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JEAN-PAUL ETL'ÉGUSE DES HOMMES S omrnes-nous si en colère contre Jean-Paul II, que nous répon- dions à sa visite par un dossier sur la place des femmes dans l'Église catholique romaine 7 Pourquoi cette colère ? Même interventionnistes, ses propos ne modifient pas concrètement nos vies quotidiennes. Catholi- ques, nous en ignorons les inter- dits contraceptifs. Non croyantes, ce n'est même pas nous qu'il admoneste. Et pourtant, nous nous sentons concernées. Au premier degré parce que son autorité «morale» s'infiltre dans les décisions politi- ques de nos États- concordat ou non-, qu'il s'agisse de l'interdiction de l'avortement. de l'éducation sexuelle, de la répression de l'homosexualité, etc. Ici comme aux États- Unis, elle soutient le combat d'une droite qui s'en prend aux femmes. Au deuxième degré, nous sommes encore trop imbibées d'éducation et de morale catho- liques pour ne pas sentir le poids excessif du «péché», de la culpabilité», du «bien et du mal», du «sacrifice»... À la moindre révolte justifiée contre l'ordre si «naturel» des hom- mes et des curés, ne sentons-nous pas la petite communiante en nous se reprocher de ne pas être «gentille» avec son prochain ? Nous sommes de ces nombreuses Québé- coises qui. parallèlement à leur prise de conscience féministe, ont déserté l'Église et ses pompes. D'autres, féministes aussi, ont choisi d'y rester, de critiquer l'institution et, en même temps, de tenter la conquête de ce bastion farouchement mâle. C'est-à-dire d'y prendre leur place, à la fois comme femmes aux prises avec la réalité moderne (de la double tâche, de la contraception, de la famille plus morcelée, etc.). et comme cro- yantes désireuses de plus d'espace spirituel et de plus de pouvoir «temporel». Volontairement, c'est à elles, ces féminis- tes chrétiennes, ces Chevalières de Troie, que nous laissons l'«autre parole». Pour décrire le sexisme de l'Église-institution. et toutes les séductions nouvelles des «prêcheurs de pom- me», elles connaissent le dossier mieux que personne. Leurs contradictions, pourtant, sont palpables - autant que leur désir de lutter dans la marginalité de l'Église sans rompre les liens tout-à-fait. Mais quand la théologienne féministe radi- cale Mary Daly, interviewée par Nicole Brossard. critique un Boy Jean-Paul trop comique pour être vrai, elle nous rallie toutes - ou presque. Amen ~> FIN septembre 1984 Plusieurs femmes Ce dossier est une idée de Lise Moi- san. qui a coordonné la recherche et réalise la plupart des entrevues. Ont participé aux entrevues Nicole Brossard, à la recherche Suzanne Nobert, Marlène Wildeman et Denise Boucher, à la tra- duction Claudine Vivier, à la rédaction Françoise Guénette. Pour leur collabora- tion désintéressée, nous remercions soeur Dolorès Riopel, du Centre d'orga- nisation de la visite papale ; Messieurs Gilles Thibeault et Paul Boily de lAssem- 21 blée des évêques du Québec ; Madame Huguette Fortin, membre de la Commis- sion pontificale sur la famille : Jean Lapierre.de Radio-Canada ; Serge Morin, de la Gauche socialiste. Et pour avoir répondu à nos questions, merci aussi à Réjeanne Martin. Anita Caron, Flore Du- prié, Louise Desmarais, Lucie Leboeuf, Judith Dufour, Martine D'Amour. Isabelle Drolet, Louise Lebrun. Diane Gariépy, Mary Daly - et aux astrologues Claudette Gagné et Louise Haley. LA VIE EN ROSE

ETL'ÉGUSE S DES HOMMES

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JEAN-PAULETL'ÉGUSE DES HOMMES

Somrnes-nous si en colère contreJean-Paul II, que nous répon-dions à sa visite par un dossiersur la place des femmes dansl'Église catholique romaine7

Pourquoi cette colère ? Mêmeinterventionnistes, ses proposne modifient pas concrètementnos vies quotidiennes. Catholi-ques, nous en ignorons les inter-

dits contraceptifs. Non croyantes, ce n'estmême pas nous qu'il admoneste.

Et pourtant, nous nous sentons concernées.Au premier degré parce que son autorité«morale» s'infiltre dans les décisions politi-ques de nos États- concordat ou non-, qu'ils'agisse de l'interdiction de l'avortement. del'éducation sexuelle, de la répression del'homosexualité, etc. Ici comme aux États-Unis, elle soutient le combat d'une droite quis'en prend aux femmes.

Au deuxième degré, nous sommes encoretrop imbibées d'éducation et de morale catho-liques pour ne pas sentir le poids excessif du«péché», de la culpabilité», du «bien et dumal», du «sacrifice»... À la moindre révoltejustifiée contre l'ordre si «naturel» des hom-mes et des curés, ne sentons-nous pas lapetite communiante en nous se reprocher dene pas être «gentille» avec son prochain ?

Nous sommes de ces nombreuses Québé-coises qui. parallèlement à leur prise deconscience féministe, ont déserté l'Église etses pompes. D'autres, féministes aussi, ontchoisi d'y rester, de critiquer l'institution et,en même temps, de tenter la conquête de cebastion farouchement mâle. C'est-à-dire d'yprendre leur place, à la fois comme femmesaux prises avec la réalité moderne (de ladouble tâche, de la contraception, de lafamille plus morcelée, etc.). et comme cro-yantes désireuses de plus d'espace spirituel etde plus de pouvoir «temporel».

Volontairement, c'est à elles, ces féminis-tes chrétiennes, ces Chevalières de Troie, quenous laissons l'«autre parole». Pour décrire lesexisme de l'Église-institution. et toutes lesséductions nouvelles des «prêcheurs de pom-me», elles connaissent le dossier mieux quepersonne. Leurs contradictions, pourtant,sont palpables - autant que leur désir delutter dans la marginalité de l'Église sansrompre les liens tout-à-fait.

Mais quand la théologienne féministe radi-cale Mary Daly, interviewée par NicoleBrossard. critique un Boy Jean-Paul tropcomique pour être vrai, elle nous rallie toutes- ou presque. Amen ~> FIN

septembre 1984

Plusieurs femmesCe dossier est une idée de Lise Moi-

san. qui a coordonné la recherche etréalise la plupart des entrevues. Ontparticipé aux entrevues Nicole Brossard,à la recherche Suzanne Nobert, MarlèneWildeman et Denise Boucher, à la tra-duction Claudine Vivier, à la rédactionFrançoise Guénette. Pour leur collabora-tion désintéressée, nous remercionssoeur Dolorès Riopel, du Centre d'orga-nisation de la visite papale ; MessieursGilles Thibeault et Paul Boily de lAssem-

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blée des évêques du Québec ; MadameHuguette Fortin, membre de la Commis-sion pontificale sur la famille : JeanLapierre.de Radio-Canada ; Serge Morin,de la Gauche socialiste. Et pour avoirrépondu à nos questions, merci aussi àRéjeanne Martin. Anita Caron, Flore Du-prié, Louise Desmarais, Lucie Leboeuf,Judith Dufour, Martine D'Amour. IsabelleDrolet, Louise Lebrun. Diane Gariépy,Mary Daly - et aux astrologues ClaudetteGagné et Louise Haley.

LA VIE EN ROSE

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JEAN-PAULLe balayeur du templepar Françoise Guénette

Quand Karol Wojtyla, le 9 sep-tembre, posera sur la joue de lapremière petite bouquetièrequébécoise venue un bec augoût d'asphalte frais, se redira-t-il in petto, riant sous sa capeimmaculée, que celle-là nonplus ne deviendra jamais prê-t » ?

Scénario absurde, évidem-ment. Stupide, même Mais qui résume bienmon embarras personnel (suis-je vraimentla seule ?) : en Jean-Paul II j'ai peine à voirautTe chose qu'un pape star, habilementmédiatisé, déployant efficacement soncharme et son charisme pour, essentielle-ment, ramener sous la coupe de l'Église lesmillions de brebis égarées - surtout femelles- qui ont déserté ses bergeries, pourtantlaïcisées et modernisées par Vatican II.Brebis dont je suis, bien sûr.

L'homme peut charmer : n'a-t-il pas mal-gré sa robe le charme très viril, un peu brut,de l'athlète de Dieu ~> (Ça change de Pie XII).Le symbole vivant et bavard du sexisme del'Église catholique romaine n'en est que

plus dangereux. En moi la brebis rebellehésite entre l'apostasie et les boules Quiès.Mais la curiosité est la plus forte. Qui est cethomme? Pourquoi est-il né à Wadowiceplutôt qu'à Lachine ? Pourquoi voyage-t-ilautant "> Est-il allergique à l'ocre des mursromains ? Comment le recevrons-nous ici ?Et qui paiera le bill ? Autant de questionspassionnantes pour une journaliste d'en-quète

C'est écrit dans le cielQuand le petit Karol voit le jour, le 18 mai

1920 à Wadowice, en Pologne, sous le signedu Taureau (je ne sais pas son ascendant,l'heure de sa naissance étant tenue secrètepar Mgr Casaroli, secrétaire d'État, mais jedirais Sagittaire), il fait nuit. Cela, joint à lamort de sa mère neuf ans plus tard, expliquela passion dévorante qu'il vouera toute savie à la Vierge noire de Czestochowa Elleincarne pour lui la femme idéale, sublimée,trop loin du réel pour en être souillée. Déjà,sa carte astrale le confirme, son rapport auxfemmes est écrit dans le ciel. Nous yreviendrons.

