécessaire etutile à bien des égards. et c’est même grâceà elle que peut se générer un jour une telle“friction” intérieure qu’elle amène à lâchercomplètement. C’est même là le plus sou-vent sa raison d’être : créer une friction issuede l’état de recherche. La recherche en tantque préparation à la Voie véritable sert de“prélavage” si j’ose dire. Cette étape créeune première remise en question du “petitmoi”, qui peut croître jusqu’à un point desaturation tel que se crée soudain un efface-ment de l’ego, momentané le plus souvent.de cet abandon, de cette ouverture deconscience, peut naître notre première expé-rience d’éveil. Plus ou moins grande, plus oumoins profonde et qui durera plus ou moinslongtemps. C’est la première étape mention-née par le bouddhisme Théraveda : « entrerdans le courant ». Kornfield en parle en cestermes :

« Cette entrée dans le courant survientlorsque nous goûtons pour la première foisla saveur de liberté absolue de l’éveil : uneliberté du cœur, au-delà de toutes les condi-tions mouvantes du monde. L’entrée dans lecourant apporte un changement de compré-hension stupéfiant. »

Ce qui importe dès lors, c’est que notrerecherche initiale nous a menés à une “capi-tulation”, à une profonde prise de consciencequi s’apparente à une reddition pour s’enremettre à plus grand que soi. uneOuverture s’est créée sur notre véritablenature. Cette Ouverture de conscience peut

Certaines formes de troubles et d’ombres ressurgissent après le premier éveil.“

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être appelée satori, éveil, etc, car nous avonsdécouvert ce qu’on peut nommer : laConscience une, le soi, le royaume de dieuau-dedans de nous, notre nature de bouddhaetc. nous voyons que tout est relié, que l’egoest une illusion (certes parfois bien utile),que tout est parfait, pur, simple, interdépen-dant et éphémère. nous découvrons (nous nela construisons donc pas) que nous sommescette Paix indicible. Nous sommes déjà ceque nous cherchons. Mais cette fois, cen’est plus un enseignement extérieur  :c’est une expérience.

Ce changement crucial fait du chercheurun disciple. Il est clair qu’il y a un avant etun après cette étape.

L’ego s’est effacé, au moins momentané-ment. C’est-à-dire que le chercheur spirituelne cherche plus car, désormais, il a vu cequ’il cherchait. Il a par là même aussi com-pris et expérimenté (plus ou moins profondé-ment) que ce qu’il cherchait n’est pas diffé-rent de sa nature profonde et que, en vérité, iln’est coupé de celle-ci que par les voiles del’illusion, les pensées, les émotions, etc.

Avant de vivre cela, il faut que le cher-cheur spirituel ose croire que l’éveil est pos-sible aussi pour lui. Il lui faut demeurerconfiant. Croire que ce n’est pas que pour lesautres. Comprendre cela, c’est aussi sortir du“confort” d’être un chercheur spirituel à viepour oser entrer de plain-pied sur la Voie pro-prement dite. C’est oser la friction mention-née plus haut. La posture du chercheur spiri-tuel comporte en soi une certaine forme defuite si elle perdure trop longtemps. Cettefuite est propre au fonctionnement du mentallui-même puisqu’il conditionne le pseudo“aboutissement” – l’éveil – à un avenir hypo-thétique qui, par définition, ne peut êtreconditionné (la Conscience une, le soi, etc.).en d’autres termes, l’éveil est toujours main-

tenant et ne dépend pas de causes du genre« quand mes enfants seront grands », « quandj’aurai fini ma thérapie », « quand j’aurai étépendant 15 ans en Inde » etc. Car, en restantdans cette approche illusoire, nous faisons lejeu du mental – celui-là même qu’en tant quechercheur nous cherchons à dépasser. nousrepoussons ainsi toujours à demain. Le men-tal, les pensées, sont très douées à ce jeu  :construire un futur hypothétique et repousserà demain. Ainsi, ce sera toujours pourdemain. Le mental fait avec l’éveil ce qu’ilfait avec toute chose  : étiqueter, condition-ner, tenter de contrôler, juger, comparer, etc.L’éveil est alors toujours pour les autres,jamais pour nous. Le mental a alors gagné…

sauf si à un moment donné, nous sautonsdans l’inconnu. nous abandonnons alorstoute cette lutte intérieure contre nous-mêmeet le Réel. nous capitulons et « entrons dansle courant ». mais ce n’est pas l’ego qui vitl’éveil : “ça” se révèle. L’ego – et le mentaldonc – capitule et l’expérience se fait.

