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    LEHPAD :

    Juin 2006

    PREMIER MINISTRE

    Pour finir de vieillir

    Ethnologie compare de la vie quotidienneen institution griatrique

    (tome I)

    Etude ralise pour le Centre danalyse stratgiquepar la Fondation Maison des sciences de lHomme

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    PROTOCOLE DETHNOLOGIE DES ORGANISATIONS

    LEHPAD POUR FINIR DE VIEILLIREthnologie compare de la vie quotidienne en institution griatrique

    Mars 2006

    www.strategie.gouv.fr www.msh-paris.fr

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    Contacts

    Centre danalyse stratgique

    18, rue de Martignac 75700 Paris Cedex 07

    tlphone : 01 45 56 51 00

    Contact : Sbastien Doutreligne, Charg de mission au Dpartement Questions

    sociales

    E-mail : [email protected]

    Fondation Maison des Sciences de lHomme

    54, bd Raspail 75006 Paris

    tlphone : 01 44 41 32 00

    Contact : Jean-Luc Lory, (CNRS, FMSH)

    Adjoint de lAdministrateur de la FMSH

    Coordinateur du Protocole dethnologie des organisations

    E-mail : [email protected]

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    PROTOCOLE DETHNOLOGIE DES ORGANISATIONS

    LEHPAD pour finir de vieillirEthnologie compare de la vie quotidienne en institution griatrique

    Auteurs du rapport

    Nicolas Jaujou (ethnologue Laprade), Rdacteur du rapportEric Minnart (ethnologue Mont Arbrai)Laurent Riot (ethnologue Muset)

    Comit Scientifique

    Alain dIribarne (CNRS - MSH, Paris)Sbastien Doutreligne (CGP puis Centre danalyse stratgique), Secrtairedu Comit ScientifiqueMaurice Godelier (EHESS, Paris)Monique Jeudy-Ballini (CNRS - Laboratoire dAnthropologie Sociale,Paris)Pierre Lemonnier (CNRS - CREDO, Marseille)Jean-Luc Lory (CNRS - MSH, Paris), Coordinateur du Protocoledethnologie des organisations

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    Tables des matires

    TABLES DES MATIERES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4

    AVANT-PROPOSV IEILLIR EN SOCIETE , UN DESTIN ET UNE DETTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9

    INTRODUCTION . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . 13 Pourquoi des enqutes ethnographiques dans des tablissements

    accueillant des personnes ges et/ou dpendantes ?......................... 13Principes de la dmarche ethnologique et conditions denqute........ 15

    Justification du choix des terrains...................................................... 17

    Critres pris en compte dans le choix des terrains............................. 18

    Cinq tablissements, cinq modes dimmersion ethnologique............ 20

    Choix du plan du prsent rapport de synthse ................................... 22Quelques rsultats propres la dmarche ethnologique .................... 24

    CHAPITRE 1 ENTRER EN MAISON DE RETRAITE . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . 27

    1.1 Lentre en institution : histoire dun consensus.................................... 291.1 .1 Devenir un poids , supporter un fardeau :

    un arr ire-plan famil ia l . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

    Une cohabitation impossible ? ........................................................... 32Maintien domicile et dpossession de la vie prive ........................ 33

    Un asile pour le repos de lentourage :

    le cas des personnes sniles ............................................................... 36

    Survenue des handicaps des parents gs et ge des descendants ..... 38

    1.1 .2 Un discours mdical prpondrant et aux ver tusdcu lpab i li santes . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . 39

    Rpartition des rles entre mdecins et responsablesdtablissement .................................................................................. 40Une entre dans linstitution sans alternative ?.................................. 41

    Loffre de places :

    des critres obscurs et imprvisibles pour les familles ...................... 42

    Lurgence, rvlatrice des bons procds entre parents gs etentourage............................................................................................ 46

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    1.2 Lintgration des rsidents dans les tablissements spcialiss............. 501.2 .1 Les premiers pas dans les tablissements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

    Avec ceux de linstitution.................................................................. 50Une rclusion temporaire normalise ................................................ 52

    Laccs un lieu nvralgique : la salle de restauration...................... 53

    1.2 .2 Vie soc iale e t l eadersh ip dans l es tab l i s sements . . . . . . . 56

    Limportance des critres de sant : avoir sa tte et ses jambes .. 57

    Lempreinte des statuts sociaux antrieurs ........................................ 58

    Des ges au rythme des gnrations .................................................. 60Les personnalits et leurs qualits relationnelles ......................... 62

    1.2 .3 Cooprat ion entre val ides et handicaps :

    une logique sociale spci f ique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

    La solidarit dmonstrative des plus valides...................................... 65Solidarit et espoir de contre-don ...................................................... 68

    1.2 .4 Animat ions ou rinser tion ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 1.2 .5 Pouvoir se sentir chez so i . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74

    La symbolique des dcors intrieurs.................................................. 75Lancien domicile irremplaable ....................................................... 77

    Le Dernier chez-soi mis en demeure............................................ 78

    Conclusion......................................................................................................... 82

    CHAPITRE 2 VIVRE SA DEPENDANCE DANS UNE INSTITUTION

    POUR PERSONNES AGEES DEPENDANTES . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . 84

    2.1 tre(s) en demande.................................................................................... 862.1 .1 Demande et dpendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

    Apprendre demander....................................................................... 86

    Mdicalisation des relations de service en maison de retraite ........... 88

    Demande de prsence ................................................................... 902.1 .2 Rpondre aux demandes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92

    Demandes et demandeurs .................................................................. 92

    Demandes en concurrence ................................................................. 93

    Qualifier et disqualifier les demandes................................................ 95Pouvoir rpondre................................................................................ 96

    Lexprience de la demande .............................................................. 972.1 .3 Entendre les p laintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

    Se plaindre de quoi ?.......................................................................... 99Savoir se plaindre............................................................................. 102

    Au-del de la relation de service...................................................... 104

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    2.2 Amnager le temps.................................................................................. 1062.2 .1 Savo ir a t t endre , con t inuer de s an imer . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . 106

    Attendre, cest faire quelque chose .................................................. 106Lautre temps ................................................................................... 108

    Lanimation : construction dun temps partag ............................... 111

    2.2 .2 Organiser la concordance des t emps . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . 116

    Repousser le repas du soir : enjeux dune restructuration du temps 116

    Prendre le temps de manger............................................................. 119

    Concordance des temps : un temps travaill .................................... 121

    2.3 Le corps dpendant en institution.......................................................... 1242.3 .1 Mobi li t e t ident i t . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124

    Reprsentation et appropriation de lespace .................................... 124

    Circulation et identification ............................................................. 1262.3 .2 Les contours du corps dpendant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

    Recomposer son corps ..................................................................... 131

    Les connaissances de la dpendance................................................ 136

    CHAPITRE 3 LES SENS DUNE FIN DE VIE EN U SLD . . . .. . . .. . . .. . 1 42

    3.1 La prise en charge de la fin de vie.......................................................... 1443.1 .1 Prcarit du dernier l ieu de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

    Perte de mmoire / perte dautonomie ............................................. 145

    Sur les paules du personnel ............................................................ 147 Sa maison, cest sa chambre ! .................................................... 151

    3.1 .2 La mort comme projet de f in de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153

    Rintgrer la famille en institution................................................... 153

    Prise en charge et stratgies de fin de vie ........................................ 155

    3.2Vivre avec la mort .................................................................................... 1573.2 .1 Reconna tre la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157

    Lagonie........................................................................................... 157

    Confrontation................................................................................... 158

    Institutionnaliser la mort .................................................................. 1593.2 .2 Prvenir les vivants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

    Lannonce aux familles.................................................................... 161

    Sapproprier la mort ......................................................................... 163

    3.3 Aprs la mort ........................................................................................... 1663.3 .1 La prparation des morts et des vivants . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166

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    Prparation de la chambre................................................................ 166Sortie de corps.................................................................................. 167

    Prparation du corps mort ................................................................ 1693.3 .2 R ituels funraires ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

    Crmonies et convois funbres ...................................................... 171

    La mise en bire de Mme Cassandre ............................................... 173

    Le rituel funraire de M. Humbert ................................................... 173

    Vers la dernire demeure ................................................................. 1743.3 .3 De la mmoire des morts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

    A la croise des histoires de vie ....................................................... 177

    Reconnaissance dune histoire collective ........................................ 180

    CONCLUSIONS . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . 182

    Approche ethnologique .................................................................................. 182La dpendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 Les re lations entre rsidents et personnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

    La demande et les plaintes ............................................................... 185

    La prise en charge et sa conception ................................................. 186

    Les reprsentations de soi ................................................................ 189

    Les relations entre co-rs idents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190

    Les relations entre famil les et personnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191

    Le rapport la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 La relation des personnels la mort des rsidents........................... 191

    Le traitement du corps ..................................................................... 194

    Les relations entre familles et personnels ........................................ 194

    Orientations et propositions .......................................................................... 196Orientat ions pour le Centre danalyse s tratgique . . . .. . . .. . . 1 9 6 Proposi t ions aux profess ionnels et aux usagers . . . .. . . .. . . .. . 2 0 1

    Recommandations croises............................................................................ 207

    Organisat ion et valorisat ion locale de l offre

    dhbergement . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . 207

    Personnels , familles et animations en inst i tut ions . . . .. . . .. . 2 1 2

    Innovat ion, veil le et enqute de terrain . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . 215

    Perspectives..................................................................................................... 217

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    ANNEXES . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . 218

    Fiches de prsentation synthtique des EHPAD.......................................... 219Sigles et termes spcialiss ............................................................................. 232Bibliographie................................................................................................... 235

    Ouvrages , ar t i c l es de sc iences soc ia les . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. 235Rapports , chartes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248 Revues des tines aux personnes ges ou parlant des

    personnes ges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250 Si tes In terne t . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . 251

    INDEX . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . 252

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    Avant-proposVieillir en socit, un destin et une dette

    Nous nous sentons tous solidaires des personnes ges, mais

    secrtement, gostement cest notre vieillesse qui nous obsde, que lon refuse.