LA VIE EN ROSE

Prêtre en 1946, auteur en 1948, à Rome,d'une thèse sur l'ascétique Jean de la Croix(celui que Claire Bretecher dessine recou-vert de mouches), ce premier de classe estnommé évêque en 1958 (à l'âge de 38 ans),archevêque de Cracovie en 1964 et cardinalen 1967 ; enfin, il sort vainqueur le 16octobre 1978 des fumées du Conclave.

Depuis, il a fait une quarantaine devoyages autour du monde, au grand déses-poir des hôteliers romains qui ont vudécroître une clientèle déçue de ne pasretrouver le fils de Pierre à sa place. Placedangereuse, il faut le dire : qui voudrait sefaire tirer dessus en pleine bénédiction parun terroriste turc ? De là à s'envoler pourdes contrées plus tranquilles : Irlande, Bré-sil, Nicaragua, Guatemala, Philippines,etc.. il n'y avait qu'un jet.

Évidemment, ce ne sont là que desvoyages pastoraux, qui n'ont rien de poli-tique. Bien sûr, il a encouragé l'Église dePologne à soutenir Lech Walesa (le Vaticanaurait même versé autour de 100 millionsde dollars dans les caisses du syndicatSolidarité). Bien sûr. il a sympathisé avec lePhilippin Marcos et condamné l'implicationdes curés dans la lutte révolutionnaire auNicaragua. Faut-il pour cela l'accuser de nepas toujours savoir distinguer les bons desméchants ? Après tout il n'est pas juge,seulement pape. Pourquoi serait-il infailli-ble ? Et puis Danuta Walesa, souvente mèreet excellente catholique, l'avait influencé.

Allez vous rhabiller !L'Amérique, malheureusement, devait

en 1979 lui réserver une mauvaise surprise.Ce matin du 7 octobre, à Washington, unereligieuse en civil, Soeur Theresa Kane (parailleurs présidente d'un regroupement de lamajorité des religieuses américaines) fit unpetit crochet dans son laïus de bienvenuepour répéter au Très Saint Père que «pourrespecter ses propres appels au respect detoutes les personnes. l'Église doit accorderaux femmes l'accès à tous les ministères».

Dans les rangs, une cinquantaine desoeurs s'étaient levées pour la «backer», etla moitié moins une des 5 000 autres applau-dissaient. Avec émotion (?), il leur rétorquaqu'elles devaient plutôt se re-conformer aumodèle de la Vierge Marie (ah ! tiens,

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tiens !). en «son rôle librement consenti demère de servante de Dieu» et «vouer leurvie à une disponibilité totale à servir selonles besoins de l'Église».

Les exégètes relient cette vision de laFemme mère, éducatrice et si possiblevierge à son expérience polonaise. Ce n'estpas la seule chose qu'il importe au Vatican,en 1978 : venant d'un État communiste etcentralisateur - quoique archi-catholique- cet homme qui a dû et su obéir aux ordresdu Parti entend bien se faire obéir de lamême façon par ses employé-e-s et fidèles.

Ainsi, le Vatican s'est littéralement polo-nisé, militarisé, depuis son arrivée, admetl'Observatore romano. l'organe officiel deSaint-Pierre ('). D'abord, Jean-Paul II aincité les prêtres à regagner le port de lasoutane. Puis celui à qui Paul VI avait déjàconfié la réforme de l'administration vati-cane a continué son grand ménage dutemple : il a écarté les Jésuites un peu tropcontestataires et réprimandé les curés ou-vriers, les théologiens de la libération etautres rigolos laxistes. Par contre, il s'estrapproché de l'Opus Dei. cette internationalechauve et laïque d'extrême-droite, qui dis-pose d'une puissance financière énormemais occulte.

Disons, pour résumer, que ce tradition-naliste est en train de «révolutionner»l'Église catholique, de remettre en ordreune «institution déboussolée, doutantd'elle-même, tiraillée entre les intégristesstyle Mgr Lefebvre et les curés guérilleros(...) Il faut resserrer les rangs : fini leschrétiens à mi-temps, les églises populairesou alternatives, le marxo-christianisme».1

Douze fois pour les sourdesQuand le Saint-Père se tourne vers ses

ouailles, il réitère le «caractère indissolubledes liens du mariage» et «l'incompatibilitédes relations sexuelles avant le mariageainsi que des activités homosexuelles avecle dessein de Dieu pour l'amour humain»(Ouf !). Encore cet été, il dépensa ses douzediscours hebdomadaires à recondamnerl'avortement et le contrôle artificiel desnaissances. Comme si les catholiquesn'avaient pas encore compris.

Mais déjà à Lourdes en 1980, il avait faitune apparition remarquée : «Je n'aurai decesse que l'avortement, la contraception etl'homosexualité soient mis hors-la-loi danstous les pays du monde sans exception»(Même au Vatican ?). Il faut comprendreque ce balayeur du temple se sent inspiréd'une mission divine, face à l'écroulementmoral de ce monde décadent (surtout àl'Ouest). Cela explique la passion de sesdéclarations - et peut-être en partie sonvoyage au Canada. Le cardinal de Cracovie.en visite à Montréal en 1969, n'avait-il pastrouvé déplorable la dégringolade d'uneÉglise jadis si prospère et le relâchementsubséquent des moeurs locales ?

Et pourquoi dire que c'est un discoursréactionnaire? (Féministes, vous n'avezrien compris !) Jean-Paul II est fidèle audogme catholique. Il ne fait que sa job de

pape quand il décide, en bon légaliste, derécupérer les enseignements éparpillés del'Église en matière de morale sexuelle et defamille (encycliques, discours, etc.) pour enfaire (en novembre 1983) une Charte desdroits de la famille semblable à des résolu-tions du premier de l'an (irréaliste), et (enjanvier 1984) un nouveau Droit canon quiconserve sept motifs d'excommunicationautomatique, dont les «actes abortifs».

De temps en temps, il regarde sa prose de1962, Amour et responsabilité, pour vérifier siles positions de l'Église correspondent tou-jours aux siennes. Habituellement, ça va aupoil («On sent le plagiat», disait ma prof delatin).

Martina Navratilova ait renoncé au sien,deux semaines avant !)

Combien de Québécois-e-s assisteront-ils et elles à ce «happening de la foi», avec àla main la rosé du pape en polyester etplastique qu'ils auront achetée dès la finmai à 7$ pièce? 200 000? 300 000? Mal-heureusement, si l'on se fie à l'auditoire desJeux Olympique de Los Angeles, ce neseront pas tous et toutes de vrai-e-s athlètesde Dieu. Le bon grain, je le crains, semélangera à l'ivTaie voyeuse, profiteuse debénédictions gratis et nostalgique de laSaint-Jean sur la montagne.

En tout cas. prions pour que les pèlerinset pèlerines du parc tirent un certain récon-

Pas de rosé, merci

Mais naît pas prophète qui veut et lavaste tournée de ré-évangélisation ponti-ficale serait un flop (même au Canada) sil'homme était moins jeune, sympathique,doué pour six langues au moins, indestruc-tible. En plus il sourit autant que Jean- PaulI, sans que ça lui porte malheur. Quand onsait qu'il voulait, jeune, être comédien... onne peut que se féliciter qu'il soit devenuaussi metteur en scène.

Ainsi, pour l'avoir déjà vu me bénir sur laplace Saint-Pierre un matin de Pâques(j'étais là par hasard), entourée de soeurspolonaises hystériques et de 300 000 autrestouristes, je sais que cet homme devraitdonner un bon show le 11 septembre auParc Jarry. (Dommage, quand même, que

fort de ces jeux divins (une productionRadio-Canada, diffusion l'après-midi sur-tout, ça nous reposera d'Au jour le jour) ences temps où le fric et le pain viennent àmanquer (le vin n'est pas un problème, jesais).

Quant à moi. je m'excuse. Très Saint Père,je serai en pique-nique sur le Mont-Royalce jour-là, avec d'autres brebis égarées.Désolée, c'était déjà planifié FIN

1/ Bernard Poulet. Les Nouvelles. Un pape avecune bonne droite, 14-20 septembre 1983

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Résistance et célébrations

LES FEESL'ACTION

MENENT

par Lise Moisan

Âsa création, à Montréal, en1978, la pièce Les fées ont soifde Denise Boucher, avait dé-clenché une levée des boucliersde l'extrême-droite catholiquelocale... et une belle bagarre.Parce que le Très Saint-Père n'apas eu la chance de le voir àl'époque, ce texte théâtral serarepris et présenté du 8 au 14

septembre pai le Théâtre des cutitua ' Inter-prété par trois comédiennes incarnant de-puis longtemps la parole des femmes in-soumises : Luce Guilbeault, Pauline Julienet Katherine Mousseau, dirigé par Eve-Marie, ce sera l'un des points culminants (etjouissifs) de la montée des protestations etripostes à l'imminente Visitation.

Alors que nous baignons depuis un andans les eaux montantes d'articles, repor-tages et émissions sur la venue de la DivineDiva, rappelons que ce sont des féministes,autant modérées que féroces (dirait Arman-de Saint-Jean), qui ont réagi fort et vite.

Le Réseau d'action et d information pour lesfemmes (RAIF) a d'abord dénoncé, par voiede télégramme à Jean-Paul II, «l'insulte»de la béatification de Mère Marie-Léonie.En mai dernier. 1 730 féministes chrétiennesachetaient une page dans Le Devoir pour«protester contre le sexisme de l'Église».En juin, le Collectif pour le retrait des femmesde l Église lançait une action d'abjuration dela foi. au moyen d'une pétition qui fit vite

boule de neige. Pour étendre le mouvementelles créaient un regroupement plus large,le Collectif pour la liberté des femmes, etlançaient une deuxième pétition qui, re-prenant la même dénonciation des «posi-tions rétrogrades du pape et de l'Églisecatholique», n'incite pas cependant lessignataires à se retirer de l'Église. Au mo-ment d'aller sous presse, l'accumulationdes signatures allait bon train (jusqu'au 25août).

