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Les organisations comme communautés esthétiques Yoann Bazin – [email protected] ISTEC Commentaires suite à la journée de travail TEM : Jean-Luc souligne qu’il y a deux esthétiques en jeu : - celle du diagnostic et de l’activité qui est bien rendue par le dispositif de scénarisation - celle du lieu (espace, température, odeur, sons) qui mériterait une description plus détaillée, plus fine pour être offerte au lecteur Il trouve que Kant arrive trop brusquement, qu’il faut mieux l’introduire, le justifier au regard du projet La définition de l’esthétique est trop esthétique, il faut la préciser Un intervenant souligne que dans la méthodologie il ne faut surtout pas laisser entendre qu’on pourrait n’avoir plus de médiation entre l’objet d’étude et l’observateur, il y a toujours une médiation, il s’agit juste de limiter les couches Il existe un lien entre esthétique et expérience et donc entre esthétique et hiérarchie qu’il faut explorer, plus on monte en expérience et plus l’esthétique du patient est respectée car le praticien arrive à y naviguer 1

Ethnographie d’un service hospitalier  · Web viewCette participation à la vie d’un service relève bien ce que Malinowski nommait une observation participante au sens d’une

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Les organisations comme communautés esthétiques

Yoann Bazin – [email protected]

ISTEC

Commentaires suite à la journée de travail TEM :

Jean-Luc souligne qu’il y a deux esthétiques en jeu :

- celle du diagnostic et de l’activité qui est bien rendue par le dispositif de

scénarisation

- celle du lieu (espace, température, odeur, sons) qui mériterait une description

plus détaillée, plus fine pour être offerte au lecteur

Il trouve que Kant arrive trop brusquement, qu’il faut mieux l’introduire, le

justifier au regard du projet

La définition de l’esthétique est trop esthétique, il faut la préciser

Un intervenant souligne que dans la méthodologie il ne faut surtout pas laisser

entendre qu’on pourrait n’avoir plus de médiation entre l’objet d’étude et

l’observateur, il y a toujours une médiation, il s’agit juste de limiter les couches

Il existe un lien entre esthétique et expérience et donc entre esthétique et

hiérarchie qu’il faut explorer, plus on monte en expérience et plus l’esthétique du

patient est respectée car le praticien arrive à y naviguer

Il y a aussi une esthétique dans la coordination qu’il faut décrire et lier avec la

communication

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L’esthétique des organisations

L’approche esthétique des organisations

Depuis plus de vingt ans maintenant, les chercheurs en sciences de gestion

ont peu à peu intégré la dimension esthétique du travail et des organisations

(Gagliardi, 1990; Dean & al., 1997; Strati, 1999; Gherardi, 2000; Ewenstein &

Whyte, 2007). De nombreux travaux mobilisent la notion d’esthétique entendue

au sens large, non pas seulement comme jugement du beau, mais aussi pour

caractériser l’omniprésence des corps, des sens, de la beauté, de l’élégance, des

sentiments ou encore des émotions dans les organisations. Ces dimensions de

l’aisthêsis s’avèrent nécessaires à la compréhension des acteurs devant faire face

à des situations complexes et opérer les multiples adaptations et ajustements

nécessaires (Strati, 2003), tant au niveau opérationnel que managérial et

stratégique. Ainsi, ces travaux révèlent l’importance des dimensions esthétiques

relevant du langage et de la communication (Frenkel & Wasserman,

forthcoming), du style et des dress codes (Bazin & Aubert-Tarby, 2013), et des

corps et des gestes (Thompson & al., 2001 ; Bazin, 2013).

On fait ainsi une place au tacite, au sensoriel, à l’intuitif et au corporel.

L’organisation devient le lieu d’un déploiement complémentaire aux opérations

explicites, rationnelles et cognitives. On peut alors comprendre les subtilités des

adaptations des acteurs face à des changements permanents presque

imperceptibles (Riot & Bazin, 2013). Les acteurs doivent constamment

improviser pour pouvoir répondre de manière pertinente et efficace aux

contraintes toujours différentes de situations qui se ressemblent mais ne sont

jamais identiques. Et en miroir, les réflexes acquis au cours du temps demandent

une approche intégrant la dimension corporelle et sensorielle de l’apprentissage.

Une importante part de la connaissance organisationnelle s’ancre dans le savoir

esthétique « qui vient de la compréhension que les praticiens ont de l’apparence,

de la texture, du gout et des bruits de la vie organisationnelle » (Ewenstein &

Whyte, 2007 : 692). Même l’expertise qui intègre une importante part de savoir

formalisé ne peut être comprise sans l’intégration des jugements, des

compréhensions et des compétences apparemment spontanés et automatiques

des experts (Dreyfus & Dreyfus, 2005 ; Schön, 1983). Par conséquent, les acteurs

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des organisations développent une esthétique qui leur est caractéristique en tant

que collectif, pour leur identité et leur modus operandi. Au cours de leurs

carrières, les apprentis et les jeunes professionnels acquièrent un certain sens de

l’activité en développant leurs cinq sens et leur intuition de manière appropriée.

Ca n’est pas seulement présent dans leurs actions concrètes, mais aussi dans

l’expérience sensorielle de l’environnement matériel.

Strati, Organization and aestheticsp. 85: “By contrast, the qualification ‘aesthetic’ seeks to shift the scholar’s attention to the sensible aspects of organizations, to the construction, redefinition or repression of sensible experience, to experience relived in the memory”p. 86: “Georgiou bases his counter-paradigm on the theories of Chester Barnard, who considered organizations to be instruments of cooperation, incentivation and distribution. The aesthetic approach, too, draws on Barnard’s ideas, in particular those of cooperation and the reciprocal dynamics between the formal and informal organization”p. 92: “Feeling, understanding and knowing are intermeshed, and they merge into their being-in-use within the organization” (…) “The members of an organization use skills that they are unable to account for, in the sense that they are more able to apply them than to describe them”p. 94: “The practice of skills is the key feature of organizational courses of action, and knowing how to do what must be done is an essential aspect of both an organization’s raison d’être and its operating principles” (…) “A first reason for this, Polanyi observes (1961a: 458-9), is that it is impossible to provide an adequate explanation of skills in terms of their particulars”p. 95: “Second, there is always something that is left unspecified, there always something that evades explicit knowledge” (…) “Polanyi calls this something ‘tacit knowledge’, and sets this form of knowledge un relation to our bodies, given that a ‘peculiar combination of skilful doing and knowing is present in the working of our sense organs’ (1961a: 461)” (…) “It is thus knowledge which is unsayable, which does not respond to objective and universal criteria, and which each of us possesses in an entirely personal way”p. 102: “The aesthetics of this artefact are negotiated by organizational actors – from those who design and make it to those who commission it and use it in their organizations. Negotiation based on aesthetic judgements, therefore, yields a quantity of organizational artefacts which differ in terms of shape, material and use. The process of social construction of these organizational artefacts displays the simultaneous presence in and organization of a plurality of organizational aesthetics which preclude the assertion of one single organizational aesthetic, namely the one desired by the dominant power group in the organization. The aesthetic judgements of those who own, direct, or at any rate claim the right to use organizational resources to maintain and increase their power – for example, the head of departments or divisions, or those who affirm a male view of organization – are negotiated, translated, overturned or negated but the other persons involved in that particular course of organizational life”