    Vieillesse que lon ne voit que chez lautre, que lon conjure en ne se voyant

    pas soi-mme vieillir , en shabituant la lente modification de son apparence.

    Lenteur propice la bienveillance vis--vis de son image ; bienveillance qui fait

    dire que lon nest pas vieux, pas encore vieux, ou pas un vieux .

    Insidieusement, cependant, le doute sinstalle, lon commence poser

    autour de soi un regard diffrent sur les siens, parents et enfants, sur le cercle desamis, puis sur les autres, dans la promiscuit professionnelle ou du quotidien,

    dans les transports ou dans la foule.

    Quelle est ma classe dge ? Comment caractriser les autres pour

    mexclure de ce terme de vieux , que lon ressent intimement comme un mot

    grossier quand il est employ pour sa famille et presque comme un mot tabou

    quand on se lapplique.

    Notre socit, fort opportunment, nous donne des raisons objectives dediffrer linluctable destin de vieux. La vie sallonge, on vieillit mieux, nous

    devenons des jeunes retraits, puis des seniors, avant de devenir des sniles.

    Nous sommes de moins en moins des vieux tout court

    Or toutes les socits humaines sont constitues dun ensemble de

    classes dges qui vont de la petite enfance la vieillesse, et ces classes dges

    font intgralement partie du corps social ; elles en attestent la dynamique, la

    reproduction, la prennit. Ignorer ce continuum cest nier son appartenance lasocit, cest contribuer dnouer ce lien social quil est vital de resserrer

    lorsque lhomme est en situation de dpendance, laube ou au crpuscule de sa

    vie.

    Marginaliser ce phnomne social total et intime en le rationalisant au

    travers de prtextes mdicaux, conomiques ou administratifs est vain. A moins

    que ces alibis illusoires nous aident justifier et rendre supportable la

    culpabilit que nous ressentons envers nos ans, avant que sinstalle une forme

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    dindiffrence puis doubli qui agirait comme un dipe tardif dune autrenature.

    Moi-mme, ethnologue et coordinateur de cette tude, je me suis

    retrouv, tout au long de ce travail la fois acteur et sujet, observateur et

    observ. Observateur du vcu de ces enqutes par mes jeunes collgues mais

    aussi des sentiments partags par les ethnologues seniors qui les

    accompagnaient. Observ et observateur de ma personne vis--vis des personnes

    ges, de ma famille ou de mon entourage.

    Cest l que ce travail ethnologique prend tout son sens, toute son

    importance. Limmersion de trois chercheurs - Nicolas Jaujou, Eric Minnart,

    Laurent Riot - dans les EHPAD porte sur cette ralit une lumire qui ne procurenulle ombre propice lvitement, lignorance. Nulle ombre sur les conditions

    de cette fin de vie, nulle ignorance sur la responsabilit qui chot ces

    tablissements et leurs personnels, qui assument de faon professionnelle et

    tout en la vivant pour leur propre compte, cette promiscuit journalire avec despersonnes ges sur le point datteindre ltape ultime de leur vie, la fin.

    Ces tudes ethnographiques au sein dtablissements pour personnes

    ges, nous devrons donc nous efforcer de les publier intgralement

    ultrieurement, car elles tmoignent que la fin de vie est avant tout la vie. Que

    demeurent des attentes, des changes, des besoins qui rfrent la vie en socit, la vie davant ; ce lien qui na pas de raison sociale dtre rompu par autre

    chose que par la mort.

    Il faut esprer que ce travail, au-del de son utilit politique, puisse

    contribuer souligner limportance de prserver ou de reproduire, tout au long

    de la vie, une cellule familiale, un foyer , unit originelle constitutive de notresocit civilise et quainsi notre fin de vie nous conduise la mort sans

    saccompagner dun suicide social.

    Je tiens remercier trs sincrement les trois ethnologues pour leurengagement dans cette mission : Nicolas Jaujou, Eric Minnart, Laurent Riot.

    Ces trois docteurs en ethnologie, se sont rellement immergs pendant 6 mois

    dans leurs terrains puisque tous ont particip aux tches quotidiennes des

    tablissements dans lesquels ils se trouvaient et que deux dentre eux ont pu treen immersion totale, cest--dire quils taient hbergs sur les lieux de leur

    travail .

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    Ils ont t utilement et concrtement accompagns par le Comit

    Scientifique que jai eu le plaisir de coordonner, comit constitu par :- Monique Jeudy-Ballini (CNRS, Laboratoire dAnthropologie Sociale)- Maurice Godelier (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales)- Alain dIribarne (CNRS, FMSH)- Pierre Lemonnier (CNRS, Centre de Recherche et de Documentation sur

    lOcanie, Marseille)

    - Jean-Luc Lory (CNRS, FMSH).Les membres du Comit Scientifique ont non seulement particip aux

    orientations de cette tude et sa rdaction, mais ils ont aussi accompagn nos

    ethnologues sur le terrain et suivi concrtement leur travail au fur et mesure derunions rgulires qui furent de vrais sminaires de recherche.

    Je tiens galement remercier les deux Commissaires au Plan qui,

    successivement, ont rendu ce travail possible au travers dune convention avec laFondation Maison des Sciences de lHomme, respectivement M. Alain

    Etchegoyen et Mme Sophie Boissard1. Ainsi que Lucile Schmid et Stphane Le

    Bouler, coordonnateur du rapport de la mission Prospective des quipements et

    services pour les personnes ges dpendantes , qui nous aura permis de mettre

    en miroir nos travaux en regard du rapport quil a coordonn dans le cadre de

    la commande ministrielle de M. Philippe Bas, ministre dlgu la Scuritsociale, aux Personnes ges, aux Personnes handicapes et la Famille, et

    Sbastien Doutreligne, charg de mission qui, depuis le dbut de cette entreprise,

    a travaill nos cts, non seulement comme intermdiaire indispensable, mais

    aussi comme un interlocuteur scientifique de grande qualit.

    Enfin, lensemble de ce travail aurait t infaisable sans le support et lacollaboration participative des responsables des tablissements o les terrains

    ont t effectus. Collaboration dont la qualit tmoigne de la dtermination

    dassumer non seulement des responsabilits administratives, mais aussi

    citoyennes et individuelles dans le cadre de leurs fonctions.

    Cette dtermination a t galement constate par tous, comme en

    tmoigne la coopration totale quont rencontre nos ethnologues de la part des

    1 Mme Sophie Boissard est Directrice gnrale du Centre d'analyse stratgique, nouvelleinstitution cre par dcret du 6 mars 2006, qui succde au Commissariat gnral duPlan.

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    personnels tous les niveaux des institutions dans lesquelles ces recherchesethnographiques ont t conduites. Sans eux et sans, bien videmment, laccueil

    que les rsidents des EHPAD ont fait nos chercheurs, nous naurions puprtendre porter, sur les maisons de retraite, ce regard que nous esprons utile et

    vrai.

    J.-L. Lory (CNRS-FMSH)

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    IntroductionMaurice Godelier

    Monique Jeudy-Ballini

    Pierre Lemonnier

    Comit scientifique duProtocole dethnologie des organisations

    Au-del des problmes politiques, conomiques ou administratifs quelle

    soulve, la prise en charge du grand ge est dabord un problme de socit :

    lvolution des structures familiales tant ce quelle a t depuis cinquante ans,

    les personnes ges sont souvent amenes terminer leur vie dans destablissements spcialiss. De simples considrations dmographiques indiquent

    que leur nombre ira croissant, et lEtat se doit de prvoir et dimaginer leur

    accueil.

    Ici sajoute un effrayant constat qualitatif car, linstant prsent,

    nombre de rsidents des multiples tablissements pour personnes ges

    expriment une demande qui souligne autant leur profonde dtresse que la mal-adaptation de ces maisons de retraite : ils veulent soit rentrer chez eux, soit

    mourir. Il en rsulte que prvoir laccueil des personnes ges ne consiste pas

    seulement valuer une demande future en termes de places, de personnel,dorganisation du travail ou dinvestissement de lEtat. Cest aussi envisager de

    prendre bras-le-corps la question du bien-tre physique et moral des personnes

    en fin de vie. Dans une telle optique qualitative et dans le cadre du Protocole

    dethnologie des organisations le Commissariat gnral du Plan a confi la

    Maison des Sciences de lHomme la ralisation dune triple enqute mene pardes ethnologues.

    Pourquoi des enqutes ethnographiques dans des tablissements accueillant

    des personnes ges et/ou dpendantes ?

    Les ethnologues travaillant dans les socits traditionnelles dAfrique oudOcanie, par exemple, savent que les gens gs ny font jamais lobjet dune

    discrimination ou dun enfermement dans un lieu particulier destin les sparer

    des autres. Ce constat qui vaut de la mme faon pour les malades et ceux

    quun handicap physique ou mental rend dpendants des autres sapplique

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    aussi certains pays dEurope, comme la Grce, trs attachs aux modlesfamiliaux daide informelle. La prise en charge se trouve alors assume par la

    famille jusquau dcs de la personne au lieu dtre dlgue un tablissementspcialis comme cest le cas en France (du moins dans la priode moderne de

    son histoire).

