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ÉVALUATION DES ÉVALUATIONS FRANÇAIS : LE VÉRITABLE ÉTAT DES LIEUX À L’ENTRÉE EN SIXIÈME, par Mireille Grange et Michel Leroux Texte paru dans Le Débat n° 128 de janvier -février 2004, pages 183 à 192, reproduit avec l'aimable autorisation des auteurs et de l'éditeur. Cet article a suscité une réponse de la Direction de la Prospective et de l'Évaluation qui est publiée dans Le Débat n° 130 de mai-juin 2004, ainsi que la réponse à cette réponse par Mireille Grange et Michel Leroux. Chaque année, au début du mois de septembre, les élèves de sixième subissent des tests d’évaluation nationaux, en français. Il s’agit, aux yeux des concepteurs de cette « passation », d’une « évaluation diagnostique » censée permettre « d’analyser certains savoirs et savoir-faire importants à l’entrée au collège ». Ce serait pourtant gravement en méconnaître les finalités que de regarder ces tests comme de simples instruments d'analyse. Il s'agit sans doute d'y vérifier la maîtrise de certaines compétences et rien n'est apparemment plus légitime que de fonder une évaluation sur des critères clairement définis. Mais c'est la nature et le nombre de ces critères qui doivent retenir ici l'attention. Filets et épicycles Si l'on considère d'abord la nature des compétences mesurées, on découvre qu'il en va de l'évaluation des sixièmes comme de la pêche au filet où la conception du piège et la dimension des mailles prédéterminent les prises. Conçue sur ce modèle, une évaluation risque de ne remonter à la surface que les vérités qu'elle redoute le moins. S'agissant ensuite du nombre des items, on se fera une idée de la démarche des évaluateurs en évoquant les épicycles que la science médiévale empila jadis sur un modèle cosmologique dont la pertinence était chaque jour plus démentie par les faits. Ainsi, à mesure que les productions écrites révèlent l'inefficacité croissante des méthodes actuelles, le nombre de critères que l'on mobilise pour les évaluer s'envole. Toutes ces raisons font que la pesante logistique de l'évaluation de Sixième parait moins témoigner de la volonté de connaître la réalité, que du désir inavoué de l'esquiver. Si l'on voulait vraiment savoir en effet si un élève est apte à écrire un texte cohérent dans sa langue maternelle, cinq lignes pourraient suffire. De là à considérer que les évaluateurs officiels, nourris de cette « sociologie d'État » qui contribue depuis près de trois décennies à la prospérité d'une bureaucratie éducative, s'efforcent d'imprimer à la réalité la couleur de leurs rêves, il n'y a qu'un pas. Ce pas, on est tenté de le franchir en s'avisant que la variante scolaire de la Bureaucratie a hérité de ses devancières cette autre propension qu'est la manipulation du vocabulaire. On ne saurait compter pour rien en effet la disparition de l' épreuve au bénéfice de la passation ou celle, plus révélatrice encore, de l' examen au profit de l'évaluation. Si le premier exemple présente une plaisante manifestation de pudibonderie autoritaire, le second est plus lourd de sens. Examen et évaluation Un examen, en effet, permet d'abord de vérifier des connaissances qu'on estime naturellement inutile de débaptiser au prix de savantes contorsions, et qui, lorsqu'il s'agit de français, relèvent de la morphologie, de la syntaxe et de l' orthographe, sans lesquelles la compréhension d'un texte et la cohérence d'une rédaction sont irrémédiablement compromises. Mais un examen a aussi pour fonction de sanctionner le travail effectué en amont, puisqu'il ouvre ou ferme le passage des candidats à un cycle supérieur. Il n'en va pas de même de l'évaluation qui survient après un Évaluation des Évaluations http://www.aplettres.org/grange.htm 1 sur 9 19/05/09 14:20

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ÉVALUATION DES ÉVALUATIONS ─ FRANÇAIS : LE VÉRITABLE ÉTAT DES LIEUXÀ L’ENTRÉE EN SIXIÈME, par Mireille Grange et Michel Leroux Texte paru dans Le Débat n° 128 de janvier -février 2004, pages 183 à 192, reproduit avec l'aimableautorisation des auteurs et de l'éditeur. Cet article a suscité une réponse de la Direction de la Prospectiveet de l'Évaluation qui est publiée dans Le Débat n° 130 de mai-juin 2004, ainsi que la réponse à cetteréponse par Mireille Grange et Michel Leroux.

