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Au début du XIX e siècle 1 , le Valais vit une période extrêmement agitée et est confronté à une multitude de problèmes poli- tiques, économiques et sociaux. Son entrée dans l’époque contemporaine est placée sous le signe de l’effervescence et de l’instabilité : de 1798 à 1915, le canton connaît six régimes dif- férents ! Ebranlé par la Révolution française, incorporé de force à la République helvétique (avril 1798), embarqué dans l’aventure napo- léonienne d’une république-sœur indépen- dante (1802), annexé à la France sous le nom de Département du Simplon (1810) et enfin intégré dans le système de la Restauration (1815), le pays vit au rythme des conflits euro- péens. Ces années de troubles aboutissent cependant au maintien d’un régime conservateur et aris- tocratique contrôlé par une minorité de familles anciennes originaires du Haut-Valais 1 Contribution tirée de l’ouvrage : Benjamin R ODUIT, Les collèges en Valais de 1870 à 1925 . Tradition ou modernisation, Lausanne, 1993. par Benjamin Roduit Saint-Maurice et les collèges valaisans au XIX e siècle 67 Entre tradition et modernité Les collèges valaisans de 1805 à 1873 : une lente évolution P R E M I È R E P A R T I E

et les collèges valaisans au XIX siècle · 2013. 2. 7. · dante (1802), annexé à la France sous le nom de Département du Simplon (1810) et enfin intégré dans le système de

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Au début du XIXe siècle1, le Valaisvit une période extrêmement agitée et estconfronté à une multitude de problèmes poli-tiques, économiques et sociaux. Son entréedans l’époque contemporaine est placée sousle signe de l’effervescence et de l’instabilité : de1798 à 1915, le canton connaît six régimes dif-férents ! Ebranlé par la Révolution française,incorporé de force à la République helvétique(avril 1798), embarqué dans l’aventure napo-

léonienne d’une république-sœur indépen-dante (1802), annexé à la France sous le nomde Département du Simplon (1810) et enfinintégré dans le système de la Restauration(1815), le pays vit au rythme des conflits euro-péens.Ces années de troubles aboutissent cependantau maintien d’un régime conservateur et aris-tocratique contrôlé par une minorité defamilles anciennes originaires du Haut-Valais

�1 Cont r i bu t ion t i r ée de l ’ouv rage :

Ben jamin RO D U I T, Les co l l èges en Va la i s de 1870 à 1925.Trad i t i on ou modern i sa t ion ,Lausanne, 1993.

p a r B e n j a m i nR o d u i t

Saint-Maurice et les collèges

valaisans au XIXe siècle

67

E n t r e t r a d i t i o n e t m o d e r n i t é

L e s c o l l è g e s v a l a i s a n s d e 1 8 0 5 à 1 8 7 3 : u n e l e n t e é v o l u t i o n

P R E M I È R E P A R T I E

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dont la seule préoccupation, au-delà de toutescontestations, est d’éviter un retour à l’« anar-chie ». L’idéologie traditionnelle de la classedirigeante, fondée sur de grandes doctrinescontre-révolutionnaires telles que le droit divinou l’autonomie communale, est renforcée parla mentalité de la population et par la confi-guration géographique du canton. Traditio-naliste et profondément catholique, le Valai-san s’est généralement montré attaché à sescroyances et partisan d’une lutte contre le pro-testantisme et contre tout courant anti-reli-gieux. De même, le relief montagneux du can-ton et la pauvreté du sous-sol entraînent d’unepart une économie rurale faible et rudimen-taire et d’autre part un certain isolement pro-pice aux menées particularistes de chaque auto-rité désénale ou locale.Il n’est pas étonnant dès lors que la classedominante aristocratique et ultramontaines’oppose au mouvement libéral qui développedes idées héritées de la Révolution, telles quele renforcement de l’Etat cantonal, l’affirma-tion des libertés individuelles dans l’industrieet le commerce ou l’égalité des droits entre lesdeux parties du canton. La prise du pouvoirpar les libéraux en 1838/40, la scission de cesderniers en une tendance modérée et en uneaile radicale, la riposte des conservateurs parles armes en 1844, l’adhésion du Valais catho-lique au Sonderbund en 1847 et enfin l’ef-fondrement de la « dictature » valaisanne théo-cratique et conservatrice avec la guerre civilesont les étapes douloureuses d’un cantonessayant vainement de résoudre ses problèmesinstitutionnels. Malgré sa brièveté et l’inadaptation de sesthèses progressistes à la réalité valaisanne, lenouvel Etat radical (1848-1857) ouvre le Valaisà la voie des réformes et met à disposition desfutures classes dirigeantes les principaux ins-truments du pouvoir démocratique. L’hommefort de la restauration conservatrice de 1857,Alexis Allet, saura en profiter, tout en écartantsystématiquement l’opposition libérale-radi-cale des organes directeurs. L’anticléricalismeet le fédéralisme se feront même plus viru-

lents avec les échos du Kulturkampf et avec lesmenaces croissantes d’une centralisation fédé-rale. L’échec en 1870 de la première tentativede modernisation du canton, la création d’unebanque cantonale, témoigne de l’incompé-tence des dirigeants à prolonger l’élan écono-mique et financier de la période radicale. LeValais conservateur et agricole prendra tou-jours plus de retard sur la Suisse radicale etindustrielle.Observons à travers les collèges l’évolutionintellectuelle des élites valaisannes en troisquarts de siècle de tensions et de luttes pas-sionnelles.

L E S C O L L È G E S A U X M A I N SD E S O R D R E S R E L I G I E U X( 1 8 0 5 - 1 8 4 8 )

L e r é t a b l i s s e m e n t d e s t r o i s c o l l è g e s

« L’existence du peuple valaisan se partageentre la vie agricole et la vie pastorale... Onne fabrique, on ne manufacture rien enValais... Renfermé dans le cercle étroit de sesbesoins, le Valaisan ne jette aucun œil d’en-vie sur les richesses de l’industrie et du luxequi circulent dans les autres contrées d’Eu-rope... L’histoire du 14e siècle est encore pourlui l’histoire du temps présent... Deux petitscollèges où la jeunesse apprend le latin et l’al-lemand, sont les seuls foyers d’instruction;aucun art utile, aucune science économique,aucun art d’agrément n’y sont enseignés,aucun corps littéraire ne l’éclaire... »2 Cetteprésentation peu élogieuse au début du XIXe

siècle par le résident français à Sion correspondmalheureusement à une préoccupante stag-nation du développement intellectuel et del’instruction du peuple valaisan. Les institu-tions prévues par le ministre des Arts et desSciences de la République helvétique, Phi-lippe-Albert Stapfer, ne peuvent fonctionneren Valais : « Ici en général, on se montre trèssatisfait quand un jeune homme possèdequelque peu son latin et quand il est capable

�2 ES C H A S S E R I A U X 1806, pp . 13 e t su i v.

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de discuter avec facilité sur des questions théo-logiques et surnaturelles, et se battre vaillam-ment avec de toutes vieilles hérésies. Maiss’efforcer de créer un citoyen utile, capable,noble, bienveillant, cela semble être la dernièredes préoccupations » 3.Pourtant dès l’entrée du Valais dans la Répu-blique helvétique en 1798, l’instruction secon-daire devient une affaire d’Etat. La Constitu-tion cantonale de 1802 place directementl’instruction publique sous la responsabilitédu Conseil d’Etat. Cependant, dans la diffi-culté d’assumer lui-même la charge des collèges,celui-ci confie l’instruction secondaire à desordres religieux.En 1805, le grand bailli Augustini entreprenddes démarches auprès des pères de la Foi (ouSociété de l’ordre des fils de Jésus) à Romepour qu’ils rétablissent le collège des anciensjésuites à Sion4. Approuvé par la Diète, le pro-jet est couronné après quelques discussions dedétail par le décret du 27 novembre 1805ordonnant l’installation des pères jésuites aucollège de Sion. Le Conseil d’Etat se félicitedu choix de cette congrégation et exprime sonoptimisme quant aux apports futurs du col-lège à la société valaisanne : « Nous croyonsavoir faite une très bonne affaire, convaincusque nous sommes que cet ordre érigé à l’ins-tar de celui des Jésuites, nous élève desMinistres des Autels et des Magistrats pré-cieux » 5.De même une délicate et longue série de négo-ciations, s’étirant de 1801 à 1807, est engagéeentre l’Etat, l’Abbaye et la commune de Saint-Maurice au sujet du rétablissement du collègede cette ville. De la riche correspondance échan-gée6, nous retiendrons que c’est la Diète qui amené les premières démarches en 1801 afinde charger l’Abbaye de la direction du collège.Cependant toutes les demandes adressées parla suite (1802-1804) par l’Abbaye pour obte-nir l’appui financier de l’Etat échouent en rai-son des difficultés politiques vécues du cantonet de l’attitude hostile du Conseil de la ville.Pourtant le rétablissement d’un collège utile àtout le Bas-Valais, la création d’un cours d’en-

seignement régulier et complet ainsi que l’ins-tallation d’un pensionnat apparaissent à l’Ab-baye comme les seuls moyens d’éviter son éven-tuelle réunion à la Maison du Grand-Saint-Bernard7. En 1806, les négociations aboutis-sent enfin8 et une convention est définitive-ment signée9 le 22 décembre 1807 entre l’Ab-baye, la ville et l’Etat, ces deux dernières partiesaccordant respectivement un subside de 40 et80 louis d’or au collège.Quant au collège de Brigue, aux mains dequelques pères piaristes, il végète depuis saréouverture en 180010. Satisfait de l’engagementdes jésuites au collège de Sion, l’Etat autoriseen 1808 l’intégration de deux pères au corpsprofessoral de Brigue.Sous le département du Simplon, les trois col-lèges sont conservés mais rattachés à l’acadé-mie de Lyon11. En 1814 enfin, après la chutede l’Empire français et le rétablissement desjésuites en Europe par le pape Pie VII, le PèreJoseph Sineo de la Tour, supérieur de la Sociétéde Jésus en Valais, accepte de prendre en chargeles deux collèges de Sion et Brigue. La Consti-tution de 1815, quant à elle, confirme la priseen charge par l’Etat des frais d’instruction dansles trois collèges, ceux-ci devenant ainsi collègesd’Etat et obéissant au même règlement12.Dès lors, durant plus de trois décennies, l’en-seignement secondaire suit en Valais la marcherythmée des congrégations religieuses.

L’ e n s e i g n e m e n t j é s u i t e

La Convention liée au décret concernant l’éta-blissement des pères de la Foi au collège deSion exige l’application des mêmes méthodeset institutions que celles mises sur pied par lesanciens jésuites. Ainsi l’antique méthode duRatio atque Institutio studiorum Societatis, charteofficielle de l’enseignement jésuite élaborée en1599, est appliquée dès la réouverture des cours.L’idéal pédagogique ne permet aucune équi-voque et, selon l’historiographe du collège deSion, les « Pères de la Foi ne séparaient pointl’éducation intellectuelle de la formation du cœurpar la piété »13. Tout le cycle d’études14 tend à

�3 « Le t t re de l ’abbé Bonv in ,

p ro fesseu r au co l l ège de S ion , à Ph i l i ppe -A lbe r t S tap fe r, 18 ju inl801 », c i t ée pa r B O U C A R D 1938,p . 189.

4 Condamnés pa r l a bu l l e papa le de 1773, ma i s p ro tégés pa r l e séna t , ceux - c i ne qu i t tè ren tS ion qu ’en 1788. Dès lo r s l e co l l ège fu t d i r i gé , avec pe ine , pa r des p rê t ressécu l i e r s .

5 AEV, 1DIP1, « Messages e tannexes » , p ièce n° 7, « Le t t re du g rand ba i l l i f de la Répub l i queAugus t in i à l a D iè te de laRépub l i que , 13 novembre 1805 ».

6 Vo i r AEV, 1DIP1, « Co l l ège deSa in t -Maur i ce 1807 », p ièce n° 1 -2 ; a ins i que DU P O N T- L A C H E N A L 1935, pp . 4 -5 .

7 Vo i r AEV, 1DIP1/3, « Convent ionsavec l e s RPP Jésu i tes 1802-1805,co l l ège de S ion », p ièce n° 8,« Obse r va t ions de la D iè te su r l eMessage du Conse i l d ’E ta t re la t i fà l ’é tab l i s sement des Pè res de lafo i de Jésus » ; ce t te so lu t ion ,dés i rée pa r Mangour i t , es to f f i c i e l l ement p roposée pa r l aD iè te en 1805; ce l l e - c i s ’ i nqu iè teen e f fe t de l ’aspec t nég l igé duco l l ège , de l ’ impu i s sance desre l i g ieux , peu nombreux , à l edesse r v i r, de la décadence ducouvent l u i -même.

8 Grâce no tamment à unein te r ven t ion du nonce Mgr Fab r i ceScebe r ras Tes ta fe r ra ta ,a r chevêque de Bey rou th , au g randba i l l i f Mar ia -Fé l i x Augus t in i , l e 21mars 1806; vo i r DU P O N T- L A C H E N A L

1931-1932, p . 94.9 Une p remiè re convent ion s ignée le

23 ma i 1807 p révoyant pou r l av i l l e e t l ’ E ta t une con t r i bu t ionrespec t i ve de 50 e t 30 lou i s d ’o res t remise en cause pa r deuxmémoi res ad ressés pa r l ’Abbayee t l a v i l l e à l ’ E ta t . Pou r l aconvent ion du 22 décembre 1807,vo i r AEV, 1DIP4, « Co l l ège - l y céede Sa in t -Maur i ce » , n° 1 « Co l l ègede Sa in t -Maur i ce 1803-1898 ».

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inculquer une culture catholique, universelle,répondant aux besoins des classes sociales aux-quelles elle s’adresse. La stabilité, la discipline,l’ordre respirés dans les collèges apparaissentcomme les piliers du redressement de l’Egliseet de l’Etat au lendemain des remous provo-qués par la Révolution. Rien n’est laissé au hasard dans l’enseignementdes jésuites : les matières enseignées sont sévè-rement sélectionnées dans des programmesbien ordonnés15; les leçons sont données enlatin dès Syntaxe; seules les littératures grecqueet latine sont étudiées à travers des morceauxsoigneusement choisis. L’histoire littéraire estnégligée; l’apprentissage des langues s’effectued’une manière très formelle : une multituded’exercices (thèmes, versions, exercices de com-position, discours, déclamations, plaidoyers,etc.) confèrent à l’étude un aspect de gym-nastique intellectuelle visant à assimiler une cul-ture de pure forme. Le genre oratoire occupeune place prépondérante : imbu des grandesvaleurs qui conduisent le monde, l’élève desjésuites devra lutter et convaincre dans unesociété où l’éloquence, le bien-parler constituentles règles principales d’admission. De nombreuses techniques d’émulation (prix,récompenses, présentations publiques, piècesde théâtre, compétition en classe, etc.) per-mettent de s’assurer de l’assiduité des élèves,d’exalter leur sentiment de l’honneur, de lesencadrer dans leur cheminement vers destâches hautement morales et chrétiennes. Cetencadrement s’appuie, par ailleurs, sur un sys-tème disciplinaire très strict, à l’image de laCompagnie elle-même hiérarchisée et fondéesur des principes d’autorité et d’obéissance.Si nous présentons surtout les principales carac-téristiques de l’enseignement jésuite pour illus-trer l’instruction dans nos collèges, c’est enraison de l’alignement du collège de Saint-Maurice, pour ce qui est des humanités gréco-latines, sur ceux de Brigue et de Sion. En 1806,avec ses quatre professeurs à peine formés pourl’enseignement16, ses élèves peu nombreux17,la faiblesse de ses ressources et des subsidesreçus18, le collège de Saint-Maurice avait

débuté dans un état d’infériorité vis-à-vis deBrigue et de Sion dont il fallait, avec les éta-blissements de la Suisse catholique et de Savoie,affronter la concurrence. Après s’être pourvuede professeurs capables19, l’Abbaye fait usagedes mêmes pratiques que les pères jésuites pourparer à la « redoutable concurrence »20 : instal-lation d’un cabinet de physique et de chimiepour les expériences, mise en place de salonsmeublés pour les examens publics et lesdéfenses de thèses, etc.Toute l’importance du théâtre et des distri-butions de prix, couronnement de l’annéescolaire dans l’enseignement jésuite, appa-raissent dans le discours du futur abbé deSaint-Maurice, le chanoine de Rivaz, à l’oc-casion de la construction du théâtre du col-lège : « Le Collège est de la plus haute impor-tance pour notre Maison. Le théâtre sera uneforte raison pour assurer son existence. Il est

�11 Ar t . 10 du « déc re t impér ia l du

12 novembre 1810 su rl ’o rgan i sa t ion du Dépa r tement duS imp lon » c i té pa r BE RT R A N D 1909,p . 56; vo i r éga lement A r ch i ves duRhône, Lyon , documents serappo r tan t aux co l l èges e t auxéco les p r ima i res du Va la i s sous ladomina t ion napo léon ienne , c i t éspa r BO U C A R D 1938, p . 218.

12 « Cons t i tu t ion du 12 ma i 1815 »,a r t . 56, dans RL , t . I .

13 Z I M M E R M A N N 1914, p . 111.14 L’o rd re des c lasses es t ce lu i

hab i tue l l ement u t i l i sé dans l e sco l l èges j é su i tes . La dénomina t iondepu i s 1818 es t un i fo rme pou rles t ro i s co l l èges : P r inc ipes(c lasse p répa ra to i re sans la t in) ;pou r l e gymnase : Rud iments I e t I I , G rammai re e t Syn taxe ,Rhé to r ique I e t I I ; pou r l e l y cée :Ph i losoph ie I e t I I (a l te r nanceent re l a ph i l osoph ie e t l aphys ique) ; vo i r AEV, 1DIP1/12,« Ins t r uc t ion pub l i que en géné ra l .Rappor t 1818 », n° 1 « Messagedu CE su r l ’ IP en géné ra l , D iè tedu 20 novembre 1818 ».

15 Vo i r l e tab leau du p rog ramme desé tudes du l y cée -gymnase de S ionde 1815, p résen té pa r ME Y E R

1914, p . 37.16 Vo i r DU P O N T- L A C H E N A L 1931-1932,

p . 5 ; l e co l l ège de S ion , quant àlu i , compte 6 pè res e t 1 f rè re .

17 35 é lèves en 1806; S ion en compte 102.

18 En 1807, l ’Abbaye reço i t de l ’E ta t1280 f r. (80 lou i s d ’o r ; con t re9241 f r. au co l l ège de S ion e t4107 f r. au co l l ège de B r igue !)pou r l ’en t re t i en des p ro fesseu r s e tl e s f ra i s d ’ ins t r uc t ion (ne son tpas compr i s l ’ en t re t i en deslocaux , l e s coû t s desrep résen ta t ions e t des p r i x) .

19 L’abbé Jean -Bap t i s te Amstaadappe lé de S ion (1er p ré fe t 1806-1821); l ’abbé And ré De r i vaz(p ré fe t 1828-1832), l e s abbésPot t i e r, Dunoye r, e t c . ; ce r ta inschano ines son t envoyés à Pa r i s e tTu r in pou r se pe r fec t ionne r.

20 BE RT R A N D 1935, p . 14.

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Premier pa lmarès après la reconnaissance of f i c ie l le du Col lège, 1807.(A r ch i ves de l ’Abbaye de Sa in t -Maur i ce)�

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indispensable pour la formation des élèves :déclamation, prédication, habitude de parleren public. Honnête distraction, la distributiondes prix est le moyen le plus puissant d’exci-ter parmi les écoliers l’amour du travail etl’esprit d’émulation »21. S’inspirant des mêmesméthodes pédagogiques que les jésuites, l’Ab-baye contribue elle aussi à façonner des jeuneschrétiens du monde, d’une discipline moralestricte et d’un conformisme intellectuel répon-dant parfaitement aux exigences de l’Eglise etde l’Etat22.

L e s p r e m i è r e s r é f o r m e s

Le Conseil d’Etat montre le grand intérêt qu’ilporte aux collèges par le biais de messages oude rapports adressés à la Diète. Ainsi dans sonmessage de 1808, le grand bailli de Sépibus sefélicite de « la pépinière de gens lettrés » quereprésentent les trois collèges. Il s’inquiètecependant de l’orientation unique de l’ins-truction destinée à ne former que « des lettréset des juristes » et de l’incapacité des Valaisansà bien tenir leurs affaires faute de savoir écrireet calculer correctement. Il multiplie lesexemples de pertes comptables énormes subiespar les capitaines des régiments du pays, pourrelever les avantages d’une instruction s’ou-vrant sur l’administration des finances et ducommerce. Cette remise en question de l’en-seignement aurait pu aboutir, selon le PèreBoucard23 à la création d’une école industrielleet commerciale, or seul un décret24 prévoyantla nomination d’un professeur enseignant l’artd’écrire et de tenir des comptes en résultera !Dix ans plus tard, le poste n’étant toujours pascréé, le problème du perfectionnement de l’écri-ture est repris dans le cadre d’une enquête adres-sée par le Conseil d’Etat aux préfets des trois col-lèges25. Si les solutions visant à améliorer l’artd’écrire apparaissent sans trop de difficultés, lesavis divergent quant à la résolution d’autresproblèmes. Ainsi le projet de nommer un ins-pecteur général, délégué par le Conseil d’Etaten vue de résoudre des cas d’indiscipline (notam-ment les fréquentes expulsions d’élèves), suscite

une vive opposition de la part des jésuites et deschanoines. Dans une longue lettre adressée à laDiète, les pères argumentent leur refus en pré-sentant cette ingérence extérieure comme inef-ficace et contraire à la convention signée à leursdébuts26. Ce problème de l’inspectorat met àjour, pour la première fois, la volonté de l’Etatd’exercer un contrôle précis dans les affairesscolaires27. Cependant, après un temps deconcertation, le Conseil d’Etat s’en remet au soindes jésuites, se contentant de veiller à ce que leplan d’études soit régulièrement exécuté. Source de dangers entre des mains malveillantes,l’inspection ôte au corps enseignant ses princi-pales assises : celles d’une discipline sévère com-primant et châtiant tous les penchants et lesvices des collégiens, façonnant dans un mouleparfait de vrais chrétiens soumis28.Egalement controversée, la question intitulée« Moyens de perfectionner les langues vul-gaires » soulève une véritable bataille contreles langues anciennes29. Celles-ci, défenduesavec une inépuisable éloquence par les pèresjésuites et les chanoines, accaparent presquetoutes les heures de classe. Peu à peu, cepen-dant, on s’aperçoit de l’incapacité des élèves àécrire convenablement dans leur langue mater-nelle. Cette méconnaissance des languesusuelles est accentuée par l’admission au col-lège d’élèves ne sachant qu’un peu de latinappris auprès de certains jurés ou ecclésias-tiques, mais n’ayant suivi aucune classe pri-maire. Le recteur du collège de Saint-Mau-rice, Jean-Baptiste Amstaad, dénonce avecvirulence cette situation, la comparant à desépoques antérieures où l’ignorance et les pré-jugés triomphaient : « on prétendit alors qu’encultivant la langue vulgaire on ferait tomberla langue latine, et par là la religion catho-lique » 30.Le Conseil d’Etat propose d’enseigner leslangues vulgaires jusqu’en Rhétorique et depermettre aux élèves des classes supérieures decomposer en allemand à Brigue, en français àSaint-Maurice et en latin à Sion. Cette dernièremesure se heurte cependant à une foule deproblèmes pratiques liés à la configuration

�21 « D i scou r s du Chano ine de R ivaz

au Chap i t re , 22 août 1820 » dans BE RT R A N D 1935, p . 15; l a cons t r uc t ion du théâ t re es t adoptée dans la Convent ion du 25 oc tob re 1819 en t rel ’Abbaye e t l a bou rgeo i s i e deSa in t -Maur i ce ; l ’ éd i f i ce es tinaugu ré l e 16 août 1821.

22 Parmi l a p remiè re vo léed’é tud ian t s , l ’h i s to r i en Dupont -Lachena l d i s t i ngue un député à laD iè te fédé ra le (Xav ie r deCoca t r i x) , un géné ra l de b r igade àNap les (P ie r re -Mar ie Du fou r) , desdéputés au G rand Conse i l , desg rands châ te la ins , des chano ines ,un p ré fe t du G rand -Sa in t -Be rna rd(F ranço i s -Ben jamin F i l l i ez) , unp rés iden t de v i l l e (Mar t igny) .

23 BO U C A R D 1938, pp . 210 -211.24 AEV, 1DIP1/6/2, « Déc re t du

13 ma i 1809 conce rnan t l ’é tudede l ’a r t d ’éc r i r e e t de la Sc iencedu ca l cu l e t de la tenue des l i v resde comptes » .

25 AEV, 1DIP1/12/1.26 Vo i r AEV, 1DIP3, « Co l l ège - l y cée

de S ion », n° 3 « Cor respondancese t rappo r t s 1799-1872 », p ièce n° 40 « Le t t re du 29 mars1819 du Pè re Leb lanc J . - J . à l aD iè te su r l e p ro je t d ’ ins ta l l a t i ond’ inspec teu r s s co la i res » .

27 Nous remarquons au passage quela Convent ion s ignée en t re l ’ E ta te t l ’Abbaye de Sa in t -Maur i cecompor ta i t un a r t i c l e p révoyant und ro i t d ’ inspec t ion de la pa r t del ’E ta t ; vo i r AEV, 1DIP4/1.

28 Vo i r MA C H O U D 1844, 29 p .29 AEV, 1DIP1/12/1.30 AEV, 1DIP4/4, « Ins t r uc t ion

pub l i que : co l l ège de Sa in t -Maur i ce1802 à 1850 », n° 1 « Rappor tde J . -B . Amstaad au CE , 4 av r i l1818 ».

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géographique et linguistique du canton.Inébranlable, toute la suprématie du latin appa-raît dans ce rapport de l’Instruction publiquede 1819 : « Le Conseil d’Etat opine, qu’il neconvient pas de vouloir maintenant rabaisserl’étude de la langue latine, langue des Autels,du Droit, de la Science qui soulage l’humanitésouffrante [Médecine], la langue savante dansun pays où cette attitude a toujours été l’ob-jet primaire de l’instruction, où elle a été tou-jours cultivée avec succès, où les personnesinstruites de notre Canton se sont ordinaire-ment distinguées par la connaissance et l’usagede cette langue » 31.D’autre part l’essor des jésuites en Valais necesse de s’accroître avec l’arrivée de nouveauxpères exilés de nombreux pays d’Europe. Laréputation du collège de Brigue notamments’étend dans toute la Suisse, en Allemagne, enFrance.

