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Histoire linguistique Archéologie Ethnologie Géographie humaine Linguistique Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Linguistique Histoire Linguistique Archéologie Ethnologie Géographie Humaine Linguistique Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Archéologie Ethnologie Géographie humaine Histoire Linguistique 69 Décembre 2009 Revues et biographies Troisième Journée de la revue Bastia, 11 juin 2008 ALBIANA/ ACSH

etudes corses 69

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H i s t o i r e l i n g u i s t i q u e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n eL i n g u i s t i q u e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n e H i s t o i r e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n e H i s t o i r e L i n g u i s t i q u e H i s t o i r e L i n g u i s t i q u e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e H u m a i n eL i n g u i s t i q u e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n e H i s t o i r e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n e H i s t o i r e L i n g u i s t i q u e

H i s t o i r e l i n g u i s t i q u e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n eL i n g u i s t i q u e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n e H i s t o i r e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n e H i s t o i r e L i n g u i s t i q u e H i s t o i r e L i n g u i s t i q u e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e H u m a i n eL i n g u i s t i q u e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n e H i s t o i r e A r c h é o l o g i e E t h n o l o g i e G é o g r a p h i e h u m a i n e H i s t o i r e L i n g u i s t i q u e

N° 69

N ° 6

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N° 69Décembre 2009

2009

Revues et biographies

De la gloire à l’intime : la biographie Michel Casta

Le mythe de Sambucuccio d’Alando et de la Terre du commun Francis Pomponi

De l’autobiographie à la biographie : le cas Giovanni della Grossa Antoine Tramoni

Napoléon Bonaparte en son temps : voies de l’expérience historique, catégories de pensée et contradictions d’une identité singulière

Antoine Casanova

Les biographies de religieux dans La Nacelle de Saint François Jean-Christophe Liccia

In memoriam : à propos des Annales (1929-2007), la revue comme système biologique Antoine-Noble Marchini

Biographie et psychanalyse Françoise Hurstel

Varia

Un événement qui « étonnera l’Europe » : la constitution de 1755 dans la philosophie de l’histoire de Rousseau Antoine Hatzenberger

Tra Romani e Barbari: alla ricerca dell’identità sarda Luca Guido

Le paysage linguistique et la langue corse Robert J. Blackwood

Les moissons du Nouvel Atlas linguistique et ethnographique de la Corse Mathée Giacomo-Marcellesi

15 €ISBN 978-2-84698-351-8

Revues et biographiesTroisième Journée de la revue

Bastia, 11 juin 2008

ALBIANA/ACSH

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9ÉTUDES CORSES, N° 69ALBIANA/ACSH

DÉCEMBRE 2009

De la gloire à l’intime : la biographie

Pour sa troisième édition, la Journée de la revue qui s’est déroulée à Bastia le 11 juin 2008, a organisé un colloque sur le thème de « Revues et biographies ». Études corses publie dans ce volume les communications qui y ont été présentées, comme la revue l’avait fait pour celles des deux journées précédentes : « Les revues corses de l’entre-deux-guerres » (n° 64, 2007) et « Paoli dans les gazettes de son temps (n° 67, 2008).

Le genre biographique est une des formes les plus anciennes de l’écri-ture de l’histoire et reste l’un des plus diffusé, dans un large lectorat. Il s’est cependant considérablement renouvelé et a trouvé une reconnaissance scientifique grâce aux nouvelles approches historiographique et prosopo-graphique. Les communications rassemblées ici présentent quelques-unes de ces perspectives et de leurs marges, à la rencontre d’autres disciplines.

À partir de la figure de Sambucuccio d’Alando, Francis Pomponi visite l’ancienneté du genre biographique. Il étudie ainsi la construction mythique non seulement de la vie du personnage progressivement héroïsé, mais également la construction de son œuvre politique supposée. En dépit du renouvellement de la biographie historique, même les récits les plus récents ne sont pas exempts de distorsions qui relèvent d’erreurs histori-ques, d’interprétations discutables ou d’appropriations idéologiques.

L’étude d’Antoine Tramoni pose l’indispensable question des sources. La biographie s’écrit d’abord à partir de ce que le témoin Giovanni dit de lui-même dans une autobiographie distillée au fil du récit dans sa Chronique ; l’historien doit bien évidemment prendre la précaution de vérifier ses dires et de les confronter à d’autres sources. Mais la biographie se nourrit également de l’œuvre elle-même tant cette dernière livre à la fois une vision du monde et un point de vue sur les événements qui s’y déroulent. L’homme est toujours présent derrière l’écriture.

