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1 PRIX DES TERRES AGRICOLES EN BRETAGNE Ressource convoitée, le foncier est aujourd’hui au cœur des préoccupations de l’agriculture bretonne. La concurrence pour son accès s’accroît, tant avec des usages non agricoles qu’au sein même du monde agricole. Quels effets sur les prix des terres agricoles ? Quels rôles jouent les politiques foncières ? Prix des terres agricoles bretonnes Il est difficile de mesurer avec exactitude l’évolution du prix des terres agricoles. Les chiffres officiels issus du Ministère de l’Agriculture montrent que les prix ont augmenté fortement depuis les 10 dernières années. Cette évolution correspond à l’évolution du prix de vente en euros courants par hectare des terres labourables et des prairies naturelles, supérieures à 70 ares, et libres de tout bail (cf. graphique 1). En réalité, ces caractéristiques ne correspondent qu’à peine 20 % des transactions totales effectuées sur le marché de vente des terres agricoles. A partir des données concernant toutes les transactions de terres à destination agricole notifiées par les notaires de 1994 à 2010 (données Perval), on observe une relative stabilité voire une diminution du prix des terres agricoles en Bretagne (cf. graphique 1). Graphique 1 - Evolution du prix de vente moyen des terres agricoles en Bretagne * 2 000 2 500 3 000 3 500 4 000 4 500 5 000 5 500 6 000 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Séries Ministère Agriculture (en € courant/ha) Données Perval (en € constant/ha) * Données Perval : Terres agricoles sans bâtiments ni bois, déflatés par l’indice des prix à la consommation. Les principaux acheteurs de terres agricoles sont des agriculteurs (65 %). Viennent ensuite les particuliers non agriculteurs (30 %) et les collectivités (5 %). Environ 45 % des terres sont vendues louées. Parmi celles-ci, plus de 85 % sont achetées par l’exploitant de la terre lui- même. Les prix de vente des terres agricoles varient fortement au sein de chaque département breton (cf. carte 1). Carte 1 - Prix de vente moyen des terres agricoles en € /ha par commune * * Prix moyens sur la période 2006-2010. Ces différences de prix s’expliquent par un ensemble de facteurs : les caractéristiques des parcelles (qualité agronomique, taille, pente…), leur localisation géographique (aire urbaine, littoral), leur statut locatif (libre ou louée), les politiques agricoles (quota laitier, DPU…), et leur appartenance à une zone environnementale sensible (ZES, ZAC…). Encadré 1 – Etude LienOSol, ARAP Pour plus de détails, se reporter à l’article issu de l’étude « LienOSol » » réalisée par l’ARAP : Letort et Temesgen « Influence of environmental policies on farmland prices in the Bretagne region of France », à paraître dans la revue d’études en agriculture et en environnement. Etude LienOSol

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PRIX DES TERRES AGRICOLES EN BRETAGNE Ressource convoitée, le foncier est aujourd’hui au cœur des préoccupations de l’agriculture bretonne. La

concurrence pour son accès s’accroît, tant avec des usages non agricoles qu’au sein même du monde

agricole. Quels effets sur les prix des terres agricoles ? Quels rôles jouent les politiques foncières ?

Prix des terres agricoles bretonnes

Il est difficile de mesurer avec exactitude

l’évolution du prix des terres agricoles. Les

chiffres officiels issus du Ministère de

l’Agriculture montrent que les prix ont

augmenté fortement depuis les 10 dernières

années. Cette évolution correspond à

l’évolution du prix de vente en euros courants

par hectare des terres labourables et des

prairies naturelles, supérieures à 70 ares, et

libres de tout bail (cf. graphique 1). En réalité,

ces caractéristiques ne correspondent qu’à

peine 20 % des transactions totales effectuées

sur le marché de vente des terres agricoles.

A partir des données concernant toutes les

transactions de terres à destination agricole

notifiées par les notaires de 1994 à 2010

(données Perval), on observe une relative

stabilité voire une diminution du prix des terres

agricoles en Bretagne (cf. graphique 1).