La stratégie de l'autrucheÀ deux mois de l'événement. La Vie en rosé

(Merci, Suzanne Nobert) rejoignait unecinquantaine de groupes et d'organismesprivés, publics ou populaires, confession-nels ou non, d'une extrémité à l'autre duspectre idéologique (!). pour connaître leurspositions - et leurs actions le cas échéant

Évidemment, les Guides et Scouts duQuébec, les Chevaliers de Colomb, les Fillesd'Isabelle et le Mouvement Desjardins annon-çaient fièrement diverses formes de parti-cipation. Les commissions scolaires deTrois-Rivières, de Québec, de Montréal etde Hull, pour ne nommer quelles, disaientavoir procédé à une «énorme mobilisationd'effectifs et de matériel» : «Dans toutes lesécoles, on a intensifié et orienté vers cettevisite l'enseigneméVu de la catéchèse.»Quoique prévisibles, ces préparatifs sontplus inquiétants que comiques.

Katherine Mousseau. Luce Guilbeault, Pauline Julien

LA VIE EN ROSE 24

Inquiétant aussi, jusqu'en juillet, le si-lence de la «gauche». Heureusement, lespétitions, ces initiatives de féministes mili-tantes aguerries au flux et reflux des offen-sives politiques patriarcales, semblent avoirfinalement galvanisé les individu-e-s (sinonleurs groupes) progressistes. Depuis l'an-nonce de la visite pontificale, il y a un an,depuis le premier «Ah non, merde alors !»murmuré en privé, plusieurs groupes habi-tuellement vifs à réagir, notamment le mou-vement d'action catholique, semblaientenvier un certain volatile au cou démesuré(l'autruche, oui. bravo). Les pétitions leurdonnaient l'occasion rêvée de s'en mêler,individuellement.

En tant que groupes, c'est différent. Leschrétiens de gauche (JOC nationale. JECnationale. Mouvement des travailleurs chré-tiens. Regroupement Action Milieu, etc.), coin-cés entre l'arbre et l'hostie, paraissent at-tendre que la poussière retombe pour res-pirer. Flegmatiques, les porte-paroles d'au-tres groupes (Centre de pastorale en milieuouvrier. Mouvement des étudiant-e-s chrétien-ne-s du Québec. Institut canadien déducationdes adultes. Mouvement socialiste, etc.) nousassurent qu'ils «réagiront sûrement... maisseulement si un événement majeur vientdéclencher la controverse !»

Les quatre centrales syndicales invo-quent des «raisons légitimes» (lesquelles7)de s'abstenir. Pour elles aussi, c'est «busi-ness as usual».

Quant au Conseil du statut de la femme, il avoté contre une prise de position officielle(Madame Mackenzie. êtes-vous là ?) Endernière heure; des groupuscules commeGauche socialiste, la revue Révoltes et le Centreétudiant de recherche et déformation publienttracts et affiches et organisent une danseanti-papale. À Québec, par ailleurs, unequinzaine de groupes de gauche et féminis-tes préparent la même chose.

À surveiller. FIN

1/ Denise Boucher, Les fées ont soif. Ed. Inter-mède. Montréal. 1981.

2/ Du 8 au 12 septembre, à la Salle Alfred-Laliberté de l'Université du Québec à Montréal.Billets en vente dès le 4 septembre au guichet, à8$ et 6$ (pour étudiantes, chômeuses, etc.).

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UNEIZZARLAESSE

ean-Paul II est le 262' pape del'Église catholique romaine (etlavant-dernier de tous, selonles prophéties de Nostrada-mus !). Mais saviez-vous qu'enl'an 855 l'un de ses prédéces-seurs a été une femme ?

Jusqu'à la Réforme du 16'siècle, le pape Jean VIII a figuré

^ ^ dans les registres de l'Église,entre Léon IV et Benoît III. Puis on l'en aextirpé. Non sans difficultés, les historien-ne-s ont rapiécé les faits.

Il est dit que Jean VIII était à l'origine unesavante religieuse d'Angleterre qui s'estdéguisée en homme pour être admise dansles écoles d'Athènes. Puis elle enseigna lathéologie à Rome où son érudition lui valutd'être nommée cardinal. Élue pape à la mortde Léon IV, elle consacra son énergie aupeuple, à l'écriture et à la promotion del'éducation.

Cette belle histoire devait se terminer lejour d'une longue et fatigante procession àtravers Rome. On a d'abord cru à un miracle ;l'étonnement se lisait sur tous les visages.Leur bon Pape Jean n'était-il pas en traind'accoucher en pleine rue "> Personne ne seserait indigné qu'un pape ait des amant-e-s,la chose était courante. Mais qu'il soit unefemme? C'en était trop. On lapida sur-le-champ pape et enfant.

Après la Réforme, quelques Jésuites dé-sireux de nettoyer limage de l'Église, arra-chèrent du registre papal les pages concer-

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nant Jean VIII. Surtout, ils instaurèrentl'obligation d'un examen génital avant touteélection d'un nouveau pape. Et, effective-ment, ce rite - Habet' - sauva le monded'une autre papesse.

Jusqu'au 16' siècle, une statue de Jeannes'élevait à l'endroit de sa mort- puis le papeSixte V la jeta à la rivière ! Aujourd'hui, unepetite chapelle à la Vierge Marie y voisineune pizzeria. C'est l'hommage de Rome àJeanne.2 FIN

Behind the VeilCe film documentaire de Margaret

Westcott (en deux parties dune heurechacune et en 16mm couleur) est uneproduction du Studio des femmes del'Office national du film (ONF) Tourné enItalie, en Irlande, aux États-Unis et auQuébec, il présente une vue d'ensemble del'histoire des communautés religieuses àtravers le monde depuis 2 000 ans et ildonne la parole à des religieuses quiluttent contre le racisme, l'oppression, etcontre le sexisme qui règne autant àl'intérieur qu'à l'extérieur de l'Église.

La version anglaise sera disponible àpartir de novembre, la version françaiseultérieurement. Il est possible d'organiserdes visionnements privés en communi-quant avec Mychèle Fortin au (514) 333-3133

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1/ Habet: cette coutume tient-elle encore7 Sioui. elle est maintenant tenue secrète, l'électiondu pape se déroulant à huis-clos de toute façon.Mais, depuis la papesse Jeanne, c'est en tâtantsous sa robe qu'on vérifiait si le futur pape étaitvraiment un homme S'il y avait des couilles, lecardinal vérificateur clamait à haute voix et enlatin le mot Habet. qui signifie : il en a. (Merci,Denise Boucher)2/ Ce texte est inspiré du film Behind the Veil(Derrière le voile), de Margaret Westcott (Voir ci-contre).

Tasse-toi, Jean-Paul !Pour fêter et promouvoir la redécou-

verte de la Papesse Jeanne, cette «réchap-pée de la grande efface patriarcale» (diraitJovette Marchessault), les deux artistesKathleen McFall et Debra d'Enoremontnous offrent ce t-shirt qui égayera notregarde-robe anti-papale d'automne. Distri-bué à travers le Canada, on peut se leprocurer dans toutes les bonnes librairiesféministes, les centres de santé des fem-mes, les cafés et les bars «alternatifs»,chez Futonia. dans certains magasinsd'aliments naturels et aux centres d'infor-mation pour femmes. Prix : 8,50$. gran-deurs : de petite à extra-large.

Une partie des recettes ira aux centresde santé et à l'émission de radio féministeconçue et animée par McFall et d'Entre-mont : Matrix, sur les ondes de Radio-Centreville à MontTéal.

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L'EGUSEDESHOMMESComme des diablesdans l'eau bénite

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| audra-t-il repêcher encorelongtemps les perles nausé-abondes de Thomas d'Aquin,telle : «La femme est par nature

I soumise à l'homme, car l'hom-me jouit avec plus d'abondancedu discernement de la raison»(Contra Gentiles, II, 123), pourdémontrer le sexisme fonda-mental de l'Église catholique

romaine ?Depuis dix ans, des débats historico-

théologiques sur la présence/absence defondements théologiques à l'exclusion desfemmes du sacerdoce nourrissent sporadi-quement la page Libre opinion du Devoirou les émissions religieuses de Radio-Canada. Grâce à la visite du pape- Merci ?-voici que la question des femmes dansl'Église rejoint maintenant des cibles plus«populaires» : le 3 août dernier. SoeurClaire Richer, curée de Saint-Michel deNapierville, ' révélait aux 350 000 (?) lecteurs-trices du Journal de Montréal qu'elle n'iraitpas voir le pape à l'Oratoire, puisqu'elle n'yétait pas invitée comme les prêtres, que«l'Église est sexiste et que personne ne peutle nier», que «les femmes devraient êtrenommées prêtres pour être là où les déci-sions se prennent.»

Bien qu'elle représente courageusementdes milliers d'autres religieuses québécoi-ses, Soeur Richer risque d'attendre encorelongtemps : si Jean-Paul II, faisant fi desconseils des évêques canadiens, aborde les

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questions controversées ici de la moralesexuelle, de l'avortement et de la prêtrise.ce ne sera vraisemblablement que pourréitérer les positions les plus traditionnellesde l'Église.

Or, alors qu'on invoque souvent les acteset paroles de Jésus et des apôtres pourjustifier l'exclusion des femmes du pouvoirecclésial, entre autres, il semble que la«tradition» elle-même les ait précédés.

