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Être d'Église en France au siècle des confessionsAuthor(s): Thierry WanegffelenSource: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 10 (1992), pp. 5-19Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/25598750 .
Accessed: 16/06/2014 14:42
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Nouvelle Revue du Seizteme Siecle - 1992 - n? 10, pp. 5-19
ETRE D'EGLISE EN FRANCE AU SIECLE DES CONFESSIONS*
Au cours du XVIe siecle, la chretiente occidentale a connu un phenomene
qu'on peut qualifier de processus de construction confessionnelle1. Face k ce qui est devenu peu a peu P?Eglise catholique?, des groupes de confes
sants, qui constituent ce qu'on voudrait appeler le protestantisme, se sont
dotes de documents symboliques, depuis, en 1530, YAugustana de Philippe Meianchthon ? et les deux confessions qui lui repondent, la Fidei Ratio de
Zwingli au nom de Zurich, Bale et Berne et la Tetrapolitaine de Bucer et
Capiton au nom des quatre villes (Strasbourg, Constance, Lindau et Mem
mingen) ?
jusqu'aux textes conformes, souvent de tres pres, & PInstitution
de la Religion chritienne de Calvin, produits dans les annees 1550-1560, les
Confessiones Hungarica, de 1557, la premiere en date, Gallica, de 1559, qui connait sa forme achevee k La Rochelle, en 1571, Scotica et Belgica, en 1561, ainsi que les XLIItt surtout les XXXIX Articles anglais, respectivement de
1553 et 1563.
Pour les Chretiens du XVIe siecle, il semble, en effet, que cette confession
de foi qu'on appelle le Symbole des Apotres, avec sa division en trois parties, concernant Dieu-le-Pere, Jesus-Christ Fils Unique de Dieu et sa destinee, le
Saint-Esprit et son oeuvre2, a fini par ne plus suffire. C'est dans la decennie 1530 que d'autres textes apparaissent necessaires, au sein du protestantisme,
* Je remercie Monsieur Michel Reulos des conseils qu'il m'a prodigues au cours de l'ela boration de cet article.
1 On rend par cette expression le concept allemand de Konfessionsbildung, notamment elabore dans les annees 1960 par Ernst Walter Zeeden; ce concept n'est jusqu'a present opera toire qu'au sein de l'espace germanique: a partir des annees 1560 on assiste la a la mise en place des trois ensembles confessionnels rivaux, lutheriens, calvinistes, catholiques, que tout oppose, mais dont la construction se fait par des moyens assez semblables, dans la mesure ou il s'agit partout d'imposer des modes de vivre collectifs pour consolider Pidentit6 confessionnelle. Dans cette ligne sont inscrits les travaux regents de Heiko A. Oberman, ?Eine Epoche. Drei Reforma
tionen?, dans Die Reformation. Von Wittenberg nach Gent, Gottingen, 1986, pp. 283-299. On r&ervera le terme de ?confessionalisation? a la traduction d'un autre concept, celui de Konfessio nisierung, qui rend compte d'un tout autre phenomene. Mise au point sur la question dans
Thierry Wanegffelen, ?'Construction confessionnelle' et 'confessionalisation'. Les chr&iens face aux Eglises?, dans Histoire religieuse. Etudes rassemblies et pre'sente'es par Je'rome Grondeux et
Thierry Wanegffelen, Historiens et Ge'ographes, numero special a paraitre en septembre 1992. 2 O. Culman, Les premieres confessions defoi chre'tiennes, Paris, 2e 6d. 1948, repris dans
La foi et le culte de I'Eglise primitive, Neuchatel-Paris, 1963, pp. 49-87.
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6 THIERRY WANEGFFELEN
pour lutter contre le principe de la libre interpretation des Ecritures et
Pabsence a proprement parler de ?dogmes?. Or ces textes-la sont egalement des confessions de foi, en ceci qu'il s'agit bien de documents symboliques
qui constituent chacun un acte collectif: ?confiteri cum aliis, c'est proclamer ensemble la foi commune ?3. On veut alors ?rendre compte a soi-meme de sa foi?, ?la distinguer de celle des adversaires?, ?la manifester vis-a-vis de
PEtat et du monde?4, enfin, offrir ?au Dieu qui interpelle? la reponse qu'il attend5.
Les Chretiens dits catholiques, lutheriens, reformes... finissent, peu a
peu, par avoir conscience de former des groupes, dont chacun constitue une
communaute qui est reunie dans la croyance en ce qu'il faut bien appeler un
corpus dogmatique et que definit la confession a laquelle elle adhere. Si les
trois confessions eiaborees en 1530 pour etre presentees a la Diete d'Augs
bourg, VAugustana, la Fidei ratio et la Tetrapolitaine, ont encore le dessein
de presenter un projet de reforme de PEglise entiere (dans l'esprit de la Refor matio qui a cours depuis les derniers siecles du Moyen Age)6, les textes ulte
rieurs deja cites et la Confession helvetique posterieure, redigee en 1561 par
Bullinger, temoignent que desormais il s'agit de s'affirmer en tant qu'Eglise en face des autres Eglises. En milieu catholique, la formule imposee par Pie
IV dans la Bulle Injunctum Nobis du 13 novembre 15647n'a pas d'autre role.
3 Jacques Pannier, Les origines de la confession defoi et la discipline des Eglises re"for
me" es de France, Paris, 1936, p. 10. 4
Encyclopedic des Sciences religieuses, XI, p. 762, cite par J. Pannier, Les origines..., op. cit., p. 11.
5 Sur les trois raisons qui motivent la production d'une confession de foi, voir M. Lods, Precis d'histoire de la theologie chretienne du IIe au dibut du IV siecle, Neuchatel, 1962, p. 159: reponse a Dieu, presentation de l'Evangile au monde objet de la mission chretienne, definition de l'orthodoxie pour l'opposer a l'heresie.
6 Voir, par exemple, la ?Preface a l'Empereur Charles V?, en tete de la Confession
d'Ausbourg, qui precise bien que les protestants ne considerent pas qu'il fondent une Eglise qui se distinguerait d'une autre: ?Nous souhaitons que les autres Electeurs, Princes, et Estats de
l'Empire nous imitent, et pour lors nous offrons des a present a V. Majeste Imperiale d'estre
prests de conferer avec eux, pour terminer charitablement toutes les contestations, qui des honorent le nom de freres, et qui dechirent l'unite de la foy en Jesus Christ parmy les fiddles.
