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~tude morphofonctionnellecomparative des structures osseuses impliquees dans le fouissage d'Arvicola terrestris scherman (Rodentia, Arvicolidae) Unite' de recherche 04 1137 du Centre nationale de la recherche scientifique, Laboratoire d'anatomie compare'e du Muse'um d'histoire naturelle, 55, rue BufSon, 75005 Paris, France Re~u le 4 juillet 1989 LAVILLE, E. 1990. Etude morphofonctionnelle comparative des structures osseuses impliqdes dans le fouissage d'Arvicola terrestris scherman (Rodentia, Arvicolidae). Can. J. Zool. 68 : 2437-2444. La connaissance de la cinCtique du fouissage d' Arvicola terrestris scherman a fourni le cadre de l'interprktation fonctionnelle de sa morphologie. Cette Ctude morphofonctionnelle a CtC rCalisCe au sein d'une serie comparative de rongeurs offrant un gradient d'affinitks avec le milieu souterrain. Cette analyse a rCvelC l'existence d'kquivalences fonctionnelles avec d'autres fouisseurs, lesquelles ne sont pas nkcessairement le fait d'homologies : forts moments de rCsistance des vertitbres cervicales, dkplacement vers l'avant de l'aire d'insertion crinienne du muscle temporal, etc. La comparaison avec d'autres ArvicolidCs a montrC que la famille prCsente des prCdispositions morphofonctionnelles a l'utilisation de la tEte dans le fouissage. Cependant, A. t . scherman se distingue de ses congknitres par des adaptations trits discrittes qui pourraient Etre le fait d'un remodelage morphogCnCtique. LAVILLE, E. 1990. Etude morphofonctionnelle comparative des structures osseuses impliqutes dans le fouissage d'Arvicola terrestris scherman (Rodentia, Arvicolidae). Can. J. Zool. 68: 2437-2444. An analysis of Arvicola terrestris scherman burrowing cinetics was used to draw a functional interpretation of its morphology. This morphofunctional study was conducted using a comparative series of rodents that show a range of affinity to subterranean biotopes. This analysis revealed functional equivalences, which are rlot necessarily homologies, with other burrowers: great resistance moments of cervical vertebrae, more anterior cranial insertion of the temporalis muscle, etc. Comparison with other Arvicolidae shows the morphofunctional predisposition of the family to use the head in burrowing. However, A. t. scherman is distinguishable from its congeners by discrete adaptations, which may be the result of morphogenetic remodelling. Introduction Les animaux colonisant les milieux souterrains sont pour la plupart soumis a des contraintes de deplacement particulieres en relation avec les caractkristiques physiques de ces milieux (Dubost 1968; Nevo 1979; Hildebrand et al. 1985). En effet, la progression dans le sol necessite de detacher et de deplacer un materiel resistant. Ceci requiert un outil de creusement, un mecanisme de production et de transmission des forces jusqu'a cet instrument et la capacite de resister a des charges variables. I1 est probable que de telles conditions contribuent a limiter le nombre d'especes pouvant s'installer dans les biotopes souter- rains, agissent comme une contrainte sur 1'6volution des especes souterraines et canalisent les possibilites de diversifica- tion. En effet, les groupes de micromammiferes souterrains (Insectivores, Rongeurs, Marsupiaux) presentent des caracteres morphofonctionnels et physiologiques tres convergents (Dubost 1968; Hildebrand et al. 1985). D'une maniere generale, il est possible de definir chez eux un morphotype fouisseur nettement caracterise . L'orig ine phy letique des animaux conditionne la predomi- nance de certains << outils >> de creusement. A cet egard, les rongeurs utilisent frequemment leurs incisives hypsodontes et bien developpees comme instruments tranchants destines a attaquer le sol. Le genre Awicola comprend differentes especes et sous- especes qui ont toutes de grandes affinites avec le milieu endoge. Toutefois, la sous-espkce Arvicola terrestris scherman est la seule a Stre totalement infeodee au milieu souterrain sans que son habitus soit differencie de celui de ses congeneres. L'ktude des caracteristiques cinematiques du creusement chez A. t. scherman a montre que cette activitk est constituee par une serie d'evknements ordomes ngoureusement et effectues par des organes specifiques. La terre est detachee de la masse du substrat par les morsures, la bouchee de terre est ensuite lichee au sol, deplacee et accumulee sous l'abdomen entre les Printed in Canada 1 lmprime au Canada membres pelviens par des mouvements alternes, antkro-post6 rieurs, des membres thoraciques. Lorsque la loge d'accumula- tion est pleine, la terre est evacuee derriere l'animal par une ou deux ruades des membres pelviens (Laville 1988). L'analyse cinematique du creusement a permis d'identifier les regions du corps reellement impliquees dans cette activite. Le comporte- ment fouisseur est-il chez cette forme simplement le fait d'un opportunisme Ccologique ou repose-t-il sur des adaptations morphologiques ? Ce travail propose une etude morphologique comparative des regions anatomiques les plus impliquees dans le fouissage. Elle se fonde sur le fonctionnement observe des systemes locomoteurs. Materiel et methodes Mate'riel Cette Ctude repose sur l'observation et la comparaison de diverses espitces de micromammifitres. Le matCriel utilisC est constituk soit par des animaux vivants qui ont ete sacrifiCs pour les besoins de ces travaux, soit par des squelettes issus des collections des laboratoires d'anatomie comparCe et de mammalogie du MusCum d'histoire natu- relle de Paris (MNHN) (MNHN-AC : MusCum d'histoire naturelle, laboratoire d'anatomie comparCe; MNHN-MO : MusCum d'histoire naturelle, laboratoire mammifitres-oiseaux) Cinq spCcimens (trois miles et deux femelles) vivants d'A. t. scher- man ont CtC filmCs, puis utilisCs a des fins de preparations osteolo- giques. Ces animaux ont ete capturCs a l'aide de piitges trappes de type Sherman sur la commune de Sombacour (Haut Doubs) a l'altitude de 700 m. Trois specimens (un mile et deux femelles) vivants d'A. sapidus ont CtC utilisCs a des fins de prCparation ostCologique. Ces animaux ont CtC captures sur un plan d'eau de la rCgion parisienne a l'aide de piitges grillagCs de type Manufrance. Ont aussi CtC utilisCs : 13 squelettes incomplets de Clethrionomys glareolus (1394, 1493,1477, 1538, 550,1541, 1535, 1523, 1524, 1534, 1494, 537,4927, MNHN-MO); quatre squelettes incomplets de Microtus arvalis (196 1-560, 1961-562, 1956-1190, 1931-370, Can. J. Zool. Downloaded from www.nrcresearchpress.com by University of P.E.I. on 11/12/14 For personal use only.