Chaque année, au début du mois de septembre, les élèves de sixième subissent des tests

d’évaluation nationaux, en français. Il s’agit, aux yeux des concepteurs de cette « passation »,d’une « évaluation diagnostique » censée permettre « d’analyser certains savoirs et savoir-faireimportants à l’entrée au collège ».

Ce serait pourtant gravement en méconnaître les finalités que de regarder ces tests comme desimples instruments d'analyse. Il s'agit sans doute d'y vérifier la maîtrise de certaines compétenceset rien n'est apparemment plus légitime que de fonder une évaluation sur des critères clairementdéfinis. Mais c'est la nature et le nombre de ces critères qui doivent retenir ici l'attention.

Filets et épicycles Si l'on considère d'abord la nature des compétences mesurées, on découvre qu'il en va de

l'évaluation des sixièmes comme de la pêche au filet où la conception du piège et la dimension desmailles prédéterminent les prises. Conçue sur ce modèle, une évaluation risque de ne remonter à lasurface que les vérités qu'elle redoute le moins. S'agissant ensuite du nombre des items, on se feraune idée de la démarche des évaluateurs en évoquant les épicycles que la science médiévaleempila jadis sur un modèle cosmologique dont la pertinence était chaque jour plus démentie parles faits. Ainsi, à mesure que les productions écrites révèlent l'inefficacité croissante des méthodesactuelles, le nombre de critères que l'on mobilise pour les évaluer s'envole.

Toutes ces raisons font que la pesante logistique de l'évaluation de Sixième parait moinstémoigner de la volonté de connaître la réalité, que du désir inavoué de l'esquiver. Si l'on voulaitvraiment savoir en effet si un élève est apte à écrire un texte cohérent dans sa langue maternelle,cinq lignes pourraient suffire.

De là à considérer que les évaluateurs officiels, nourris de cette « sociologie d'État » quicontribue depuis près de trois décennies à la prospérité d'une bureaucratie éducative, s'efforcentd'imprimer à la réalité la couleur de leurs rêves, il n'y a qu'un pas.

Ce pas, on est tenté de le franchir en s'avisant que la variante scolaire de la Bureaucratie ahérité de ses devancières cette autre propension qu'est la manipulation du vocabulaire. On nesaurait compter pour rien en effet la disparition de l' épreuve au bénéfice de la passation ou celle,plus révélatrice encore, de l' examen au profit de l'évaluation. Si le premier exemple présente uneplaisante manifestation de pudibonderie autoritaire, le second est plus lourd de sens.

Examen et évaluation Un examen, en effet, permet d'abord de vérifier des connaissances qu'on estime naturellement

inutile de débaptiser au prix de savantes contorsions, et qui, lorsqu'il s'agit de français, relèvent dela morphologie, de la syntaxe et de l' orthographe, sans lesquelles la compréhension d'un texte et lacohérence d'une rédaction sont irrémédiablement compromises. Mais un examen a aussi pourfonction de sanctionner le travail effectué en amont, puisqu'il ouvre ou ferme le passage descandidats à un cycle supérieur. Il n'en va pas de même de l'évaluation qui survient après un

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passage automatique et prive ainsi le système du précieux appoint de l'examen dont l'échéancestimule le travail des élèves comme celui de leurs maîtres. L'évaluation, en revanche, regarde versl'aval. Elle n'a d'autre ambition que la mise en place d'une « remédiation », laquelle seraordinairement inefficace du fait de son caractère fragmentaire et surtout anachronique, car letemps perdu, à l'école comme ailleurs, se rattrape malaisément.