Que s'il arrivoit, que nous ne puissions convenir avec les Electeurs, et autres Princes de l'Empire touchant notre croyance, nous protestons icy publiquement de prendre toujours toutes les voyes d'accommodement, qui nous pourront estre proposees pour 6tablir parmi nous cette unite de
foy et de sentimens.? (La Confession d'Ausbourg, prtsentte autrefois a Vempereur Charles
Quint Van MDXXX, par les Princes et les Estats protestants, nouvellement traduite de I'Alle mand et du Latin en Francois, pp. 3-4, a la suite de Defense de la religion lutherienne contre les docteurs de I'Eglise Romaine, ou on fait voir en meme temps leurs erreurs fondamentales.
Pour I'usage de ceux de la veritable Religion, qui sejournent en France, Francfort, 1685). 7 H. Denzinger et A. Schonmetzer, Enchiridion symbolorum definitionum et declaratio
num de rebus fidei et morum, Fribourg-en-Brisgau, 36e ed., 1965, ? 994-1000, ou encore
Charles-Joseph Hefele (H. Leclerq trad, et cont.), Histoire des Conciles, t. X, lre partie, ?Les decrets du Concile de Trente?, par A. Michel, Paris, 1938, pp. 638-64L
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?TRE D'EGLISE EN FRANCE AU SlfiCLE DES CONFESSIONS 7
Ainsi le tournant des annees 1550-1560 parait etre, d'apres les documents
symboliques envisages, le moment ou l'on passe dans les consciences de la
simple exigence de Reformatio ou Reforme a la prise en compte des conse
quences de ce qu'on voudrait appeler une entreprise de ? Reformation)). Cela commence a se faire sentir dans la ? Preface? de la Discipline de Poitiers, de
15578, mais est exprime avec une plus grande nettete dans le ?Preambule?
de la confession de foi de la communaute reformee frangaise de Sainte
Marie-au-Val-de-Liepvre, de 15589, et surtout dans celui de la Discipline de
PEglise de Saint-L6, de 156310. Dans ces deux derniers textes, en effet, les Reformes se trouvent designes comme ?ceux qui sont a la recherche du
Royaume du Christ?, ?nous, qui avons re?u connaissance de PEvangile?n, ?ceux qui font profession de la Religion Chrestienne?, ?ceux qui [...] ont
[...] affection de se ranger a l'obeissance de Jesus-Christ?12 par opposition aux ?adversaires?, a qui le qualificatif de ?chretiens? est denie au profit de ceux d*<impies?13 et ?desvoyez?14. L'affirmation confessionnelle est si forte
dans ces textes qu'on y presente les autres Eglises, vite assimiiees a des ?sec
tes?15, comme ne relevant que du royaume du ?Diable?16 ou de ? Satan pere de confusion ?17, reprise a leur compte par les Reformes frangais du ?hors
de PEglise, pas de salut?.
On est amene cependant a constater que des les annees 1542-1550 Jean
Calvin lui-meme a tire toutes les consequences ecciesiologiques de sa theolo
gie18. Le catechisme qu'il publie des 154219 joue un grand role dans le
8 Texte edite: ?Le 'Document de Grenoble': un synode des 1557? Texte integral des 'Arti cles polytiques pour l'Eglise reformee selon le S. Evangile, faits a Poitiers, 1557'?, Eglise refor ms de France, Bulletin d'information (Trimestriel), 18e ann., n? 3, octobre 1956, pp. 2-4. Voir aussi P. Dez ?Les articles polytiques de 1557 et les origines du systeme synodal?, Bulletin de la Society de VHistoire du Protestantisme francais, 93, 1957, pp. 1-9, pour Panalyse sinon pour la nature de ce document dans lequel on ne voyait pas alors la discipline d'une Eglise locale.
9 Texte commente et edite par Michelle Magdelaine,? La confession de foi de la commu naute francaise de Sainte-Marie-aux-Mines?, Bulletin de la Societe de VHistoire du Protestan tisme francais, 126, 1980, pp. 327-346.
10 Texte edite et commente par Michel Reulos, ?Les debuts des communaut?s de la Man che (Cotentin et Avranchin)?, Reforme et Contre-Reforme en Normandie, Revue du Departe ment de la Manche, t. 24, 1982, n? special, fasc. 93-94-95, pp. 31-61: ?Annexe?, pp. 40-61.
" Confession de foi de la communaute de Sainte-Marie-aux-Mines, ed. cit., p. 338.
12 Discipline de l'Eglise de Saint-Ld, ed. cit., p. 41.
13 Confession de foi de la communaute de Sainte-Marie-aux-Mines, ed. cit., p. 338. 14
Discipline de l'Eglise de Saint-16, ed. cit., p. 41. 15 Confession de foi de la communaute de Sainte-Marie-aux-Mines, ed. cit., p. 338. 16 Ibid. 17
Discipline de l'Eglise de Saint-L6, ed. cit., p. 41. 18 Olivier Fatio, par exemple, constate que la ?'confessionnalisation' [sic] de la religion
[...] est precisement l'une des consequences de la doctrine et de la discipline du reTormateur de Geneve?: introduction a Jean Calvin, Des Scandales, &d. critique par Olivier Fatio, avec la col laboration de C. Rapin, Geneve, 1984, p. 12.