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10 Michel CASTA

C’est à l’identité des hommes dont on écrit l’histoire que l’attache Antoine Casanova. À partir des écrits personnels de Napoléon Bonaparte, de témoignages et des écrits sur lui, il s’agit de chercher à comprendre le sens de l’expérience personnelle, l’évolution et les ruptures dans les modes de pensée, entre le présent vécu et le passé de soi.

Jean-Christophe Liccia présente une des plus précieuses sources de l’histoire religieuse contemporaine de la Corse, La Nacelle de Saint-François, revue publiée de 1902 à 1969. L’historien peut puiser une précieuse information biographique dont les orientations hagiographi-ques – pour les biographies des fondateurs – et édifiantes – pour celles des contemporains – ne font aucun doute. Du moins ces dernières conser-vent la qualité supplémentaire d’être souvent les ultimes voire uniques témoignages sur des hommes ordinaires qui sans cela ne seraient plus que des fiches d’état civil.

L’hommage rendu aux défunts de la communauté se retrouve tout aussi bien dans les notices nécrologiques publiées par la revue des Annales. À partir de leur relevé systématique, Antoine Marchini montre comment se dessinent les contours d’une communauté intellectuelle qui se construit et se réunit autour des membres qu’elle revendique comme étant des siens.

De ces quelques contributions, c’est la diversité des pratiques histo-riennes qui émerge : du mythe à la biographie, du témoignage à l’hom-mage, de la gloire à l’intime… En dépit de cette diversité, le champ du biographique, de l’histoire de vie, reste très largement ouvert à d’autres pratiques des sciences humaines et sociales. Ainsi, en contrepoint des études qui précèdent, Françoise Hurstel rappelle que tout récit de soi ne vise pas à la construction d’une histoire de vie, mais peut, en premier lieu et plus intimement encore, viser à la construction du sujet.

Michel CASTA

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11ÉTUDES CORSES, N° 69ALBIANA/ACSH

DÉCEMBRE 2009

FRANCIS POMPONI

Le mythe de Sambucuccio d’Alandoet de la Terre du commun

Sambucuccio d’Alando, le plus mythique de la galerie des héros insulaires et le moins bien enraciné dans l’histoire de la Corse, ceci expliquant en partie cela ! Il a vécu au Moyen Âge, au XIVe siècle, une époque pour laquelle les sources ne sont pas aussi abondantes que pour les temps modernes. De fait, peu de documents le concernent. Le plus mythique, disons-nous, et à ce titre moins commémoré que Sampiero ou Paoli, sans parler de Napoléon ! Il n’a été statufié que récemment et son iconographie se limite presque exclusivement à la gravure de Novellini qui le représente avec la baretta misgia (ou le bonnet phrygien ?). Son mythe est inséparable de celui de la « terre du commun », cet âge d’or qu’aurait connu la Corse avant même Sambucuccio, équivalent de ce qu’aurait été le règne d’Eleonora d’Arborea en Sardaigne, au temps des giudicati, historiquement daté du XIVe siècle. Dans les deux cas, c’est le résultat d’un processus de reconstruction en grande partie imaginaire du passé au sein de deux « peuples » en mal d’identité.

LES FAITS

Même si des ombres subsistent, d’un strict point de vue historique, la lumière a été successivement faite par Ugo Assereto au XIXe siècle1,

1. Assereto Ugo, « Genova e la Corsica (1358-1378) », Giornale storico e letterario della Liguria, 1900, repris dans le BSSHNC, n° 249-249, p. 139-291.

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Giovanna Petti Balbi au XXe siècle2 et, plus proche de nous, par Antoine Franzini3, à la fois sur le personnage de Sambucuccio et sur l’acte de deditio de 1358 lié au thème de la terra di comune. Ces faits, que nous ne ferons que résumer ici, nous sont connus par la chronique dont le contenu, avec des variantes dans le détail desquelles nous n’entrerons pas, correspond pour l’essentiel à une réalité historique corroborée par des documents mis à jour notamment par Ugo Assereto.

