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EXAMEN DE (1978 à 1988) COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (suite) PAR MITCHEL VVAELBROECK PROFESSEUR .A. L'UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES DEUXIÈME PARTIE Les compétences de la Cour de justice CHAPITRE PREMIER LE RECOURS CONTRE LES MANQUEMENTS DES ÉTATS 37. LA NOTION DE MANQUEMENT n'ÉTAT. - La Cour a con- firmé sa jurisprudence selon laquelle le fait pour un Etat membre de laisser subsister dans sa législation nationale des dispositions donnant lieu à une situation ambiguë quant aux droits que les ressortissants communautaires tirent des dispositions du traité peut constituer un manquement. Il appartient aux Etats mem-1 bres de mettre)eur législation en conformité avec les obligations découlant du traité; de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues d'une publicité adéquate ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable de ces obligations (1). Pour le même motif, la Cour a considéré que le ralliement par la Cour constitutionnelle italienne à la jurisprudence décou- lant de l'arrêt Simmenthal de la Cour de justice du 9 mars (1) Arrêt du 14 juillet 1988, 38/87, OommiBsion c. Républiqv.e hellénique, pas encore publié au Recueil.

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EXAMEN DE JURISP~UDENCE

(1978 à 1988)

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

(suite)

PAR

MITCHEL VVAELBROECK

PROFESSEUR .A. L'UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES

DEUXIÈME PARTIE

Les compétences de la Cour de justice

CHAPITRE PREMIER

LE RECOURS CONTRE LES MANQUEMENTS DES ÉTATS

37. LA NOTION DE MANQUEMENT n'ÉTAT. - La Cour a con­firmé sa jurisprudence selon laquelle le fait pour un Etat membre de laisser subsister dans sa législation nationale des dispositions donnant lieu à une situation ambiguë quant aux droits que les ressortissants communautaires tirent des dispositions du traité peut constituer un manquement. Il appartient aux Etats mem-1 bres de mettre)eur législation en conformité avec les obligations découlant du traité; de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues d'une publicité adéquate ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable de ces obligations (1).

Pour le même motif, la Cour a considéré que le ralliement par la Cour constitutionnelle italienne à la jurisprudence décou­lant de l'arrêt Simmenthal de la Cour de justice du 9 mars

(1) Arrêt du 14 juillet 1988, 38/87, OommiBsion c. Républiqv.e hellénique, pas encore publié au Recueil.

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1978 (2), encore qu'il facilite l'application des principes de l'effet direct et de la primalité du droit communautaire 'dans l'ordre juridique italien, ne dispense pas l'Italie de l'obligation d'éliminer formellement de son.·ordre juridique une disposition incompatible avec le droit communautaire (3).

La Cour considère que le manquement éventuel d'un Etat à ses obligations ne peut justifier le manquement d'un autre. En aucun cas, un Etat membre ne peut s'autoriser à prendre unilatéralement des mesures correctives ou des mesures de défense destjnées à obvier à la méconnaissance des règles du traité par un autre Etat membre (4).

Le fait que l'Etat défendeur demande à la Commission, en cours de procédure, de modifier la rusposition de droit commu­nautaire dont l'inexécution lui est reprochée, et que la Com­mission accepte d'introduire le processus de modification dans le sens souhaité, ne saurait faire disparaître le manquement, celui-ci subsistant tant que la modification n'est pas adoptée (5).

La Commission ne saurait, même en approuvant expressé­ment ou tacitement une mesure instituée unilatéralement par un Etat membre, conférer à .cet Etat le droit de maintenir des dispositions objectivement contraires au droit communau­taire (6).

38. LA MISE EN DEMEURE. - L'intentement de l'action devant la Cour doit être précédé d'une procédure précontentieuse qui débute par une mise en demeure adressée par la Commission à l'Etat membre en cause. Le but de cette procédure préliminaire est de donner l'occasion à l'Etat membre de justifier sa position et, le cas échéant, de permettre à la Commission de l'amener à se conformer volontairement aux exigences du traité (7). Pour atteindre son but, la mise en demeure doit circonscrire l'objet du litige et préciser clairement les obligations qui auraient été

(2) Voy. à ce sujet supra, n° 31. (3) · Arrêt du 24 mars 1988, 104/86, · Commission a. Italie, pas encore publié âu

Recueil. (4) Arrêt du 25 septembre 1979, 232/78, Commission c. France, Rea., 1979, p. 2729,

2739. (5) Arrêt du 12 février 1987, 306/84, Commission c. Belgique, Rec., 1987, p. 675,

685-686. ,. (6)··Arrêt du U'juin 1985, 288/83, Commission c. Irlande,. Bea., 1985, p. 1762, 1774.

(7) Arrêt du 27 mai 1981, 142 et 143/80, EssetJi, Rec., 1981, p. 1413, 14.32-1433.

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méconnues (8). Un grief. qui n'aurait pas été soulevé par ja Commission dans la mise en demeure peut toutefois être repris par celle-ci dans la requête introductive d'instance s'il· s'agit d'une réponse à un moyen de défense soulevé par l'Etat défen­deur en réponse à l'avis motivé (9).

39. L'AVIS MOTIVÉ. - La phase précontentieuse s'achève par un avis motivé dans lequel la Commission énonce les raisons pour lesquelles elle estime qu'il existe un manquement et impartit à l'Etat en cause un délai pour se mettre en règle. Ce délai doit être suffisamment long pour offrir à l'Etat défendeur une possibilité réelle d'éliminer le manquement; à défaut, le recours sera déclaré irrecevable (10).

S'il résulte de la jurisprudence de la Cour que l'avis motivé doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons ayant amené la Commission à la conviction que l'Etat intéressé a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité, la Cour ne pose pas des exigences de précision aussi strictes à l'égard de la mise en demeure. Celle-ci peut consister en un résumé succinct des griefs qu'il est loisible à la Com­mission de détailler de manière plus complète dans l'avis mo­tivé (11}.

La Commission n'a pas le pouvoir de déterminer de manière définitive dans l'avis motivé les droits et obligations d'un Etat membre ou de lui donner des garanties concernant la compatibilité avec le traité d'un comportement déterminé. La détermination de ces droits et obligations et le jugement à porter sur le comportement 4es Etats membres ne peuvent résulter que de l'arrêt de la Cour (12).

L'avis motivé a pour fonction de définir l'objet du litige (13). La Commission ne saurait attraire un Etat devant la Cour pour un manquement au sujet duquel elle n'aurait pas pris position dans l'avis motivé. Toutefois, la Cour admet que

(8) Arrêt du 15 décembre 1982, 211/81, Commission c. Danemark, Rec., 1982, p. 4547, 4558-4559.

(9) Arrêt du 11 juillet 1984, 51/83, Commission c. Italie, Rec., 1984, p. 2793. (10) Arrêt du 2 février 1988, 293/85, Commission c. Belgique, pas encore publié au

Recueil. (11) Arrêt du 28 mars 1985, 274/83, Commission c. Italie, Rec., 1985, p. 1057, 1090. (12) Arrêt du 27 mai 1981, 142 et 143/80, Essevi, précité. (13). Arrêt Essevi précité.

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lorsque des faits intervenus après l'avis motivé sont de même nature que ceux qui étaie~t visés par cet avis, elle peut se prononcer à leur sujet (14).

La Cour a cependant considéré que lorsque le manquement allégué par la Commission vise non pas un acte unique dont les effets se perpétuent pendant une longue période de temps mais des retards dans le paiement de sommes dues annuelle­ment, l'Etat défendeur doit avoir l'occasion de présenter sa défense sur chacun des manquements allégués. La Cour ne sau­rait, dans ces conditions, se prononcer sur des retards de paie­ment postérieurs à ceux reprochés lors de la procédure pré­contentieuse (15).

Si l'Etat défendeur, tout en modifiant la législation mise en cause dans l'avis motivé, laisse subsister l'infraction sans changement majeur, la Commission pourra poursuivre la pro­cédure sans devoir émettre un nouvel avis m.otivé (16).

40. LA PROCÉDURE DEVANT LA CouR. - Si l'Etat membre n'a pas éliminé le manquement dans le délai imparti dans l'avis motivé, la Commission peut saisir la Cour. Ce recours n'est pas exclu du fait que l'Etat a introduit une demande de régularisa­tion ou que le Conseil se trouve saisi d'une proposition dont l'adoption pourrait mettre fin au manquement reproché (17).

Compte tenu de la durée de la procédure en manquement, il peut s'avérer nécessaire, dans le cas d'une violation flagrante et particulièrement grave du droit communautaire, de permettre l'adoption de mesures provisoires. Par ordonnance du 21 mai 1977, la Cour a tranché par l'affirmative la question de savoir si cette compétence lui appartenait (18).

C'est à la Commission qu'il incombe d'établir l'existence du manquement allégué, conformément au principe actori incumbat propatio. Toutefois, les Etats sont tenus, en vertu de l'article 5

(14) Arrêt du 22 mars 1983, 42/82, Commission c. France, Rec., 1983, p. 1013, 1040; arrêt du 4 février 1988, 113/86, Commission c. Italie, pas encore publié au Recueil.

(15) Arrêt du 20 février 1986, 309/84, Commission c. Italie, Rec., 1986, p. 599, 609. (16) Arrêt du 16 mai 1979, 2/78, Commission c. Belgique, Rec., 1979, p. 1761, 1783·

1784. ( 17) Arrêt du 4 décembre 1986, 220/83, Commission c. France, Rec., 1986, p. 3663,

3705. (18) 31 et 53f77, Commission o. Royaume-Uni, Rec., 1977, p. 921.