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8 THIERRY WANEGFFELEN
processus de construction confessionnelle: il sert en fait de ?test? d'apparte nance k la communaute confessionnelle, puisque l'enfant reforme doit pou voir en reciter la ?somme? (c'est-^-dire le sommaire, le resume) pour etre
admis a la cene20 et que, comme l'ecrivit Calvin au due de Somerset21, ?le
catechisme ser[t] aussi pour discerner si quelque presomptieux avan[ce] doc
trine estrange?. Le titre de la premiere version du catechisme de Calvin,
publie en 1537, Instruction et confession de foy dont on use en VEglise de
Geneve11, fournit un indice supplemental du rdle joue par le catechisme dans le processus de construction confessionnelle. De plus, en 1543, le Petit
traictiy monstrant que c'est que doit faire un homme fidele congnoissant la
verite de Vevangile: quand il est entre les papistes2\ puis Pannee suivante, en
1544, VExcuse a Messieurs les Nicodemites24 expriment une forte revendica
tion confessionnelle; ainsi on peut lire, dans VExcuse a Messieurs les
Nicodemites25:
Quant a moy, il ne me fait mal, sinon d'autant que je les voy tant adon nez a eux mesmes, que si Dieu ne leur complaist en tout et par tout, ilz se despitent incontinent contre luy; d'autre part, que je les voy si mal affectionnez au sainct Evangile, lequel ilz font profession de suyvre et tenir, que quand il ne leur chante pas chanson plaisante, ilz sont quasi prestz de tout renoncer incontinent. [...] Mon office est de prendre
peine et desirer que la doctrine que j'annonce soit en salut a tous. Mais
quand j'en ay faict mon debvoir, s'il en advient autrement, je m'accorde a la volonte de Dieu.
On est la loin de la definition catholique de la cura animarum qui veut
que le pretre soit responsable du salut de ses ouailles sur son propre salut;
19 Le premier exemplaire connu en est Le catichisme de l'Eglise de Geneve, 1545, in
octavo, et le texte en est reproduit dans J. Calvini opera quaesupersunt omnia, 59 vol., ?Corpus reformatorum?, Brunswick, 1863-1900, t. VI, col. 74-134 et mis en francais moderne dans Le catechisme de Geneve, Paris, 1934: voir Jean Calvin, Deux congregations et exposition du cate
chisme, premiere r?impr. de l'edition de 1563 avec une intr. et des notes par Rodolphe Peter, (?Cahiers de la Revue d'Histoire et de Philosophic religieuses?, 38), Paris, 1964, intr. p. XXV et n. 81.
21 J. Calvini opera..., op. cit., t. XIII, col. 72, cite par R. Peter dans son intr. a J. Calvin, Deux congregations..., op. cit., p. XXVI.
22 Texte reproduit par A. Rielliet et Th. Dufour, Le catechisme frangais de Calvin publie en 1537, Geneve, 1978 et dans J. Calvini opera..., op. cit., T. XXII, col. 25-74: voir R. Peter, introd. a J. Calvin, Deux congregations..., op. cit., p. XXV, n. 80.
23 Petit traicte, monstrant que c'est que doit faire un homme fidele congnoissant la verite de I'evangile: quand il est entre les papistes. Avec une Epistre du mesme argument. Compose parMJ. Calvin, Geneve, 1543, in-octavo, r??d. en 1545 et 1551 avec FExcuse aux Nicodemites; texte dans J. Calvini opera..., op. cit., T. VI, col. 541-588.
24 Geneve, 1544, reed, dans Francis M. Higman, ed., Three French Treatises, Londres,
1970, pp. 131-153 et notes pp. 166-168. 25
Ibid., p. 141.
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fiTRE D'fiGLISE EN FRANCE AU SlfcCLE DES CONFESSIONS 9
c'est ce principe qui retarde le processus de construction confessionnelle en
milieu catholique. Calvin, quant a lui, admet que certains, quoique ayant regu un bapteme qu'il reconnait comme valide, demeurent hors de la verita ble Eglise (celle qu'il a fondee) et, partant, soient de fait exclus du salut. Ces idees se trouvent encore developpees par le Reformateur de Geneve dans son
traite Des Scandales26, qui date de 1550.
On doit remarquer que le processus de construction confessionnelle a connu en milieu reforme une forme quelque peu particuliere. C'est que dans
Pecciesiologie calvinienne, on le redira, PEglise, c'est d'abord la commu
naute locale, ce dont le ?Preambule)) de la confession de foi de la commu
naute de Sainte-Marie-aux-Mines rend tres bien compte lorsqu'il affirme27
qu'?il est tres utile et presque necessaire [...] que chaque Eglise proclame clai rement et aussi brievement que possible la confession de sa foi)). II en va
autrement en milieu catholique, et aussi en milieu protestant, puisqu'on doit constater que, malgre les affirmations ecciesiologiques du ?Preambule)) de
VAugustana qu'on a indiquees, tres vite les Lutheriens ont ete designes sous
Pappellation tres significative de ?ceux de la Confession d'Augsbourg)). Enfin, quoi qu'il en soit de ces differences, on assiste, au cours du XVIe sie
cle, k l'emergence dans les consciences des Chretiens du sentiment, centre autour de ces textes qu'on appelle des ?confessions de foi)), de constituer des
groupes formant?Eglise?, ce qui a conduit le terme de ?confession)) k desi
gner egalement toute communaute chretienne qui entend etre distincte des autres.
DES GROUPES DE ?TYPE EGLISE))
Les sciences sociales, depuis les systematisations d'Ernst Troeltsch28, Joachim Wach et Max Weber, proposent des groupes religieux une typologie k quatre entrees29 qui permet un classement des grandes confessions chre tiennes qui apparaissent au cours du XVIe siecle. En ne considerant que
PEglise catholique et les eglises calvinistes, voire lutheriennes, on constate
qu'on a presque uniquement affaire a des groupes de ?type Eglise)).
26 Ed. cit?e, qui fournit, pp. 38-40, la liste des ed. du traite depuis 1550 et dont Fintroduc tion par Olivier Fatio, pp. 7-38, met remarquablement en lumiere la dimension confessionnelle du texte.
27 Ed. cit., p. 338. 28 Pour memoire: E. Troeltsch, Die Soziallehren des christlichen Kirchen und Gruppen,
Tubingen, 1951, J. Wach, Religionssoziologie, Tubingen, 1951, M. Weber, Gesammelte Auf satze zur Religionssoziologie, 3 vol., Tubingen, 1920-1921, 2e ed. 1922-1923.
