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Étude de cas - La Banque mondiale en République Démocratique du Congo (RDC) - Mai 2016 Les parcs agro-industriels, la réponse à tous les maux de la RDC ? 1. Élements de contexte Selon le rapport de la FAO-UNF- PA-IIASA sur les potentialités de production agricole dans le monde¹, la RDC dispose d’un potentiel agricole suffisant pour nourrir 2,9 milliards de personnes. Pourtant, le pays est incapable de cou- vrir les besoins alimentaires de toute sa population et doit recourir à des importations conséquentes de maïs, blé, riz, sucre, viande… pour près d’$1,5 milliard annuellement². La croissance de la production agricole (1,4% par an entre 2007 et 2012 selon l’IFPRI) est plus faible que la croissance de la population (2,4% par an), ce qui place la RDC dans une situation précaire. 77% de la population congolaise vit sous le seuil de pauvreté (1,90$ par jour)³ et près de 70% des ménages se trouvent en insécurité alimentaire⁴. L’Indice Global de Sécurité Alimentaire place la RDC à la 105ème place sur 109 de son classement en 2015⁵. Le pays se trouve aussi en queue de peloton au niveau de l’indice de développement humain (176èᵐᵉ sur 188). L’agriculture dans les politiques publiques nationales Pour le gouvernement congolais, l'agri- culture a souvent été nommée comme « priorité des priorités » mais n'a jamais été sujette à la mise en place concrète de politiques publiques ou budgétaires. Entre 2007 et 2013, maximum 3% du budget national est alloué à l’agricul- ture alors que la RDC s’était engagée, en signant la déclaration de Maputo en 2003, à consacrer au moins 10% de son budget national au secteur agri- cole (agriculture, élevage et pêche). Ce n'est qu'à partir de 2009 qu'une Note de Politique Agricole est publiée, reprenant l'ensemble des projets pensés depuis 1966. Cette note est suivie en 2010 par un document de Stratégie sectorielle de l'agriculture et du développement rural (SSADR). Cette stratégie propose entre autres l'attribution de budgets, l'investisse- ment dans la recherche agricole ou encore la relance du secteur par la pro- motion d'une agriculture familiale et industrielle. Ces orientations sont en cohérence avec le Document de Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (DSCRP). Dans le DSCRP 2 (2011-2015), le gou- vernement confirme ces orientations stratégiques et réaffirme sa vision pour relancer l’agriculture et assurer la sécu- rité alimentaire. L’État congolais veut redynamiser la structure productive du monde rural axée sur le développement d’une production agroindustrielle mo- derne et sur le renforcement des petits exploitants, tout en assurant la protec- tion des ressources naturelles du pays. Fin 2011, la RDC se dote d’une loi por- tant principes fondamentaux relatifs au secteur de l’agriculture qui vient combler un vide en apportant une assise juridique à la politique agricole congolaise⁶. Cette loi crée un cadre propice au développement de l’agricul- ture familiale qui y est reconnue comme la pierre angulaire de l’économie congolaise, mais elle reste succincte et vague sur de nombreux points et, cinq ans plus tard, sa mise en œuvre se fait encore attendre. Toujours en 2011, le gouvernement congolais adopte le Pro- gramme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique (PDDAA) initié par l’Union africaine. L’objectif est de consacrer au moins 10% du budget na- tional au secteur agricole et d’imprimer un taux de croissance à la production © Jean-Louis Brocart

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Étude de cas - La Banque mondiale en République Démocratique du Congo (RDC) - Mai 2016

Les parcs agro-industriels, la réponse à tous les maux de la RDC ?

1. Élements de contexte

Selon le rapport de la FAO-UNF-PA-IIASA sur les potentialités de production agricole dans le monde¹, la RDC dispose d’un potentiel agricole suffisant pour nourrir 2,9 milliards de personnes.

Pourtant, le pays est incapable de cou-vrir les besoins alimentaires de toute sa population et doit recourir à des importations conséquentes de maïs, blé, riz, sucre, viande… pour près d’$1,5 milliard annuellement². La croissance de la production agricole (1,4% par an entre 2007 et 2012 selon l’IFPRI) est plus faible que la croissance de la population (2,4% par an), ce qui place la RDC dans une situation précaire. 77% de la population congolaise vit sous le seuil de pauvreté (1,90$ par jour)³ et près de 70% des ménages se trouvent en insécurité alimentaire⁴.