Flore Duprié, professeure en sciencesreligieuses et historienne, auteure d'unethèse sur la condition des femmes de laRome ancienne, a comparé le discours desauteurs latins à celui des Pères de l'Église,les premiers définisseurs de la doctrinechrétienne.

«Au sujet du mariage par exemple, dit-elle, le discours et les exigences sont lesmêmes, si ce n'est que l'Église a apporté unedifférence : l'indissolubilité. À Rome, seulsles hommes pouvaient divorcer - en répu-diant leurs femmes ! Avec la consolidationdu pouvoir de l'Église, le divorce a étéstrictement interdit, ce qui jouait parfois enfaveur des femmes, les protégeait mieux.»

Église catholique romaine : il y a là plusqu'une indication géographique. En fait, lastructure de l'Église et son code légal, leDroit canon, s'inspirent directement d'unecivilisation hyper-patriarcale où les fem-mes, enfants et esclaves, non sujets endroit, dépendaient entièrement du Paterfamilias.

Les purs et l'impureComme pour mieux renforcir cette op-

pression, les grands penseurs chrétiens ontrepris la dichotomie corps/animal/nature/femme versus esprit/divinité/culture/hom-me... aboutissant ainsi à des questionscomme : «La femme a-t-elle une âme, sielle n'est pas créée, elle, à l'image deDieu ?» (Ou, version moderne : à vitesseégale, une femme sans homme est-elle plusou moins rayée qu'un poisson sans bicy-clette ?)

La réponse était pourtant claire : «Lafemme est un objet impur de répugnance et,malheureusement, d'attirance, de péché etde perdition pour l'homme» (paraphrasesynthétique de Paul, Augustin et les autres).Malgré son absurdité pathétique, ce folkloresous-tend encore la controverse au sujet dusacerdoce des femmes. À une étudiante quil'interviewait, un évêque québécois répon-dait récemment : «Vous, les femmes et lesthéologiennes, vous devez d'abord trouverdes arguments théologiques pour justifiervotre place dans l'Église. Ceux évoquésjusqu'à présent ne sont pas valables : trou-vez-en de meilleurs mais, surtout, inventezde nouvelles manières d'être dans l'Église.Vous pleurez parce que vous n'avez pasvotre place mais c'est de votTe faute, soyezplus créatrices. L'Église a besoin de serenouveler, c'est à vous de nous faire despropositions.»

Alors, pourquoi ne pas donner aux fem-mes déjà très engagées dans la pratique

ecclésiale, comme la curée Claire Richer. ledroit d'administrer les sacrements 7 «Ahnon. rétorqua le cher homme, faites tout ceque vous voulez, inventez n'importe quoi,mais les sacrements c'est nous et n'y tou-chez pas !»

Même si la plupart des hommes d'Égliseexpriment plus subtilement leur... blocage,il est évident qu'ils ne renonceront jamaisaux sacrements, la partie magique de leurpouvoir. «En gros, résume Flore Duprié, leurargument pour le refuser aux femmes atoujours été : «Nous sommes purs et lesfemmes impures, c'est donc nous et paselles qui avons droit à ce pouvoir magique !»Tant que nous n'aurons pas réfuté cettepositioa l'Église sera un cul-de-sac pour lesfemmes. Il suffit donc de prouver que lafemme est pure...»

. .et que la terre est ronde, en plus7

Heureusement, comme l'Église vient deréhabiliter Galilée, tout n'est peut-être pasperdu pour les aspirantes-prêtres !

Les prêcheurs de pommeL'attachement viscéral des curés anciens

et modernes pour leur «Boy's Club» et lepouvoir qu'il confère est évident. Mais,comme nous ne sommes ni au 17' siècle niau Vatican, l'intelligentsia ecclésiale duQuébec, l'Assemblée des évèques, est do-minée en ce moment par des penseursplutôt progressistes, surtout réalistes, quiont bien digéré le «désarroi et la nostalgie»ressentie par le clergé dans les années 60.

Pour sortir de son «exil» une Église peu àpeu abandonnée par 70% de ses baptisé-e-s.ils n'avaient guère le choix : il fallait suivreles voies oecuméniques de Vatican II etconvaincre les laïcs en général, les femmesen particulier, de la nouvelle sensibilité del'Église à leurs revendications. Et ce fut ledébut dune belle époque de consultation.

Flore Duprié et Anita Caron, celle-ci co-fondatrice du module de sciences religieu-ses à l'UQAM, ont joué le jeu : «Déjà en1963, nous avons préparé pour Vatican IIun texte sur la situation des femmes inspirépar Le deuxième sexe de Simone de Beau-voir... sans beaucoup de conséquences.»En 1973, la Conférence catholique desévêques du Canada les invitait, avec 68autres Canadiennes, à une réunion d'éva-

luation des besoins de femmes, etc..suivie d'autres commissions, rapports,engagements. «Nous nous rendons compte,reprend Anita Caron, que nos efforts pourfaire valoir la place des femmes dansl'Église sont vains : c'est parler dans le videet amener des gestes de récupération, riende plus. Vingt ans plus tard, ils ont vraimentappris notTe langage, pour le réinterpréter.Les évêques veulent réfléchir sur les condi-tions des femmes, connaître leurs interven-tions, mais ils ne veulent pas que lesfemmes participent véritablement aveceux, à cette réflexion. C'est la ligne defond.»

Des changements cosmétiquesAux femmes (et aux laïcs) qui deman-

daient plus de pouvoir décisionnel, lesévèques québécois allaient donc offrir desmodes de consultation plus ou moinsbidon, copiant en cela leurs anciens voisinsde collèges classiques devenus ministresdu P.Q. En endossant superficiellement lediscours et les préoccupations des femmes,entre autres, ils pouvaient assurer la surviede leur Église sans en questionner radica-lement la structure. La liste est longue deces «actes de récupération».

Déclarations, comités d'étude et sondagesaboutissaient en 1981 à la création par leConseil des affaires sociales de l'A.E.Q., duRéseau de répondantes diocésaines à lacondition féminine. Cette vingtaine de fem-mes a le mandat d'informer les évêques duvécu des femmes et de leur proposer desactions prioritaires, en lien avec les grou-pes de femmes. (Comme leurs consoeurs augouvernement quoi !) Ces conseillères n'ontpas évité à l'AEQ quelques gaffes dont sadéclaration anti-avortement de 1982.«maladroite» aux dires mêmes d'un colla-borateur de l'AEQ, assez réactionnaire pouravoir soulevé un tollé de protestations, ycompris de chrétiennes.

L'Église finançait déjà depuis longtempsles mouvements anti-avortement et lesorganismes familiaux prônant, entre autres,comme seule contraception l'abstinence enpériode de fécondité. «Mais il y a d'autresformes de récupération des femmes, ajouteFlore Duprié ; en contraception. l'Église àencouragé la méthode sympto-thermiqueen donnant un soutien financier extraordi-naire aux laïcs engagés dans sa promotion,comme Serena Elle soutient aussi les mou-vements de couples : Remuement conjugal(Maniage Encounterj. Rendez-vous, Serviced'orientation des foyers. Couples et familles. »

Anita Caron reprend : «Autre exemple : laliturgie. On nous permet de lire l'Êpître(mais non l'Évangile) ou d'animer les chants,comme si c'était des rôles importants. Alorsque ce ne sont que des fonctions de service,des changements cosmétiques, une nou-velle fioriture. Rien de plus. Nous ne pou-vons toujours pas influencer l'orientationmême de la liturgie.»

«On a essayé, rappelle Flore Duprié, de

septembre 1984 27 LA VIE EN ROSE

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MW0Û

pallier le manque de prêtres en nommantdiacres2 des hommes, surtout mariés.Maintenant, on permet à leurs épouses desuivre exactement le même cours- jusqu'àl'examen - et de s'impliquer dans la pratiqueautant que leurs maris. Mais on leur refusetoujours de devenir diacres elles-mêmes.»

«Et pourtant, poursuit-elle, les évêquesne font plus rien sans avoir une femme surleur comité. Ils appellent systématiquementle Mouvement des femmes chrétiennespour des témoignages ou un «rapport». Ilsne veulent jamais plus être accusés de nepas tenir compte de la voix des femmes.Mais c'est pour la forme : dans l'action, ilsl'ignorent».

Tristes androgynesToute la campagne de mobilisation pré-

cédant la visite papale aura mis en évidenceaussi l'importance de la pastorale dans lesécoles, prisons, hôpitaux, auprès de «po-pulations captives» qui n'ont pas le choixde recevoir ou non l'enseignement, d'êtreou non présentes, de participer ou non auxcélébrations. Cela au prix d'investissementsconsidérables de temps et d'argent.

Or, quels sont les effets de la pastoraleactuelle sur les jeunes, par exemple, cesjeunes que Jean-Paul II traitera aux petitsoignons lors de son passage à Montréal ?Flore Duprié et Anita Caron enseignent àdes filles issues de ces pastorales de secon-daire ou de collégial : «C'est incroyable, àpleurer; elles ont 20, 21 ans et aucunecombativité. Elles ne voient aucun problè-me, n'ont aucun intérêt au féminisme Ellesviennent chercher ici une recette d'amourpour mettre dans le monde...

«Cela reflète bien le genre de récupéra-tion qui s'opère dans les milieux religieux.Les activités pastorales ne portent que surla vie affective : on est bien et on fait debelles cérémonies ensemble, on fête, on secreuse des nids douillets. C'est leur premiercontact avec la religion : chercher desréponses simples.