U n v e n t d e l i b é r a l i s m e

En contraste avec cette prospérité des établis-sements jésuites, le collège de Saint-Mauricemultiplie ses requêtes auprès de l’Etat pourêtre traité financièrement sur un pied d’éga-lité 32. Les préférences accordées par l’Etat auxcollèges de Sion et de Brigue33 sont-elles direc-tement liées à l’esprit de libéralisme qui soufflesur l’Abbaye depuis 1820 ? Sans entrer dans lesdétails du développement du mouvement libé-ral en Valais, nous notons que l’Abbaye estdevenue « un foyer ardent de libéralisme »34

avec l’arrivée d’Amstaad comme préfet du col-lège en 1806.« Véritable enfant de la révolution », imbu desidées démocratiques, il incarne un libéralismevalaisan modéré opposé à la toute-puissance dequelques familles aristocratiques et à l’ultra-montanisme renforcé par la présence desjésuites35. Son anti-jésuitisme se manifested’ailleurs dans son acharnement à établir laréputation du collège à un niveau plus élevéque celui des deux autres établissements valai-sans. Même le réactionnaire chanoine Anne-Joseph de Rivaz reconnaît dans ses Mémoires

que le préfet est « un homme fort studieux »inspirant « le goût de la science et l’amour dutravail » et qu’il «mit le collège sur un assez bonpied »36. Partageant le souci libéral de favori-ser tout ce qui a trait au développement de l’in-dustrie et du commerce, Amstaad se montrefervent partisan de l’enseignement des languesvivantes, utiles aux affaires, et du développe-ment des Sciences. Il permet même au jeunechanoine Jean-Joseph Blanc, envoyé à Parispour étudier la physique et la chimie en vuedu professorat, d’enseigner les sciences natu-relles au collège en français. Cet abandon du latin suscite l’indignation dela ville de Saint-Maurice qui profite de l’occa-sion pour dénoncer, au sein d’une requête adres-sée au Conseil d’Etat, « l’esprit de chicane » deplusieurs jeunes chanoines de l’Abbaye inaptesà enseigner et opposés au gouvernement parleurs tendances libérales. Elle propose égale-ment la création d’une commission d’inspectiondu collège, composée de membres de la bour-geoisie37. Si cette ingérence de la ville, nonconforme à la Convention de 1809, est écar-tée, l’Etat conseille néanmoins de revenir à l’an-cien usage de professer les sciences en latin etAmstaad doit s’expliquer sur ses opinions libé-rales et gallicanes.Sa démission du collège en 1821 n’empêchepas certains religieux libéraux, emmenés par lechanoine Etienne Maret, de se distinguer parleur « estime excessive de la liberté et de l’éga-lité », par leurs maximes républicaines, par leurinsubordination qui les amène à soutenir lesméthodes d’enseignement mutuel38 et àprendre position contre la loi organique en1826 39. Vexé, le Conseil d’Etat menace desupprimer l’enseignement au collège. Unecommission de membres de dizains s’assurecependant du loyalisme de l’Abbaye et l’abbéFrançois II de Rivaz, après avoir « épuré » lesprêtres modernistes, certifie la bonne tenuedu collège : « Quelqu’un qui habiterait aujour-d’hui notre maison et verrait ce qui s’y passene trouverait aucune différence entre nos doc-trines, nos principes religieux et politiques etceux des PP Jésuites »40.

�31 AEV, 1DIP1/15/5, « Rappor t

de la Commiss ion de l ’ i n s t r uc t ionpub l i que , 3 décembre 1819 ». I l e s t à no te r que l ’annua i re de la P ré fec tu re du Dépa r tementdu S imp lon de 1813 ex ige que lesleçons so ien t en f rança i s dans l e st ro i s co l l èges dès l e 1er novembre1815, ma i s l e Va la i s se ra l i bé rée t l e l a t i n demeure ra la l angued’usage ; vo i r BO U R B A N 1896, p . 87.

32 Vo i r AEV, 1DIP1/11, n° 1 -3 -4 -6 .33 Dénoncées pa r l e p ré fe t Jean -

Bap t i s te Amstaad , AEV,1DIP1/11, n° 4, « Le t t re du 4mai 1817 du d i rec teu r Amstaadau CE ». Les dépenses annue l l e sen faveu r du co l l ège de S iondépassen t de mo i t i é ce l l e s deSa in t -Maur i ce e t l ’ E ta t sac r i f i e de g randes sommes pou r l ares tau ra t ion du co l l ège de B r iguee t de la bâ t i s se de l ’ég l i se duco l l ège de S ion .

34 BO U C A R D 1938, p . 263.35 Or ig ina i re de N idwa ld

(Becken r ied) , J . -B . Amstaad es t nommé p ro fesseu r au co l l ègede S ion en 1797 e t membre du Conse i l d ’éduca t ion sous laRépub l i que He lvé t ique . Ayantpe rdu sa p lace de p ro fesseu r àl ’a r r i vée des pè res j é su i tes , i l dev ien t , su r l a demande de Mgr Exqu i s , l e p remie r p ré fe tdu co l l ège de Sa in t -Maur i ce e tense igne la ph i l osoph ie e t l e smathémat iques ( i l a app r i s l e smathémat iques e t l a phys iqueavec l ’ i ngén ieu r I saac de R ivaz e t es t l e seu l p ro fesseu r enmesu re de les ense igne r) .

36 Vo i r D E R I VA Z 1961.37 Vo i r AEV, 1DIP4/4, 5 p ièces

conce rnan t l e s requê tes de la v i l l e aup rès du CE (du 20 sep tembre au 24 décembre 1821).

38 Vo i r BO U C A R D 1938, pp . 253 -257.P ropagée de F r ibou rg pa r l e Pè reG i ra rd , l a méthode fu t accue i l l i eavec sympath ie dans l es mi l i euxl i bé raux va la i sans .

39 L iés à l a pa ru t ion d ’une b rochu reanonyme, Le Démoph i l e , ce r ta inschano ines s ’opposen t à ce t te « lo i

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Ce rappel à l’ordre de l’Abbaye s’accompagneen 1825 d’une mise au point du Conseil d’Etatsur la prétendue utilité de l’enseignement dessciences, dans une réponse à un projet d’ex-tension de l’enseignement des mathématiques,de la chimie et de l’histoire naturelle : « Nousavons plus besoin encore de bons notaires, debons juges, que de gens habiles dans lesSciences plus relevées et nous croyons devoircommencer par nous donner les connaissancesspécialement utiles avant de se [sic] livrer àcelles qui le sont beaucoup moins »41.Cette attitude du gouvernement contraste net-tement avec les prises de position des milieuxlibéraux affichées notamment dans une péti-tion d’industriels et de commerçants du Bas-Valais (emmenés par l’intellectuel bourgeoisEmmanuel Bonjean) adressée l’année précé-dente au Conseil d’Etat et à la Diète en vued’améliorer les dispositions légales régissant lecommerce et l’industrie en Valais. Parmi lesmauvaises conditions relevées dans ces sec-teurs, certaines ont trait directement à la for-mation prodiguée par les collèges : « Oui, nousaimons à le répéter, rien ne contribue tant àla prospérité d’un pays que le commerce etl’industrie. Si nous étions assez heureux de neposséder que ces deux sources fécondes deprospérité, nous verrions bientôt cette multi-tude de jeunes gens qui fréquentent les collègestrouver peu à peu un aliment et une sphèredigne de leur activité »42.Engageant leurs idées de démocratisation, desécularisation et d’étatisation sur le terrain del’école, les progressistes valaisans incitent l’Etatà présenter un plan d’éducation généralisé pourle Valais : ce sera le malheureux décret de 1828sur l’instruction primaire « tombé dans lesoubliettes du gouvernement »43 en raison de lafarouche détermination du clergé à garder sonmonopole sur l’instruction. Des tractations liéesau projet, nous retiendrons la création d’écolesindustrielles et la nécessité pour les jeunes d’uneéducation appropriée et pas exclusivement clas-sique. La sclérose engendrée par un choix res-trictif des professions offertes par le collège ainsique la dépendance de « secours étrangers pour

l’exercice des arts et métiers » y sont égalementdénoncées44. Tout en présentant une ébauchede programme d’écoles industrielles, la com-mission insiste impérativement sur le fait den’admettre dans les classes latines du collègeque les élèves ayant suivi l’école élémentaire,afin d’éviter les fréquentes et inutiles pertes detemps des sujets « sans talents »45. Malheureu-sement, avant même que le décret entier nesoit repoussé, la proposition est écartée et l’éta-blissement d’écoles secondaires est renvoyé àun examen plus profond. Le développementscientifique du Valais peut encore attendre !

L e s c o l l è g e s a v a n t l e S o n d e r b u n d ( 1 8 3 0 - 1 8 4 8 )

En 1836, à la veille de la révolution libérale,l’Etat ressent le besoin de réorganiser l’ins-truction publique, principalement supérieure,en raison du peu d’élèves (quatre à cinq parclasses sur un effectif total de 54 élèves au col-lège de Sion !) fréquentant les collèges. Eneffet, avec le retour des jésuites belges et fran-çais dans leur pays dès 1833, l’ouverture dugrand pensionnat à Fribourg et la fondationd’un nouveau collège jésuite à Schwyz, l’effectifdes collèges de Brigue et de Sion s’est effon-dré. Cette situation critique amène l’Etat àconcevoir l’idée d’une centralisation des éta-blissements supérieurs et principalement deslycées : « trois lycées ne pourraient se concilieravec nos finances; d’ailleurs l’âme de l’étudeet ainsi des progrès y manquerait : la concur-rence, l’émulation »46.Si le principe de la création d’écoles prépara-toires47 est cette fois accepté par la Diète, celle-ci refuse, sous la pression des représentants deBrigue et de Saint-Maurice, de concentrer lelycée à Sion48. C’est dans un contexte négatif semblable,lutte du pouvoir religieux et de l’autorité civilequant à la direction du Conseil d’éducation49,que le projet de révision du décret scolaire de1828 échoue dix ans plus tard à la Diète eten 1840 devant un peuple valaisan lui-mêmeopposé aux transformations scolaires trop

du 20 ma i 1826 su r l e snomina t ions communa les e t déséna les » (RL , t . IV, pp . 98 -109) qu i pe rpé tue lepouvo i r exo rb i tan t des conse i l scommunaux.

40 AEV, 1DIP4, « Le t t re de Mgr Abbé àM. A l l e t Conse i l l e r d ’E ta t , 10 av r i l 1834 ».

41 AEV, 1DIP1/17 « Ins t r uc t ionpub l i que en géné ra l 1825-1829 »,n° 1, « Rappor t du CE su r l ’ IP,D iè te du 26 novembre 1825 ».

42 AEV, D I , thèque 239, « Pé t i t i ond’ indus t r i e l s e t commerçan t s duBas -Va la i s au Conse i l d ’E ta t e t à l aD iè te , l e 20 août 1824 »; vo i r auss i M I C H E L E T 1968, pp . 133 -203.

43 ME T R A I L L E R 1978, p . 10.44 AEV, 1DIP1/17/11, « Rappor t de

la Commiss ion su r l ’ IP du 16 ma i1827 ».

45 Cet te d i spos i t i on fa i t l ’ob je t d ’una r t i c l e p réc i s du p ro je t de déc re t :l ’a r t . 29, « aucun é lève ne se raadmis aux c lasses l a t ines dans l e sco l l èges s ’ i l n ’a pas su i v i l ’ é co leé lémenta i re avec ass idu i té e t s ’ i ln ’a pas annoncé pa r ses p rog rès del ’ap t i tude pou r des é tudes p lusre levées » . AEV, 1DIP1/17/9« Pro je t de déc re t su r l ’ IP, 24novembre 1827 ».

46 AEV, P ro t . GC , ma i 1836,« Message du CE conce rnan t l aréo rgan i sa t ion de l ’ IP, 27 ma i1836 ».

47 AEV, 1DIP4/3, « Rappor ts etMessages sur les Co l lèges d’Etat »,n° 2, « Note add i t ionne l le aumessage sur l ’ IP, 28 mai 1836 ».L’éco le préparato i re aux étudesc lass iques y est déf in ie comme uneéco le é lémenta i re p lus étendue;l ’éco le moyenne, quant à e l le , es tdest inée « aux personnes qu idés i rent acquér i r cer ta inesconnaissances ut i les et mêmeind ispensab les à l ’E tat qu’e l les onten vue d’embrasser, [qu i] neveu lent pas étendre à l ’é tude desbe l les le t t res l ’ ins t ruc t ion à laque l lee l les asp i rent ». En 1838/39,l ’Abbaye de Sa int -Maur i ce ouvreune éco le f rança ise secondai re det ro is ans; la première année seraf réquentée par 25 é lèves.

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libérales. Cependant pour les libéraux, désor-mais au pouvoir, le renouvellement de l’écoleapparaît comme essentiel dans leur œuvre derégénération politique. Sans se laisser abattrepar les échecs, le gouvernement tente de diri-ger ses efforts vers l’enseignement supérieuren réorganisant les collèges. Dans ce but, ilentre en relation avec les recteurs des collègesde Brigue et de Sion.Le Père Simmen, provincial des jésuites enSuisse, expose alors dans un long rapport,véritable document pédagogique de base, lesconceptions de la congrégation en matièred’enseignement. Il y définit les collègescomme des établissements dont l’objet immé-diat et unique est de « donner à la jeunesseun enseignement moyen qui doit recevoirailleurs sa plénitude et son complément »50,et non de former dans leur totalité des jeunesgens prêts à occuper toutes les places de lasociété. Son message est clair : l’organisationdes collèges est bonne, les méthodes et lesprogrammes sont irréprochables et destinésà la pérennité, l’Etat ferait mieux de concen-trer ses efforts en vue d’améliorer la situa-tion de l’école élémentaire !Face à une telle détermination, et noyé lui-même dans un flot continu d’agitation, leConseil d’Etat se contente d’uniformiser lesdates d’ouverture et de clôture des cours et ...s’attelle à l’élaboration d’un nouveau projetde loi sur l’instruction primaire qui, acceptéepar le peuple le 28 juillet 1844, deviendra lapremière loi scolaire valaisanne. Cependantson règlement d’application est rapidementétouffé par les troubles du Sonderbund toutcomme le projet de contrat avec la Compagniede Jésus visant à mettre les collèges sous lahaute surveillance de l’Etat51.Les anciens collèges de la période jésuite ontrégi et influenceront encore tout au long duXIXe siècle l’éducation des élites valaisannes.Si certains de leurs moyens de formation nemanquent pas parfois de nous surprendre, ilsrépondent cependant aux exigences d’unesociété dans laquelle les collégiens devront lut-ter.

L E S C O L L È G E S S O U S L E R É G I M E R A D I C A L ( 1 8 4 8 - 1 8 5 7 )

L a r é o r g a n i s a t i o n

Le combat mené par les jésuites s’achève en1847 avec la défaite du Valais au sein du Son-derbund et la prise du pouvoir au niveau can-tonal par les radicaux. Pour les vainqueurs,l’instruction publique constitue la conditionsine qua non du progrès du pays. Son utilitéapparaît dans sa fonction d’éclairer le peuple,de lui inculquer les principes étatiques fon-damentaux. Ainsi, conscients de son impor-tance primordiale, les radicaux s’attellent rapi-dement à réorganiser un enseignement dontla situation de départ leur paraît catastro-phique. Leur première mesure consiste, dansle long cortège des décrets de spoliation et desécularisation des biens de l’Eglise, à épurer l’en-seignement supérieur de la présence desjésuites. Quant à la Constitution de 1848, elleplace l’instruction publique sous la surveillancede l’Etat, suscitant de vives mais vaines pro-testations de la part de l’évêque52. La créationd’un DIP, confié à Maurice Claivaz, de Mar-tigny, représente l’acte le plus important duConseil d’Etat dans le domaine scolaire, parson abolition définitive de toute prérogative clé-ricale sur l’instruction et par l’installation d’unpouvoir central scolaire53.D’une nécessité urgente, à la suite du départdes jésuites, l’organisation des collèges se heurteà de graves difficultés matérielles liées à l’ab-sence de ressources financières du nouveaugouvernement, au manque de matériel sco-laire, à l’absence de personnel qualifié. Pour pal-lier ce dernier problème, un décret maintientl’existence de certaines congrégations54. Le col-lège de Saint-Maurice ouvre ainsi ses portes enfévrier 1848 sous la direction maintenue deschanoines, et les corps professoraux des éta-blissements de Brigue et Sion conservent desprofesseurs ecclésiastiques.La principale innovation de cette réorganisa-tion des collèges consiste cependant en la cen-

�48 AEV, P ro t . GC , « séance du 4 ju in

1836 ». Seu l s l e s cou r sob l i ga to i res de f rança i s à B r iguee t d ’a l l emand à S ion e t Sa in t -Maur i ce son t p resc r i t s .

49 Organe qu i a l a d i rec t ionsupé r ieu re des éco les p r ima i res .P ie r re angu la i re du sys tème, ceconse i l cons i s ta i t à inspec te rtou tes l e s éco les p r ima i res ducan ton , à ca l cu le r l e s ressou r cessco la i res , à p rend re con tac t avecles au to r i t és loca les , e t c . ; i l secomposa i t de deux ecc lés ias t i quese t d ’un la ï c fonc t ionnant commeprés iden t .

50 AEV, 1DIP3/3/91, « Rappor t deJ . S immen su r l ’amé l io ra t ion del ’ense ignement dans l e s co l l èges ,4 novembre 1841, F r i bou rg » .

51 Revenu à une ma jo r i t éconse r va t r i ce , l e GC es t ime, en1844, qu ’ i l e s t nécessa i re def i xe r l e s rappo r t s de l ’E ta t e t desco l l èges e t déc ide l e 3 ju in 1844que la hau te su r ve i l l ance su r l e st ro i s é tab l i s sements appa r t i en t àl ’E ta t , l a d i s c ip l i ne res tan texc lus i vement rése r vée , se lon levœu des j é su i tes , au co rpsense ignant ; AEV, P ro t . GC , ma i 1844, annexe l i t t . Z , pp . 46 -75. De même, dans un bu t tou jou r s év iden t deménager l a suscep t ib i l i t é desjésu i tes , i l p réc i se dans laCons t i tu t ion du 14 sep tembre1844 (RL , t . V I I , a r t . 11) quel ’ense ignement dans l e s t ro i sco l l èges ne peu t ê t re con f ié qu ’àdes pe r sonnes vouées à l ’é ta tecc lés ias t i que .

52 AEV, P ro t . GC , Cons t i tuan te de1848, annexe l i t t . L « Pé t i t i on de l ’Evêque de S ion P ie r re - Josephde P reux au GC cons t i tuan t du 29 décembre 1847 ».

53 AEV, P ro t . CE , 10 e t 29 janv ie r1848.

54 « Déc re t du 29 janv ie r 1848 »; unav i s ava i t é té l ancé pa r l e p remie rdépa r tement de l ’ IP e t du cu l te ,c réé l e 18 décembre 1847 e tcon f ié au conse i l l e r d ’E ta tF ranço i s - Joseph Rey, à tous ceuxsuscep t ib les d ’ense igne r uneb ranche . L’appe l res ta sans e f fe t

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tralisation des classes supérieures au lycée deSion. Dénonçant « les intérêts privés » et « lesvues particulières » qui avaient étouffé le pro-jet centralisateur de 1836, le conseiller d’EtatMaurice Barman argumente les besoins et lesavantages d’un regroupement des classes supé-rieures : « L’économie, l’émulation, le besoind’hommes profonds et spéciaux pour un telenseignement : tout se réunit pour montrer lanécessité de la centralisation »55.D’autre part une centralisation des étudessupérieures est rendue inévitable par lesdépenses d’équipement considérables et l’en-gagement de nombreux maîtres spécialisésqu’exigent l’introduction de l’enseignementpar matières et l’application de nouveaux pro-grammes réservant une place plus large auxlangues modernes et aux sciences.

L a l o i d e 1 8 4 9 e t s e s a p p l i c a t i o n s

L’introduction de ces réformes nécessite unenouvelle loi définissant la structure d’ensemblede l’école valaisanne. Ne suscitant que peu dediscussions lors des débats, le projet de loi estaccepté le 21 mai 1849. Tout en continuantde s’appuyer sur une base religieuse solide, laloi confirme le triomphe de l’école d’Etat etreconnaît le principe de l’obligation et de lagratuité de l’enseignement. Si le clergé estécarté de l’administration de l’instruction,aucune interdiction empêchant les ecclésias-tiques d’enseigner n’est cependant formuléedans la loi. La création d’institutions cantonalestelles que le musée, la bibliothèque et le lycéede même que la suppression du gymnase deSion fixent légalement les réformes introduitesprécédemment.Mais c’est par un phénomène de rejet que laloi est accueillie par un peuple distant d’un gou-vernement radical anticlérical et bourgeois,prônant une culture idéalisée. Au niveau del’enseignement supérieur, cette résistance appa-raît dans la création d’un gymnase municipalà Sion. Refusant de « se résigner à transmettreaux génération futures la triste position d’en-

voyer leurs enfants dans les collèges de Brigueou de Saint-Maurice »56, le conseil municipalobtient, en vertu de conventions passées entrel’Etat et la ville, une rente annuelle qui, rajou-tée à des contributions privées57, lui permetd’alimenter un budget suffisant à l’entretiend’un gymnase. Confié durant dix ans à l’en-seignement de quatre professeurs laïcs, ce col-lège municipal « par son existence même,défendait une vieille tradition, disons mêmeun droit que les Pouvoirs publics et la force deschoses se plurent à sanctionner »58.Caractéristique de la résistance des intérêtslocaux à la nouvelle organisation des collèges,cette initiative met également en exergue l’at-titude ambiguë d’un Etat soucieux de conser-ver les sympathies du chef-lieu.

L a r é o r g a n i s a t i o n d e C h a r l e s - L o u i s d e B o n s

L’apparition au gouvernement d’hommes detendance plus modérée en 1852, tels que le libé-ral-conservateur Charles-Louis de Bons à latête du DIP, apaise quelque peu la méfiancemanifestée à l’égard des mesures législativesimposées les années précédentes. Réhabilitantle clergé en matière d’enseignement et comp-tant sur « son concours bienveillant »59, le nou-veau chef de l’instruction écarte toute intru-sion directe de la politique dans les collèges.Uniquement voués aux études, ceux-ci ne sontpas le creuset d’une nouvelle élite radicale. Opposé à toute transformation subite dupeuple dans ses mœurs et ses habitudes, deBons est au centre des efforts considérablesconsentis par le gouvernement, aux moyensfort limités60, pour encourager et convaincreun peuple valaisan à peine touché par une cul-ture qui ne lui semble d’aucun secours danssa vie quotidienne. Son premier acte à la têtedu DIP est de promulguer le premier règle-ment pour les étudiants des collèges et dulycée. Maintenu presque intégralement jus-qu’en 1913, ce règlement comporte unerefonte complète des études61. Nous retien-drons plus particulièrement le développe-

e t l e gouve rnement se v i tcon t ra in t de ma in ten i r l e schano ines de Sa in t -Maur i ce , l e s capuc ins de S ion e t de B r igue ,les u r su l i nes de B r igue e t l e sf rè res de Mar ie pou r assu re r unepa r t i e de l ’ense ignement p r ima i ree t seconda i re ; vo i r AEV, P ro t . CE , 18 e t 23 décembre 1847.

55 AEV, P ro t . GC , sess ionex t rao rd ina i re de ma i 1848,« Message du CE su r l aréo rgan i sa t ion des co l l èges » .

56 AMS, P rocès - ve rba l des séancesdu Conse i l communa l , 13 ju in1849.

57 Revenus des con f ré r i e sre l i g ieuses , des co rpo ra t ions ,ren tes des o f f i c i e r s re t ra i tés ause r v i ce de Nap les .

58 Z I M M E R M A N N 1914, p . 151.59 L’Ami des régen[ t]s , 1854,

p . 44, c i t é pa r FA R Q U E T 1949, p . 109.

60 Seu l s deux inspec teu r s can tonauxfo rment l e pe r sonne l du D IP ; l ebudget es t dé r i so i re : 23 991,70f r. en 1850; 31 731,20 f r. en1855; à pe ine l e 5 % desdépenses to ta les de l ’E ta t !

61 « Règ lement du 20 oc tob re 1853pour l e l y cée e t l e s co l l ègesd ’E ta t » , dans RL , t . IX , pp . 84 -93.

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ment accordé aux sciences et aux languesvivantes dans le programme ainsi que l’at-tention particulière vouée à de nouvellesbranches telles que la musique, le dessin, lessciences naturelles et même l’économie fami-liale. Cette orientation nouvelle de l’ensei-gnement, même si la primauté des étudesclassiques est maintenue, correspond à unevolonté marquée des dirigeants radicaux desusciter chez les collégiens « un esprit sérieuxélevé et républicain »62 destiné à se rendreutile dans tous les domaines. Le terme estprononcé : la science et les belles lettres doi-vent conduire à un but pratique : « Pendant8 à 10 ans, on amusait, dans nos collèges, lesjeunes gens avec quelques auteurs latins; puis,arrivés en Philosophie, on [sic] les lançait auséminaire ou au notariat, seules destinationsde nos lettrés, comme on les appelait dans cetemps-là. Mais des connaissances les plususuelles, les plus pratiques, il n’en [sic] étaitjamais question »63.En effet, longuement repoussé par les jésuites,l’aspect utilitaire de l’enseignement apparaît augrand jour avec l’essor des sciences. Ce discoursmoderniste pour un Valais presque exclusive-ment rural trouve par ailleurs appui dans laconstitution de sociétés savantes ou indus-trielles, telles que la Société scientifique valai-sanne ou la Société industrielle de Sion.Malgré les efforts louables du gouvernement,cette réorganisation des études ne réussit pasà relever un niveau jugé généralement trèsfaible. Retardés dès la première année, par lemanque de formation des élèves issus desclasses primaires, les collèges ne réussissent pasà combler toutes les carences durant leur cycled’études et la première année du lycée appa-raît souvent comme une septième année gym-nasiale. A peine reconnus dans les universités,les étudiants affichent leur méfiance vis-à-visd’un lycée cantonal qui ne remplit pas sesfonctions d’enseignement supérieur. Les faibles ressources financières de l’Etat n’au-torisent pas l’acquisition du matériel néces-saire à l’usage des nouvelles branches scienti-fiques et le traitement dérisoire des professeurs,

dont plusieurs travaillent à mi-temps ou cher-chent des professions plus rentables, ne per-met pas de s’évader d’une orientation exclu-sive des études vers trois seuls débouchés :prêtre, avocat, médecin. Cette situation contri-buant au maintien des habituelles classes pri-vilégiées marque l’échec patent du régime radi-cal dans son désir d’ouvrir de nouveauxhorizons aux études.

U n c o n s t a t d ’ é c h e c

Conscient de son impuissance, mais résolu àappliquer jusqu’au bout ses idées progressistesdans le domaine scolaire, le gouvernementprésentera à la session de mai 1857 une der-nière tentative pour réorganiser les collèges.Issu d’une volonté du Grand Conseil d’élar-gir un projet de loi concernant les moyensd’assurer l’avenir des professeurs64, le nouveauprojet souhaite mettre en rapport l’enseigne-ment avec les carrières nouvelles que crée ledéveloppement de l’agriculture, du commerceet de l’industrie. Dans ce but, il prévoit lacréation de deux écoles moyennes d’une duréede trois ans65 et la division des classes, à par-tir de Syntaxe, en deux sections : les Lettres etles Sciences. Des leçons communes ainsi quedes cours spéciaux à chaque section seraientorganisés.Moderne dans sa conception d’ouvrir un ensei-gnement moyen ou supérieur à tous ceux quine se destinent pas nécessairement à l’étatecclésiastique ou juridique, répondant aux ten-dances scientifiques du siècle, influencé par lapratique de l’enseignement real (pratique) enSuisse orientale, par la réforme Fortoul66 del’enseignement supérieur français et par l’exis-tence de la section industrielle de l’école can-tonale de Fribourg, ce projet radical restecependant totalement étranger aux préoccu-pations d’une société soit arriérée et sans souciculturel, soit élitaire et fidèle à la traditionclassique. Renvoyé à la session suivante, le pro-jet sombrera entre les mains du nouveau gou-vernement issu du changement de majoritéamené par les élections de mars l857.

�62 Jou rna l du Va la i s , 29 mars 1848.63 Jou rna l du Va la i s , 11 mars 1848.64 AEV, P ro t . GC , novembre 1853,

annexe l i t t . B « P ro je t de lo iconce rnan t l e s p ro fesseu r s aulycée e t aux co l l èges can tonauxdu 11 novembre 1853 »; cep ro je t composé de qua t re a r t i c l e sf i xe l e p r inc ipe d ’une nomina t ione t d ’une subvent ion dé f in i t i vesdes p ro fesseu r s ap rès t ro i s ansd ’ép reuve a ins i que l ’ob l i ga t ionpou r un p ro fesseu r d ’accep te r l e semp lo i s o f fe r t s . Ce t te p ro tec t ion(moderne) des ense ignants es tcependant re fusée pa r l e GCdés i ran t un p ro je t p lus vas te .