L’Indice Global de Sécurité Alimentaire place la RDC à la 105ème place sur 109 de son classement en 2015⁵. Le pays se trouve aussi en queue de peloton au niveau de l’indice de développement humain (176èᵐᵉ sur 188).

L’agriculture dans les politiques publiques nationales

Pour le gouvernement congolais, l'agri-culture a souvent été nommée comme « priorité des priorités » mais n'a jamais été sujette à la mise en place concrète de politiques publiques ou budgétaires. Entre 2007 et 2013, maximum 3% du budget national est alloué à l’agricul-ture alors que la RDC s’était engagée, en signant la déclaration de Maputo en 2003, à consacrer au moins 10% de son budget national au secteur agri-cole (agriculture, élevage et pêche).

Ce n'est qu'à partir de 2009 qu'une Note de Politique Agricole est publiée, reprenant l'ensemble des projets pensés depuis 1966. Cette note est suivie en 2010 par un document de Stratégie sectorielle de l'agriculture et du développement rural (SSADR). Cette stratégie propose entre autres l'attribution de budgets, l'investisse-ment dans la recherche agricole ou encore la relance du secteur par la pro-motion d'une agriculture familiale et industrielle.

Ces orientations sont en cohérence avec le Document de Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (DSCRP).

Dans le DSCRP 2 (2011-2015), le gou-vernement confirme ces orientations stratégiques et réaffirme sa vision pour relancer l’agriculture et assurer la sécu-rité alimentaire. L’État congolais veut redynamiser la structure productive du monde rural axée sur le développement d’une production agroindustrielle mo-derne et sur le renforcement des petits exploitants, tout en assurant la protec-tion des ressources naturelles du pays.

Fin 2011, la RDC se dote d’une loi por-tant principes fondamentaux relatifs au secteur de l’agriculture qui vient combler un vide en apportant une assise juridique à la politique agricole congolaise⁶. Cette loi crée un cadre propice au développement de l’agricul-ture familiale qui y est reconnue comme la pierre angulaire de l’économie congolaise, mais elle reste succincte et vague sur de nombreux points et, cinq ans plus tard, sa mise en œuvre se fait encore attendre. Toujours en 2011, le gouvernement congolais adopte le Pro-gramme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique (PDDAA) initié par l’Union africaine. L’objectif est de consacrer au moins 10% du budget na-tional au secteur agricole et d’imprimer un taux de croissance à la production

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agricole d’au moins 6% par an sur la période 2011-2015. Pour y parvenir, le gouvernement congolais met en place un Plan national d’investissement agri-cole (PNIA) pour la période 2013-2020 qui constitue un cadre fédérateur et de planification de fonds nationaux et extérieurs pour toutes les actions de développement agricole et rural.

2. L’engagement de la BM en RDC

Historique et développement actuel

La RDC compte la Banque mondiale (BM) comme partenaire depuis son indépendance en 1960 et ce jusqu’au début des années 1990. À cette époque, sous le régime de Mobutu, la corruption est endémique, la RDC est incapable de faire face aux échéances de paiement de la dette et la plupart des interven-tions bilatérales sont arrêtées. La BM suspend également son aide, dans un pays où l’insécurité est croissante. Elle reprend progressivement ses activités en RDC au début des années 2000 et ini-tie une stratégie de « réengagement ra-pide » qui met fin à la suspension de son assistance à ce pays, avec des « prêts d’urgence » ou des prêts d’ajustement pour les réformes politiques et l’appui au budget. La BM affirme alors que ses prêts contribuent à la stabilité en RDC et à l’accroissement de la capacité du gouvernement à fournir les services de base à travers tout le pays⁷.

Depuis, la BM a participé financiè-rement ou scientifiquement à des dizaines de projets en RDC dans des domaines très variés. La stratégie d’assistance pays pour la période 2013-2016 a pour objectif (i) d’accroître l’effi-cacité de l’État au niveau central et de décentraliser et d’améliorer la bonne gouvernance, (ii) de renforcer la com-pétitivité de l’économie en accélérant la croissance tirée par le secteur privé créateur d’emplois, (iii) d’améliorer la prestation des services sociaux afin de relever les indicateurs de développe-ment humain (IDH) et (iv) d’apporter une réponse aux problèmes de fragilité et de conflits dans les provinces de l’est de la RDC. En juin 2015, le portefeuille de la BM en RDC comprenait 26 projets en cours d’exécution représentant un engagement global de $3,3 milliards⁸.