Étude morphofonctionnelle comparative des structures osseuses impliquées dans le fouissage d' Arvicola terrestris scherman (Rodentia, Arvicolidae)

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Page 1: Étude morphofonctionnelle comparative des structures osseuses impliquées dans le fouissage d'               Arvicola terrestris scherman               (Rodentia, Arvicolidae)

~ t u d e morphofonctionnelle comparative des structures osseuses impliquees dans le fouissage d'Arvicola terrestris scherman (Rodentia, Arvicolidae)

Unite' de recherche 04 1137 du Centre nationale de la recherche scientifique, Laboratoire d'anatomie compare'e du Muse'um d'histoire naturelle, 55 , rue BufSon, 75005 Paris, France

R e ~ u le 4 juillet 1989

LAVILLE, E. 1990. Etude morphofonctionnelle comparative des structures osseuses impliqdes dans le fouissage d'Arvicola terrestris scherman (Rodentia, Arvicolidae). Can. J . Zool. 68 : 2437-2444.

La connaissance de la cinCtique du fouissage d' Arvicola terrestris scherman a fourni le cadre de l'interprktation fonctionnelle de sa morphologie. Cette Ctude morphofonctionnelle a CtC rCalisCe au sein d'une serie comparative de rongeurs offrant un gradient d'affinitks avec le milieu souterrain. Cette analyse a rCvelC l'existence d'kquivalences fonctionnelles avec d'autres fouisseurs, lesquelles ne sont pas nkcessairement le fait d'homologies : forts moments de rCsistance des vertitbres cervicales, dkplacement vers l'avant de l'aire d'insertion crinienne du muscle temporal, etc. La comparaison avec d'autres ArvicolidCs a montrC que la famille prCsente des prCdispositions morphofonctionnelles a l'utilisation de la tEte dans le fouissage. Cependant, A. t . scherman se distingue de ses congknitres par des adaptations trits discrittes qui pourraient Etre le fait d'un remodelage morphogCnCtique.

LAVILLE, E. 1990. Etude morphofonctionnelle comparative des structures osseuses impliqutes dans le fouissage d'Arvicola terrestris scherman (Rodentia, Arvicolidae). Can. J . Zool. 68: 2437-2444.

An analysis of Arvicola terrestris scherman burrowing cinetics was used to draw a functional interpretation of its morphology. This morphofunctional study was conducted using a comparative series of rodents that show a range of affinity to subterranean biotopes. This analysis revealed functional equivalences, which are rlot necessarily homologies, with other burrowers: great resistance moments of cervical vertebrae, more anterior cranial insertion of the temporalis muscle, etc. Comparison with other Arvicolidae shows the morphofunctional predisposition of the family to use the head in burrowing. However, A. t . scherman is distinguishable from its congeners by discrete adaptations, which may be the result of morphogenetic remodelling.

Introduction Les animaux colonisant les milieux souterrains sont pour la

plupart soumis a des contraintes de deplacement particulieres en relation avec les caractkristiques physiques de ces milieux (Dubost 1968; Nevo 1979; Hildebrand et al. 1985). En effet, la progression dans le sol necessite de detacher et de deplacer un materiel resistant. Ceci requiert un outil de creusement, un mecanisme de production et de transmission des forces jusqu'a cet instrument et la capacite de resister a des charges variables. I1 est probable que de telles conditions contribuent a limiter le nombre d'especes pouvant s'installer dans les biotopes souter- rains, agissent comme une contrainte sur 1'6volution des especes souterraines et canalisent les possibilites de diversifica- tion. En effet, les groupes de micromammiferes souterrains (Insectivores, Rongeurs, Marsupiaux) presentent des caracteres morphofonctionnels et physiologiques tres convergents (Dubost 1968; Hildebrand et al . 1985). D'une maniere generale, il est possible de definir chez eux un morphotype fouisseur nettement caracterise .

L'orig ine phy letique des animaux conditionne la predomi- nance de certains << outils >> de creusement. A cet egard, les rongeurs utilisent frequemment leurs incisives hypsodontes et bien developpees comme instruments tranchants destines a attaquer le sol.

Le genre Awicola comprend differentes especes et sous- especes qui ont toutes de grandes affinites avec le milieu endoge. Toutefois, la sous-espkce Arvicola terrestris scherman est la seule a Stre totalement infeodee au milieu souterrain sans que son habitus soit differencie de celui de ses congeneres.

L'ktude des caracteristiques cinematiques du creusement chez A. t . scherman a montre que cette activitk est constituee par une serie d'evknements ordomes ngoureusement et effectues par des organes specifiques. La terre est detachee de la masse du substrat par les morsures, la bouchee de terre est ensuite lichee au sol, deplacee et accumulee sous l'abdomen entre les Printed in Canada 1 lmprime au Canada

membres pelviens par des mouvements alternes, antkro-post6 rieurs, des membres thoraciques. Lorsque la loge d'accumula- tion est pleine, la terre est evacuee derriere l'animal par une ou deux ruades des membres pelviens (Laville 1988). L'analyse cinematique du creusement a permis d'identifier les regions du corps reellement impliquees dans cette activite. Le comporte- ment fouisseur est-il chez cette forme simplement le fait d'un opportunisme Ccologique ou repose-t-il sur des adaptations morphologiques ?