Nous sommes renvoyés au milieu du XIVe siècle, à un mouvement de révolte contre les seigneurs Cortinchi dans le Cortenais et la Castagniccia, qui s’est étendu à la Casinca, au Cap Corse et, en partie, au-Delà-des-Monts. On a pu l’interpréter de façon pertinente comme la manifestation en Corse du mouvement des communes de l’Italie médiévale4 : châteaux détruits, à l’exception de quelques-uns servant de point d’appui, seigneurs chassés de leurs demeures, assemblées populaires anti-féodales. Il débouche sur l’acte de deditio de 1358, convention (on dit aussi concordatio, conven-tiones, confederazione, expressions relevant du droit romano-féodal) entre les Corses insurgés (la commune de Corse, a-t-on dit) et la commune de Gênes du temps de Simone Boccanegra, à quelques décennies près de ce qui se passera de manière analogue dans le comté de Nice par rapport au Piémont.5

C’est dans ce contexte que le personnage de Sambucuccio a joué un rôle historique. Il était originaire du Bozio, d’Alando, épicentre de la révolte et, s’il n’était pas seul, il a néanmoins été proclamé chef de la révolte (« commandant », « général », « dictateur » suivant les textes, capo popolare aussi, comme le seront plus tard Mariano di Gaggio ou Polino de Campocasso, lorsque s’affirmera un « parti » populaire). La proclamation de Sambucuccio se serait faite au prato di Morosaglia en présence d’hommes en armes rassemblés en parlamento (assemblée populaire). Il est présenté comme un chef valeureux et sa participation à la bataille des Mutte aurait

2. Giovanna Petti Balbi, Genova e la Corsica nel trecento, Istituto storico italiano per il medioevo, Studi storici, fasc. 97-98, Roma, 1976.

3. Antoine Franzini « Les révoltes de 1357 en Corse : visite d’un événement politique », Études Corses, n° 56 juillet 2003, p. 29-38.

4. Voir le supplément de la Storia d’Italia d’Einaudi consacré au mouvement communal.5. 1388, la dédition de Nice à la Savoie, Publications de la Sorbonne, 1990.

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conforté sa réputation. Il fit ensuite partie de la délégation envoyée à Gênes et s’est entretenu avec les représentants de cette République à Calvi sur les termes d’une convention (l’acte « pactiste » de la fameuse deditio). Il sera ensuite membre d’un conseil des Six siégeant auprès du gouverneur ou du vicaire envoyé par Gênes, une institution qui est attestée de 1366 à 1450. On sait qu’au XVe siècle, un descendant du même nom (petit-fils ou petit-neveu) joua un rôle analogue comme chef du parti populaire à l’origine d’une nouvelle deditio de la Corse, en 1453, cette fois contractée avec l’Office de Saint-Georges.

On remarquera que ce personnage a été un libérateur contre l’oppres-sion féodale, mais il fait partie de ceux qui ont introduit le loup dans la bergerie ou du moins consacré, par convention, la souveraineté génoise sur ce qu’on appellera plus tard le Regno di Corsica. La chronique qui ne lui consacre que quelques lignes n’a pas fait de lui un héros, alors que l’épopée de Sampiero est longuement narrée dans la Storia de Filippini et que quantité de textes conservés aux Archives de Gênes en ont gardé le souvenir.

DES CHRONIQUEURS AUX JUSTIFICATEURS

Une fois passé le temps des chroniqueurs et le XVIe siècle, il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir les Corses renouer avec leur histoire, ou du moins manifester un intérêt pour le passé de l’île et c’est d’abord l’affaire des « justificateurs », en liaison avec l’élaboration d’une doctrine de libé-ration de la Corse de la « tyrannie » génoise. Ces derniers ne font pas œuvre d’historiens à proprement parler, mais sont portés, pour les besoins de la cause, à instrumentaliser cette histoire qu’ils connaissent principale-ment, mais pas exclusivement, à travers l’œuvre de synthèse de Filippini, publiée à Tournon en 1596.

On peut relever, à travers divers textes de la période qui appartiennent au genre rhétorique et scolastique de la giustificazione, que l’acte de deditio qui fit des Corses un peuple conventionné n’était pas ignoré du chanoine Orticoni, ni des abbés Natali, Salvini et Guelfucci, pour s’en tenir aux principaux théologiens engagés dans « les Révolutions de Corse ». Mais, sous leurs plumes, les faits sont à peine évoqués, sciemment déformés ou

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mal explicités, et Sambucuccio est totalement occulté en tant que héros par ces maîtres à penser qui faisaient alors autorité.