29 On distingue en effet quatre types: Eglise, secte, denomination et culte.
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10 THIERRY WANEGFFELEN
On peut definir ce ?type Eglise? comme une institution de salut dont le
caractere distinctif, si Ton s'en tient a la terminologie d'Ernst Troeltsch, est
Tobjectivite: ?rEglise est une institution convaincue d'etre depositaire du
salut, depositaire de la verite universelle qu'un fondateur-sauveur de l'huma
nite lui a confiee.?30 En d'autres termes, l'Eglise est pensee comme un
groupe qui preexiste a l'adhesion des fideles, si bien que ces derniers ne sau
raient y apporter de changements. Ce caractere est important: contrairement au ?type secte?, qu'on pourrait definir avec Max Weber comme un groupe
contractuel, ou avec Ernst Troeltsch comme ?un groupement contractuel de
volontaires qui ont choisi, apres certaines experiences religieuses precises, de
s'agreger a d'autres Chretiens ayant fait les memes experiences?31, le ?type
Eglise? laisse en outre peu de place a des phenomenes de changement de
confession. ?En general, on nait dans une Eglise.?32 Les sorties d'une con
fession du fait de la conversion a une autre sont done exceptionnelles lorsque les confessions considerees possedent des limites nettes et qu'elles appartien nent au ?type Eglise?. Or, au cours du XVIe siecle, les limites confessionnel
les se sont effectivement precisees. Chaque confession s'est dotee d'un
systeme d'orthodoxie, qui lit est explique le corpus canonique scripturaire et
qui n'est pas un simple corps de doctrines erigees en dogmes, notion qui est au reste rejetee par les Eglises protestantes. Un tel systeme d'orthodoxie cree,
chez les membres de la confession, un veritable sentiment d'appartenance confessionnelle.
L'EXPRESSION D'UN SENTIMENT D'APPARTENANCE CONFESSIONNELLE EN MILIEU CATHOLIQUE
A premiere vue, le sentiment d'appartenance confessionnelle parait plus fort en milieu catholique que protestant. II semble, en tout cas, plus percepti ble dans le discours confessionnel catholique. Cela est sans doute du, en par tie du moins, aux differences qui separent les ecciesiologies catholique et
reformee: la premiere insiste davantage sur l'institution qui reflete la Verita
ble Eglise33, alors que la seconde met en avant ce qui est considere comme
30 E. Pace, ?La typologie des groupes religieux?, Le grand Atlas des religions, Encyclop aedia Universalis, Ch. Baladier, dir., Paris, 1988, p. 240a.
31 J. Seguy, ?Eglises et sectes?, Encyclopaedia. Universalis, t. V, Paris, 1980, p. 1011. 32 E. Pace, art. cit., p. 240b. 33 P. Chaunu, Le temps des Reformes, la crise de la chritiente, VEclatement, 1250-1550,
Paris, 1975, p. 15.
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?TRE D'?GLISE EN FRANCE AU SlfiCLE DES CONFESSIONS 11
la forme visible de cette Veritable Eglise, ce qui est Pune des deux raisons34
qui ont conduit a ne pas parler, dans le cas des reformes frangais, d'une
Eglise reformee frangaise mais, comme en rend compte le titre complet de
VHistoire ecclesiastique35, des ?eglises reformees? de France. Joue egale
ment, en milieu catholique, Pargument de security frequent et souvent deci
sif quand le dialogue interconfessionnel prend la forme de la controverse reli
gieuse. Un exemple est fourni par la controverse qui, de Pete de 1534 au mois
de Janvier 1535, a oppose Peveque d'Avranches Robert Ceneau au reforma
teur de Strasbourg Martin Bucer.
D'embiee en effet, dans cette affaire, le controversiste catholique etaie sa
revendication confessionnelle d'un argument de securite qu'il entend voir
jouer a la defaveur de son adversaire. Celui-ci, l'?heretique?, est un egare. Alors que les catholiques suivent une voie frayee, connue, lui et ses sembla
bles ne sont que des errants: nos tentatamjam et tritam catholicorum incessu
viamperambulamus, vos erratis in invio et non in via36... Ils ne peuvent meme
pas esperer etre guides ni par leur propre raison, car ils sont en proie a la pas
sion, ni par leurs chefs, ces reformateurs qui ne sont que des aveugles. [...]
post desideria vestra currentes et caecos viae ductores sequentes..., tels les
definit Robert Ceneau, ?courant apres vos desirs et suivant sur cette route
des guides aveugles))37! En bref, on se trouve face a des haeretici et signorum desertores38, des heretiques, qui deiaissent les sacrements. Voila ce que sont
ces protestants, qui errent hors des lois, hors des foyers, sans demeure, sans
tribu, sans famille, exleges, extorres, sine domo, sine tribu, sinefamilia39. On a bien la une definition a contrario de cette Eglise catholique pour la defense
de laquelle ecrit Peveque d'Avranches. L'Eglise est un lieu qui assure protec
tion, un lieu qui parait resumer a lui seul les solidarites diverses qui permet tent a l'homme d'etre a Pabri du danger et du besoin, PEtat, le clan, la
34 La seconde raison releve du droit public francais: celui-ci ne reconnait en effet la per sonnalite morale qu'aux eglises locales, seules pourvues d'un organe representatif, le consis
toire, et, a ce titre, considerees corrime formant des corps. Voir Michel Reulos, ?Les caracteres
particuliers de Forganisation des eglises reformees en France aux XVIe et XVIIe siecles?, dans Les Eglises et leurs institutions aux XVIe siecle. Actes du Ve colloque du Centre d'Histoire de la Reforme et du Protestantisrrie, recueillis par M. Peronnet, pp. 141-152. Cet article debute
cependant par la remarque ?que dans l'ecclesiologie calvinienne, l'Eglise est en premier lieu
l'eglise locale? (p. 141). 35 G. Baum, E. Cunitz, R. Reuss, ed., Histoire ecciesiastique des Eglises reformees au
Royaume de France, Anvers, 1580, 3 vol., Paris, 1883-1889. 36 R. Ceneau, Axioma catholicum..., op. cit., f. 4 v?: ?nous, nous parcourons une route
deja exploree et frayee par la marche des catholiques, vous, vous errez la ou il n'y a pas de route, et non sur une route...?
