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EVALUER LA VIDEOSURVEILLANCE DANS LES ESPACES PUBLICS Intervention de Tanguy le Goff Sociologue à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme île-de-France Semaine de la Sécurité intégrale, Bruxelles, le 27 juin 2011 1

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EVALUER LA VIDEOSURVEILLANCE DANS LES ESPACES PUBLICS

Intervention de Tanguy le Goff

Sociologue à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme île-de-France

Semaine de la Sécurité intégrale, Bruxelles, le 27 juin 2011

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Plan de l’intervention

I - Mesurer les effets de vidéosurveillance sur la délinquance - méthodologie et résultats

II - Analyser le facteur humain : le travail des opérateurs de vidéosurveillance

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De l’inexistence des évaluations en France

En France , une absence d’études évaluatives sur la vidéosurveillance dans les espaces publics hormis des études réalisées par des cabinets de conseils demeurées confidentielles (Lyon, Strasbourg, Marseille) et une étude des inspections générales de l’administration, de la police et de la gendarmerie de juillet 2009 sur L’efficacité de la vidéoprotection affirme que : « Les dispositifs de vidéoprotection ont montré leur efficacité en matière de prévention de la délinquance et leur impact dépasse le périmètre des zones vidéoprotégées. »

Au regard de la méthodologie adoptée et de la qualité des « preuves » présentées, le rapport ne prouve pourtant nullement l’efficacité dissuasive de la vidéosurveillance.

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I - Mesurer l’impact sur la délinquance

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Les Standards évaluatifs internationaux (scientific methods scale –Sherman)

1 - Travailler sur des études de cas contextualisées Il s’agit, de la sorte, d’isoler l’effet propre à la vidéosurveillance au regard d’autres variables telles que l’amélioration de l’éclairage public, le renforcement des effectifs policiers, de leur surveillance sur un secteur, mise en place d’une police municipale, d’une équipe de médiateurs, recours à des sociétés privées : contrôler les facteurs concurrents

2 - Analyser les statistiques policières par type de délit - analyser la délinquance générale n’a aucun intérêt - analyser la délinquance de la catégorie « atteintes aux personnes » s’avère peu pertinent dans la mesure où une grande partie des atteintes ont lieu dans la sphère privée

analyser par type de délit : cambriolages, vols de voitures, vols avec violence, infraction aux stupéfiants, agressions …

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Mesurer l’impact sur la délinquance

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3 - Prendre des périodes d’analyse avant et après l’installation des caméras suffisamment longues. Il est préconisé un minimum de deux ans avant la pose des caméras et de deux ans après. Une période suffisamment longue permet de mesurer à la fois les effets immédiats mais aussi les effets à long terme = continuité ou non du caractère dissuasif de la vidéosurveillance au-delà de la période initiale d’installation … mais ceci pose des difficultés techniques importantes dans la mesure où l’analyse à l’échelle de micro-quartiers nécessite, bien souvent, de retravailler les statistiques policières.

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Mesurer l’impact sur la délinquance

Dans cette perspective comparative, chaque site étudiée comprend au minimum 3 périmètres d’étude = évaluation dite « quasi-expérimentale »

•La zone vidéosurveillée ou « zone cible » : c’est la zone d’influence directe des caméras. Le rayon est défini soit par la totalité de la zone couverte par la caméra, soit par l’aire géographique significative autour de la caméra (place, parking) qui ne se trouve pas nécessairement couverte par une caméra. Cette définition délimite un cercle possédant un rayon de 100 à 150 mètres maximum même si les caméras peuvent filmer au-delà.

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4 - Etablir des comparaisons entre unités spatiales comparables

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Mesurer l’impact sur la délinquance • La zone tampon : le second rayon d’étude ( 100

mètres au-delà du premier cercle) constitue une zone , qu’elle soit visible ou non par les caméras, susceptible d’être influencée par un éventuel déplacement ou une baisse de la délinquance constatée dans la « zone cible ». Elle est supposée bénéficier de la vidéosurveillance si une baisse de la délinquance y est enregistrée. A l’inverse, elle peut enregistrer une augmentation des délits si un déplacement se produit.