de celui qui cherche (parfois sans tropsavoir quoi d’ailleurs), le chercheur spiritueldevient donc celui qui a vu. Cela impliqueensuite une véritable pratique et toute laforce et la souplesse du guerrier spirituel.C’est là qu’on peut parler de l’esprit du guer-rier pacifique dans toute sa splendeur : l’ar-deur sacrée de celui qui est engagé corps etâme. Chercher, et rêver son chemin, est faci-le d’un certain point de vue. Pratiquer et inté-grer l’éveil dans son existence, aprèsl’« entrée dans le courant » l’est beaucoupmoins. simplement parce qu’à moins d’unéveil parfait complet, ce qui est rare et que jenommerai plutôt ici “Réalisation”, les méca-nismes anciens reviennent. Certaines formesde troubles et d’ombres ressurgissent après lepremier éveil. A ce point de l’entrée dans laVoie, l’engagement doit être clair et entier.

Certaines formes de troubles et d’ombres ressurgissent après le premier éveil.

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nous voyons là la nécessité d’être sur uneVoie complète et sérieuse et d’être dans unedétermination cohérente à la fois douce etferme.

Ainsi, après ce premier éveil, la Voie(re)commence et toute la propédeutiqueprend son sens. On a vu et goûté ce qu’oncherchait. désormais, toutes les formes dePratique issues de la Voie que l’on suit mon-trent toute leur pertinence et doivent êtreexercées plus que jamais pour purifier,accepter et travailler avec tout ce qui doitl’être. L’éveil nous ouvre la Voie menant àl’intégration de celui-ci et nous mène doncvers la Réalisation, sous-entendu  :Réalisation complètement intégrée de l’éveilsur le corps physique, sexuel, émotionnel, etmental. Cette étape est la deuxième qui est,toujours selon la grille de lecture choisie :« revenir encore », Voici un extrait d’expli-cation par Kornfield :

« Atteindre la deuxième étape requiertune attention constante, sensible à la souf-france qui survient lorsque nous nous accro-chons à nos désirs et à nos peurs, à nos idéeset à nos idéaux. Quand nous comprenons cesforces de la vie humaine, elles perdent leuremprise sur nous. Pour finir, une réalisationprofonde fait disparaître de façon significa-tive les forces les plus puissantes de désir, desaisie, de colère et de peur. nous accomplis-sons alors la deuxième étape. » [1]

nous pouvons prendre un exemple quevous connaissez peut-être pour imager cetravail sur le déroulement du premier éveiljusqu’à l’étape suivante. Imaginez un appar-tement dont la pièce principale serait encom-brée, mal rangée et plongée dans l’obscurité.nous sommes dans le noir, au cœur de celieu. C’est l’étape 0, la recherche. noussavons que nous souffrons et nous cherchonsune solution. nous tâtonnons, butons sur les

objets, nous ne voyons rien. un guide doitnous aider pour éviter que nous nous bles-sions. Puis, d’un coup, la lumière s’allume.Avant, nous ne voyions rien. désormais, lalumière allumée,  nous voyons clairementtout le désordre (les désirs contradictoires dumental, les blessures encore actives, etc.).Rien n’a changé à la pièce en elle-même sice n’est qu’on voit clairement ce qui s’ytrouve, ce qui est. nous ne sommes plusaveugles au réel. C’est l’étape une.

mais la lumière a aussi une nuance, c’estun rhéostat. elle est allumée mais pas à plei-ne puissance. et il y a aussi les autres piècesde l’appartement qui sont encore dansl’ombre. Toutefois, nous pouvons déjà com-mencer à ranger la pièce sous la petite lumiè-re. nous augmenterons la lumière par lasuite pour aller nettoyer en dessous du cana-pé, des tapis, dans les angles. Pour ensuitepasser aux autres pièces, image de l’intégra-tion au niveau du corps émotionnel, corpsphysique, etc. nous marchons vers la secon-de étape.