65 Les deux cou r s i n fé r i eu r s son to rgan i sés à Sa in t -Maur i ce , pou r l apa r t i e f rança i se , e t à B r igue , pou rla pa r t i e a l l emande, a lo r s que lecou r s supé r ieu r es t p révu dans lacap i ta le ; AEV, P ro t . GC , ma i1857, annexe l i t t . H , « P ro je t de lo i add i t i onne l à ce l l e du 31 ma i 1849 su r l ’ IP, 12 ma i1857 »; « P ro je t d ’o rgan i sa t iondes éco les moyennes ouindus t r i e l l e s , 12 ma i 1857 ».

66 Réfo rme (1902) v i san t à l ab i fu r ca t ion des é tudes(Le t t res/Sc iences) ; e l l e échoue ra ;vo i r GE R B O D 1968, p . 99.

76

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L A « R E S T A U R A T I O N » D E 1 8 5 7

L e r e j e t d u p r o j e t r a d i c a l

Le retour du gouvernement conservateur aupouvoir ne provoquera pas de grands boule-versements dans le monde scolaire valaisan.Conservant de Bons à la tête du DIP, le nou-veau régime préfère le statu quo à l’insécuritédes réformes : le projet de loi présenté parl’exécutif précédent est ainsi retiré. Le Conseild’Etat estime en effet que l’élément classiqueet littéraire « doit rester le pivot réel de l’ins-truction supérieure »67 et que toutes les étudessecondaires doivent lui être rattachées. Ce point de vue, conforme à la tradition des pèresjésuites, s’accompagne de l’approbation del’évêque qui, dans un long mémoire consacré auprojet que le nouveau régime s’est empressé delui soumettre, expose un avis bien arrêté surl’évolution de l’enseignement supérieur. Mgr dePreux décrit les dangers de l’école industrielle quilui paraît avoir pour but de séculariser l’ins-truction et de détourner les vocations religieuses.Il dénonce l’inutilité de ces écoles dont lesmatières sont déjà enseignées dans les collègesou les lycées. Le programme du lycée est d’ailleursjugé trop étendu en ce qui concerne les branchesscientifiques et trop restreint envers la philoso-phie et la religion : « Le programme sembleavoir pour but de faire du Lycée cantonal uneécole spécialement destinée à former des ingé-nieurs, des officiers d’état-major pour les armessavantes; or je pense que ce ne doit point êtrele but principal de cet établissement, mais depréparer surtout des jeunes gens pour le ser-vice de l’Etat et de l’Eglise »68.Cette définition restrictive des objectifs dulycée est partagée par le gouvernement conser-vateur soucieux de réconcilier les pouvoirstemporel et spirituel et de rendre à l’Eglise unrôle central dans la société. Tenant compte desobservations de Mgr de Preux, une commis-sion chargée d’examiner les changements àapporter dans le lycée et les gymnases présenteun nouveau projet définitivement arrêté etpromulgué le 18 septembre l85869.

A u t o u r d e l ’ a r r ê t é d e 1 8 5 8

Si le retour au modèle jésuite de l’enseignementpar classe pour les cours du gymnase et laréduction des études classiques à huit ans nesoulèvent pas d’âpres discussions, l’abandond’écoles moyennes distinctes, la part plusgrande accordée aux études classiques et lesoutien accordé au gymnase municipal de Sionentraînent de nombreuses réactions.Ainsi la création dans les deux gymnases deBrigue et de Saint-Maurice70 d’une écolemoyenne dont les élèves suivent les cours desquatre premières années du gymnase, à l’ex-ception du latin et du grec remplacés par descours spéciaux71, suscite de nombreuses cri-tiques. D’une part le projet ne répond pas auxbesoins d’un enseignement scientifique com-plet, distinct, centralisé, et d’autre part lemélange d’une formation professionnelle etd’une éducation à caractère universel ne satis-fait personne et pose avec acuité le problèmede la suprématie de l’enseignement scienti-fique sur l’enseignement classique. C’est le butprimordial de l’instruction donnée dans lescollèges qui est finalement remis en questionici. Citant les expériences négatives de paysvoisins dans ce domaine, l’Etat établit la dis-tinction entre l’instruction collégiale et l’ins-truction professionnelle : « L’Etat doit prépa-rer les jeunes gens à toutes les carrières : il nesaurait être chargé de faire des ingénieurs, desgéomètres, des professionnistes et des arti-sans »72. Les dirigeants conservateurs légitimentainsi la part réduite des branches scientifiquesdans l’enseignement en réaffirmant les valeursd’une société immuable. L’introduction d’uncours d’agriculture au gymnase lui-même neconfirme-t-elle pas cette intention de perpétuerun Valais traditionnel73?La question d’une aide de l’Etat en faveur ducollège municipal de Sion est, quant à elle,significative de la complexité du tissu d’inté-rêts locaux régissant toute initiative en Valais.Parti du regret de certains députés de voir que,malgré ses sacrifices en faveur de l’instruction,cet établissement ne reçoit aucune aide de

�67 AEV, P ro t . GC , novembre 1857,

séance du 3 novembre .68 AES, 225/105, « Le t t re de Mgr

de P reux au CE conce rnan t l aréo rgan i sa t ion des é tudesc lass iques , 20 oc tob re 1857 ».

69 « Ar rê té du 18 sep tembre 1858su r l a réo rgan i sa t ion desco l l èges » e t « P rog ramme des é tudes du l y cée can tona l e t aux gymnases de B r igue e t Sa in t -Maur i ce » , dans RL , t . X , pp . 100 -123.

70 Sa in t -Maur i ce posséda i t dé jà uneéco le moyenne depu i s l ’annéesco la i re 1838-39; no tonséga lement que le CE se se r t del ’exp ress ion éco le moyenne pou rdés igne r l ’ense ignementsc ien t i f i que ou indus t r i e l .

71 Géomét r i e é lémenta i re (3 h .) ,phys ique popu la i re (2 h .) , tenuedes l i v res (1 h .) , dess in l i néa i re(2 h .) .

72 RCE, 1858, D IP, p . 52.73 « Ar rê té du 18 sep tembre

1858 . . . » , a r t . 3 .

77

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l’Etat, un mouvement très net se dessine dansle centre du canton afin de mettre le collègemunicipal à la charge et sous la directionimmédiate de l’Etat et il s’amplifie au sein dedeux pétitions adressées au Grand Conseil ennovembre 1858. Les principaux arguments avancés concernentla nécessité pour les élèves du Centre de fré-quenter un collège peu éloigné, accessiblefinancièrement et suscitant le respect et laconfiance par son statut cantonal. De plus, LaGazette du Valais préconise une centralisationdes études secondaires dans la capitale. Elleconsidère en effet que le collège de Sion, sous

le patronage de l’Etat, ferait « tomber » les deuxautres établissements (en pleine décadenceselon le journal74) et réussirait, en palliant lemanque d’élèves, à instaurer un systèmed’études sévères et crédibles ouvrant demeilleures perspectives professionnelles auxétudiants.Ce raisonnement, faisant totalement abs-traction des intérêts liés aux deux partiesextrêmes du canton, ne sera pas suivi par legouvernement. La reconnaissance du collègemunicipal comme établissement d’Etat estacceptée par le Grand Conseil75 sous la condi-tion même d’une réintroduction des chaires

�74 Sa in t -Maur i ce commence à pe rd re

ses é tud ian t s f r i bou rgeo i s qu i ,du ran t l a pé r iode rad i ca le (1848-1857), y ava ien t t rouvé un ense ignement con fo rme à l eu ridéo log ie conse r va t r i ce ; « quant àce lu i de B r igue , i l e s t depu i slong temps tombé dans l ’esp r i t desgens pa r l e s mauva i s é lèves qu ien so r ten t » , Gaze t te du Va la i s ,74, 16 sep tembre 1858.

75 AEV, P ro t . GC , ma i 1859, p . 38.

78

Tunnel inauguré en 1859. Le t ra in permet au co l lège de Saint -Maur icede s’ouvr i r à toute la Suisse romande et même au-delà.(A r ch i ves de l ’Abbaye de Sa in t -Maur i ce)�

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de Philosophie à Brigue et Saint-Maurice.Exigé en vertu d’un principe d’égalité entreles collèges et de la nécessité de freiner l’hé-morragie d’étudiants préférant fréquenter leslycées d’Einsielden et d’Evian plutôt que celuide Sion, ce rétablissement pose cependantdes problèmes d’une gravité réelle. La craintede voir les étudiants délaisser l’année de Phy-sique du lycée cantonal pour entrer directe-ment au séminaire, au cours de droit ou dansdifférentes écoles professionnelles ainsi que laperspective alléchante de pouvoir achever lesétudes une année plus tôt alarment le Conseild’Etat.Cependant, face aux exigences des différentesrégions du pays, les principes d’éducation etmême d’économie doivent s’effacer. Le Conseild’Etat se limitera ainsi à décider une « ampli-fication » de l’année de Philosophie dans lestrois collèges76 et à s’assurer que le cours de Phy-sique reste obligatoire pour les futurs sémina-ristes et juristes.

L a l é t h a r g i e d e l ’ i n s t r u c t i o n s e c o n d a i r e

Le départ de De Bons en 1861 n’engendreaucun remous dans un monde de l’instruc-tion qui retrouve, dans la conjoncture peufavorable des années 1860-1870, un rôle desecond plan confirmé par la stagnation desdépenses effectuées par le DIP. Les règlementsde 1860 et 186377 n’apportent aucune modi-fication majeure, si ce n’est une tentative dedécentraliser l’administration et d’établir unehiérarchie dans l’instruction supérieure enfixant les attributions du Conseil de l’IP, dupréfet des études, des préfets des collèges etdes professeurs. Les conférences des profes-seurs78 ne signalent quant à elles que des pro-blèmes secondaires de discipline et toutsemble aller pour le mieux dans les établis-sements valaisans, à l’image de celui de Saint-Maurice, décrit par Mgr Jaccoud, dans sessouvenirs de collège, comme un modèled’éducation et de vie scolaire intense79. Cettequiétude est à peine troublée par l’exclusion

de trois professeurs jésuites exigée par laConfédération et acceptée par un Conseild’Etat « guidé par un esprit de déférenceenvers le Conseil fédéral »80 et désireux d’écar-ter tout spectre d’intrusion fédérale dans sesaffaires.La situation des collèges n’est en réalité pasaussi reluisante qu’elle ne le paraît. Le lycéea perdu de son importance et le niveau ducours de Physique, très peu fréquenté malgréles précautions prises par l’Etat81, est trèsfaible. L’accès au Polytechnicum est soumisà une école préparatoire pour les élèves valai-sans et leur manque de connaissances ensciences naturelles les gêne dans leurs étudesde médecine. Par contre l’admission au sémi-naire et à l’école de droit reste aisée. Les écolesindustrielles intégrées aux gymnases péricli-tent en raison du manque d’intérêt et d’ef-fectif82.

D i v e r s e s i n t e r p r é t a t i o n s s u r l e s c a u s e s

Si la presse est unanime à reconnaître la défec-tuosité de l’enseignement secondaire, ellediverge sur l’interprétation de ses causes. LaGazette du Valais, tout en rendant hommageaux maîtres qui ont formé une générationd’élites ayant conservé « les principes reli-gieux, les principes d’ordre, de morale,d’équité »83, estime que l’enseignementmanque de profondeur, qu’il devrait être pro-longé, plus sévère dans ses conditions de pro-motion. A ses yeux, la faiblesse des collègesdate du gouvernement de 1849, acquis auxdangereuses idées modernes « qui gâtent lafamille, la société, et engendrent les révolu-tions »84.Pour le Confédéré, organe du parti radical-libé-ral, la principale cause est : « cette bonne vieilleet douce routine, qui donne si peu de travailau maître et torture si peu l’intelligence de lajeunesse, qui la fait vivre de plain-pied avecles héros plus ou moins réels de l’antiquitépaïenne et permet même de leur adresser laparole dans leur langue, pendant qu’une par-

�76 Cer ta ines b ranches dev iennent

ob l iga to i res aux cô tés de laph i losoph ie ; ex . mathémat iques ,h i s to i re ; AEV, P ro t . CE , 31 août1859.

77 « Règ lement du 20 sep tembre1860 pou r l e l y cée e t l e s co l l ègesd ’E ta t » , « Règ lement du 22 août1863 du Conse i l de l ’ IP, du P ré fe tdes E tudes , des P ré fe t s desCo l l èges , e t des P ro fesseu r s » ,« Règ lement du 22 août 1863 pou rles é tud ian t s aux Co l l èges de l ’E ta t » , dans RL , t . X , pp . 190 -199, 286 -292, 293 -299.

78 Vo i r AEV, 1DIP15, « P ro toco les descon fé rences des p ro fesseu r s deS ion (1861-1877) ».

79 J A C C O U D 1925-1927. Mené pa r unco rps p ro fesso ra l homogène,p résen tan t l e s me i l l eu res ga ran t iesdu po in t de vue re l i g ieux sous l erayonnement du p ré fe t Ga rd , l eco l l ège de Sa in t -Maur i ce , ouve r tsu r l e s au t res can tons , es téga lement p résen té comme lap r inc ipa le pép in iè re du c le rgéf r i bou rgeo i s e t l a ma i son pa te rne l l edans laque l l e l a j eunesse s tud ieusedu Ju ra ab r i t e sa fo i ca tho l i quependant l a pe r sécu t ion . Vo i rBO U R B A N 1896, p . 120.

80 Ces pè res ava ien t é té appe lés auxcha i res de Ph i losoph ie e t deRhéto r ique du co l l ège de S ion a ins iqu ’au pos te d ’ inspec teu r dupens ionnat à B r igue dans l e cad rede muta t ions de pe r sonne l ,susc i tan t pa r l à l e s c lameursd ’o rganes de p resse su i s se e t l a condamnat ion du Conse i lf édé ra l l e 12 décembre 1866 (enve r tu des a r t . 44 e t 58 de laCons t i tu t ion fédé ra le) ; vo i r RCE ,1867, pp . 77 -78.

81 En 1866, l e cou r s de Phys iquen’es t f réquenté que pa r qua t reé lèves !

82 La Rea l s chu le de B r igue fe rme sespo r tes en 1864 dé jà ; Sa in t -Maur i cet rans fo rme son éco le indus t r i e l l e enéco le moyenne p répa ra to i re augymnase (une bonne éco le p r ima i reen que lque so r te) ; ce l l e de S ion nepeut ten i r ses cou r s ce r ta inesannées en ra i son de l ’absenced’é lèves !

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tie du Valais ne sait pas un mot du langagede l’autre partie »85. Cette critique des languesanciennes s’accompagne d’une condamnationde l’enseignement par classe et de violentesattaques, débordant sur la religion, contre lesjésuites et leurs fervents successeurs au sein del’enseignement. A l’idéale atmosphère des belleslettres, de la poésie, des langues mortes, de laphilosophie, le Confédéré oppose des branchestelles que les langues modernes, les sciencesnaturelles, la botanique, la chimie, etc. quidonnent aux collèges une direction pratiqueet permettent à la jeunesse de se créer uneposition productive dans la société.De cette lente évolution des collèges valaisansdu début du XIXe siècle à la veille de la loi sco-laire de 1873, se dégagent plusieurs traits carac-téristiques de l’enseignement supérieur. Privi-lège des classes aisées et support d’une cultureélitaire, étrangère aux préoccupations quoti-diennes du peuple valaisan, les études ont étéfaçonnées selon l’idéal classique des jésuites etdes chanoines répondant aux vœux d’une classe

dirigeante désireuse de se perpétuer. A peinetroublé par les revendications libérales en faveurdu progrès et des sciences, l’héritage de prin-cipes éducatifs portant sur l’autel la religion,la culture antique, l’ordre et la discipline etcondamnant tout enseignement pratique etscientifique, restera intact au-delà même de lapériode dominée par le régime radical. Celui-ci, opposant à la routine classique un ensei-gnement utile à la société industrielle et com-merciale naissante, ne réussira pas à concilierson idéologie progressiste avec la réalité d’unpays économiquement et culturellementretardé.Si la création du DIP marque le triomphe del’école d’Etat, il ne faut pas oublier que celui-ci, souvent limité par ses capacités financièresréduites, doit affronter l’idéologie traditiona-liste d’un peuple et la pression d’entités localessoucieuses de préserver leurs seuls intérêts. Cesdernières s’opposeront avec virulence à touteforme de centralisation au sein de l’enseigne-ment secondaire supérieur.

�83 Gazet te du Va la i s , 116,

8 oc tob re 1871.84 Gazet te du Va la i s , 51,

27 ju in 1867.85 Le Con fédé ré , 30, 14 av r i l 1867.86 ROUX 1976, p. 144; l ’auteur déf in i t

deux phases : 1) 1875-90 :s tab i l i sa t ion ; 2) 1890-1905 :évo lu t ion .

80

Avant d’entrer dans l’analyse de l’or-ganisation moderne de l’enseignement supé-rieur, apportée par la loi de 1873, il convientd’opérer une césure dans le temps. La phasede 1870 à 1890 correspond à une période ditede « stabilisation »86 dans tous les secteurs dela vie publique. La routine politique est entre-tenue par d’inamovibles familles conservatriceset soutenue par un peuple partageant les

mêmes préoccupations religieuses et écono-miques. Le traditionalisme est plus que jamaistriomphant dans les mentalités et freine toutdéveloppement économique s’écartant de lavoie sacro-sainte de l’agriculture. La situationfinancière difficile du canton scelle ce constatd’immobilisme dans sa triste réalité. L’ins-truction elle-même échappera-t-elle à cettesclérose de la société valaisanne ?

L a l o i d e 1 8 7 3 : u n e p r e m i è r e c é s u r e

D E U X I È M E P A R T I E

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I N T E N T I O N S D U L É G I S L A T E U R

U n e s p r i t d e l o i t r a d i t i o n n e l

L’état regrettable de l’enseignement avait sou-levé, à la fin des années soixante déjà, de vivescritiques, dans la presse et au sein du GrandConseil en particulier, au sujet de l’ensei-gnement industriel. Quelques postulats for-mulés par le parlement vers 1870 ont étérapidement étouffés par la crise financière87.Il faut attendre l’arrivée à la tête du DIP en1871 d’une personnalité jeune et dynamique,soucieuse d’apporter un souffle nouveau àl’institution scolaire valaisanne : Henri Bio-ley. Cet avocat talentueux et sensible à touteforme de culture88 opère une refonte de la loisur l’instruction publique combinant avecprudence les réformes et les progrès à réali-ser avec les particularismes du Valais. Sonprojet présente un double but : le dévelop-pement de l’instruction en vue d’ouvrir descarrières et de créer des ressources nouvellesainsi que l’amélioration d’une éducationmorale, plus élevée que l’instruction propre-ment dite. L’esprit de la loi s’inscrit dans lacontinuité d’un enseignement fidèle auxvaleurs traditionnelles et circonspect vis-à-vis des orientations utilitaires et trop maté-rialistes. La commission chargée du rapportsur le projet fonde ses vues sur la comparai-son des dispositions scolaires valaisannes avecles arrêtés et lois scolaires d’autres Etats confé-dérés « de ceux surtout dont la situation, lesmœurs et les ressources présentent le plusd’analogie avec notre pays »89.Les législateurs établissent une catégorisa-tion précise au sein de l’enseignement : lesécoles primaires et moyennes et les écolesnormales dispensent une instruction popu-laire alors que les collèges et le lycée sontdestinés aux élèves se dirigeant vers le Poly-technicum ou les universités. Nous remar-quons que pour la première fois les collègessont définis en tant qu’établissements inter-médiaires s’ouvrant nécessairement sur desétudes supérieures.

Q u e l q u e s i n n o v a t i o n s . . . l o n g u e m e n t a t t e n d u e s

Parmi les innovations avantageuses de la loi90,nous pouvons noter la concentration des étudessupérieures ainsi que la création d’un collègeindustriel à Sion.Si la première mesure reprend le principe énoncépar la loi de 1849, mais partiellement appliqué,d’une centralisation du lycée cantonal à Sion,la seconde récompense enfin dans son intentionles efforts fournis durant des décennies par lesindustriels, commerçants, négociants en vued’obtenir un enseignement pratique où lesétudes reales et les sciences exactes occupentune place primordiale. La commission chargéedu rapport reconnaît les erreurs passées et leursconséquences à travers l’encombrement des car-rières libérales, la débâcle lamentable des indus-tries valaisannes, le manque de dynamisme dansles affaires, l’exode de jeunes gens vers d’autrescantons en vue de s’instruire selon leurs pen-chants et aptitudes : «Nous n’avons guère songéjusqu’ici qu’à la partie de notre jeunesse quise destine aux carrières libérales; nous pou-vons même dire que nous avons poussé danscette voie, faute d’en avoir quelque autreouverte, bien des jeunes gens qui s’y sentaientd’ailleurs assez peu appelés » 91.

D É B A T S

L e l y c é e c a n t o n a l e t l e c o l l è g e i n d u s t r i e l

Le projet de loi ne rencontre que peu d’op-positions lors de sa présentation au GrandConseil. Ainsi le thème de la reconstitutiond’un lycée cantonal à Sion ne suscite, lors despremiers débats, que quelques réticencesdésormais routinières de certains députésrégionalistes du Haut et du Bas-Valais, sou-cieux de conserver les collèges de Brigue et deSaint-Maurice dans leur totalité. De même,à l’opposé, relevons l’inanité des menées cen-tralisatrices du groupe radical, concrétiséespar la motion Beck, visant à regrouper les col-

�87 Vo i r BGC, ma i 1870, pp . 54 -61;

BGC, ma i 1872, p . 11.88 Cu l t i van t l a poés ie e t l e s l e t t res ,

i l a no tamment éc r i t Les Poè tesdu Va la i s romand : an tho log ie ,Lausanne, 1903, 266 p .

89 RCE, 1871, D IP, pp . 100 -101.90 Augmenta t ion du t ra i tement des

ins t i tu teu r s , p ro longat ion de ladu rée de l ’éco le p r ima i re ,pa r t i c i pa t ion de l ’E ta t aux f ra i sd ’en t re t i en des éco les moyennes ,ouve r tu re d ’un cou r s derépé t i t i on , c réa t ion d ’une éco leno rma le fo r tement o rgan i sée ,concen t ra t ion des é tudessupé r ieu res , c réa t ion d ’un co l l ègeindus t r i e l .

91 AEV, P ro t . GC , novembre 1872,op . c i t . , p . 22.

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lèges classiques en un seul établissement, cequi favoriserait l’assimilation et l’interpéné-tration des deux parties linguistiques du can-ton92. Jugée irréalisable par l’ensemble desdéputés, elle est rapidement écartée. Les pres-sions des députés du centre en faveur de l’oc-troi du lycée cantonal à la ville de Sion s’ap-parentent, quant à elles, à du chantage : « Laville de Sion ne consentira aux sacrifices qu’elleveut s’imposer pour le collège industriel quepour autant que la loi lui accordera le lycéecantonal »93.Les autorités municipales de la capitale, à majo-rité libérale, présentent par ailleurs à la HauteAssemblée les fondements historiques et juri-diques établissant la nécessité d’un collège dansleur ville94. Sans susciter des passions effrénées,cet épisode est significatif des tiraillements oppo-sant le chef-lieu et les régions périphériquesdans l’octroi d’établissements cantonaux.Parmi ceux-ci, la nécessité d’un collège indus-triel est unanimement reconnue par l’assem-blée législative. Les arguments en faveur de sacréation ne cessent d’affluer de la part de dépu-tés de toutes tendances : « Nous imposons for-tement la classe industrielle, n’est-il pas justeque nous fassions aussi des sacrifices pour elle ?Voulons-nous continuer à condamner notrejeunesse à ne pouvoir se vouer qu’à l’exercicedu notariat ou au barreau ? Voulons-nous lais-ser plus longtemps l’industrie dans le malaiseoù elle végète, faute d’instruction suffisante ? »95

Cet échantillonnage de revendications illustrebien la prise de conscience au sein de la classedirigeante du rôle important des secteursindustriels par leur apport financier et parl’éventail d’occupations professionnelles qu’ilsproposent. Après tant de résistances nourriestout au long du siècle, le Valais est-il enfinprêt à favoriser l’éclosion d’une nouvelle éco-nomie ? L’attitude résolument négative de la Gazette duValais vis-à-vis de l’école industrielle nous per-met d’en douter. Fondant son opposition surla vocation rurale du canton et sur l’évocationd’échecs de grandes entreprises, elle ne proposeque quelques mesures palliatives telles que l’ad-

jonction d’une section industrielle pour les petitscommerçants à l’un des trois collèges ou l’oc-troi de subsides permettant aux élèves doués defréquenter les collèges industriels d’autres can-tons ! « Le Valais, quoi qu’on en dise, ne serajamais un pays de grandes entreprises. La Pro-vidence ne l’a pas destiné à cet effet. Nous l’enremercions car les robustes et si vous voulezun peu rustiques populations de nos mon-tagnes, valent bien les populations étiolées desvilles industrielles »96.Cette vision exclusive de la société valaisanneest complétée par l’omniprésence d’une moraleéducative virile et chrétienne. Or l’idéal de lasociété industrielle et la définition de l’ensei-gnement selon l’organe du parti radical indis-posent la Gazette du Valais : « Une instructionqui a pour but de rendre un homme indé-pendant en lui apprenant à juger et à se diri-ger par lui-même, n’est-ce pas pour tout catho-lique croyant, une instruction franchementantireligieuse ? »97 Comment le clergé, empêchéd’exercer le commerce et l’industrie par les pres-criptions de l’Eglise, pourrait-il maintenir soncontrôle sur les écoles industrielles ? Commecorollaire à cette interrogation épineuse, leConfédéré dénonce l’antipathie, l’exclusivisme,l’hostilité même du clergé, héritages légués parles jésuites à l’égard de l’enseignement indus-triel : « Cet exclusivisme de l’enseignement,nous le retrouvons chez les Jésuites. Ils sontgénéralement très instruits et enseignent trèsbien, mais seulement ce qu’il leur convient, ouce qu’ils sont forcés d’enseigner. Avant toutils cherchent à préparer la jeunesse à entrerdans leur ordre, ensuite à suivre les cours dethéologie. »98

Réfutant la dichotomie éducation/instruction, leporte-voix radical dénonce l’élitisme des étudesclassiques, expression d’une doctrine visant àréserver l’instruction à une minorité, à la mesu-rer selon les besoins de chacun : ne donner auberger que ce qui lui est nécessaire pour conduireson troupeau. Son appui à la motion Beck, sourced’espérance en une jeunesse bilingue, lui per-met de s’acharner impitoyablement sur le latin,étude aberrante produite par et pour le clergé !

�92 Prépa rée pa r l e médec in rad i ca l

de Sa in t -Maur i ce A lphonse Beck ,ce t te mot ion p ropose la mise su rp ied de qua t re é tab l i s sements :deux éco les p répa ra to i res de t ro i sans à B r igue e t Sa in t -Maur i ce(avec cou r s pou r é lèves de languenon mate rne l l e) , un co l l ègeindus t r i e l , un seu l co l l ègec lass ique e t un l y cée can tona l ;AEV, P ro t . GC , ma i 1873, annexe l i t t . E .