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du traité, de faciliter à la Commission l'accomplissement de sa mission. Le manquement d'un Etat membre à cette obligation peut, à lui seul, être constitutif d'un manquement (19).

41. CoNSÉQUENCES DE L'ARRÊT DE MANQUEMENT. - L'ar­ticle 171 impose à l'Etat membre dont la Cour a constaté le manquement de prendre toutes les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt. Tous les organes de l'Etat ont l'obligation d'assurer cette exécution dans les domaines de leurs pouvoirs respectifs. Dans le cas où l'arrêt constate l'incompatibilité avec le traité de certaines dispositions législatives d'un Etat, il entraîne pour le pouvoir législatif l'obligation de modifier les dispositions en cause de manière à les rendre conformes aux exigences du droit communautaire. De leur côté, les juridictions de l'Etat concerné ont l'obligation d'assurer le respect de l'arrêt dans l'exercice de leur mission. Toutefois, il ne s'ensuit pas que les arrêts de manquement créent des droits immédiats au profit des justiciables. Ces droits découlent des dispositions de droit communautaire ayant un effet direct dans l'ordre juridique interne et non de l'arrêt constatant un manquement d'un Etat à ces dispositions. Il n'en reste pas moins qu'au cas où la Cour a établi un manquement d'un Etat à une telle disposition, le juge national doit, en vertu de l'autorité qui s'attache à l'arrêt de la Cour, tenir compte des éléments juridiques fixés dans celui -ci en vue de déterminer la portée des dispositions de droit commu­nautaire qu'il a mission d'appliquer (20).

CHAPITRE II

LES RECOURS EN ANNULATION

§}er. - LES ACTES SUSCEPTIBLES DE RECOURS

42. CONDITIONS TENANT A LA QUALITÉ DE L'AUTEUR. L'article 173 du traité ne prévoit expressément le recours en annulation que contre les actes du Conseil et de la Commission.

(19) Arrêt du 22 septembre 1988, 272/86, Commission c. République hellénique, pas encore publié au Recueil, attendu n° 31.

(20) Arrêt du 14 décembre 1982, 314 à 316/81 et 83-82, Procureur de la République c. Waterkeyn, Rec., 1982, p. 4337.

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Dans son i:tnportant arrêt Les Verts du 23 avril 1986, la Cour: a;

toutefois ouvert la possibilité d'agir en annulation contre les actes du Parlement européen. Elle souligne à cet égard << que la. Communauté économique européenne est une communauté de droit en ce que ni ses Etats membres, ni les institutions n'échap­pent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu'est le traité. Spécialement, par ses· articles 173 et 184, d'une part, et par son article 177, d'autre part, le traité a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité des actes des institutions >>. Si le Parlement européen ne figure pas expressément parmi les institutions dont les actes peuvent être attaqués, c'est<< parce que le traité C.E.E. dans sa version originaire ne lui conférait que des pouvoirs consultatifs de contrôle politique, et non celui d'adopter des actes destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers>>. L'exclusion des actes du Parlement européen de tout recours <<aboutirait à un résultat contraire tant à l'esprit du traité tel qu'il a été exprimé dans l'article 164 qu'à son système. Les actes que le Parlement européen adopte dans la sphère du traité C.E.E. pourraient, en effet, sans que la possibilité soit ouverte de les déférer au contrôle de la Cour, empiéter sur les compétences des Etats membres ou des autres institutions ou outrepasser les limites qui sont tracées aux compétences de leur auteur>>.

S'il est vrai que les conséquences de cet arrêt sont heureuses dans la mesure où il renforce le système de protection juridic­tionnelle du traité, on n'en émettra pas moins certaines réser­ves quant à la compétence de la Cour pour créer une nouvelle voie de recours en l'absence de tout texte écrit. Ainsi qu'elle l'avait reconnu à une autre occasion, la Cour ne peut << modifier de sa propre autorité les termes mêmes de sa compétence>> (1). A cet égard, l'affirmation selon laquelle le traité aurait <<établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité de~ actes des institutions>> apparaît davantage comme un postulat que'­comme une vérité démontrée.

(1) Arrêt du 17 février 1977, 66/76, Oonjéàérationfrançaise démocratique du travail, Rec., 1977, p. 306, 310.

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43. INEXISTENCE n'uN CRITÈRE FORMEL. -La Cour a con­firmé sa jurisprudence selon laquelle la possibilité d'agir en annulation ne dépend pas de la forme revêtue par l'acte attaqué. Ainsi, dans son arrêt 1 .B .M., la Cour a affirmé que << pour déter­miner si les mesures attaquées constituent des actes au sens de l'article 173 c'est ... à leur substance qu'il y a lieu de s'atta­cher ... Par contre, la forme dans laquelle des actes ou décisions sont pris est, en principe, indifférente ... >> (2).

Le fait que la décision puisse revêtir un caractère <<verbal>> n'exclut pas qu'elle puisse faire l'objet de recours (3).

44. LEs EFFETS JURIDIQUES PRODUITS.--'- La Cour a maintenu sa jurisprudence selon laquelle, pour pouvoir faire l'objet d'un recours en annulation, l'acte doit produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. L'acte doit fixer définitivement la position de l'institution qui l'adopte, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale. Il n'en va autrement que si des actes ou décisions pris au cours d'une procédure préparatoire consti­tuent le terme ultime d'une procédure spéciale distincte de celle qui doit permettre à l'institution de statuer su:r le fond (4).

A ce titre, la Cour a dénié le caractère d'acte décisoire à :

- un avis favorable donné par la Commission sur un projet d'investissement sidérurgique, nonobstant le fait qu'en vertu des règles en vigueur à l'époque l'existence d'un tel avis était un élément à prendre en considération par la Commission dans toute décision relative à l'octroi de quotas de production sup­plémentaires (5);

- la décision du Parlement européen de créer une commis­sion d'enquête sur la montée du fascisme et du racisme, une telle commission n'étant dotée que de pouvoirs d'étude et sa

(2) Arrêt du li noveinbre 1981, 60/81, International Business Machine Corporation, Rec., 1981, p. 2639, att. 9. , · (3) Arrêt du 9 février 1984, 316/82 et 40/83, Kohler, Rec., 1984, p. 641, 656.

(4) Arrêt du li noveinbre 1981, 60/81, International Business Machine Corporation, Rec., 1981, p. 2639, 2652. ·

(5) Arrêt du 19 septembre 1985, 63 et 147/84, Finsider, Rec., 1985, p. 2857, 2881.

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constitution ne concernant que l'organisation interne des tra­vaux du Parlement européen (6);

- l'intention manifestée par les services de la Commission de modifier le système d'attribution des marchés de services conclus dans le cadre de la Convention de Lomé (7);

- un télex par lequel la Commission communiquait à un organisme d'intervention agricole national son interprétation des dispositions du droit communautaire à appliquer (8).

§ 2. - LA QUALITÉ POUR AGIR

45. LE PARLEMENT. -Après que la Cour eut, par son arrêt Les Verts du 23 avrill986, admis la possibilité de recours contre les actes obligatoires du Parlement, on s'est demandé s'il ne s'ensuivait pas que cette institution a, de son côté, également qualité pour agir en anntùation des actes du Conseil et de la Commission. Plusieurs considérations militaient en ce sens : · outre le souci de maintenir l'égalité entre les institutions, on faisait valoir qu'en raison du parallélisme fréquemment affirmé par la Cour entre recours en carence et recours en annulation, le Parlement devrait se voir reconnaître la faculté d'agir en annulation puisqu'il peut agir en carence. Il paraissait nécessaire aussi de permettre au Parlement de demander l'annulation d'actes qui auraient été adoptés en méconnaissance des préro­gatives que lui reconnaît le traité.

La Cour a rejeté tous ces arguments par un arrêt du 27 sep­tembre 1988 {9). Pour la Cour, l'argument tiré du parallélisme avec le recours en carence est << fondé sur une prémisse in­exacte>>, un refus explicite d'agir opp,...,sé au Parlement ne le privant pas de la possibilité d'introduire un recours en ca­rence (10). Quant à la préoccupation d'équilibre entre institu­tions, la Cour souligne qu'elle n'est pas assurée dans le traité C.E.C.A., dans lequel les actes du Parlement peuvent faire l'objet d'un recours en annulation {Il) sans que le Parlement

(6) Ordonnance du Président de la Cour du 4 juin 1986, 78/85, Groupe des droites européennes, Rec., 1986, p. 1753, 1757.

(7) Arrêt du 27 septembre 1988, 114/86, Royaume-Uni c. Commission, pas encore puûlié au Recueil.

(8) Arrêt du 27 mars 1980, 133/79, Sucrimex, Rec., 1980, p. 1299, 1310. (9) 302/87, Parlement européen c. Conseil, pas encore publié au Recueil. (10) Attendu 17. (11) Article 38.

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soit habilité à exercer un recours contre les actes des autres institutions (12). La Cour relève encore que le Parlement n'est pas démuni de moyens de défendre ses prérogatives vis-à-vis des autres institutions, puisque l'article 155 du traité attribue à la Commission la responsabilité de veiller au respect des pré­rogatives du Parlement et d'introduire à cet effet les recours en annulation qui se révéleraient nécessaires, sans préjudice des recours pouvant être formés par les personnes physiques ou morales affectées par un acte adopté en méconnaissance des prérogatives du Parlement (13).