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p. 103: “Aesthetic judgement does not exert its influence on organizational life by virtue of its objective truth, but by virtue of the negotiative dynamics conducted so that it takes one form rather than another” (…) “I have so far stressed the importance of aesthetic judgement in organizational life. I have pointed out that organizational aesthetics is constantly negotiated in a process whose outcome is by no means certain, given the different sensibilities of the actors belonging to organizations” (…) “All these features signal the presence of at least two sources of imprecision n aesthetic judgements: The ambiguity inherent to the formulation of aesthetic judgements (and) The ambiguity relative to participation in a judgement”p. 105: “The Latin origin of the term ‘judgement’ (judicium) locates aesthetic judgement among the essential capabilities of the mind, but does not make it amenable to logical proof. In fact, aesthetic judgement lacks a principle which guides its application, and it must be exercised case by case” (…) “On the other hand, nor is the aesthetic judgement the arbitrary projection of the organizational actor’s subjectivity onto events and actions. Rather, it is the knowing subject’s appreciation of the quality of organization action”.p. 106: “The judgement tells us how te knowing subject represented the organization to him/herself; it does not tell us what the organization actually ‘is’”p. 107: “What, therefore, does the aesthetic judgment concern? For both Bauman and Kant, continues Gadamer, the aesthetic judgement applies to the perfection or imperfection of the particular thing. As sensible judgement (judicium sensitivum) it does not yield concepts but assess the perfection or imperfection of the thing perceived and has the nature of sentiment or taste; it is the gustus or the taste judgement” (…)p. 108: “By ‘aesthetics’, therefore, Baumgarten means whatever affects our senses and belongs to our sensory experience”p. 109: “Assigned to the aesthetic judgment is ‘task of deciding the conformity of this product (in its form) to our cognitive faculties as a question of taste (a matter which the aesthetic judgement decides, not by any harmony with concepts, but by feeling)’ (1790; Eng. Trans. 1952: 35)” (…)” ‘I must present the object immediately to my feeling of pleasure or displeasure,’ observes Kant (1790; Eng. Trans. 1952: 35), so that the feeling of pleasure in this aesthetic judgement is ‘dependent doubtless on an empirical representation, and cannot be united a priori to any concept (one cannot determine a priori what object will be in accordance with taste or not – one must find out the object that is so)’ ’ (1790; Eng. Trans. 1952: 32)” (…) “The aesthetic judgement, that is to say, is the judgement which is disinterested, which expresses purposiveness without purpose”p. 112: “The constantly ongoing process of negotiation in everyday organizational life often involves assertions that are objective, universal and verifiable, but are instead utterly personal, one which convey something otherwise unsayable. This ‘something’ is represented by their aesthetic judgements, which have little to do with explicit description of organizational phenomena”

p. 118: “’Beautiful’, ‘tragic’, ‘grotesque’ and ‘ugly’ (…) they were interpretations of the lived present and of the imagined future, as if they were co-present in the man’s aesthetic understanding of that particular organizational life”

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p. 120: “The aesthetic judgement, as I pointed out following Bozal (1996) in the previous chapter, informs us how the person expressing the judgment represents the organization to him/herself. Its importance fo the aesthetic approach to organizations resides precisely in he ‘representation’ that the aesthetic judgement conveys to the researcher; a judgement which expresses the relation that ties the knowing subject to the organization in question at level of aesthetic understanding and therefore of the pathos of the sensible. The aesthetic judgement has a particular feature that should once again be stressed: it ‘represents’ to the researcher a relation in which both the judging subject and the judged organization are ever-present. And to do so it employs an aesthetic category”p. 125: “It is in fact the Pythagoras concept of harmony that transpires from the beauty of the organization as a jewel; harmony created by the proportion among the relations established in that organization’s particular setting, without their being forced or distorted(…) “consonances”p. 128: “This imponderable quality, which appeared wit the aesthetic philosophy of the Renaissance and, some centuries later, with the first generation of German romantics – and with them more generally European romanticism – shows that rather than the perceptive faculty of vision, at work here is the imagination, which lies beyond the barrier of the sense and creates bridges among them” (…) “The beauty of his organization was sayable by virtue of what Pareyson called ‘forming as doing by inventing the mode of doing (1954: 59)”p. 130: “In the second, beauty relates to feeling, to the imponderable and inexhaustible, and it is endlessly reinvented (poieîn)”p. 133: “We should there fore examine the representation of the organization in the aesthetic judgement, bearing principally in mind that it is not the veridicality of the brightness of the offices or of the tree-lines avenue that is represented by the aesthetic judgement, but rather their symbolizing of beauty for the businessman who talks about it, and for us as we listen to him” (…) “In truth, beauty cannot be explained, write Roland Barthes (1970: 40-1)”p. 136: “It is this that constitutes the process of understanding the beauty of an organization on the basis of the representations of the beautiful produced by the subjects who talk about it. But these subjects do not render these representations into a copy of some authentic organizational truth. Instead they socialize themselves to the truth of these representations and at the same time produce differences among them by interpreting them” (…) Gadamer (1977; Eng. Trans. 1986: 39): “The artist no longer speaks for the community, but forms his own community insofar as he expresses himself. Nevertheless, he does create a community, and in principle, this truly universal community (oikumene) extends to the whole world.” (…) “The aesthetic judgement produces a ‘representation of the thing’ which we should treat as we do an artistic representation, and not, therefore, process it as if it were an opinion and a statement of fact”p. 137: “It tells us that every human practice is profoundly symbolic, so that ‘every practice is a meaning-event which is also a world-event, an opening-up of meaning and its expression’”p. 138: “The aesthetic judgement of the beautiful generates this knowledge-producing aesthetic process, and it poses, as we saw with Gadamer, the question of creation of a community”