93 BGC, sess ion p ro rogée janv ie r1873; in te r ven t ion du députél i bé ra l séduno i s Joseph R ion .

94 AEV, P ro t . GC , novembre 1872,« Message su r l e s Fonds d ’éco lede S ion , 26 novembre 1872 ».

95 Gazet te du Va la i s , 140, 4 décembre 1872.

96 Gazet te du Va la i s , 7 , 17 janv ie r 1873.

97 Gazet te du Va la i s , 140, 4 décembre 1872.

98 Le Con fédé ré , 93, 21 novembre 1872.

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L e « r é t a b l i s s e m e n t » d u c l e r g é

C’est cependant à un niveau plus général queles hommes d’Eglise provoquent de très vifsdébats au Grand Conseil : il s’agit en fait d’uneréhabilitation du clergé par rapport à la loi de1849. La réintroduction du curé commemembre-né des commissions scolaires localeset la nomination d’un membre du clergé dansla composition du Conseil de l’IP constituentles deux principales modifications. La secondeest rapidement en butte à des problèmes liésau mode d’élection du représentant ecclésias-tique. Une désignation directe de la part del’évêque est considérée par les opposants commeune abdication de l’Etat quant à son droit desurveillance sur l’instruction. Cette questionvire rapidement en une polémique autour dela séparation Eglise/Etat, des compétences ecclé-siastiques en matière d’instruction, desinfluences bénéfiques ou désastreuses du clergésur les progrès de l’enseignement : « Le clergéne veut pas qu’on donne des notions de mathset de banque qu’on proposait dans le temps.Aussi ceux qui n’ont pas voulu de ces notions,ont été victimes de leur indifférence. On neveut pas élargir la sphère de l’instruction, onveut rester dans le statu quo. [...] Les pays oùl’instruction a été abandonnée au clergé sontceux où elle a fait le moins de progrès ». Enon-cée par le libéral Auguste Bruttin, professeurau collège de Sion99, cette dernière prise deposition attirera sur son auteur de virulentesattaques de la Liberté de Fribourg et de laGazette du Valais qui n’hésiteront pas à récla-mer sa démission dans leurs colonnes100.Sans effet, ces plaintes journalistiques nousdémontrent cependant, par leur seule formu-lation, la situation précaire des professeurs,nommés et révoqués parfois arbitrairementpar le Conseil d’Etat. Contre l’inamovibilitéde certains professeurs privilégiés, la députa-tion radicale propose la mise sur pied d’unconcours pour accéder aux postes d’ensei-gnants. Conforme à leur esprit libéral, cettemesure stimulerait le zèle des candidats, élè-verait le niveau de l’enseignement, permet-

trait à l’Etat de connaître toutes les capacitésdu canton et du dehors et d’engager des pro-fesseurs ayant des connaissances spéciales pourle lycée et le collège industriel. L’article proposé sera cependant écarté pour desraisons d’économie, de pouvoir de décision del’Etat et surtout de restrictions vis-à-vis de l’Ab-baye de Saint-Maurice qui ne peut être tenueà engager des professeurs laïcs. Ce rejet témoignede la volonté de l’Etat de favoriser le rétablis-sement de l’Eglise au sein des affaires scolaires.

U n e t o i l e d e f o n d f i n a n c i è r e

Enfin, nous ne saurions passer sous silence l’ar-rière-fond continuellement présent des capaci-tés financières de l’Etat. Les orateurs du GrandConseil ne tiennent compte que d’un point devue exclusivement économique lors des débats.Tout surcroît de dépenses est considéré commeinacceptable. Quelques milliers de francs à peinedevraient suffire à rendre au régime scolaire unecertaine crédibilité susceptible de réduire ausilence ceux qui avaient fait, lors de la révisionde 1872, des efforts inimaginables « pour pla-cer l’instruction publique sous le haut et puis-sant protectorat de l’ours de Berne »101.Cette attitude farouchement fédéraliste, quine cessera de s’accentuer vers la fin du siècle,paraît cependant contradictoire sur un planpurement économique lorsqu’on apprend parla presse radicale que le Valais a reçu plus desix millions de subsides alloués par la SociétéSuisse d’Utilité Publique depuis 1818, afind’établir, entre autres réalisations, des écolesd’un niveau acceptable : « Ces deniers de salutpublic n’ont pas été considérés comme atteinteà la souveraineté cantonale »102.

P R O F I L D E L A L O I

A m b i g u ï t é s d e l a l o i

Définitivement adoptée le 4 juin 1873, la loientre en vigueur dès le début de l’année sui-vante. Le discours de clôture de la sessionprorogée d’octobre 1873 par le président du

�99 BGC, ma i 1873, pp . 122 -123;

Augus te B ru t t i n (1835-1894);banqu ie r e t p ro fesseu r au co l l ègede S ion , i l e s t conse i l l e r mun i c ipa l(1869-1872), v i ce -p rés iden t(1872-1876) pu i s p rés iden t de lav i l l e (1877-1884), dépu té au GC(1873-1877) (2e v i ce -p rés iden t1873-1875).

100 Vo i r Gaze t te du Va la i s , 64, 30 ma i 1873; 77, 29 ju in1873; Le Con fédé ré , 55, 10 ju i l l e t 1873 ( l ’o rganerad i ca l p rend sa dé fense e tappu ie ses thèses) .

101 « Lo i du 4 ju in 1873 su rl ’ i n s t r uc t ion pub l i que », a r t . 5 ,a l . 2 , dans RL , T. X I , p . 331.

102 De nombreux subs ides son ta l l oués au Va la i s no tammentlo r s des s in i s t res de 1818 e t1834; l e s cond i t i onsd ’a l l o ca t ion des subvent ionsson t : l e rebo i sement des fo rê t s ,l ’ end iguement su i v i e tcoo rdonné du f l euve e t de sesa f f l uen t s , l ’ é tab l i s sementd ’éco les su r un p ied p lusconvenab le ; vo i r l e Con fédé ré ,97, 5 décembre 1872.

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Grand Conseil, Victor de Chastonay, laisseaugurer le succès d’une loi qui se veut pro-gressiste et qu’aucun intérêt particulier ne sau-rait contrecarrer : « Un mouvement irrésistiblepousse les peuples vers la multiplication desmoyens d’instruction et malheur à ceux quiayant mission de conduire leurs destinées ten-teraient de résister à cette tentative dont l’ac-tion est invincible, parce qu’elle prend sasource dans un besoin inné à la nature del’homme » 103. Cette belle déclamation nouslaisse cependant quelque peu perplexe lorsquenous considérons l’absence de modificationstouchant l’enseignement secondaire supérieur.Le statu quo régnera dans les collèges jusqu’en1889. En plus de principes généraux fixantenfin dans la législation la gratuité de l’ins-truction secondaire et supérieure dans les éta-blissements d’Etat ainsi que la liberté d’ensei-gnement, seuls l’aménagement d’un Conseil del’IP aux attributions plus étendues et l’orga-nisation plus fonctionnelle du corps ensei-gnant et de la direction des collèges constituentdes acquis nouveaux susceptibles d’améliorercette partie de l’enseignement.Les deux principaux avantages et apports dela loi dans ce domaine devaient, selon les légis-lateurs, être la centralisation des études supé-rieures et la création d’un collège industriel. Orla loi elle-même comporte des ambiguïtés auto-risant diverses interprétations qui aboutissentau non-respect de certaines dispositions. Ecartéde la liste des établissements cantonaux d’ins-truction secondaire et supérieure, le collègeclassique de Sion obtient un sursis consistantà prolonger son existence jusqu’à la créationdu collège industriel104. Or, le délai d’organi-sation relativement long de ce dernier, quatreans, ainsi que le peu d’empressement des auto-rités à son égard, permettront aux défenseurssédunois de la tradition classique de mainte-nir « leur » gymnase ... jusqu’en 1910.Quant au collège industriel, malgré les bonnesintentions du départ consistant à former unnoyau fort d’élèves à l’aide d’un troisième coursd’école moyenne à Sion, il ne sera établi quesur le papier : « [...] la loi avait, au sujet du

Collège industriel, comme un pressentimentde porter un mort-né dans ses flancs »105. LaGazette du Valais elle-même n’hésite pas à s’op-poser à l’exécution de la loi. Faisant l’apolo-gie des études classiques, dénonçant les dan-gers et le peu d’éclat de l’enseignementindustriel et critiquant avec des propos d’unerare violence l’égoïsme du régionalisme valai-san qui ôte à la capitale la plupart de ses ins-titutions, la feuille sédunoise appelle ses lec-teurs à manifester leur mécontentement : «Uneloi frappe d’abolition le collège classique deSion; le pouvoir exécutif semble reculer devantl’exécution de la loi; c’est le moment deprendre parti dans cette question importante;c’est à l’opinion d’intervenir, c’est aux hommesinfluents de se grouper et de protester contrecette suppression »106.

U n l a i s s e r - a l l e r g o u v e r n e m e n t a l

Ce laxisme des autorités s’accroît au détrimentdu collège industriel. L’adjonction d’un qua-trième cours à l’école moyenne dès 1878, nedonne toujours pas à cet établissement l’im-portance voulue par le législateur et sa pré-sence ne saurait justifier la suppression du col-lège classique. Ce constat, développé dans lerapport de gestion du Conseil d’Etat de 1879,sert désormais de « fondement légal » pour jus-tifier la suppression de l’exécution de la loi de1873 et le maintien du statu quo.Dans un même ordre d’idée, malgré les dis-positions prévoyant la centralisation du lycéecantonal à Sion107, les chaires de Philosophiede Saint-Maurice et de Brigue sont maintenues :« [...] une fois l’exception faite pour Sion, il eûtété injuste de traiter autrement Brigue et Saint-Maurice concernant leurs chaires de Philoso-phie »108.Cette casuistique juridique, vivement dénon-cée par le parti d’opposition et plus tard parles législateurs de 1910, est significative del’inanité de toute réforme qui s’opposerait,dans le Valais de la fin du siècle passé, à desintérêts locaux, à des impératifs financiers ouà une conception idéalisée de la société fon-

�103 BGC, sess ion p ro rogée oc tob re

1873, séance du 16 oc tob re ,pp . 367 -368.

104 « Lo i du 4 ju in 1873 . . . » , a r t . 92 e t 124.

105 BO U R B A N 1896, p . 123.106 Gazet te du Va la i s , 119,

6 oc tob re 1876.107 Ar t . 92 e t 123.108 RCE, 1881, p . 5 .

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cièrement différente. Dans un langage moinsnuancé, le Confédéré avait présenté, déjà à laveille des débats sur la loi de 1873, les facteursde réussite des autorités dans leurs actes : «Pourêtre un magistrat populaire en Valais, il faut

surtout trois qualités : 1° ne pas faire exécuterles lois 2° n’exiger aucun impôt 3° vivre en bonstermes avec le clergé tout en faisant sentir àcelui-ci, de temps en temps, que le peuple estle maître »109.

�109 Le Con fédé ré , 7 , 5 décembre

1872.

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Le co l l ège de Sa in t -Maur i ce de 1893 à 1914.(Hey raud , fonds de l ’Abbaye de Sa in t -Maur i ce , Méd ia thèque Va la i s – Mar t igny)�

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�110 RCE, 1878, D IP, p . 33.

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Les capacités financières réduites del’Etat, son idéologie traditionaliste et la situa-tion d’un canton vivant tardivement sa révo-lution industrielle vont influencer l’enseigne-ment secondaire supérieur dans soncheminement sur la voie des réformes. Ce sontelles qui définiront ses attentes, ses arrêts, leprofil de ses luttes. Parmi celles-ci, trois pro-blèmes spécifiques seront tour à tour déve-loppés : l’opposition à caractère fédéraliste auxingérences de la Confédération dans ledomaine des collèges, la nécessité d’uneconcentration ou au contraire d’une décen-tralisation des établissements, l’affrontementde la culture classique et de la culture moderneissue de l’industrialisation. Les profondes mutations dans ces domainesaboutiront à la création d’un type d’ensei-gnement secondaire supérieur nouveau. La loide 1910 en détermine les caractères. L’examendes travaux préparatoires à l’élaboration decette loi nous permettra d’observer si elle estsusceptible de façonner et de définir une nou-velle élite culturelle et professionnelle et, parextension, une nouvelle société valaisanne.

P R E S S I O N S F É D É R A L E S

D a n g e r e t a t t r a i t d ’ u n e i n g é r e n c e f é d é r a l e

D e s p r i n c i p e s d ’ o r g a n i s a t i o n q u ig ê n e n t . . .

La Constitution fédérale du 29 mai 1874 recon-naît à la Confédération, par son article 27, undroit de surveillance sur l’enseignement primaireet fixe les principes généraux qui sont à la base

de l’organisation scolaire en Suisse. Cette ingé-rence fédérale dans un domaine qui a toujoursété considéré comme une affaire purement can-tonale soulève de vives résistances dans les diffé-rents cantons, jaloux de leurs droits et de leursprérogatives. L’échec de la révision de 1872, enraison du débat sur l’exclusion des ordres religieuxde l’enseignement, avait déjà démontré la néces-sité de laisser aux cantons une pleine souverai-neté dans l’organisation de l’instruction : la misesur pied d’une politique culturelle commune, àl’image de la France où existe un ministère del’Education, n’est pas envisageable en Suisse.C’est ainsi que les mesures prises par la Confé-dération telles que l’établissement d’examensde recrues dès 1875 ou la création d’un bailliscolaire en 1882, en vue de faire valoir ses droitsde surveillance et d’améliorer l’instruction pri-maire, se heurtent à une forte opposition de laclasse dirigeante valaisanne. Celle-ci interprètece contrôle des écoles comme une poursuite dela lutte fédérale contre les catholiques conser-vateurs. Les autorités valaisannes réaffirmentsans cesse leur particularisme dans le domainescolaire : la culture est en effet fortement mar-quée par la structure topographique du paysqui favorise la création d’entités politiques auto-nomes aux formes culturelles, ethniques et reli-gieuses différentes. Le Conseil d’Etat donne en1878 son avis sur cette volonté d’uniformisa-tion de l’enseignement en Suisse : « Inadmissi-bilité d’un système qui voudrait placer tous lescantons au même niveau en matière d’ins-truction publique et formuler à cet égard lesmêmes exigences pour les populations essen-tiellement agricoles et habitant les campagnesque pour celles qui se vouent à l’industrie ethabitent les villes »110.

P r o c e s s u s d e m o d e r n i s a t i o n ( 1 8 7 5 - 1 9 1 0 )

T R O I S I È M E P A R T I E

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Cette constatation dénote, de manière exagé-rée, un fort esprit cantonaliste. Il ne faut pasoublier cependant qu’en 1815, le Valais (sur-tout le Haut) avait espéré retrouver son indé-pendance d’avant 1798. Son rattachement à laSuisse, par la volonté des puissances, avait étéaccueilli par les élites dirigeantes avec résigna-tion. Ainsi s’expliquent les perpétuelles marquesde défiance à l’encontre de toute menée cen-tralisatrice. Au lendemain de l’acceptation dela révision de la Constitution fédérale de 1874,la Gazette du Valais annonçait dans un élantragique : « Lorsque le Valais est entré dans laConfédération, il y est entré sous la garantieformelle de sa souveraineté cantonale. Il nes’est pas livré pieds et poings liés, comme unpays conquis. Dimanche, dix-neuf millecitoyens ont protesté contre l’escamotage de lasouveraineté de leur canton par une majoritéqui, à bien prendre les choses, n’a pas le droitde disposer d’un pays auquel elle n’appartientpas »111.

F é d é r a l i s m e e t r é a l i s m e

Cet esprit régionaliste ne tient cependant pascompte, dans le domaine scolaire, d’une réa-lité tout aussi dramatique : aux examens derecrues, le Valais occupe la dernière positionau classement par cantons; 50 % des Valaisansne savent pas lire ou écrire. Dans un premiertemps, l’Etat ne considère pas la situationcomme catastrophique : « Bien que l’amour-propre national nous impose le devoir de fairetous nos efforts pour obtenir à notre cantonun rang honorable parmi les Etats confédérés,nous ne voudrions cependant pas exiger denos populations des dépenses et des pertes detemps considérables, dans le seul but de pous-ser le Valais à quelques degrés plus haut surl’échelle de la statistique fédérale »112.Les conservateurs valaisans prennent même unepart essentielle à la rude campagne menée contrele projet d’arrêté du Conseil fédéral du 14 juin1882 qui vise à créer des postes de fonctionnairesfédéraux dirigeant des enquêtes et supervisantl’enseignement sur l’ensemble du territoire.

Emmenés dans le Haut-Valais par le futur par-lementaire fédéral Gustav Loretan et dans leBas-Valais par le chef du DIP Henri Bioley113,les contestataires valaisans développent leur argu-mentation fédéraliste sous le spectre d’un tripledanger financier (nouvelles charges), politique(déchéance de la souveraineté et de l’indépen-dance des cantons) et religieux (instruction nonconfessionnelle). Ce dernier thème leur permetde fustiger le parti et la presse libérale et radi-cale qui portent aux nues le projet au nom d’unprétendu progrès. « Le peuple suisse, dans samajorité, veut que l’école soit chrétienne [...].Mais ce que le peuple suisse veut, nos radicauxne le veulent pas. Ils veulent enlever à l’écolele caractère chrétien pour en faire un établis-sement d’Etat où tout sera enseigné, hormisla religion chrétienne. »114

Le clergé est présenté par l’historien libéral-radi-cal Courthion comme le principal opposantà l’immixtion fédérale et comme un véritablelevier contre la centralisation115. Les écrits deMgr Jaccoud, ancien élève du collège de Saint-Maurice, sur l’attitude du canton de Fribourgface à la centralisation, permettent d’abonderdans le même sens : dans une longue série d’ar-ticles consacrés à la supériorité de la famille etde l’Eglise sur l’Etat dans le domaine de l’édu-cation, il condamne au nom du clergé le libé-ralisme et le monopole d’Etat : «L’enseignementappartient et doit appartenir à l’Eglise, elledoit par les évêques, et ceux-ci par leur clergé,avoir la direction suprême de l’enseignementdans toutes ses parties, car l’enseignement nedoit en aucun point dévier de la vérité ». Laligne de conduite à adopter est celle de chré-tiens responsables qui savent ramener la pra-tique des lois, même celles imposées par « lejoug tyrannique du libéralisme » fédéral116 auxprincipes catholiques.Malgré ces vives oppositions, n’oublions pasque la Confédération exerce un attrait parti-culier sur le parti libéral-radical valaisan etsur une large majorité de Bas-valaisans quilui doivent, depuis 1848, un rétablissementde leurs propres droits117. Les tentatives cen-tralisatrices de la Confédération doivent même

�111 Gazet te du Va la i s , 22 av r i l

1874.112 RCE, 1888, pp . 5 -6 .113 Vo i r AES, 351/628.114 AES, 351/627, « Le t t re

pub l i que à tous l e s c i toyenssu i s ses t ra i tan t l e même su je t( cen t ra l i sa t ion de 1882) »,supp lément de la Gaze t te duVa la i s , pa r Mar t in F rancœur.

115 CO U RT H I O N 1979, pp . 187 -188.116 J A C C O U D 1880-1882, p . 38.117 Vo i r, à t rave r s l a rév i s ion de

1874, l ’a t t i t ude des Va la i sans face à la cen t ra l i sa t ion . FR A S S 1976.

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être considérées comme un « coup de fouetsalutaire »118 aux institutions valaisannes. Ellesne tardent d’ailleurs pas à s’étendre à l’ensei-gnement professionnel et agricole ainsi qu’àl’enseignement secondaire supérieur.

E x t e n s i o n d u d é b a t à l ’ i n s t r u c t i o ns e c o n d a i r e s u p é r i e u r e

En 1880, à la suite de l’échec de quatre étu-diants valaisans (sur cinq) qui s’étaient pré-sentés aux examens de médecine à l’universitéde Berne, le professeur Carl Vogt, de Genève,dresse un rapport, à la demande du Départe-ment fédéral de l’Intérieur, sur « les relationsdes écoles de la Suisse avec le programme pourles examens fédéraux »119. Il y dénonce lacarence de certaines branches d’enseignementdans les gymnases valaisans, l’utilisation d’unsystème d’économie « inacceptable » (réuniondes degrés d’enseignement par paires) et l’ab-sence d’examen de maturité. Ces lacunes han-dicapent sérieusement les étudiants valaisansqui désirent poursuivre leurs études dans lesuniversités. A l’issue de son étude, Vogt sug-gère de ne reconnaître les certificats valaisansque lorsque les programmes seront conformesaux exigences fédérales.Tout en réfutant les affirmations du rapport,le chef du DIP Léon-Lucien Roten s’empressede s’opposer à cette nouvelle entorse aux pré-rogatives cantonales : « [Si l’on entend] nousobliger à réorganiser nos examens et à fairereconnaître cette réorganisation par le Comitéfédéral [...] nous devrions nous opposer à unemesure exceptionnelle prévue par aucune dis-position législative et empiétant sur nos droitsréservés par la Constitution fédérale »120. Maisl’infériorité des écoles supérieures valaisannesest flagrante. La faiblesse des écoles primairesd’où proviennent les futurs gymnasiens, lemanque d’effectifs des classes supérieures mal-adroitement pallié par un assouplissement del’examen d’entrée, la précarité des conditionsmatérielles des enseignants, etc., tout celacontribue à prolonger un état déplorable desétudes auxquelles seule une catégorie sociale

peut s’adonner en raison de sa disponibilité detemps et d’argent : les élites intellectuelles, poli-tiques et financières, autant conservatrices quelibérales-radicales.Ainsi, dans le but évident de ne plus donnerprise à de nouvelles critiques et de rendre cré-dibles les certificats de sortie des collèges valai-sans, le chef du DIP propose une timiderefonte du programme d’études dans le sensdes dispositions fédérales. Analysons ces der-nières afin d’en saisir l’influence sur l’évolutionde l’enseignement secondaire supérieur.

E x i g e n c e s f é d é r a l e s

L’article 27 de la Constitution fédérale de 1874ne souffle mot sur l’enseignement secondaire.L’intervention de la Confédération dans cedomaine s’effectue de manière indirecte : les éta-blissements d’instruction secondaire ont l’obli-gation de mettre leurs programmes en harmo-nie avec les exigences du Polytechnicum fédéralet avec les règlements fédéraux sur l’exercice desprofessions médicales121. C’est par le biais deces deux contrôles d’admission à des carrières quitouchent plus des 50% des universitaires que laConfédération exerce sa surveillance.

L ’ a d m i s s i o n à l ’ E c o l e P o l y t e c h n i q u e F é d é r a l e ( E P F )

L’admission au Polytechnicum de Zurich exige,depuis la création de l’établissement en 1855,une préparation adaptée. Des contrats, autori-sant l’exemption de l’examen et l’accès immé-diat aux cours du Polytechnicum, ne sont offertsqu’aux écoles dont les programmes d’enseigne-ment et les examens de maturité correspondentaux exigences fixées par l’EPF. Plusieurs conven-tions contiennent un article additionnel accor-dant aux élèves des gymnases classiquesl’admission à l’EPF moyennant un examencomplémentaire. Aucun établissement du Valaisn’apparaît cependant sur la liste des écoles ayantsigné une convention provisoire ou définitive.Les jeunes Valaisans doivent par conséquent sesoumettre au sévère examen d’admission.

�118 ME T R A I L L E R 1978, p . 40.119 Vo i r RCE , 1880, D IP, p . 43 -49;

le CE s ’empresse de p réc i se r quesu r l e s c inq cand ida t s , t ro i sd ’en t re eux n ’on t j ama i s , ouincomp lè tement , su i v i l e s cou r sdes é tab l i s sements va la i sans .

120 RCE, 1880, D IP, pp . 47 -48.121 « Cons t i tu t ion fédé ra le du

29 ma i 1874 », a r t . 33.

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En 1881, à la suite de la suppression des courspréparatoires à l’examen d’entrée à l’EPF, leConseil d’Etat invite le DIP à coordonner lesprogrammes du lycée pour entrer directementau Polytechnicum et dans les cours des uni-versités122. Deux projets de règlement concer-nant des examens de maturité sont soumis en1883 par le Conseil de l’IP au Conseil d’Etat123,puis au directeur du Polytechnicum. Ce der-nier approuve une convention spéciale avec leConseil d’Etat sous la réserve d’une visite d’unexpert. Mais c’est compter sans l’esprit bornépar l’idéal classique du chef du DIP qui s’yoppose avec vigueur : « sur dix élèves aux lycée,il y en avait à peine un qui entrât au poly-technicum : il aurait donc été injuste de pous-ser une seule branche à un point complètementinutile aux étudiants qui embrassent l’étatecclésiastique, juridique ou médical »124.Seul un cours spécial supplémentaire de mathé-matiques sera ajouté au programme. Il faudraattendre jusqu’en 1889 pour qu’un cours tech-nique de deux ans préparant à l’entrée au poly-technicum soit organisé125. Sans négliger lesbranches indispensables de l’enseignement clas-sique, ce cours se distingue de la filière normalepar quelques cours de trigonométrie, d’algèbre,de géométrie et de stéréométrie en plus. De1889 à 1910, 48 élèves suivront cet enseigne-ment scientifique dispensé par deux ou trois pro-fesseurs seulement126. Bien que recevant desavis favorables de la part des experts envoyéspar l’EPF, ce cours ne correspond pas à une véri-table section technique qui déboucherait sur uncertificat de maturité : l’examen d’admissionau polytechnicum demeure obligatoire.

L e s e x a m e n s d e m a t u r i t é p r é p a r a n t a u x é t u d e s m é d i c a l e s

A la différence du polytechnicum où tout lemonde passe par l’examen d’admission, laConfédération éprouve dans le domaine desétudes de médecine plus de peine à imposerses exigences en raison de la résistance desgymnases classiques aux traditions ancienneset inébranlables.

Une première période d’essais d’unification desmaturités aboutit en 1877 à la loi fédérale surl’exercice de la médecine127 fondée sur les articles5 et 33 de la Constitution fédérale de 1874. Cetteloi permettra de fixer précisément les condi-tions d’admission aux facultés de médecine.Mais le règlement d’exécution se heurte au pro-blème du caractère classique ou scientifique desécoles préparatoires. On aboutit enfin, avec leRèglement pour les examens fédéraux de méde-cine du 2 juillet 1880, à un compromis réser-vant aux gymnases classiques le monopole de lapréparation aux études médicales tout en lais-sant une possibilité d’accès (par la petite porte)aux élèves des écoles industrielles.La nécessité de se conformer à ce règlement etd’effacer les impressions pénibles laissées par lerapport Vogt oblige le gouvernement valaisanà opérer une refonte des programmes du lycée.Une première étape est franchie l’année sui-vante avec le rapport satisfaisant de l’expertfédéral Chavannes, inspecteur des collèges ducanton de Vaud, au cours de sa visite des éta-blissements valaisans : les améliorations du lycéelui paraissent suffisantes pour mettre l’ensei-gnement à la hauteur du programme fédéral.Une lettre du Département fédéral de l’Intérieurconfirme ces bonnes dispositions tout en main-tenant une certaine réserve : « les élèves munisde l’absolvisse du lycée et du collège industrielseraient envisagés comme possédant lesconnaissances nécessaires à l’admission auxcours respectifs des facultés »128. Cependant,après les échecs de projets établissant de vraiscertificats de maturité, il faudra attendre le règle-ment de 1890 pour assister à l’instauration offi-cielle de deux examens de maturité classique,l’un s’effectuant après la seconde Rhétoriquedans chacun des collèges d’Etat, l’autre après lesdeux années du lycée à Sion129. Une commis-sion d’examen présidée par le préfet des Etudeset composée de membres du Conseil de l’IP etde professeurs désignés par le chef du DIP, veilleau bon fonctionnement des épreuves qui sontécrite et orales. Le règlement fixe également ladurée et les conditions des examens ainsi queles modalités d’admission et d’appréciation130.

�122 Vo i r RCE , 1881, D IP, pp . 25

e t pass im; AEV, P ro t . CE , 8 fév r i e r 1882.

123 Le p remie r se ra éca r té , ca r i l neco r respond ce r ta inement pas au« ca rac tè re géné ra l » desé tab l i s sements va la i sans ; vo i rAEV, P ro t . CE , 2 mars 1883;RCE, D IP, 1883, pp . 8 -9 .

124 RCE, 1884, pp . 8 -9 .125 « Ar rê té é tab l i s san t au l y cée

can tona l un cou r s spéc ia l pou rp répa re r l e s é lèves aux éco lespo ly techn iques , 6 aoû t 1889 »,dans RL , t . XV, pp . 83 -85.