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Mesurer l’impact sur la délinquance

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La zone de comparaison ou zone dite de « contrôle » : pas forcément en continuité des précédentes. Il s’agit d’un quartier, plus exactement d’une partie d’un quartier, présentant des caractéristiques sociologiques et urbaines comparables à la « zone cible ».

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Déplacement de la délinquance à l’intérieur de la zone cible

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Quels enseignements des études évaluatives ?

Deux études de référence

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… dont s’inspirent les études évaluatives actuelles notamment américaines (Los Angeles, San Francisco, 2008).

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Un impact variable selon les espaces • Un impact dissuasif limité dans les espaces étendus et complexes comme

les rues, les places publiques, les boulevards. Parmi les 22 évaluations portant sur des centre-ville répertoriées par Welsh et Farrington, seules 10 mettent en évidence un effet légèrement positif de la vidéosurveillance sur la délinquance. Pourquoi ? dans ces espaces, le risque de se faire identifier et plus encore, interpeller, n’est pas jugé assez grand par les délinquants.

« Sauf si t’es malchanceux et qu’ils ont une patrouille dans la rue, si les caméras t’ont trouvé et qu’ils ont appelé la police, t’es déjà loin, t’as peu de risques de te faire prendre. » Et un autre d’ajouter, « il y a tellement de caméras, ils ne peuvent pas tout voir. Ils doivent te trouver, deviner ce que tu vas faire et enfin faire quelque chose de ça . » (Gill, Loveday, 2003)

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De l’efficacité de la vidéosurveillance dans les espaces fermés • En revanche, la vidéosurveillance a une efficacité dissuasive

probante dans des espaces fermés comme les parkings. - « Méta-évaluation » de Welsh et Farrington (2008) .Sur les 6 études recensées, 5 concluent à des baisses des vols de voitures et/ou dans les voitures. Il faut cependant être prudent dans la présentation de ces résultats. Dans plusieurs études, les baisses sont en effet peu significatives dans la mesure où elles portent sur un nombre très réduit de délits (cf. étude de Nick Tilley, 1993).

- Plus significatifs, en raison de la taille de l’échantillon et de l’ampleur des baisses constatées, sont les résultats obtenus par Martin Gill et

Angela Spriggs dans leur étude des parkings souterrains londoniens (Hawkeye) = une baisse de 73 % des vols liés aux véhicules (de 794 à 214) au cours des 12 mois suivant l’installation par rapport au 12 mois antérieurs à l’équipement en vidéosurveillance.

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Pourquoi cela marche dans les espaces fermés ? • Quatre raisons peuvent expliquer les résultats plus probants de

la vidéosurveillance dans les parkings :

• Un quadrillage quasi-intégral ;

• Une unique finalité pour l’opérateur ;

• Un risque élevé au regard des difficulté pour fuir ;

• L’importance de la coopération étroite avec les forces de police.

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Une efficacité dissuasive très variable selon le type de délits

•Un impact sur la prévention des atteintes aux biens qui peut être significatif. Si l’on regarde un peu plus en détail les études évaluatives, il apparaît que celles où l’on observe des baisses concernent trois types de délit concernant des biens : les vols de voitures, les vols dans les voitures (cf. point précédent) et les cambriolages.

•Martin Gill et Angela Spriggs montrent que, dans plusieurs de leurs sites d’enquête situés dans des zones résidentielles (4 des 14 sites), les cambriolages ont diminué de manière plus ou moins significative.

•La vidéosurveillance n’a qu’un impact dissuasif marginal sur les délits impulsifs comme les agressions, les bagarres et, plus globalement, sur les atteintes aux personnes.

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La question des déplacements spatiaux de la délinquance Sur la base de comparaisons de la délinquance entre ces différentes zones, trois types de scénario sont envisageables.

•la diffusion des bénéfices : la baisse de la délinquance dans la zone test couverte par les caméras et la zone tampon, non couverte.•le déplacement à l’intérieur de la zone de caméras : une augmentation des délits à l’intérieur de la zone de caméra dans des lieux que les caméras ne peuvent voir.•le déplacement dans la zone tampon : une baisse dans la zone de caméras et une augmentation dans la zone tampon.