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p. 138: “This is a symbolic community which arises on the basis of the sentiment of the beautiful in organizational life, and through reconstruction of the symbolism of this organizational beauty. This is precisely what happens in the formation of communities, given that, as Anthony Cohen (1985: 118) points out, people ‘construct community symbolically, making it a resource and repository of meaning, and a referent of their identity”

p. 158: “Gagliardi argues instead that the scholar’s attention should not focus on basic assumptions but on artefacts themselves, and that if we consider artefacts in and of themselves, we find that they ‘influence corporate life from two distinct points of view: (a) artefacts make materially possible, help, hinder, or even prescribe organisational action; (b) more generally, artefacts influence our perception of reality, to the point of subtly shaping beliefs, norms and cultural values’ (1996: 568)”p. 159: “Artefacts therefore: render an organization into the tangible reality crowded with non-human elements (Latour, 1992), with the ‘things’ that restore identity to the people who belongs to an organization, because it is in the items of quotidian life – the chair, the work table, the tools used in their work – that people find their ‘sameness’, observes Gagliardi (1996: 569), citing a remark by Hannah Arendt (1958: 137)”p. 187: “The aesthetic category of the sublime highlights the beautiful in organizational life, but it does so by imbuing it with mystery, sentiment and turmoil. Rapture and turmoil together characterize a person’s intense aesthetic participation in an organizational event, and the pathos that it arouses in him/her (…) As Jean-François Lyotard (1991) puts it, a representation of the non-representable”p. 188: “This greatness is not identified by the category of the sublime in mimetic adherence to an order whoch already exists and governs the organization, but in the creation f another order, even if it is one difficult to institute and almost impossible to control. The sublime therefore highlights a person’s maladjustment to the organizational order, and the fact that this arouses his/her perception of a mismatch between him/herself and the organization, but a mismatch which is lived ‘imagining a desperate revenge’ (Bodei, 1995: 85). The sublime is therefore a category, write Franzini and Mazzocut-Mis (1996: 291), which denotes ‘a “hedonistic” style whose greatness is connected with pleasure. But this is pleasure of a singular kind aroused by the representation of painful and tragic events’”

La notion d’esthétique chez Baumgarten

L’esthétique, en tant que discipline philosophique, a été fondée par

Baumgarten dans son ouvrage séminal de 1758, Aesthetica. Il la distingue de la

logique pour la doter d’une existence et de dynamiques autonomes. Bien

qu’héritier de Descartes, il ne reprend pas à son compte l’approche trop

objectiviste du beau selon laquelle des lois universelles non seulement existent,

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mais devraient être appliquées dans la démarche artistique ; pour autant, il se

refuse à rejeter cette quête de rationalité (référence). En cela, il est fortement

influencé par l’approche sensualiste qui s’intéresse à l’essence de la poésie et de

l’œuvre d’art et selon laquelle le « monde des poètes » ne peut être jugé selon le

même critère de vérité et d’objectivité que le monde scientifique ; le jugement

esthétique ne peut être uniquement fondé sur ou réduit à une explications

logique et rationnelle.

Ainsi, l’esthétique relève d’une démarche qui n’est pas rationnelle au même

titre que l’esprit géométrique, et s’apparente plutôt à un esprit subtil, sensible,

délicat et élégant. Ainsi, le jugement esthétique relève de la légèreté, de la

flexibilité de la pensée, des transitions subtiles, des frontières poreuses et des

ombres fines, de l’imagination indéterminée et incomplète, de la sensation de

l’émergence de formes inattendues et improbables, du sentir, du mouvement et

de la vie. L’esthétique n’est donc pas seulement métaphysique, évoluant dans des

sphères artistiques qui nous dépasseraient, elle est aussi anthropologique.

Sujette à la subjectivité des individus, elle n’est pas pour autant nécessairement

relativiste. En effet, le jugement esthétique repose sur un goût, un sens

esthétique commun, un sens et un sentiment qui permet un jugement et une

communication. Ces jugements sont radicalement opposés à la compréhension

intellectuelle, ils s’enracinent dans le sentiment et l’expérience de l’élégance, de

l’imagination et de la beauté.

Pour Baumgarten (1758), l’esthétique est « la science de la connaissance

sensible ». Or, le sensible est le domaine de l’indistinct et de l’opaque, de la

sensation, des cinq sens, de l’imagination, de la mémoire, de la fantaisie et de

l’affect. Elle ne fonctionne pas sur des opérateurs et des articulations logiques

mais par des analogies approximatives et souples qui s’opèrent sur les formes et

les apparences. C’est un « art de la pensée élégante » (Baumgarten, 1758). Ainsi,

la beauté constituera la forme la plus parfaite du jugement esthétique, mais il ne

s’y réduit donc pas. Dès lors, l’approche esthétique n’est pas scientifique au sens

de la construction d’un modèle abstrait articulant des éléments logiques. La

sensation de la couleur dans un tableau de Rothko ne se décrit pas en termes de

longueurs d’ondes ; pas plus que l’émotion face à un paysage ne s’exprime dans

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le vocabulaire géologique. Sans nécessairement s’opposer au langage formel de

la logique, l’esthétique lui est fondamentalement irréductible.

Il existe donc, en complément d’une approche logique rationnelle des

organisations, une perspective esthétique qui laisse à l’élégance et aux

sensations une place dans la description, et dans la théorisation.

Les communautés esthétiques de Kant

Pour permettre de penser la communicabilité et l’intersubjectivité du

jugement esthétique, Kant introduit dans la Critique de la faculté de juger la

notion de sensus communis. Il prolonge ainsi l’idée de Baumgarten d’un lien entre

jugement sensible et « le gout au sens large » (Baumgarten, 1758). Kant

rapproche l’expérience du beau du sensus communis, instaurant ainsi la

communauté comme fondement dernier du jugement esthétique. Cette notion de

communauté renvoie chez lui à la « communalité » et à la « communicabilité »

des sentiments et émotions esthétiques.

Il n’y a pas de confusion chez Kant entre esthétique et connaissance, et il ne

tente en rien de rabattre la première dans le champ de la seconde : « un

jugement esthétique n’est ni un jugement de connaissance, ni un jugement

objectif » (p. 172). Par contre, il relève que, dans l’énonciation des jugements

esthétiques, il y a l’attente d’une adhésion, d’une approbation et qu’il existerait

une règle justifiant d’attendre cela. Si ce n’est pas un principe objectif qui permet

de fonder le jugement esthétique, un principe subjectif fondé sur le sens commun

peut permettre d’en comprendre le fonctionnement : « ce n’est donc qu’à la

condition qu’il y ait, dis-je, un tel sens commun, qu’il est possible qu’on porte un

jugement de gout » (p. 174). Ce qui va guider l’analyse de Kant est la possibilité

de communiquer le jugement de gout, car cela l’extrait d’une dimension

purement subjective et individuelle. « La communicabilité universelle d’un

sentiment présuppose à son tour un sens commun, c’est donc avec raison qu’on

pourra admettre l’existence de ces derniers (…) c’est la condition nécessaire de

la communicabilité universelle » (p. 175). Les jugements de gout ne sont pas

fondés sur des concepts, mais sur des perceptions et des sentiments communs et

partagés qui permettent leur communication et la compréhension

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intersubjective des sensations personnelles et privées. « Le principe n’en est que

subjectif, néanmoins il est admis comme subjectif-universel » (p. 176).