126 Edouard Wo l f f e t Joseph deKa lbe rmat ten (a r ch i tec te) deS ion auxque l s s ’a jou te dès1897-1898 Augus t in deR iedmat ten de S ion .

127 « Lo i fédé ra le du 19 décembre1877 su r l a l i be r té de domic i l edu pe r sonne l méd i ca l » , dansRS, vo l . 4 , pp . 291 -293; e l l e se ra comp lé tée pa r ce l l e du21 décembre 1886 conce rnan tles den t i s tes ; vo i r BA RT H 1920,pp . 39 e t su i v.

128 RCE, D IP, pp . 25 e t pass im; unrèg lement fédé ra l p romu lgué le19 mars 1888 o f f i c i a l i sel ’abso lv i s se séduno i s pa r unea t t r i bu t ion de va leu r à desce r t i f i ca t s dé l i v rés pa r l e sco l l èges can tonaux ; vo i r RCE ,1898, pp . 13 -14.

129 « Règ lement du 13 ju in 1890relat i f au Cer t i f i cat de Matur i té »,dans RL , t . XV, pp . 165 -171.

130 Pour ê t re admis aux ép reuveso ra les , l e cand ida t do i t ob ten i rl a no te moyenne 6 (su r 10)pour l e s ép reuves éc r i t e s ; ce t temême no te do i t ê t re ob tenue àla moyenne des ép reuves o ra lese t éc r i t e s pou r ê t re admis enannée de Ph i losoph ie ou pou ravo i r d ro i t au ce r t i f i ca t dematu r i t é ; vo i r a r t . 21 -26.

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L’institution de cette maturité correspond àun alignement sur les exigences fédéralesd’autant plus indispensable qu’une Com-mission fédérale de maturité, instituant unenouvelle autorité de surveillance, voit le jouren 1891. Celle-ci est chargée de deux nou-velles tâches : surveiller non seulement lesexamens de maturité, mais également le tra-vail des collèges et des gymnases et établir uneliste des écoles dont les diplômes sont recon-nus. Cette dernière officiellement dressée dès1892 suscite de nombreuses résistances : pourque son certificat soit valable, une école doitse conformer au programme de maturitéfédérale131 et se soumettre à des visites dontles observations sont souvent mal acceptéestant au niveau de l’établissement qu’àl’échelle cantonale. Tout en mettant en doutela constitutionnalité de cette commissionqui veut imposer ses examens alors que laConfédération ne dirige elle-même aucunétablissement d’instruction secondaire, leDIP valaisan reconnaît cependant qu’ilconvient d’en appliquer sans tarder les recom-mandations132.

U n d é b a t s u r l ’ i n f é r i o r i t é d e s c o l l è g e s v a l a i s a n s

Au-delà des éternelles préoccupations fédéra-listes, c’est la crédibilité même des collègesvalaisans et du lycée qui est en jeu : ces éta-blissements sont-ils réellement inférieurs àceux des autres cantons ?La Commission de gestion du Grand Conseildresse en 1893 un rapport aboutissant à la sai-sissante conclusion d’une mauvaise organi-sation des études : « Nos établissements d’ins-truction publique sont sur un pied d’inférioritévis-à-vis des établissements similaires de laSuisse en général; prenons les mesures néces-saires pour sortir de cette situation »133. Alorsqu’ils devaient être un puissant stimulantpour les élèves, « une épée de Damoclès surleur tête », les nouveaux examens de maturiténe sont pas pris au sérieux et sont souvent ren-voyés par les élèves en vertu du Règlement des

étudiants de 1889. Celui-ci autorise en effetla promotion dans une classe supérieure àtout élève ayant obtenu au progrès (palma-rès) annuel la première ou la deuxièmenote134. D’autre part la commission d’exa-men ne se montre pas assez sévère et allègeles conditions des examens135 : le Conseild’Etat reconnaît lui-même dans son rapportde 1893 que les notes obtenues aux examensoraux ne sauraient entrer en ligne de comptepour une comparaison entre les trois collègesvalaisans136.Mais cette présentation négative de l’insti-tution est combattue avec acharnement parle chef du DIP et de nombreuses personna-lités qui se contentent de citer quelquesbrillantes réussites d’étudiants valaisans ausein des facultés de droit, de médecine et dethéologie. De violentes critiques paraissentdans la Gazette du Valais à l’encontre de cettecommission qui a commis un crime de lèse-majesté en dénonçant l’infériorité de l’ins-truction publique valaisanne : « [...] aller enplein Grand Conseil devant les hauts repré-sentants du pays en présence d’un étrangerqui n’eut rien de plus pressé que d’en fairepart à la Suisse tout entière, aller dire, au len-demain de la bâtisse de notre beau collège, àl’heure où l’Abbaye de Saint-Maurice construitle sien, que nos professeurs sont incapables, quenos élèves occupent honteusement le bas del’échelle, qu’ils ne peuvent soutenir la com-paraison avec ceux d’aucun autre canton, ça aété qu’on nous permette de le dire, un acte mal-heureux [...] »137.Cet amour-propre et ce patriotisme démesu-rés empêchent une véritable prise en charge desréformes dans le sens des exigences fédéraleset seul l’arrêté du 2 mars 1894 concernant lessubsides à accorder aux jeunes gens qui se des-tinent à l’enseignement supérieur constitueune maigre progression. Les établissements deSion et de Saint-Maurice ne figurent ainsi tou-jours qu’à titre provisoire sur la liste de laCommission fédérale de maturité138 et se sou-mettent tant bien que mal aux visites annuellesdes experts fédéraux.

�131 Un règ lement f i xan t l e s b ranches

d ’examen pou r l e s examensfédé raux es t p romu lgué le 1er j u i l l e t 1891 : languemate rne l l e , deux ième languenat iona le , l a t in , g rec ou 3e langue na t iona le , h i s to i re e tgéog raph ie po l i t i que ,mathémat iques , phys ique ougéograph ie phys ique , ch im ieh i s to i re na tu re l l e ; pa rcompara i son au « Règ lementva la i san du 13 ju in 1890 », la re l i g ion , l a ph i l osoph ie e t l e s h i s to i res l i t t é ra i res(g recque , l a t ine , f rança i se oua l l emande) , n ’appa ra i s sen t pasdans l e p rog ramme fédé ra l ; vo i r RCE , 1898, D IP, pp . 13 -14.

132 Ce l l e s - c i son t p résen tées dansune le t t re envoyée pa r l e DF I au D IP l e 28 août 1890 :l ’ex tens ion de la deux ièmelangue na t iona le e t desmathémat iques , l e t rans fe r t e tl ’augmenta t ion des heu res deg rec dans l e s c lassessupé r ieu res , l e dédoub lementdes c lasses ; vo i r RCE , 1894, pp . 9 -12; BGC, sess ion p ro rogéemai 1893, séance du 17 oc tob re , pp . 58 e t su i v.

133 La commiss ion p ropose comme amé l io ra t ions : 1 . l ’augmenta t ion du t ra i tementdes ense ignants ; 2 . l ’adop t ionimméd ia te des pos tu la t sind iqués pa r l e DF I dans sale t t re du 28.8.1890; 3 . l ac réa t ion de bou r ses pou r l e spe r sonnes qu i se vouent àl ’ense ignement ; 4 . l e s b reve t sde capac i té ou d ip lômes à ex ige r du co rps ense ignant ; 5 . l ’ ex tens ion e t l edéve loppement des éco lesmoyennes e t du co l l ègeindus t r i e l .

134 « Règ lement du 17 décembre1889. . . » , a r t . 6 , ces é lèves qu ine sub i s sen t pas imméd ia tementl ’examen de matu r i t é au so r t i rdu co l l ège ou du l y cée échouent

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L e s r é f o r m e s i m p o s é e s

U n e l o n g u e d i s c u s s i o n d a n sl ’ é l a b o r a t i o n d u r è g l e m e n t f é d é r a l

La Commission fédérale de maturité ne cessede progresser dans sa réglementation des pro-grammes et des examens de maturité. Mais satâche est entravée par un épineux débat : lelatin est-il nécessaire pour l’accès aux profes-sions médicales ? Sous la pression des méde-cins, un nouveau règlement fédéral est adoptéen 1899139. Il prévoit l’obligation pour les can-didats aux examens de médecine de produireun certificat de maturité littéraire (français,deuxième langue nationale, latin, grec) ou uncertificat de maturité reale, sorte de diplômemi-classique (troisième langue nationale aulieu du grec). Mais l’exécution de ce règle-ment sera suspendue l’année suivante par unarrêté du Conseil fédéral140 prévoyant l’ad-

mission aux facultés de médecine au moyen dematurités classiques ou scientifiques (sans latin)sans différenciation.Cette épreuve de force sur le plan fédéral serépercute au niveau cantonal par une politiquescolaire de non-intervention justifiée par l’at-tente d’un nouveau et définitif règlement fédé-ral de maturité. Pourtant les fréquentes visitesd’experts fédéraux relèvent continuellement degraves lacunes : la faible fréquentation du lycée,l’absence d’école industrielle, la brièveté de lapréparation des élèves à l’entrée au polytech-nicum (cours technique), le peu d’heures consa-crées aux branches scientifiques. Face à la han-tise d’une surcharge des programmes, les expertspréconisent une réduction des heures de phi-losophie sans attenter aux particularités confes-sionnelles du canton, une diminution de lapart de la littérature classique dans les languesmodernes au profit de l’acquisition d’une ter-minologie plus utilitaire141, un ajustement des

�135 A ins i l o r s du p remie r examen de

matu r i t é ( ce lu i de Rhé to r ique)mis su r p ied en 1891, on fa i tp reuve d’ indu lgence en l imi tantl ’examen aux mat iè res vuesdurant l ’année e t en aba i ssant lanote moyenne d’admiss ion à 5;pou r tan t su r l e s 13 é lèves ( i s susdes t ro i s co l l èges) p romus aup rog rès annue l , seu l s 8réuss i ron t (!) .

136 En ra i son de fac teu r sinsa i s i s sab les te l s que laman iè re d ’ in te r roge r dup ro fesseu r, l ’assu rance del ’é lève , sa fac i l i t é d ’exp ress ion ;RCE , 1893, D IP, p . 35.

137 Gazet te du Va la i s , 89, 1893, p . 2 ; vo i r auss i 95, p . 3 .

138 En 1895, une nouve l l e demanded’accès d i rec t aux facu l tés demédec ine e t au po ly techn i cum,appuyée pa r l a v i s i t e d ’unecommiss ion fédé ra le ( composéede l ’anc ien d i rec teu r de l ’EPFGe i se r e t de l ’anc ien conse i l l e rfédé ra l D roz) , es t re fusée pa r l e DF I en ra i son d ’une rév i s iondes d i spos i t i ons en la mat iè re ;quant au co l l ège de B r igue , i l n ’appa ra î t ra su r l a l i s teo f f i c i e l l e qu ’en 1914.

139 « Règ lement fédé ra l du 14décembre 1899 »; vo i r RCE ,1898, D IP, pp . 13 -14; RCE ,1899, D IP, pp . 6 -7 e t BA RT H

1920, p . 57.140 « Ar rê té fédé ra l du 26 oc tob re

1900 », vo i r op . c i t .141 Par exemp le l ’app ren t i s sage des

te rmes a l l emands des d i s c ip l i nessc ien t i f i ques en vue de p répa re rau Po ly techn i cum; AEV,2DIP9/3, « Br ie f des P räs iden t sdes Schwe iz . Schu l ra tes an de rE r z iehungsd i rek t ion des Kan tonWal l i s » .

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Un co l l ège « roya l » , p ro je t du chano ine de Cou r ten , p ro fesseu r de dess in e t rec teu r de 1900 à 1912.(A r ch i ves de l ’Abbaye de Sa in t -Maur i ce)�

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programmes de mathématiques et de physiqueà celui du polytechnicum en élaguant les par-ties trop spécifiques. Les possibilités deréformes sont réelles mais l’obtention tempo-raire de dispenses d’examen d’entrée à l’EPFet la reconnaissance provisoire des certificatsde maturité semblent suffire à des autoritésrécalcitrantes à toute remise en cause du sys-tème traditionnel.

L e r è g l e m e n t f é d é r a l d e 1 9 0 6

Après quinze ans de préparation, le règlementfédéral pour les examens de maturité est enfinpromulgué. Il constitue un compromis sur laquestion du latin entre les deux types sco-laires : classique et scientifique. Le certificatde maturité délivré par les écoles industrielleset les gymnases scientifiques suisses qui ontconclu une convention avec l’Ecole polytech-nique est également reconnu comme diplômevalable pour l’admission aux examens fédé-raux de médecine moyennant une épreuvecomplémentaire de latin142.Quant aux autres certificats de maturité, ils sontdélivrés selon une palette d’exigences très pré-cises. Ainsi une liste spéciale des écoles suissesdont les certificats de sortie sont reconnus, surla base d’examens subis conformément à unprogramme fédéral de maturité, est à nouveaudressée et approuvée par le Conseil fédéral. Celui-ci peut retirer son approbation, sur propositionde la commission fédérale de maturité et duDFI, si certaines garanties ne sont pas respec-tées. Le contrôle fédéral sur les examens canto-naux de maturité et de ce fait sur le fonction-nement même des établissements d’instructionsecondaire supérieure est ainsi bien établi. L’ins-titution d’un examen fédéral de maturité, orga-nisé par la commission fédérale pour les candi-dats qui ne peuvent pas produire le titreréglementaire, parachève la mainmise de laConfédération sur ce niveau d’enseignement.Cependant la portée de ce règlement nousparaît plus importante que son élaborationpuisqu’il s’accompagne d’une circulaire duDFI au DIP valaisan exigeant un rapport

détaillé sur l’état des établissements secon-daires du canton destinés à figurer sur la listeet une modification des conditions de matu-rité et de programmes d’enseignement dans lesens du nouveau règlement143. L’état d’espritse modifie dès lors sous la pression fédérale puis-qu’en 1908 le Conseil de l’IP reconnaît enfinà l’unanimité l’examen de maturité comme« un instrument de développement et de pro-grès » et prépare un nouveau règlement en har-monie avec l’ordonnance fédérale144.Cette nouvelle nécessité imposée par la Confé-dération constitue, avec l’obligation de créerun collège industriel doté d’une maturité scien-tifique autorisant l’entrée immédiate à l’EPF,l’origine de la loi sur l’enseignement secon-daire de 1910. En effet, l’équivalence des cer-tificats valaisans avec ceux des autres établis-sements passe par une réorganisation complètede l’enseignement secondaire : il n’y aura pasde reconnaissance tant que le gymnase classiquede Sion et le lycée de Saint-Maurice n’aurontpas de base légale au sens de la loi de 1873. Ace sujet il convient de signaler que si le col-lège de Brigue est placé sur un rang d’infério-rité, en raison de l’absence de cours de phy-sique, le collège de Saint-Maurice jouit d’uneparité absolue avec celui de la capitale : « [...]la seule différence réside dans l’origine, le pre-mier étant une fondation de nature privée etsupportant lui-même la plus grosse part des fraisd’établissement et d’entretien, tandis que lesecond est une institution de l’Etat et entiè-rement à la charge de l’Etat »145.Il apparaît ainsi que toute une série de secoussesfédérales ont été nécessaires pour sortir le Valaisde sa léthargie scolaire. Ne nous leurrons pastoutefois sur la relative docilité des Valaisans.Leur adaptation aux impératifs fédéraux s’esttoujours réalisée dans le souci constant de pré-server leur souveraineté cantonale même lors-qu’il s’agissait de bénéficier de la manne fédé-rale. Selon les écrits d’Albert Barth, auteurd’un projet de réforme en 1919 sur les gym-nases suisses, le phénomène de résistance auxréalisations fédérales dans ce domaine est com-mun aux vingt-cinq autorités cantonales du

�142 « Règ lement des examens de

matu r i t é pou r l e s cand ida t s auxp ro fess ions méd i ca les , du 6 ju i l l e t 1906 », a r t . 29 -33,dans RO, 22, 350; vo i r auss iAEV, 2DIP9/1.

143 AEV, 2DIP9/2, « C i r cu la i re du15 sep tembre 1906 du DF I auxauto r i t és can tona les del ’ Ins t r uc t ion Pub l i que »; cerèg lement n ’au ra qu ’une po r téep rov i so i re en ra i son de laréo rgan i sa t ion del ’ense ignement seconda i re .

144 RCE, 1909, D IP, p . 8 ; l e DF Iinv i te l e D IP va la i san à hâ te r l a nouve l l e l o i .

145 Le co l l ège de Sa in t -Maur i ce es ten e f fe t p lacé sous lasu r ve i l l ance e t l e con t rô le del ’E ta t avec un co rps p ro fesso ra lnommé pa r l ’ E ta t , sonp rog ramme es t l e même quece lu i des é tab l i s sementss im i la i res can tonaux , sesexamens de matu r i t é on t l i eudevant une commiss ioncan tona le d ’examina teu r snommés pa r l e CE e tfonc t ionnant pou r l e s au t resl ycées du can ton . Vo i r AEV,2DIP13, « Co l l ège de S ion ,géné ra l i t é s » , n° 1, « 1899-1913 », p ièce n° 15, « Le t t redu D IP au P ro fesseu r Ge i se r,p rés iden t de la Commiss ionfédé ra le de matu r i t é , 11 décembre 1908 ».

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pays : « De plusieurs côtés déjà, on s’est mis surla défensive : “ on menace l’autonomie des can-tons “, “ on attaque la liberté religieuse “, a-t-on crié à droite. A gauche, les mots éducationnationale, qui sont à l’origine de la réforme pro-jetée ont provoqué des tempêtes. Ainsi on setrouve dès l’abord en présence de partis pris,issus des passions politiques ou confession-nelles »146.

C E N T R A L I S A T I O N O U R É G I O N A L I S A T I O N D E S C O L L È G E S V A L A I S A N S

U n e q u e s t i o n f i n a n c i è r e

L e s d o n n é e s d u p r o b l è m e

Les établissements valaisans d’instructionsecondaire évoluent en réalité sous une doublemenace : d’un côté les incessantes ingérencesfédérales, de l’autre le spectre d’une centrali-sation au niveau cantonal. Les constituants dudilemme, intérêt général ou local, ainsi que leurarrière-plan budgétaire sont clairement définis :pourquoi le Valais possède-t-il deux gymnases-lycées à Sion et Saint-Maurice et un gymnaseclassique à Brigue, c’est-à-dire trois établisse-ments d’instruction secondaire supérieure,alors qu’à titre de comparaison Berne etZurich, cantons nettement plus peuplés, n’encomptent que deux, Vaud et Fribourg un seul ?L’interrogation survient avec d’autant plus devigueur qu’on assiste à un véritable éparpille-ment des forces : en raison de la faiblesse dupotentiel démographique valaisan, le Centreet le Bas ne suffisent pas à occuper deux éta-blissements complets et les élèves haut-valai-sans ne sont pas suffisamment nombreux pourle maintien de deux sections (technique etclassique). Est-ce par un réel souci de démo-cratisation que l’Etat tolère cette triple répar-tition de l’élite intellectuelle ? Cet objectif, quitient compte des différentes origines géogra-phiques et socio-professionnelles des élèves,nécessite une organisation scolaire efficace etsurtout de larges ressources financières. Ces

conditions s’appliquent difficilement à un can-ton dont les faibles moyens financiers consti-tuent un obstacle permanent au développe-ment de l’instruction secondaire.

L ’ a f f i r m a t i o n d u p a r t i c u l a r i s m e l o c a l

Nous ne reviendrons pas sur les frais et lescharges liés au bon fonctionnement des col-lèges pour démontrer que leur décentralisa-tion constitue un véritable problème à l’ap-proche de la nouvelle loi de 1910.L’augmentation des dépenses globales pour lestrois collèges se monte, d’une loi scolaire àl’autre (1873 à 1910), à 183 % alors que lesdépenses totales du DIP connaissent unehausse de 821 %147. Pour la seule décennie de1900 à 1910, cette croissance passe de 26 %à 268 %148. Ces chiffres inquiètent non seu-lement l’Etat mais également les communes quisont le siège d’établissements cantonaux d’ins-truction publique. La nouvelle Constitutionde 1907 prévoit en effet que : « La communequi devient le siège d’un établissement cantonalpeut être tenue à des prestations »149.Le Valais étant le seul canton de Suisse où lescollèges sont financés uniquement par l’Etat,plusieurs voix parlementaires s’élèvent pourexiger de ces communes une participationaux frais. Celle-ci se justifierait d’autre partpar les grands avantages économiques et intel-lectuels qu’en retirent ces cités. De nombreuxfacteurs de développement tels qu’un accèsplus facile aux études ou la profusion de car-rières libérales abondent dans ce sens. Maisparadoxalement, dès les premières tentativesd’imposition de ces nouvelles charges, nousassistons à une levée de boucliers de la partdes députés des communes intéressées.Témoignant d’un farouche particularisme etd’une ingratitude démesurée, les représen-tants citadins refusent de payer le prix de leuropposition à un système centralisateur moinsonéreux. Il s’agit réellement d’une lutte d’in-térêts entre les cellules locales et l’Etat can-tonal.

�146 BA RT H 1920, p . 7 .147 Le dé ta i l des dépenses pou r

chaque co l l ège mont re uneaugmenta t ion de 118 % pourSa in t -Maur i ce , 197 % pour S ione t 208 % pour B r igue .

148 13 % pour Sa in t -Maur i ce , 7 %seu lement pou r S ion , 76 % pou rB r igue .

149 « Cons t i tu t ion de 1907, 8 mars » , a r t . 27, dans RL , t . XX I I , p . 221.

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A v a n t a g e s d ’ u n e c e n t r a l i s a t i o n

Quels sont les arguments favorables à une cen-tralisation de l’instruction secondaire supé-rieure ?

E c o n o m i e s e t f o r c e s i n t e l l e c t u e l l e s

En ce qui concerne le lycée classique et scien-tifique et le collège industriel, les perspectivescentralisatrices ne paraissent pas dénuées de fon-dement : « [...] il ne nous paraît guère contes-table qu’une concentration des forces intel-lectuelles et des ressources financières seraittout à l’avantage de l’instruction »150. En déve-loppant ces deux thèmes, argent et enseigne-ment, le chef du DIP Joseph Burgener, reprendune argumentation traditionnelle lui permet-tant de faire valoir « seine Lieblingsidee »151 ausujet de la création d’un lycée cantonal uniquedans la capitale.Les améliorations exigées par les instances fédé-rales nécessitent en effet du matériel, des ins-tallations, des locaux plus adéquats. L’enseigne-ment des sciences à lui seul implique pour sesnombreuses démonstrations et expériences,l’achat d’instruments spécialisés et la mise sur piedd’un cabinet de physique. De manière évidente,un regroupement de ces nouvelles acquisitionsau cœur d’un seul établissement permettrait unediminution importante des dépenses. Un lycéeunique bénéficierait de l’assemblage en un seullieu d’une bibliothèque, d’un musée, de collec-tions, etc., outils pédagogiques fondamentauxpour toute institution scolaire qui se respecte etpour qui la recherche est une préoccupationquotidienne. Le sensible émiettement de l’ins-truction, constaté dans les différents collèges parl’utilisation d’ouvrages et de moyens pédago-giques disparates, disparaîtrait au profit d’unaccord sur les modifications à apporter en vuede satisfaire aux exigences fédérales.L’établissement d’un horaire et d’un pland’études conformes au programme fédéral dematurité passe par une harmonisation canto-nale éliminant les regrettables tensions rivalesqui ont contribué à la position inférieure du can-

ton en matière d’instruction secondaire. Laréunion des forces intellectuelles, au sens du chefdu DIP, autoriserait un contrôle plus facile ducheminement des élèves vers une éducation tra-ditionnelle et chrétienne à l’image des pen-sionnats qui exercent au sein même des éta-blissements, en particulier à Saint-Maurice, leurrôle de bonne surveillance. La centralisationdes collèges permettrait d’engager un nombreplus restreint de professeurs, ce qui autoriseraitune augmentation, réclamée avec de plus en plusd’empressement de leur traitement. De même,le choix de maîtres compétents, à la hauteur desexigences morales et cognitives de leur mission,serait facilité. Enfin l’émulation des élèves eux-mêmes serait revigorée par le sentiment d’ap-partenir à un établissement aux classes nom-breuses et diversifiées.

U n e v r a i e c a p i t a l e ?

Dans quelle ville l’enseignement secondaire supé-rieur devrait-il se concentrer ? La capitale semblebien sûr réunir toutes les conditions. Sa positioncentrale dans le Valais, aux confins des deux par-ties linguistiques du pays, ne peut que favoriserune interpénétration des différentes mentalitésvalaisannes. D’autres cantons, tel celui de Vaud,procèdent de la même manière : un seul éta-blissement (lycée) réunit à Lausanne les élèves for-més dans les collèges (gymnases) des différentescités (Vevey, Montreux, etc.). Cette consciencede représenter les aspirations cantonales seconfirme dans la ferveur sédunoise manifestée lorsde la nouvelle construction du collège en 1892 :ce «palais de la culture et de l’enseignement» estressenti comme la première grande constructioncantonale et « même encore à ce moment-làcomme nationale »152. Il convient de rappelerque les vieilles familles aristocratiques ou bour-geoises de Sion, privilégiées sous l’Ancien Régime,ont conservé aux côtés de certaines prérogativesun idéal qui consiste à entretenir la supérioritéculturelle du chef-lieu sur les autres cités.En fait, à travers la centralisation de l’ensei-gnement secondaire supérieur, c’est le rôle mêmede la capitale, pôle où sont centralisées les

�150 AEV, 2DIP8/16, « Message

du Conse i l d ’E ta t au G randConse i l du can ton du Va la i sconce rnan t l e p ro je t de lo i su r l ’ ense ignement seconda i re » .

151 300 Jah re Ko l l eg ium Br ig 1963,p . 55.

152 CA S S I N A , i n BR U T T I N 1983, pp . 37 -38.

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influences dirigeantes et organisés les officespublics, qui est en jeu. Une administrationforte, active, intellectuelle et hiérarchisée nepeut exercer son contrôle sur la jeunesse qu’endéveloppant l’enseignement supérieur. Or selonla Gazette du Valais, Sion est à peine mieuxplacé que Brigue et Saint-Maurice en ce quiconcerne les établissements d’instruction supé-rieure : « Que l’on ne s’étonne pas après cela sinotre bureaucratie est impuissante à prévenir lescrises. Sion se meurt dans l’inertie et le marasme;le paupérisme y devient une plaie affreuse »153.Le constat de la feuille sédunoise est amer : leValais n’a pas de vraie capitale et l’une de ses prin-cipales carences, à commencer par l’enseigne-ment supérieur, consiste en l’absence d’organi-sation des services publics. Si ces lamentationstémoignent d’un certain parti pris, il convient

cependant de retenir une fois de plus le rôle sta-bilisateur ou destructeur des forces locales tou-jours prêtes à revendiquer leurs droits : « Il n’ya pas en Suisse de canton plus démocratique quele Valais. La démocratie chez nous tourne àl’égoïsme et à l’esprit de clocher. Les idées d’éga-lité sont poussées à un tel point qu’elles n’ad-mettent pas que des faveurs soient accordées àune localité sans que des privilèges soient concé-dés aux bourgades qui se posent en rivales ».

D e s t h è s e s d é c e n t r a l i s a t r i c e sv i c t o r i e u s e s

D e s f a c t e u r s d é c i s i f s

Les effets de cette démocratie à la valaisannesont renforcés dans le domaine de l’enseignement

�153 Gazet te du Va la i s , 110, 15

sep tembre 1876.