C e travail propose une etude morphologique comparative des regions anatomiques les plus impliquees dans le fouissage. Elle se fonde sur le fonctionnement observe des systemes locomoteurs.

Materiel et methodes Mate'riel

Cette Ctude repose sur l'observation et la comparaison de diverses espitces de micromammifitres. Le matCriel utilisC est constituk soit par des animaux vivants qui ont ete sacrifiCs pour les besoins de ces travaux, soit par des squelettes issus des collections des laboratoires d'anatomie comparCe et de mammalogie du MusCum d'histoire natu- relle de Paris (MNHN) (MNHN-AC : MusCum d'histoire naturelle, laboratoire d'anatomie comparCe; MNHN-MO : MusCum d'histoire naturelle, laboratoire mammifitres-oiseaux)

Cinq spCcimens (trois miles et deux femelles) vivants d'A. t . scher- man ont CtC filmCs, puis utilisCs a des fins de preparations osteolo- giques. Ces animaux ont ete capturCs a l'aide de piitges trappes de type Sherman sur la commune de Sombacour (Haut Doubs) a l'altitude de 700 m.

Trois specimens (un mile et deux femelles) vivants d'A. sapidus ont CtC utilisCs a des fins de prCparation ostCologique. Ces animaux ont CtC captures sur un plan d'eau de la rCgion parisienne a l'aide de piitges grillagCs de type Manufrance.

Ont aussi CtC utilisCs : 13 squelettes incomplets de Clethrionomys glareolus (1394, 1493,1477, 1538, 550,1541, 1535, 1523, 1524, 1534, 1494, 537,4927, MNHN-MO); quatre squelettes incomplets de Microtus arvalis (196 1-560, 196 1-562, 1956-1 190, 1931-370,

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2438 CAN. J . ZOOL. VOL. 68, 1990

MNHN-AC) ; trois squelettes incomplets de Mus musculus (1 880-958, 1929-466, 1966- 173, MNHN-AC) ; et quatre squelettes incomplets de Spalax ehrenbergi ( 1979-73, 1956-641, 1958-47, 1957-364, MNHN-AC).

Un spkcimen mile de Myomys daltoni (MNHN-MO) a kt6 l'objet d'une prkparation ostkologique.

Un spkcimen mile de Spalax ehrenbergi provenant d'Israel a kt6 film6 en cinkradiographie; son squelette a kt6 conservk en collection (739, NINHN-MO).

Me'thodes En raison des convergences adaptatives observkes entre les diffk-

rents groupes de micromammifkres fouisseurs, l'ktude morphologique des structures impliqukes dans le creusement a kt6 rkaliske selon une mkthode comparative : (i) la comparaison d'A. t. scherman avec un autre animal fouisseur (S. ehrenbergi) montrera les convergences adap- tatives imputables aux creusements; (ii) la comparaison d'A. t. scher- man avec des rongeurs phylktiquement proches (famille des Arvi- colidks : C. glareolus, M. arvalis, A. sapidus) mais moins infkodks a un biotope souterrain montrera le degrk de diffkrenciation morpho- logique et fonctionnelle like a l'habitat, au sein de l'unitk phylktique restreinte considkrke; (iii) enfin, la synthkse des rksultats obtenus prk- ckdemment (points i et ii) permettra de distinguer les caractkres gknkalogiques de ceux lies a la fonction, de dkfinir les bases mor- phologiques a partir desquelles s'est faite l'adaptation (conditiuii plksiomorphe) et de proposer une hypothkse concernant le processus adaptatif.

Ces comparaisons destinkes a rechercher les particularitks morpho- logiqes likes au fouissage chez A. t. scherman font appel a des animaux de rkfkrence (M. daltoni, M. musculus). I1 s'agit de rongeurs remplissant certaines conditions. En effet, ces animaux ne prksentent aucune tendance fouisseuse ou alors trks attknuke, leur morphologie est peu diffkrencike d'un point de vue locomoteur et ils appartiennent a une lignke phylktique distincte de celle des autres animaux comparks.

Le squelette crcinien L'ktude cinkmatique du creusement chez A. t. scherman montre le

r6le prkpondkrant des michoires et des incisives (Laville 1988, 1989). C'est pourquoi cette rkgion a kt6 comparke a celle de S. ehrenbergi, autre rongeur fouisseur pour lequel elle joue un r61e primordial dans le creusement. Microtus arvalis et A. sapidus ont kt6 choisis comme termes de comparaison parce qu'ils appartiennent comme A. t. scher- man a la famille des Arvicolidks (A. sapidus ktant phylktiquement le plus proche de A. t. scherman). Enfin, M. daltoni (Muridk) a kt6 choisi comme es@ce de rkfkrence d'une part parce qu'il ne prksente aucune affinitk avec le milieu souterrain (F. Petter, communication personnelle) et d'autre part parce qu'il appartient a une famille distincte de celle des Arvicolidks.

La mkthode comparative utiliske ici est dite anamorphotique. Conn~ie depuis Diirer, cette approche a kt6 appliquke au domaine de l'kvolution des formes vivantes par Thompson (1917). Elle consiste a remplacer une forme biologique complexe (le squelette crinien) par une forme mathkmatique simple (un quadrillage a coordonnkes cartksiennes, par exemple). Le quadrillage est superposable au dessin du crine de rkfkrence (celui de M. daltoni), il est track a partir de coordonnkes kquidistantes, plackes sur deux axes orthonormks. L'en- semble des points d'intersection de coordonnkes connues du rkseau dklimite des secteurs anatomiques dont on peut retrouver les homo- logues sur le crine d'une autre espkce (A. t. scherman, A. sapidus, M. arvalis ou S. ehrenbergi). I1 est ainsi possible de tracer une grille a partir des nouvelles coordonnkes des points anatomiques homologues de chacun des quatre nouveaux crines. Ce systkme permet de comparer plusieurs formes criniennes complexes et de visualiser les divergences qui les caractkrisent. L'kcartement des lignes de la grille correspond a une cc augmentation ,, de la surface osseuse, leur rapprochement rksulte d'une <<constriction,, ou d'une rkduction de surface. Cette mkthode a le mkrite d'Ctre visuellement parlante. Cependant, elle ne doit pas Ctre transposke de manikre simpliste en un modkle morphogk- nktique rendant compte des divergences de forme entre les crines.