Notons pour finir que les dégâts provoqués par les multiples dévoiements du système serontgénéralement imputés au personnel enseignant par des sociologues de l'éducation en proie à lasurenchère théorique et dont la verve compassionnelle s'éteint ordinairement à l'approche desestrades. Inlassablement, on brise les thermomètres.

Venons-en maintenant au détail de la « passation » de 2003. La « passation » L' évaluation 2003 se présente sous la forme d’un cahier de vingt-trois pages, mis à la

disposition de chaque élève. Il comporte quatre « séquences » censées vérifier les « compétences »suivantes :

« Comprendre un texte dans son ensemble, construire des informations à partir d’un supportécrit, comprendre l’organisation logique d’un texte, prélever des informations ponctuelles,comprendre un message oral, maîtriser les outils de la langue pour lire, maîtriser les outils de lalangue pour écrire, maîtriser les contraintes matérielles, créer et construire un texte »

Cette dernière compétence semble la plus intéressante à retenir, parce que « créer et construireun texte », représente naturellement le minimum vital pour qui ambitionne de maîtriserl'expression écrite en vue de réussir des examens et des concours.

Voici donc le sujet, repris de l'année précédente, proposé en septembre dernier :« Ouvrez vos cahiers aux pages 22 et 23. Sur la page 22, on a reproduit la première page d’un

journal avec des photos et une interview réalisée auprès de la famille de Bob. Sur cette page, ilmanque le récit de l’aventure de Bob et de la découverte du trésor. Vous allez l’écrire, encontinuant le texte proposé sous le titre de l’article. »

Le professeur est invité à informer les collégiens qu'ils « doivent d’abord écrire leur texte sur

une feuille de brouillon pendant trente minutes environ » avant de le « relire, d’y apporter lescorrections qui leur semblent nécessaires pour l’améliorer (présentation, mise en paragraphes,orthographe, ponctuation…) puis de le recopier sur le cahier ». Les élèves disposent d’environ uneheure trente pour effectuer l’intégralité de ce travail.

Voici le résultat obtenu après que le professeur a scrupuleusement respecté les consignescontenues dans le livret de présentation de quarante huit pages, destiné aux professeurs :

Les « productions » des sondés Copie 1, intégralité du texte :« Bob appelle sont chien. banbou, banbou net il ne revint pas.alors il vat le chercher, celce ninute il adercu un batar

alonge Bob le leve mele batard ce reconcha aussi tôt il avait un patte brisé il etait jéne bob leporta 10 minites il retroves les trotriester du chiens apre il reprar 10 ninutes plus tard il retrouveson acie acote d'une toite en fer sete le tresors. »

Copie 2, intégralité du texte :« Bob en le suivant soit perdue. Il trebuchas sur une espespese de grosse pier lourde. En nolent

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en nariere il retenbas une fois de plus. Alors en se dement de quoit peut-il sagire. Il dessidat decrese.En cresent il tapa sur une boite en boie. Il la sorta du trous, la pousa et louvra. Setait sibrient qil ne voyé pas les couleurs. Il plonga la main dedent et retira des bijoux en or:

des colie, des boucle d oreille et meme des tiament il dessida de lait dens la poubelle pourprendre des plastique. Il en prena 3 et met tout le tresore dans le plastique.

Coudin, il entendie un haboiment tout près. Il cria « banbou,banbou » et bonboux revena à lui.Il étais cachais dans les buisons.

Grasse au bijoux les parent de bob le retrouva avec leur brience s'est normal et le tresor estmantenent au muse mais bob a gardes cellque bijoux. »

Copie 3, intégralité du texte :« Il trifoula dans ce sentier Il renifla pas a pas tout a coup Il aboya donc bob croyai qu'il

attaque une persone. Il continua a aboyé, Puis il creusa bob l'edait a creusé Il y avait une boitequi ressemble a un tresor.