Graphique 1 - Evolution du prix de vente

moyen des terres agricoles en Bretagne *

2 000

2 500

3 000

3 500

4 000

4 500

5 000

5 500

6 000

1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012

Séries Ministère Agriculture (en € courant/ha)

Données Perval (en € constant/ha)

* Données Perval : Terres agricoles sans bâtiments ni

bois, déflatés par l’indice des prix à la consommation.

Les principaux acheteurs de terres agricoles

sont des agriculteurs (65 %). Viennent ensuite

les particuliers non agriculteurs (30 %) et les

collectivités (5 %). Environ 45 % des terres sont

vendues louées. Parmi celles-ci, plus de 85 %

sont achetées par l’exploitant de la terre lui-

même.

Les prix de vente des terres agricoles varient

fortement au sein de chaque département

breton (cf. carte 1).

Carte 1 - Prix de vente moyen des terres

agricoles en € /ha par commune *

* Prix moyens sur la période 2006-2010.

Ces différences de prix s’expliquent par un

ensemble de facteurs : les caractéristiques des

parcelles (qualité agronomique, taille, pente…),

leur localisation géographique (aire urbaine,

littoral), leur statut locatif (libre ou louée), les

politiques agricoles (quota laitier, DPU…), et

leur appartenance à une zone environnementale

sensible (ZES, ZAC…).

Encadré 1 – Etude LienOSol, ARAP

Pour plus de détails, se reporter à l’article issu de

l’étude « LienOSol » » réalisée par l’ARAP :

Letort et Temesgen « Influence of environmental

policies on farmland prices in the Bretagne region of

France », à paraître dans la revue d’études en

agriculture et en environnement.

Etude LienOSol

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Comparaison des prix avec la France et l’Europe

Outre les disparités à l’intérieur de la Bretagne,

les prix des terres varient d’une région française

à l’autre et entre pays européens.

Comparaison avec la France

En France, le prix des terres et leurs évolutions

dépendent fortement de l’activité agricole (les

terres de vignes sont beaucoup plus chères), de

la qualité des terres et de leur localisation. La

forte concurrence entre agriculture, tourisme et

habitat fait grimper les prix des terres en Côtes

d’Azur (cf. graphique 2).

Graphique 2 - Evolution du prix de vente

moyen des terres agricoles en France

Source : Agreste, valeur vénale des terres labourables

libres (1995-2007)

Comparaison avec l’Europe

Les prix du foncier sont en moyenne moins

élevés et relativement plus stables en France

que dans les autres pays européens (cf.

graphique 3). Si ces différences s’expliquent

notamment par la qualité de la terre, elles sont

aussi le résultat des politiques menées dans

chacun des pays :

� Politiques environnementales : le besoin de

surfaces d’épandage du lisier s’est renforcé

au Danemark et aux Pays-Bas suite à la

Directive Nitrates, renchérissant le prix des

terres ;

� Politiques agricoles : les aides couplées à la

production ont été capitalisées dans les prix

des terres en Espagne dans les années 90 ;

� Politiques foncières : le rôle fort des

institutions en France a permis une relative

stabilité des prix.

Graphique 3 - Evolution du prix de vente

moyen des terres agricoles en Europe

Source : Ciaian et al. 2012, Projet européen « Factor

Market »

Tenir compte de la valeur ajoutée (VA) générée

par hectare de terre dans un pays donné permet

de relativiser les écarts de prix entre les

différents pays.

Si un hectare vaut 47 100 euros aux Pays-Bas et

13 800 euros en Allemagne, les VA/ha étant

respectivement de 4 000 et de 1 100 euros/ha,

le ratio est très proche pour les deux pays : il

faut environ 12 années pour y acquérir un

hectare. En utilisant ce critère, la France reste

quand même un des pays européens où la terre

agricole est la plus accessible.