Cette motivation laisse perplexe. La conception selon laquelle un refus explicite d'agir ne met pas fin à la carence est en opposition avec toute la jurisprudence de la Cour dans ce domaine jusqu'à ce jour. La référence à la situation prévue par le traité C.E.C.A. n'apparaît guère pertinente si l'on tient compte de l'ampleur considérablement plus grande des pouvoirs du Parlement européen par rapport à ceux de l'ancienne As­semblée commune de la C.E.C.A. Enfin, l'idée selon laquelle le Parlement européen pourrait être adéquatement protégé par la Commission aboutit à sa mise en tutelle; elle est en outre totalement irréaliste dans les cas où le Parlement souhaiterait agir contre un acte de la Commission.

46. NoTION n'INDIVIDUALISATION PROCÉDURALE.- Laques­tion de savoir quand une personne privée est <<directement et individuellement concernée >> par un acte d'une institution communautaire a continué à donner lieu à une jurisprudence abondante; celle-ci se situe dans l'ensemble dans le prolonge­ment de celle décrite dans nos précédentes chroniques (14).

La principale innovation se situe dans la reconnaissance par la Cour du fait que la situation du requérant peut être<< indivi­dualisée>> au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité par sa participation à la procédure préalable à l'adoption de l'acte.

C'est surtout dans les domaines des réglementations anti­dumping et antisubventions, des ententes et positions domi­nantes et des aides d'Etats que cette évolution s'est fait re­marquer.

(12) Attendu 21. (13) Attendu 27. (14) Voy. Rev. crit. iur. belge, 1971, p. 528 à 537; 1978, p. 105 à 107.

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a) La réglementation antidumping et antisubventions.

Dans un arrêt du 4 octobre 1983, la Cour a reconnu qu'une association d'entreprises ayant déposé une plainte antisubven­tions avait un intérêt légitime à l'institution des mesures de­mandées, susceptible d'être protégé par la possibilité d'exercer un recours en annulation contre le refus ·de faire droit à sa plainte. Selon la Cour, on ne saurait refuser au plaignant le droit de soumettre au juge toutes considérations qui permet­traient de vérifier si la Commission a respecté les ·garanties procédurales accordées au plaignant par le règlement en la matière et si elle n'a pas commis d'erreur manifeste dans son appréciation des faits ou omis de prendre en considération des éléments essentiels qui seraient de nature à faire croire à l'exis­tence d'un effet de subvention, ou fait entrer dans sa motiva­tion des considérations constitutives d'un détournement de pouvoir (15).

Pour des raisons semblables, elle a reconnu le droit du plai­gnant dans une procédure antidumping d'attaquer la décision de la Commission refusant d'ouvrir la procédure {16). Le droit de recours appartient aussi aux entreprises exportatrices à l'égard desquelles des mesures antidumping ou antisubvention ont été adoptées, dans la mesure où ces entreprises peuvent démontrer qu'elles ont été identifiées dans le règlement imposant les mesures ou concernées par les enquêtes préparatoires (17).

En revanche, l'importateur dans la Communauté de produits frappés de droits antidumping ou compensateurs ne s'est pas vu reconnaître la faculté d'agir en annulation (18). En effet, pour la Cour, cet importateur est concerné par la mesure anti­dumping au même titre que tout autre importateur des produits en cause dans la Communauté; sa situation n'est donc pas suffisamment individualisée pour qu'il puisse agir en annulation. En outre, les règlements applicables en la matière lui ouvrent la possibilité, au cas où il considérerait l'imposition de droits antidumping ou antisubvention comme illégale, d'en exiger le remboursement devant les tribunaux nationaux. .

(15) Arrêt du 4 octobre 1983, 191/82, Fediol, Rec., 1983, p. 2913, 2934-2935. (16) Arrêt du 20 mars 1985, 264/82, Timex, Rec., 1985, p. 861, 866. (17) Arrêt du 21 février 1984, 239 et 275/82, Allied Corporation, Rec., 1984; p. 1005,

1030. (18) Arrêt du 6 octobre 1982, 307/81, .AZusuisse Itali.a, Rec., 1982,. p. 3463: arrê•

Allied Corporation, précité, p. 1031.

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE . 481

·Dans tous ces cas, c'est l'existence formellement prévue par les textes applicables d'une procédure préalable à l'adoption de l'acte et la participation, elle aussi formellement prévue, du requérant à cette procédure qui détermine le résultat auquel aboutit la Cour. Celui-ci est dans l'ensemble satisfaisant. Certes, sur le plan théorique, on peut s'étonner qu'un acte, qualifié de <<règlement>> et revêtant indubitablement une portée générale à l'égard de l'ensemble des opérateurs économiques, soit consi­déré comme concernant<< individuellement>> certains de ceux-ci. Dans sa jurisprudence précédente, la Cour s'était systématique.,. ment refusée à admettre qu'un acte puisse présenter un carac­tère général ou individuel suivant l'identité du requérant ( 19 ). En outre, même si l'on admet que les exportateurs dont l'identité est mentionnée dans le règlement soient considérés comme individuellement concernés par celui-ci, le caractère<< direct>> (20) de l'atteinte qu'ils subissent paraît douteux si l'on tient compte que l'importation de leurs produits dans la Communauté n'est pas généralement leur fait mais celui de tiers auxquels ils les vendent (21).

Plus grave, car discriminatoire, est la situation faite aux importateurs indépendants, ceux-ci se voyant privés de toute possibilité de recours direct et devant se satisfaire des recours internes qui leur sont éventuellement ouverts (22).

b) La réglementation des ententes.

Dans son arrêt Metro du 25 octobre 1977, la Cour avait considéré qu'une entreprise ayant déposé plainte contre un accord pouvait former un recours en annulation contre la décision d'exemption dont cet accord avait bénéficié par la suite (23).

(19) Arrêt du 14 décembre 1962, 16 et 17/62, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes, Rec., VIII, p. 901, 917; arrêt du 20 mars 1959, 18/57, Nold, Rec., V, p. 89, 112-113; ordonnance du Il juillet 1979, 60/79, Fédération nationale des produc­teurs de vin de table, Rec., 1979, p. 2429, 2432.

(20) On se souviendra en effet que selon l'article 173, alinéa 2, le requérant doit être concerné non seulement individuellement mais aussi directement par l'acte qu'il attaque.

(21). Voy. en ce sens les critiques de J. SCHWARZE, « Rechtsschutz gegen Anti­dumpingmassnahmen der EG l>, Europarecht, 1986, p; 217, 229.

(22) Sur la situation défavorable réservée aux· importateurs indépendants, voy. E. V AN GINDERACHTER, << La recevabilité des recours en matière de dumping et de subventions l>, Oah. dr. eur., 1987, p. 635 et suiv.

(23) Voy. notre précédente chronique, Rev. crit. fur. belge, 1978, p. 106' et 107.

Revue Critique, 1989, 3 - 31

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La Cour a ensuite étendu . cette solution au cas où la plainte du requérant fait l'objet d'un rejet par la Commission, sans que ce rejet s'accompagne d'une décision formelle d'exemption (24).

Ici aussi, on le voit, la participation du requérant à une procédure préalable formellement prévue suffit à individualiser sa situation au regard de l'article 173, alinéa 2.

c) Les aides des Etats.

Dans son arrêt du 28 janvier 1986 dans l'affaire Oofaz, la Cour a appliqué le même raisonnement dans le cas d'une entreprise à qui la Commission fait connaître son refus d'engager une procédure en vertu de l'article 93, § 2, du traité à l'encontre de mesures d'aide accordées à un Etat membre (25).

§ 3. -LES CAUSES D'OUVERTURE

A. - La violation d'une forme substantielle

47. LA NOTION DE<< FORME SUBSTANTIELLE>>. -Pour appré­cier si l'irrégularité formelle d'un acte est suffisamment impor­tante pour entraîner son annulation, la Cour examine si elle a pu exercer une influence sur le contenu de l'acte ou priver le requérant de la possibilité d'en contrôler la légalité.

Ainsi, la Cour a considéré que le fait que la Commission n'a pas précisé les dispositions de la réglementation dont elle faisait application, quoique regrettable, n'avait pas en l'espèce privé le requérant de la possibilité de contrôler l'application correcte de cette réglementation ni d'empêcher la Cour d'exercer sa mission de contrôle; elle a en conséquence rejeté ce moyen (26).

De même, elle a considéré que le manque de précision de la motivation d'un règlement <<ne suffit pas, à lui seul et compte tenu des antécédents bien connus des opérateurs économiques intéressés, pour considérer le règlement comme étant inva­lide >> (27).

(24). Arrêts du 11 octobre 1983, 210-81, Demo Studio, Rec,, 1983, p. 3045; du 28 mars 1985, 298/83, 0.1.0.0.1., Rec., 1985, p. 1106; du 17 novembre 1987, 142 et 156/84, British American .Tobaczo et R. J. Reynolds Industries, Rez., Ü187, p. 4487, 4571. ·

(25) Arrêt du 28 janvier 1986, 169/84, Oofaz, Rec., 1986, p. 391, 415. (26) O.J. 28 octobre 1981, 275/80 et 24/81, Krupp, Rec., 1981, p. 2489, 2512. ,(27) Arrêt du 12 décembrf:' 1985, 208/84, Vonk's Kaas, Rec., 1985, p •. 4025, 4043.

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Une erreur dans la transcription de la date à laquelle la décision attaquée a été adoptée ne constitue pas davantage la violation d'une forme substantielle si elle n'a causé aucun préjudice à la requérante, la décision devant prendre effet à la date de sa notification (28).