37 Ibid., f. 5 r?.
38 Ibid., f. 41 r?.
39 Ibid., f. 41 v?.
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12 THIERRY WANEGFFELEN
famille, le foyer... Son anciennete meme est garante de securite et la commu
nion des saints, sans doute, permet jusqu'a la solidarite du fidele
d'aujourd'hui avec les generations passees. Au reste, ce lieu est garde par une
milice efficace, celle des religieux. Avoir fait partie autrefois de cette milice
aggrave encore la faute des reformateurs protestants, traitres a leur voeux
autant qu'a leurs ancetres et predecesseurs et & leur ?mere PEglise)), adulte
rinifilii, generatio prava et adultera, matris Ecclesiae rebelles, qui aliquando sub ignis et sacramentis ecclesiasticis militastis nunc refugae et desertores, nihil minus quam Christiani et nihil magis quam haeretici40.
On recherche en vain dans les deux traites de Robert Ceneau contre Mar
tin Bucer l'image pastorale classique dans PAncien Testament pour represen ter le peuple de Dieu41, que Jesus reprend, dans le Nouveau Testament, en
Pappliquant a Israel42 ou au groupe de ses disciples43. Jesus est ?pris de
pitie? devant ?la grande foule? parce qu'?[elle etait] comme des brebis sans
bergers))44. Le peuple est abandonne comme, dejk, Ezechiel le reprochait ?aux bergers d'Israel))45, et J6sus doit se comporter comme ce prophete
annongait que Dieu allait le faire46. Paul47, comme Pierre48, a repris, dans
les premiers temps de PEglise, cette image du troupeau sur lequel il faut veil
ler et c'est devenu un theme fort rebattu en milieu chretien49. Si Robert
Ceneau n'en use pas dans ses ecrits contre Bucer, on le repere dans des actes
d'abjuration du calvinisme, par exemple dans ceux que contient un registre
40 Ibid. 41
Gn48,15;Os4,16; 13,4-6; Mi 2,12-13; 4, 6-7; 7,14; So 3,19; Jr31,10; 40,19;surtout Ez 34; Es 40, 11; 49, 9-10; Ps 23, 1; 95, 7. Voir T.O.B., Paris, 1988, p. 2494, n.a.
42 Mt 9, 36; Mc 6, 34: ... sicut oves non habentespastorem, Biblia sacra juxta vulgatam versionem, adjuvantibus Bonifatio Fischer O.S.B., Johanne Gribomont O.S.B., H.F.D. Sparks W. Thiele..., Stuttgart, lre ed. 1969, 3e ed. 1983, pp. 1539a et 1584b.
43 Mt 26, 31; Mc 14, 27; Lc 12, 32; Jn 10, 11-14: scriptum est enim percutiam pastorem et dispergentur oves gregis, quia scriptum est percutiam pastorem et dispergentur oves, nolite timere pusillus grex quia conplacuit Patri vestro dare vobis regnum?, ego sum pastor bonus, bonus pastor animam suam dat pro ovibus, mercennarius et qui non est pastor cujus non sunt
ovespropriae, videt lupum venientem et dimittit oves etfugit et lupus rapit et dispergit oves...,
{ibid, pp. 1568b, 1600a, 1633b et 1677b). 44 Mc t, 34: loc. cit. 45 Ez 34, 2-6: op. cit., p. 1315b. 46 Ez 34, 11-12: ibid, p. 1316a. 47 Voir les adieux, a Milet, de Paul aux anciens d'Ephese, Ac 20, 28: adtentite vobis et
universio gregi in quo vos Spiritus Sanctus posuit episcopos regere ecclesiam Dei quam adquisi vit sanguine suo (ibid., p. 1733b).
48 1 P 5, 2: pascite qui est in vobis gregem Deiprovidentes non cacto sedspontanee secun
dum Deum neque turpis lucri gratia sed voluntarie... (ibid., p. 1869a) 49 A tel point que les fideles sont des ouailles, de oviculae, diminutif d'ovis, ?brebis?, voir
les lieux de la Vulgate cites supra.
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ETRE D'EGLISE EN FRANCE AU SIECLE DES CONFESSIONS 13
de Grenoble50. Guillaume de Saint-Marcel-d'Avangon, archeveque d'Embrun
et doyen du chapitre Notre-Dame de Grenoble, relatant le bref de Gregoire XIII en faveur de ceux qui desiraient faire retour au catholicisme, souligne bien que ce pape est ?sogneux et evoieulx comme vray pasteur et chiefz de
l'eglise que nulle de ses ouailles perissent ains si aulcuns n'ont devouaez [et] sa force par tous moyens de les remectre en la bergerie de PEglise))51; quant au premier des abjurants dont Pabsolution soit mentionnee dans ce registre
grenoblois, il prie Parcheveque en ces termes: ?qu'il vous plaise me recepvoyr au trouppeau et bergerie du peuple de Dieu, qui vit soubz l'obeissance du
pape...)), recitant la en fait la Forme d'abjuration d'heresie et confession de
foy que doibvent faire les desvoyez de la foy, pretendans estre receux en Veglise
qui a ete imprimee a Paris chez Nicolas Roffet52 et reprise dans l'edition
d'?Edimbourg)), 1573, du Defuroribus Gallicis... de Fr. Hotman aux pp. CX
CXIII (texte latin pp. CXIIII-CXIII)53. Cette image est egalement Pun des modes choisis par Florimond de Rae
mond, dans son Histoire de la naissance, progrez et decadence de Vheresie de
ce siecle, parue pour la premiere fois en 160554, pour exprimer son sentiment
d'appartenance confessionnelle. On peut lire, en effet, sous sa plume, des
expressions telles que: ?Penclos de PEglise Catholique Apostolique et
Romaine))55, ?le pare de PEglise))56, ?le sacre bercail de PEglise))57, ou
encore, a propos de la nomination de Gerard Roussel comme abbe de Clai rac puis eveque d'Oloron: ?ainsi les brebis sont donnees a la garde du
loup))58. D'autres themes ont une fonction semblable chez Florimond de
Raemond; ainsi celui de Punion ou de Punite de PEglise catholique qui
s'oppose a ?la division de PHeresie?59. On pourrait encore citer les argu
50 E. Maignien, ?Registre contenant quelques actes d'abjuration du protestantisme (1572-1585), Bulletin de l'Academie delphinale, 4e serie, t. IV, Grenoble, 1891, pp. 510-530.