    Dans les pays mditerranens, ces diffrences renvoient des raisons

    conomiques (manque de ressources financires, dficit de protection sociale) et

    mdicales (labsence daccs aux soins qui, dans les pays du Nord, permettentune augmentation de la longvit favorisant lapparition de multiples maladies

    dgnratives). Mais ces diffrences sont galement dordre culturel car elles se

    fondent sur des conceptions opposes de la vie, du rapport au corps et des

    relations sociales. En particulier, les membres des familles vivent gnralementplus prs les uns des autres. Dans des socits comme la ntre qui associent la

    vie des valeurs lies la rentabilit, lefficacit, le dynamisme, le pouvoir et la

    sant (au risque de la surmdicalisation) , loccultation de la mort et sa

    sgrgation constituent des faits quun clairage ethnologique permet de mieuxsituer dans leur globalit. Le sort fait aux vieux ne peut en effet tre pens

    sparment du contexte densemble dans lequel il sinscrit et avec lequel il

    forme systme2.

    Habitus analyser les conceptions qui sous-tendent certains modes de

    vie ou faons de faire, les ethnologues ont une comptence qui les prdispose la prise en compte des problmes de tous ordres (individuels et collectifs) poss

    par la relgation et la prise en charge institutionnelles des personnes en fin de

    vie.

    2 Le journalLe Monde du 1er fvrier 2006 (p. 25), publiait un article intitul Avoir plusde 75 ans en Europe . Il faisait rfrence une tude de lINED portant sur la disparit

    compare du sort rserv aux personnes ges dans 9 pays europens et observait que cedernier variait considrablement dune contre une autre . Il convient de noter quelapport de lethnologie ne tient pas seulement la singularit de sa dmarche(limmersion dans une ralit concrte) mais quelle renvoie en outre au fait que laconnaissance de laltrit est aussi, pour un ethnologue, un moyen de penser sa propresocit. Peut-on rflchir une manire damliorer ce qui peut ltre, sans avoir lesprit une perspective comparative plus large ? Cest ce qui donne en partie leurlgitimit aux rsultats dune enqute ethnographique : le fait quelle soit porte la fois

    par une attention minutieuse au terrain et par un regard loign , pour emprunter une formule de Claude Lvi-Strauss.

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    Principes de la dmarche ethnologique et conditions denqute

    Lethnologie est un mode de connaissance visant comprendre la

    manire dont un groupe social vit et interagit avec les autres. Si elle a eu

    longtemps vocation sintresser aux socits lointaines, elle a perdu son

    caractre prfrentiellement exotique pour se porter, depuis quelques dcennies

    dj, vers ltude des socits occidentales. Sa rflexion sest alors oriente vers

    de nouveaux objets dobservation comme les entreprises, le milieu industriel, les

    espaces urbains et les institutions par exemple, soit autant de lieux dont ltude

    se situe au carrefour de plusieurs disciplines : notamment lhistoire, la

    sociologie, le droit et lconomie. Tout en exploitant certains apports de ces

    disciplines, lenqute ethnographique dans de tels milieux produit des donnes

    qualitatives fines que seule une familiarit intime avec la ralit du terrainpouvait faire merger. Elle le doit prcisment la mthode singuliredobservation quelle met en uvre.

    Cette mthode implique limmersion quotidienne et prolonge de

    lobservateur au sein du groupe tudi. En partageant son ordinaire, en

    participant concrtement ses activits les plus diverses, lethnologue accde

    par empathie de lintrieur en quelque sorte des informations sur la

    ralit quotidienne de ce groupe. Les informations ainsi obtenues ne se

    contentent pas de reproduire des opinions recueillies en rponse un

    questionnaire prtabli. Elles correspondent au contraire des donnes saisies ensituation et que les intresss ne seraient pas toujours en mesure de formuler ou

    dexpliciter, dont ils nont pas forcment conscience, ou qui manifestent un

    dcalage entre discours et pratiques quil sagit alors dexpliquer. La manire

    spcifique daborder ce milieu particulier permet galement de faire la part entre

    ce qui relve de lexceptionnel ou de lordinaire, de la norme ou de linformel,

    selon des distinctions quautorise seule une grande familiarit avec le terrain.

    Sur un plan pratique, la difficult dune enqute ethnographique dans un

    tablissement pour personnes ges et/ou dpendantes est den faire admettre le

    sens auprs de ceux qui y travaillent ou y vivent, selon une raison tenant aucaractre indit et exprimental de ce type de recherche dans de tels lieux. Uneautre difficult renvoie lhtrognit de la population tudie qui oblige

    lobservateur dmultiplier ses points de vue. Dans les tablissements

    considrs, cette population se divise en effet en trois grandes catgories dont la

    prsence renvoie des motivations distinctes : professionnelles, pour les

    membres du personnel ; relatives lge et ltat de sant, pour les rsidents ;

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    et familiales ou relationnelles, pour ceux qui leur rendent visite. Il est noter quele statut particulier (et nouveau) des ethnologues sest largement construit sur la

    difficult quont eue les diffrents acteurs des maisons de retraite assigner uneseule fonction aux chercheurs, du fait de la diversit de leurs activits et de leurs

    changements de tenues vestimentaires au cours de leur mission (du blanc des

    soignants aux habits ordinaires des administratifs).

    Les relations de confiance que lobservateur parvient tablir avec ses

    divers interlocuteurs en les assurant notamment de prserver leur anonymatdans les rsultats de sa recherche , nexcluent pas quil soit la cible de

    tentatives dinstrumentalisation. Ces phnomnes, quil est prpar reprer en

    tant que tels, courants dans la plupart des situations dobservation, ne font pas

    entrave au droulement de sa recherche. Ils sont traits au contraire commeautant de sources dinformation ethnographique ou dobjets de rflexion part

    entire quil convient dintgrer dans lanalyse du milieu concern.

    Limplication, plein temps, de lethnologue sur le terrain passe parloccupation successive demplois divers au sein des tablissements qui sont

    propres lui fournir des angles dobservation changeants et complmentaires ;

    propres galement faire de lui lune des rares personnes ayant une

    connaissance densemble du milieu concern. Les tches concrtes quil remplit

    quelque niveau que ce soit de la hirarchie de ltablissement sont un atout de

    sa crdibilit auprs dinterlocuteurs dont il partage le vcu professionnel et quise trouvent ainsi enclins agir devant lui dans une certaine transparence. Elles

    lui permettent en mme temps de saisir sur le vif des situations et des

    interactions au sein des membres du personnel, ainsi quentre ces derniers et les

    rsidents ou leurs familles. Les observations recueillies dans ces conditions

    revtent la fois une qualit informative et une dimension motionnelle et

    sensible (ou sensorielle) minemment prcieuses dans la comprhension quelon peut avoir dun milieu particulier. Dans le cas prsent, cette observation

    participante a plac les trois ethnologues du ct des personnels : ils ont tour

    tour confectionn et servi des repas, aid des pensionnaires manger, se

    dplacer, effectu des toilettes, prpar les morts et apport divers appuislogistiques aux personnels soignants.

    Lun des piliers mthodologiques de lethnologie est la dmarche

    comparative : une situation culturelle particulire est interprte en fonction dece que lon sait dautres situations ethnographiques raisonnablement

    comparables. Dans le cas prsent, le comparatisme sexerce plusieurs niveaux :

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    - au sein dun mme tablissement, lorsquon y rencontre divers modes deprise en compte des personnes ges (cas de lhpital local de Laprade3

    [voir ci-dessous], o il est possible de comparer la nature des demandesdans les units de soins de longue dure et dans les trois services de

    maisons de retraite de ltablissement ou encore dy comparer la charge

    de travail) ;

    - dans une mme rgion : par exemple, lenqute Laprade a pu trecomplte par des observations au restaurant-foyer troisime ge

    jouxtant lhpital lui-mme et la maison de retraite des Mimosas (unEHPAD de 50 rsidents), une dizaine de kilomtres de Laprade ;

    - entre les diffrents terrains denqute investis par les ethnologues durantleur mission (5 tablissements en tout), comme cela a t

    systmatiquement fait tant pendant la phase denqute que dans lespages qui suivent.

    Plus gnralement, chacun peut tout moment rapprocher ses observations des

    analyses ethnologiques sur le statut des personnes ges dans diverses socits.

    Justification du choix des terrains

    Comme lindiquait le texte dfinissant le Protocole dethnologie des

    organisations (25 mai 2005) : Le travail entrepris par la MSH ne prtend pas lexhaustivit. Seules, trois

    maisons de retraites seront tudies de faon prolonge. Toutefois, les

    ethnologues mettront profit leurs expriences rciproques pour couvrir un

    panel significatif. Il ne sagit pas de dresser un tableau de la situation franaise

    de lhbergement des personnes de grand ge mais de dgager des lments de

    rflexions et dactions partir dtudes de cas prcises et dtailles.

    Cest ainsi que cette tude ethnologique peut enrichir les

    connaissances sur la gestion de la fin de vie en tablissements et, ce titre, faire

    partie dun corpus de connaissances plus large susceptible dorienter lespolitiques publiques de prise en charge du grand ge. Elle peut aussi contribuer

    la dfinition dun modle de constitution dtablissement. Les fondements

    dun tel modle semblent difficilement pouvoir tre distancis du vcu de

    3 Pour des raisons de confidentialit, les noms des tablissements cits dans ce rapportsont fictifs.

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    lensemble des acteurs et sujets travaillant ou rsidant en tablissementsdhbergement.