De même, une erreur dans la formulation d'un considérant d'un règlement dans une de ses versions linguistiques n'a pas été considérée comme susceptible d'entacher sa validité étant donné qu'elle n'avait exercé aucune influence sur le contenu de l'acte (29). Il en a été jugé de même dans le cas d'une réfé­rence incorrecte faite, dans les visas d'un règlement, à l'avis favorable du comité de gestion, alors qu'aucun avis n'avait en l'espèce été émis par ce comité. En effet l'absence d'avis -par opposition à l'existence d'un avis négatif - n'entraînait aucune conséquence juridique (30).

L'omission dans les visas d'une directive du Conseil de toute référence permettant d'identifier la proposition de la Commis­sion ne constitue pas non plus une violation d'une forme sub­stantielle du moment qu'il est constant que la directive a été adoptée sur proposition de la Commission {31).

Pour les mêmes raisons, une erreur dans le choix de la base juridique d'un acte du Conseil constitue un vice purement formel et n'entraîne pas la nullité de l'acte si cette erreur n'a pas eu de conséquences quant aux conditions d'adoption de l'acte. En l'espèce, le Conseil avait fondé la décision de conclure une convention internationale sur l'article 235 du traité, alors qu'il aurait dû selon la Cour la fonder sur les articles 28 et 113. Néanmoins, un vote unanime étant exigé tant en vertu de l'article 28 que de l'article 235, l'irrégularité n'avait pas tiré à conséquence. Le fait que le Conseil avait consulté le Parlement européen - formalité exigée par l'article 235 mais non par l'article 28 -n'avait pas non plus eu de conséquences puisque le Conseil a toujours la faculté de recourir à cette consultation

(25) Arrêt du 7 avril 1987, 32/56, Sisma, Rec., 1987, p. 1645, 1666. (26) Arrêt du 17 juin 1987, 424 et 425/55, Frizo, Rec., 1987, p. 2755, 2793. (30) Arrêt du 20 octobre 1987, 128/85, Royaume d'Espagne c. Conseil et Commission,

Recueil, 1987, p. 4171, 4196. (31) Arrêt du 23 février 1988, 68/86, Royaume-Uni c. Conseil, pas encore publié

au Recueil.

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même lorsqu'elle n'est pas obligatoirement prévue par le traité (32).

48. L'oBLIGATION DE CONSULTATION. -Dans un important arrêt du 29 octobre 1980, la Cour a jugé que la consultation du Parlement européen est le moyen qui permet à celui-ci <<de participer effectivement au processus législatif de la Com­munauté. Cette compétence représente un élément essentiel de l'équilibre institutionnel voulu par le traité. Elle est le reflet, bien que limité, au niveau de la Communauté, d'un principe démocratique fondamental selon lequel les peuples participent à l'exercice du pouvoir par l'intermédiaire d'une assemblée représentative. La consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue dès lors une formalité sub­stantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l'acte con­cerné>> (33).

Si la Commission modifie sa proposition initiale après la con­sultation du Parlement européen, une nouvelle consultation n'est. pas requise si les changements introduits ne concernent que la méthode plutôt que le fond (34).

De même, la Cour a admis que le Conseil puisse, dans un règlement de base adopté après consultation du Parlement européen, prévoir l'adoption de dispositions d'exécution à arrê­ter par lui selon une procédure différente, n'impliquant pas l'intervention du Parlement.

On ne saurait en effet exiger que, dans les cas où la consulta­tion du Parlement est prévue, tous les détails des règlements à adopter soient établis par le Conseil en suivant cette procé­dure (35).

S'agissant de l'obligation pour la Commission de recueillir l'avis conforme du Conseil spécial de ministres prévue par l'ar­ticle 58 du traité C.E.C.A., la Cour a considéré que, le traité

(32) Arrêt du 27 septembre 1988, 165/87, Commission c. Conseil, pas encore publié au Recueil.

(33) Arrêt du 29 octobre 1980, 138/79, Roquette, Rec., 1980, p. 3333, 3361. (34) Arrêt du 15 décembre 1982, 532, 534, 567, 600, 618 et 660/79, Amesz, Rec.,

1982, p. 44~5; idem, 543/79, Birke, Rec., 1982, p. 4425; idem 799/79, Bruckner, Rec., 1982, p. 4525.

(35) Arrêt du 27 septembre 1979, 230/78, Eridania, Rec., 1979, p. 2749, 2765; voy. aussi arrêts du 19 janvier 1984, 211/80, Advernier, Rec., 1984, p. 131, 145-146, at 262/80, Andersen, Rec., 1984, p. 177, 193.

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ne fixant pas les modalités de cette concertation, il appartenait aux deux institutions de l'organiser d'un commun accord et dans le respect de leurs compétences respectives. L'article 58 est respecté dès lors que cette collaboration aboutit à l'assenti­ment du Conseil au régime que la Commission se propose d'in­stituer, sans qu'il soit nécessaire d'obliger les deux institutions à examiner un projet de décision articulé en détail (36).

49. L'oBLIGATION DE MOTIVATION. - La Cour a considéré que l'absence de référence à une disposition précise du traité dans les visas d'un règlement était susceptible d'entacher la légalité de celui-ci si l'acte dans son ensemble ne permettait pas de déterminer la base juridique sur laquelle il avait été adopté (37).

En ce qui concerne les actes normatifs, la Cour s'en est tenue à sa jurisprudence selon laquelle il suffit que les motifs indiqués expliquent l'essentiel de la mesure adoptée, sans qu'on puisse exiger une motivation spécifique à l'appui de tous ses détails. Ainsi, elle a admis que la motivation d'un acte normatif puisse ressortir non seulement de son libellé, mais aussi de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (38). De même, lorsqu'un règlement ne fait que maintenir en vigueur des dispositions existantes, il n'a pas à être spécialement mo­tivé, lorsque les conditions ayant motivé l'adoption de la régle­mentation ne se sont pas modifiées (39).

S'agissant du point de savoir si la participation du requérant à la procédure d'élaboration de la décision attaquée justifie l'adoption d'une motivation moins détaillée, le requérant étant censé connaître les raisons ayant inspiré l'acte (40), la jurispru­dence de la Cour montre une certaine hésitation. A côté de cer­tains arrêts qui adoptent ce raisonnement {41), on en trouve d'autres qui s'inspirent de 'la conception classique - et à notre

(36) Arrêts du 11 mai 1983, 244/81, Klockner, Rec., 1983, p. 1451, 1477; 311/81 et 30/82, KlOckner, Rec., 1983, p. 1549, 1565; 136/$2, Klockner, Rec., 1983, p. 1599, 1615.

(37) Arrêt du 26 mars 1987, 45/86, Commission c. Oonseil, 1987, p. 1493, 1519. (38) Arrêt du 23 février 1978, 92/77. An Bord Bainne. Rec., 1978, p. 497. 515. (39) Arrêt du 25 mai 1978, 136/77, Racke, Rec., 1978. p. 12450 1258. (40) Voy. notre précédente chronique, Rev; crit. fur. belge, 1978; p. 107. (41) Voy. notamment arrêt du li décembre 1980~ 1252/79, Lucchini, Rec., 1980,

p. 3753, 3765; 14 janvier 1981, 819/79, République fédérale d'Allemagne c. Commission, Rec., 1981, p. 21, 36> ·

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avis préférable __:_ selon laquelle la motivation d'un acte doit permettre non seulement au destinataire mais aussi aux tiers éventuellement concernés de comprendre les raisons ayant motivé son adoption. Ainsi, dans un arrêt du 13 mars 1985, la Cour affirme que <<l'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du con­tenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directe­ment et individuellement par l'acte, au sens de l'article 173, alinéa 2, du Traité peuvent avoir à recevoir des explica­tions >> ( 42).

S'il est vrai que cette formule est moins large que celle utilisée dans l'arrêt du 4 juillet 1963 (43), laquelle insistait sur l'intérêt pour les Etats membres et pour tous les intéressés de connaître les conditions dans lesquelles les institutions font application des traités, il n'en reste pas moins qu'elle est plus satisfaisante que la jurisprudence qui limite au seul destinataire d'un acte la garantie d'être informé des raisons qui ont conduit à son adoption.

B. - La violation d'une règle de fond.

50. LE CONTRÔLE DE L'APPRÉCIATION DES FAITS. - La Cour a généralement continué à faire preuve de réserve dans l'exer­cice de son contrôle sur l'appréciation des faits effectuée par la Commission et le Conseil. Ainsi, elle a considéré que l'évalua­tion des coûts de production dans l'industrie de l'amidon repo­sait sur des éléments <<difficiles à saisir avec exactitude>>, compte tenu de l'existence d'un grand nombre d'entreprises de taille et de structure économique différentes et situées dans différents Etats membres. Elle en conclut que, <<dans une telle situation, le pouvoir discrétionnaire dont le Conseil jouit dans l'appréciation d'une situation complexe ne s'applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base, notamment dans ce sens qu'il est loisible

(42) 296 et 318/82, Leeuwaarder Papierwarenfabriek, Rea., 1985, p. 810, 823; voy. aussi arrêt du 1er juillet 1986, 185/85, Usinor, Rec., 1986, p. 2079, 2098.

(43) 24/62, République fédérale d'Allemagne c. Commission, Rec., IX, p. 129, 143; voy. à ce sujet notre précédente chronique, Rev. cril. fur. belge, 1971, p. 538.