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Une c lasse « chau f fée » au début du XXe s ièc le .(A r ch i ves de l ’Abbaye de Sa in t -Maur i ce)�

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secondaire supérieur par l’influence très marquéedes deux autres établissements. Ainsi le collège-lycée de l’Abbaye de Saint-Maurice, au passéhistorique et culturel plus riche que celui deSion, à la renommée étendue bien au-dehors ducanton et aux effectifs mieux fournis, ne peutêtre minimisé. D’autre part les services rendusà l’enseignement supérieur valaisan par les reli-gieux de l’Abbaye, qui ont réussi à obtenir unereconnaissance complète de leur établissementpar les commissions fédérales de maturité, com-pensent nettement les subsides alloués par l’Etat.A nouveau, un regard jeté sur les contributionsversées aux autres établissements nous éclairesur la bienveillance constante du Conseil d’Etatenvers ce collège. Ainsi le chef du Départementdes finances, Henri de Torrenté, proclame ouver-tement son émerveillement à l’occasion de laconstruction du nouveau bâtiment du collègede l’Abbaye : «C’est un collège cantonal, et leValais n’a pas eu un centime à payer pour leconstruire. Ce sont Messieurs les chanoines quil’ont construit entièrement à leur frais »154.Le maintien du collège bas-valaisan est parailleurs assuré par un facteur essentiel et omni-présent dans tous les secteurs de la vie active duVieux Pays : sa configuration géographique. Lesouhait d’une centralisation à Sion néglige lesproblèmes causés par l’éloignement de certainesvallées et les conséquences d’une migrationinterne vers la capitale. Grevées d’un handicapéconomique déjà bien lourd, les familles ruralesne peuvent courir le risque d’une dislocationengendrée par cet exode. L’accès aux études neserait dès lors plus que l’affaire d’une classe defortunés issus d’une élite locale bien installée155.

L e b i l i n g u i s m e , m o t e u r d e l a d é c e n t r a l i s a t i o n

« La diversité des langues, la position topo-graphique du canton et les finances, dont lesjeunes gens, appelés à fréquenter nos établis-sements supérieurs d’instruction peuvent dis-poser, sont autant de facteurs qui ne doiventpas être négligés surtout, pour les jeunes genshabitant la campagne »156. Tiré d’une lettre de

Maurice Troillet au DIP, cet extrait cite, en têtedes problèmes liés à l’enseignement secondairesupérieur, le principal élément de l’échec d’unecentralisation : le bilinguisme. La différence delangue constitue un handicap pour les élèveshaut-valaisans fréquentant les cours du lycéecantonal de Sion.L’ancien recteur du collège de Brigue etconseiller de l’IP, l’abbé Meichtry, doute eneffet que les professeurs de lycée puissent ensei-gner de manière satisfaisante dans les deuxlangues : l’enseignement supérieur doit se fairedans la langue maternelle pour acquérir lesconnaissances fondamentales de la philoso-phie, des mathématiques, de la physique etpour aboutir avec succès à l’examen de matu-rité157. Cette différenciation linguistique accen-tue surtout un esprit régionaliste déjà fortimprégné dans les deux parties du canton etla partie allemande du canton se sent atteintedans ses intérêts en raison de l’absence d’uncollège-lycée à Brigue. Dans une optique défen-sive, elle s’attribue dès 1905 une meilleure par-ticipation au Conseil de l’IP où les représen-tants du Haut sont majoritaires158, ainsi qu’auConseil d’examen de maturité composé detrois représentants de chacune des deux par-ties du canton. Dans leur opposition à la cen-tralisation, les autorités haut-valaisannes,emmenées par l’avocat-député Othmar Klu-ser et par Kamill Meichtry159, se montrentintransigeantes : au nom des anciens droits dela famille Stockalper, de la bourgeoisie deBrigue et des six dizains orientaux, le gouver-nement doit rester fidèle à l’héritage des jésuiteset conserver à Brigue un collège formé detoutes les sections.La création d’une école reale (industrielle)composée d’un cours préparatoire et de troisclasses ne saurait compenser l’absence de l’an-née de Philosophie même si au Grand Conseilles députés romands considèrent ceci commeun cadeau offert à la partie orientale du can-ton160. La détermination régionaliste de Brigueest déjà ressentie comme un enjeu décisif dansl’acceptation ou le rejet de la future loi.La majorité parlementaire, le Conseil d’Etat et

�154 BO U R B A N 1896, p . 125.155 La pens ion annue l l e ve r sée

pa r un é lève au pens ionnat deSa in t -Maur i ce es t dé jàimpor tan te : 400 f r. en 1905,450 f r. en 1910, 520 f r. en1915; vo i r RCSM, 1905, 1910,1915.

156 AEV, 2DIP8/7, « Le t t re deMaur i ce Tro i l l e t au D IP su rl ’avan t -p ro je t de lo i su rl ’ense ignement seconda i re » .

157 300 Jah re Ko l l eg ium Br ig 1963,p . 52.

158 Deux rep résen tan t s de la pa r t i eromande; deux rep résen tan t s dela pa r t i e a léman ique , l e che f duDIP o r ig ina i re du Haut ( JosephBurgene r) .

159 Vo i r AEV, 2DIP8, « Le t t res du 12et 17 fév r i e r 1907 » e t« Ste l l ungnahme von C . Me i ch t r yzum Vorp ro jek t vom Jah re1906 ».

160 Vo i r à ce su je t l ’ i n te r ven t ion dudéputé rad i ca l Geo rges Morandau G rand Conse i l : BGC, sess ionp ro rogée ma i 1905, séance du27 oc tob re , p . 278.

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le chef du DIP lui-même avouent leur préfé-rence pour une centralisation qui paraît entous points avantageuse à leurs yeux, mais ilss’inclinent devant les traditions en cherchantun compromis entre les intérêts régionaux etles nécessités de l’enseignement. Les fonde-ments historiques des collèges, liés à la propriétémême de leurs fonds, le système compensatoireexigeant une parité absolue entre les établis-sements et les questions de politique locale nepeuvent être heurtés de front au risque decompromettre le sort même de la loi. La vic-toire des thèses décentralisatrices sembleacquise à l’avance par l’incapacité profondedu gouvernement à maîtriser des forces quifont partie intégrante de la vie socio-politiquevalaisanne : «Les districts valaisans ont conservéla vie propre aux anciennes communautés; ilsen ont gardé les jalousies, les rivalités et tousles amours-propres. Ce sont de petits Etatsdans l’Etat, réclamant comme celui-ci, plusque celui-ci, des hommages et des privilèges.Nous aimons cela. Il y a là un legs des ancêtres,une tradition qui remonte à des temps quenous admirons parce que nous les voyons à tra-vers le prisme enchanteur des souvenirs »161.Les futures élites conserveront leur couleurlocale grâce à une formation reçue dans leurpropre Heimat et reproduiront indéfinimentl’idéal d’un pays aux mille facettes, fragmentéen une multitude de cellules autonomes fièresde leur identité. Quant à l’instruction, béné-ficiera-t-elle par le biais de la décentralisationd’une meilleure diffusion sur l’ensemble ducanton et d’une égalité des chances enfinréelle ?

L U T T E P O U R U N E N S E I G N E M E N T I N D U S T R I E L

La lutte pour un enseignement classique ouindustriel va être fortement conditionnée parles mutations vécues par la société valaisanneau tournant du siècle. La période qui s’étendde 1890 à 1910 est en effet pour le Valais unepériode de ruptures et de profondes transfor-

mations concernant tous les domaines (éco-nomique, politique, social, culturel) de la vieactive. L’histoire s’accélère pour permettre auVieux Pays d’accéder enfin au monde moderneaprès de longs siècles de pauvreté matérielle,de conformisme, d’homogénéité sociale etd’unité religieuse. Présentons succinctementles lignes de force de cette révolution et tâchonsde définir quels nouveaux besoins sont désor-mais ressentis au niveau de l’enseignementsecondaire supérieur.

M u t a t i o n s é c o n o m i q u e s e t p o l i t i q u e s

L a r é v o l u t i o n i n d u s t r i e l l ev a l a i s a n n e

La période antérieure à 1895 conserve l’imaged’un Valais replié sur lui-même, réfractaire auxidées de modernisme, autarcique et foncière-ment rural. Par contre, à la veille de la PremièreGuerre mondiale, ses structures économiquesse modifient considérablement. Si nous conve-nons qu’il existe quatre périodes de décollageéconomique en Suisse : fin du XVIIIe siècle;1820-1830; 1851-1873; 1896-1914162, nouspouvons admettre que le Valais appartient àla dernière phase, ayant raté la période d’ex-pansion précédente en dépit de l’apparitiondes chemins de fer et d’une évolution desesprits vers la fin des années 1860. Son retardlui vaut le handicap de pénétrer, avec l’aide decapitaux étrangers, dans un monde déjà indus-trialisé.C’est cependant, à certains égards, une vraierévolution industrielle que vivent les contem-porains du début du siècle. Le commerce quistagnait jusqu’en 1895 connaît une augmen-tation extraordinaire du volume des échanges.L’analyse du marché, rendue possible par lesstatistiques des chemins de fer163, permet d’ap-précier à partir de 1900 les nouveaux besoinsdu canton à travers l’envolée sans précédent desimportations. Celle des exportations suivradans une proportion tout aussi saisissante à par-tir de 1905.

�161 Gazet te du Va la i s , 111,

du 17 sep tembre 1876.

162 AR L E T TA Z 1976, p . 47.163 Vo i r D E TO R R E N T E 1927, p . 53.

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Dans le domaine de la production, nous assis-tons à un véritable take off de l’industrie favo-risé par l’exploitation des ressources naturelles.A ce titre, l’exploitation systématique des forceshydrauliques participe grandement à cettemétamorphose complète du Valais. Les pre-mières concessions d’eau sont octroyées parl’Etat du Valais à des particuliers dès 1891.Dès lors, leur nombre ne cessera d’augmenterpour atteindre en 1918 le chiffre considérablede cent trente-quatre. A cette même date,trente-deux usines électriques fournissent prèsdu cinquième de la production suisse.Avec l’arrivée des nouvelles techniques élec-triques, l’abondance et la facilité de captationdes forces hydrauliques prédisposent le Valaisà recevoir les grandes industries chimiques :Lonza AG, Ciba, Aluminium AG. L’apportconsidérable de ces trois fabriques au cantonest attesté par les statistiques commerciales etpar cette affirmation de l’économiste valai-san Cyrille Michelet : « Par les trois grandesusines de l’électrochimie et de l’électrométal-lurgie orientées en majeure partie versl’exportation, le Valais a pris place parmi lescantons industriels. D’autres entreprisesmoyennes et petites ont vu le jour, quelques-unes déterminées ou favorisées par les pre-mières »164.Effectivement, la grande industrie chimiqueentraîne dans son sillage la petite et la moyenneindustrie. Suivant une courbe d’évolutionparallèle à celle des concessions, le nombred’établissements soumis à la loi fédérale sur lesfabriques s’élève à neuf en 1884, cinquante etun en 1906, quatre-vingts en 1911. La popu-lation ouvrière qui en 1895 est de 640 (0,3 %de la masse ouvrière suisse) passe à 2924 en1911 (0,9 %). L’impôt sur les taxes indus-trielles ne cesse de progresser à l’échelle ducanton. Ces chiffres sont bien sûr à relativiserselon les différents secteurs d’activité choisis parles entreprises et selon une répartition géo-graphique souvent bien inégale : ce sont lesdistricts de Brigue, Loèche, Sierre, Martignyet Monthey qui bénéficient principalementdu boom industriel. Les structures de pro-

duction sont cependant complètement bou-leversées et des besoins d’équipement nou-veaux se font sentir.Le mouvement est accéléré par l’améliorationdes voies de communication. En 1878, la lignede chemin de fer arrive à Brigue. En 1906, c’estl’ouverture du tunnel du Simplon; en 1913,celui du Lötschberg. Ces réalisations, en ouvrantune voie internationale qui concurrence leGothard, permettent au Valais d’appartenir aumonde industrialisé. L’apport économique esténorme. Gage d’industrialisation, le chemin defer permet en effet l’acheminement des res-sources naturelles dont l’utilisation se fait tou-jours plus rentable. Sa construction elle-mêmeconstitue une énorme usine et fait travailler lescommerçants, les artisans, les industriels denombreuses communes. Ce développementpermet l’arrivée d’un grand nombre d’étran-gers dans le Vieux Pays donnant naissance autourisme et offrant de nouvelles possibilitéslucratives. Suivant une évolution parallèle àcelle de l’Oberland bernois, l’hôtellerie valaisannes’affirme de plus en plus comme un secteurd’activité rentable. En 1905, le Valais occupele 4e rang des cantons tant pour le nombre delits que pour le nombre d’hôtels, ce dernierayant doublé de 1894 à 1907. On assiste àl’établissement de véritables dynasties du tou-risme : Seiler (Zermatt), Lagger (Saas), etc.Cet expansionnisme commercial et touristiqued’avant-guerre entraîne, dans la foulée, denombreuses constructions de tronçons ferro-viaires dans les vallées latérales pour accueillirle tourisme international. De 1890 à 1915, neuflignes secondaires sont aménagées par les Com-pagnies privées de chemin de fer de tourisme.Le commerce, les arts et métiers, le système ban-caire, les assurances, les services publics (train,poste, douanes) prennent de l’ampleur dans desrégions totalement défavorisées jusque-là :« Ains i ver s 1910, l e déve loppement du paysest enfin lancé. Après un siècle de luttes poli-t ique s e t de marasme soc ia l , l e Valai s peutentrevo ir une c iv i l i sa t ion p lu s avancée oùla lut t e pour la survie ne mobi l i s e p lu s l ’ e s -s ent i e l de l ’ac t iv i t é humaine »165.

�164 MI C H E L E T 1969, p . 39.165 AR L E T TA Z 1976, p . 56.

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U n e s o c i é t é n o u v e l l e

Cette transformation de la production, ce pas-sage d’une autarcie économique à une sociétéfondée sur les valeurs d’échanges va entraînertoute une série de mutations sociales.Dans un premier temps, il faut noter que lacroissance démographique de 1888 à 1910 estexceptionnelle : plus de 25 000 habitants àl’échelle du canton, soit une augmentationannuelle de 1 %. Le déficit migratoire desdécennies précédentes est comblé jusqu’à ceque la Première Guerre mondiale vienne bri-ser le mouvement. L’avance démographiqueest étourdissante pour les districts de Brigueet de Rarogne occidental concernés par lesconstructions respectives du Simplon et duLötschberg166. Ce sont surtout les villes etles régions industrialisées qui profitent decette poussée démographique : Brigue etNaters doublent le nombre de leurs tra-vailleurs; entre 1900 et 1910 les populationsrespectives de Chippis et de Sierre augmen-tent de 215 % et de 68 % grâce à l’usined’aluminium : « Alors que le Valais accroît sa population de 26 % entre 1888 et 1920, lespourcentages d’augmentation pour les “ villes “sont les suivants : Sierre 182 %, Brigue 167 %,Viège 100 %, Monthey 81 %, Martigny 75 %,Sion 28 % »167.Le contraste s’accentue entre les régions deplaine et celles de montagne. Ces dernièress’acheminent vers un dépeuplement qui justi-fie les inquiétudes du gouvernement valaisan :de 1888 à 1920, l’Entremont subit une pertede 6,6%, le Val d’Anniviers de 7,7%, Conchesde 4,7 %. Cet exode rural est significatif desmodifications apportées par l’essor économiqueà la répartition de la population active par sec-teurs. En effet, si l’agriculture s’est développéegrâce aux travaux de correction du Rhône, à laconstruction de canaux d’irrigation en plaine etde bisses en montagne, à un meilleur écoule-ment des surplus agricoles favorisé par le che-min de fer, à la mise au point de nouvelles sélec-tions (par exemple l’abricot), ce domained’activité régresse progressivement à la fin du

siècle au profit des autres secteurs. Alors que laproportion des personnes actives dans l’agri-culture est encore de 76,4% en 1888, elle tombeà 66 % en 1900 et à 57,9 % en 1910.Dans un mouvement inverse, le secteur secon-daire progresse pour ces mêmes années de12,2 % à 19,5 % puis 23,5 % et le tertiaire de11,4 % à 14,5 % et 18 %. Avec la révolutionindustrielle nous assistons à l’émergence d’unenouvelle classe sociale, la classe ouvrière, quiconfrontera les autorités à des problèmes nou-veaux. Il faut cependant noter qu’il n’y a pasun bouleversement des structures de la société :les quartiers industriels ou prolétaires n’exis-tent nulle part dans le canton et le nouveautravailleur valaisan de l’industrie et du com-merce reste attaché à une terre qui lui procured’intéressants revenus accessoires. C’est l’arrivée massive de travailleurs étrangerset de Confédérés, aux idées nouvelles, quiimplique le plus de mutations dans la phy-sionomie sociale du canton. De 1888 à 1910,le Valais possède une balance migratoire excé-dentaire et la proportion de non-Valaisansdomiciliés dans le canton triple. La nouvelleéconomie valaisanne a besoin de cadres et demain-d’œuvre. Cette dernière est surtout com-posée de ressortissants italiens amenés par leSimplon : plus des 80% du nombre total d’im-migrés au début du siècle. Le brassage de lapopulation est important puisqu’en 1910, lesbourgeois de la commune de résidence nereprésentent plus que les 2/3 de la popula-tion.

O u v e r t u r e p o l i t i q u e

Les effets du décollage économique et de latransformation du tissu social influent égale-ment sur un système politique qui sembleenfin s’élever au-dessus des traditionnellesintrigues particularistes en s’ouvrant aux mino-rités et en abordant de front les problèmesmajeurs de l’Etat. Ce ne sont évidemment pasles autorités cantonales qui sont à l’origine dumouvement industriel. Le développement éco-nomique du Valais est à mettre à l’actif des

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�166 Vo i r PA P I L L O U D 1976, p . 70.167 I b idem, p . 71.

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industriels et investisseurs étrangers. Pour s’enconvaincre, il suffit de nommer les sociétésresponsables des trois grandes usines électro-chimiques : Lonza AG est composé en 1897d’un cercle de financiers bâlois soutenant unfabricant de machines de Nuremberg; die Bas-ler Chemischen Fabrik, qui rachète en 1898 laSociété des Usines de produits chimiques deMonthey, deviendra le géant bâlois CIBA; dieAlu-Industrie-Aktiengesellschaft am Rheinfallest la maison-mère de l’usine de Chippis. L’ana-lyse peut être étendue à un bon nombre demoyennes entreprises et de concessionnaires deforces hydrauliques. Les investissements impor-tants dans l’industrie hydroélectrique et dansles grandes entreprises viennent de l’extérieurdu canton et plus particulièrement de laFrance. La Caisse hypothécaire et d’Epargne,établissement d’Etat créé en 1896 dans le butprincipal de soutenir l’agriculture et, plus tard,d’encourager les moyennes industries, l’arti-sanat, le tourisme et le commerce par des prêtsde petite et moyenne importance, s’avère com-plètement surannée par rapport au décollageéconomique valaisan168.Aux côtés des apports étrangers, il convient deconstater que l’industrialisation provient sur-tout des milieux libéraux-radicaux. Ceux-ci,appuyés par le parti radical suisse et par lesmilieux bancaires, remettent totalement enquestion le système conservateur en voulant for-cer le progrès. Les représentants radicaux sou-lignent sans cesse les bienfaits de la nouvelleère industrielle, se lamentent sur le manqued’initiative des autorités et prônent un espritde gestion moderne fondée sur l’emprunt. Mais les conflits entre les partis ont tendanceà s’apaiser. Les questions matérielles prennentle pas sur les questions politico-religieuses :les forces sont désormais consacrées au déve-loppement du canton. De 1889 à 1918, legroupe libéral-radical se résout à accepter unetrêve caractérisée par des ententes électoralespour l’élection au Grand Conseil et par saparticipation au Conseil national, aux pré-fectures, aux tribunaux169. En 1893, l’avocatlibéral modéré sédunois Jules Ducrey entre

au Conseil d’Etat. On passe ainsi, dans unesprit d’ouverture qui est tout à l’avantage dugouvernement, d’un système d’Etat-parti hégé-monique à un système de partis compétitifs.Un second mouvement, au sein même duparti conservateur, se manifeste à partir de1900 : c’est l’apparition de nouvelles élitesenrichies par le commerce, l’industrie ou letourisme, qui contestent le pouvoir politiquedes vieilles familles patriciennes.Ainsi le Haut-Valais, las de l’immobilisme aris-tocratique qui fige les domaines religieux, sco-laire et politique, se groupe autour d’une fortepersonnalité conservatrice et bourgeoise :Alexandre Seiler. Issu d’une famille d’hôte-liers, docteur en droit, conseiller national de1905 à 1920, il sera l’homme politique le plusreprésentatif du groupe catholique-conserva-teur du Haut-Valais. Le mouvement réclame,par le biais d’un journal fondé en 1903, leBriger Anzeiger, une démocratisation du pou-voir cantonal et soutient même certaines pro-positions radicales et progressistes, en exigeantde la part de l’Etat de plus grands efforts dansle domaine économique. Dans le Centre, des groupes de conserva-teurs modérés des districts campagnards deConthey et d’Hérens s’élèvent égalementcontre le monopole des administrateurs etdes avocats sédunois sur les fonctions éta-tiques. Tout en restant fidèle au conserva-tisme officiel, cette opposition, emmenée parl’avocat-notaire et conseiller national deConthey, Raymond Evéquoz, ébranle latoute-puissante aristocratie du chef-lieu. Lesconservateurs bas-valaisans enfin, dépourvusde patriciat urbain et cotoyant une opposi-tion libérale plus marquée et mieux organi-sée, affichent des idées plus modérées quecelles des dirigeants du Centre. La créationdès 1903 du Nouvelliste valaisan par la jeu-nesse bas-valaisanne pour contrebalancer lasuprématie de la Gazette du Valais s’inscritdans un même courant de pensée.Parallèlement à cette évolution, nous assistonsau développement d’un courant chrétien-social170, dans le prolongement de l’encyclique

�168 Vo i r OL S O M M E R 1967, pp . 75

à 89.169 Vo i r GVSH 1976, p . 255.170 Notons que le fu tu r abbé de

Sa in t -Maur i ce , Mgr JosephMar ié tan , se ra l ’un desp romoteu r s l e s p lus dynamiquesdu ca tho l i c i sme soc ia l en Va la i s .Dés i ran t conc i l i e r l e p rog rès e tl e s va leu r s fondamenta les dupassé , i l fonde en 1902 lece r c le d ’E tudes soc ia les duco l l ège de Sa in t -Maur i ce e t i lc rée en 1908 la revuemensue l l e L’Eve i l . Jé rômeZ immermann, p ro fesseu r auco l l ège de S ion e t fu tu rd i rec teu r du sémina i re , se raéga lement un p ionn ie r éne rg iquedu mouvement .

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Rerum Novarum (1891), et au début des orga-nisations socialistes qui vont s’efforcer derésoudre la question ouvrière à laquelle le Valaisest confronté pour la première fois lors destravaux du percement du tunnel du Simplonet lors de l’ouverture d’un certain nombred’entreprises importantes. Il faudra cependantattendre les années 1930 pour voir ces deuxmouvements se doter de structures solides ets’introduire dans les organes d’Etat.Quoi qu’il en soit, l’entente du parti dominantavec l’opposition libérale-radicale et son ouver-ture aux minorités constituent un mode decollaboration qui limite les antagonismessociaux et favorise de ce fait les groupes pri-vilégiés. Cette multiplication de nouvelles ten-dances est significative d’une évolution du sys-tème politique valaisan du bipartisme vers unpluralisme modéré. La régénération de l’inté-rieur du parti engage un processus de démo-cratisation qui sera jalonné par le départd’Henri de Torrenté en 1905 et par une nou-velle constitution en 1907. Celle-ci, pointd’orgue d’une opposition entre le conserva-tisme aristocratique (Henri de Torrenté) et lenouveau conservatisme bourgeois (Seiler), réa-lise deux grandes idées, à savoir l’élargissementdes droits populaires (référendum obligatoire,initiative législative) et l’accroissement du rôlede l’exécutif dans le domaine économique. Enmarchant dans la voie du progrès, l’Etat coupecourt aux revendications libérales et scelle lavictoire de la démocratie sur l’aristocratie.

M u t a t i o n s c u l t u r e l l e s e t n o u v e l l e s é l i t e s

Le développement de la société valaisanned’avant-guerre touche également le domaineculturel au sens large du terme.La prospérité du Valais moderne n’est pas seu-lement matérielle : les rapports humains, leséchanges culturels, la vie quotidienne aug-mentent en qualité. Les modes de vie changentet les structures mentales évoluent dans le sensd’un esprit d’initiative plus large, d’une for-mation professionnelle plus poussée. Certaines

attitudes devant des thèmes réputés immuablescomme la mort, la natalité, le mariage se modi-fient lentement. La religion elle-même estquelque peu ébranlée par la nette progressiondu protestantisme dans les centres urbains etindustrialisés. De 0,8% en 1888, la proportionprotestante passe à 1,4 % en 1900 et à 2,3 %en 1910. Privilégiant l’activité commerciale etéconomique et venus d’horizons très divers dela Suisse, les réformés occupent principalementdes postes de cadres. D’autre part le poids éco-nomique et culturel de la nouvelle classeouvrière ne va pas sans causer des problèmesd’adaptation. La forte affluence d’immigrés ita-liens complique le problème de la diversité lin-guistique : le Valais est désormais appelé àconnaître trois langues et cela est d’une impor-tance toute particulière pour les régions occu-pées par les grands chantiers. Ce dernier constatpermet de rappeler que l’ouverture du Valaisne se réalise pas au même rythme dans toutesles parties du canton. Le poids des habitudes,des pratiques ancestrales et des archaïsmes cul-turels n’est pas près de disparaître dans lesrégions défavorisées de montagne. En cours d’évolution au tournant du siècle, lasociété valaisanne a accouché, dans la douleurd’un conflit opposant les conceptions tradi-tionnelles aux idées progressistes, d’une nou-velle élite revendiquant sa suprématie en rai-son de son importance économique et de sescompétences nouvelles. Nécessité politique,efforts d’un groupe dirigeant pour éviter l’ap-parition de troubles semblables à ceux qui sesont produits ailleurs ou besoin d’hommespossédant des compétences ou des connais-sances nouvelles, les explications concernantles modifications de la composition de l’élitesont multiples. Il n’en demeure pas moins queces hommes d’un type nouveau incarnent unsystème de valeurs de la société fondé sur desréalisations, des talents et des idéaux neufs. Leproblème reste de savoir si ce jumelage de lascience et du pouvoir trouvera son aboutisse-ment dans une articulation scolaire nouvelleentre une culture moderne et scientifique etune élite en transformation.

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L e s t e n a n t s d e l a t r a d i t i o n « c l a s s i q u e »

Au contraire du mouvement industriel dontl’éclosion ne pouvait indéfiniment être retar-dée, la culture moderne ne peut s’imposerd’elle-même : elle se heurte d’emblée à uneforte résistance de la part des défenseurs deshumanités dont nous tenterons de définirquelques traits particuliers.