Nous parlerons ici plutôt de communauté sociale que d’universalité des

êtres humains. Mais l’idée reste la même : le partage d’un certain sens commun

permettant de fonder une communauté d’expériences esthétiques. Bien qu’elles

soient subjectives et difficilement exprimables car relevant par définition du

sensible - ces expériences sont partageables, compréhensibles et donc

finalement communicables entre les membres de ces communautés esthétiques.

Par un parcours, une socialisation et des expériences similaires et partagées, les

membres d’une organisation développent un sens commun, non pas identique

pour tous, mais leur appartenant justement en tant que communauté. Ainsi, les

acteurs d’une organisation partage à la fois des références formelles, des lieux

d’activité, des missions, des outils, des contraintes règlementaires, un

vocabulaire, etc. mais aussi des émotions, des perceptions et des sentiments. En

parallèle de la communauté formelle cherchant à atteindre des objectifs

explicites, l’organisation est aussi une communauté esthétique et c’est sur cet

aspect que nous nous concentrons ici.

Les organisations comme communautés esthétiques

Il ne s’agit plus de se concentrer uniquement sur la dimension rationnelle

et efficace des organisations, mais aussi d’intégrer la dimension esthétique des

pratiques organisationnelles et des expériences des acteurs. Cette approche

esthétique fait une place au ludique et au sensorielle, à l’improvisation et à

l’élégance, au tacite et à l’implicite, à l’appropriation et au style, à

l’expérimentation et à l’innovation. Comprendre et pratiquer cette esthétique

devient un marqueur d’appartenance à l’organisation, des signes parfois

imperceptibles que les membres émettent et captent. Sans forcément devenir

explicite, en se maintenant à l’état tacite (Strati, 2003), ces signes manifesteront

la compétence et l’appartenance (Ewenstein & Whyte, 2007). Les organisations

sont donc aussi des communautés au sein desquelles une certaine esthétique est

partagée. Comme le formulent Ewenstein & Whyte (2007 : ?), « ainsi, la

connaissance esthétique est quelque chose que les acteurs et les communautés

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peuvent développer comme style indentifiable ». Le partage d’un sens esthétique

est au fondement d’une communauté professionnelle (Bazin & Aubert-Tarby,

2013).Non seulement partagé, mais aussi condition nécessaire pour les acteurs

qui ne peuvent collaborer et se coordonner sans partager des éléments

sensoriels et corporels de leurs activités et pratiques organisationnelles. On

pourra alors comprendre ce qui fonde l’organisation en tant que communauté,

mais aussi ce qui la fragmente en interne, ainsi que ce que lie des acteurs

apparemment déconnectés (géographiquement, fonctionnellement,

professionnellement, etc.).

Voir les organisations dans leur dimension esthétique permet d’élargir

notre compréhension vers les éléments symboliques, corporels et sensoriels. De

plus, les éléments formels sont aussi porteurs d’une dimension esthétique. Ainsi,

les organisations sont aussi des communautés esthétiques dont les dimensions

corporelles, symboliques et sensorielles permettent aux praticiens de se définir,

de communiquer et d’agir. Chez Baumgarten (1758), l’esthétique n’est pas une

invention ou une création purement individuelle, elle s’ancre dans une

anthropologie. Sa dimension subjective repose donc aussi sur un sens commun

partagé permettant la communication des jugements et expériences esthétiques.

Or ceci a été spécifiquement examiné par Kant dans sa Critique de la faculté de

juger.

Jugement esthétique et communauté de gout

Strati & Gherardi

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Quelle méthodologie pour capturer la dimension esthétique des

organisations ?

Une inspiration majeure : l’ethnographie

« Conditions propres au travail ethnographique. - Elles consistent surtout,

nous venons de le dire, à se couper de la société des Blancs et à rester le

plus possible en contact étroit avec les indigènes, ce qui ne peut se faire que

si l'on parvient à camper dans leurs villages »

Malinowski, 1922 : IV

Capter et ressentir l’esthétique d’une communauté requiert une

connaissance intime et une proximité. Il m’est donc apparu évident que

l’approche ethnographique constituait une méthodologie pertinente. En effet, au

regard des dimensions sensibles et subtiles mentionnées plus haut, cette

« description des peuples » (ethno – graphie) propose un mode de collecte des

données qui permet de capter finement les représentations, les sensations et les

intuitions d’un groupe social. Plus précisément, l’anthropologie culturelle se

propose d’étudier l’ensemble des éléments partagés qui permettent à un groupe

de faire communauté, de se reconnaître et de définir son identité (référence ?).

J’ai donc choisi de conduire mon étude empirique dans cette perspective, par un

travail de terrain et un contact prolongé avec les praticiens au sein d’un service

de psychiatrie d’un hôpital universitaire en cherchant à comprendre le « point de

vue de l’indigène » (Malinowski, 1922 : 25). Ainsi, il fallait aborder le terrain par

une immersion en profondeur, non seulement dans l’organisation (présence

quotidienne dans le service durant plusieurs mois), mais aussi dans le mode de

vie (travail en bibliothèque des facultés de médecine, présence à des cours en

université) et l’apprentissage de la « langue » (lecture de manuels, multiples

discussions avec des médecins). Cette participation à la vie d’un service relève

bien ce que Malinowski nommait une observation participante au sens d’une

implication sans intermédiaires dans les rites et autres habitudes d’une

population donnée. Si le chercheur reste toujours plus ou moins distancié, il

convient tout de même de parler d’implication dans le sens où il fini

nécessairement par « faire partie » du groupe dans une certaine mesure. En cela

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il n’est plus ni tout à fait étranger, ni véritablement un membre du groupe, c’est

un observateur participant.

« Mais l'ethnographe n'a pas seulement à placer ses filets au bon endroit et

à attendre qui viendra s'y jeter. Il doit se montrer chasseur dynamique,

talonner sa proie, la diriger vers les rets et la poursuivre jusqu'en ses

derniers retranchements. Ceci nous conduit aux méthodes plus actives

pour la recherche des documents ethnographiques »

Malinowski, 1922 : V

Une étape indispensable : l’étude exploratoire

« L'ethnographe doit s'inspirer des résultats les plus modernes de l'étude

scientifique, de ses principes et de ses buts. Je ne m'étendrai pas sur ce

sujet et ne ferai qu'une remarque à ce propos, pour éviter tout malentendu.

Un bon entraînement portant sur la théorie et la connaissance de ses

données les plus récentes ne consiste pas à avoir l'esprit farci d'idées

préconçues »

Malinowski, 1922 : IV

Toute la difficulté d’une étude anthropologique est de ne pas arriver trop

tôt sur le terrain, car le risque est alors d’être submergé par les données et de

voir sa compréhension saturée et ses perceptions se limiter au bruit et à la

fureur d’un quotidien étranger. Pas trop tôt donc, mais pas trop tard non plus.