    Critres pris en compte dans le choix des terrains

    Dans la rflexion qui a men la dtermination des terrains denqute

    aussi bien que dans la pratique de lanalyse compare, il est rapidement apparu

    que les catgories selon lesquelles les tablissements pour personnes ges sonthabituellement rpartis dissimulent plus quelles ne font ressortir les problmes

    sur lesquels se penche lethnologie.

    Ces catgories rsultent du croisement dune multiplicit de facteurshtrognes :

    - rattachement au domaine mdico-social (Conseil Gnral) ou audomaine sanitaire (DDASS, ARH, DRASS) ;

    - degr de mise en commun de services collectifs ;- degr de prise en charge des personnes ;- dimension administrative (existence dune convention tripartite pour les

    EHPAD) ;

    - existence ou non dun Cantou4 ;- capacit daccueil mdicalis ;- tablissement circuit (avec regroupement de divers services sur un

    mme site) ou tablissement spcialis dans la gestion dun seul type de

    dpendance ;

    - part dactivit des mdecins libraux ;- public / priv ;- etc.

    Pratiquement, le choix des trois terrains retenus sest dabord fond sur

    les dimensions suivantes :

    - public/priv, sans pour autant inclure le priv lucratif jug moinsreprsentatif en termes dhtrognit de la population accueillie ;

    - le rapport urbain/rural nimpliquant sans doute pas les mmesdynamiques de recours linstitutionnalisation ;

    4 Cantou : Centre dActivits Naturelles Tires dOccupations Utiles. Cf. Sigles ettermes spcialiss p. 231.

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    - la dimension mdicale diversifie : environnement hospitalier directou indirect, prise en charge spcifique ou non des affections neuro-

    dgnratives ;- la dimension architecturale varie ;- le positionnement gographique : Nord, Sud et Ouest, avec trois climats

    diffrents (ocanique tendance continentale, ocanique, ocanique t

    sec) et avec diffrentes traditions de prises en charge, familiales ou non,

    des personnes ges.

    Dans le cours de lanalyse et lors de la rdaction du prsent rapport ,

    dautres catgories dapprhension de la ralit se sont dgages. Dabord, des

    catgories oprationnelles pour lobservation et la comparaison. Celles-ci font

    ressortir la pertinence des critres et facteurs suivants :- situation gographique des tablissements ;- homognit culturelle de la population ;- provenance des rsidents ;- provenance du personnel.Enfin, pour la rdaction du prsent rapport, on a galement fait ressortir la

    diversit des situations relatives :

    - aux modalits de direction ;- la taille de la structure (cohrence de la structure) ;- la caractristique hbergement ou mdicalisation de la structure ;- la dure des sjours et lge des rsidents.

    Au-del de leur htrognit, labondance mme de ces catgories

    montre que, tout en conduisant des rsultats gnraux et gnralisables de

    premire importance, lethnologie compare des cinq institutions dhbergement

    observes ne saurait tre considre comme rendant compte des situationscontrastes rencontres dans lensemble des maisons de retraite franaises. Loin

    de l. Il importerait tout particulirement daller enquter galement dans des

    tablissements privs de luxe , afin de dterminer en quoi et comment la prise

    en charge des personnes ges se trouve modifie l o un abondant financementet un personnel en nombre suffisant permettent, a priori, de mieux rpondre aux

    multiples demandes des rsidents.

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    Cinq tablissements, cinq modes dimmersion ethnologique

    Les tches occupes par les trois ethnologues nont pas t dcides a

    priori mais en fonction des caractristiques des sites observs et des meilleures

    possibilits dobservation quelles offraient. Les tablissements tudis

    prsentent cet gard, en effet, une grande disparit. Alors quune forte unit de

    lieu prvaut dans celui de Muset, de taille assez restreinte, lhpital local de

    Laprade et ltablissement de Mont Arbrai, aux effectifs importants, abritent

    plusieurs services (soins de suite, units de soins de longue dure, Cantou, etc. ).

    De ces configurations diffrentes, il rsulte que les conditions de visibilit et

    denqute ne sont pas les mmes pour lobservateur, qui doit commencer par se

    familiariser avec le lieu avant dtre en mesure de dterminer les modalits

    adquates de son intgration aux activits internes de linstitution et de dciderde rsider (ou non) sur place la nuit.

    Les limites fixes davance la participation des observateurs furent

    dordre technique, les ethnologues devant sabstenir de tout acte dordre mdical

    (ralisation de pansements, prise de sang, pose de sonde, distribution de

    mdicaments, etc.), dordre administratif ou comptable (saisie des mouvements

    des rsidents, saisie de factures, prise de commandes, etc.). Ces limites

    techniques nont pas empch les ethnologues de se placer au plus prs du corps,

    dans ses expressions les plus crues. Ils ont donc effectu des toilettes, des

    changes, des massages simples, ils ont fait marcher, fait manger, etc. EricMinnart est all jusqu suivre le travail des thanatopracteurs et les seconder

    dans leur prparation du corps mort.

    Lethnologue travaillant dans la maison de retraite de Muset a procd

    ainsi quotidiennement la distribution des petits djeuners (et des journaux aux

    abonns) tous les tages de ltablissement, en compagnie dune salarie agent

    dhbergement ayant 27 ans danciennet. Lintrt que celle-ci a demble

    manifest pour lenqute la amene delle-mme faire parler les rsidents,

    leur poser des questions sur leur vie. Ce contact rgulier et la participation de

    lobservateur des activits entre rsidents (belote, lecture des quotidiens, etc.) apermis dentreprendre la constitution de nombreux rcits de vie. Divers autrestypes de tches ont ensuite t accomplis, permettant dassurer la rotation de

    lethnologue dans les services et de multiplier ainsi ses angles de vue, comme la

    restauration, le suivi des aides-soignants et des infirmiers, le jour puis la nuit, un

    sjour dans lunit de vie (ou Cantou), la participation des animations diverses

    (dj existantes ou indites), laccompagnement de lhomme dentretien, la

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    participation quotidienne aux transmissions ces moments de pauseformaliss o les personnels soignants et administratifs examinent en coulisse

    les rsidents au cas par cas ainsi que lobservation des entretiens de pr-admission entre familles, futurs rsidents et responsables dtablissement.

    Le chercheur qui a dormi et enqut pendant 5 mois au sein de lhpital

    local de Laprade a dbut ses observations en travaillant aux cuisines, do il a

    investi progressivement les units de soins de longue dure et les services de

    maison de retraite pour exercer diffrentes activits touchant au corps de lapersonne ge, son hygine et sa mobilit (toilettes, changes,

    accompagnement, services en chambre, etc.) et comportant pour la plupart une

    importante dimension mnagre (vaisselle, nettoyage, rfection des lits, etc.).

    Devenu rsident, il a par ailleurs particip lorganisation de la vie quotidiennede ltablissement et son calendrier (participation llaboration et au service

    des repas, animation, kermesses, etc.). En dehors de ces tches proprement dites,

    ltude ethnographique a aussi consist quasiment tous les jours partager des

    moments de pause avec les salaris et assister leurs transmissions . Desrecherches darchives ont galement t ralises pour connatre lhistoire des

    tablissements et comprendre la manire dont la mmoire de ce pass pouvait

    ventuellement clairer les principes de son organisation interne et de son

    fonctionnement.

    Pour lethnologue qui a pass six mois dans une chambre de lunit desoins de longue dure du Mont Arbrai, limplication a pu se dvelopper sur la

    continuit des vingt-quatre heures dun service. Son observation sest donc

    intresse, la fois aux rythmes et aux activits des membres du personnel et

    des rsidents, mais aussi aux vnements propres la fin de vie. tre confront

    des personnes affaiblies et trs dpendantes, dcouvrir un univers de la fin de

    vie, avec ses codes dusage, son vocabulaire mdical, ses codes de conduites, seslangages (chtimi, polonais, etc.) et des modes de communication rduits parfois

    une gestuelle, sont des expriences troublantes et prouvantes. Accompagner

    une personne dans la mort, suivre son corps jusqu la morgue de lhpital,

    rencontrer la famille, tre prsent pour la toilette funraire, pour la mise en bire,puis lors des rituels dinhumation, observer les interventions du personnel de la

    structure, de lhpital, des ambulanciers, des thanatopracteurs a demand une

    grande souplesse dans lorganisation du temps de travail et a t rendu possible

    par labsolue disponibilit et la participation pleine et entire de tous les niveauxhirarchiques de lorganisation.

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    Tous trois docteurs en ethnologie, les enquteurs ont eu entre eux deschanges permanents qui ont permis non seulement dintroduire dans leur travail

    la dimension comparative indissociable de toute approche ethnologique, mais,par analogie ou opposition, de faire merger pour chaque terrain des donnes de

    moindre visibilit selon les lieux observs.

    Signalons pour finir que, dans les cinq tablissements tudis, laccueil

    trs favorable rserv aux ethnologues tous les niveaux de la hirarchie par le

    personnel (certains responsables se montrant particulirement satisfaits quunetude du Commissariat gnral du Plan ait choisi leur institution) a facilit leur

    mobilit au sein des lieux tudis et suscit un intrt manifeste chez leurs

    interlocuteurs.

    Choix du plan du prsent rapport de synthse

    Lanalyse qui suit est centre sur les itinraires des personnes ges eninstitution. Elle prsente une suite dtapes caractristiques de ces itinraires en

    renvoyant une utilisation large du concept de carrire 5, cest--dire, pour

    paraphraser Howard S. Becker, dsignant les facteurs dont dpend la mobilit

    dune position une autre, aussi bien les faits objectifs relevant de la structuresociale que les changements dans les perspectives, les motivations et les dsirs

    des individus (Becker 1986).