U n e d i s t i n c t i o n s o c i a l e : l e l a t i n

L’enseignement secondaire classique se définitpar le haut; sa plus ou moins grande ouvertureaux sciences ne gêne pas sa fonction princi-pale de préparation à des études supérieures :« Le gymnase classique a pour but de donneraux élèves une culture générale et de les pré-parer par les études classiques aux études supé-rieures »171. Ce double objectif écarte toute spé-cialisation. Il ne s’agit pas de confiner l’étudiantà la seule maîtrise de données scientifiques ouau maniement pratique d’une langue, mais dedonner à son intelligence toute sa force et touteson activité en le rendant capable de toutapprendre. A cette orientation généreuse del’instruction s’ajoute bien évidemment unedimension éducative morale et religieuse. Mais au-delà des déclamations péremptoires surla supériorité des humanités et plus précisémentdu latin vis-à-vis des autres matières d’ensei-gnement, il convient d’en saisir la portéesociale. Correspondant à une véritable gym-nastique intellectuelle qui développe toutes lesfacultés mentales, cette langue morte comblede fierté celui qui la maîtrise et lui permet d’ac-céder à la noblesse de style, à l’élévation de lapensée. Bientôt un signe de distinction s’offreà ceux qui reçoivent l’éducation classique : lelatin devient une affaire de rang social. Bienqu’inutiles professionnellement pour plus detrois quarts des élèves des grandes classes, leslangues mortes sont imposées comme unerègle commune à toute une élite dont l’inté-rêt réside dans la possession d’une culture qui

la différencie du commun des mortels. Cetteculture antique, intellectuellement raffinée,systématiquement éloignée de toute utilitépratique donne les signes d’appartenance àune classe élevée. Cette distinction sociales’ajoute à la condition aisée des élèves du secon-daire et à leur héritage pour créer un niveausupérieur. La classe dirigeante elle-même doitsa légitimité à sa participation, par l’ensei-gnement secondaire, à la culture générale etclassique qui est le dépôt des traditions de larace supérieure : « Enseignement de classe parson recrutement, l’enseignement secondairel’est aussi par son objectif : former les classesdirigeantes en tant que telles. La culture qu’ildispense n’est pas générale : c’est la cultureprofessionnelle des notables »172.Alliée à la rhétorique, l’étude des languesanciennes prépare l’étudiant aux grandes fonc-tions publiques où son talent oratoire, affinédurant de longues années d’études, pourras’exprimer. Vu sous cet angle, les gymnasesclassiques se présentent comme des institu-tions spécifiques formatrices de cadres juri-diques et politiques. Dans un esprit semblableà celui du régime scolaire français, les collègescontribuent à la supériorité des fonctionspubliques et au dégoût des carrières indivi-duelles dans l’agriculture, l’industrie et le com-merce : on vise à produire des lettrés et des fonc-tionnaires. Par cette réalité, l’engouement desétudiants pour les études de lettres et de droits’explique aisément : leur entrée dans la classesociale dominante paraît assurée.Cependant, il convient de parler d’un malaise,d’une aliénation des finalités de l’enseigne-ment secondaire : « Tout se passe comme si onse contentait d’attendre de l’enseignementsecondaire une distinction sociale, non unechance d’efficacité »173. L’idéal « in-utilitaire »de l’enseignement classique entraîne la mise surpied d’un régime d’études inapte à former deshommes d’action, des chefs d’industrie ou desbrasseurs d’affaires : on préfère engorger lafilière traditionnelle (droit, médecine, théolo-gie), signe d’appartenance aux couches supé-rieures.

�171 « Lo i du 25 novembre 1910 su r

l ’Ense ignement seconda i re » ,dans RL , t . XX I I , a r t . 15.

172 PR O S T 1968, p . 55.173 CR U B E I L L I E R 1979, p . 144.

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L e s y s t è m e d é f e n s i f d ’ u n m o n d e é l i t i s t e

Par leur hermétisme, leur allure massive etmonolithique (huit ans d’études), les humani-tés créent un univers mental cloisonné adoptépar les classes dirigeantes avec d’autant plus deconviction que ce monde demeure inaccessible,dénué de sens et sans utilité pratique pour lepeuple. Dotée d’une culture gratuite, la classedes notables reste quelque peu174 étrangère aupeuple et ne cesse d’établir des valeurs quiconviennent parfaitement à sa domination. Avec le latin, on assiste même à un véritabledébat social et politique : ses partisans ne veu-lent pas se voir retirer leur rôle privilégié, indis-pensable à la formation d’une élite. Une certainesacralisation de cette langue morte leur permetde résister aux menaces contre la culture qu’ilstiennent pour vraie, symbole d’une élite baignantdans une atmosphère de moralité supérieure, dehaute probité morale, de pures vertus civiques.En attaquant les humanités, ce sont les élitesqu’on ébranle et, à moyen terme, l’ordre socialdans sa globalité, la démocratie elle-même !Ainsi s’explique l’acharnement des défenseursde l’idéal classique à dresser une véritable bar-rière sociale contre les éventuels imposteurs.Au niveau fédéral, l’opposition des médecinssur la question du latin à propos du règle-ment sur les examens fédéraux de maturité de1906, est tristement symbolique de cettefâcheuse ligne de démarcation qui distingueune aristocratie intellectuelle du peuple :« C’est une distinction de savoir les languesanciennes : cela remplace un peu la légiond’Honneur. Quelquefois aussi c’est le moyende barrer le passage et diminuer la concur-rence que d’exiger la connaissance du latin.Nos médecins pourraient faire des confessionsinstructives à ce sujet »175.Au niveau cantonal, l’obstination des autoritéset plus particulièrement des chefs de l’IP à retar-der la disparition de l’Ecole de Droit valaisanne,témoigne de cette détermination à préserver lespiliers du système classique. Ainsi en 1886, undébat au Grand Conseil sur l’octroi d’un crédit

pour l’introduction de leçons de droit cano-nique nous a paru emblématique des prioritésaccordées par les parlemenaires valaisans. Eneffet, le colonel radical Louis Barman, s’appuyantsur l’opposition de la commission de gestionelle-même, réfute l’opportunité de cette matièred’enseignement qui n’est étudiée que dans les uni-versités des grands centres. Pour s’opposer à l’in-troduction d’une matière d’études qui n’est enfait plus appliquée dans la vie pratique, il sug-gère la mise sur pied de cours d’économie poli-tique et il relève surtout la carence de l’ensei-gnement industriel en se demandant si le GrandConseil ne fera jamais rien pour l’industrie. A partir de ce débat, d’importance mineure aupremier abord, se joue la véritable question dumaintien d’une école de droit, gardienne destraditions d’une élite séculaire, contre la misesur pied d’un collège industriel, porte-drapeaudes idées progressistes d’une société nouvelle176.

L ’ a p p u i c l é r i c a l

Les hommes du clergé, détenteurs de la cul-ture ancienne, appuient bien évidemment detoute leur force l’enseignement classique qu’ilsse plaisent à présenter sous une formeattrayante, embellie, suscitant la confiance etla fierté. Leur présence marquée au sein del’enseignement, que ce soit en tant que sémi-naristes, futurs dignitaires ou membres ducorps enseignant, influe immanquablementsur l’orientation littéraire des élèves. L’ensei-gnement religieux prodigué dans les cours,lors des prédications ou à l’occasion de confé-rences, insuffle aux établissements cet idéald’éducation morale liée à toute culture géné-rale. La défense de l’enseignement de la reli-gion et principalement de la philosophie estainsi menée avec ardeur par les hommesd’Eglise d’autant plus qu’à l’approche de la loide 1910, un courant se manifeste pour rendrefacultatif au lycée le cours de philosophie enraison du fait que cette branche ne figure pasdans le programme fédéral de maturité.La philosophie chrétienne (celle enseignée dansles collèges valaisans) est dès lors magnifiée, divi-

�174 Nous tempérons ce t te

a f f i rmat ion en rappe lan t qu ’enVa la i s , l e s ba r r i è res de c lassesson t t rompeuses ca r ces mêmesnotab les son t b ien souventag r i cu l teu r s , paysans ouv igne rons à l eu r s heu res e t i l sconna i s sen t b ien l es c lassesr u ra les .

175 AEV, 2DIP8/12.176 Vo i r GR AV E N 1965.

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nisée et présentée comme la science des sciencespar ses défenseurs ecclésiastiques. Occupant savraie place au lycée, aux côtés de la physique aveclaquelle elle vise un complet épanouissementdes facultés, elle ne laisse aucune place dans samission scientifique et métaphysique aux viséesutilitaires, orientées vers l’action particulière etsuperficielle : «Naturellement, ceux qui ne voientdans la science que sa valeur pratique, des moyensd’accroître le bien-être, la réalisation de leurunique souci : boire, manger, vivre la vie maté-rielle et vulgaire; à ceux-là, évidemment la Phi-losophie ne peut rien dire »177.Plus qu’idéologique, la lutte se développe sur leplan religieux car pour les cléricaux, c’est bienau nom de la philosophie que la religion est atta-quée et c’est par elle que doit s’organiser la défensede la foi. La répartition politique des débats entreclassiques (conservateurs, ecclésiastiques) etmodernes prônant un enseignement plus scien-tifique (radicaux-libéraux) recoupe en partie celledu conflit autour de la laïcité.Solidaire du clergé séculier et de l’Etat, l’Ab-baye de Saint-Maurice est, quant à elle, le ferde lance de la tradition classique en Valais. Lerecteur du collège ne cite-t-il pas, dans son rap-port de 1908, ces paroles significatives duministre français de l’instruction publiqueGeorges Leygues : « Les humanités formentl’élite intellectuelle qui constitue la seule aris-tocratie que nous reconnaissons et qui est aussinécessaire à un peuple qui se gouverne lui-même que la lumière l’est à la vie des êtres ani-més »178 ? Il conclut même avec une certaineassurance : « ces paroles conviennent à mer-veille à notre pays, démocratique dans l’âme ».

L a l u t t e c o n t r e l e c o u r a n t m a t é r i a l i s t e

Notables ou dignitaires ecclésiastiques, les défen-seurs de l’idéal classique constituent un frontuni et solide capable de repousser toute formed’évolution hostile aux principes sacro-saintsdes humanités. Observons quelques articula-tions de ce système défensif. C’est à travers l’es-sor de l’enseignement littéraire que les autorités

font connaître leur efficacité dans le domaine del’instruction et, par extension, dans leur gestionde l’Etat : «Relativement à sa population et à sesressources financières, le Valais est sans contre-dit un des cantons de Suisse qui fait le plus pourl’enseignement littéraire. Il possède en effet,depuis longtemps, trois excellents collèges oùchaque année un nombre croissant de jeunesgens puisent une éducation soignée »179.Ce constat de réussite se distingue cependantpar ses vues restrictives puisqu’il ne tient aucu-nement compte de la dualité des collèges quis’affirme de plus en plus au tournant du siècle,à savoir la présence aux côtés de la pédagogiehumaniste d’une pédagogie réaliste, apportéepar l’industrialisation. Les deux courants sontbien distincts et leurs buts sont orientés dansdes sens tout à fait différents. Les méthodesd’enseignement elles-mêmes illustrent en par-tie la divergence des deux systèmes. L’appren-tissage des langues étrangères exige par exempleune méthode plus directe, inductive et pratiquealors que l’abstraction est la principale voied’acquisition des langues mortes.Le problème est réel puisque l’absence de l’uneou l’autre forme d’enseignement lèse forcémentune partie de la future société active. La solu-tion serait d’unir la culture littéraire à la culturemoderne, scientifique, mais l’étude des languesmortes occupe toute la place. Exigeant une partplus large aux langues nationales et aux sciences,le courant d’instruction moderne constitueraitpar ses apports une surcharge dans l’enseigne-ment et une menace pour l’édifice classique.C’est surtout sur le plan idéologique que seconcentrent les principales résistances aux nou-velles tendances. Pour le chef du DIP, l’écolene doit pas être conçue en fonction d’une car-rière mais d’une vie. Or c’est précisément cetteapproche matérialiste de l’éducation qui estreprochée aux sciences exactes et modernes :« Cette tendance va de pair avec le courantmatérialiste de notre siècle faisant la guerre àtoute conception idéale de la vie. Comme nouspartons du principe que l’école doit formerdes hommes et non des machines, il importe

�177 RCSM 1908, p . 11.178 RCSM 1908, p . 14; Geo rges

Leygues es t l e p r inc ipa li n i t i a teu r de l ’ impor tan teré fo rme de l ’ense ignementseconda i re du 31 ma i 1902 en F rance .

179 Gazet te du Va la i s , 67, 1902, p . 2 .

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de donner à notre jeunesse une instructiongreffée sur le vieux tronc qui a poussé les bellesbranches de la culture moderne »180.A la conception utilitaire de l’enseignement,on oppose les nombreuses vertus préservées etvéhiculées par les études classiques. Les consé-quences de l’extension de l’enseignementmoderne sont dénoncées comme déplorables enraison de leur seul but lucratif. Avant d’étudierune science, il faut savoir l’étudier et, à ce titre,l’étude du grec et du latin représente le meilleurdressage. De nombreux témoignages de mathé-maticiens, d’ingénieurs, etc., allant dans le sensd’un plaidoyer en faveur d’une préparationgénérale et classique aux études scientifiques, sontévoqués dans les rapports du DIP et des diffé-rents collèges. Celui de Saint-Maurice en 1908

nous livre deux affirmations fort pénétrantes,l’une d’un des meilleurs analystes mathémati-ciens du XIXe siècle, Charles Hermite : « J’es-time que le thème latin est un précieux outil pourla formation de l’esprit, c’est à mes yeux lameilleure préparation aux études mathéma-tiques »; l’autre de l’industriel et ingénieur alle-mand Georg Siemens : « L’éducation complètede l’homme ne doit pas avoir pour but immé-diat de le rendre capable de gagner beaucoupd’argent, le plus tôt possible »181.L’argumentation relevant les dangers de l’en-seignement scientifique bénéficie même del’image souvent répandue d’un canton dontla topographie, l’absence de matières premièreset la vocation agricole ont permis d’éviter lesexcès de production, le chômage, les grèves fré-

�180 RCE, 1885, D IP, p . 8 .181 RCSM 1908, p . 11

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Sa l l e de dess in , ve r s 1910.(Fonds de l ’Abbaye de Sa in t -Maur i ce , Médiathèque Va la i s – Mar t igny)�

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quentes des pays industriels : « Dans les esprits,dans la pratique et dans les livres, industrie etfiasco sont synonymes »182.Il y a lieu de tenir compte dans l’évolution dudébat de la tradition fort enracinée qui consiste,aux yeux du public, à attribuer moins de pres-tige aux études scientifiques qu’aux études clas-siques, parce qu’on les croit purement utili-taires. Dans cette optique, le combat pour lasurvie du système classique en tant que fonde-ment de toute instruction supérieure paraîtinévitable. La formation de l’élite, sa culture deréférence sont les véritables enjeux de cette flam-bée de critiques adressées de part et d’autre. Lechamp culturel moderne issu de la révolutionindustrielle puise ses références dans les déve-loppements scientifiques et dans le génie natio-nal avant d’être traduit dans une nouvelle struc-ture scolaire à définir. En réfléchissant sur leurpropre définition et redéfinition culturelles, lesélites dirigeantes vont tenter, dans une attitudedéfensive, de maintenir la prédominance desbelles-lettres latines, de tracer une nouvelle lignede démarcation culturelle puisque le latin estremis en cause, de parvenir à un compromis déli-mitant les matières dignes de figurer à côté dela culture classique. Une réforme paraît néces-saire au sein même de l’enseignement classiqueen vue d’amener un regain de vitalité et de com-muniquer aux élèves le goût des vraies études.

V e r s l a l o i d e 1 9 1 0

N o u v e a u x b e s o i n s

Si la révolution industrielle va influencer l’ins-truction secondaire supérieure et l’éducation engénéral, il ne faut pas oublier que cette dernièreest un investissement à long terme. En effet, sila prospérité générale d’une région dépend dela capacité de son industrie à transformer lesmatières, cette transformation ne peut s’effec-tuer qu’avec des connaissances techniques éle-vées permettant l’application des meilleurs pro-cédés. L’instruction technique et industrielles’annonce ainsi comme une nécessité vitale.

La Suisse se donne dès lors les moyens de lut-ter contre la concurrence et de promouvoirl’activité générale en construisant des techni-cums (Winterthour, Bienne, Berthoud, Genève,Fribourg) pour appuyer l’EPF. Les écoles secon-daires, quant à elles, jouent un rôle décisif dansles trois secteurs économiques par leur inté-gration au monde rural (connaissances tech-niques), leur formation de cadres techniques etd’ouvriers qualifiés et leur débouché sur lescarrières libérales et commerciales. Mais le Valais n’en est encore qu’aux balbutie-ments dans ce domaine. Face aux nombreuxexemples du dehors, quelques personnalités valai-sannes éclairées s’aperçoivent enfin des nou-veaux besoins créés par l’industrialisation et ledéveloppement commercial du canton et posentdes interrogations cruciales : « Au XXe siècle,une question s’impose à nous, question utile, sinous ne voulons pas être pris au dépourvu :sommes-nous prêts ? Avons-nous sous la mainl’armée d’électriciens, d’ingénieurs, contre-maîtres, ouvriers, nécessaires pour mettre envaleur cette prodigieuse quantité d’énergie élec-trique qui, dans quelques années, dans quelquesmois peut-être, va nous arriver de toute part?»183.Cette révolution annoncée par l’exploitation dela houille blanche ne constitue qu’une partie duproblème : l’agriculture doit, pour suffire auxbesoins du pays, être améliorée par la sciencemoderne; la direction supérieure des entreprisesne peut être confiée qu’à des ingénieurs et destechniciens compétents; des connaissancesapprofondies du marché et des langues sontindispensables aux nouveaux commerçants pours’adapter au développement des échanges.Or, il faut en convenir, tous ces secteurs majeursde l’économie cantonale ont été négligés. Cettecarence risque d’entraîner une emprise étrangèresur les ressources abondantes du Valais, sur lesemplois industriels et peut-être même sur l’ad-ministration cantonale. Peut-on se prétendrecultivé et diriger le pays en ignorant tout dessciences et des langues étrangères ?Le signal d’alarme est désormais tiré. En 1903,le Conseil d’Etat proclame : « le temps presse

�182 OL S O M M E R 1967, p . 14.183 AEV 2DIP9/10, « Rappor t de la

Commiss ion cha rgée de l ’é tudede l ’ense ignement indus t r i e l e tcomerc ia l en Va la i s » .

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si nous entendons conserver nos positions etsi nous voulons que le Valais soit et reste auxValaisans »184. Dans son message de 1909, il selamente sur l’accaparement des emplois desecrétaires, contremaîtres, appareilleurs, etc.,places relativement bien rétribuées dans lesindustries, par les ressortissants des autres can-tons et de l’étranger185. D’autres personnali-tés, telles que l’écrivain et journaliste d’oppo-sition Louis Courthion, avertissent que seuleune orientation vers les études techniques etpratiques ouvrira à la jeune génération lesportes d’un avenir moderne et libre : « il fautmettre l’ingénieur à la place de l’avocat, le géo-mètre à la place du notaire, l’agronome à laplace du spéculateur parasitaire »186.Essayons de définir la situation réelle de l’en-seignement scientifique et industriel en Valaisà l’heure du percement du Simplon.

L’ e n s e i g n e m e n t i n d u s t r i e l e n Va l a i s : u n c o n s t a t d ’ i n f é r i o r i t é

La question scolaire entre dans une nouvellephase au moment où apparaît l’impérieusenécessité d’une prise en charge de l’économievalaisanne par de nouvelles élites. Mais souffle-t-il sur l’enseignement un esprit nouveau quitienne compte des progrès techniques et desbesoins de l’industrie et du commerce ?Il faut convenir que le collège industriel, prévupar la loi de 1873, ne reçut jamais l’extensionvoulue et qu’il demeura une bonne écolemoyenne. Sa faible fréquentation, loin d’alar-mer les autorités, était considérée comme unsigne du peu d’intérêt du Valais en général pourles arts industriels et commerciaux et servaitde justification à la municipalité de Sion pourle maintien de son gymnase classique. Le rem-placement du collège industriel par un collègelittéraire ne pouvait que peser plus lourde-ment sur l’enseignement technique.En 1897, une ère nouvelle de prospérité semblecependant s’ouvrir avec la création à Sion d’uneécole professionnelle de deux ans précédée d’uncours préparatoire d’un an. Mais l’école neconnaîtra qu’un faible développement : si vingt-

cinq élèves fréquentent le cours préparatoire,seuls dix élèves suivent le cours de premièreannée et trois celui de deuxième année187. En1905, les projets de fusionner cette école aveccelle des apprentis-artisans de Sion, de la réor-ganiser en collège industriel ou tout simplementde la supprimer sont débattus au GrandConseil. Quant à l’école industrielle de Saint-Maurice, créée en 1899, elle se distingue parson programme quasi littéraire et son absencede caractère ... industriel !188

L e s c a u s e s

Quels sont les facteurs qui expliquent un étatsi lacunaire de l’enseignement industriel autournant du siècle ? Il convient de citer en pre-mier lieu l’apathie d’une population qui nes’est nullement inquiétée de cette absence decollège industriel. Opposé aux obligations et auxdépenses scolaires jugées comme un luxe horsde sa portée, le peuple valaisan, dans sa grandemajorité, n’est pas convaincu des bienfaits etdes nécessités d’une instruction plus poussée.L’inertie du corps social s’appuie sur l’exempledonné par les autorités qui consentent tacite-ment à cet état de fait : « On possédait un Col-lège, un Lycée et une Ecole de droit, cela suf-fisait. Ah bien! oui, voilà la grande avenue parlaquelle les familles aisées aimaient ou aimentencore à faire promener leurs chers écoliers »189.Or les conséquences d’une telle politique sontdéplorables si l’on juge le surnombre d’avocatset de notaires qui n’échappent à la médiocritéqu’en raison de leur fortune. La faute incombedonc à la classe dirigeante qui, en traçant uneunique voie vers les carrières libérales, a tentéde préserver une société figée dans laquelle lesfonctions-clés d’architectes, ingénieurs, com-merçants ont été négligées à un point haute-ment critique. C’est en effet tout le système éco-nomique moderne du Valais qui est désavantagéet sclérosé par ces options traditionalistes. Dans l’impossibilité de se former convenable-ment dans le Vieux Pays, les futures élites indus-trielles n’ont qu’un seul recours : l’exil. Chaqueannée environ une quinzaine de jeunes valaisans

�184 Vo i r RCE 1903, D IP, p . 64.185 Vo i r BGC, mars 1909, p . 23,

« Message conce rnan t l e p ro je tde lo i su r l ’ ense ignementseconda i re , 5 mars 1909 ».

186 CO U RT H I O N 1979, p . 238.187 Vo i r P I L L O N E L 1904, p . 25 ss . ;

de 1897 à 1905 seu l s t ro i sé lèves se voue ron t e f fec t i vementà un mét ie r !

188 En p remiè re année , l e s l anguesanc iennes son t remp lacées pa rune seu le heu re de dess ingéomét r ique ! I l n ’y a pas degéomét r i e de l ’espace , l e s cou r sde phys ique e t de ch im ie son tr ud imenta i res . L’éco le es tcomposée d ’un cou r sp répa ra to i re (un an) , de deuxcou r s indus t r i e l s (p remiè re e tdeux ième année) e t d ’un cou r stechn ique ( t ro i s i ème année) ;ce t te éco le indus t r i e l l e pe rd soncou r s techn ique en 1901 e tp rend la dénomina t ion d ’éco lef rança i se à pa r t i r de 1904.

189 P I L L O N E L 1904, p . 32.

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fréquentent les collèges industriels et commer-ciaux des cantons voisins pour s’initier aux indis-pensables langues modernes, pour bénéficierd’un enseignement scientifique plus développéet surtout plus adapté au monde pratique, pouréconomiser parfois une année de scolarité, gainappréciable pour les bourses des parents. Faceà cette fuite du capital-intelligence vers l’exté-rieur, la nécessité d’agir au sein même des struc-tures vieillissantes du système scolaire valaisanse fait sentir de manière toujours plus pressante.

L a p é t i t i o n d e 1 9 0 4

Plusieurs propositions et tentatives de révisionde la loi de 1873 se succéderont en vain jusqu’à ce qu’une pétition adressée par lessociétés professionnelles de Sion au GrandConseil soit enfin prise en compte et entraîneune refonte complète de l’enseignement secon-daire.Interpellée avec la Société des commerçantspar le Confédéré en vue de créer un vrai col-lège industriel, la Société industrielle et desarts et métiers de Sion charge en 1904 l’un deses membres, Auguste Pillonel190, de rédiger unrapport. Adoptées par les deux associations, lesconclusions du travail sont libellées sous laforme d’une Pétition sur le développement del’instruction industrielle et commerciale adresséeau Grand Conseil.Considérant que l’enseignement technique etprofessionnel et le développement économiquedu Valais sont étroitement liés, la pétition étaleau grand jour l’infériorité de cet enseignementainsi que les erreurs du gouvernement dans cedomaine. Sa démarche se justifie par la volontéd’appliquer la loi de 1873 quant à la créationdu collège industriel et d’établir la parité abso-lue entre les études classiques et scientifiques.Le premier objectif des pétitionnaires consisteà combler une grave lacune : « Il ne suffit pasde posséder en abondance les leviers les plusnécessaires à l’industrie et au commerce, ils’agit de les utiliser. Pour s’en servir, il fautcertaines connaissances que l’on n’acquiertpoint dans les gymnases littéraires. C’est dans

�190 Di rec teu r des té lég raphes e t

p rés iden t des cou r s de laSoc ié té des commerçan t s . La soc ié té es t p rés idée pa rAmédée Déné r iaz (avoca t ,conse i l l e r bou rgeo i s ia l de S ionde 1889 à 1896, pu i s p rés iden tde ce même conse i l de 1897 à1918, rad i ca l ) .

191 P I L L O N E L 1904, p . 53.192 I l s i gna le pa r exemp le l e dé f i c i t

de la ba lance ag r i co le (a lo r s quele can ton es t un pays à voca t ionag r i co le!) , l a fa ib lesse desressou r ces de l ’ i ndus t r i ehô te l i è re ( le Va la i s possède7964 l i t s de sa i son a lo r s quel ’Obe r land be rno i s , de supe r f i c i ep lus modes te , en compte14 445 (!) , l ’absence d ’uneconcep t ion économique du temps(de nombreux v i l l ageo i s ouag r i cu l teu r s vendent pou r unp r i x dé r i so i re l eu r bo i s , l eu r l a i t ,ap rès de longues heu res d ’e f fo r tou de t rava i l ) .

193 Les pos tes de p rés iden t e tsec ré ta i re de la commiss ion son t con f iés à deux « moteu r s »de la pé t i t i on : Edoua rd Wo l f f e t Augus te P i l l one l .

194 « Cons t i tu t ion de 1907, 8mars » , a r t 15, dans RL , t . XX I I ,p . 218.

108

ce but qu’a été créé l’enseignement profes-sionnel et technique »191. C’est effectivementcette mentalité même du Valaisan qu’il convientde modifier. Le rapport accompagnant lesarticles de la pétition comporte à ce sujet denombreux exemples éloquents192.La seconde finalité de la pétition consiste àréclamer le rétablissement du collège indus-triel qui constituera « l’école de la foule des tra-vailleurs » dans tous les secteurs (génie civil,mécanique, électricité, gestion agricole, com-merce, hôtellerie, banques, etc.). Toute unesérie d’articles prévoient la constitution d’uncycle d’études complet de sept ans, distinct ducollège classique et divisé en deux sections(commerciale et industrielle). Ces propositions,notamment celle de supprimer le cours tech-nique, désormais inutile, crée quelques remousdans la presse, notamment dans les colonnesde la Gazette du Valais. Certains réactionnairesestiment en effet que son remplacement par lecollège industriel ne semble pas reposer sur desbesoins pressants, les sciences n’ayant à leursyeux pas progressé au point de remettre encause son principe et son organisation.Le Conseil d’Etat donnera cependant suite àla pétition en nommant une commission193

chargée de la réorganisation complète de l’en-seignement supérieur en étudiant plus spécia-lement la transformation de l’école profes-sionnelle de Sion en un collège industriel et lacréation d’une Realschule à Brigue. Réunie pourla première fois le 20 février 1905, la com-mission visite les écoles industrielles dont lesprogrammes peuvent mieux s’adapter à la situa-tion du Valais et répondre aux besoins de lapopulation et elle jette les bases d’une nouvelleorganisation de l’enseignement supérieur.Le peuple valaisan suivra-t-il ce nouvel espritqui préside aux destinées de l’enseignementet se concrétise par l’insertion au sein de laConstitution de 1907 d’un article concernantle financement de l’enseignement profession-nel par l’Etat194? Quoi qu’il en soit, la réformede 1910 apparaîtra comme la conséquencelogique d’une longue lutte consacrée au déve-loppement de cet enseignement.