Il le sorti du trou louvra et vit des bijoux de toutes sortes le pére appelle la police, pendant quebob se fit interview et fit la une du journal. Le propietaire de ce tresor et venu reprendre et donnaune recompense au 2 heros du jour. »

Copie 4, intégralité du texte :« Il ala le voir, sen que c'est parent sen aperçoivent. Le chien grater et grater, bob se demanda

se que le chien avais senti. Alor il décida de grater égalment. Dinseul coup il senti quelque chosede dure. Il suposat ( une pierre, un trésor ) il prena une pêle et enleva la chose très dure enaisayent de ne pas la casser. Il vit tout dabord un cadna ensuite un cofre, il se demandat commentaller l'ouvrir le chien qui ataitent également inteligent luis ramena un pied de biche. Il ouvrer lecoffre quand il on sette briance, c'est éclat de lumière, c'est diament il était ereu, il cria de joie.Les parent étaient partit, mais comme il étaient débrouard il sont entré à pied avec le trésore.Arriver a la maison il raconta sa au parent trés inquier. Il allat le donner au muset qui leur a remiune somme d'argent très élever tout la famille aiter ereu. Et grace a cette argent il partir. »

Copie 5, intégralité du texte :« Bob lorqu' ils vit un chien sur le sentier. Il disait:-maman on peut prendre le chien?- oui mais va senes n'accupait- Ben, moi!- Tu est sur?- Oui !alors d'accord!Chouet comme ça on aurer un animal a la maison quelque heure plus il s on arivait a la

maison.Le chien fesait pipi tous partout. Je m'ens n'occupait mais il fait quand même. J'ai construit une niche. pour le chien avec des provisions pour chien. Des bois j'avais pas de

devoir je jouer au jardin avec lui. Et il vivait toute sa vie dans la niche. Des fois quand ils avaitplus de provisions. Il crier: wouh-wouh et je lui en donner et. il, me.Lecher la tête. Et des fois, jele fait rentrer et il regarder la télé avec moi et en mangent des pop orn avec moi. »

Copie 6, intégralité du texte : l'élève a recopié ce qui se trouvait dans la marge du cahier

d'évaluation. Il ne sait donc pas copier. Il a rajouté quelques mots incompréhensibles, de son cru :« Interview de famille êtes-vous fiers de votre fils ? Nous somme fiers de luiet de son chien

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Bambou sens l'aide duquel le.trésor n'aurai été retrouvé Aquel moment vout ête rendue compte deleur disparaiton ? A fin de la promenade l'orsque nous sommes arrivés à la voiture vous ête vousfait Beaucoup de souci ? oui Bien sûr mais Bob a toujours été courageux et debrouillar. Il sedebraille mieux que moit la police la retrouva avec lechien bambou et le trésor il ête comtems deretrouver sa famille. »

Copie 7, Le début du texte :« Bob dit revin-ici aller viens le chien parter. Bod alla le chercher Mai le chien n’ atait plus là.

Bod chercha très loin mais il na l’avais toujour pas trové. Le chien parten a la recherche dutrésor. Et Bod ne l’avait toujour pas trouvé mais il antenda un crie de ouf-ouf. Bod se demandaqui s’aît e il allas voir Bod cria n’on chien ou tu m’a manquer Les parents de Bod était inciter ilétait tard très tard La mère pleura et la père dit ja vais aller le chercher me tinquitte pas dit ca sonpèré il doit pas être si fin son père cria Bod. Bod ou est tu. C’est papa dit Bob il est vénu nouschercher maman doit être inquitte Bod tu est la dit papa papa dit a Bod tu nous aver peur alleonrentron maman dout avoir peur » etc…

Copie 8, le début du texte :« Sur un petit sentier de terre et la se trouve une tour il se demande quoi. Puis 5 minutes plus

tard il monta et il monta et il monta elle était grande mais grande, il aperçevat des personnes unedizaine. Il monta eux aussi dans la grande tour. Mais il arriva un malheur car dans la tour on nepouvait que montait par 3. Parce qu’elle n’était pas solide et en plus il était à 13. Alors la tours’écrasa. 1h plus tard il y avais 2 survivants.et c’était Bob et Bambou les 10 autres était mort.Alors Bob et Bambou alla voir ce qu’il avait dehors il y avait un volcan puis il monta et il trouvades milliers et des millions et des milliers de pièces enor qui brillait de mille feux et c’était letrésor. Puis il reprena la route » etc…..