Le contexte n’était en effet pas propice à l’héroïsation du personnage et on le comprend si l’on pense que les justificateurs étaient peu portés à célébrer un capo popolare destructeur de châteaux, acteur principal de la lutte anti-féodale, dès lors qu’ils reprochaient à Gênes d’avoir décapité les élites corses et rabaissé les féodaux. Le préjugé nobiliaire, incompa-tible avec la célébration de Sambucuccio, fait qu’il a été volontairement ignoré dans les différentes versions de la Giustificazione. L’option inter-prétative va plus loin encore et prend du champ par rapport à la vérité historique lorsqu’il est dit, par exemple, sans faire référence à Sambucuccio, que « la deditio ne pouvait pas porter préjudice aux barons, lesquels possédaient sur les peuples le droit le plus légitime et le plus sacré qu’on puisse jamais imaginer, pour les avoir libérés de l’esclavage des Maures au prix du sang de leurs ancêtres »6 et on sait que dans cette même Giustificazione est réclamée pour la Corse l’institution d’un ordre de noblesse7. Rappelons encore que dans les doléances de 1730 formu-lées par les meneurs du mouvement, deux articles sur sept étaient consa-crés à la demande de création d’une noblesse corse intégrée à la noblesse génoise. C’est là une requête récurrente pour l’ensemble de la période. On la relève encore dans un mémoire de 1756 qui prie le roi de France de remettre les feudataires en possession des seigneuries dont ils ont été dépouillés. En ligne de mire, on pourrait prolonger cette tendance jusqu’à la création d’un ordre de noblesse en Corse au lendemain de la conquête française, à la grande satisfaction des élites qui en bénéficièrent et qui, pour la plupart, avaient combattu pour la liberté contre l’oppression génoise.

La deuxième raison de l’ignorance mémorielle dont est l’objet Sambucuccio de la part des « justificateurs » est encore plus évidente que la précédente : comment honorer le principal protagoniste de l’ac-cord volontairement passé avec Gênes en un temps où on cherche par

6. Salvini, Giustificazione, p. 13 et 14.7. Ibid., p. 29-38. Cet aspect a déjà été signalé par René Emmanuelli, « Disinganno, Giustificazione

et philosophie des lumières », Études Corses, n° 2, 1974, p. 103.

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tous les moyens à discréditer la Sérénissime République pour ne voir en elle qu’un tyran ? On s’attacha alors à démontrer, avec plus ou moins d’objectivité, comment Gênes avait progressivement porté atteinte aux « franchises » des Corses, plutôt que de s’attarder sur la cordiale entente entre la Corse et la commune de Gênes qui avait débouché sur le fameux contrat synallagmatique qui consistait en une protection donnée en échange d’une fidélité reçue. Quant aux « franchises », on tendait abusi-vement à les considérer comme un bloc initial, préexistant à la deditio elle-même et constituant comme un mode de gouvernement autonome… nous y reviendrons. Une autre variante consistait, dans d’autres textes, à mettre en cause le bien-fondé de la deditio, comme nous l’avons déjà vu, lorsqu’il était dit que les nobles ne pouvaient être dépossédés de leurs droits. On s’appliquait alors à argumenter que les modalités de la convention initiale étaient abusives et discutables, alors qu’elles étaient parfaitement claires sur le plan historique. L’abbé Natali, en quelque sorte, mentait « par omission » en ne rappelant pas explicitement les circonstances qui avaient abouti à l’accord de 1358. Pour lui, la Corse n’avait qu’un seigneur légitime, le pape, et il ajoutait, avec une certaine mauvaise foi et toujours pour les besoins de la cause que, dans l’affaire, les Génois avaient pu séduire les Corses8, thème qui sera mieux déve-loppé encore par Guelfucci. Nous avons affaire à une manipulation manifeste de l’histoire, couverte par l’argument « théologique » et le parti pris consistant à dire qu’il n’était pas du pouvoir de sujets de se soumettre à quiconque sans le consentement exprès de leur prince immé-diat « comme le vicaire du Christ l’est de notre île ». Exit ainsi le bien-fondé de l’accord !

PASCAL PAOLI ET LA TERRE DU COMMUN… SANS SAMBUCUCCIO !