51 Ibid., p. 512. Je retablis la transcription fautive d'E. Maignien.
52 L'exemplaire consultable a la Bibliotheque Nationale de Paris (cote: Ldl37 32) est s.d.,
mais le privilege qu'il comporte est date du ler octobre 1572. 53 Cette formule abjuratoire reprend de tres pres le texte de la Profession de foi de Pie
IV de 1564, voir supra, n. 6. 54 Citee d'apres Fed. de Rouen, 1629. 55
Ibid, p. 30. 56
Ibid., p. 63. 57
Ibid, p. 773. 58
Ibid., p. 850. 59
Ibid., p. 564: ?laissant la division de Fheresie, il [un disciple de Melanchthon] s'arreta dans l'unite de l'Eglise Romaine?; voir aussi ibid., p. 659, ?l'union de l'Eglise universelle? et encore pp. 661 et 844: ?Funion de FEglise?.
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14 THIERRY WANEGFFELEN
ments d'autorite60, de securite61, de tradition62... Florimond de Raemond est
prolixe et imaginatif iorsqu'il s'agit de definir la confession chretienne a
laquelle il a choisi de revenir, apres avoir fait un passage au protestantisme, vraisemblablement a la suite de l'affaire d'Anne du Bourg63.
L'EXPRESSION DU SENTIMENT D'APPARTENANCE CONFESSIONNELLE EN MILIEU REFORME
Certes, la metaphore du troupeau se retrouve aussi en milieu reforme, ou
le ?ministre de la Parole? est communement qualifie de ?pasteur?; Jean
Calvin definit ainsi l'office des pasteurs: ?[...] qu'ils paissent les brebis et
exterminent les loups; qu'ils conduisent par enseignemens et exhortations ceux qui sont dociles; qu'ils contraignent et corrigent les rebelles et obstinez
[...]?64; on la rencontre en d'autres passages de VInstitution de la religion chrestienne65 ainsi que dans des textes normatifs de portee generalement dis
ciplinaire et pastorale66. Toutefois le sentiment d'appartenance confession
nelle parait etre differemment exprime dans des textes ni doctrinaux ni disci
plinaires ni pastoraux comme VHistoire ecclesiastique61 ou VHistoire des
Martyrs6*.
60 Ibid., p. 283: ?l'obeyssance du Pape, chef de l'Eglise?.
61 Ibid., p. 661: ?ceste Arche sacree [qui] garent[it] de ce grand Deluge d'heresies qui [suf
foque] le monde?, plus loin, p. 837, Pheresie etant comparee a une epidemic 62
Ibid., p. 251: ?la foy de leurs peres?; p. 671: ?la religion de ses peres, laquelle il avoit succe avec le lait?; p. 856: ?l'ancienne religion de ses peres?.
63 C'est en tout cas 1'interpretation qu'on peut proposer a ce qui paratt bien etre un verita ble plaidoyer pro domo, ibid., p. 865. Voir aussi p. 894. P. 204, Raemond raconte comment le miracle de Laon Pa retire de ?la gueule de P Heresie?.
64 J.D. Benoit, ed., Jean Calvin, Institution de la religion chrestienne, Paris, 1957-1963, 5 vol., livre IV, chap. 8, ? 9, p. 160.
65 Ibid., notamment III, pp. 460-461 et IV, pp. 15 et 19.
66 Voir par exemple la ?Preface? de la Discipline de Poitiers de 1557 (ed. cit. p. 2): ?I1 faut done que les fideles facent prieres et supplications au Seigneur qu'il ordonne et envoye en sa moisson des pasteurs et docteurs afin que par le ministere de sa parolle le troupeau acquis par le sang de Jesus Christ soit repeu avec soin et diligence? ou la Discipline de PEglise de Saint L6 (ed. cit. p. 41): ?... qu'ils ayent a se mieux reformer, et reduire au troupeau de nostre Sei
gneur Jesus-Christ...?, ou encore le traitte de I'Apostasie de Jean de PEspine, s.l., 1583, cite
d'apres la reimpr. dans Jean de PEspine, Opuscules theologiques, Geneve, 1598, ff. 399 r?, 423 r?, 424 v?, 441 v? et 457 r?. Sur le pasteur Jean de L'Espine, voir Louis Hogu, Jean de
L'Espine, moraliste et theologien {15051-1597). Sa vie, son oeuvre, ses idees, (?Bibliotheque de PEcole des Hautes Etudes, Sciences historiques et philologiques?, 203), Paris, 1913.
67 Op. cit.
68 Jean Crespin, Le livre des Martyrs depuis Jean Huss jusqu 'a cette pre'sente annee,
Geneve, 1554, reed. Toulouse, 1885, 3 vol. ou bien ed. de 1570, Histoire des vrays tesmoins de
la virite de I Evangile qui de leur sang l'ont signe'..., reprod. anastatique avec une table de 58 p. de L.E. Halkin, 1964.
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ETRE D'EGLISE EN FRANCE AU SIECLE DES CONFESSIONS 15
Dans ces textes, plus qu'une institution qui trouverait sa designation dans un lieu, comme c'est presque exclusivement le cas, on vient de le voir, en milieu
catholique, l'appartenance confessionnelle parait plutot etre ressentie comme
une attitude, decrite comme Taction de ?faire profession?69. L'expression vaut
qu'on s'y attarde quelque peu. En effet, ?faire profession)), c'est ?declarer
(fateri) personnellement quelque chose devant (pro) une autorite competente
pour recevoir cette declaration))70. On a done la affaire a une exigence d'enga gement, et cette revendication tient lieu de sentiment d'appartenance confes
sionnelle. Ce que les reformes professent, c'est un enseignement, ? doctrine de
la verite))71, ?doctrine des Evangeliques))72, ?connaissance de la Verite))73, ou
simplement ?l'Evangile))74. Ce dernier emploi revele ce qu'on a souvent dit
constituer une specificite reformee75; en fait, il semble que ce soit loin d'etre
le cas, au moins jusque dans la decennie 1560, voire 1570.
Louis-Edouard Roulet76 a etudie les six consultations populaires a propos des six mandements gouvernementaux qui jalonnent, de 1524 a 1528, le pas
sage de Berne a la Reformation protestante, ?ce qu'il faut bien appeler une
crise de confiance tant sur le plan politique que sur le plan confessionneb)77.