Le track des silhouettes criniennes en vue latkrale et en vue dorsale

est rkalisk a partir de photographies et de radiographies d'un crine de chaque espkce, prises rigoureusement a la m6me incidence. Le plan d'occlusion dentaire constitue la rkfkrence horizontale. Les tirages sur papier sont faits a des kchelles diffkrentes de f a ~ o n a ramener la distance condylo-basale a la m6me longueur chez les quatre animaux et pour chacune des vues.

L'axe verte'bral L'ktude cinkmatique du creusement chez A. t. scherman montre le

r6le important jouk par I'axe vertkbral dans la rkaction aux contraintes (transmission et absorption), au cours de l'intervention de la t6te sur le substrat (Laville 1988). C'est pourquoi j'ai utilisk la courbe de variation intrarachidienne du moment de rksistance des vertebres (selon la mkthode de Slijper 1946), pour chercher a mettre en kvidence les rkgions de l'axe vertkbral susceptibles de rksister a des contraintes maximales .

La soliditk d'une construction est limitke par la rksistance de sa partie la plus faible (les disques intervertkbraux, dans le cas de l'axe vertkbral). Slijper propose d'en calculer les moments. Cependant, en raison des difficultks de conservation des disques intervertkbraux sur des squelettes secs de rongeurs de petite taille, la valeur des moments a kt6 calculke sur la face caudale des corps vertkbraux. Cette assimilation se justifie par le fait que la formule utiliske ne tient pas compte de I'kpaisseur des disques, mais de leur surface. La formule d'obtention du moment de rksistance (sous sa forme simplifike) proposke par Slijper est la suivante : W = bh2, oh West le moment de rksistance, b est le diamktre horizontal de la face caudale du corps vertkbral et h, le diamktre vertical. Ces mesures ont kt6 effectukes a l'aide d'un pied a coulisse (precision, 0, l mm). Les moments de rksistance ont kt6 calculks sur cinq colonnes vertkbrales appartenant a des animaux issus de la m6me population de I'espkce A. t. scherman. La courbe moyenn? de variation intracolumnaire des moments de rksistance a kt6 tracke. A des fins comparatives, les mCmes mesures et calculs ont kt6 rkalisks sur un autre rongeur fouisseur (S. ehrenbergi), sur un rongeur appartenant a la m6me lignke phylktique (A. sapidus) et enfin, sur M. daltoni choisi comme prkckdemment a titre de reference (le nombre d'individus est donnk dans le tableau 1). I1 est nkcessaire de remarquer que les moments de rksistance sont exprimks en valeur absolue, donc le facteur taille de l'animal intervient. C'est pourquoi l'analyse et l'interprktation des rksultats, dans l'optique comparative, ne se fondent que sur les profils des courbes et non sur les valeurs individuelles des moments vertkbraux.

Le squelette appendiculaire Le squelette appendiculaire des rongeurs fouisseurs, quelles que

soient leurs modalitks de creusement, prksente les caractkristiques distinctives du mode de vie souterrain (Gambarjan 1960; Hildebrand et al. 1985). Une analyse ostkomktrique fondke sur des considkrations fonctionnelles a kt6 rkaliske sur les divers klkments du squelette appendiculaire de sept spkcimens d' A. t. scherman. Ces mesures expriment, notamment, la distance entre les zones d'insertion des muscles et les centres articulaires. Cette distance, kquivalente au bras de levier, est un facteur d'efficacitk mkcanique important.

Dans la perspective comparative, l'ktude morphologique du squelette appendiculaire a kt6 rkaliske chez un autre rongeur fouisseur (S. ehren- bergi), chez trois espkces appartenant a la famille des Arvicolidae (Clethrionomys glareolus, A. sapidus et M. arvalis) et enfin, sur une espkce appartenant a la famille des Muridks et ayant un comportement fouisseur moindre (M. musculus); le nombre d'individus est donnk dans le tableau 2. Ces mesures ont kt6 rkaliskes sur les os suivants (fig. 1) :

La scapula - Cette pikce intermkdiaire peut 6tre considkrke comme un relai pour la musculature de la t6te (rhomboi'de) et celle du membre antkrieur (triceps scapulaire, deltoi'de, grand rond), en particulier dans les mouvements du fouissage oh existe une activitk synergique de ces deux rkgions (Gasc et al. 1986b; Laville 1988). On constate gknkralement chez les animaux fouisseurs une rkduction de la largeur de cette pikce par rapport a sa longueur.

L'hume'rus - Cet os est trks riche en informations fonctionnelles. La distalisation de la cr6te d'insertion delto-pectorale par rapport a l'articulation de l'kpaule augmente l'efficacitk des muscles deltoi'de

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LAVILLE

TABLEAU 1. Valeurs moyennes des moments de rksistance vertkbraux Resultats (bhL) (N, nombre de spkcimens mesurks)

A. t. scherman A. sapidus M. daltoni S . ehrenbergi Vertkbres (n = 5) (n = 2) (n = 1) (n = 2)

Cervicales 1" 2" 3" 4' 5' 6" 7'

Thoraciques 1" 2' 3" 4' 5' 6' 7' 8' 9'

10" 11' 12' 13'

Lombaires 1' 2' 3' 4' 5' 6'

scapulaire, deltoi'de acromial , pectoral, et grand dorsal. Cette efficacitk peut rkpondre h deux cinktiques distinctes, a la mobilisation de deux types d'outils : soit la pousske et traction du pBle ckphalique (A. t. scherman, S. ehrenbergi), soit la mise en action de mains spkcialiskes (Eremitalpa granti namibensis) (Gasc et al. 1986b; Laville et al. 1989; Laville 1988).