Arrêtons-nous sur la démarche justificatrice des Corses insurgés en l’examinant autrement qu’à travers le prisme du thomisme et de la litté-rature tyrannicide. Elle n’est pas originale et s’apparente à l’attitude

8. Natali, Disinganno, p. 51.

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récurrente de nombre de « nations » (au sens donné au mot sous l’Ancien Régime) ou entités politiques qui ont existé en tant que telles, sous des formes diverses, avant de passer sous la dépendance de dominants exté-rieurs. C’est plus particulièrement le cas dans l’aire de culture pactiste par rapport à l’Espagne9, mais cela se retrouve aussi dans les provinces périphériques du royaume de France qui se réclamaient de leurs privi-lèges, franchises ou « constitutions » primitives. Rappelons à titre d’exem-ples que lorsque le Roussillon devint français, des juristes catalans s’appliquèrent à faire en sorte que le nouveau souverain, Louis XIV, soit respectueux des privilèges de la nation10. De même lorsque la Sardaigne passa en 1720 de la domination de l’Espagne à celle du Piémont, le nouveau roi Victor Amédée s’engagea solennellement et par écrit à gouverner le regno di Sardinia conformément à ses « privilèges et fran-chises »11. Dans son Histoire de la Sicile12, Denis Mack Smith évoque le parlamento local au temps de la domination espagnole et rappelle comment y était entretenue « une vive nostalgie pour un passé idéalisé et, dans une certaine mesure, imaginaire qu’une certaine tradition faisait remonter au temps de Rome, comme si les États (stamenti) qui le composaient étaient les garants de la liberta siciliana », comme les Nobles 12 pour la Corse est-on tenté de dire. Quand, à la fin de l’Ancien Régime, les habitants du Brabant eurent à se plaindre des mesures « éclairées » de Joseph II qui portaient atteinte à la religion et à l’Église catholique, ils se réclamèrent

9. Thème déjà abordé dans notre article sur « Le contrat politique avant le Contrat social : le cas de la Corse, approche comparative », Études Corses, n° 66, juin 2008, p. 7-37.

10. Cf. Brunet Michel, Une société contre l’État, le Roussillon, Eché, Toulouse, 1986, chapitre I, « Le contrat politique entre la province et la couronne de France » avec les textes des traités de Péronne (1641) et des Pyrénées (1659) où « la province s’est volontairement soumise à la France » et au nom de cette fondamentale autonomie, le cahier de la noblesse roussillonnaise exposera encore en 1789 que conformément à « la constitution » du Roussillon, toute différente des provinces voisines, les députés s’opposeront formellement à toute réunion qui pourrait leur être proposée.

11. « Per la conservazione de’diritti, statuti e privilegi della nazione », est-il dit dans le traité de 1720, ce qui marquait la reconnaissance des droits de la nation sarde qui constituait une entité politique et pas seulement une ethnie. Cité par Sotgiu Girolamu, Storia della Sardegan sabauda, Editori Laterza, Bari, 1984, p. 3.

12. Mack Smith Denis, Storia della Sicilia medievale e moderna, Laterza, Bari, 1973, p. 337.

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de leur antique « constitution » bafouée par le souverain autrichien13. En Provence14 et en Languedoc15, au moment de la Révolution française, certains nostalgiques du passé, avec l’aide de juristes locaux, mettaient en avant les privilèges de leurs provinces, pour ne pas se fondre dans la nation française. On pourrait multiplier les exemples de ces formes d’at-tachement aux « libertés locales » que nous ne faisons qu’évoquer afin de mieux insérer l’histoire de la Corse dans un ensemble et de conjurer les excès d’approches locales déconnectés d’une évolution générale. On remarquera d’ailleurs que l’anonyme de la Descrizione geografica (cf. plus loin), lorsqu’il fouille dans le passé insulaire à la recherche de l’ancien mode de gouvernement et qu’il évoque les délibérations qui s’effectuaient au temps d’Alfonso d’Ornano au XVIe siècle au sein de la veduta de Corse, ajoute : « cosi fanno li stati di Provenza, Linguadoca, Bearn, Borgogna e Artesia sotto il piu potente di tutti i re.»

Pascal Paoli s’engouffra dans cette voie et s’est montré, somme toute, moins réticent que ses prédécesseurs à affirmer, face aux prétentions de

13. Nous pensons ici à la constitution écrite de la charte de Kortenberg ou de la « joyeuse entrée » de 1356 exactement contemporaine de la deditio des insulaires. Elle régissait le duché de Brabant sous Jean II et Jean III, d’origine étrangère ; elle avait pour but de limiter les pouvoirs des ducs. Le texte reprenait l’ensemble des privilèges accordés par leurs prédécesseurs, par exemple la nécessité d’avoir l’accord de l’assemblée des ordres pour déclarer la guerre et lever les impôts, la participation à la gestion du duché et explicitement le droit de résistance au duc.