Importance du secteur agricole dans la stratégie

La BM s’est toujours dite prête à accom-pagner le gouvernement congolais dans la mise en œuvre de sa politique agri-cole, tant financièrement que via l'ap-port d'une expertise scientifique et tech-nologique, et a soutenu de nombreux projets de développement agricole. En 2010, la BM accepte de financer à hauteur de $120 millions le Projet d’ap-pui à la réhabilitation et à la relance du secteur agricole (PARRSA), une initia-tive du gouvernement congolais dont l’objectif est d’augmenter la producti-vité agricole et d’améliorer la commer-cialisation de la production végétale et animale des petits producteurs agri-culteurs. Plus précisément, ce projet se focalise sur les composantes agricul-ture, réhabilitation des infrastructures des marchés et des routes de desserte agricole ainsi que sur le renforcement des capacités du personnel administra-tif du Ministère de l’Agriculture, Pêche et Élevage et du Ministère du dévelop-pement rural⁹. La durée d’exécution du PARRSA avait été fixée à cinq ans (2011-2015) et le programme se concentrait sur trois anciens districts de la Province de l’Équateur ainsi que sur Kinshasa. Satisfaite des résultats atteints, la BM a décidé de prolonger son financement pour ce projet jusqu’au 31 janvier 2017 en accordant un financement addi-tionnel dont le montant n’est pas en-core déterminé¹⁰. Parmi les initiatives du PARRSA amenées à se développer dans les années à venir se trouve le projet de parcs agro-industriels, large-ment soutenu et encouragé par la BM.

3. Le projet des Parcs agro- industriels (PAI)

L’initiative des PAI

Le Plan national d’investissement agri-cole lancé en septembre 2012 par le gouvernement congolais ($5,7 milliards) prévoyait pour la période 2013-2020 le développement de Zones d’aménage-ments agricoles planifiés. Ce plan visait surtout à inciter les investisseurs tant nationaux qu’internationaux à se mobili-ser dans la relance d’une agriculture très productive et de précision, fondée sur les nouvelles technologies. Dans ce but, une vingtaine de zones allant de 1.000 à 150.000 hectares ont été identifiées dans les différentes provinces pour de-venir des parcs agro-industriels (PAI)¹¹.

Une agence congolaise de transforma-tion agricole a été créée pour superviser le développement des PAI. Le projet tel que voulu par les autorités congolaises vise à soutenir une mixité d’opérateurs agricoles dont des coopératives. Dans les faits, les modalités d’implémenta-tion donnent clairement la priorité à l’agrobusiness qui seul pourra mettre en œuvre de très larges zones de pro-duction. Des déductions fiscales pour l’importation des intrants et les expor-tations sont prévues, ouvrant large-ment la porte aux investisseurs tour-nés vers les marchés internationaux. Il est prévu que les PAI encadrent et sou-tiennent les exploitants agricoles dans la périphérie des parcs, mais les moda-lités restent vagues.

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Le parc de Bukanga Lonzo

Le premier parc mis en place dans le cadre des PAI est installé à Bukanga Lonzo (province du Bandundu). Le gou-vernement explique ce choix par son

Pour les promoteurs du projet : « La production de maïs est unique en ce qu’elle constitue une base de nourri-ture pour non seulement les humains, mais aussi les animaux. La production de maïs en phase 1 formera, par consé-quent, la base d’une production future d’aliments pour animaux. Gardant à l’esprit que l’axe principal est de créer non seulement un marché agricole et de cultures, mais également une chaîne de production durable, c’est-à-dire de la plantation du matériel de base (matériel brut sous forme de maïs) directement au produit final étant un morceau de viande sous forme de pou-let sur la table des consommateurs »¹⁴.