Copie 9, intégralité du texte :« Bob avait été dans une promende en frêêt avec sa famille. Et à la fin de soir. Bob retour chez

lui. Bob dit à sa mère quand on sera à la maison je vein dans ma chambre.et son père à dit tu vamanger Bob. Et sa mère dit à son mari. Bob va goûter et il avait pris un gâteau. Au flan et ungâteau à la vanille. Et sa mère j’ai tous manger. Et son père dit à Bob il a encore du gâteau Bob ilréponse oui il en encore du gâteau. Et a fin Bob va joue dans jardin. Bob joue avec son ballon, sablançoire et au foot. Et Bob vois vous bazar qui bille dans son jardin et il avance vite pour voir etil voir un trésor. »

Copie 10, intégralité du texte :« Il le suivit de arbre en arbre et cria a son chien « Bambou au pied ! « Il continua dans la

forêt il tomba ce reléva courru pour rattrapper son chien. Son chien s’arrêta. Il repartie d’arbreen arbre. Il s’arêta et renifal la terre. Aboillay commeca a creusa et bob aussi creusa. Il trouva uncoffret au trésor. Il repartie a la voiture et le montra a sa mère. »

Copie 11, intégralité du texte :« bambou revien « mais le chien courait toujours. Alors bob le suiva.« ouaf ouaf « des quie bob le ratrapa le chien était entrin de creusé.« mais que fait-tu », soudin un terrible voleur apparu :« ah mais qui est tu ? »- celui qui te cinapé !mais juste a temp des policier apparer du sentier :

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« Et vous les main en lère ! »- Ouf- Qui a t-il ? il a trouver le trésor valer ! un peu plus tard les parents de bob arivèrent- « bonjours monsieur votre fil a trouver un tresor voler par le bandi qu’ona attraper- ca ne métonne pas de lui. » Copie 12, intégralité du texte :« Bob suivit sont chien qui fléré une piste. Sont chien Bambou cressa plusieur fois mes il trouva

de la terre rien que de la terre puis Bambou continua et Bob suivi sont chien aubout de 20 minutetoujours rien. C’est parent commencé à s’inciété. tandis que Bambou cresa Bob ce promena plusloin pendant ce tens les parent s’inquité où il peuvent bien être passé ? 10 minute après Bamboutrouva quelque choses et il aboilla Bob vien c’était une piece dor et acoté une boite c’était untrésors. Il alla voir c’est parent pour leurs anoncé la nouvelle les parents étas très comptant »

L’échantillon dans son contexte. Ces douze copies représentent la moitié d’une classe de sixième. Elles pourraient être

complétées par cinq autres copies à peu près équivalentes pour l’incohérence du récit etcomportant des fautes moins spectaculaires, mais presque aussi nombreuses. Cinq copiessupplémentaires présentent des narrations à peu près compréhensibles, mais contiennent des fautesnombreuses touchant principalement les terminaisons verbales (imparfait écrit é au lieu de ait,participe passé terminé par ait, confusion er/é, accord sujet ― verbe rarement effectué).

Deux copies sur vingt quatre sont un peu supérieures. Voici la meilleure :« Bob alla rejoindre son chien. Il appela:« Bambou viens ici on rentre » cria t-il. Le chien ne veut pas. Bob s'approcha et voit Bambou

regardait qu'elque chose. Bob dit:« Quest-ce que tu as trouvé ! » s'exlama bob. Il suivit son chien et voit un trèsor dans un trou.