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au Conseil de se baser, le cas échéant, sur des constatations globales>> (44).

Lorsqu'il s'agit d'apprécier si la Commission a correctement appliqué l'article 85, § 1er, du traité, la Cour adopte une ligne nuancée. Tout en affirmant que, de manière générale, elle exerce<< un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d'application de l'article 85, §1er, se trouvent ou non réunies>>, elle a ajouté, dans un cas d'espèce, que<< la détermination de la durée admissible d'une clause de non-concurrence, insérée dans un accord de cession d'entreprise, exige, de la part de la Com­mission, des appréciations économiques complexes>>. Son con­trôle sur de telles appréciations se limite <<à la vérification du respect des règles de procédure, du caractère suffisant de la motivation, de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pou­voir>> ( 45).

On pouvait penser que cette réticence s'expliquait par le caractère particulièrement délicat de la question d'appréciation qui était soumise à la Cour en l'espèce et qu'il s'agissait dès lors d'un cas exceptionnel. Toutefois, dans un arrêt récent en matière de dumping, la Cour a fait preuve de la même réserve dans une situation où le problème qu'elle avait à résoudre revêtait un caractère juridique beaucoup plus prononcé. Il s'agissait du choix entre les différentes méthodes de calcul de la marge de dumping. Se référant à son arrêt Remia du 11 juillet 1985, elle déclare que <<le juge doit limiter le contrôle qu'il exerce sur une telle appréciation à la vérification du respect des règles de procédure, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits, ou de l'absence de détournement de pouvoir>> (46).

Cette attitude très réservée paraît en retrait par rapport à la jurisprudence antérieure. Ainsi, dans son arrêt Geitling du 20 mars 1957, la Cour avait considéré que le point de savoir si un contrat fausse ou restreint la concurrence dépend <<d'une

(44) Arrêt du 12 juillet 1979, 166/78, Italie c. Oonseil, Rec., 1979, p. 2575, 2599; voy. aussi l'arrêt du 29 octobre 1980, 138/79, Roquette, Rec., 1980, p. 3333, 3358.

(45) Arrêt du 11 juillet 1985, 42/84; Remia, Rec., 1985, p. 2547, 2575. (46) Arrêt du 7 mai 1987, 255/84, Nachi Fufikoshi, Rec., 1987, p. 1861, 1890.

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appréciation purement. juridique de la réglementation commer-:­ciale, sans qu'il soit nécessaire pour cela de relever et d'apprécier les circonstances économiques>> et n'avait ·pas hésité à pleine­ment exercer son contrôle (47).

C. - Le détournement de pouvoir.

51. LE DÉTOURNEMENT DE PROCÉDURE. - Dans plusieurs arrêts, la Cour a considéré que le détournement de pouvoir con~ siste dans le fait d'user d'un pouvoir dans le but exclusif ou, à t'out le moins déterminant, d'éluder une procédure spécialement prévue par le traité. Il en est ainsi lorsque la Commission adopte une décision générale en vue d'éviter l'examen individuel que nécessiterait le recours à la procédure. explicitement prévue par le traité (48), lorsqu'elle fonde sa décision sur une disposition du traité prévoyant la nécessité d'un avis conforme du Conseil alors qu'elle a le pouvoir d'agir indépendamment (49) ou lors­qu'elle incite un Etat membre à retirer une demande et à en réintroduire une nouvelle dans le seul but de prolonger .le délai dont elle dispose pour prendre position (50).

§ 4. -EFFETS DE L'ARRÊT n'ANNULATION.

52. EFFETS SUR LA LÉGALITÉ D'ACTES POSTÉRIEURS. - Dans un important arrêt du 26 avrill988, la Cour de justice a affirmé que l'article 176 du traité oblige l'institution dont l'acte a été annulé à respecter non seulement le dispositif de l'arrêt mais aussi les motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire en ce sens qu'ils sont indispensables pou~ déterminer le sens exact de ce qui a été jugé. Il s'ensuit que l'institution doit éliminer l'illégalité non seulement de l'acte destiné à se substituer à l'acte annulé mais qu'elle peut être dans l'obligation de l'éliminer aussi des textes déjà intervenus

(47) 2/56; Rec., III, p. Il, 41; voy. à ce sujet notre précédente chronique Rev. crit. jur. belge, 1971, p. 542. · ·

(48) Arrêt du 21 février 1984, 140, 146, 221 et 226/82, Walzstahlvereinigung, Rec., 1984, p. 951, 985.

(49) Arrêt du 21 juin 1988, 32, 52 et 57/87, Industrie Siderurgiche Associate, pas enc()re publié au Recueil. · · . , .

(50) Arrêt du 2.2 septembre 1988, 148/87, Frydendahl Pedersen, pas encore p~blié au Recueil.

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lors de l'arrêt d'annulation et qui régissent des périodes posté­rieures. Une telle obligation n'existe toutefois pas à l'égard de textes régissant des périodes antérieures si ceux-ci n'ont pas été attaqués dans les délais(51).

CHAPITRE III

LE RECOURS EN CARENCE

53. LE DROIT DE RECOURS DU PARLEMENT EUROPÉEN. Contrairement à l'article 173 du traité, qui ne reconnaît expres­sément le droit de recours qu'au Conseil et à la Commission, l'artiCle 175 prévoit que le recours en carence peut être exercé par<< les Etats membres et les autres institutions de la Commu­nauté>>. Dans son arrêt du 22 mai 1985, la Cour a confirmé que cette disposition prévoyait ainsi << une même faculté d'intenter ce recours pour toutes les institutions de la Communauté. On ne saurait restreindre, pour l'une d'entre elles, l'exercice de cette faculté sans porter atteinte à sa position institutionnelle voulue par le traité>>. La circonstance que le Parlement européen est en même temps l'institution qui a pour mission d'exercer un contrôle politique sur les activités de la Commission et du Conseil n'est pas, de l'avis de la Cour, <<de nature à affecter l'interprétation des dispositions du traité relatives au droit de recours des institutions>> {1).

54. LA SAISINE PRÉALABLE. - Le recours en carence n'est recevable que si le requérant a, au préalable, saisi l'institution défenderesse en vue de l'inviter à agir. La Cour a confirmé sa jurisprudence selon laquelle cette saisine doit laisser . << claire­ment apparaître que la Commission est invitée à arrêter une décision formelle>> (2). L'objet de la saisine doit être pré-cisé de manière à faire apparaître la décision que la Commission aurait dû prendre (3).

(51) Arrêt du 26 avril 1988, 97, 193, 99 et 215/86, Asteris, pas encore publié au Recueil.

(1) Arrêt du 22 mai 1985, 13/83, Parlement c. Conseil, Rec.,. 1985, p. 1515, 1588; Oah. dr. eur., 1986, p. 44, note B. Maury.

(2) Arrêt du 10 juin 1986, 81 et 119/85~ Usinor, Rec., 1986, p. 1796. (3) Arrêt du 6 mai 1986, 25/85, Nuovo Oampsider, Rec., 1986, p. 1531, · 1539. •

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55. LA PRISE DE POSITION DE L'INSTITUTION. - Jusqu'à récemment, la Cour avait régulièrement considéré que, lorsque l'institution refuse explicitement l'adoption de l'acte obligatoire demandé par le requérant, cette prise de position met fin à la carence et doit être attaquée par un recours en annulation en vertu de l'article 173 (4). Tout récemment, par un arrêt du 15 décembre 1988 (5), elle a confirmé ce point de vue et déclaré irrecevable un recours en carence formé après que la Commission eut rejeté explicitement la demande du requérant sans que celui-ci n'ait déféré cette prise de position à la Cour dans le délai du recours contentieux.

Assez étrangement, toutefois, dans son arrêt du 27 septembre 1988 déniant au Parlement européen qualité pour agir en annulation (6), la Cour affirme qu'<< un refus d'agir, si explicite soit-il, peut être déféré à la Cour sur la base de l'article 175, dès lors qu'il ne met pas fin à la carence>>. Il est trop tôt pour que l'on puisse dire s'il s'agit d'une simple <<bavure>> ou d'une volonté réfléchie de· remettre en cause la jurisprudence anté-: rieure. L'arrêt rendu le 15 décembre 1988 dans l'affaire Irish Cement Ltd. semblerait faire pencher en faveur de la première hypothèse.

56. INTERVENTION DE LA PRISE DE POSITION APRÈS L'EXPIRA­TION nu DÉLAI. - Lorsque la prise de position négative inter­vient après l'expiration du délai de carence, la question de savoir si elle peut - et doit - faire l'objet d'un recours en annulation est discutée. Sous l'empire du traité C.E.C.A., l'avo­cat général Mayras avait estimé qu'en pareille situation le recours en annulation est irrecevable, étant dirigé contre un acte nécessairement confirmatif du refus implicite résultant de l'expiration du délai de carence (7). S'agissant du traité C.E.E., en revanche, l'avocat général Darmon considère que l'objet du recours en carence étant différent de celui du recours en annula­tion, la recevabilité du recours en carence et celle du recours

(4) Voy. notre précédente chronique, Rev. crit. fur. belge, 1971, p. 549; voy. aussi J. MÉGRET et autres, Le droit de la Communauté économique européenne, vol. X, t. rer, p. 160 et 171.

(5) 166 et 220/86, Irish Cement Ltà., pas encore publié au Recueil. (6) Voy. à ce sujet supra, n° 45. (7) Conclusions dans l'affaire 114/75, Nalional Carbonising Company, Rec., 1977,

p. 381, 386.