La première récolte de maïs a eu lieu en mars 2015 et aurait atteint, selon le gouvernement, les 20 000 tonnes¹⁵. Concernant le développement des infrastructures, à la même période, M. Christo Gobler, CEO d’Africom, a indiqué que « 200 km de routes et une piste d’aviation sont déjà amé-nagés à l’intérieur du parc, qui aligne aujourd’hui plus de 250 tracteurs, un système d’irrigation couvrant 1.000 hectares, une usine de bois opération-nel, d’une usine de caillasse et d’un système interne de purification d’eau ».

« potentiel de production à très haute valeur ajoutée : terre arable à fort rendement, disponibilité en eau et facilité d’irrigation, proximité avec la ville de Kinshasa qui consti-tue un marché et un débouché com-mercial de plus de 10 millions de personnes »¹².

Inauguré en 2014, le parc de Bukanga Lonzo va s'étendre sur 80 000 hectares pour assurer la réalisation d’un pro-gramme de production étalé en trois phases. La première phase est consa-crée à la production de légumineuses (maïs, soja, haricots), la seconde phase prévoit la production des légumes et des produits d’élevage (poulet de chair, poisson, œufs, viande) tandis que la troisième phase est réservée à l’étape de transformation (huile d’arachide et de soja, tomates en boite), selon Ida Naserwa, Directrice générale du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo¹³.

La gestion du site a été confiée à un consortium sud-africain, Africom Com-modities, et une société mixte a été créée, la Sopagri, pour fournir services, équipements et intrants au site. Il s’agit d’un véritable partenariat public-privé. Pour lancer le parc, le gouvernement in-dique avoir mobilisé $83 millions. La BM soutient l’opérationnalisation du PAI, à travers un financement des infrastruc-tures. Ce financement de la BM pour le parc rentre dans le cadre du PARRSA et d’un projet plus large « Western Growth Poles project » de $110 millions dans la région. Il s’agit d’un prêt d’investisse-ment spécifique (IDA) au Ministère des Finances congolais. Le montant exact alloué au parc n’est pas connu mais on sait que 57% des $110 millions vont être consacrés aux services d’infrastructure pour le développement du secteur pri-vé dans la zone. La BM financerait es-sentiellement l’électrification du parc.

La première phase d’activité agri-cole du parc s’est concentrée sur la production de cultures de base sur 5000 ha. Les premières plantations de maïs ont eu lieu en septembre 2014.Tout a été mis en place pour assurer une productivité : graines hybrides, intrants chimiques et technologies.

La position du gouvernement congolais et de la BM sur les PAI

La création des PAI répondrait à une double exigence : la lutte contre la malnutrition et l’insécurité alimentaire. Pour ce faire, le gouvernement congo-lais a choisi de « cibler prioritairement les productions vivrières par la mise en place de Pôles d’entreprises agricoles sous forme de parcs agro-industriels, tout en assurant la promotion des cultures industrielles »¹⁷.

Les PAI seraient donc la panacée aux maux que connait la RDC en matière alimentaire. « L’initiative dans son en-semble repose autour de trois compo-santes : le développement des fermes commerciales, l’appui aux petits fer-miers vivant dans la périphérie des sites sélectionnés, et le développement des coopératives agricoles à haute intensité de capital, technologie et main d’œuvre. Ces trois composantes permettent de répondre de manière efficiente et pro-fessionnelle aux problèmes auxquels le pays fait face, à savoir l’offre d’une gamme variée de produits alimentaires sur le marché »¹⁸. Outre des emplois, l'amélioration générale des conditions de vies de la population environnante découlerait également des PAI via de nombreux nouveaux services de santé, d'éducation, de transport, etc.

Pour cela, le gouvernement a besoin d’investisseurs étrangers. En créant ces pôles agricoles, il met en place un envi-ronnement plus ouvert au commerce et promet aux investisseurs une situation win-win avec des opportunités d’accès à la terre, d’accès à des fonds complémen-taires (banques de développement), des services variés et exemptés de taxes et de la transparence. Il promet aussi une sécurité juridique aux investisseurs en adoptant en 2014 une loi fixant le ré-gime des zones économiques spéciales (espace bénéficiant d’un régime juri-dique particulier qui le rend plus attrac-tif pour les investissements nationaux et étrangers, avantages fiscaux, etc.),

Pour les autorités congolaises, les PAI ont le potentiel de créer des milliers d'emplois, de services et de devenir des greniers pour la population congolaise :

« Le concept de parcs agro-indus-triels est la réponse idéale à la vo-lonté du Gouvernement de trans-former l’agriculture congolaise d’un secteur de subsistance en un véri-table moteur de développement de l’ensemble de l’économie congo-laise »¹⁶.