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II - De l’importance d’étudier le travail des opérateurs de vidéosurveilllance • Les opérateurs de vidéosurveillance : une invisibilité sociale inversement

proportionnelle à la visibilité de la vidéosurveillance dans l’espace public … et pourtant ils jouent un rôle clé dans le « bon fonctionnement » de cet outil.

• Invisibilité tient au fait que le facteur humain est souvent éludé des discours politiques sur l’efficacité de la vidéosurveillance en raison d’une forme naïve de déterminisme technologique.

Gavin Smith « la plupart des auteurs semblent oublier que les caméras de surveillance ne sont pas conscientes, ni autonomes et requièrent, pour être effectives, un contrôle constant par des êtres humains en situation de travail (…) . »

de l’intérêt des études ethnographiques dans les salles de vidéosurveillance pour comprendre comment s’exercent ce travail de « surveillance à distance ».

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Les missions des opérateurs

1 - Assurer une surveillance générale des espaces sous caméras

2 - Faire du flag

3 - Sécuriser les agents de police municipale

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Les missions des opérateurs1 - Assurer une surveillance générale Exercice d’une surveillance passive visant par un travail préventif à gérer « le bon ordre et la tranquillité publique ». 20 % du temps consacré à cette mission.

2 - Faire du flag -Ciblage de personnes dans le cadre d’une « surveillance active » (initiative personnelle ) ou d’une « recherche active » (à la suite d’une demande).

-Principales cibles des opérateurs : « les jeunes » qui sont discriminés en fonction de leurs tenues vestimentaires jugées relever d’une « culture de la déviance ».

-Le flag alimente une représentation jugée valorisante de leur travail car les rapproche de ce qu’ils estiment être le « vrai travail policier » : arrêter les délinquants.

-Le flag : un acte rare … mais qui donne sens au travail de l’opérateur : construction d’une utilité sociale de son rôle.

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Les missions des opérateurs3 - Sécuriser les agents de police municipaleObserver ce qui se passe lors des interventions policières pour prévenir tout risque d’agression ou de vandalisme d’un véhicule policier.

Un regard protecteur … qui peut se transformer en un regard inquisiteur

- Quand la vidéosurveillance devient un outil de management du service de police = le regard de l’opérateur ressenti comme une menace, une source de tension dans l’exercice du travail policier.

-Des stratégies policières d’évitement de l’œil de la caméra.

L’acceptation de l’outil par les policiers dépend d’une double relation de confiance : avec leur hiérarchie et avec les opérateurs

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Une surveillance discontinue 1 - Des dysfonctionnements techniques

-Des problèmes liés au matériel

-Des problèmes liés aux conditions météorologiques

-Des problèmes liés à l’aménagement urbain

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Une surveillance discontinue 2 - Le poids des activités connexes

-La relecture des images

-Alimenter la « main courante »

-Gérer le standard de la police municipale

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Une surveillance discontinue 3 - L’ennui : générateur d’activités « occupationnelles » - le « hors travail dans le travail »

L’invention de tactiques et pratiques plus ou moins « clandestines » pour rompre l’ennui -Utiliser des caméras à d’autres fin que la surveillance de l’espace public ; -S’aménager des temps de pause ; -L’invention d’histoires et la surévaluation de la réalité

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En conclusion : - un travail de surveillance à distance … qui ne participe que de manière limitée

à la gestion des désordres et de la délinquance. Pourquoi ? Parce que l’idée que les espaces vidéosurveillés sont en permanence sous la vigilance des opérateurs est une illusion :

- c’est une illusion parce que les opérateurs ne consacrent en réalité qu’une partie réduite de leur temps de travail à une surveillance passive (balayage des caméras) ou active (recherche du flag).

- c’est une illusion parce que cette « quote-part » du temps de travail consacrée à la surveillance est fortement limitée dans son efficience par différents facteurs : des facteurs techniques, météorologiques, humains (tenant à leurs relations avec les policiers qu’ils soient nationaux ou municipaux).

- une part importante consacrée au « hors travail » dans le travail pour combler l’ennui de ce travail et la faible reconnaissance par la hiérarchie.

Dotés de pouvoirs de surveillance importants tout en étant des travailleurs sans-pouvoirs : telle est l’étonnante situation des opérateurs de vidéosurveillance

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