Ou, plus précisément, pas après s’être fait une idée trop précise de ce terrain au

travers de multiples lectures qui finissent par former un filtre qui risque de

« tordre » les perceptions pour les faire rentrer dans un cadre pré-conçu. Il faut

préparer son étude sans saturer sa compréhension, mais tout de même avoir une

idée des coutumes, des représentations, du vocabulaire, des évidences et des

choses sacrées afin de « limiter les dégâts » (Copans, 2002 : 27). Il me fallait donc

devenir un familier du terrain, non seulement de la psychiatrie en général, mais

aussi de ce service hospitalier en particulier.

J’ai commencé par le faire « de loin », allant consulter des ouvrages de

psychiatrie dans les bibliothèques universitaires des facultés de médecine. Cela

m’a permis de rencontrer des étudiants, entre la première et la cinquième année,

régulièrement présents sur le campus, de discuter avec eux et de découvrir ce

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qu’était le parcours d’un psychiatre en formation. Certes cela aurait pu aussi être

fait directement dans le service hospitalier, mais cette connaissance permet de

mieux comprendre par la suite les silences et les ellipses, les sous entendus et les

private joke saisis çà et là. Elle permet de partager des expériences sensibles

plutôt que des informations formelles. En effet, pour être accepté parmi les

« indigènes », il fallait au moins en connaître le vocabulaire et les habitudes.

L’arrivée dans le service allait ainsi être déterminante et il faudrait, dès les

premières minutes, arriver à se faire oublier.

« Aussitôt que je me fus établi à Omarakana (îles Trobriand), je commençai

à participer, à ma façon, à la vie du village, à attendre avec plaisir les

réunions ou festivités importantes, à prendre un intérêt personnel aux

palabres et aux petits incidents journaliers; lorsque je me levais chaque

matin, la journée s'annonçait pour moi plus ou moins semblable à ce qu'elle

allait être pour un indigène »

Malinowski, 1922 : IV

Une présentation du terrain particulière : la scénarisation

« Recueillir des données concrètes sur une grande série de faits est donc

l'un des points essentiels de la méthode empirique. Il ne suffit pas

d'énumérer quelques exemples, il faut épuiser, dans la mesure du possible,

tous les cas qui sont à votre portée. »

Malinowski, 1922 : VI

Pour pouvoir présenter et représenter les dimensions esthétiques des

organisations, la présentation des données demande un dispositif particulier.

Ainsi, j’ai choisi de condenser mes observations, de les scénariser pour en faire

un récit que le lecteur pourra appréhender, tout en respectant le foisonnement

de la vie de tout terrain d’observation. Pour laisser une place à la fluidité des

éléments esthétiques, je raconterai dans la prochaine section quelques jours de

la vie quotidienne d’un service. Pour autant, ces éléments n’était pas le seul objet

d’observation et la retranscription se doit de le montrer. « Les histoires vraies

comme celle-ci se situent entre la fiction et les sciences sociales (…)

encourageant les lecteurs à expérimenter l’expérience » (Ellis, 1993 : 711). Si les

faits ne sont pas déroulés exactement dans la temporalité exposée, aucun d’eux

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n’a été inventé et leurs multiples enchevêtrements ont été respectés, tant que

faire se peut. La subjectivité du chercheur n’est donc en rien évacuée ou

dissimulée, elle est mise en avant pour faire comprendre, pour donner à voir. Ici,

les travaux de Latour (2002) ont été une inspiration majeure. Alternant entre

récits des situations du Conseil d’Etat, ses impressions ressenties face aux

situations observées et des retours vers les textes et manuels juridiques, il

permet au lecteur d’appréhender, lui aussi, la fabrique du Droit dans toute sa

complexité. Je ferai donc de même, émaillant le récit de moments réflexifs qui

feront partager au lecteur l’émergence de la compréhension et la sensibilité

esthétiques acquise jour après jour.

La rigueur du travail ne tient alors plus seulement à la méthode

d’observation, mais aussi à la qualité littéraire de la retranscription et de la

présentation. Et l’évaluation en est double. Dans un premier temps, il s’est agit de

présenter ce récit à des praticiens pour estimer dans quelle mesure cette

production correspond à une représentation plausible au regard de leur

expérience. C’est ce que j’ai fait – sur et en dehors de notre terrain - et les retours

ont été positifs. Ça n’est finalement pas surprenant puisque six mois de présence

et quatre années d’étude sur un sujet donnent, naturellement, une

compréhension intime du phénomène en question. La seconde évaluation vient

ensuite, et c’est l’objet de la prochaine section : la présentation des éléments du

terrain à des non-praticiens. Il s’agit alors pour le chercheur d’être capable de

faire comprendre, non plus seulement aux insiders, mais aux spécialistes de sa

discipline de référence ce qui est en jeu dans son étude.

« En ethnographie, entre le matériau brut de l'observation - tel qu'il se

présente au chercheur dans ses propres observations, dans les récits des

indigènes et dans le kaléidoscope de la vie tribale - et l'exposé ultime et

apodictique des résultats, il y a souvent une distance énorme à parcourir.

Abolir cette distance est la tâche qui incombe à l'ethnographe au cours des

années laborieuses qui séparent l'heure où, abordant sur une rive indigène,

il tente d'entrer en contact avec les habitants, de l'époque où il couche ses

conclusions sur le papier. Un bref aperçu de ces tribulations, telles que je

les ai moi-même vécues, éclairera ce point mieux sans doute que ne le ferait

un long débat abstrait. »

14

Malinowski, 1922 : II

15

Ethnographie d’un service hospitalier

Mercredi

J’arrive le mercredi 1er avril 2009 dans ce service d’hospitalisation

psychiatrique que je connais déjà puisque j’y ai fait des observations l’année

précédente. Suivant les recommandations classiques, je suis un peu en avance et

je griffonne quelques notes dans la cafétéria adjacente. Je connais un peu le lieu

ce qui calme ma timidité naturelle, je me sens moins perdu que la première fois

même si j’appréhende la découverte de ce nouvel environnement. Je suis censé

l’étudier et prendre du recul et pourtant, ce que je ressens me rappelle plus une

rentrée des classes qu’autre chose… Je me prépare mentalement à l’observation,

à ce qui pourrait la biaiser et donc principalement à l’explication que je vais

donner de ma présence. J’hésite puis finis par trancher : le prétexte de ma

présence sera « une étude des fonctions et de la communication

organisationnelle dans un service de psychiatrie ». Les termes sont relativement

techniques mais en même temps compréhensibles. Avec un peu de chance, ils

poseront peu de questions et mes réponses pourront rester vagues. À neuf heure

moins cinq, je me présente à l’accueil pour rencontrer la médecin que j’ai

contacté pour cette étude de terrain. Je dois la suivre pour les visites et découvrir

le service. « Le docteur Niéto n’est pas là aujourd’hui, elle n’est jamais là le

mercredi ». Première surprise, on m’avait pourtant bien dit de me présenter le 1er

avril et me voilà déjà démuni. D’autant plus que l’infirmière de l’accueil, n’a

aucune intention de laisser entrer un étranger dans le service, et encore moins

de lui fournir une blouse blanche, le Graal officiel et nécessaire pour circuler

dans l’hôpital. Elle appelle la « CCA1 ». Cette dernière arrive, elle a vaguement

entendu parler de ma venue mais il y a une confusion sur mon identité (elle me

pense étudiant en sciences sociales). Je laisse planer le doute mais insiste sur la

légitimité ma présence (validation par le chef de service, rendez-vous avec la

médecin). Etant donné que je tombe « pendant le rush du matin », et vu que « la

démarche (lui) dit vaguement quelque chose » même si on ne l’a pas vraiment

avertie, elle me donne une blouse et me propose de la suivre. Elle s’appelle Sarah,