L'ulna - Le dkveloppement de l'olkcrine de l'ulna est frequent chez les animaux fouisseurs quel que soit l'outil mobilisk. En effet, ce dispositif permet .un accroissement du bras de levier des muscles extenseurs du membre sans augmenter la longueur totale de I'ulna. Le mouvement d'extension intervient chez A. t. scherman dans la pousske du p61e ckphalique au moment de la morsure (Laville 1988).

Le membrepelvien et la ceinturepelvienne - Ceux-ci interviennent dans le fouissage d'A. t. scherman de la m6me f a ~ o n que les membres thoraciques : comme ancrage dans le sol et instruments de pousske nkcessaire a la progression du front de creusement (Laville 1988). Les forces transitent d'une rkgion h l'autre par I'intermkdiaire de la colonne vertkbrale.

Les mesures dkfinies dans la figure 1 sont effectukes a l'aide d'un pied h coulisse (au O , 1 mm). Les rksultats sont prksentks sous forme de rapports exprimks en pourcentages : SI/S, Hd/H, Co/C, Co/Cr, Cr/H, T/F (pour la signification des symboles, voir la fig. 1).

Dans le mesure oh la variabilitk intraspkcifique du squelette postcriinien des rongeurs est comprise entre 5 et 10% (Y ablokov 1974 et F. Petter, communication personnelle) et dans la mesure oh l'utilisation d'indices (non dimensionnels) permet la comparaison interspkcifique, les rksultats seront interprktables malgrk la faiblesse de l'kchantil-

Le squelette crcinien Comparaison des crcines des deux formes fouisseuses

(A. t . scherman et S .ehrenbergi) pa r rt;fPrence a M. daltoni (fig. 2A, 2 0 , 2E)

Le crine et la mandibule des deux formes fouisseuses, en vues dorsale et laterale, s'inscrivent dans un carre. Cette ten- dance resulte de I'augmentation de la hauteur (dorso-ventrale) du crine et de la mandibule. Les processus coronoi'de et condy- lien de la mandibule sont presque verticaux, la courbure des incisives superieures et inferieures est plus prononcee, le volume de la cavite buccale est accru. La surface osseuse de la boite crinienne est developpee en hauteur grice a l'os squamosal chez A. t. scherman et grice aux os squamosal et parietal et a la formation d'une crcte sagitale chez S. ehrenbergi. La racine des molaires (0s maxillaire) est plus haute.

Le planum occipital est incline vers l'avant et le dessus du crine (de fason beaucoup plus accentuee chez S. ehrenbergi). Ceci se traduit par une reduction de l'os interparietal chez A. t. scherman et par sa disparition chez S. ehrenbergi. La region anterieure du frontal, dans la zone orbitaire, subit une constric- tion antero-posterieure et la surface du squamosal s'accroit dans le sens antero-posterieur. Enfin, les incisives inferieures et superieures sont proclives chez A. t. scherman, alors que seules les incisives inferieures le sont chez S. ehrenbergi.

Dorsalement, on observe un elargissement lateral du crine. Les distances bizygomatiques augmentent, ainsi que l'espace entre la boite crinienne et les arcades zygomatiques, et la surface du squamosal s'accroit lateralement. Les mandibules sont egale- ment klargies lateralement, par des processus angulaires &as& et par des processus coronoi'des kloignes de la barre des molaires.

Comparaison des crcines de trois Arvicolidks (A. t. scherman, A. sapidus et M. arvalis) p a r rkfkrence a M. daltoni Cfig. 2A-2D)

Dans cette serie comparative d'Arvicolides, on retrouve les principales tendances morphologiques decrites ci-dessus a propos des fouisseurs. Ces tendances sont discretes chez M. arvalis et s'accentuent chez A. sapidus et A. t. scherman. Elles peuvent se resumer par la forme cubique de l'ensemble crine-mandibule. On notera simplement la presence de la crete postorbitale prokminente chez les trois formes, le planum occipital incline vers l'avant de fason plus prononcee chez A. t. scherman (avec toutes les cons6quences decrites ci-dessus). Les incisives proclives sont specifiques a A. t. scherman.

L'axe vertkbral La mesure des moments de resitance de chaque vertebre

(tableau 1) permet de tracer la courbe de variation interverte- brale des moments. Une courbe a ete rkaliske pour chacune des formes suivantes : A. t. scherman, A. sapidus, S. ehrenbergi et M. daltoni (fig. 3A). Les kchelles de valeur des moments sont diffkrentes pour chacune des courbes; l'analyse comparative porte sur la variation intracolumnaire des moments.

Les moments de resistance des vertkbres cervicales ainsi que des premikes thoraciques d'A. t. scherman et de S. ehrenbergi sont elevks, alors que ceux des deux autres espitces presentees sont trits faibles (les moments des cinq derniitres vertebres cervicales de S. ehrenbergi n'ont pas et6 mesurks en raison de l'ankylose de cette region de l'axe vertebral). Arvicola terres- tris scherman apparait donc plus proche, de ce point de vue, de

lonnage. S. ehrenbergi que de son congenere, A. sapid&. Les moments

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TABLEAU 2. Valeurs moyennes (+ Ccart type) des mesures sur le squelette appendiculaire d'Arvicola terrestris scherman, Arvicola sapidus, Spalax ehrenbergi, Clethrionomys glareolus, Microtus arvalis

et Mus musculus

A. t. scherman A. sapidus S. ehrenbergi C. glareolus M. arvalis M. musculus Mesures (n = 7) (n = 4) (n = 5) (n = 13) (n = 4 ) (n = 3)

NOTA : Pour la signification de C, Co, Cr, F, H, Hd, S, S1, T, voir la fig. 1.