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qui sont les zones où les PAI seront dé-veloppés. À travers la création des PAI, le gouvernement congolais croit « libé-rer la croissance et faire face à l’insé-curité alimentaire », conformément au cadre stratégique qu’il s’est fixé.

La BM, quant à elle, soutient que les PAI sont une stratégie très prometteuse pour relancer les investissements, améliorer la sécurité alimentaire et plus généralement assurer le déve-loppement économique. La directrice générale du Groupe de la BM, Mme Sri Mulyani, en visite à Kinshasa en mai 2015, a réaffirmé le rôle crucial que l’agriculture peut jouer dans la réduc-tion de la pauvreté et l’amélioration du bien être des populations : « Si vous regardez dans le potentiel du pays, vous remarquerez qu’il y a d’énormes possi-bilités pour que ce pays se développe. Mais le projet de parc agro-industriel représente un immense potentiel parce qu’il aborde un autre secteur : l’agricul-ture dont dépend la grande majorité de la population ». Après une présentation des PAI par le Premier Ministre, Mme Sri Mulyani a annoncé que « la Banque mondiale et la SFI (Société Financière International) sont prêtes à apporter leur appui en fonction des besoins du gouvernement et apporter l’expertise nécessaire pour développer ce sec-teur important ». Elle a, par ailleurs, invité le secteur privé à participer à cet effort du développement agricole¹⁹.

Le directeur sectoriel de la BM chargé de l’agriculture en Afrique Centrale et Australe, Séverin Kodderitzsch, estime que le projet des PAI est une approche intéressante qui amène des collabora-tions entre des investisseurs publics et privés.

4. La position des organisa-tions paysannes congolaises²²

Dans le cas de Bukanga Lonzo, l’essen-tiel de l’information provient du gouver-nement, peu loquace sur ces questions. Les OP estiment que 11 000 villages vont être déplacés lorsque les 80 000ha du parc seront exploités. Que vont devenir les paysans qui vont perdre leurs terres, leurs élevages, leur accès à l’eau ? Il y a, aujourd’hui, un manque de transparence total sur le projet. Le parc est fermé et la visite à laquelle les OP ont été conviées était très en-cadrée. Une personne présente lors de cette visite en 2015 nous a relaté que les premières récoltes auraient été très mauvaises : le champ visité n’aurait rien donné sur 70% de sa superficie, le maïs était si petit (25 cm) qu’il ne pouvait même pas être arraché par les tracteurs et il était, par ailleurs, bouffé par les insectes.

Depuis un an et demi, le parc emploie des ouvriers agricoles dans des condi-tions précaires, avec un statut de jour-nalier : « Nous avons une année et six mois depuis la coupure du ruban sym-bolique, ils n’ont engagé personne, alors que nous faisons des lourds travaux. Il y a même des gens qui manipulent les produits chimiques sans aucune protection. Nous sommes payés régu-lièrement, mais ce salaire ne nous permet pas de nouer les deux bouts du mois », a indiqué l’un d’eux à Radio Okapi²³. De plus, ils n’auraient pas accès à l’eau potable, réservée aux expatriés.

Même s’il est encore trop tôt pour dres-ser un bilan objectif du parc de Bukanga Lonzo, le développement de PAI sou-lève de nombreuses questions dans le chef des organisations paysannes (OP).

Tel que conçu actuellement, le projet des PAI favorise nettement les grands exploitants agricoles et la production de cultures destinées à l’exportation, ce qui alimente les craintes des OP de voir l’agriculture familiale marginali-sée, voire même disparaitre au sein de ces espaces. Selon les OP, la coexis-tence entre l’agriculture familiale et l’agrobusiness est possible ; celles-ci peuvent même s’enrichir l’une l’autre et se développer de façon complé-mentaire. Mais cette ouverture et cette tolérance par rapport à l’agrobusi-ness supposent la réunion d’un cer-tain nombre de conditions qui, dans le cadre du premier PAI, n’ont pas été réunies. La principale condition réside dans la concertation franche et directe avec les OP ; ce qui n’a pas du tout été le cas dans le cadre de la mise en place des PAI. Les OP soulignent le manque de clarté et de transparence du projet ainsi que le manque de consultation des coopératives et populations locales. Or, le manque de dialogue et d’échange