1 Chef de Clinique Assistant.

16

elle a une trentaine d’année, semble un peu stressée et le tutoiement se fait

spontanément. Elle se propose de me présenter « l’autre CCA » un peu plus tard.

Je commence à comprendre qu’une fois dans les rouages, la présence d’un

acteur, quel que soit son statut, est automatiquement acceptée. Cela doit

permettre de contourner les rigidités potentielles ainsi que les

dysfonctionnements de l’organisation. De plus, tous les acteurs semblent

pressés de reprendre leur activité, cette déconcentration ne leur plait pas.

Nous sommes à peine arrivés dans le service que Sarah me présente aux

personnes présentes comme « un étudiant en observation ». Elle me demande si

c’est bien ça et j’acquiesce. Après s’être présentée comme « la CCA, la responsable

de l’unité », elle commence à faire un point sur les patients avec les internes,

oubliant presque instantanément ma présence.

Je perçois déjà des types de relations très différents selon les personnalités,

et une hiérarchie très présente. Les internes demandent conseil aux CCA,

les étudiants « externes » demandent conseils aux internes. Même si

l’ambiance est plus que détendue (tenues identiques en dehors du badge,

tutoiement, pas de positions formelles) les différences de statuts sont

clairement structurantes pour les interactions, bien qu’à peine

perceptibles.

Ils évoquent rapidement les cas des patients de leur unité et préparent

l’organisation de leur matinée. Après ce rapide bilan, ils vont voir certains des

patients dont ils ont parlé pendant que je passe chercher une blouse et un badge

à l’accueil. Je les rattrape ensuite et, la blouse aidant, personne ne semble se

demander qui est cet intrus qui se joint au groupe.

Entre deux chambres, au détour d’un couloir, nous croisons Gaël par

hasard, le CCA de l’unité du service qui est à l’étage. Il a aussi la trentaine, plus

décontracté que Sarah. Je monte à l’étage avec Gaël pour « un tour du propriétaire

». Si c’est officiellement le même service, l’ambiance y est clairement différente.

Le climat semble plus détendu (le premier étage est plus lumineux, les couleurs

sont plus chaudes, il y a quelques plantes vertes), le personnel n’a pas

exactement la même attitude (plus cordiale) et même les équipements ont l’air

plus neufs… Gaël et une interne sont curieux de mon travail et l’explication du

« stage d’observation » ne leur suffit pas. Mais un infirmier vient les voir à propos

17

d’un patient ce qui clôt la discussion pour le moment. La façon dont ils discutent

est, elle aussi, plus détendue qu’au rez-de-chaussée.

Je commence à comprendre pourquoi les médecins parlent des services en

des termes très différents selon l’hôpital dans lequel ils sont. En fonction

des acteurs, principalement le chef de service (mais les CCA ont aussi une

influence), le climat peut changer du tout au tout. Au-delà de ça, même si

l’activité est directement encadrée des procédures administratives

omniprésentes, la liberté d’action d’un service semble importante, ne

serait-ce que dans son apparence et son ambiance.

Jeudi

Ce matin, il y a un cours de « LCA2 » auquel les externes n’assistent pas. Une

interne présente un article publié en 2009 dans l’American Journal of Psychiatry.

Tout le monde est là sauf le chef de service et Sarah remarque que « il est assez

mystérieux sur ses horaires d’arrivée ». Gaël tente d’appeler son bureau mais

n’obtient pas plus de détails. Un psychiatre du service arrive et s’assoit. Sara lui

fait remarquer qu’il est « à la place du chef », mais il ne réagit pas. Il discute avec

Gaël : « Il est là le patron ? Non ? On va attendre encore 5 minutes… » Le chef de

service fini par arriver en trombe et sans s‘excuser. « Allez, zou ! ». Il parle de la

manifestation tamoule de la veille et fait un aparté sur la situation politique au

Sri Lanka. Ensuite, et sans transitions, il demande à l’interne de commencer.

L’article porte sur l’évaluation de l’efficacité d’une molécule sur les troubles

bipolaires. Pour lui, les statistiques sont bancales et « ce n’est pas parce que c’est

publié dans une grande revue que l’étude est bonne ». D’ailleurs, la molécule n’est

pas accréditée en France. Il critique ensuite les posologies mises en place dans

l’étude épidémiologique en plaisantant sur le manque d’adaptation des dosages

de la part des généralistes ainsi que sur l’obsession des psychiatres à vouloir

faire varier les doses. Au passage, il rappelle les différences de prescriptions

entre la France et l’Angleterre. Il a un certain franc-parler et ne porte pas de

blouse. Sa chemise est assez ouverte et laisse entrevoir ses poils de torse.

Loin d’être tenue éloignée du champ de la pratique, la recherche en

médecine me semble en faire partie intégrante. Pour autant, elle est

2 Lecture Critique d’Article

18

envisagée ici apparaît avec une certaine souplesse. Durant cette séance

hebdomadaire, les psychiatres les plus avancés peuvent partager leur

expérience, non seulement en matière de recherche ou d’essai

thérapeutique, mais aussi à propos de la pratique quotidienne. La figure du

chef de service s’impose symboliquement, et même spatialement, de

manière un peu caricaturale mais j’ai le sentiment que je ne suis pas non

plus face à une exception.

Je retourne dans le service et y trouve une interne un peu stressé car elle

est seule pour le gérer ce matin. En discutant avec un psychiatre de passage, elle

se rend compte qu’un des dossiers est vide. Il lui dit qu’il faut le remplir, « c’est

un patient du chef donc tu mets ce que tu veux mais tu le remplis. C’est

apparemment un dossier qui va être lu et relu ».

Il semble que le chef de service ait des patients qu’il suit personnellement

et qu’il faut particulièrement soigner. Le respect qu’il inspire confine

parfois à la peur et il représente plus une figure presque totémique qu’une

présence réelle. J’imagine qu’il doit être relativement peu présent pour

avoir ce statut et, d’ailleurs, il semble être physiquement peu au contact des

acteurs, psychiatres comme des patients.