A noter également que ces prix ne tiennent pas

compte des dessous-de-table, très difficile à

évaluer. En Belgique, ils ont été estimés à

environ 20 % du prix des terres agricoles.

Pour plus de détails, voir un article issu de

l’étude LienOSol réalisé par l’ARAP (cf.

encadré 2).

Encadré 2 – Etude LienOSol, ARAP

Letort et Pech (2013) « Rôle des institutions et des

régulations foncières sur le marché foncier agricole :

illustration dans les départements bretons »

A paraître dans les documents de travail de l’INRA,

et disponible auprès de l’ARAP.

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Politiques foncières et rôle des institutions

Les agents économiques (agriculteurs ou non)

achètent de la terre agricole pour se constituer

ou améliorer un capital de production, ou pour

viser une valeur de placement à plus ou moins

long terme.

Pour éviter que le prix des terres agricoles ne

fasse l’objet de mouvements spéculatifs, un

ensemble d’outils juridiques et institutionnels

sont disponibles, permettant la préservation des

terres agricoles, et le maintien des prix à un

niveau acceptable.

Les politiques d’urbanisme

Il existe un ensemble d’outils de planification

relatifs à l’aménagement d’un territoire et de

préservation des terres agricoles face à une

pression croissante de l’urbanisation : la

création de zones agricoles protégées en 1999,

d’un périmètre de protection et de mise en

valeur des espaces agricoles et naturels

périurbains en 2005, d’une taxe en 2010 sur la

cession à titre onéreux des terrains nus ou des

droits relatifs à des terrains nus rendus

constructibles.

Cependant, ces outils ne sont pas toujours

efficaces, faute de réelle force juridique ou car

peu dissuasifs ou trop liés à des intérêts

locaux…

Les SAFER*

Les SAFER peuvent acquérir des terres et des

exploitations pour les rétrocéder dans le but

d’améliorer des structures foncières, de

protéger l’environnement et d’accompagner le

développement de l’économie locale.

Elles ont la possibilité d’acquérir en priorité

(sous certaines conditions) les propriétés

agricoles mises en vente, et la possibilité

d’ordonner une réduction du prix de vente. Le

recours à la préemption avec révision des prix

ne concerne que 1 à 3 % des transactions.

Généralement le marché se régule par lui-même

avec une intervention quasi symbolique de la

SAFER.

Le statut du fermage

Le propriétaire qui loue sa terre la rend

quasiment indisponible puisque le fermier a un

droit acquis au renouvellement. En dehors des

cas de faute du locataire, la terre ne peut être

reprise que si le bailleur souhaite l'exploiter

directement ou la faire exploiter par un proche.

Un tel système est dissuasif : les propriétaires,

qui perçoivent un fermage encadré par la loi, ne

peuvent pas réaliser de plus-value importante

lors de la vente d’un bien « occupé ». De plus, si

le propriétaire foncier souhaite vendre sa terre,

le statut du fermage confère au fermier

détenant un bail depuis plus de 2 ans un droit

de préemption, lui donnant la priorité d’achat

sur cette terre. Ce droit est utilisé dans près de

40 % des ventes de terres agricoles.

Etant donné l’absence de concurrence pour

l’achat de la terre, elles sont généralement

vendues à un prix moindre de 10 à 20 % par

rapport aux terres libres.

Le contrôle des structures

Dès lors qu’un agriculteur souhaite exploiter

une terre en vue de s’installer, s’agrandir ou

regrouper des surfaces agricoles, il doit

soumettre une demande d’autorisation

d’exploiter à la DDTM*. Le préfet peut

demander l’avis de la CDOA* avant de prendre

sa décision. Celle-ci repose sur les priorités

définies dans le SDDS* censées favoriser

l’installation des agriculteurs.

Ce système limite ainsi les mécanismes

concurrentiels entre potentiels acheteurs et par

conséquent la montée des prix.