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Il ajoute cependant que « le défi est de veiller à ce que cette approche qui a le potentiel s’inclut dans une croissance inclusive, elle inclut les petits agricul-

Même s’il affirme que son institu-tion ne privilégie pas un modèle agricole précis, l’approche préconi-sée par la BM avantage clairement une agriculture « de nature privée, qui aspire à être beaucoup plus productive en prenant en compte des éléments nouveaux comme la mécanisation, l’utilisation des semences performantes et de nou-velles techniques agricoles »²¹.

teurs, des coopératives, des groupe-ments de producteurs dans la crois-sance économique et agricole »²¹ Pour Séverin Kodderitzsch, « il n’y a pas in-compatibilité entre gros producteurs et petits producteurs, les deux sont plutôt complémentaires ».

crée le flou sur certaines questions importantes, particulièrement en lien avec le foncier. Sur quoi sont basés les critères de localisation des PAI ? Qu’en est-il de l’indemnisation et la relocalisation des paysans déplacés ? Quel sort est réservé au statut foncier des parcelles octroyées aux investisseurs ?

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Revendications

Les trois grandes forces paysannes du pays (COPACO, CONAPAC et UNAGRICO) ne rejettent pas totalement l’initiative de création de PAI mais, pour qu’ils puissent réellement contribuer à sou-tenir les petits producteurs, elles récla-ment une clarification du rôle des PAI par rapport aux exploitants agricoles sur les terres concernées et en périphérie et, d’une façon globale, une protection des intérêts des petits paysans par un cadre règlementaire négocié avec eux. Les OP demandent à ce qu’elles-mêmes, (les coopératives) et plus généralement la population soient consultées de manière régulière, tant lors des phrases d’identification et d’implantation que de mise en œuvre des PAI. À la fois pour prendre en compte leurs revendications mais aussi pour apporter des clarifica-tions sur les tenants et aboutissants du projet des PAI, précisément sur les enjeux fonciers (dédommagement, relocalisation, statut). Elles préconisent que le développement de nouveaux PAI fasse l’objet d’un moratoire, en attendant l’évaluation des résultats du premier site pilote de Bukanga Lonzo. Les OP exigent que les bénéficiaires exploitant des PAI mettent en place des services d’accompagnement technique des petits paysans. Elles demandent à leur gouvernement d’instaurer un mé-canisme efficace de contrôle et de suivi des politiques sociales de développe-ment en faveur des travailleurs locaux et de favoriser en priorité les commu-nautés locales dans le recrutement de la mise en œuvre des activités des PAI.

Enfin, les OP réclament par ailleurs qu’un budget au moins équivalent à celui qui est consacré aux PAI soit dis-ponible pour le soutien à l’agriculture familiale, en appuyant les initiatives

Étude de cas - La Banque mondiale en RDC - Mai 2016

Auteur : Annabel MaisinMise en page : Fanny Gosset

1 : FAO-UNFPA-IIASA, Potential Population Supporting Capacities of Lands in the Develo-ping World, Rome, Project INT/75/813, 1984.

2 : http://www.lepotentielonline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=12085:rdc-le-parc-agro-industriel-de-bukanga-lonzo-produit-20-000-tonnes-de-mais-pour-la-premiere-recolte&catid=90:online-depeches

3 : http://povertydata.worldbank.org/poverty/country/ZAR

4 : http://caritasdev.cd/fr/index.php?option=com_content&view=article&id=2666:la-securite-alimentaire-un-sujet-toujours-actuel-en-rdc&catid=25&Itemid=100053

5 : http://foodsecurityindex.eiu.com

6 : Loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture, disponible sur http://leganet.cd/Legislation/Droit%20economique/Agriculture/RDC%20-%20Loi%20agriculture%20principes%20fondamen-taux-%2024%2012%202011.pdf

7 : Gilfenbaum E. et Lawrence S., Environmental Defense, La Banque mondiale en RDC, juillet 2005.