Intrigué, je demande à l’interne si le chef de service passe souvent.

« Régulièrement, et surtout il regarde les dossiers » m’indique le PH.

Peut-être que cette figure un peu abstraite est le produit de passages

rapides et d’une surveillance « à distance » par le biais des dossiers.

À propos d’une patiente qui a posé des problèmes de diagnostic, elle se tourne

vers le psychiatre en lui disant que « elle avait un tableau vachement bizarre » et

« un contact étrange »

Je remarque qu’entre praticiens, champ lexical est très porté sur le sensitif

et l’esthétique : tableau, contact, étrangeté.

Décrivant le cas, l’interne explique que la patiente est là depuis dix jours et

qu’elle est encore en train d’être testée. Elle dit au psychiatre que c’est un cas

vraiment intéressant, très original. Un « beau cas » répond-t-il.

19

Encore une fois le critère esthétique intervient. Quand les psychiatres

parlent de « beau », je commence à comprendre que ce qui plait : c’est le

diagnostic et le travail à faire autour du patient. Il va falloir découvrir

quelque chose, avoir une idée originale, relever un défi. Dans la routine de

l’univers hospitalier, ces « beaux cas » sortent de l’ordinaire et semblent

stimuler les médecins. C’est pour cela que quand elle parle avec ce

psychiatre, l’interne se concentre sur des patients considérés comme

intéressants qui sont à la fois ceux qui leur posent le plus de problèmes et

ceux qui les stimulent.

Vendredi

Il est 9h, j’attends dans la salle de garde avec trois externes qui discutent

entre eux. La conversation oscille entre des problèmes pratiques (réalisation des

ECG, déroulement du stage) et des échanges sur leurs études (révision, conseils).

L’entraide semble être de mise dans ces moments. Lorsque nous apercevons de

loin l’interne passer dans le couloir, tout le monde se dirige spontanément vers le

bureau médical pour « les transmissions », le point quotidien sur les patients.

Entre deux cas, je parle d’une des psychiatres du service avec l’interne. On

évoque ses qualités de diagnosticienne, elle me dit que « déjà, elle est PH, mais en

plus, c’est Florence ». Apparemment, au-delà du respect du statut de « praticien

hospitalier », cette praticienne particulière est reconnus pour ses compétences.

Nous discutons de l’ambiance dans le service et les rapports entre médecins et

infirmières. Une étudiante trouve que c’est plutôt détendu par rapport aux

autres stages d’externat qu’elle a faits avant (« et j’en ai fait pas mal »). L’interne

lui dit de creuser, que c’est pas si simple : « si toi tu as fait pas mal de stages,

imagine moi… » et que « certaine choses ne se voient pas ».

Oubliant un moment les patients du service, l’interne donne des conseils

aux étudiants externes sur le concours de l’internat. Selon elle, pour réussir

l’épreuve, « il faut les grandes lignes, la logique générale du truc. Vous n’aurez

qu’une heure par cas donc il faut vite aller à l’essentiel. Si vous avez bien compris la

logique clinique, vous allez aller super vite et vous gagnez du temps. Si vous rentrez

dans les détails, vous allez vous planter. C’est pas que ça marche pas de tout

apprendre, c’est que c’est juste pas possible ! »

20

L’apprentissage est donc officiellement reconnu comme devant relever

d’abord des grandes lignes, d’une vision d’ensemble. Je comprends que,

pour les psychiatres, la compréhension globale que demande la formation

sera ensuite affinée par la mise en pratique. La capacité de diagnostic

viendra petit à petit, avec le temps et l’expérience, et la profession en a bien

conscience. Ca n’est en rien quelque chose de seulement intuitif ou d’oublié,

il y a une réelle réflexivité derrière cela.

Samedi

Je suis un peu en avance ce matin donc je circule dans l’hôpital en attendant

et j’en profite pour explorer un peu l’espace et sortir du service, voir les lieux

hors des espaces « fonctionnels ».

Je suis encore étonné de pouvoir circuler aussi facilement partout dans

l’hôpital. Je découvre instantanément ce que veut dire « conférer un

statut ». La blouse permet d’être identifié facilement et je suis assimilé

automatiquement au corps médical. On me prend pour un interne car j’en

ai l’habit. Si je prends un air naturel et qu’en plus je dis « bonjour » en

passant, l’illusion est parfaite. Non seulement les patients me saluent mais

les infirmières aussi et l’on me demandera même des informations (pas

médicales mais sur l’hôpital ou la présence de tel médecin). Je commence à

saisir que l’organisation, face à un turn over important (externe 3 mois,

interne 6 mois, CCA 2 ans), ce sont les rôles qui deviennent primordiaux et

que ces rôles s’incarnent dans certains artefacts dont la blouse fait partie.

Personne ne me demande d’où je viens et qui je suis, la blouse permet de circuler

librement et légitimement. Une seule chose intriguera certains médecins : mon

absence de badge ; sans pour autant qu’ils ne me disent quoi que ce soit. Chaque

personne a un badge sur lequel est indiqué son nom, son grade et surtout son

service. Le coup d’œil vers le badge est un automatisme entre internes s’ils ne se

connaissent pas et certains sont visiblement étonnés de ne pas voir mon

appartenance affichée.

21

Je ne comprendrai l’importance de ce badge et de tous ces détails qu’après,

lors d’une discussion avec des amis, l’un psychiatre, l’autre externe. Leur

racontant l’épisode de la blouse, ils me répondent que c’est surtout mon

badge qui doit intriguer et que, eux jettent toujours un œil dessus. Cela

donne lieu à plusieurs plaisanteries et anecdotes qui me pousseront à

prêter plus attention aux réactions face au badge. Je saisis alors que la

blouse ne suffit pas tout à fait à faire le médecin, son service hospitalier est

aussi essentiel. Dans l’univers quelque peu impersonnel de l’hôpital, le

rattachement à un service apparaît comme central. D’ailleurs, lorsque les

médecins se présentent, le nom du service précède la plupart du temps

celui de l’hôpital ; les deux restent toutefois toujours énoncés.

Lundi

Ce matin, il y a une « réunion de staff vidéo » durant laquelle le cas d’un

patient dans le service à ce moment est présenté. Il y a une psychiatre, les deux

CCA, presque tous les internes, les externes et des psychologues. À la fin de la

vidéo de l’entretien, une des externes va au tableau pour faire la description du

cas, elle propose un certain nombre de points. La discussion se fait surtout avec

la psychiatre et un peu avec les internes qui interviennent ponctuellement pour

préciser certains éléments. L’étudiante pose des questions sur la formulation :

« j’ai pas de mots scientifiques pour le discours ». La psychiatre précise les termes

et les choses qu’il fallait voir pour construire « une bonne description ». Un des

internes revient sur des dimensions comportementales avant d’entrer dans les

motifs d’hospitalisation. Ensuite, ils travaillent sur les critères diagnostiques. Les

internes précisent la terminologie et les définitions ; le ton est très pédagogue.