14. Sur la « constitution provençale », abbé de Coriolis, Traité sur l’administration du comté de Provence , Aix, 1788 : « La Provence a passé sous la domination des rois de France en vertu du testament de Charles d’Anjou, le dernier de ses comtes. Elle y a passé pour être unie à la couronne de France, comme un tout à un autre tout, comme un principal à un autre principal, sans pouvoir y être aucunement subalternée […] nous formons un État distinct et séparé qui a son souverain à lui, comme il a ses lois, ses us, ses coutumes qui lui sont particulières », t. III, p. 544-545, cité par Cubells Monique, « L’idée de province et l’idée de nation en Provence à la veille de la Révolution », Provence Historique, fasc. 148, 1987. Les statuts proposés en 1482 à Louis XI par les États de Provence réunis à Aix comptaient 53 articles auxquels on pouvait se référer comme à une constitution.

15. Pour le Languedoc, se reporter à Peronnet Michel, « Libertés, privilèges et franchises du Languedoc », in Région, Nation, Europe : unité et diversité des processus sociaux et culturels de la Révolution française, colloque de Besançon, novembre 1987. Dans leur histoire du Languedoc de 1776, les bénédictins Dom Devic et Dom Vaissette faisaient remonter, de façon mythique, les libertés languedociennes à des sources romaines et, en 1788, le juriste Albisson, homologue de Coriolis pour le Languedoc, publia dans le même esprit les Lois municipales et économiques du Languedoc.

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18 Francis POMPONI

l’absolutisme génois, que non seulement les Corses avaient été des sujets conventionnés, liés à la Sérénissime par le pacte de 1358 et par des accords ultérieurs passés entre les deux contractants, mais qu’ils avaient joui « autrefois » d’un régime autonome auquel ils pouvaient d’autant mieux se référer dès lors que le pacte était rompu. La différence – et elle n’est pas mince ! – avec les cas évoqués ci-dessus, étant que le passé insulaire, connu par la chronique, ne fournissait pas d’éléments suffisamment bien établis pour justifier ce point de vue, la Corse, avant de se placer sous la tutelle de Gênes, n’ayant été ni un duché comme le Brabant ou la Bretagne ni un comté comme la Provence ni un regno comme Valence ou la Sicile, pas plus qu’elle n’avait joui, à la manière de la Sardaigne d’un régime autonome analogue à celui des Giudicati du temps d’Eleonora. Peu impor-tait pour Paoli qui ressentit, pour les besoins de la cause et sous le regard de « l’opinion » internationale, l’intérêt de rechercher, voire d’« inventer » un passé historique qui puisse justifier à la fois la rupture avec Gênes et l’affirmation d’un État corse indépendant renouant avec des racines. Il s’en ouvre en 1761 dans une lettre à son fidèle conseiller Don Gregorio Salvini, déjà rédacteur de la Giustificazione de 1758, à qui il avait demandé la rédaction d’un mémoire qui puisse servir de manifeste de propagande à l’adresse des cours européennes et contribuer à la reconnaissance du jeune État aux destinées duquel il présidait depuis son accession au géné-ralat. La même année, Paoli a suscité la publication de la Descrizione geografica, epilogo dell’antico e della moderna storia dell’isola e Regno di Corsica16, qui atteste de la volonté des Corses libérés de la tutelle génoise de renouer avec leur histoire, de la compléter en reprenant Filippini sur des points essentiels tels que celui de « la Corse avant les Génois » et de continuer son œuvre au-delà du XVIe siècle. Comme l’a dit Franco Venturi, les Corses insurgés avaient le sentiment de ne pas avoir d’histoire ou du moins d’en avoir une qui n’était faite que de guerres, de rebellions, de tragédies sans « un carattere permanente, una cultura, magari un mito (souligné par nous) che vada oltre i singoli episodi »17.

16. Ascione Domenico, Campoloro, 1761.17. Venturi Franco, « Patria e liberta la rivoluzione di Corsica », Settecento Riformatori, Einaudi,

Torino, 1987, p. 7. F.O. Renucci en rédigeant sa Storia di Corsica au XIXe dira explicitement vouloir réparer le tort d’une Corse « sans histoire ».

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