FIG. 1 . Mesures du squelette appendiculaire : (a) scapula; (b) humerus; (c) ulna; (d) fCmur; (e) tibia et fibula. C, longueur totale de I'ulna; Co, longueur de I'olCcrane (entre son extrCmitC distale et le centre articulaire); Cr, longueur de I'ulna (entre 1'extrCmitC distale et le centre de I'articulation du coude); F, longueur totale du fCmur; H, longueur totale de I'humCrus; Hd, distance de la crete deltoi'dienne par rapport 2i I'articulation proximale de I'humCrus; S, longueur de la scapula; S1, largeur de la scapula; T, longueur totale du tibia.

de rksistance de la rkgion thoracique sont faibles pour les quatre espkces ktudikes; ils s'accroissent dans la region lombaire.

La morphologie locale des vertkbres est caractkriske par la forme bifide (plus ou moins prononcke selon les individus) de l'kpine neurale de l'axis chez A. t. scherrnan. Ce caractsre est plus accentuk chez S. ehrenbergi et n'existe pas chez A. sapidus (fig. 4).

Le squelette appendiculaire L'essentiel des donnkes morphomCtriques recueillies sur le

squelette appendiculaire d'A. t. scherrnan, A .sapidus, C. gla- reolus, S. ehrenbergi, M. arvalis et M. rnusculus est prCsentk dans le tableau 2.

La scapula (SlIS) d'A. t. scherman ne prksente pas dans sa portion distale le rktrkcissement caractkristique de nombreux mammifkres fouisseurs (Talpa, Spalax et Chrysochloris spp.).

La crete deltoi'dienne (HdIH) de l'humkrus acquiert une situation plus distale; elle est situke presque au milieu de 1'0s chez A. t. scherrnan, dans le tiers proximal chez M. arvalis, et dans le tiers distal chez S. ehrenbergi. Sa position est plus distale chez A. t. scherrnan que chez A. sapidus.

L'olkcrsne (CoIC), lieu d'insertion des muscles extenseurs du coude, est relativement moins long chez A. t. scherrnan que chez S. ehrenbergi. L'allongement ne concerne pas la portion distale de l'avant-bras qui au contraire est rkduite (CrIH).

Les tibias (TIF) sont relativement courts chez les deux espkces fouisseuses.

Interpretation Le squelette crsnien

La morphologie criinienne des deux fouisseurs (A. t. scher- man et S. ehrenbergi) rkvkle des caractkres convergents liks Bun systkme musculaire particulier et B l'utilisation de la t2te dans le creusement. Ces divers caractkres peuvent etre interprktks d'un point de vue fonctionnel :

(i) L'augmentation des surfaces d'insertion des muscles masticateurs (surtout le temporal), l'accroissement de la surface de 1'0s squamosal et les cretes d'insertion trks prononckes traduisent l'augmentation de la puissance de la morsure de ces muscles. L'inclinaison du planum occipital s'accompagne d'un dkplacement des zones d'insertion crsnienne du muscle tempo- ral vers l'avant (ce phknomkne peut 2tre corrklk a la verticalisa- tion de la branche montante de la mandibule). Les conskquences en sont une verticalisation des lignes d'action des chefs du muscle temporal. Ce qui se traduit d'un point de vue fonctionnel par une augmentation de la force de stabilisation de la

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FIG. 2 . MCthode de Thompson (19 17) appliquCe aux squelettes criniens de cinq rongeurs (1, vue laterale; 2 , vue dorsale). (A) Myomys daltoni; (B) Microtus arvalis; (C) Arvicola sapidus; (D) Arvicola terrestris scherman; (E) Spalax ehrenbergi.

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t I. t . I .

FIG. 3. Courbes de variation des moments de rksistance de la face dorsale des corps vertkbraux. Les Cchelles de valeur des moments sont diffkrentes pour chacune des courbes; pour les valeurs rCelles des bh2, voir le tableau 1. L'analyse comparative des rksultats porte sur la variation intracolumnaire des moments. En abscisse, ordre des vertkbres; en ordonnCe, valeur moyenne du moment de rksistance (bh2). (A) Courbes des moments vertCbraux des quatre rongeurs type CtudiCs : (1) Arvicola terrestris scherman, (2) Arvicola sapidus, (3) Spalax ehrenbergi, (4) Myomys daltoni. (B) Courbe thkorique des moments vertkbraux d'un mammifkre quadrupkde en position CrigCe ou semi-CrigCe. (C) Courbe thkorique des moments vertkbraux d'un gros mammifkre terrestre quadrupkde (B et C sont repris dans Slijper 1946). c., premikre vert2bre cervicale; I, premikre vertkbre lombaire; t., premikre vertkbre thoracique.

mandibule. Cette propridtd est tres importante pour la phase de plant6 des incisives infkrieures dans le substrat (Laville 1988).

(ii) L'inclinaison du planum occipital augmente le bras de levier des muscles de la nuque (splenius, rhomboi'de, muscle droit de la t6te) par rapport au centre articulaire occipital. La contraction des muscles de la nuque, a l'origine du mouvement de dorso-flexion de la t6te (Laville 1988)' est alors plus efficace. Ainsi, lorsque la mandibule est ouverte et fixde, leur action introduit les incisives infdrieures dans le sol.

(iii) Les incisives proclives ont une orientation plus favora- b l e ~ a l'attaque frontale du substrat. Arvicola terrestris scher- man plante les incisives supdrieures et infkrieures dans le sol, alors que S. ehrenbergi n'utilise dans le fouissage que ses incisives infkrieures .