II remarque qu'a Berne, par exemple, on pouvait encore croire, en 1524 ?que l'attachement aux formes traditionnelles n'allait pas a l'encontre des Verites
evangeliques))78. Autrement dit, au debut des annees 1520 l'adoption de la
Reforme n'est pas encore forcement le rejet de ?l'ancienne Eglise)): en 1526, meme les communautes qui, en 1524, s'etaient montrees les plus favorables a
l'alliance avec Zurich (option au moins autant politique, au reste, que confes
sionnelle) ou a la liberte de conscience, ?ne reclame[nt pas] l'abolition des sacrements catholiques)) et ?se rangent aux cotes de la tradition))79. Et si,
69 L'expression se retrouve souvent dans PHistoire ecclisiastique, op. cit., notamment. On
Pa reperee t. I, p. 22; t. II, pp. 452, 476, 555, 597, 604, 637, 656, 674, 762; t. Ill, pp. 196, 243, 358, 378, 542. Elle a parfois pour synonyme la formule ?suivre...?, t. II, p. 900, t. Ill, p. 36.
70 J. Pannier, Les origines..., op. cit., p. 10.
71 Histoire ecctesiastique..., op. cit., t. I, p. 102. 72
Ibid, t. I, p. 389. 73
Ibid., t. I, p. 65; on lit aussi, simplement, ?la Verite?, t. I, p. 82. 74
Ibid., t. I, pp. 22, 160; t. II, pp. 538, 762, 787 (ici PEvangile est ?preche purement?). 75 Voir P. Chaunu, Eglise, culture et societi: essais sur Rejorme et Contre-Reybrme
(1517-1620), Paris, 1981, p. 368: ?... tout comme la parole ecrite et lue et entendue, comme la Bible sue et connue, est Patout de la religion du pur Evangile du Christ?.
76 L.-Ed. Roulet, ?Six consultations populaires bernoises a Pepoque de la Reforme?, Melanges d'histoire du XVIe siecle offerts a Henri Meylan (?Travaux d'Humanisme et de Renaissance?, n? CX), Geneve, 1970, pp. 31-47.
77 Ibid, p. 32.
78 Ibid., p. 39.
79 Ibid, p. 40.
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16 THIERRY WANEGFFELEN
apres avoir redit qu'?en 1524, on pouvait de bonne foi croire que les structu res romaines reposaient sur les seuls Evangiles)), L.-Ed. Roulet suppose
qu'?en 1527, voter pour le premier amendement [qui exprime la revendica tion d'une libre predication de TEvangile], c'etait parfois aussi se prononcer en faveur des idees nouvelles))80, il n'en reconnait pas moins qu'?il serait faux
toutefois d'admettre que c'est le cas chaque fois qu'apparait la revendication d'une libre predication de 1'Evangile))81. Dans le meme sens va Francis
Higman82 lorsqu'il ?souligne le fait que, dans les annees situees entre 1520 et 1543 (et au-dela, d'ailleurs), une fraction de l'eglise gallicane soutenait que le doctrines 'evangeliques' representaient la vraie 'orthodoxie' de l'Eglise
catholique))83. Cela n'est-il pas encore vrai pour beaucoup des participants du colloque de Poissy, en 1561, sur l'importance duquel l'historiographie n'a sans doute pas assez insiste jusqu'ici?
Quoi qu'il en soit, il est certain que pour les auteurs de VHistoire eccle
siastique cela constitue une caracteristique de la Reformation protestante. On a certes scrupule a presenter cet enseignement comme un corpus dogma
tique, puisque la notion meme de ?dogme? parait heterogene aux Eglises issues de la Reformation protestante: il n'existe en effet au sein de ces Eglises aucune autorite capable de lier les consciences, meme s'il parait bien que la notion de ?libre examen)), si rebattue s'agissant des Eglises protestantes, semble a nuancer84. Et de fait cet enseignement n'est, la plupart du temps dans VHistoire ecclisiastique%\ designe que par les mots: ?la Religion)). En ce sens, ?faire profession de la Religion)) ou ?suivre la Religion)), c'est ?etre
de la Religion))86. Les auteurs de VHistoire ecctesiastique opposent parfois
80 Ibid., p. 42.
81 Ibid, p. 42, n. 52.
82 Francis M. Higman, Censorship and the Sorbonne. A bibliographical study of books in French censured by the Faculty of Theology of the University of Paris, 1520-1551, Geneve, 1979.
83 JM. deBujanda, dir., Index del'Universitdde Paris, 1544,1545,1547,1549,1551,1556, Geneve-Sherbrooke (Quebec, Canada), 1985, p. 38, n. 13.
84 Voir par exemple le chapitre X de la Discipline de Saint-Ld (ed. cit., p. 52): ?De la Pro
prieties On y lit que ?la Prophetie ou interpretation et conference des Escritures se fera par les Ministres du Colloque, en Passemblee ou chacun dira la teste descouverte ce que Dieu luy aura communique jusques a ce qu'on en puisse dresser une ordinaire quand PEglise sera plus avancee et enrichie des dons du Saint Esprit, pour le pouvoir faire selon la forme que nous ensei
gne PApostre, I. Corinth. 14?, maniere d'?eviter que des fideles se pr6tendant doues de dons
particuliers du Saint Esprit ne veuillent inconsiderement parler dans PAssemblee des fideles?
(ibid., ?Annexe: [...] Notes?, p. 61). 85
Op. cit., t. I, pp. 82, 117, 262, 264, 370, 384, 862; t. II, pp. 232, 452, 476, 521 (deux emplois), 555, 597, 604, 637, 656, 672, 674, 675, 703, 716, 832, 838, 857, 900; t. Ill, pp. 36, 55, 196, 358 (deux emplois), 378, 542, 593.