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�195 Z I M M E R M A N N 1914, p . 155,

no te 4 .196 Voi r FA R Q U E T 1949, pp. 135-138;

ME T R A I L L E R 1978, pp . 39 -48.197 BGC, mars 1909, pp . 19 -37,

« Message conce rnan t l e p ro je tde lo i su r l ’ ense ignementseconda i re » .

198 Par exemp le : Joseph de Wer ra ,p ro fesseu r au co l l ège de S ion ,Maur i ce Mi l l i oud , p ro fesseu r à l ’un i ve r s i té de Lausanne, F. A . Fo re l , p ro fesseu r à Morgese t membre de la Commiss ionfédé ra le de matu r i t é ; vo i r AEV,2DIP8, op . c i t . , n° 7/11/12.

109

L’abbé Zimmermann écrivait en1914 : « Cette loi est de beaucoup l’acte légis-latif le plus important des quarante dernièresannées »195. Cette affirmation n’est pas exagé-rée si nous considérons les deux principalescaractéristiques de la loi : l’organisation d’unenseignement scientifique distinct et completet la décentralisation des classes supérieures del’enseignement classique. La rédaction des dif-férents articles ne s’est cependant pas effectuéeavec aisance; elle est l’aboutissement d’unelongue maturation des idées confrontées à unemultitude de problèmes extra-scolaires.

L’ É L A B O R A T I O N D E L A L O I

L e s p r i n c i p e s g é n é r a u x

La nécessité de réviser la loi de 1873 se fait vive-ment sentir à la suite d’une longue série deréformes entreprises dans le secteur de l’en-seignement primaire et de l’école normale196.Devant l’ampleur du sujet, le chef du DIPAchille Chappaz décide dès 1902 de diviser laloi scolaire de 1873 en deux blocs : l’ensei-gnement obligatoire (primaire) d’un côté; l’en-seignement facultatif (secondaire) de l’autre.Considérant que c’est pour tenir compte dumouvement industriel du canton que la réor-ganisation de l’enseignement secondaire s’im-pose, le Conseil d’Etat expose dans son mes-sage de 1909197 les moteurs de la loi : lareconnaissance de la maturité classique et l’in-troduction d’une maturité scientifique dépen-dent du Règlement fédéral des examens dematurité de 1906 et de la circulaire du dépar-tement fédéral de l’Intérieur invitant les can-tons à apporter à leurs programmes de matu-

rité et d’enseignement les modifications néces-saires. D’autre part, en dénonçant l’inférioritépatente donnée à l’enseignement technique etcommercial, la pétition de 1904 des Sociétésdes Arts et Métiers et des Commerçants de Siona ouvert la voie des réformes en vue de la créa-tion effective d’un collège industriel.Si les impulsions décisives à une réorganisationde l’enseignement secondaire proviennent demilieux extérieurs au DIP, les pouvoirs publicstémoignent cependant de leur sollicitude àl’égard d’un plan de réformes dont l’étude estconfiée au Conseil de l’IP ainsi qu’à des com-missions spéciales. Les rapports, les séances detravail, les consultations d’instances pédago-giques valaisannes et confédérées198 se multi-plient pour aboutir à l’élaboration d’un pro-jet de loi.Bien que l’enseignement industriel sorte gagnantde cette réforme, il ne faut pas croire que cestransformations s’opèrent au détriment de l’en-seignement classique. Ce dernier n’est qu’in-sensiblement modifié : principale occupationdu législateur de 1873, la tradition anciennedoit se maintenir et continuer à servir de baseà l’enseignement secondaire. Si l’on admet des mutations importantes aupoint de vue des idées éducatives, plus parti-culièrement dans le domaine scientifique, ilconvient de ne pas surmener les élèves en sur-chargeant les programmes de matières spé-ciales : le collège classique et le nouveau collègeindustriel s’occuperont de donner une culturegénérale et non l’accès à une profession déter-minée. C’est par ailleurs pour cette raison quela loi ne s’étend pas aux écoles professionnelleset aux apprentis qui sont dépendants du Dépar-tement de l’Intérieur comme tous les cours

L a l o i d u 2 5 n o v e m b r e 1 9 1 0 , c l e f d e v o û t e d e l ’ e n s e i g n e m e n t s e c o n d a i r e s u p é r i e u r

Q U A T R I È M E P A R T I E

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donnés dans les branches du commerce, del’industrie et de l’agriculture. L’objectif princi-pal du législateur étant que la transformationdes conditions matérielles du Valais corres-ponde à un développement parallèle de la vieintellectuelle, de sérieux efforts financiers199

sont envisagés pour atteindre cet objectif.

D e s i n n o v a t i o n s

Dans un premier temps, la nature et le rôle desdifférentes institutions d’enseignement secon-daire ne paraissent pas subir d’importantesmodifications. L’administration, la direction etla surveillance de l’instruction secondaireappartiennent toujours au Conseil d’Etat. Seulle financement partiel des établissements can-tonaux par les communes qui en sont le siègeconstitue un principe nouveau. En raison des

précieux avantages qu’elles en retirent, et surla base de l’article 27 de la Constitution, cesmunicipalités contribueront pour une part de10 % aux frais de ces écoles200.Quant à la répartition des établissements can-tonaux, l’un des fondements de la loi, elle s’ef-fectue de la manière suivante : pour l’ensei-gnement classique un gymnase de six ans et unlycée de deux ans dans chacune des cités (Sion,Brigue, Saint-Maurice), pour l’enseignementscientifique une école industrielle inférieure detrois ans respectivement à Brigue et à Saint-Maurice, une école industrielle supérieure detrois ans subdivisée en section technique etcommerciale à Sion. C’est ainsi un systèmeadmettant l’organisation parallèle de deux ensei-gnements à base distincte qui est adopté avecce projet de loi, symbole d’une transition entreles traditions et les besoins de l’avenir. Le choixde la décentralisation de la presque totalité desétablissements dans les trois villes est concédéà contrecœur par le chef du DIP qui ne dissi-mule pas, dans le message de 1909, que l’in-térêt supérieur de l’instruction et le souci deménager le trésor public ont dû s’effacer devantle régionalisme tout-puissant, la réalité du bilin-guisme et l’ancienneté de certains acquis201.Dans la définition des buts et de la nature desdiverses catégories d’écoles secondaires, la dif-férenciation entre les écoles moyennes et lesécoles industrielles apparaît pour la premièrefois d’une manière précise. Alors que les pre-mières apportent un simple complément d’ins-truction générale à la formation des écoles pri-maires, les secondes ont un but professionnelet préparent aux carrières industrielles et com-merciales.Un effort particulier est réalisé dans les moyensmis à disposition pour l’acquisition d’un corpsprofessoral à la hauteur des exigences et, par-tant, rétribué en conséquence. Le principe dela mise au concours, déjà en vigueur dans lesautres cantons, est adopté ainsi que celuiconcernant la prescription de diplômes dematurité classique ou technique accompagnésde certificats d’études spéciales pour les can-didats au professorat. L’introduction de confé-

�199 Vo i r AEV, 2DIP8, n° 10 « Not i ce

su r l a po r tée f i nanc iè re dup ro je t de lo i su r l ’ ense ignementseconda i re » ; l ’acc ro i s sementdes dépenses annue l l e s es tp révu à 24 090 f r.

200 Notons que la v i l l e de Sa in t -Maur i ce n ’es t pas v i séepa r ce t te mesu re é tan t donnéque le co l l ège es t à l a cha rge del ’Abbaye e t non de l ’E ta t .

201 L’avan t -p ro je t de lo i p révoya i tun gymnase c lass ique , un l y céec lass ique un ique e t un seu lgymnase s c ien t i f i que de t ro i sans à S ion a lo r s que B r igue e tSa in t -Maur i ce se se ra ien tcon ten tés d ’un gymnasec lass ique e t d ’une éco le rea le( t ro i s ans) chacun ; vo i r « P ro je tde lo i su r l ’ ense ignementseconda i re » , dans AEV,2DIP8/2.

110

Faute de p lace , l ’anc ien co l l ège (au jou rd ’hu i appe lé in te r na t) es t exhausé en 1914.(A r ch i ves de l ’Abbaye de Sa in t -Maur i ce)�

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rences, mises sur pied tous les deux ans etalternativement pour les professeurs des écolesindustrielles et les professeurs des gymnases etdes lycées, favorisera d’autre part l’unité devues et de méthode des enseignants ainsi queles échanges entre les divers établissements. Sile sujet brûlant des traitements est renvoyé àun règlement ultérieur, la nécessité de leuramélioration est reconnue comme la conditionsine qua non d’un bon recrutement : les salairesseront désormais fixés selon des critèreslogiques et équitables (études et diplômes dutitulaire, nombre d’années de service, tempsconsacré aux cours).Enfin, si l’organisation de la direction des éta-blissements d’instruction publique ne subit

guère de modifications, la nouvelle composi-tion du Conseil de l’IP mérite d’être signalée.L’extension du nombre de ses membres decinq à sept permet une répartition plus aisée,d’une part de l’élément classique et de l’élé-ment scientifique, d’autre part des représen-tants des différentes parties du canton. Cenouveau profil de l’organe directeur des éta-blissements d’instruction secondaire témoignede la constante préoccupation du législateurd’éviter de heurter les intérêts propres desrégions. C’est certainement pour cette raisonque le projet de loi se limite à des principesgénéraux d’organisation et qu’il renvoie denombreuses dispositions aux règlements spé-ciaux202.

�202 I l en va a ins i pou r l e

remp lacement de l ’ense ignementdu g rec pa r l ’ i t a l i en , l aposs ib i l i t é d ’un passage dugymnase c lass ique au gymnasesc ien t i f i que , l a c réa t ion d ’unin te rna t pou r l e s t ro i sé tab l i s sements can tonaux pa rles loca l i t é s in té ressées sous lasu r ve i l l ance du CE e t du Conse i lde l ’ IP, l ’ é tude d ’une ca i s se dere t ra i te pou r l e pe r sonne lense ignant , l ’ob l i ga t ion d ’unce r t i f i ca t d ’ense ignement pou rles p ro fesseu r s , l a suspens ion oula révoca t ion d ’ense ignants pa rl e CE , l a nomina t ion d ’un p ré fe tau se in même du co rpsp ro fesso ra l de chaqueétab l i s sement , l a c réa t ion d ’unpos te d ’aumôn ie r dans chaqueco l l ège , l e pa iement pa r l e sé lèves é t range r s au can ton d ’unémolument de base , l adé te rmina t ion d ’un nombremax ima l d ’é lèves pa r c lasses .

111

L’anc ien ré fec to i re a vu dé f i l e r l e s é tud ian t s j u squ’en 1914.(A r ch i ves de l ’Abbaye de Sa in t -Maur i ce)�

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L E S D É B A T S

L e s d é b a t s p a r l e m e n t a i r e s : d e s t h è m e s c o n n u s . . .

Malgré les nombreuses précautions prises parles législateurs en vue d’éviter de léser certainsintérêts particuliers, de vives discussions sontengagées au Grand Conseil et risquent de fairesombrer la loi. De manière surprenante, lesmêmes thèmes principaux débattus lors desséances consacrées au projet de loi sur l’IP de1873 sont repris en 1910 : décentralisationdes collèges, particularisme et esprit de clo-cher des régions, nécessité d’un enseignementindustriel. Le débat sur l’enseignement secon-daire supérieur n’a cessé en fait de stagner etde s’enliser dans des problèmes liés à la consti-tution géo-politique et sociale du Valais.Si le principe d’une réorganisation industrielle,jugée une fois de plus d’une urgente nécessité,est unanimement admis, ses rapports avec l’en-seignement classique et le façonnage de ce der-nier suscitent plus de difficultés. Pour la com-mission chargée de l’étude du projet en premierdébat, l’élaboration de deux cycles d’étudesmarchant de pair répond à un esprit d’évolu-tion de l’enseignement et non à une révolution.Les humanités conservent leur intégralité etleur unité et, selon l’avis du Conseil de l’IP,aucun raccordement ne doit être prévu entrele collège classique et le collège industriel.

L a l o i s o u s l ’ é t r e i n t e d u r é g i o n a l i s m e

Les impératifs financiers de la loi se heurtentà deux obstacles : l’opposition des communesà assumer les nouvelles charges imposées parla loi et la multiplication des établissementsd’instruction secondaire selon le principe dela décentralisation.Le débat sur la subvention exigée des communesqui sont le siège d’un établissement cantonald’instruction s’annonce passionné et truffé d’in-térêts particuliers. Les échanges de vues se déve-loppent autant sur le principe lui-même que sur

le mode de participation : le montant du sub-side sera-t-il calculé selon les dépenses annuellesdes établissements cantonaux ou selon les fraissupplémentaires exigés par la nouvelle loi ? Ces deux options mettent à jour les vues contra-dictoires du gouvernement et de la commission.Celle-ci met en relief les dangers sous-jacentsde la seconde solution, qui consiste à obliger lescommunes intéressées à participer dans le futurà des frais d’extension ou d’aménagement impré-visibles. Or les représentants parlementaires dechacune de ces localités203 crient au scandale, esti-mant que l’on ne tient pas compte des anciennescontributions et des sacrifices consentis par leurcommune, ainsi que du principe même de la gra-tuité de l’enseignement. Les grands avantages intellectuels et économiquesque retireraient ces villes (accès plus facile auxétudes et par conséquent aux carrières libérales)sont annihilés par le fait que peu d’élèves bri-gois ou agaunois fréquentent leur collège res-pectif 204. Mais l’ingratitude de ces communesest vivement dénoncée par des députés à l’espritmoins régionaliste qui n’hésitent pas à compa-rer la situation difficile des élèves de la vallée deConches, 2% de l’effectif valaisan en 1909/1910,à celle relativement aisée des étudiants sédunois(51%) : «Chacun veut sa part du gâteau maispersonne ne veut payer sa note au pâtissier »205.Finalement seules les dépenses annuelles desécoles industrielles cantonales, nouvellementcréées, impliqueront une contribution descommunes intéressées. A cette occasion,Camille Desfayes n’hésite pas à fustiger uneHaute-Assemblée hésitante quant à l’octroi deces subsides alors qu’elle vient d’adopter faci-lement un budget sur l’amélioration du bétail!La loi du moindre effort et de l’économieextrême semble ainsi régir autant l’attitude del’Etat que celle des communes. La prise deposition de ces dernières paraît cependantcontradictoire lorsque l’on considère leur posi-tion intransigeante quant à la répartition desétablissements d’instruction secondaire.Second boulet financier de la loi de 1910, la mul-tiplication des écoles industrielles et des col-lèges est l’œuvre d’un esprit régionaliste invé-

�203 P lus pa r t i cu l i è rement Joseph de

Stocka lpe r pou r B r igue , Maur i cePe l l i s s i e r (membre de lacommiss ion!) pou r Sa in t -Maur i ce , Cha r les -A lbe r t deCour ten , p rés iden t de S ion .

204 Respec t i vement 6% e t 12% en1909/1910.

205 BGC, novembre 1910, 25novembre , p . 281.

206 BGC, novembre 1910, séance du22 novembre , p . 221; LeConfédé ré , 90, du 9 novembre1910.

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téré. L’exemple du groupe parlementaire haut-valaisan soumettant l’acceptation du projet à unecondition sine qua non, le maintien d’un lycée-collège complet à Brigue, témoigne aussi del’ampleur et de la force des disparités régio-nales. On n’exige plus pour le collège de Briguele statu quo at nunc (c’est-à-dire le gymnase etla classe de Philosophie depuis 1859), mais lestatu quo ut antea (c’est-à-dire le lycée completdes jésuites de 1847). La volonté farouche desHaut-Valaisans de faire valoir leurs droits risqued’enliser la loi dans d’interminables discussionsau sujet de la réorganisation de l’enseignementclassique alors que c’est l’enseignement tech-nique qui végète depuis plusieurs années etnécessite impérieusement une réforme. Le futurconseiller d’Etat Maurice Troillet n’hésite pas àrejoindre l’avis du Confédéré en rappelant à laHaute Assemblée que : « le principal but pour-suivi par cette loi est la création des collègesindustriels et qu’on n’aurait pas dû y adjoindrela réforme de l’enseignement classique quin’avait pas été demandée »206.Le projet de loi est enfin adopté par les parle-mentaires le 25 novembre 1910 et la date du29 janvier 1911 est retenue pour sa soumissionau verdict populaire. Le chef du DIP comptefermement sur l’appui des autorités commu-nales, des enseignants et des commissions sco-laires, dans une lettre qui leur est adressée, pourintervenir auprès des électeurs en faveur d’unvote positif 207. Le consensus obtenu au GrandConseil à la veille de la consultation populairesemble se répercuter sur la presse valaisanne :tous les journaux recommandent l’acceptationde la loi. Toutefois l’interprétation des débatset l’utilisation des thèmes s’effectuent bien sou-vent dans des sens différents, selon la doctrinepropre à chacune des feuilles.

A C C E P T A T I O N D E L A L O I E T P R É M I C E S D ’ U N E A P P L I C A T I O N M A L A I S É E

Comment le peuple valaisan a-t-il accueilli laloi et quelles sont les principales orientationsdes règlements d’application dont les larges

attributions constitueront le véritable profilde la loi ? Telles sont les questions qui préoc-cupent les législateurs au lendemain de l’adop-tion du projet.

L’ i n t e r p r é t a t i o n d e s r é s u l t a t s

Le verdict populaire du 29 janvier 1911 est sansappel : 9316 oui contre 5226 non208. L’analysedes résultats à l’échelle des régions et des dis-tricts suscite cependant de nombreux com-mentaires dans la presse.Une première évidence s’impose : c’est leHaut-Valais qui a littéralement porté la loi.Sa participation (73 %) et son adhésion auprojet (93,5 %) témoignent de la disciplineet de l’organisation d’un électorat influencépar la puissance décisive de la presse haut-valaisanne. L’enjeu était de taille pour la par-tie orientale du canton : il s’agissait de la sur-vie même du collège de Brigue. Si toute lapopulation de la cité du Simplon et des envi-rons fête sa victoire209, le Valais romand mani-feste plutôt un enthousiasme mitigé. LeCentre et le Bas-Valais se sont en effet illus-trés par leur taux élevé d’absentéisme (res-pectivement 43,7 % et 34,8 % de participa-tion) et par leur refus du projet (33 % et42,2 % de oui) : seuls les districts de Saint-Maurice, Martigny et Conthey l’accepteront.La ville de Sion elle-même n’adopte la loiqu’à une faible majorité (48 voix) alors quel’ensemble du district, emmené par Savièse,la repousse très nettement (30,3 % seulementde oui). D’une manière générale, ce sont lespopulations montagnardes qui s’opposent àun projet qui n’est pas censé leur apporter degrands avantages. Un accueil mitigé apparaît également chez lespréfets de collège, mais pour des raisons tota-lement opposées : la loi est utile quant à unereconnaissance fédérale des maturités et quantau développement d’une nouvelle phase del’enseignement scientifique, mais elle doit avanttout conserver l’organisation classique léguéepar les Anciens et réputée comme la meilleurepréparation scientifique.

�207 AEV, 2DIP21/40, « Le t t re à

Mess ieu r s l e s P rés iden t s decommune, à Mess ieu r s l e sMembres du co rps ob l i ga to i repou r tous l e s ense ignants e t à Mess ieu r s l e s P rés iden t sdes Commiss ions s co la i res , 22 janv ie r 1911 ».

208 Bu l l e t in o f f i c i e l du Can ton duVa la i s , S ion , du 10 fév r i e r1911, pp . 132 -135.

209 « Le canon tonna i t , l e s feux debenga le i l l umina ien t l e s r ues , e tsu r l a Sebas t ianp la tz un b r i l l an tfeu d ’a r t i f i ce a é té t i r é » ;Gaze t te du Va la i s , 13, 2 fév r i e r 1911.

210 BGC, novembre 1913, séance du 21 novembre , pp . 162/163.

211 « Règ lement d 'exécu t ion du 20oc tob re 1911 conce rnan t l a l o idu 25 novembre 1910 su rl 'ense ignement seconda i re » ,dans RL , t . XX IV, pp . 56 -76;"Règ lement d i s c ip l i na i re desCo l l èges du Canton du Va la i s , 2 sep tembre 1913", dans RL , t . XX IV, pp . 318 -322;« Règ lement des examens dematu r i t é dans l e s é tab l i s sementscan tonaux d ' IP, 3 fév r i e r1912 », dans RL , t . XX IV, pp . 23 -30.

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Mais le chef du DIP s’empresse de les rassu-rer en réaffirmant le maintien intégral de la cul-ture classique : « Nous possédons maintenantun collège industriel complet : nous avons tenucompte des aspirations utilitaires qui se sontmanifestées dans le pays. Il n’y a pas lieu pourautant de négliger maintenant la culture clas-sique de nos futurs magistrats [...] »210.L’analyse des résultats, révélatrice de nom-breuses dissensions géo-politiques et socialesdans le canton, fait ainsi rapidement place àdes recommandations et à des prises de posi-tion bien établies quant à la promulgation età la mise en application de la loi.

D e s c r a i n t e s j u s t i f i é e s ?

C’est le Conseil de l’IP qui est chargé d’éta-blir le règlement d’exécution de la loi ainsique divers règlements d’application211, deréviser les plans d’études des collèges clas-siques, de fixer le programme des écolesindustrielles et commerciales. Son impor-tance est ainsi considérable et ce n’est passans raison que le Briger Anzeiger fait part deses craintes relatives à une éventuelle supré-matie du chef-lieu dans la nomination desmembres et que le Confédéré engage les dépu-tés radicaux à « ouvrir l’œil » afin d’obtenir unConseil de l’IP répondant à la conceptiond’un Etat neutre et laïque : « nos conservateurschercheront sans doute à en faire un instru-ment de leurs visées politiques [...] nous vou-lons un Conseil laïque, dans sa majorité et nonun second Chapitre »212.Constitué au lendemain de l’acceptation dela loi, le nouveau conseil remplit les conditionsimposées par la loi en comptant parmi sesmembres deux représentants du Haut-Valaisainsi que deux ecclésiastiques, dont un chanoinede l’Abbaye de Saint-Maurice213. Il répondégalement à l’impérieuse nécessité de repré-senter les secteurs industriels et commerciauxpar la présence d’un ingénieur, d’un banquier-notaire et d’un architecte.La tâche de cet organe de surveillance s’annoncedélicate en raison des lourdes pressions exer-

cées par la presse au sujet de l’interprétationdes principaux axes de la loi. Les apports nou-veaux de la loi exigent une large restructura-tion du système entier de l’enseignementsecondaire. Les mises en garde de la presse semultiplient en vue d’aider le Conseil à assu-mer son mandat, à ne pas sombrer dans les sem-piternelles querelles régionalistes, à préserverun prudent esprit d’économie. Ainsi le Nou-velliste Valaisan espère que : «Pour l’agrandis-sement de bâtiments, pour l’achat du matériel,pour la réorganisation de tel ou tel collège, onne viendra pas ruser avec le peuple et deman-der chaque année un subside ! »214

L’exécution des programmes et le choix desprofesseurs sont également des sujets de pré-occupation de la part des rédacteurs. Le secondthème est même l’objet de divergences entreles organes conservateurs et libéraux-radicaux.Le Confédéré exige l’engagement de spécia-listes expérimentés, imbus des principes indus-triels et commerciaux et non plus des « congré-gationnistes » ou des pseudo-enseignantsdépourvus de toute compétence215. A l’inverse, le Nouvelliste Valaisan accuse lesmilieux radicaux de faire appel à un person-nel étranger, hostile à la religion catholique. Rai-sonnant au sein d’un cercle quasi vicieux, lejournal bas-valaisan affirme que : « l’uniqueeffet [des diplômes] est de dépeupler les cam-pagnes et de créer des légions de déclassés quiépuisent les ressources de leurs familles »216.Dans un esprit rétrograde analogue, la Gazettedu Valais s’enlise dans une polémique entre-tenue avec le Confédéré au sujet de la res-ponsabilité de la non-application de la loi de1873 relative au collège industriel : si cet éta-blissement n’a pas été établi c’est que la popu-lation ne s’en est pas inquiétée et que le besoinne s’en est pas fait sentir ! Le Confédérérecherche cependant les causes de cette apa-thie dans les carences d’une éducation restéetotalement étrangère aux préoccupations éco-nomiques du Valais. Le système est présentécomme le produit insignifiant d’un régimeconservateur cumulant les bévues depuis1873.

�212 Le Con fédé ré , 11 e t 15,

8 e t 22 fév r i e r 1911.213 « Jus t i ce v i s - à - v i s de ce t te éco le

c laus t ra le , subvent ionnée pa rl 'E ta t , qu i rend de s i s igna lésse r v i ces à l a cause de l ' IP » ;in te r ven t ion du che f du D IP,Joseph Bu rgene r, BGC, novembre1910, séance du 21 novembre .

214 Nouve l l i s te Va la i san , 32, 31 janv ie r 1911.

215 Le Con fédé ré , 16, 25 fév r i e r1911.

216 Nouve l l i s te Va la i san , 56 e t 67,28 mars e t 22 av r i l 1911.

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L’interrogation fondamentale qui se pose dansla presse et l’opinion publique, dans lesmilieux industriels, dans la classe gouvernante,est précisément de savoir si les orientationsdéfinies par la loi de 1910 seront réellementappliquées par le règlement d’exécution ou sielles resteront pour la plupart lettre morte àl’image de certaines dispositions de la loi pré-cédente. Les nombreuses tensions, résistances,signes de défiance observés durant l’élabora-tion, l’adoption et les premières applicationsde la loi permettent de douter de la réussitede cet ambitieux projet. Les administrateurs

de l’instruction publique et leur règlementd’exécution donneront-ils à la loi de 1910 saqualité réelle de clef de voûte de l’enseigne-ment secondaire supérieur ouvrant toutesgrandes les portes de l’avenir aux jeunes Valai-sans et favorisant par là toutes les classes dela société ?L’histoire du XXe siècle démontre malheu-reusement qu’il faudra attendre la loi sur l’ins-truction publique de 1962 pour « sortir l’écolevalaisanne de sa longue léthargie et doter lecanton d’un nouveau système de formation,moderne et durable »217.

�217 GU N T E R N 2006, p . 89.

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1910 : la « première » du Co l lège de l ’Abbaye de Sa int -Maur i ce avec,ass i s au cent re, le fu tur rec teur Rageth.(A r ch i ves de l ’Abbaye de Sa in t -Maur i ce)�

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BURQUIER 1909

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300 Jahre Kollegium Brig

COURTHION 1979

CRUBELLIER 1979

DE RIVAZ 1961

DUPONT-LACHENAL1931/32

DUPONT-LACHENAL 1935

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MICHELET 1969

MICHELET 1968

OLSOMMER 1967

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AASM

AES

AEV

AMS

BGC

CE

DI

DIP

EII

EIS

EPF

GC

IP

ORM

AEV, Prot. CE

AEV, Prot. GC

RCB

RCE

RCS

RCSM

RL

RS

Archives de l’Abbaye de Saint-Maurice

Archives de l’Evêché de Sion

Archives de l’Etat du Valais

Archives Municipales de Sion

Bulletin des séances du Grand Conseil du canton du Valais

Conseil d’Etat

Département de l’Intérieur

Département de l’Instruction Publique

Ecole Industrielle Inférieure

Ecole Industrielle Supérieure

Ecole Polytechnique Fédérale

Grand Conseil

Instruction Publique

Ordonnance sur la réglementation des examens de maturité

Protocole des séances du Conseil d’Etat

Protocole du Grand Conseil

Rapport du Collège de Brigue

Rapport de gestion du Conseil d’Etat

Rapport du Collège de Sion

Rapport du Collège de Saint-Maurice

Recueil des lois, décrets et arrêtés du canton du Valais

Recueil systématique des lois et ordonnances fédérales

A b r é v i a t i o n s