Les convergences morphologiques mises en dvidence par cette mdthode concernent la forme gdndrale du crine et de la mandibule. Elles different dans le ddtail et ne correspondent

FIG. 4. Vue dorsale de I'atlas. (A) Arvicola sapidus; (B) Arvicola terrestris scherman; (C) Spalax. ehrenbergi. La flkche indique 1'Cpine neurale .

pas ndcessairement a des homologies. Par exemple, 1' impor- tant ddveloppement du muscle temporal se manifeste chez A. t. scherman par un accroissement important de 1'0s squamosal et la formation d'une cr6te postorbitaire, alors que chez S. ehren- bergi on observe un accroissement de la surface des os squarnosal et pariktal et la formation d'une crEte sagitale.

Les rksultats de l'dtude morphologique ont montrd qu'il existe chez A. t. scherman une interfdrence des caracteres d' Arvicolidk avec ceux attribuks a l'utilisation de la t6te dans le fouissage.

Les particularitds de la morphologie crinienne des Arvicoli- dds mises en dvidence par cette mdthode d'analyse avaient ddja dtd ddcrites par Kesner (1980) grice a une dtude d'anatomie descriptive plus traditionnelle, accompagnde d'une interprdta- tion fonctionnelle fondde sur le rdgime alimentaire. Les auteurs estiment classiquement que le succes dvolutif des Arvicolides rkside dans 1' acquisition d'un rdgime alimentaire graminivore (Miller 1 896; Kesner 1980; Chaline et al. 1979). Ceci se traduit par certaines adaptations morphofonctionnelles de l'appareil masticateur. En effet, les particularitds de la morphologie crinienne des Arvicolidks sont attribudes a certains types de mouvements requis dans le broyage des gramindes. Les forces principales qui agissent dans ces mouvements sont une compo- sante verticale pouvant gkndrer d'importantes forces de com- pression entre les molaires (muscle temporal) et une composante horizontale, propulsive vers l'avant (ptdrygoi'dien interne).

Ainsi, les caracteres morphologiques du crine d'A. t. scher- man sont en premier lieu des caracteres d'Arvicolidd (caractere pldsiomorphe de la famille) et constituent une prkdisposition structurale (protoadaptation, sensu Bock 1959) a l'utilisation de la tEte cornrne instrument de fouissage. Cependant, les caracteres morphologiques retenus sont plus saillants chez A. t. scherman que chez A. sapidus et M. arvalis. C'est donc au niveau de cette accentuation et de l'acquisition de la proodontie que rkside l'adaptation du crine d' A. t . scherman au creusement.

Ellerman (1941) montre qu'il existe, relativement a l'ige des animaux, une certaine plasticitk de la morphologie crinienne d'A. t. scherman. En effet, chez les individus les plus igks, les crEtes d'insertion musculaire sont plus saillantes. Cette caractd- ristique peut Etre interprdtke soit comme une accommodation biologique (somation), soit comme une adaptation a base gdndtiquement dkternlinke. Dans le premier cas, il pourrait s'agir d'une rkactivitk du tissu osseux like aux contraintes locales qu'il subit. Dans le second cas, la plasticitd (tout comme la proodontie des incisives ou la rdduction de 1'0s interparidtal) rdsulterait d'une rkponse morphogdndtique (a ddterminisme gkndtique) aux contraintes likes au mode de creusement agissant comme forces sdlectives.

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LAVILLE 2443

L'axe verte'bral L'application des travaux de Slijper ( 1946) sur l'axe vertkbral

permet de caractkriser deux types morphofonctionnels parmi nos rongeurs dont les reprksentants sont d'une part A. sapidus et M. daltoni, d'autre part A. t . scherman et S. ehrenbergi. Le premier type morphofonctionnel est trks proche de celui de la courbe B (fig. 3)' caractkrisant l'axe vertkbral de petits mammifkres. Ce rksultat est en rapport avec la petite taille des deux rongeurs concernks . Le deuxikme type morphofonctionnel s'apparente a celui de la courbe thkorique C (fig. 3), carac- tkrisant pour Slijper les gros mammifkres dont les vertkbres cervicales sont soumises aux fortes contraintes resultant du poids de la t6te. Bien que les squelettes criiniens d'A. t . scherman et de S. ehrenbergi soient relativement massifs, il est peu probable que les forts moments de rksistance cervicaux rksultent du poids de la tete, mais plus probablement de son intervention dans le creusement et des sollicitations mkcaniques que cela implique.

L'ktude cinkmatique du creusement chez A. t . scherman (Laville 1988) a montrk que les vertkbres cervicales ont une certaine mobilitk qui permet a l'outil ckphalique d'attaquer le substrat dans diffkrentes directions de l'espace. Cette mobilitk relative de la rkgion cervicale se manifeste surtout par la rotation des vertkbres autour de l'axe vertebral. Aucune flexion rachi- dienne ventrale ou dorsale n'a kt6 observke. Ainsi, alors que les cinq dernikres vertkbres cervicales de S. ehrenbergi constituent par leur ankylose une barre rigide qui agit comme une <<bielle>> sur le <<piston>> ckphalique (Gasc et al. 1985)' l'axe cervical d' A. t . scherman se comporte, malgrk l'absence d'ankylose, comme une barre rigide qui actionne le criine au cours du creusement. En outre, la morphologie bifide de l'kpine neurale de l'axis d'A. t . scherman est interprktke comme une augmen- tation de la surface d'insertion des muscles de la nuque; elle rkpond ainsi a l'augmentation de surface du plan occipital et a la position klevee de la cr6te occipitale. Ce caractkre, trks accentuk chez S. ehrenbergi, est probablement lik a l'impor- tance fonctionnelle des muscles de la nuque dans l'action de creuser. Enfin, contrairement aux mammifkres de grande taille, aucun ligament nucal n'a kt6 observe au cours des dissections.

Dans la rkgion thoracique, les moments de rksistance des corps vertkbraux sont relativement faibles par rapport a ceux des rkgions lombaires ou cervicales (fig. 3A-3C). Sli-iper considkre que les contraintes sont alors absorbkes par d'autres klkments vertkbraux ou par les c6tes. En outre, il est probable que cette rkgion abritant les organes vitaux soit libkrke des contraintes de soutien et de locomotion.