«C'est une génération qui en a marre desbagarres, entre hommes et femmes parexemple. Ils et elles sont attiré-e-s parl'androgynie, qui serait la réconciliation dumasculin et du féminin. Mais la reprise dece mythe grec est un piège : la réalité duconflit entre les hommes et les femmesdisparaît, c'est la fusion !»

Cela ne ressemble-t-il pas au mariagecatholique où l'homme et la femme ne fontplus qu'une personne : l'homme ~>

Flore Duprié et Anita Caron sont d'accordavec notre boutade. «Selon les livres, re-prend lune, il y eut l'ère du matriarcat, queles féministes ont exhumé, puis celle dupatriarcat, et là on s'en va vers la synthèse :«l'androgynarcat».

Les pétards du PasteurY a-t-il plus qu'un gag à rapprocher Boy

George et Jean-Paul II, ces deux fauxandrogynes ?

Plus féministes...que le pape !«La montée des femmes est un signe des

temps auquel l'Église doit être sensible».Jean XXIII

«Reconnaissons les ravages du sexismeet notre appropriation masculine des insti-tutions ecclésiales et de tant de réalités dela vie chrétienne. La reconnaissance enl'Église de notTe propre déformation cul-turelle nous permettra de dépasser lesconcepts archaïques de la femme tels qu'ilsnous furent inculqués pendant des siècles.»

Monsieur Louis-Albert Vachon,Synode des évêques. Rome, octobre 1983.

Le Devoir, 26/6/84

À Kehrsatz. en Suisse, le 14 juin 1984. lepape déclarait qu'il «fallait se demandersérieusement si la femme a déjà, dansl'Église et la société, la place que Dieu aprévu pour elle et si sa dignité et ses droitssont reconnus de façon satisfaisante.»

La Presse. 15/6/84

Mgr Raymond St-Gelais, de Saint-Jé-rôme, membre du comité ad hoc [de l'Églisecanadienne] sur le rôle de la femme dansl'Église, estime «urgente» la question de laplace de la femme dans l'Église, un problème«très sérieux» (...) il admet que «le non-accès, a priori, des femmes au sacerdoce estune certaine forme de discrimination» etque l'Église, «interpellée, doit questionnerses positions traditionnelles à l'endroit desfemmes».

«Par contre, ajoute-t-il, il y a de plus enplus de femmes dans les lieux décision-nels». Il cite l'exemple de son diocèse, oùles services comptent 10 femmes pour 8hommes, et de la régie diocésaine, composéede 2 femmes et de 6 hommes.

Le Devoir. 26/6/84

«La fréquentation de plus en plus épi-sodique des églises catholiques n'est pas encontradiction avec le fait qu'il y avait10 000 personnes dans les rues de Montréalà la Grande marche du pardon, au dernierVendredi saint. Comme pour Boy George auForum, Diane Dufresne au Stade, le «grosshow» est devenu la seule possibilité derassembler les gens autour de symbolesreligieux : de là le pape au Parc Jarry.

«Vatican II a voulu purifier la religion deses aspects dévotionnels : processions,chants grégoriens, messes en latin, etc.C'est la magie qui a été évacuée, ce que lesgens aimaient de comparable à la Saint-Jean : la foule, les pétards, les lumières, lesfinales de hockey. On a besoin de marquersa vie par des rituels.»

Les trois jours de Jean-Paul II au Québecauront-ils un effet magique sur les femmesd'ici ? Et réciproquement, les gestes desfemmes sur les positions du pape ? Ou,encore là. Soeur Claire Richer n'a-t-elle pasraison, en comparant la visite papale à latournée commerciale de Boy George : «Lesorganisateurs ont pris la voie facile du bainde foule, qui permet au peuple de se sentirles coudes et au pape d'avoir l'impressiond'agir en Pasteur... Mais le pape retourneraà Rome sans être conscient des problèmesdu Québec et particulièrement des problè-mes des femmes du Québec.»

1/ Mais ses fonctions excluent les sacrementsd'Eucharastie, de mariage, de confession, etc.2/ Diacre : clerc non encore admis à la prêtrise.

LA VIE EN ROSE 28 septembre 1984

Page 9: ETL'ÉGUSE S DES HOMMES

rSml l.iur.u besoin d une nouvelle souI.IIK- ma sirur. Pourriez-vous

ni en coudre une ?

Bien sur, VotreEmmenée."En 1967, enfin,

l'évêque Wojtylaest nommé cardi-nal de Cracovie.

PAR LA BOUCHE DELEURS CANONISATIONS

e 11 septembre, parmi les250 000 (7) fidèles massés auParc Jarry, il y aura aux pre-mières loges 1 500 Paradis etGrégoire venus de toute l'Amé-rique assister à la béatification

L d e leur petite-cousine Marie-Léonie (Grégoire-) Paradis,fondatrice de la Congrégationdes Petites soeurs de la Sainte-

Famille.Sauf, peut-être, les 400 «servantes du

Bon Dieu» encore au service de prêtresquébécois, toutes les religieuses du Québecn'apprécient pas forcément cette pré-cano-nisation. «Reconnaître «l'héroïcité» deMarie-Léonie. se demande même SoeurRéjeanne Martin, n'est-ce pas consacrer letype de femme le moins dérangeant pourl'Église sinon l'idéal féminin de Jean-PaulII?»

Réjeanne Martin, 53 ans, est membre,elle, de la Congrégation des Soeurs deSainte-Anne, une communauté rurale vouéeà l'enseignement des filles. Elle a pronon-cé ses voeux en 1950, 100 ans après EstherBlondin, la «fille de Terrebonne» fonda-trice de sa congrégation. Elle trace un paral-lèle entre l'histoire de Marie- Léonie et cellede «sa» fondatrice.

«Esther Blondin aussi a été écrasée,réduite au silence, et reléguée à des beso-gnes de sous-sol par des hommes. Elle avaittenu tête à l'aumônier, un certain LouisMaréchal, qui voulait ni plus ni moinsusurper la gérance de la communauté etdicter ses volontés aux soeurs. Comme elle

s'y opposait ouvertement, il lui ordonna de sedémettre elle-même de ses fonctions ; MgrBourget s'en mêla et donna raison à l'abbéMaréchal.

«Il y a une immense recherche à faire,avec une grille d'analyse féministe, pourdéterrer la véritable histoire des pionnièresdes communautés religieuses.»

Au sujet de Mère-Léonie et des servan-tes du bon Dieu», Réjeanne Martin raconteque ce type de communautés a été fondépar des clercs, donc par des hommes, et pasdu tout par des femmes. «Au départ ce sontdes prêtres, de Sainte-Croix, si je me sou-viens bien, qui en ont eu l'idée. Ils avaientbesoin de «ménagères de presbytères»,alors ils ont demandé à certaines femmes,dont Mère Marie-Léonie, de mettre ce ser-vice sur pied. Comme il serait gênant pourdes prêtres de réclamer le mérite de cettefondation, on l'attribue aux femmes.»

«Rien que d'y penser, je me mets enrogne. On a assujetti les femmes, on les aconsacrées à des tâches de service. Nousn'avons jamais analysé en profondeur cetteexploitation ; nous n'osons pas l'examinerde trop près, à cause des religieuses elles-mêmes, qu'on ne veut absolument pasmépriser. Je n'ai pas voulu voir le film Lesservantes du Bon Dieu de Diane Létourneau,parce que j'étais sûre que ça me mettraithors de moi.

«Il ne me répugnerait pas que Marie-Léonie soit canonisée si c'était pour sonvécu de femme et pas parce qu'elle était auservice des prêtres.

«Pour avoir droit à la canonisation, il faut

avoir pratiqué héroïquement les vertusthéologales (foi. espérance, charité), cardi-nales (est, nord, sud. ouest7) et annexes etavoir quelques miracles à son actif. Il fautaussi que la communauté investisse autourd'un million de dollars pour mettre enbranle le procès de canonisation. La vie desaspirantes' est examiné à la loupe, non paspar d'autres femmes mais par l'élite cléri-cale mâle.

«D'ailleurs, la canonisation de notrefondatrice, Esther Blondin, rencontre unobstacle majeur : pendant son agonie, sup-posément délirante, elle aurait mentionnél'affaire de l'abbé Maréchal, de sorte qu'onpeut la soupçonner de ne pas lui avoiraccordé un pardon tout à fait héroïque...

«Bien avant cette cérémonie d'apparatofficiée uniquement par des hommes, lacanonisation des femmes met en lumièreles contradictions les plus flagrantes :l'objectif spirituel de l'Église est de propo-ser aux croyant-e-s des maîtres à penser,des modèles de vie spirituelle, ce qui a del'allure. Mais est-il nécessaire de payer untel prix pour se faire offrir des modèles vala-bles ~> Et à plus forte raison des modèlesdouteux de sacrifice féminin ">»F1N

P.S. : Au fait l'Église catholique a-t-elledéjà canonisé un homme pour avoir héroï-quement consacré sa vie à l'entretien maté-riel et domestique des religieuses ? Ques-tion à faire damner une sainte...

septembre 1984 29 LA VIE EN ROSE

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FÉMINISTESDANS LESMURSÀ quand la dernière scène?

B

4\

LA VIE EN ROSE 30

uel est, en un mot, l'impact survous de l'Église catholique ?»-«Écoeurement total, colère,indignation, révolte, mépris,héritage moraliste.» Si la ques-tion est de La Vie en rosé, les ré-ponses, elles, proviennent,non pas de vieilles féministesathées aiguisant toujours leurdent contre le clergé duples-

siste, mais~bien de huit femmes chrétiennesdont l'âge varie de 21 à 55 ans.