bien sûr, tout ceci n’est qu’une symbo-lique et a donc ses limites, mais cela illustrebien. Cela montre aussi que notre Pratiquedoit continuer, quelle qu’elle soit selon votrevoie  – de connaissance, de dévotion, etc.L’image des choses à ranger et à nettoyerindique pourquoi certains témoignent, tou-jours dans l’excellent livre de Kornfield, desdifficultés après des expériences – mêmesfortes – d’éveil. La Voie commence aprèsl’éveil. sous cet angle, nous voyons quel’éveil est tout à fait différent de laRéalisation qui est l’intégration de ce mêmeéveil. etape qui peut prendre de longuesannées  : le temps de s’intégrer dans l’en-semble de notre être. Intégrer cet éveil aucœur même du quotidien [2] est le vrai granddéfi. Il nous demande une profonde cohéren-

La Voie ne s’arrête jamais.“

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ce, une intention forte, et en même tempsune grande bienveillance autant qu’une per-sévérance pour l’expérimenter au cœurmême de notre quotidien : avec notre com-pagne (compagnon), notre patron, notrefamille. mais aussi le vivre dans nos désirs,nos peurs, notre corps. C’est là l’aventure detoute une existence. C’est LA grande affaired’une vie humaine.

si parfois de grandes phases d’éveil et depaix s’élèvent ensuite en nous, il est fréquentqu’elles soient suivies de périodes detroubles qui sont en fait autant d’approfon-dissement de la Voie, des phases de purifica-tions, de compréhension plus profonde enco-re. Ceci afin que nous voyions notre ombrepour nous en libérer. La Voie travaille ennous, parfois même sans qu’on ne s’en rendecompte.

La Voie n’est pas linéaire et ne suit pasune logique que l’intellect, même affiné,pourrait appréhender. Il y a ce que nous fai-sons par nos pratiques (selon la voie que l’onsuit), qui dépend de notre disciple intérieuret il y a l’œuvre du divin ou de l’univers, sivous préférez. une part énorme nous échap-pe donc complètement.

notre Pratique doit donc continuer, s’ap-profondir et s’affiner, que ce soit avant,après ou pendant et sans que nous cher-chions trop à nous situer à une forme ouautre d’échelle graduée, même si cela noussemble pertinent parfois. Toutes les écolesreligieuses ou non ne sont d’ailleurs pasd’accord avec ces définitions ni même surles critères proposés.

L’éveil initial est une expérience incroya-blement simple, pure, directe, nue. maiscomme l’indique les Anciens, la Voie nes’arrête pas. en vérité, elle ne s’arrêtejamais. une forme « d’amour de la vérité dece qui est » doit demeurer afin de reconnaître

nos faiblesses, nos erreurs, nos difficultés etde “faire avec elles”. et continuer ainsi notrepratique. Celle-ci devient d’ailleurs non plusune “pratique” mais plutôt un art de vivre.Cette façon de voir la Voie est aussi ce quifait l’avant ou l’après éveil : la Voie n’estplus extérieure à nous. La Voie est ennous, tout le temps. Cela devient un proces-sus très organique, profondément en nous.

selon la tradition Théraveda, il s’ensuitla troisième étape qui est le « non-retour »marquant l’installation de la Paix en nous-même, alors rarement perturbée, suivie de laquatrième étape, le « Grand Éveil ». Ce« Grand Éveil » est à mon sens celui qui estsouvent confondu avec l’éveil premier. Or,c’est en fait la “Grande Réalisation”. C’estun état de purification et d’intégration siavancé qu’il sort totalement des conceptsmentaux habituels  ; il est difficilementappréhendable. La Tradition affirme querares sont ceux qui accomplissent cetteétape. Quoi qu’il en soit, notre pratiqueconsiste à faire avec ce qui est, et non ce quele “petit moi” voudrait qu’il soit.

Aussi, partons de là où nous sommes cejour, ici et maintenant. Avec ce qui est, au-dedans de nous et en dehors de nous. et ainsi,en ne rêvant plus notre chemin, mais en faisantun avec le réel, nous pouvons participer à laGrande danse et poursuivre notre Voie.

[1] - Jack Kornfield, Après l’extase, la lessive(La Table Ronde) [2] - Voir le dernier livre paru, La spiritualité aucœur du quotidien (Accarias L’Originel, 2014).

l Lionel Cruzilleest l’auteur de Changement et transformation de soiet La spiritualité au cœur du quotidien.

Prochaines retraites, voir le site :www.lionelcruzille.com

La Voie ne s’arrête jamais.