86 Ibid., t. Ill, p. 243: ?faire profession d'estre de la Religion?. Cf. aussi t. II, pp. 574,
611; t. Ill, p. 376. D'ou les expressions: ?ceux de la Religion?, t. II, pp. 473, 474, 516, 665, 670,
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ETRE D'EGLISE EN FRANCE AU SlfiCLE DES CONFESSIONS 17
k ?la Religion)) ce qu'ils appellent ?la religion Romaine))87 ou, mais beau
coup plus rarement, l'?Eglise Romaine))88. Cette derniere expression devrait
avoir son pendant dans le terme l'?Eglise)), employe absolument pour desi
gner la confession reformee. II faut toutefois noter que, dans VHistoire eccle
siastique, on ne rencontre cet emploi que deux fois89 et toujours a propos de
la reconciliation d'anciens reformes passes au catholicisme, si bien qu'on
peut se demander si, dans un tel contexte, le mot ?l'Eglise)) ne designe pas
plutot le consistoire. L'equivalent strict de l'expression l'?Eglise Romaine))
serait en cela bien davantage l'?Eglise de Jesus Christ)) ou l'?Eglise de
Dieu)), qu'on ne rencontre pas dans VHistoire ecclesiastique mais, par exem
ple, sous la plume d'un pasteur comme Jean de l'Espine90.
LES SIGNES MATERIELS DE L'APPARTENANCE CONFESSIONNELLE
Le changement de confession est souvent l'occasion, d'ailleurs, de mieux
definir la confession: ainsi lorsque Florimond de Raemond91, relatant le pas
sage de Berne a la Reformation protestante, ecrit qu'elle ?dit Adieu a l'Eglise catholique, bannit la Messe, se distrait de l'obeyssance du Pape, chef de
l'Eglise, et fait un abatis d'images et d'autels)), il indique avec encore plus de clarte qu'ailleurs dans son Histoire /.../ de Vheresie que, pour lui ? mais ce qu'il enonce n'est pas original; il a simplement le merite de la nettete ?
la confession catholique est definie suffisamment par les notions conjointes de communaute croyante (?Eglise?) et d'universalis (?catholique))), la
messe, 1'autorite pontificate, et le mobilier ecclesiastique et liturgique
qu'induisent les dogmes et les rites en vigueur dans cette confession
(croyance en la communion des saints, d'ou les images, messe, done presence reelle et remanence, d'ou les autels).
747, 840, 928; t. Ill, pp. 209, 237 (?le party de ceux de la Religion?), 593; ?quelcun de la Reli
gion?, t. II, p. 597; ?toutes personnes de la Religion?, t. II, p. 603; ?quelques femmes de la
Religion?, t. II, p. 624. 87
Ibid., t. II, pp. 624, 656, 670, 992; t. Ill, pp. 531, 538, 593 (deux emplois). On remar
quera Pusage des initiates, minuscule a ?religion? et majuscule a ?Romaine?. Monsieur Michel Reulos m'a fait remarquer que la minuscule au mot ?religion? dans Pexpression ?religion Romaine? peut s'expliquer par le fait que ce mot designe aussi un ordre religieux, un groupe de regulier, ce qui en fait un nom commun.
88 Ibid., t. II, p. 747; t. Ill, p. 593.
89 Ibid, t. II, p. 521 et III, p. 140.
90 J. de L'Espine, op. cit., respectivement f. 441 v? et 444 r?. "
Op. cit., p. 283.
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18 THIERRY WANEGFFELEN
Au-dela meme des dogmes et des articles de foi, ce sont en effet des signes materiels qui differencient une confession d'une autre. Des mots, employes ici mais remplaces la par d'autres termes, jouent un role identique. Presenter
ces ?champions? de la cause catholique que sont pour lui les Jesuites off re
a Florimond de Raemond Poccasion de noter que les mots de ?Christ? et
de ?Jesus? sont justement Pune des distinctions qui existent entre catholi
ques et protestants92. II explique, en effet, que si les premiers Chretiens se sont
declares disciples du Christ, et non simplement de Jesus, e'etait pour bien
insister sur le fait que leur Eglise n'etait pas une simple secte juive issue d'un
Rabbi comme il y en avait deja tant eu
(?Les premiers chrestiens s'appellerent d'une voix commune chrestien
du nom de Christ, qui estoit le nom du Messie et le plus estime entre les Juifs. Celuy de Jesus estoit commun parmy les Hebrieux: et
remarque-t-on en la Passion du Sauveur, que les Juifs ne s'offensoient
point de Pouyr nommer Jesus, mais bien le Christ, deu vrayment au Fils de Dieu?).
Au contraire, desormais, il convient de se referer au nom de Jesus, ?Nom
de douceur et de debonnairete; Nom que les Catholiques reverent autant que les desvoyez le tiennent a mespris: Ils se contentent de remplir leur bouche
de Christ, et point de Jesus?93. Florimond de Raemond introduit ici une
sorte de perspective historique (peu pertinente aux premiers temps de
PEglise, la reference a Jesus a acquis, depuis lors, du sens), attitude propre ment catholique et qui se comprend dans le cadre de la controverse avec les
protestants compte tenu de Pabsence de sens historique qui a marque les
grands Reformateurs du XVIe siecle selon Pierre Chaunu94. Or, cette absence
de sens historique est, depuis les debuts de la Reformation protestante, la
cause de toute une serie de comportements (par exemple Pinvocation de
?Christ?, mais plus fondamentalement le rejet des images qui mene a Pico
noclasme et celui de la messe qualifiee de superstitieuse) que la sensibilite
catholique a toujours consideres comme foncierement orgueilleux et qui
92 Ibid, pp. 528-529.
93 Du cote protestant, on considere egalement comme un trait typiquement catholique Finvocation du nom de Jesus. Nicolas Pithou, dans son Histoire ecclesiastique de l'Eglise de
la ville de Troyes... (Jttsqu 'en 1594), demeuree manuscrite (exemplaire copie et annote par le pas teur Charles Serfass, conserve a la Bibl. de la S.H.P.F. sous la cote 1667), remarque a propos de l'apostat Morel, cordelier un temps gagne aux idees evangeliques, que ce dernier? finalement
pour lever toutes les occasions de doubter a jamays plus de son revoltement entier [...] dressa tout de nouveau en son convent une confrarie qu'il nomma la Confrarie du nom de Jesus [...]? (ms. cit., p. 97).
94 P. Chaunu, Le temps des Reformes..., op. cit., p. 451.
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ETRE D'EGLISE EN FRANCE AU SIECLE DES CONFESSIONS 19
constituent sans doute la vraire rupture entre les deux Reformations, catholi
que et protestante. Ainsi les mots trahissent la construction confessionnelle, et expriment
l'existence des frontieres qui en ont resulte.
Universite de Paris I. Thierry Wanegffelen.
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