Les forts moments de rksistance des vertkbres lombaires d'A. t . scherman et de S. ehrenbergi sont dus, comme chez tous les mammifkres quadrupkdes, a la transmission des forces de propulsion issues des membres pelviens lors de la locomotion quadrupkde. Cependant, en raison du mode de fouissage d'A. t . scherman (appui des membres pelviens, arc-boutement lombaire), la rkgion lombaire est soumise a des contraintes mkcaniques supplkmentaires qui expliquent kgalement des moments de rksistance klevks des vertkbres lombaires.

Le squelette appendiculaire Le squellette appendiculaire d'A. t . scherman prksente cer-

tains traits indiquant une tendance adaptative au creusement. Ces caractkres touchent principalement la distalisation de la crete deltoi'dienne, 1 'allongement de 1 'olkcriine et la reduction d'un segment du membre pelvien, et ils convergent chez les animaux fouisseurs . Cependant , compte tenu de la faiblesse de l'kchan-

tillonnage et de la variabilitk intraspkcifique, ces rksultats demandent a 6tre considkrks avec reserve.

Toutefois, Bou et al . (1985) ont montrk la predominance du poids relatif du squelette appendiculaire thoracique (tout comme celui de la t6te) chez les espkces utilisant la t6te dans le fouissage, notarnment chez la forme fouisseuse d'A. terrestris. Chez ces formes, les membres postkrieurs ont un poids relatif infkrieur a celui auquel on doit s'attendre. En outre, le rapport elevk du diamktre des os longs des membres thoraciques vis-a- vis de leur longueur place A. t . scherman tout autant que Spalax et Talpa spp. parmi un ensemble de formes fouisseuses. Enfin, les moments de flexion et de torsion caractkrisant le degrk de rksistance de l'os, mesurks chez A. terrestris sur l'humkrius, l'ulna, le fkmur et le tibia, sont, exception faite du tibia, plus klevks que les valeurs attendues, relativement au poids du corps.

Ainsi, le squelette appendiculaire antkrieur et postkrieur d'A. t . scherman est marquk de f a ~ o n trks discrkte par l'adapta- tion au fouissage, bien qu'il n'intervienne pas en tant qu'outil de creusement. Rappelons cependant que les membres partici- pent aux diffkrentes phases de cette fonction, comme le prouve l'ktude cinkradiographique (Laville 1988).

Conclusion La connaissance de la cinkmatique du fouissage a fourni le

cadre de l'interprktation fonctionnelle de la morphologie. Cette dkmarche permet d'interprkter d'un point de vue fonctionnel certaines particularitks du squelette et de prendre en compte divers organes souvent nkgligks dans les ktudes morphologiques concernant les fouisseurs (emplacement de la crete deltoidienne sur l'humkrus, longueur de l'olkcriine, morphologie de la scapula, moments de rksistance des vertkbres, etc.). Dans le prksent travail, le degrk d'adaptation de la sous-es@ce A. t . scher- man est recherche par une approche comparative au sein d'une skrie morphologique de fouisseurs. Malgrk des origines phylk- tiques kloignkes, des <<stratkgies adaptativew se degagent a travers des convergences pures telles que l'accroissement de la longueur de l'olkcriine, la forme bifide de l'kpine neurale de l'axis et l'inclinaison de 1'0s occipital. L'adaptation se manifeste kgalement au travers d'kquivalences fonctionnelles, c'est-a-dire les m6mes structures morphologiquement diffkrentes jouant le m6me r6le fonctionnel. Par exemple, l'efficacitk des muscles klkvateurs de la mandibule est accrue par une augmentation de leur volume et la direction plus verticale de leur ligne d'action. Ceci se traduit soit par un accroissement lateral de la surface de l'os temporal chez A. t . scherman, soit par l'existence d'une crete sagittale verticale, chez S. ehrenbergi. De msme, le renforcement de la colone cervicale est dQ chez S. ehrenbergi a une ankylose des vertkbres cervicales et chez A. t . scherman a une augmentation de leurs moments de rksistance. Ces equiva- lences fonctionnelles rksultent de contraintes dynamiques com- parables malgrk des cinetiques diffkrentes et des origines phylktiques distinctes.

D'autre part, les comparaisons morphologiques au sein d'une m6me unit6 phylktique, celle des Arvicolidks, aboutissent a la dkfinition d'un type morphofonctionnel gknkralisk a partir duquel se sont dkveloppks les caractkres adaptatifs. Arvicola terrestris scherman prksente au niveau de la morphologie criinienne une accentuation des caractkres des Arvicolidks qui va dans le sens, sur le plan fonctionnel, d'une adaptation au fouissage. De meme, les proportions des segments des membres et les moments de rksistance de l'axe vertkbral tendent a rapprocher A. t . scherman de fouisseurs extra groupe.

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Cette dimarche a montri que grice a une morphologie peu spicialisie et un rigime alimentaire graminivore, la famille des Arvicolides parait priadaptee au milieu souterrain. Arvicola terrestris scherman parait offrir i'exemple d'une adaptation en voie d'ivolution. Celle-ci existe di ja au niveau fonctionnel, du fait de comportements, mais elle ne se traduit pas de f a ~ o n marquee dans la morphologie. Toutefois, certains des caractltres morphologiques d'A. t. scherman qui pourraient etre associes au mode de locomotion souterrain, sur la base de considerations fonctionnelles (par exemple, la crete occipitale), peuvent risulter soit d'une riactiviti du tissu osseux au cours de la vie de l'animal (accommodation physiologique), soit d'une << pridisposition >> (protoadaptation, sensu Bock 1959) like aux caractiristiques morphologiques des Arvicolides, suivie d'un remodelage morphogenetique.

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