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en annulation contre l'acte intervenu après l'expiration du délai de carence doivent être examinées séparément (8).

En revanche, si l'institution fait droit aux prétentions du requérant après l'expiration du délai de carence, voire même après le dépôt de la requête, la Cour considère que le recours n'a plus d'objet (9).

CHAPITRE IV

L'EXCEPTION D'ILLÉGALITÉ

57. CARACTÈRE INCIDENT. - Comme la Cour l'avait déjà indiqué dans son arrêt Wohrmann du 14 décembre 1962 (1}, la possibilité que donne l'article 184 du traité d'invoquer l'inappli­cabilité d'un règlement ne constitue pas un droit d'action autonome mais ne peut être exercée que de manière incidente. En l'absence d'un droit de recours principal, le requérant ne saurait invoquer l'article 184 (2).

58. AcTES CONTRE LESQUELS L'EXCEPTION PEUT ÊTRE SOU­LEVÉE. - L'article 184 du traité ne prévoit explicitement la possibilité d'invoquer l'exception d'illégalité qu'à l'égard des règlements. La Cour a néanmoins admis la possibilité de l'invo­quer contre tout acte de portée générale qui constitue la base juridique de la décision attaquée. Elle a affirmé que l'article 184 <<est l'expression d'un principe général assurant à toute partie le droit de contester, en vue d'obtenir l'annulation d'une décision qui la concerne directement et individuellement, la validité des actes institutionnels antérieurs, constituant la base juridique de la décision attaquée, si cette partie ne disposait pas du droit d'introduire, en vertu de l'article 173 du traité, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d'en demander l'annulation>>. Le

(8) Conclusions dans l'arrêt 166 et 220/86, Irish Cement Ltà., pas encore publié a.u Recueil.

(9) .Arrêts du 12 juillet 1988, 377/87, Parlement européen c. Conseil, et 383/87, Com­mission c. Conseil, pas encore publiés au Recueil; voy. déjà. l'arrêt du 23 avril 1956, 7 et 9/54, Groupement des industries sidérurgiques luxembourgeoi11es, Rec., II, p. 53, 89.

(1) Voy. notre précédente chronique, Rev. crit. fur. belge, 1971, p. 554. (2) Arrêt du 16 juillet 1981, 33/80, Albini, Rec., 1981, p. 2141, 2157; arrêt du

Il juillet 1985, 87 et 130/77, 22/83, 9 et 10/84, Salerno, Rec., 1985, p. 2524, 2536.

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champ d'application dudit article s'étend dès lors à ·tous· les actes << qui, s'ils n'ont pas la forme d'un· règlement, produisent cependant des effets analogues >>. La -Cour a justifié .cette inter­prétation large par<< la nécessité d'assurer un contrôle de légalité en faveur des personnes exclues par l'alinéa 2 de l'article '173 du recours direct contre les actes de caractère général>> (3).

S'il s'agit d'un acte de caractère individuel que le requérant aurait pu attaquer par un recours direct, l'article 184 ne peut être invoqué une fois expiré le délai de ce recours. En effet, une telle possibilité <<serait inconciliable avec les principes régissant les voies de recours instituées par le traité, et porterait atteinte à la stabilité de ce système ainsi qu'au principe de la sécurité juridique dont celui-ci s'inspire >> ( 4).

59. pAR QUI L'EXCEPTION PEUT-ELLE ÊTRE INVOQUÉE ~ ·­

Le raisonnement adopté dans l'arrêt Simmenthal du 6 -mars 1979 (5) conduit à s'interroger sur la possibilité pour les Etats membres, le Conseil et la Commission d'invoquer l'exception d'illégalité. Dans la mesure où la Cour considère que le but essentiel de l'article 184 est de remédier à l'absence de recours direct des personnes physiques ou morales contre les actes de portée générale, il n'apparaît pas nécessaire de l'étendre aux Etats membres, au Conseil et à la Commission, ceux-ci dispo.., sant du droit d'attaquer tout acte obligatoire, même général~

Cet argument a été invoqué par la .Commission dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 12 février 1987 (6). La Commission soutenait qu'un Etat membre ne peut invoquer l'article 184 à l'encontre d'un acte général que s'il peut démon.., trer qu'il n'aurait pu se rendre compte, lors de l'adoption ·d~ l'acte,_ des conséquences que celui-ci pourrait entraîner pou,r lui. Malheureusement, la Cour ne s'est pas prononcée, mais a rejeté le recours pour des raisons de fond (7). Dans ses conclu­sions, l'avocat général Sir Gordon Slyrm avait pris fermement position à l'encontre de la thèse soutenue par la Commission,

(3) Arrêt du 6 mars 1979, 92/78, Simmenthal, Rec., 1979, p. 777, 800. (4) Arrêt. du. 12 octobre 1978, 156/77; Commission c. Belgiqüe, Rec., 1978, p. 1881,

189,7; voy. aussi arrêt .du 19 octobre 1983, 265/82, U8inor, Rec., 1983, p. 3105, 3115; arrêt du 12 juillet.1984, 81/83, BustJine, Rec., 1984, p. 2951, 2961-2962.

(5) Voy. supra, no 58. · .(6) 181/85, France c. Commission, Rec-., p .. 689. (7) Ibid., p. 717.

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soulignant que l'expression <<toute partie)) employée à l'ar­ticle 184 <<veut bien dire ce qu'elle dit et non pas "toute partie autre qu'un Etat membre" )). Selon lui, un Etat membre n'a pas à démontrer, pour pouvoir invoquer l'article 184, qu'il avait de bonnes raisons de ne pas agir dans les délais au titre de l'ar­ticle 173 ou qu'il a été surpris par la façon dont l'acte litigieux a été appliqué.

Nous nous rallions à ce point de vue. Limiter la possibilité pour les Etats membres d'invoquer l'article 184 au cas où ils sont en mesure d'établir qu'ils étaient dans l'incapacité d'aper­cevoir l'ensemble des conséquences que l'adoption d'un acte général pourrait a voir pour eux reviendrait à introduire une insécurité juridique considérable. Ce serait en outre soumettre les Etats, le Conseil et la Commission à un régime moins favo­rable que celui qui est fait aux personnes privées.

CHAPITRE V

LE RECOURS EN INDEMNITÉ

60. L'ILLÉGALITÉ COMME CONSTITUTIVE DE FAUTE. - Il est bien établi que la simple illégalité d'un acte ne suffit pas par elle-même à établir l'existence d'une faute ni à engager la responsabilité de la Communauté. Lorsque la mesure illégale est prise dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, la juris­prudence de la Cour exige que l'on se trouve en présence d'une <<violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit supé­rieure destinée à protéger les particuliers)) (1).

L'application donnée par la Cour à cette formule est très restrictive. Ainsi, dans l'arrêt Poudre de lait (2), la Cour affirme qu' << il peut être exigé du particulier qu'il supporte, dans des limites raisonnables, sans pouvoir se faire indemniser par les fonds publics, certains effets préjudiciables à ses intérêts écono­miques engendrés par un acte normatif, même si celui-ci est reconnu non valide)). La responsabilité de la Communauté ne pourrait être engagée que <<si l'institution concernée avait mé-

(1) Voy. notre précédente chronique, Rev. crit. fur. belge, 1978, p. Ill. (2) Arrêt du 25 mai 1978, 83 et 94/76, 4, 15 et 40/77, Bayensche H.N.L., Rec., Ig78,

p. 1209, 1224-1226.

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connu, de manière manifeste et grave, les limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs>>.

Dans l'arrêt lsoglucose (3}, elle considère que le fait qu'un règlement du Conseil ait imposé aux producteurs d'isoglucose des charges <<manifestement inégales>> par rapport à celles imposées aux producteurs de sucre ne signifie pas pour autant <<que, dans la perspective de l'appréciation de l'illégalité de l'acte au regard de l'article 215 du traité, le Conseil a méconnu, de manière grave et manifeste, les limites qui s'imposent à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire>>. Même si, en l'espèce, la fixation de la cotisation à la production d'isoglucose était entachée d'erreurs, il ne s'agissait pas d'<< erreurs d'une telle gravité qu'on saurait dire que le comportement des institutions défenderesses à cet égard confinerait, en tant que tel, à l'arbi­traire>>. La cotisation avait été décidée pour faire face à une situation d'urgence et dans des circonstances qui, conformément aux principes énoncés à l'article 39 du traité, auraient permis une certaine préférence en faveur de la betterave dont la pro­duction communautaire était excédentaire, tandis que la pro­duction communautaire du maïs utilisé pour fabriquer l'isoglu­cose était largement déficitaire. ll en résultait, selon la Cour, que le Conseil et la Commission << n'ont pas mécom1u de manière suffisamment (4) grave les limites qu'ils devaient respecter dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire dans le cadre d.e la politique agricole commune pour que la responsabilité non contractuelle de la Communauté soit engagée>>.

Contrairement à ce que nous avions cru pouvoir prédire dans notre précédente chronique (5}, pour que la responsabilité de la Communauté soit engagée, il faut donc plus qu'une <<erreur manifeste>> susceptible d'entraîner l'annulation ou l'invalidité en vertu de l'article 173 ou de l'article 177. Le règlement en cause dans l'affaire Isoglucose avait en effet été déclaré invalide au motif qu'il entraînait une inégalité << manifeste >> entre pro­ducteurs de sucre et d'isoglucose, sans que cela soit suffisant pour que la responsabilité de la Communauté soit engagée.

(3) Arrêt du 5 décembre 1979, 116 et 124/77, Amylum., Rec., 1979, p. 3497, 3561-3562.