    On est parti du principe que ces itinraires ne dpendent pas seulement

    dactions et de choix qui leur sont propres, mais aussi de ce que dautres

    personnes impliques dans ces choix (familles, mdecins de famille, spcialistes,

    co-rsidents, personnels soignants ou dhbergement, par exemple) font ou

    dcident dans des situations donnes. En dehors dlments socioconomiques,comme loffre de places en institution, les impratifs gestionnaires ou

    lorganisation du travail dans les tablissements, cette perspective tient compte

    galement daspects plus flottants de la vie de tous les jours, dont seule

    lobservation ethnographique permet de rendre compte : la complexit des

    5 Pour des rfrences traduites en langue franaise, voir par exemple E. C. Hughes, Carrire, cycles et tournants de lexistence , in Le regard sociologique, Paris, Ed.EHESS, 1996, pp. 165-173. H. S. Becker, Outsiders, Paris, Ed. Mtaili, 1986, p. 45 et Biographie et mosaque scientifique , Actes de la recherche en sciences sociales,n 32-63, juin 1986, pp.105-110, ainsi que E. Goffman, Asiles. Etude sur la conditiondes malades mentaux, Paris, Ed. Minuit, 1968, pp. 188-189.

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    relations affectives au sein du cercle familial, la survenue des problmes desant, lvolution des affinits noues au fil du temps pass dans linstitution.

    Cette attention porte la carrire ou aux itinraires des personnes

    ges est une sorte de guide qui permet une srie dclairages sur des pratiques

    et des reprsentations observes en situation, de lentre la fin de vie en

    institution, en passant par une phase de vieillesse dans celle-ci et son

    corollaire, la reconnaissance dun degr de dpendance . Cette suite

    dclairages fait apparatre tour tour plusieurs protagonistes qui, danslinstitution, agissent directement sur les itinraires des personnes ges

    (personnels soignants, personnels administratifs) ou plus indirectement

    (familles, proches, mdecins de familles). La pluralit de ces points de vue est

    ici notamment rendue sous la forme dencadrs indiquant les diverses pratiques,reprsentations, controverses, stratgies, etc. qui concernent plusieurs thmes

    retenus cet effet, dont celui de la chute, de la demande ou de lhbergement

    temporaire.

    La construction de ce plan en trois parties, de lentre la mort en

    institution, en passant par ce devenir dpendant a priori inexorable, tire profit de

    la varit du panel dtablissements tudis par Nicolas Jaujou, Eric Minnart et

    Laurent Riot. Les questions abordes nont en effet pas la mme pertinence pour

    ltude de chacune de ces structures prsentant leurs spcificits. Ces trois

    phases ressortant plus ou moins fortement selon les cas, une rpartition des rlesentre les ethnologues a t dcide, chacun prenant connaissance du travail des

    autres pour mettre en vidence les variations propres son terrain, de faon

    ouvrir les perspectives de lanalyse gnrale.

    La question de lentre en institution trouve un cho singulier Muset et

    Bel air, tablissements modestes o la slection des rsidents constitue unenjeu et fait lobjet de multiples ngociations. A ce titre, il faut noter que les

    phases dintgration et de reconstruction dune autonomie en maison de retraite

    dcrites par Laurent Riot sont trs limites Mont Arbrai o, par exemple, on ne

    rencontre pas de rsidents vaquant leurs occupations sans se soucier du travaildes soignants. Profitant de la proximit des familles, Laurent Riot aborde ainsi la

    nature des compromis entre lentourage et les parents gs avant de dcider de

    leur entre en institution. Puis il tudie leur pendant administratif en dgageant

    de faon critique le rle et la place des catgories administratives organisantloffre dhbergement pour les personnes ges dpendantes. Enfin il sintresse

    ce premier travail dintgration (de la part du rsident, mais aussi des

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    personnels et des co-rsidents) qui caractrise lentre en institution. Il rendcompte des ressorts de cette intgration par lapprentissage de codes implicites

    entre les rsidents et par la reconnaissance de groupes spcifiques selon leurposition et leur mobilit dans lespace.

    Lintrt de Nicolas Jaujou pour le devenir de la dpendance et ses

    relations avec lorganisation du travail est li la diversit des services

    reprsents au sein de lhpital local de Laprade. A la diffrence de Muset et de

    Mont Arbrai, Nicolas Jaujou a observ la cohabitation dans une mme structuredunits de soins longue dure et de services de maison de retraite. Il y a

    constat des diffrences tant dans le vcu de leurs rsidents que dans

    lorganisation et les reprsentations du travail qui y ont cours. En traitant de la

    place de la demande dans la communication entre rsidents et personnels, endistinguant leur reprsentation du temps et en sintressant lentre progressive

    du corps dpendant dans lorganisation du travail, ce chercheur rend compte

    du devenir des personnes ges vieillissant au sein dinstitutions spcialises

    dans le traitement de la dpendance.

    Notre rapport se termine sur Mont Arbrai, notamment parce que la

    question de la mort y est omniprsente, mais galement parce quEric Minnaert

    a suivi de prs lensemble des activits sarticulant autour des soins prodigus

    aux personnes en fin de vie et du dernier parcours du corps. Des derniers instants

    de vie aux crmonies dinhumation, en passant par les traitements du corpsmort, ces tapes nous disent beaucoup du rapport de nos contemporains avec la

    mort et, trs concrtement, des pratiques de dritualisation des crmonies

    funraires. Son point de vue unique lui permet de questionner le traitement

    professionnel de la mort dans ces tablissements destins accueillir des

    personnes de grand ge en fin de vie. De mme, en revenant sur les rapports

    entre les diffrentes ruptures qui vont des accidents de la vieillesse jusqu lamort, ainsi qu la mise mal des relations familiales, Eric Minnaert offre un

    regard original sur ces trajectoires en institution qui sont au cur de notre

    rapport.

    Quelques rsultats propres la dmarche ethnologique

    Au-del des connaissances qualitatives approfondies rassembles dans laprsente synthse, les trois enqutes ont galement montr le bien-fond de

    lapproche ethnologique dans ltude dinstitutions modernes comme les

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    tablissements pour personnes ges. Ce point particulier est dvelopp plus loin(conclusion de ce rapport). Il importe de souligner limplication des observateurs

    sur le terrain, pendant plusieurs mois et plein temps, leurs changements deposte, les relations troites quils ont noues tout la fois avec le personnel, les

    rsidents et les familles ; mais aussi lamplitude des points de vue ainsi runis

    sur la ralit concrte de la vie ou du travail au sein des tablissements. Cest de

    la multiplicit de ces micro-enqutes croises et de la dimension motionnelle

    lie des vcus parfois trs opposs que rsulte la finesse de donnes que seule

    la dmarche ethnologique permet de mettre en lumire.

    Les changements de poste, par exemple, ont permis daccorder une

    cohrence certaines activits demandant lintervention de professions

    diffrentes. Ainsi, Laprade, lquipe des cuisines ne suit pas les chariots repasquelle prpare ( lexception parfois de la ditticienne). Elle ne participe pas

    aux services du midi ou du soir. Les multiples points de vue expriments par

    lethnologue en simpliquant dans la confection du repas jusqu son service

    sont relativement indits assez pour intresser le personnel. Le chef de cuisineaime savoir par exemple si les quantits proposes correspondent bien aux

    besoins des units ou si les rsidents ont apprci un plat particulier.

    Au crdit des trois recherches effectues, on retient encore quelles

    dmontrent la ncessit fondamentale de prendre en considration les volutions

    physiques et mentales des gens gs, et den tenir compte dans la manire dont illeur est alors possible de se rapproprier lespace collectif. On retient aussi

    quautour de notions particulires, telles que celles de dpendance, de chute,

    dattente ou de demande, lethnologue peut mettre en vidence des jeux

    dacteurs, faire entendre des voix et des points de vue diffrents, souligner des

    dtails signifiants et expliciter les reprsentations et pratiques quils recouvrent.

    Bien quelles rsument succinctement les donnes recueillies et leur

    analyse, et bien quelles ne se substituent aucunement aux trois ethnographies

    ralises (qui feront lobjet de publications spares), les trois parties du prsent

    rapport montrent combien sapprocher au plus prs de toutes les catgoriesdacteurs humanise notre comprhension des problmes soulevs par la fin de

    vie. Ici, il nest pas seulement affaire de moyens financiers ou de grandes

    options gnrales sur larticulation entre le maintien domicile et lentre en

    institution, entre les diffrentes offres dhbergement pour personnes ges,laugmentation du nombre de places ncessaires, le recrutement des personnels

    soignants, etc.

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    Il est dabord question de diminuer le mal-tre des personnes ges en

    amliorant de multiples aspects de leurs relations avec leur environnementhumain, sans ncessairement bouleverser le cadre structurellement lourd et

    dterminant que constituent en eux-mmes les tablissements pour personnes

    ges dpendantes.

    Quelques propositions (ou pistes de rflexion, plutt) sont donc

    avances en conclusion de ce rapport : soutenir les recours alternatifs auxinstitutions griatriques, en dveloppant tout particulirement lhbergement

    temporaire,offrir un statut permettant aux familles de simpliquer et de prendre

    des responsabilits dans la vie quotidienne des institutions griatriques,

    multiplier les occasions dtre dans la rciprocit pour la personne ge,prendreen compte linactivit et ne pas la stigmatiser, notamment en lui offrant des lieux

    spcifiques, etc.