On s’assure continuellement de la compréhension des étudiants.

Un nouvel élément me frappe à ce moment, les externes sont tour à tour

traités comme des acteurs du service qui doivent assurer leurs tâches et

comme des étudiants que l’on encadre avec une certaine indulgence. Ici, on

les accompagne de manière très protectrice pour qu’ils comprennent

comment « voir comme un psy »3. Il y a un certain paradoxe dans la

3 Expression empruntée à une des externes du service.

22

coexistence de ces rôles, et en même temps quelque chose d’intéressant

puisque cela permet d’alterner pratique et réflexivité en permanence.

Les conclusions sur le cas restent en suspens. Apparemment, la patiente n’a pas

encore été précisément diagnostiquée, et ce n’était pas le but de la réunion que

d’y arriver. La psychiatre ajoute même : « ça me ferait mal que des externes

trouvent direct alors que ça fait deux mois qu’on cherche ». Elle précise encore les

termes exacts pour la description des symptômes et conseille les internes sur les

méthodes de diagnostic : un premier niveau sur l’interprétation des symptômes,

un second sur le diagnostic en lui-même, « en suivant l’arbre diagnostique ». Ils

cherchent une pathologie « collant au tableau psy » en incluant des critères

psychologiques (tests projectifs, Rorschach, etc.) À la fin, tout le monde discute

librement dans son coin et une externe me dit que « d’habitude c’est plus simple.

C’est plus fait pour nous ».

Face à un cas difficile comme celui-là la complexité du processus de

diagnostic m’apparaît. Je n’avais pour l’instant vu que des patients

« standards » dont les symptômes et pathologies étaient classiques pour les

psychiatres et même pour les étudiants. Il est intéressant de découvrir que,

pour des cas plus complexes, le diagnostic, sous couvert de l’analyse

rationnelle des symptômes, se fait de manière plus intuitive. C’est une

quête d’un sens que les praticiens poursuivent, faisant tourner ce fameux

« tableau psy » pour lui trouver une cohérence. Les écarts entre les grades

deviennent alors plus prégnants puisque c’est l’expérience qui va faire la

différence. On cherche à savoir si un cas similaire a déjà été vu, lu ou étudié

par quelqu’un durant de son parcours.

Dans l’après-midi, j’assiste à la réunion hebdomadaire du staff qui a du être

avancée parce que le chef de service n’était finalement pas disponible le

lendemain. Le cas d’un patient est présenté devant le reste de l’équipe, mais cette

fois sans les étudiants et de manière plus orientée vers l’établissement d’une

diagnostic. C’est une des patientes du chef de service souffrant de troubles du

comportement alimentaire dont il est question aujourd’hui. Les internes

décrivent le cas et vont au tableau écrire la symptomatologie. Ils proposent des

idées et en discutent avec un des psychiatres. Les autres les accompagnent dans

leur réflexion pour qu’ils identifient les éléments pertinents. Le psychiatre fait à

23

nouveau référence à ce qu’est une « bonne description ». La phase d’identification

de ce qui constitue ou non un symptôme fait l’objet de multiples discussions.

Pour les internes, la différence entre un comportement normal et des signes de

pathologie n’est pas évidente et les autres peinent parfois à leur expliquer. Le

chef de service arbitre et affine les explications, laissant parfois les autre

s’embrouiller un peu. Ils ne rentrent qu’ensuite dans la problématique du

diagnostic à proprement parler.

Je me rends compte que, au-delà du diagnostic, cette réunion est aussi faite

pour les internes. On leur apprend à présenter un patient, mais pas

n’importe comment. On leur explique comment organiser leur

compréhension de cette nébuleuse de symptômes à laquelle ils sont

confrontés. Parfois perdus devant les patients, ils apprennent ici à voir ce

qui est vraiment important. Comme ce matin, c’est un véritable transfert de

pratique. L’apprentissage ne se fait donc pas purement sur un mode tacite

immergé. On cherche clairement ici à les rendre réflexifs tout en affinant

leurs intuitions. Et ce faisant, les autres praticiens plus expérimentés le

deviennent aussi. C’est en tout cas une des conséquences de la manière de

faire du psychiatre qui pousse les internes à bien expliquer comment ils

procèdent.

Avant de conclure, le chef de service les aide à préciser encore un peu plus les

termes et en profite pour conseiller les internes sur la méthode du diagnostic

différentiel. « Comme toujours, l’objectif est de trouver un diagnostic collant au

tableau psychiatrique ».

C’est un véritable cours de méthodologie. C’est aussi le moment de montrer

ses capacités à ceux d’au-dessus… La méthodologie transmise, même si elle

se fonde sur les symptômes, n’est en rien réductrice. Ou en tous cas pas de

manière caricaturale. C’est un moyen de donner sens au « tableau », trop

complexe pour être appréhendé comme tel. C’est un prisme mis en

pratique qu’on cherche à leur transmettre directement au sein du service,

au contact des patients qu’ils connaissent déjà, qu’ils peuvent « voir ».

La réunion n’aura duré qu’une petite heure mais tout le monde semble un peu

fatigué. Le chef de service conclue rapidement et les internes retournent dans les

services. Les psychiatres discutent du cas de manière informelle. Apparemment,

24

le fait d’en parler aux internes en détaillant certains points leur a donné des

idées.

Mardi

J’arrive un peu en retard ce matin et je retrouve les externes dans la salle

de garde. La CCA qui n’était pas là ces derniers jours leur demande « qui fait

quoi ? » car elle est « un peu perdue aujourd’hui ». Elle manipule un vocabulaire

technique sans faire vraiment attention et perd régulièrement les externes. Ainsi,

le terme « structure psychotique étrange » laissera les étudiants interloqués. Nous

allons voir un patient.

En guise d’introduction, Laurence lui propose de baisser sa dose de

Tercian4 et lui demande lequel des comprimés il voudrait enlever dans la

journée. A la fin, pendant le débriefing avec les externes elle dit que « le contact

est meilleur », et précise que « dans la symptomatologie dépressive, je dirais que

c’est à dominante anxieuse ». Une externe décrit la patiente et l’interne valide et

précise les termes. Elle fini en disant : « ça va ? J’ai oublié quelque chose ? » C’est

l‘interne qui conclue et décide du traitement en expliquant pourquoi. L’externe

pose des questions sur les médicaments et les dosages. Il répond un peu

sèchement puis décide du patient à voir après, elle semble libre dans ce choix.

Pris dans le cours de l’activité les externes ont régulièrement droit à ces

pauses qui leur sont consacrées. Ces courts moments leur permettent de

mettre des mots sur les choses, et clarifier occasionnellement le tacite qui

règne dans ce processus de diagnostic.

4 Médicament utilisé couramment en psychiatrie pour traiter les états psychotiques aigus.

25

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