«À 20 ans, je ne comprenais pas lefameux devoir conjugal : il fallait être dis-ponible en tout temps et les méthodes anti-conceptionnelles étaient interdites. Parcontre, si j'avais mal à la tête le soir de monovulation, ce n'était pas péché ! Mais je suisrestée dans l'Église et je n'ai compris queplus tard le mépris que je ressentais. Avantde décortiquer le discours de l'Église, je nepouvais qu'être mal à l'aise. Maintenant, jesuis révoltée.» (Judith Dufour. 55 ans)

«Le discours et les pratiques de l'Égliseprovoquent chez moi une colère viscérale,une rage équivalente à rien d'autre, sinonau comportement des hommes, au patriar-cat. Dans les deux cas. j'ai l'impression d'af-fronter une machine organisée, consciente,concertée de domination et d'oppressiondes femmes. C'est là où Église et patriarcatne font qu'un.

«De l'Église, ce qui me blesse encoreplus, c'est la distorsion du message del'Évangile, auquel j'adhère. A-t-on déjà vuune institution massacrer autant le mes-sage mêque qu'elle invoque ? Cette hypo-crisie, ce camouflage me révoltent. Aufond, mon option de foi ne peut se mainte-nir, ne prend son sens, que dans ma révolteface à cela.» (Louise Desmarais, 37 ans)

septembre 1984

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«Je fais aussi l'équation Église = anti-féminisme. Même croyante, je ne me trouveplus dans cette Église en porte-à-faux. De-puis que je lutte avec des femmes, que jesuis féministe, le joint entre foi et Église nese fait plus, ne peut plus se faire. (MartineD'Amour, 26 ans.)

Vaches sacréesAvec Diane Gariépy (39 ans), Isabelle

Drolet (21 ans), Dominique Trudel (27 ans),Louise Lebrun (27 ans) et Luce Bédard (24ans), elles sont donc huit féministes chré-tiennes à militer, ou à avoir milité, dans desorganismes chrétiens progressistes dont laJeunesse ouvrière catholique (JOC), leMouvement des étudiant-e-s chrétien-ne-sdu Québec (MECQ), le Regroupement-action-milieu (RAM) et L'autre parole (groupeautonome féministe).

Quelles contradictions y vivent-ellescomme féministes 9 Comment peuvent-ellesconcilier la «nécessité de partager leur foiavec d'autres» avec le peu d'ouverture del'Église catholique romaine aux revendica-tions des femmes ?

Et d'abord, quels sont, dans ces mouve-ments habituellement mixtes, les principauxpoints de friction ? Il y a premièrement laquestion du pouvoir lui-même : «C'estcomme partout ailleurs : les hommes dé-tiennent le leadership Malgré un nombreégal d'hommes et de femmes, le pouvoir,lui, ne l'est pas.» Mais il y a aussi «les ques-tions de sexualité, d'homosexualité, decontraception... tout ce qui concerne lecouple, les rapports de sexe, le mariage, lafamille, la maternité, l'autonomie des fem-mes et le contrôle de leur corps».

Ces discussions baignent parfois dans lesexisme le plus ordinaire : «Notre principe,à la JOC, c'est de respecter le niveau deconscience du ou de la jeune travailleureuse. Mais quand on amène un gars à uneactivité, qu'il demande en arrivant : «Y a-tudes plottes icitte ?», et qu'un membre de laJOC lui répond «Oui», eh bien moi. je nesuis pas d'accord. Je n'accepte pas de mefaire traiter de plotte par respect du niveaude conscience du gars !»

Un autre sujet semble particulièrementtabou : le rôle du prêtre : «II ne faut surtoutpas attaquer la prêtrise directement. Moi-même je me suis censurée là-dessus : çatouche la sensibilité de personnes préci-ses. Le vieux prêtre avec qui on travaille,qu'on connaît bien, il a l'impression qu'onlui enlève toute sa vie quand on conteste,au nom du bon sens, que tout ce pouvoirsoit à lui seul.»

Magie eucharistiqueHistoriquement, la pagaille commence

souvent quand les femmes décident de seregrouper, de discuter entre elles d'abord :«À la JOC, on constatait qu'on n'avait pasaccès aux postes permanents et qu'on étaittout le temps en arrière des gars, trèslittéralement, même dans les manifs et on a

décidé de s'en parler. Les gars sentaientpeut-être leur pouvoir menacé.»

Une autre reprend : «C'est ce qu'on avécu au Mouvement des étudiant-e-s chré-tien-ne-s en 1981 : les femmes se voyaiententre elles et les gars se sentaient exclus.Puis on a fait de petites actions qui ontnéanmoins chambardé le mouvement pen-dant six mois. Par exemple, en plénière, onnotait sur de grands cartons le nombre d'in-terventions coupées, de blagues sexistes,etc. avec une légende que seules nousconnaissions. C'était la folie furieuse, lesgars braillaient ; sans être très révolution-naire, ça soulevait des questions.»

Pourtant, les femmes elles-mêmes hési-tent à faire certaines ruptures, trop diffi-ciles ou controversées. En premier lieu,l'Eucharistie, ce «lieu de résistance dusacré» : «Même au MECQ, où les femmes seregroupent de façon autonome, certainesne veulent pas célébrer ensemble l'Eucha-ristie. Moi, personnellement j'aurais osémais pour elles c'est trop chaud. Et quandles gars sont là, c'est encore pire : on n'osemême pas en parler».

la religion elle-même : «En soi. le christia-nisme est intéressant. C'est l'écart entre lesvaleurs chrétiennes authentiques et l'Église-institution hiérarchique qui est insuppor-table. Bien sûr qu'en tant que féministe jesuis mal à l'aise dans une Église dont ladéfinition même de la femme est fausse. Parcontre, je trouve très évangélique d'êtreféministe parce que le Christ a témoignéaussi de la soif de justice et d'égalité quenous, les féministes, invoquons.»

Cela soulève un autre débat : pourquoi,quand on critique tant l'institution qu'il afondée, continuer d'utiliser le Christ comme«signifiant» ~> Au lieu de Mahomet. Maho-mette... ou l'Égyptienne Isis ?

Pour l'une, «le Christ est un ensemble devaleurs : chaque fois qu'une femme se batpour plus de justice sociale, elle est monChrist. » L'autre admet qu'elle aurait pu êtreinfluencée par Mahomet qui véhiculaitaussi des valeurs fondamentales mais, dit-elle, «Moi. je suis née au Québec et j'adhère

Vous avez été renversépar un camion allemand.Vos blessures sont graves.

Vous seriez mort sansl'intervention d'une

femme.

Même à L'autre parole, groupe autonomesans lien avec les diocèses, «lieu d'ouver-ture, non censuré, où porter des questionsallant complètement à rencontre du dis-cours officiel», la messe a déjà créé desfrictions : «Alors que nous célébrons entrefemmes, de façon non traditionnelle, àpartir d'une symbolique reflétant nos vies,certaines tiennent à l'Eucharistie «pourqu'il se passe vraiment quelque chose» ettraditionnellement, c'est la présence duprêtre qui valide l'Eucharistie.

Un Christ féministePour la plupart d'entre elles, c'est l'insti-

tution de l'Église qui est fautive et non pas

à une personne historique venue dire qu'iln'y aurait pas de Royaume, de libérationtotale de l'humanité, à moins de suivre cer-tains chemins... Toute personne qui suitces chemins me rallie profondément. Jeme retrouve culturellement dans la per-sonne de Jésus-Christ mais j'ai des conni-vences avec toutes les personnes gravi-tant autour des mêmes valeurs. Par exemple,j'ai beaucoup de complicité avec des«athées» socialistes et aucune avec deschrétien-ne-s de droite. Je me bats auxcôtés d'autres femmes pour l'avortement etpour moi c'est dans la ligne de ce que Jésus-Christ est venu annoncer : j'y puise unesignification profonde.»

septembre 1984 31 LA VIE EN ROSE

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Chevalières de TroiePour d'autres aussi, cette perception his-

torique de Jésus est fondamentale : «Peum'importe que le Christ soit mâle ! Aprèstout c'était bien une société patriarcale ettoutes les divinités de l'époque étaientmâles ! Ce sont ses valeurs qui importent,pas son sexe.

Évidemment, le monde juif de l'époqueaurait éliminé (aussi) une femme ayanttenu un discours semblable à celui duChrist. Mais, historiquement, aurait-onmême rapporté son existence ? Surtout,aurait-on fondé une Église sur elle ? Dou-teux. Il suffit de voir à quel point la Biblepuis l'histoire judéo-chrétienne ont écartéles femmes, de Marie-Madeleine à lapapesse Jeanne, à quel point elles n'ont aumieux que des cultes mineurs.

Sur cette exclusion, sur la mauvaise«traduction» faite et entretenue à traversles siècles de la parole du Christ, des apô-tres aux évangélistes, aux papes, aux théo-logiens, aux curés, il y a unanimité.

Nos huit vis-à-vis sont aussi d'accord surun constat plus grave encore : de toutes lesinstitutions, l'Église catholique sera la der-nière à changer, à capituler devant les exi-gences des femmes.

Nous comprenons mal, alors, pourquoila plupart d'entre elles ont choisi quandmême d'y rester, de «lutter à l'intérieur.»Comment peuvent-elles concilier leurspriorités féministes avec la surdité de lastructure 7

«Je revendique mon titre de féministe àpart entière mais mon site spécifique est lareligion. Je décortique le fameux discoursfabriqué par les hommes, parce que notreoppression est logée dans le noeud mêmede notre acculturation religieuse... Maistous les aspects de l'oppression des femmesme concernent autant : j'ai lutté pourl'avortement, j'ai défendu Les fées ont soif, àl'université je me bats pour que l'analyseféministe soit reconnue dans toutes lesdisciplines.»