Bob cria:« Regarde Bambou un tresor c'est génial ! » Un moment passa. Bambou sentit quelqu'un

arrivé, c'était un monsieur. Il s'approcha vers nous et nous demanda.« Quest ce que vous cahez derrière vous ?- Quelque chose!- C'est un trésor! »Le monsieur emmena tout le monde avec lui. Il nous emmena au musée. Il rendit le trésor. Bon

Le trésor a été retrouvé. Fin. » L’étude de cet ensemble de copies fait apparaître une méconnaissance préoccupante de la

langue écrite par une très forte majorité d' élèves qui arrivent en sixième après avoir fréquentél’école primaire pendant au moins cinq années. Comment expliquer ce déficit linguistiqueparticulièrement handicapant pour la poursuite des études ?

Voici, à cet égard, quelques données sociologiques :– Sur les douze élèves présentés, seuls deux ne parlent pas français chez eux.– Les élèves proviennent de six écoles différentes, situées dans des quartiers populaires. Quatre

de ces écoles sont publiques, deux sont privées.– Trois élèves sur douze ont des parents au chômage. Un élève vit dans un foyer.– Les parents des huit élèves restants travaillent l’un et l’autre.– Lors de la restitution des tests aux parents, courant octobre, seize parents sur vingt-quatre se

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sont déplacés et six d’entre eux se sont fortement inquiétés des résultats de leur enfant enexaminant la rédaction qu’il avait produite. Ils ont demandé au professeur comment ils devaients’y prendre pour aider leur enfant, ressentant l’urgence de la situation.

Face à ces indications, faut-il incriminer l’origine sociale des élèves, selon une pratiquedésormais courante dans le milieu éducatif ? Ou l'indifférence parentale ? Ou le fait que lesenfants ne parlent pas français chez eux ? Peut-on enfin soutenir qu’une école primaire enparticulier est la responsable de pareils résultats ? Nullement. Une telle catastrophe est en réalité lefruit du système lui-même et c’est peut-être cela que l’on maintient dans l'ombre. En tout état decause, en effet, les élèves ne sauraient connaître ce que l’école ne leur apprend plus, ou leurapprend mal faute de temps et de méthodes appropriées. Il ne serait pas pensable autrement qu'auterme de cinq années d'enseignement primaire, on puisse arriver en sixième dans un pareil état dedélabrement face à sa langue maternelle.

Il nous reste maintenant à présenter les critères d’évaluation de cette « production écrite »,élégamment appelés « items ».

Le codage Les items sont au nombre de treize, rien de moins, et ne donnent pas lieu à une notation

« traditionnelle » mais à un « codage » particulier : le code 1 correspond à une bonne réponse, lecode 9 à une réponse fausse, le code 0 à une absence de réponse ou à une « production » tropcourte pour être « évaluée ». Viennent parfois s'y adjoindre les codes 2, 3 ,4, 8 qui sanctionnentsavamment des réponses partiellement justes ou partiellement fausses. Négligeant l’inflation descritères d’évaluation et des codages inhérente au système, nous nous contenterons de mentionnerici, item par item, la réponse qui doit, selon les concepteurs, appeler le code 1.

DISCOURS 1.: Production d'un récit. Code 1 : « L’élève a produit un récit d’une vingtaine de lignes ».2: Prise en compte des personnages. Code 1 : « L’élève a utilisé les personnages donnés (Bob,

Bambou, les parents). »3: Prise en compte de la situation donnée. Code 1 : « L’élève a évoqué la découverte du trésor,

dans la forêt, et sa restitution au musée. »

4: Choix et cohérence énonciatifs. Code 1 : « L’élève a gardé la même personne (1ère ou 3ème

personne) du début à la fin. »5: Cohérence des temps.(On ne tiendra pas compte de la morphologie verbale)Code 1 : « L’élève a employé les temps du récit de façon cohérente. » TEXTE 6: Progression des informations. Code 1 : « L’élève a produit un texte qui progresse : les

thèmes et les propos s’enchaînent. »7: Cohérence dans l'emploi des substituts pronominaux. Code 1 : « L’élève a employé sans

ambiguïté les substituts pronominaux. »8: Variété dans l'emploi des substituts lexicaux. Code 1 : « L’élève a désigné au moins de deux

façons différentes et sans ambiguïté les personnages de son texte, en utilisant des substitutslexicaux. »