(4) C'est nous qui mettons en italique. (5) Rev. crit. jur. belge, 1978, p. 111-112.

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Une interprétation aussi restrictive signifie qu'il est pratique­ment impossible d'obtenir la réparation du préjudice causé par un acte.normatif entaché d'illégalité (6).

61. RESPONSABJLITÉ SANS FAUTE.- La Cour n'a jamais exclu de façon absolue l'hypothèse d'une responsabilité sans faute. Déjà dans son arrêt Lütticke du 28 avrill97l, elle avait laissé la voie ouverte à sa reconnaissance (7). Toutefois, le caractère restrictif de sa jurisprudence rend peu probable qu'elle admette une telle responsabilité en pratique. Dans une affaire où la requérante se référait aux concepts de droit allemand de<< sacri­fice spécial>> (Sonderopfer) et de<< rupture de l'égalité devant les charges publiques>>, la Cour a rappelé sa jurisprudence selon laquelle le recours en réparation à raison d'un acte normatif illégal ne peut être accueilli que lorsque le dommage allégué par le requérant dépasse les limites des risques économiques inhérents aux activités du secteur concerné. Elle ajoute qu'<< une telle règle devrait a fortiori recevoir application dans l'hypo­thèse où un régime de responsabilité sans faute serait admis en droit communautaire>>. Or, en l'espèce, les limites de ces risques économiques n'avaient pas été dépassées, la requérante pou­vant s'attendre à ce que les mesures qu'elle critiquait soient adoptées ( 8).

62. DÉLAI. - L'action en indemnité peut être intentée dès le moment où le dommage allégué est imminent et prévisible avec une certitude suffisante, même si le préjudice ne peut pas encore être chiffré avec précision ( 9).

(6) Le seul.cas dans 1equella Cour ait accordé une réparation peut s'expliquer par le fait qu'il s'agissait de préciser les conséquences découlant de la déclaration d'invali­dité de règlements qui avaient supprimé un avantage auquel les requérants avaient droit. Le problème posé relevait ainsi davantage de l'article 176 que de l'article !.78. Voy. les arrêts du 4 octobre 1979, 64 et 113/76, 167 et 239/78, 27, 28 et 45/79, Dumoreier Frères, Rev., 1979, p. 3091; 241,242, 245 à 250/78, D.G.V., Rev., 1979, p. 3017; voy. aussi MÉGRET et autres, op. vit., p. 290.

(7) 4/69, Rev., 1971, p. 325, 337 et 338. Voy. notre précédente chronique, Rev. vrit. jur. belge, 1971, p. 557.

(8) Arrêt du 6 décembre 1984, 59/83, Biovilav, Rev., 1984, p. 4057, 4080-4081. Voy. aussi l'arrêt du 24 juin 1986, 267/82, Développement et Olemessy, Rev., 1986, p. 1907, 1922.

(9) Arrêt du 2 juin 1976, 56 à 60/74, Kampffmeyer, Rev., 1976, p. 711, 742; arrêt du 2 mars 1977, 44/76, Eier-Kontor, Rev., 1977, p. 393, 407; arrêt du 6 décembre 1984, 59/83, Biovilav, précité; arrêt du 29 janvier 1985, 147/83, Binderer, Rev., 1985, p. 258, 272.

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On s'est demandé si cette jurisprudence favorable au requé­rant ne risquait pas d'aboutir à ce que le délai de prescription commence à courir dès avant que le montant du dommage ait pu être établi avec certitude (10). La Cour n'en a pas jugé ainsi. Par plusieurs arrêts rendus le 27 janvier 1982, elle a décidé que le délai de prescription ne court pas avant que ne soient réunies toutes les conditions auxquelles est subordonnée l'obligation de réparer, et notamment avant que le dommage soit concré­tisé (Il).

CHAPITRE VI

LA PROCÉDURE DES QUESTIONS PRÉJUDICIELLES

§1er. - LA PROCÉDURE DEVANT

LES JURIDICTIONS NATIONALES.

63. DISPOSITIONS POUVANT FAIRE L'OBJET D'UN RENVOI. -

Seuls le traité, les actes pris par les institutions de la Commu­nauté et les statuts des organismes créés par un acte du Conseil peuvent faire l'objet d'un renvoi préjudiciel en vertu de l'ar­ticle 177 du traité. La Cour a dès lors jugé qu'elle était incom­pétente pour donner l'interprétation préjudicielle d'une conven­tion entre associations privées d'assureurs à la conclusion de laquelle aucune institution ou organe communautaire n'avait participé. Le fait que la conclusion de cette convention fût la condition de mise en vigueur d'une directive du Conseil et que la durée d'application de la directive ait été conditionnée par celle de cètte convention n'a pas entraîné une solution diffé-:­rente, pas plus que le fait que la Commission avait constaté la ~onformité de la convention aux exigences de la directive et que la convention avait été publiée au Journal Officiel (1).

La Cour n'est pas compétente non plus pour se prononcer sur l'interprétation des accords complémentaires conclus entre

(10) P. OLIVER, <<Limitation of Actions Before the European Court>>, European Law Review~ 1978, p. 3, 12.

(11) Arrêts du 27 janvier 1982, 256, 257, 265, 267/80 et 5/81, Birra Wilhrer, Rec., 1982, p. 85, 106; 51/81, De Franceschi; Rec., 1982, p. 117, 134.

(1) Arrêt du 6 octobre 1987, 152/83, Demouche, Recueil, 1987, p. 3833, 3853;

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les Etats membres en vue de réaliser certains des objectifs du traité, sauf lorsque ces accords attribuent eux-mêmes compé­tence à la Cour pour le faire (2). Le seul fait que ces accords présentent des liens avec la Communauté et le fonctionnement de ses institutions ne suffit pas pour que l'on puisse les considérer comme partie intégrante du droit communautaire dont l'uni­formité d'interprétation dans toute la Communauté relève de la compétence de la Cour (3).

On s'est demandé si la Cour pouvait être saisie à titre pré­judiciel de la validité d'un acte individuel contre lequel son destinataire aurait omis d'exercer en temps utile le recours en annulation. En faveur d'une réponse négative, on pouvait faire valoir l'analogie avec l'article 184 qui ne permet de soulever l'exception d'illégalité qu'à l'égard d'actes à caractère général ( 4).

Dans son arrêt du 12 octobre 1978 (5), la Cour paraît avoir écarté cet argument. Elle affirme en effet<< que la validité d'un acte communautaire peut ... être mise en cause, nonobstant l'expiration du délai fixé à l'article 173, alinéa 3, par le biais de la procédure à titre préjudiciel dont il est question à l'article 177 du traité>>. A notre avis, cette solution résulte du système de l'article 177. C'est en effet au tribunal national qu'il appartient d'apprécier si une décision de la Cour de justice est nécessaire pour trancher le litige qui lui est soumis. S'il estime que la solution dépend de la validité d'une décision individuelle adressée à l'une des parties en cause, rien ne lui interdit d'en saisir la Cour de justice (6).

64. LA NOTION DE JURIDICTION. - La Cour considère que toute juridiction, au sens organique du terme, peut la saisir dans le cadre de l'article 177 même lorsque cette juridiction

(2) Tel est le cas notamment du protocole du 3 juin 1971 attribuant à la Cour de justice la compétence d'interpréter, à titre préjudiciel, les dispositions de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matières civile et commerciale. Voy. aussi le Protocole du 19 décembre 1988 donnant compétence à la Cour pour interpréter la Convention du 19 juin 1980 relative à la loi applicable en matière contractuelle, J.O.O.E. n° L 48 du 20 février 1989, p. l.

(3) Arrêt du 15 janvier 1986, 44/84, Hurd c. Jones, Rec., 1986, p. 29, 76-77. (4) Voy. supra, no 58. (5) Cité supra, no 58. (6) Voy. J. MÉGRET et autres, Le droit de la Communauté économique européenne,

vol. X, p. 191.

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n'exerce pas en l'espèce une fonction juridictionnelle. Ainsi, la Cour a admis qu'elle pouvait valablement être saisie par une juridiction statuant dans le cadre d'une procédure gracieuse (7), de même que par un<< pretore >>italien agissant en vue de l'exer­cice des poursuites (8). Il n'est pas non plus requis que la pro­cédure au cours de laquelle le • juge national formule la question revête un caractère contradictoire (9).

En revanche, une commission consultative en matière d'in­fractions monétaires, ayant pour mission de donner des avis dans le cadre d'une procédure administrative, et non de trancher des litiges, n'est pas une juridiction et ne peut dès lors saisir la Cour en vertu de l'article 177 (10).

La Cour se limite à s'assurer que l'institution qui l'a saisie était bien une juridiction; une fois ce point établi, elle ne vérifie pas si cette juridiction était valablement composée et compé­tente en vertu des règles d'organisation et de procédure judia ciaires du droit national (11).