«Moi j'y reste, et j'identifie mes chevauxde bataille : par exemple, il est inaccepta-ble que nos permanents et aumônierssoient nommés d'en haut. Il faut les choisirconformément à notre perception de l'Égli-se ; même chose pour la question hommes-femmes malgré la hiérarchie !»

Le salaire de la peur ?En fait, la position de ces femmes nous

paraît intenable : jusqu'à quel point les mi-lieux chrétiens progressistes - et particu-lièrement les femmes - peuvent-ils soute-nir des positions et des luttes que l'Égliseofficielle réprouve ? Ce serait mordre lamain qui les nourrit, la plupart d'entre euxétant directement financés par l'Église.

Ne s'ensuit-il pas une sorte d'auto-cen-sure chez les militant-e-s chrétien-ne-stiraillè-e-s entre les 50 000$ nécessaires àleur organisation et l'hypocrisie de la hié-rarchie, de ces curés, par exemple, qui ontleurs maîtresses tout en radotant le dis-

Le dîner estprêt, VotreSainteté.

Tu vois, mon ami? Pour me consoler j'ai

cours officiel et en réprimant les moeurstrop libres (ex. : concubinage, divorce) deslaïques chrétien-ne-s.

Certaines résolvent la contradiction enpartant : «Maintenant, je milite où je veux,dans des luttes fémînistes, par exemplecontre la porno. Les femmes sont devenuesma priorité.»

Mais partir de l'Église n'est-ce pas renon-cer à toute possibilité de créer un rapport deforce 7 Par ailleurs, y rester, n'est-ce pasaccepter de se taire sur trop de questionsqui attaquent le coeur même de l'Église :l'avortement, le mariage et l'hétérosexua-lité, ce «nerf de la guerre», comme ditl'une ~>

À cela s'ajoutent les questions bien poli-tiques et délicates de gestion interne. Leschrétien-ne-s progressistes avaient-ils déjàperçu l'Église comme une vieille tante richedisposée à leur fournir gentiment l'argentnécessaire à leurs luttes sociales ? Ils etelles ont bien vu que la vieille n'avait riende magnanime quand, dans les années 60,elle a démantelé d'un coup, en lui coupant

les vivres, tout un «mouvement d'actioncatholique» devenu trop fort, de base et deleadership, «prêt à se battre à mort pour desquestions fondamentales».

Quelques générations plus tard, la gau-che chrétienne aurait-elle peur que le scé-nario se reproduise, ce qui expliquerait sonsilence face à la visite du pape, quels quesoient les débats que celle-ci ramène à lasurface ? D'autant plus que ce sont les fem-mes qui soulèvent les questions les plusgênantes : morale sexuelle, ordination desfemmes, avortement, etc. «Je ne serais passurprise d'entendre certains gars dans nosrangs nous dire de nous la fermer : «Lesfilles, vous allez nous couler !»

Dans tous les milieux mixtes, et raressont les autres, les femmes ne savent-ellespar expérience ou par «intuition féminine»(la vraie !), que la question des femmes ouplutôt la remise en question du pouvoir pa-triarcal est toujours le point limite. «Là,tout ce qui s'appelle progressiste reculed'un cran, devient quasiment réaction-naire». FIN

LA VIE EN ROSE 32 septembre 1984

Page 13: ETL'ÉGUSE S DES HOMMES

LE SALUTDANS LA

MARGINALITÉI

, institution catholique a enfer-mé tout esprit critique à l'inté-rieur des frontières d'un dis-cours religieux détenu exclu-sivement par des hommes. Lalibération de l'esprit critiquene viendra qu'à travers les fem-mes croyantes qui démystifie-ront le discours religieux mas-culin.»

Soeur Réjeanne Martin est agente depastorale au Cégep Bois-de- Boulogne.Comme plusieurs des féministes interrogéesici, elle se réfère constamment à la thèse dela marginalité, qui découle entre autres dela théologie de la libération. Lune des pluséloquentes porte-paroles de cette thèse estla théologienne américaine Rosemary Reu-ther.

De passage à l'Université McGill en fé-vrier dernier, Madame Reuther expliquaitdans sa conférence que les théologiennesféministes pourront amener le renouveauqui s'impose au sein de l'Église ; que lesfemmes de façon générale renverseront lavapeur, nous faisant passer dune doctrinede haine à une doctrine d'amour («Nousn'avons pas encore entendu l'Évangile deMarie») ; que les hommes seront alorsforcés de reconnaître et de réparer leurserreurs ; enfin, que «l'Église devra payerd'avoir imposé sa théologie masculiniste.»

Pour elle, les groupes chrétiens féminis-tes séparatistes, constituant des basesautonomes en-dehors du contrôle et del'institutionnalisation des églises, sontessentiels à la lutte, qu'elle voit en troisétapes. D'abord dénoncer le sexisme de latradition chrétienne. Ensuite, étudier lesÉcritures saintes pour y découvrir ce quipromeut la cause des femmes. Finalement,faire connaître les Mères de l'Église, autantcelles qui ont laissé leurs traces que les

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autres, oubliées ou... brûlées Reuther voitenfin la nécessité pour les théologiennesféministes d'établir une base à partir delaquelle dialoguer de plain-pied avec l'esta-blishment religieux.'

Juste avant la désertionLes groupes séparatistes féministes

qu'évoque Reuther sont pour RéjeanneMartin les «marginales», au sens le plusnoble Selon elle, ces regroupements auto-nomes, comme L'autre parole, sont le salutdune Église qui, «rigidifiée dans un con-texte patriarcal, finira par se pétrifier et sedésagréger d'elle-même, si elle n'intègrepas les femmes. D'où l'espérance des fem-mes croyantes pour la transformer Unorganisme, quel qu'il soit, ne se sauve quepar ses éléments marginaux.»

Plus tôt, Anita Caron avait affirmé que«pour les femmes, et le laîcat en général, laseule démarche spirituelle (était) dans lamarginalité».

À cela. Réjeanne Martin ajoute : «Lesmarginales sont autonomes, elles se nou-rissent amplement entre elles. Dans notregroupe, nous avons célébré cette année

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l'événement de la résurrection de Jésus parun rituel qui était loin d'être une messe.

Même si je suis religieuse, j'ai de plus enplus de peine à assister aux messes, encoremoins à d'autres événements, comme uneordination : je suis trop frappée par cettecour impériale mâle.»

Même si elle admet que l'Église officiellepeut être un sérieux obstacle à la créationd'une foi réelle, en plus d'être superflue.Réjeanne Martin n'y renonce pas : «Sansstructure, comment une communauté uni-verselle de croyant-e-s solidarisé-e-s pour-rait-elle exister ~> Par ailleurs. l'Église a faitl'erreur d'imposer un discours uniforme...ce qui est le propre de l'impérialisme, eneffet Mais c'est une église totalitaire etsectaire.

«Comment puis-je donc me réclamerd'une telle institution 7 C'est ma théorie surla marginalité qui l'emporte : si nous quit-tons, nous encourageons un sectarismeencore plus absolu. C'est peut-être unecause perdue d'avance, mais l'espéranceest plus forte que le désespoir.»

Alors que l'Église catholique maintientles femmes (pourtant majoritaires dans sesrangs) dans une marginalité de fait violem-ment dénoncée, les féministes chrétiennessemblent voir dans leur marginalité choisieune planche de saluL Au-delà de ce derniercontact avec la chrétienté, sinon avec l'É-glise, ce serait la rupture totale. Pourquoine font-elles pas le saut, comme avant ellesMary Daly ou d'autres "> Leur choix est fait,disent-elles, d'acculturation catholique,d'affinités personnelles, et de la naturemême de leur foi. FIN

1/ Ceci est un compte-rendu de Marlène Wil-deman, «catholique d'éducation mais critiqued'inclination» !

LA VIE EN ROSE

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Mary Daly

PAPE POP(EN)PLASTIQUEUne entrevue de Nirnle Rrnssard

LA VIE EN ROSE

^k our la féministe radicale Mary^ A Daly. professeure de théologie

I au Boston Collège, «le rôle duM langage dans la transformation

^ f de la conscience (ou au con-traire dans notre enfermementdans de vieilles habitudes etstructures de pensée) est unthème essentiel».' Déjà dansson premier essai, L'Église et Le

deuxième sexe, cette théologienne catholi-que «situait l'anti-féminisme dans le lan-gage théologique.» Depuis, à travers BeyondGod the Father (1973), Gyn/Ecology (1978) etrécemment Pure Lust elle a continué àprouver que «toutes les religions défilentderrière l'étendard sacré du patriarcat».2

«Toutes - du bouddhisme et de l'hin-douisme à l'Islam, au judaïsme, à la chré-tienté, à des dérivés profanes comme lefreudisme, le jungisme, le marxisme et lemaoïsme - sont les infrastructures de l'édi-fice du patriarcat»

L'écrivaine Nicole Brossard, une de sesvieilles complices, l'a interrogée par corres-pondance sur la visite du pape et sonimpact sur les femmes.

MARY DALY: Si elles regardent bien leape, les femmes ne peuvent que se rendrepmpte à quel point il est comique. Affirmer

tre propre sens de la réalité à la face d'unonument aussi mortellement sérieux, voilà

]ui révèle son absurdité profonde. De quoipartir d'un énorme rire hystérique, en effet,fen ridiculisant Sa Nullité,3 nous pouvonslibérer nos énergies refoulées et notre créa-tivité. La visite du pape peut ainsi devenirun formidable catalyseur d'actions-inter-ventions créatrices et sorcières, du théâtrede guérilla, par exemple.