9: La ponctuation. Code 1 : « L’élève a utilisé correctement la ponctuation forte pour segmenterle texte en phrases. »

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10: Segmentation en paragraphes. Code 1 : « La mise en page fait apparaître une organisationpertinente du texte en paragraphes. »

PHRASE 11: La Syntaxe. Code 1 : « L’élève a produit des phrases grammaticalement correctes. »12: Accord du verbe avec le sujet (personne, nombre, morphologie ). Code 1 : « L’élève a

correctement accordé le verbe avec le sujet (deux à quatre erreurs admises selon la longueur dutexte). »

13: L'orthographe. Code 1 : « L’élève a maîtrisé l’orthographe lexicale et grammaticale. » Perplexité Si l’on se réfère aux copies elles-mêmes et qu’on les confronte aux items d’évaluation, force est

de constater l’inadéquation flagrante entre cette démarche et la réalité du terrain. Comment faireentrer dans une telle grille d’évaluation des productions pratiquement incompréhensibles ? On enviendrait à soupçonner les évaluateurs de vouloir tout évaluer sauf la rédaction de textes qui, àproprement parler, n'en sont guère. On reste en effet perplexe face à la tâche prescrite à descorrecteurs (ou encodeurs) supposés appliquer à pareil désastre une semblable débauche decritères sophistiqués. À moins que le but ne soit, encore une fois, de pomponner ce désastre aunom d'une « correction » essentiellement politique, en recourant à de savants codages propres àhabiller le simplisme de l'opération.

Il ne reste plus, dès lors, qu'à simuler l'intervention réparatrice en proposant la « remédiation »,néologisme que l'on n'aurait peut être pas songé à forger, si l'on avait vraiment cru qu'il existât unremède.

En attendant, les instructions concernant le codage des items enjoignent aux professeurs, et laprescription est formulée en caractères gras, de « ne pas tenir compte, dans l’analyse de la“cohérence des temps”, de la morphologie verbale ». Est-ce à dire que les passés simples les plusfantaisistes deviennent corrects dès qu'ils satisfont l'item : « les temps du récit sont employés defaçon cohérente » ?

Dans le même esprit, pour « réussir l’item 1 », il suffit d’avoir produit un récit d’une vingtainede lignes. Peu importent le contenu et la cohérence du propos, seuls comptent le nombre de lignes,fussent - elles incompréhensibles, et le type de texte fourni.

L’« item 2 », particulièrement simpliste pour ne pas dire simplet, rapporte un code 1 dansl’escarcelle de l’élève, si ce dernier a héroïquement reproduit le nom de Bob, celui de Bambou etcelui des parents. Nous notons avec satisfaction que la présence des trois éléments est tout demême jugée nécessaire.

Enfin, l'examen de ces tests fait apparaître que moins d’un quart des items proposés ( trois surtreize), permettent d’apprécier la correction et la pertinence de l'expression : ce n’est donc pas lafaçon dont les élèves se font comprendre et dont ils réfléchissent qui intéresse les évaluateurs,mais bien le respect formel de consignes dont la formulation savante cache mal la natureminimaliste. Ainsi parvient-on à apprécier positivement des textes qui trahissent une ignorancedramatique du code et constituent parfois un défi au simple bon sens.

La contamination des examens Le pire est cependant ailleurs : cette perversion inflationniste des critères d’ analyse au sein de l'

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évaluation se répercute jusque dans les examens, ou du moins dans ce qu’il en reste. C’est ainsiqu’à l'épreuve de français du brevet des collèges, les questions portant sur le texte support, notéessur 15 points, sont devenues plus nombreuses que le nombre de points attribués : le record absoluest, pour l'heure, détenu par le « Groupe Nord » qui, en juin 2001, a proposé dix-huit questions oufragments de questions à la sagacité des collégiens.