8 : Banque mondiale, http://www.banquemon-diale.org/fr/country/drc/overview#2

9 : Blog du Bureau de la BM en RDC, https://banquemondialerdc.wordpress.com/2009/12/12/271109-lavenir-un-autre-don-de-la-banque-mondiale-120-millions-usd-pour-la-rehabilitation-et-la-relance-du-secteur-agri-cole-congolais-3

10 : Le Secrétariat général à la Primature-RDC, https://www.primature.cd/public/la-banque-mondiale-prolonge-le-projet-parrsa-jusquen-2017

11 : S.E. du parc agroindustriel de Bukanga Lonzo, http://www.parcagro.com/index.php/fr 12 : Le Potentiel Online, http://www.lepoten-tielonline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=12085:rdc-le-parc-agro-industriel-de-bukanga-lon-zo-produit-20-000-tonnes-de-mais-pour-la-pre-miere-recolte&catid=90:online-depeches 13 : Le Secrétariat général à la Primature-RDC, https://www.primature.cd/public/intensifica-tion-des-points-de-vente-des-produits-bukan-ga-lonzo-a-kinshasa

14 : S.E. du parc agroindustriel de Bukanga Lonzo, http://www.parcagro.com/index.php/fr/à-propos-de-nous

15 : Le Potentiel Online, http://www.lepoten-tielonline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=12085:rdc-le-parc-agro-industriel-de-bukanga-lon-zo-produit-20-000-tonnes-de-mais-pour-la-pre-miere-recolte&catid=90:online-depeches 16 : Ullimwengu John, La transformation de l’agriculture congolaise par le développement des parcs agro-industriels, disponible sur https://www.primature.cd/public/bh5-xsq-2gls/uploads/2014/05/La-Transformation-de-lagricul-ture-congolaise-par-le-d%C3%A9veloppement-des-parcs-agro-industriels.pdf

17 : Ibid.

18 : Ibid.

19 : Radio Okapi, http://www.radiookapi.net/economie/2015/05/12/rdc-la-banque-mondiale-promet-daccompagner-le-gouvernement-dans-le-secteur-agricole 20 : MediaCongo, http://www.mediacongo.net/article-actualite-7761.html

21 : Radio Okapi, http://www.radiookapi.net/economie/2015/02/18/la-banque-mondiale-encourage-le-projet-du-parc-agro-industriel-en-rdc

22 : Parcs agro-industriels : les paysans revendiquent leur compte pour soutenir l’agriculture familiale. Position des organisations paysannes face à la politique du gouvernement de la RDC autour de l’implantation des parcs agro-industriels. Kinshasa. Février 2015. 23 : Radio Okapi, http://www.radiookapi.net/2016/02/12/actualite/societe/rdc-les-tra-vailleurs-de-bukanga-longo-revendiquent-un-contrat-stable

24 : Radio Okapi, http://www.radiookapi.net/2016/02/15/actualite/societe/le-projet-bukanga-lonzo-licenie-140-travailleurs-non-competitifs

25 : Les Parcs agro-industriels en RD Congo : Positions des organisations paysannes congo-laises et de l’Alliance AgriCongo, disponible sur https://www.sosfaim.be/wp-content/uploads/sites/3/2014/09/plaidoyer-AgriCongo-pai.pdf

La reconnaissance des exploi-tants et des organisations pay-sannes en tant que acteurs socio-professionnels du métier agricole ; L’implication de toutes les parties prenantes ; La mise en œuvre des politiques actives dynamiques innovantes en faveur de l’agriculture familiale.

À l’avenir, les emplois dans le parc béné-ficieront très peu aux petits agriculteurs locaux car il s’agira d’emplois spécia-lisés. Sur les 300 personnes engagées, 140 ont d’ailleurs été licenciées mi- février car elles ne sont plus compéti-tives pour la seconde phase du projet²⁴. Les OP soulignent également qu’au-cune étude d’impact environnemental, sociétal, ni foncier n’a été réalisée avant la mise en œuvre du projet.

portées par les paysans et leurs orga-nisations et qui visent également à transformer et relancer l’agriculture²⁵. Pour les OP, au lieu de se concentrer sur les PAI, le gouvernement congo-lais devrait plutôt mettre en place une politique agricole favorable à toutes les catégories de producteurs agricoles, petits et grands, et qui devra tenir compte des éléments suivants :