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NB : Dans ton livre Pure Lust, tu emploiesl'expression passion (en) plastique. Qu'entends-tu par là ? Peut-on utiliser ce concept pouranalyser le type de rapport que les femmesentretiennent avec une réalité-ou une fiction -comme le pape ?

MD : J'ai déarit ces passions (en) plastiquecomme des ombres qui polluent notreespace intérieur, qui nous angoissent etnous paralysent Ce ne sont pas des passionsvraies qui, elles, impliquent le Mouvement,la Parole - des é-motions qui relient notrepsyché aux autres et au monde extérieur.

Contrairement aux passions vraies, com-me la Rage par exemple, dont on peutnommer les origines, les passions (en)plastique sont des sentiments sans attachesqui provoquent chez nous des ruptures, desfragmentations. Je peux en citer quelques-unes : le sentiment de culpabilité, l'angoisse,la dépression, la malveillance, l'amertume,le ressentiment, la frustration, l'ennui, larésignation, la complaisance à se conformerà un rôle...

Même les féministes endurcies qui s'op-posent à tout ce que le pape peut dire, oupresque, ressentent ces jours-ci de la cul-pabilité, de l'angoisse, de la déprime...Parce que le patriarcat nous a consignéesdans la Caste des Touchables, les femmessont touchées physiquement, psychique-ment et émotivement par ce genre de non-événements orchestrés par le patriarcat.

Pour faire éclater cette Caste de Toucha-bles, il faut retrouver et exercer nos Pouvoirsde contact absolu Et ça, ce n'est pas en niantque ça se passe ou en ne faisant qu'y réagir,mais en Agissant par et pour Nous-mêmes.Je propose de profiter de la visite du papecomme d'une occasion de nous réunir, decélébrer notre Réalité, d'atteindre nos pro-pres Pouvoirs spirituels Par exemple, mettreen scène des parodies, des caricatures dupape, organiser nos propres parades, fairedu théâtre de rue, etc. en mettant l'accentsur notre Rage, en exerçant notre pouvoirde dérision et surtout en affirmant le sensautonome que nous donnons à nos vies.

Il existe une autre espèce de pseudo-passions que j'ai baptisées passions atro-phiées. Ce sont des passions authentiquesqui n'ont pu croître normalement. Toutcomme le bonzai de 9" de haut qui aurait pudevenir un arbre de 80 pieds, elles sontnaines et leurs racines restent superficiel-les. Et en plus, comme elles ont été tordues/distordues, elles prennent des directionsanormales, elles se trompent d'objet.

Ainsi on dresse les femmes à mal orienterleur amour, leurs désirs, leur plaisir. On lesentraîne à détester ou à haïr ce qui ne lesmenace pas (les autres femmes, entre au-tres), à s'attrister pour des choses qui nedevraient pas les rendre tristes, à espérer oudésespérer pour de mauvaises raisons, àcraindre ou désirer des choses injustifiées,à se tromper d'objet de colère.

La visite du pape sert à réprimer nospassions authentiques. On trompe les fem-

mes en leur faisafTt croire qu'elles doiventaimer le pape, désirer son approbation et seréjouir de sa visite. Pour y arriver, ellesdoivent rejeter leur propre réalité, craindreleur propre liberté, désirer s'auto-sacrifiercomme des esclaves consentantes et re-tourner leur colère contre elles-mêmes.

NB : Penses-tu que c'est par hasard que le papevienne en 1984 ?MD : Absolument pas Dans le grand classi-que d'Orwell, 1984, la société totalitaire estdominée par l'image de Big Brother quiapparaît partout sur des écrans de télévi-sion. Le pape va encore plus loin parce qu'ilreprésente en plus l'image contemporainedu mâle assumant le rôle de la Déesse-mère.

Jean-Paul II («// vous veut»), c'est lasuperstar, robe blanche et mâchoires d'acier,qui a enchanté des centaines de milliers detéléspectateurs-trices et des auditoires toutaussi gigantesques. Il fait son apparitioncomme la Reine du Paradis daignant nousrendre visite, con-descendant de son avionparticulier de continent en continent, em-brassant le sol de chaque pays. Dans samagnifique robe féminine, ce pape pop est

l'Associated Press reprenant un discoursadressé par Jean-Paul II aux évèques amé-ricains :

«Le pape Jean-Paul II a fermement réité-ré sa position contre l'ordination des fem-mes et il s'est adressé hier aux évêquesaméricains pour réaffirmer les principestraditionnels de l'Église face à la sexualitéet au mariage, même si ces principes nesont pas très populaires.

«Mais le souverain pontife a aussi invitéles évêques à s'opposer à toute «discrimi-nation contre les femmes sur la base de leursexe».

«Le pape, qui s'adressait à 23 évêquesdans sa résidence de Castel Gandolfo, ausud de Rome, leur a enjoint de réaffirmer lespositions de l'Église contre la contracep-tion, le divorce, l'homosexualité, les rela-tions sexuelles avant le mariage et l'avor-tement.»

La contradiction de ce texte saute auxyeux. Quand on exerce notre pensée nondédoublée, on se rend compte que ce genrede raisonnement est tout à fait typique.Mais il ne faut pas tomber dans le piège dela réaction primaire, en militant incondi-tionnellement pour l'ordination des femmes

On trompe les femmesen leur faisant croire qu'elles

doivent aimer le papeet se réjouir de sa visite.

devenu l'archétype chéri des médias. Mais,comme toutes les démini stes le savent, cepape s'emploie à renforcer les idéologiesbasées sur la haine des femmes, tous lesmythes, les rôles, les règles qui sapent toutrespect pour la vie - en se parant parailleurs de l'étiquette Pro-Vie.

Dans 1984. Orwell a parfaitement identifiéla stratégie de la double pensée Le pape nousen donne un exemple éloquent L'un desslogans du parti, dans 1984, c'est «L'amourc'est la haine». En comparant les déclara-tions du pape sur l'amour à ses actes et à sadoctrine réels, les femmes perspicaces peu-vent voir à quel point ce slogan lui va bien.

Par exemple, le 6 septembre 1983. leBoston Globe publiait un communiqué de

dans l'Église catholique, par exemple. Com-me je l'ai déjà souvent suggéré, cette attitudeéquivaut à celle d'une personne noire quise battrait pour que les Noir-e-s aient accèsaux postes de direction dans le Ku KJuxKlan.

Ces génuflexions (pour quémander desmini-vérités ou des demi-mensonges)prennent l'allure d'auto-humiliations ab-surdes. Cette réaction est aussi futile que dedemander aux marchands de pornographiehard core d'établir un dialogue avec lesféministes sur l'aspect moral de leur indus-trie gynocide multi-milliardaire. Cela nefait que susciter un sentiment de frustrationet renforce les Méga-mensonges.

1/ Demaris Wehr, «Fracturing the Language ofPatriarchy». New York Times. 22 juillet 1984

2/ Citée par D. Wehr. idem.

3/ C'est volontairement que nous respectons icila façon décrire, ou de re-nommer avec majus-cules, etc... de Mary Daly.

septembre 1984 35 LA VIE EN ROSE

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ÉPILOGUEFATALPar Denise Boucher

a journaliste sortit à cinq heurespour aller mener son enquête hyper-réaliste. Pour interroger son monde,elle n'avait dans ses bagages que

i deux questions.À la première, que pensez-vous de la

visite du pape, on lui répondit :- «Le médium est le message de la struc-ture, on n'est pas pour se mettre à luidonner du contenu.»

- «Nothing.»- «Un gros problème.»- «Je ne peux pas penser à cela, çam'inhibe.»- «Ah ! seigneur !»- «Ça va mettre Montréal sur la map.»- «Disons que je meurs, disons que j'airamassé assez d'argent pour avoir le papeà mes côtés, je vais mourir quand même,so ouate 7>>

LA VIE EN ROSE

- «Oui mais, les femmes...»- «Les gars qui fabriquent la papemobileont l'habitude de construire des camionsde pompier et depuis qu'ils ont commencé,ils ont arrêté de sacrer.»- «Comme ça coûte les yeux de la tête, jene verrai rien.»- «Vous parlez de Djipitou (JP2) ?»- «En tout cas. ça crée une passion col-lective.»- «Et les femmes là-dedans ?»- «Tous les Polonais vont se prendrepour le pape ou le contraire.»- «Il va venir glorifier une servante blan-chisseuse blanchie »- «Trudeau ne sera pas là.»- «Dans le gaz lacrymogène, en Corée, ila été le seul à ne pas pleurer. Il a étécapable de faire voir de rien pour contrô-ler la foule.»

À sa deuxième question, qu'elle croyaitde mauvais goût, croyez-vous que lepape sera assassiné ?, on lui répondit :™ «Je n'ai pas le goût de faire de la poli-tique et je sais que ce n'est pas bien.»- «Je pense aux Orangistes mais la reineva venir l'accueillir et Jeanne Sauvéaussi. Le nom de cette femme est déjàune garantie.»- «Je souhaite que non, ce serait pireque Dallas et mauvais pour le tourisme.»- «Ça prendrait un assassin du diman-che. »- «Non, grâce à la papemobile d'unmodèle canadien dont la structure intense(heavy duty) sur six roues gardera seule-ment la cabine intacte.»- «Mais voyons, le pape est indestruc-tible.»- «C'est un grand défi technique.»- «Oui, et ce sera par un féministe turc.Ou par Martin Dufresne.»- «Mais voyons, pas de panique !»- «D'un certain côté, je dirais que oui,mais de l'autre, je dirais que non.»

La journaliste rentra chez elle à minuitpour taper les réponses reçues. Elle sedisait qu'elle avait manqué de veineparce qu'elle n'avait pas rencontré defanatique véritable. FIN

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