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    Chapitre 1Entrer en maison de retraite

    Laurent Riot

    Considres comme des tapes dcisives de la trajectoire des personnes

    ges vers les tablissements dhbergement, les circonstances de lentre en

    institution et lintgration sociale des rsidents dans ces tablissements sont les

    deux principaux objets abords dans cette partie liminaire du rapport. Monimplication plein temps dans la maison de retraite des Gents, puis une

    immersion de plus brve dure dans la maison de retraite de Bel air6 mont rendu

    particulirement sensible la fois aux parcours familiaux et sociaux prfigurant

    lentre des personnes ges en institution et aux relations sociales luvre

    entre ces personnes dans le nouvel univers quelles intgrent. Le type de

    structure dans lequel je me suis impliqu joue pour beaucoup dans cet intrt

    port aux relations sociales. A la diffrence des deux autres terrains, en effet, les

    Gents et Bel air sont des tablissements mdico-sociaux. Ni totalementmdicaliss comme peuvent ltre les services dune unit de soins longue

    dure (USLD) ou dun hpital local ni totalement trangers au milieu mdical,les maisons de retraite prsentent un ensemble de traditions danimation et

    dencadrement social que lon ne retrouve pas ncessairement dans destablissements rattachs au secteur sanitaire. Ceci ne signifie pas, bien entendu,

    quaucune vie sociale nexiste dans des environnements plus mdicaliss. Mais

    japporterai sur cette question quelques clairages qui feront ressortir plusieurs

    types de variations entre les maisons de retraite et des structures plus

    mdicalises.

    Les circonstances de lentre en maison de retraite sont bien souvent le

    fruit dun consensus tacite entre les personnes ges, leur entourage proche et lecorps mdical. Ce consensus tient en grande partie au sentiment indiciblequprouvent les personnes ges de devenir un poids pour leurs proches, et,

    pour les proches et les gnralistes, celui de soccuper dun fardeau . La

    6 On trouvera en annexe une prsentation synthtique des diffrents terrains tudis dansle cadre du Protocole dethnologie des organisations. Jai pass six mois temps pleinaux Gents, et trois semaines dans la rsidence de Bel air.

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    survenue de nouveaux handicaps chez les personnes ges entrane, de fait, desexpriences de prise en charge indites, qui conduisent trs souvent lentre en

    institution, sans autre alternative. On verra, pour autant, quune telle dcisionrepose largement sur des non-dits entre les diffrents acteurs en jeu et que les

    conditions dans lesquelles la demande rencontre l offre dhbergement

    peut parfois tre brutale. Lintgration des rsidents dans lunivers des

    tablissements de prise en charge est ensuite une tape cruciale de litinraire

    des personnes ges en institution, avant les relations proprement dites avec les

    personnels soignants. Cette intgration passe par plusieurs phases dadaptation lunivers collectif, par lapprentissage de normes de comportement propres au

    groupe des rsidents, et par des ajustements continuels ces normes collectives,

    alors mme que celles-ci se trouvent remises en cause par lvolution de la sant

    physique ou mentale des rsidents au fil du temps pass dans linstitution.

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    1.1 Lentre en institution : histoire dun consensusLes sciences sociales redcouvrent et interrogent aujourdhui les liens

    familiaux entre gnrations ges et moins ges, aprs avoir dnonc, depuis

    les annes 1950, leur dsagrgation7. Tout un pan des relations familiales se

    trouve en effet mis lpreuve lapproche de la fin de vie des personnes ges,

    alors que co-existent aujourdhui deux gnrations retires du monde du travail.

    Si la question du soutien aux personnes de grand ge fait lobjet dune attention

    publique accrue, cette question rvle au quotidien les relations ncessairement

    complexes, qui se sont constitues depuis plusieurs dcennies au sein des

    familles. Les descendants respectent entre eux diffrents niveaux deresponsabilits dans les soins prodigus aux ans, responsabilits qui prolongent

    une histoire familiale et affective chaque fois singulire. Quelques-uns des

    membres de la ligne et sil ny a pas de descendance directe, des neveux, des

    nices ou des frres et surs ont un rle plus important que dautres dans cette

    assistance aux ans. Un nombre important denfants de la fratrie, des principes

    familiaux divergents entre belles-familles, la mobilit sociale de certains

    membres de la fratrie, lloignement gographique dautres de ces membres,

    lvolution des modles ducatifs, ou, dans certains cas, les modes de

    transmission patrimoniale sont autant dlments qui concourent, au fil des

    histoires familiales, tantt au rapprochement dune partie des descendants deleurs parents gs, tantt leur loignement8.

    Cest dans ce cadre la fois gnral et singulier des relations familiales

    que lide dentrer en tablissement dhbergement collectif devient petit petit

    lobjet dun consensus entre les personnes ges et leurs proches. Ce consensus

    rsulte dexprimentations qui, en rponse des incapacits physiques ou

    mentales nouvelles des ans, sont juges insatisfaisantes par ces diffrents

    protagonistes. La cohabitation au domicile des proches, le recours des services

    7 Cette redcouverte des liens familiaux tient, pour une part, daprs J.-P. Lavoie, lallongement de lesprance de vie et la crise conomique contemporaine,Cf. J.-P.Lavoie, Familles et soutien aux parents gs dpendants, Paris, LHarmattan, 2000(introduction).8 Sur les formes de conflits gnrationnels au sein des familles contemporaines enFrance, voir par exemple C. Attias-Donfut, N. Lapierre et M. Segalen, Le nouvel espritde famille, Paris, Odile Jacob, 2002, pp. 139-183, M. Segalen, Sociologie de la famille(5e d.), Paris, A. Colin, 2000, pp. 74-87 et C. Lemarchant,Belles-filles. Avec les beaux-

    parent, trouver la bonne distance, Rennes, PUR, 1999.

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    de maintien au domicile, laide apporte au domicile par les proches eux-mmes,lhospitalisation, le repos en maison de convalescence prfigurent en partie

    lentre dfinitive en tablissement dhbergement collectif. Avant lpuisementde tous les recours possibles, les tablissements dhbergements collectifs

    apparaissent alors frquemment comme une solution acceptable pour lavenir

    immdiat des personnes ges : un lieu intermdiaire entre lancien domicile des

    ans et celui des proches, et dans lequel les ans ont le sentiment quils

    pourront vivre la fin de leur vie sans peser sur celle de leurs descendants.

    1.1.1 Devenir un poids , supporter un fardeau :un arrire-plan familial

    Quand elles parlent des circonstances de leur entre en tablissementdhbergement, les personnes de grand ge prsentent presque toujours ces

    circonstances comme le rsultat dinitiatives personnelles et dchanges de bons

    procds avec leurs proches la suite dvnements particuliers : Jtais en

    maison de convalescence suite ma pneumonie, et jai dit ma fille :

    Maintenant, tu me trouves une maison de retraite, je ne peux plus me suffire

    moi-mme, dit par exemple une dame des environs de Muset, ne en 1913,

    entre aux Gents en 2004. Cette prsentation de soi est rcurrente dans les

    tablissements dhbergement collectif 9. Lide que la plupart des personnesges expriment ici a posteriori est quen prenant une telle initiative et en

    assumant elles-mmes financirement les services des tablissements, elles

    nauront plus le sentiment dtre un poids pour leur entourage. Cette

    impression de faire peser un fardeau sur lentourage nat dexpriences

    concrtes. Insuffisance cardiaque, vertiges, difficults marcher, chutes

    entranant des incapacits physiques inattendues, perte dun conjoint ou dun

    ami proche, annonce soudaine dune maladie incurable, aggravation dune

    affection bnigne, pertes de mmoire entranant dautres troubles : cesvnements font prendre conscience aux personnes ges qui les vivent quelles

    ont dsormais affaire un corps fragilis et pesant , cest--dire ncessitantune attention particulire. Pour autant, en sattribuant elles, et elles seules, la

    responsabilit dentrer en maison de retraite, elles gomment larrire-plan

    familial dans lequel a t construite cette dcision. Par l, elles sefforcent

    9 Elle est par exemple signale par la sociologue Isabelle Mallon dans son tude rcentesur les maisons de retraite. Isabelle Mallon : Vivre en maison de retraite. Le dernierchez-soi, Rennes, PUR, 2005, pp. 58-60.

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    dattnuer le sentiment de culpabilit quelles prouvent entre lattenteimprobable dune prise en charge par les descendants forme dassistance

    encore prsente lesprit de certaines familles rurales et qui constitue unepratique effective de certaines familles avant lintgration dun tablissement

    et loffre de soins en institutions spcialises. Les personnes ges se rangent

    explicitement du ct de lalternative institutionnelle quand il savre que celle-

    ci apparat leurs yeux comme la meilleure solution pour leurs proches.

    Sur le long terme, une familiarisation avec les diffrents acteurs desmaisons de retraite permet de voir, larrire-plan, le rle que jouent les enfants

    ou dautres proches dans ces dcisions. Laction densemble de lentourage

    familial contribue en effet jeter des passerelles en

    direction des institutions et amne les personnes ges aller la rencontre de ces institutions pour y finir leur

    vie. Bien quelles cherchent montrer quelles ont

    dcid elles-mmes dentrer dans un tablissement et

    quelles ont pris pour cela des mesures spcifiques, cesont bien souvent les proches qui contactent les

    tablissements et qui prsentent sous le meilleur jour

    leur parent g dans lespoir que le cas de ce parent sera

    retenu. Des conversations informelles avec les

    rsidents, dun ct, et avec les familles, de lautre,

    permettent de recouper des informations assez fines surles compromis familiaux prfigurant lide dentrer en

    institution. En complment, les entretiens de pr-

    admission 10 sont loccasion dobserver directement de

    quelle manire lentourage familial dcrit certains

    lments de la vie de tous les jours qui sont

    progressivement devenus des problmes. Le rlequendossent les proches en prenant contact avec les institutions est souvent le

    fruit dune concertation pralable avec les ans. Nanmoins, les parents gs ne

    sont pas toujours au courant des dmarches quentreprend leur entourage auprs

    des institutions et certains proches anticipent la volont de leurs ans sansncessairement les avertir de leurs initiatives. Si les responsables

    10 Les entretiens de pr-admission confrontent les rsidents potentiels et leur famille auxdirections dtablissement. A lissue de ces entretiens, les directions jugent, daprs lessituations qui leur sont prsentes, si les personnes ges rencontres leur paraissent

    prtes ou non entrer en institution. On reviendra plus loin sur les critres de jugementdes responsables dtablissement.