Encadré 3 – Liste des sigles

• SAFER : Société d’aménagement foncier et

d’établissement rural ;

• DDTM : Direction départementale des

territoires et de la mer ;

• CDOA : Commission départementale

d’orientation de l’agriculture ;

• SDDS : Schéma directeur départemental des

structures ;

• RA : Recensement agricole ;

• PADN : Programmes d’action Directive

Nitrates.

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Enjeux sur le marché foncier agricole

Principal frein à l’installation agricole, l’accès au

foncier est un enjeu majeur pour les territoires

ruraux et le développement d’une agriculture

diversifié. Les dernières évolutions des

politiques foncières et certaines limites du

système nous conduisent à réfléchir de manière

plus globale sur les nouveaux enjeux du marché

foncier.

Evolution du contrôle des structures

Dans l’objectif de faciliter l’évolution des

exploitations agricoles vers une « démarche

d’entreprise », la Loi d’Orientation Agricole de

2006 a particulièrement assoupli le contrôle des

structures :

� Relèvement des seuils de superficie à partir

desquels l’autorisation d’exploiter est

nécessaire.

� Sous certaines conditions, la transmission

des biens de famille n’est plus soumise qu’à

déclaration préalable ;

� Dans une société agricole, le retrait d’un

associé n’est plus soumis à autorisation

d’exploiter ;

� En l’absence de demande concurrente,

l’autorisation d’exploiter est délivrée

automatiquement.

La loi a encouragé des arrangements permettant

de contourner le contrôle des structures en vue

de constituer de grandes unités de production.

La Loi d’Avenir Agricole de 2014 devrait réviser

les objectifs du contrôle des structures en vue

de prioriser davantage l’installation

d’agriculteurs et limiter « l’agrandissement

excessif ».

Installations et priorité du SDDS

Il est impossible de trancher sur la question de

la neutralité des SAFER et des CDOA, tantôt ces

institutions veillent à une préparation sans faille

des dossiers, tantôt elles collaborent

étroitement avec la profession agricole pour la

faire interagir à propos des autorisations

d’exploiter. De plus, il est fréquent d’avoir peu

de concurrents (voire aucun) sur un bien de

grande surface, qui sera finalement acheté par

une exploitation déjà en place qui souhaite

s’agrandir. La mise en œuvre du contrôle des

structures n’est efficace que si les délégués

SAFER, syndicaux et professionnels de terrain

interviennent au niveau local pour informer et

appuyer les agriculteurs dans leur démarche.

Urbanisation croissante

Malgré l’existence d’outils de préservation des

espaces agricoles, 5 500 ha partent de

l’agriculture chaque année en Bretagne vers

d’autres activités (loisirs, urbanisation et

infrastructures).

Evolution démographique

En 2010, 4 chefs d’exploitations sur 10 ont plus

de 50 ans (RA 2010). Ce vieillissement de la

population agricole pose la question de la

succession en agriculture. Faute d’un

renouvellement suffisant des actifs agricoles,

cette évolution démographique favorisera

encore davantage l’agrandissement et la

concentration des exploitations agricoles.

Environnement et droits à produire

Les politiques environnementales vont avoir un

impact croissant sur le marché foncier, et en

particulier le 5ème PADN* de 2013 :

� Obligation de respecter l’équilibre de la

fertilisation, contrôlée par une déclaration

des flux azotés de chaque exploitation,

favorisant la pression sur le foncier agricole ;

� Evolution des seuils et des modalités de

traitement ou d’export dans les ZES,

renforçant cette pression, notamment dans

les cantons dont la charge azotée est

comprise entre 140 et 170 kg N/ha.

La fin des quotas laitiers prévue pour 2015

laisse présager une restructuration de l’activité

agricole en Bretagne susceptible d’affecter le

marché foncier. Dans un contexte

d’intensification des élevages, les normes

d’épandage sont susceptibles de devenir de

véritables droits à produire.

Auteur : Elodie Letort et Camille Roux, ARAP.

Contacts

ARAP

Elodie Letort, [email protected]

Camille Roux, [email protected]

Tél : 02 23 30 45 29