Ces questions qui n’en sont pas vraiment, même si elles sont formulées dans un sabir aussidéconcertant que chargé de pédantisme, attirent évidemment des réponses tout aussi parcellaires,et le correcteur, s’il respecte les consignes, est conduit le plus souvent à accorder des points à descopies pratiquement vides. Ce système de démultiplication outrancier permet au candidat degrappiller, sans se fatiguer et sans avoir à réfléchir posément, de précieux points, et auxstatisticiens de déclarer que « le niveau monte » puisque le taux de réussite aux examensaugmente : l’examen existe toujours, c’est indéniable, mais il a été totalement dévoyé et placé sousla tyrannie d'une pratique comptable.

La remédiation est là Pour en revenir à l’entreprise évaluative, elle s’achève tout naturellement avec la

« remédiation », prête à prendre le relais. Voici donc comment on la définit dans la premièrepage du « livret de présentation » à l’usage des professeurs :« Rappelons que la prise en charge des élèves en difficulté ne saurait consister en des exercices

répétitifs, mécaniques, éclatés, décontextualisés. Elle devra se faire dans le cadre de progressionsintégrant des séquences cohérentes qui donnent du sens et une finalité aux apprentissages. »

Dans un contexte d’urgence, le ministère demande donc instamment aux professeurs de ne paspratiquer d’exercices « répétitifs » et « mécaniques ». Or c’est bien de ce traitement de choc queles élèves auraient surtout besoin, si l'on voulait vraiment redresser la barre. Mais cette démarche,selon les prescripteurs, serait dépourvue de sens. L’argument paraît léger, surtout lorsqu'on le meten regard du conseil qui suit :

« Tout au long de l’année scolaire, les enseignants pourront recourir aux exercices de labanque d’outils d’aide à l’évaluation pour compléter ou enrichir le diagnostic établi en débutd’année scolaire. »

Suit l'adresse électronique de ladite banque dûment accompagnée d'un code d'accès et d'un motde passe.

Est-ce à dire que le sens consisterait à ajouter inlassablement les diagnostics aux mesures ? Envérité, une machinerie emballée semble fonctionner ici pour elle-même, sur elle-même, à deslieues de la réalité des classes. L'Oracle pédagogique ingère des rations toujours renouveléesd'évaluations et de statistiques. Entre deux bouchées de données, il prescrit la remédiation.Incrédule, l'usager se demande, lui, quand sonnera l'heure de l'enseignement.

Le vrai mépris En présentant toutes nues ces copies que les évaluateurs n’ont jamais sous les yeux, mais dont

le spectacle est très dérangeant pour le système en place, nous avons eu le sentiment de pratiquerune transgression, voire de frôler l'obscénité. Mais à nos yeux, et jusqu’à preuve du contraire,l'équité commence par la maîtrise de la langue et l'on ne réussit pas un concours ou un examen enécrivant de cette manière. Loin de nous la volonté d'exhiber des « perles » : nous connaissons tropbien le mépris qui s'exprime dans les « sottisiers ». Il existe cependant une autre sorte de mépris. Ilconsiste à duper les élèves sur la réalité de leur niveau et à remettre à l'environnement familial etsocial la tâche de prodiguer les connaissances élémentaires. La détermination sociale de l'échec

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scolaire éclate aujourd'hui aux yeux de tous les observateurs. Il nous a donc paru souhaitabled’exposer la faillite du système actuel, faillite qu'escamotent des évaluations, des statistiques etdes concepts mirobolants.

La publication de ces pauvres copies doit donc être regardée comme un signal d'alarme. Seulsdevraient en tirer bénéfice, à nos yeux, les élèves les plus démunis, ceux qu'abandonne une écolede la République désorientée qui ne permet plus à tous d’atteindre le degré de réflexion etd’expression nécessaire à la promotion sociale et à la compréhension du monde et de soi .

La générosité ce n’est pas l’indulgence, mais bel et bien l’exigence.

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