    CHUTERLe risque de chute est omniprsent dans

    l'esprit des personnes ges. La chute a en

    effet un rle central dans les circonstances

    de leur entre en institution et desconsquences sur leur itinraire dans les

    tablissements spcialiss, une fois qu'elles

    s'y trouvent hberges. La chute marque untournant dans la vie des personnes ges, en

    ce sens qu'elle reprsente un moment

    fatidique o lindividu fait acte socialement

    de sa vulnrabilit et, sans le vouloir, poussesa famille agir pour pallier lincapacit

    rester seul que cet acte manifeste. Dans les

    rcits de vie des rsidents, la chute apparat

    comme un vnement dclencheur : lorigine de handicaps durables, elleentrane souvent un premier recours des

    services ou des institutions de soins et des

    changements dcisifs au sein des institutions,

    (utilisation de fauteuils roulants,

    interventions des personnels soignants).

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    dtablissement refusent en thorie des demandes auxquelles les personnes gessemblent ne pas avoir t associes, leur jugement se fonde en premier lieu sur

    ce que leur prsentent des reprsentants de la famille. De fait, cette situationconduit les responsables estimer les accords auxquels semblent tre parvenus

    les parents gs et leur entourage. Lors des premiers contacts avec linstitution,

    les proches justifient presque toujours leur dmarche auprs des responsables

    dinstitution en se dfendant de vouloir se dbarrasser de leur an. Ceci est

    surtout vrai lorsque les personnes ges quils reprsentent nont plus toutes

    leurs facults mentales et quils parlent leur place et en leur nom. Ainsi, unedame venue avec sa belle-sur dans le bureau de la directrice des Gents pour

    un premier entretien dit pour commencer lentrevue : Vous savez, on nest pas

    les belles-filles qui veulent se dbarrasser tout prix de leur beau-pre .

    Cherchant viter tout malentendu, la dame prcise, sur le mode de la boutade,quelle et sa belle-sur viennent au nom de leurs maris respectifs au travail

    et de leur belle-mre. Quelles circonstances amnent donc les ans et leurs

    proches sentendre pour contacter des tablissements dhbergement collectif ?

    La description de handicaps physiques ou de maladies neuro-dgnrativesattestes (maladie dAlzheimer, par exemple) interfre ici avec des

    considrations plus personnelles qui expliquent une telle dmarche : une

    cohabitation impossible avec les proches, langoisse de devoir grer distance

    des aspects de la vie des parents gs, la fatigue morale et physique consquente

    laide apporte des ans atteints de snilit, par exemple.

    Une cohabitation impossible ?

    Ne vraisemblablement de lattente implicite dun contre-don de

    proximit, daffection et dentraide de la part des parents gs, la prise en charge

    au sein du domicile des descendants peut tre une tape contribuant la dcisionde contacter un ou plusieurs tablissements dhbergement spcialiss. De

    manire gnrale, cette exprience a pour consquence dinverser les rles

    parentaux entre adultes dune mme famille et conduit inexorablement des

    tensions intergnrationnelles. Dans une telle situation, les parents gs sesentent souvent inutiles et sennuient, car les initiatives quils prennent dans la

    sphre domestique de leurs proches ne saccordent pas avec les routines que

    ceux-ci y ont instaures. Cest surtout vrai pour les femmes ges. Un monsieur

    de cinquante-huit ans explique par exemple la directrice de Bel air que sa mreest tombe dun escalier alors quelle voulait seconder sa belle-fille pour la

    gestion du linge : Vous comprenez, ma mre, cest une active Elle peut pas

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    rester rien faire. Un jour, elle a voulu descendre le linge que ma femme avait

    mis scher dans le grenier. On lui avait rien demand, hein. Elle descendait

    lescalier avec la bassine dans les mains, hop, elle a loup une marche et elle est

    tombe . En dehors des tches mnagres, les conseils donns aux enfants sur

    lducation des petits-enfants que ceux-ci soient encore au foyer ou dj entrs

    dans la vie dadulte constituent un autre objet de conflit lorsque parents gs et

    proches cohabitent. Une telle cohabitation sur le long terme apparat en outre

    dautant plus difficile que les parents gs dpendent de leur entourage pour tout

    un ensemble de dmarches qui viennent sajouter dautres contraintesordinaires : accompagner son an chez un mdecin ou un spcialiste,

    laccompagner dans ses rendez-vous auprs des banques et, plus gnralement,

    laider grer ses finances, par exemple. La cohabitation des descendants et des

    parents gs nest pas ncessairement trs rpandue aujourdhui on lobserveencore en milieu rural. Mais elle fait clairement apparatre tous ceux qui la

    vivent la difficult dinverser les rles parentaux durant cette phase de

    lexistence.

    Maintien domicile et dpossession de la vie prive

    Un recours possible pour pallier cette situation est lutilisation deservices de maintien domicile. Les personnes ges restent alors une distance

    respectable de lunivers familier de leurs proches et nempitent pas sur celui-ci.Ce type de service implique cependant lentourage de faon plus ou moins

    directe, surtout lorsque celui-ci rside dans lenvironnement immdiat des

    personnes ges. Les quipements en tlalarme, par exemple, sont souvent

    relis un proche de la famille, en plus de ltre des personnels susceptibles

    dapporter un secours dans lurgence. Dans ce cas, lentourage est directement

    sollicit par la personne ge lorsque celle-ci utilise ce systme. De plus, lorsqueltat de sant des parents gs ncessite des interventions approfondies et

    rptes de personnels domicile pour laide mnagre, le portage des repas,

    les toilettes et des soins infirmiers , les proches et les personnes ges prennent

    conscience que ces interventions se font au dtriment de lunivers priv dans cetespace. Si le maintien domicile reprsente un idal de prise en charge il

    permet littralement le maintien des personnes ges dans un espace priv

    quelles ont investi affectivement , lactivit densemble des employs daide

    domicile finit en effet par donner limpression que les parents gs sontdpossds de cet univers. Certaines personnes ges soulignent plusieurs types

    de dconvenues allant dans ce sens : impossibilit de sortir de chez soi avant

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    larrive de tel ou tel personnel, susceptible dtre retard dans son travail cause des relations de service engages auprs dautres usagers, conflits entre

    catgories de personnels sur la rpartition du travail domestique au sein mmedu domicile (est-ce que jeter les ustensiles de soins fait partie des tches

    accomplir par les infirmires ou par les aides mnagres ?), multiplication du

    personnel intervenant. Il rsulte de tout cela un sentiment dintrusion progressive

    des services de maintien domicile dans la vie prive et une forme de lassitude

    des personnes ges et de leur entourage. Ce sentiment se trouve pleinement

    exprim dans les propos suivants :

    Question : Et vous avez fait appel aux services domicile [retour chez elle

    aprs une priode de convalescence faisant suite une fracture du col du

    fmur non dplace] ?La fille [rpondant la place de la mre] : Oui, euh non Enfin, je crois

    que maman, hein On a vu assez vite que ctait pas la panace

    La mre, 93 ans, rsidente des Gents : Bah, que voulez-vous Un coup,

    cest la fille qui vient faire le mnage, un autre coup cest la fille qui vientaider faire les repas, un autre coup, encore, cest linfirmire Et puis

    cest pas les mmes personnes parce que elles font a que la moiti du

    temps. Alors, cest pas pour dire, hein parce que cest souvent des filles

    trs dvoues, il faut pas leur enlever a elles voient des cas, quand

    mme. Mais, que voulez-vous, pour une personne de mon ge, cest

    fatiguant, la fin. A mon ge, on aime bien rester tranquille chez soi

    Pour lentourage, cette impression est parfois redouble par le sentiment dtre

    soi-mme dessaisi de toute initiative dans le domicile des parents gs, alors que

    lunivers de leur parent est un monde qui leur est familier.

    Lappel des services de maintien domicile, galement, est frquentquand parents gs et proches se trouvent gographiquement loigns les uns

    des autres. Paralllement au processus gnral de vieillissement, la vie dadulte

    et la carrire professionnelle des enfants concourent en effet une telle prise de

    distance entre gnrations. Cest le cas dune bonne partie des familles que nousavons rencontres dans les cinq tablissements, except peut-tre en milieu rural,

    o les parents gs et une bonne partie de leurs descendants restent proximit.

    Lorsque surviennent des problmes de sant ou dun autre ordre chez les

    personnes ges, lentourage familial fait alors bien souvent appel desassociations employant des personnels domicile ce qui vite aux proches

    davoir se dplacer plus souvent qu laccoutume. Dans ce cas, cest

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    distance que les enfants interprtent les relations entre les parents gs et cespersonnels, et certains vnements rapports par les parents gs viennent

    parfois rompre la confiance que lentourage avait dans ces personnels. Lesreprsentations de ce qui se passe concrtement chez les ans peuvent prendre

    une dimension indite, dans la mesure o elles sont modeles et amplifies par

    limaginaire. Les enfants craignent par exemple tout coup que leurs parents

    gs soient devenus trop fragiles pour continuer vivre loigns deux et sans

    leur soutien moral. Certains vnements leur paraissent tre galement les

    indices du manque de discernement de leurs ans dans les relations que ceux-cientretiennent avec les personnels domicile et lenvironnement immdiat. De

    faon gnrale, lloignement gographique induit une part de spculation chez

    les enfants et cette part de spculation explique que le recours aux services

    domicile soit transitoire dans ces conditions. Les proches cherchent alors attirer leurs parents une distance plus raisonnable deux, par lintermdiaire

    dun tablissement dhbergement collectif. Lanecdote suivante illustre bien ce

    genre de situation. Elle montre, par ailleurs, que les personnes ges ont parfois

    limpression dtre prises au pige des peurs de leur entourage :

    [Rsidente de Bel air, 82 ans]

    Jaurais pu rester chez moi, mais ma fille a eu peur, et depuis six ans, je

    suis l. Cest une idiotie, de ma part. Je prenais un bain chez moi et quand

    jai voulu me relever pour sortir de la baignoire, je me suis retrouve

    coince. Pendant trois quart dheure, une heure environ, je suis restecoince comme a. Javais rendez-vous avec mon mdecin, il fallait que je

    le prvienne que je serai en retard. Ma petite aide mnagre ntait pas l.

    Elle devait venir mais elle navait pas prvenu quelle ne viendrait pas.

    Alors, je me suis nerve et le rsultat, cest que je ne pouvais plus faire

    un mouvement. Quand je me suis calme, a sest arrt []. Jai vu par

    la suite le mdecin et il ma rassure en me disant que a pouvait arriver.Mais jai eu lidiotie de dire a ma fille. Elle a pris peur, et elle a fait

    toutes les dmarches pour contacter une maison de retraite prs de chez

    elle, parce quelle pensait que ma petite jeune de compagnie ne suffisait

    pas. [Mme Palisse, 79 ans, ayant quitt la banlieue parisienne pour emmnager

    Bel air, dans lOuest de la France]

    La suspicion lgard de personnels entretenant des relations trop intimesavec les parents gs peut galement aboutir de telles interprtations

    spculatives. Les enfants souponnent par exemple telle aide mnagre de

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    profiter de la fragilit morale et de lisolement de leur parent pour le voler oulescroquer. Constitus la plupart du temps sur la base dindices rels, ces points

    de vue sont partiellement dforms et conduisent des dcisions htives. Unersidente des Gents mexplique, par exemple, que cest son aide mnagre qui

    la informe quelle pouvait bnficier dune allocation personnelle dautonomie

    (APA). Les dmarches que cette personne ge entreprend pour obtenir

    lallocation permettent laide domicile de rmunrer ses services. Ne

    connaissant pas lexistence de lAPA, les enfants, distants chacun de plusieurs

    centaines de kilomtres, pensent nanmoins que laide domicile cherche soutirer de largent leur mre. A la suite de cette affaire, lan de la fratrie

    essaie de contrler la situation en demandant sa mre de se rapprocher de lui.

    En somme, le recours aux services de maintien domicile, idal enapparence, est bien souvent une tape transitoire dans le parcours des personnes

    ges.

    Un asile pour le repos de lentourage : le cas des personnes sniles

    Lintervention des familles ou des personnels au domicile de personnes

    ges prsentant des troubles neuro-dgnratifs comme la maladiedAlzheimer et dautres maladies apparentes est une autre configuration

    spcifique qui prfigure la dcision dentrer en institution. Dans ce contexte, lecontact dun tablissement dhbergement est souvent laboutissement de

    dilemmes moraux importants au sein du corps familial. Pertes de mmoire

    immdiate, difficult pour se nourrir, se laver ou shabiller, conduite dangereuse

    en voiture ou dsorientation spatiale plus ou moins temporaire sont des sources

    dinquitude permanentes pour lentourage familial. La matrise de ces troubles,

    qui apparaissent trs progressivement, contrairement dautres handicapsphysiques, dpend avant tout du degr de coopration des personnes qui en sont

    atteintes. Mais lacceptation de laide extrieure, notamment, celle de

    lentourage, ne va pas de soi de la part des malades. Elle repose sur diverses

    techniques de persuasion moralement et physiquement prouvantes. Danscertains cas, lappui dune autorit mdicale permet de prvenir certains risques

    consquents aux troubles causs par la maladie. Mais les familles sont

    gnralement seules pour faire face aux squelles de celle-ci sur leurs parents.

    Les proches de personnes ges atteintes voquent frquemment le fait quellessont amenes distordre en quasi-permanence des lments de la ralit pour

    viter que celles-ci ne prennent des risques selon eux inconsidrs : perte

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    volontaire des clefs de voiture pour viter des sorties inopines et dangereuses,dissimulation dobjets tranchants (rasoirs, couteaux, ciseaux, etc.) pour viter

    que les personnes ne se blessent, sont ici des exemples ordinaires. Les prochesse trouvent constamment obligs de justifier ces ruses dans la mesure o les

    personnes juges malades retrouvent des moments de lucidit et, dans ces

    moments, nacceptent pas lide quelles sont malades11. Dans dautres

    situations, lorsque les parents gs malades et leur entourage sexposent

    ensemble en public, les proches sefforcent de normaliser les stigmates

    apparents de la maladie chez leur parent g, en anticipant par la parole cesstigmates tout en accompagnant ces paroles de gestes directifs.

    Ces techniques, aussi efficaces quelles puissent tre, apparaissent

    difficiles supporter dun point de vue moral, dautant quelles visent prserver une faade sociale qui, pour une part, nexiste plus. Une femme

    retraite dune soixantaine dannes explique ainsi la directrice de Bel air

    quelle et sa mre sont puises de devoir faire face, tous les jours, aux

    problmes causs par le pre : ancien contrleur des tabacs et fumeurinvtr, celui-ci aurait dj manqu de mettre le feu la maison en bourrant

    sa pipe avec du papier, aprs avoir essay avec du pain sec, se lve en pleine

    nuit et rclame manger et est totalement incontinent. Outre la fatigue et

    les preuves psychiques que disent ressentir les proches de personnes atteintes

    de ces troubles, le regard compatissant ou critique de personnes extrieures

    confrontes ces troubles est une autre source dembarras pour les familles.Cest le cas, par exemple, lorsque les personnes ges sniles se perdent, ne

    retrouvent plus leur chemin, et quune personne les aide rentrer chez elles.

    Cest le cas galement lorsque un handicap passager li la maladie occasionne

    un accident, et par l, la responsabilit des proches. Au fil de lvolution de la

    maladie, lentourage en vient alors associer les tablissements dhbergement

    collectif une sorte dasile. Mais dans ce cas prcis, la dcision prendre nestpas vidente pour lentourage, car celui-ci ne peut pas la partager totalement

    avec les parents gs malades. Les tablissements dhbergement collectifs sont

    alors perus comme un lieu grce auquel il est possible, pour les proches,

    desprer une forme dapaisement ou de rpit 12 , mais aussi un lieu supposprotger les parents gs dagressions extrieures.

    11 Pour une analyse des symptmes psychologiques et psychosomatiques des maladiesneuro-dgnratives, on lira avec attention louvrage du Dr Jean Maisondieu, Lecrpuscule de la raison. Comprendre, pour les soigner, les personnes gesdpendantes, Paris, Bayard Editions, 1989.12 Pour reprendre ici une catgorie du milieu griatrique.

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    Survenue des handicaps des parents gs et ge des descendants

    Lavance plus ou moins grande en ge des enfants au moment o

    apparaissent des handicaps des parents gs explique aussi en partie le

    rapprochement des familles des tablissements dhbergement. Certains

    descendants sont dj des retraits ayant environ soixante-dix ans, dautres sont

    plus jeunes dune dizaine dannes, enfin, une troisime catgorie comprend desenfants gs dune cinquantaine dannes et qui sont encore actifs. La situation

    des proches vis--vis du statut de retrait est prpondrante pour rendre compte

    des compromis auxquels parviennent les familles lgard des tablissements de

    prise en charge. Ainsi, tout se passe comme si, aux ples extrmes des trois gesvoqus cinquante ans et soixante-dix ans environ , le recours un

    tablissement pour viter de peser sur les descendants se justifiait plus

    facilement qu lge mdian soixante ans environ. Le temps dont disposent

    les plus jeunes pour soccuper de leurs parents gs se trouve diminu par lefait que leur propre filiation nest pas encore totalement autonome (en tudes, au

    chmage ou dans une autre situation, mais encore au foyer parental). De leur

    ct, les septuagnaires observant chez leurs parents des handicaps nouveaux

    lis lge se trouvent souvent comme devant un miroir grossissant de leurpropre vieillesse phnomne que lon observe galement dans les relations

    entre co-rsidents dans les tablissements et conoivent lide de lentre enmaison de retraite comme une solution leurs angoisses. Dans ce qui suit, les

    propos de lan dune fratrie de trois enfants gs de quarante cinquante ans

    donnent une ide des difficults envisager de soccuper plus avant des parents

    gs, pour des enfants jeunes :

    Mon beau-frre, qui tait son compte, a eu une crise cardiaque il y aun an. Il a arrt son activit. Ma sur, qui avait pas de boulot et qui sest

    occupe un peu de ma mre, au dbut quelle avait ses problmes

    dAlzheimer, a donc t oblige de reprendre le boulot Maintenant, elle

    est ambulancire. Donc, cest plus possible quelle soccupe de ma mre.Mon petit frre, il a qu