65. LEs ARBITRES. - La question de savoir si l'arbitrage privé est visé par l'article 177 a longtemps été controversée. Dans l'arrêt Vaassen-Gobbels, la Cour avait accepté de se pro­noncer sur une question préjudicielle posée par un organisme se situant à mi-chemin entre un tribunal arbitral privé et une juridiction (12). Dans l'arrêt Broekmeulen, elle avait adopté une attitude semblable. Il s'agissait d'une commission de recours à caractère professionnel statuant selon une procédure contradictoire et dont l'agrément s'avérait indispensable à tout médecin s'établissant aux Pays-Bas pour exploiter un cabinet de médecine générale (13). La Cour a insisté sur le fait que, lorsqu'un Etat membre confie à un organisme professionnel le soin de mettre en œuvre les dispositions du droit communau­taire et que cet organisme met en place des voies de recours susceptibles d'affecter l'exercice des droits conférés par le droit

(7) Arrêt du 12 novembre 1974, 32/74, Haaga, Rec., 1974, p. 1201, 1205. (8) Arrêt du Il juin 1987, 14/86, Pretore di Sal6, Recueil, 1987, p. 2545, 2567. (9) Arrêt du 28 juin 1978, 70/77, Simmenthal, Rec., 1978, p. 1453, 1468. (10) Ordonnance dL1 5 mars 1986, 318/85, Unterweger, Rec., 1986, p. &55. (11) Arrêt du 14 janvier 1982, 65/81, Reina, Rec., 1982, p. 33, 42-43. (12) Arrêt du 30 juin 1966, 61/65, Rec., 1966, p. 378. Voy. aussi notre précédente

chronique, Rev. crit. fur. belge, 1971, p. 566. (13) Arrêt du 6 octobre 1981, 246/80, Rec., 1981, p. 23ll.

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communautaire, l'éffet utile de celui-ci exige que la Cour puisse être saisie en vertu de l'article 177 des questions d'interprétation et de ·validité qui pourraient se poser dans le cadre d'un tel contentieux.

Ce raisonnement aurait pu être transposé à l'arbitrage privé. On aurait en effet pu penser· que, lorsqu'un Etat membre permet

·de confier à des arbitres la solution de différends touchant le droit communautaire, l'effet utile de celui-ci exige que les arbitres puissent saisir la Cour des éventuelles questions d'inter­prétation et de validité qui pourraient être soulevées devant ·eux. Toutefois, dans son arrêt N ordsee, la Cour a saisi un raison­nement différent. Elle considère que, dans ·une situation où n'existait aucune obligation, ni en droit, ni en fait, pour les parties contractantes de confier leurs différends à l'arbitrage et où les autorités publiques· nationales n'étaient pas impliquées dans le choix de la voie de l'arbitrage ni appelées à intervenir d'office dans le déroulement de la procédure devant l'arbitre, <<le lien entre la présente procédure arbitrale et l'organisation des voies de recours légales dans l'Etat membre concerné n'est pas suffisamment étroit pour que l'arbitre puisse être qualifié de<< juridiction d'un Etat membre>> au sens de l'article 177 >> (14). La Cour a toutefois insisté sur la nécessité d'assurer le plein respect du droit communautaire sur le territoire de tous les Etats membres. Elle attira dès lors l'attention sur le fait que, <<si un arbitrage conventionnel soulevait des questions de droit commu­nautaire, les juridictions ordinaires pourraient être amenées à exanûner ces questions, soit dans le cadre du concours qu'elles prêtent aux tribunaux arbitraux, ( ... ) soit dans le cadre du .contrôle de la sentence arbitrale, plus ou moins étendu selon le cas, qui leur revient en cas de saisine .en appel, en opposition, pour exequatur, ou par toute autre voie de recours ouverte par la législation nationale applicable>>. Il appartiendrait dans ce cas à ces juridictions de vérifier si elles doivent saisir la Cour en application de l'article 177 du traité {15).

Cette solution nous paraît pouvoir être approuvée, dans la mesure où les législàtions nationâles permettent de mettre en cause devant les tribunaux la conformité des sentences arbi-

(14) Arrêt du 23 mars 1982, 102/81, Rec., 1982, p. 1095, 1110-1111. (15) Ibid., p. 1111.

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traies à l'ordre publié. En effet, l'existence d'une pareille possi­bilité permet d'éviter que la procédure arbitrale soit utilisée en vue d'éviter l'application des dispositions d'ordre public du droit communautaire (16).

66. LA FACULTÉ POUR 'rOUT TRIBUNAL DE SAISIR LA COUR.­La répartition des compétences opérée par l'article 177 est impérative. Les parties à un litige ne sauraient, par convention, limiter la liberté de la juridiction nationale saisie de décider quant à l'opportunité d'un renvoi préjudiciel (17).

C'est au juge national de décider à quel stade de la procédure il estime opportun de saisir la Cour. S'il peut être de l'intérêt d'une bonne justice que la question préjudicielle ne soit posée qu'à la suite d'un débat contradictoire, cela n'empêche que la décision sur ce point revient au juge national (18). De même, c'est à ce juge qu'il appartient d'apprécier si, compte tenu des questions de fait et de droit qui lui sont soumises, il est préfé­rable de commencer par établir les faits ou si, au contraire, il n'est pas préférable de commencer par trancher la question de droit (19).

Le tribunal national peut soulever la question préjudicielle d'office: <<le fait que les parties au principal n'ont pas évoqué, devant la juridiction nationale, un problème de droit commu­nautaire ne s'oppose pas à ce que la Cour puisse être saisie par la juridiction nationale>>. L'article 177 ne limite pas la saisine de la Cour <<aux seuls cas où l'une ou l'autre des parties au principal ·a pris l'initiative de soulever une question d'inter• préta~ion ou de validité du droit communautaire, mais couvre également les cas où une telle question est soulevée par la juridiction nationale elle-même>> (20}.

67. LA THÉORIE DE L'ACTE CLAIR.- Nous avons vu dans nos précédentes chroniques que les juridictions nationales visées à l'article 177, alinéa 3, du traité avaient souvent tendance ·à

(16) Voy. MÉGRET et autres, Le droit d~ la Communauté économiq·u.e européenniJ, vol. X, p. 204.

(17) Arrêt du 22 novembre 1978, 93/78, Mattheus, Reo., 1978, p. 2203, 2210. (18) Arrêt du~28 juin 1978, 70/77, Simmenthal, Rec., 1978, p. 1453, 1568. (19) Arrêt du 10 mars 1981, 36 et 71/80, Irish Oreamery Milk Suppliers, Reo., 1981,

p. 735, 748. (20) Arrêt du 16 juin 1981, 126/80, Salonia, Reo., 1981, p. 1563, 1577

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statuer elles-mêmes sur l'interprétation ou la validité des dis­positions du droit communautaire, méconnaissant l'obligation qui leur était faite de saisir la Cour de justice.

Les limites dans lesquelles ces juridictions peuvent légitime­ment s'abstenir de faire usage de la procédure de l'article 177 ont été précisées par l'arrêt OILFIT (21). La Cour commence par admettre que <<l'application· correcte du droit communau­taire peut s'imposer avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre· la question posée>>. Toutefois, pour· pouvoir conclure à l'existence d'une telle situation, la juridiction nationale <<doit être con­vaincue que la même· évidence s'imposerait aux juridictions des autres Etats membres et à la Cour de justice>>. Si ces conditions sont remplies, la juridiction nationale peut s'abstenir de sou­mettre la question à la Cour et la résoudre sous sa propre responsabilité.

Consciente des risques que la reconnaissance d'une telle lati­tude comporte, la Cour souligne à l'intention des juridictions nationale~ la nécessité de tenir compte des caractéristiques du droit communautaire et des difficultés particulières que présente son interprétation. Il faut, d'abord, tenir compte que les textes de droit communautaire sont rédigés en plusieurs langues et que les diverses versions linguistiques font également foi ; une interprétation d'une disposition du droit communautaire im­plique ainsi une comparaison des différentes versions linguis­tiques. Il faut noter ensuite que le droit communautaire recourt à une terminologie qui lui est ·propre. Les notions juridiques qu'il utilise n'ont pas nécessairement le même contenu qu'en droit national. Enfin, les méthodes d'interprétation appliquées en droit communautaire se distinguent de celles du droit interne en ce qu'elles tiennent compte de la nécessité de replacer chaque disposition dans son contexte et de l'interpréter à la lumière de l'ensemble des dispositions du droit communautaire, de ses finalités, et de l'état de son évolution à la date à laquelle l'appli­cation de la disposition en cause doit être faite (22).

L'attitude de la Cour, rejetant la thèse du <<renvoi automa­tique>> qui avait été défendue par une partie de la doctrine,

(21) Arrêt du 6 octobre 1982, 283/81, Rec., 1982, p. 3415, 3420-3431. (22) Ibid.

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de même que pa.r l'avocat général Capotorti dans ses conclu­sions précédant l'arrêt, nous paraît devoir être approuvée, D'une part, il serait excessif d'obliger les juridictions nationales suprêmes à saisir la. Cour lorsqu'il n'existe aucun doute raison­nable quant à l'interprétation ou à la validité ~e dispositions de droit communautaire qu'elles ont à appliquer. D'autre part, il faut éviter . que les tribunaux nationaux aient recours aux catégories de leur droit interne pour déterminer quand le sens d'une disposition de droit communautaire est << clair )), Les lhnites à l'intérieur desquelles la Cour enserre la liberté d'appré­ciation qu'elle laisse aux tribunaux nationaux suprêmes parais­sent de nature à éviter les abus, tout en leur laissant la liberté indispensable (23).

68. ÜBLIGATION POUR LES TRIBUNAUX INFÉRIEURS DE SAISffi LA CouR DES QUESTIONS DE VALIDITÉ.- Le texte de l'article 177 n'exclut pas que les juridictions inférieures puissent prononcer elles-mêmes l'invalidité d'un acte d'une institution. Une telle possibilité serait cependant contraire au principe de l'application pleine et uniforme du droit communautaire dans l'ensemble des Etats membres. Permettre à la juridiction d'un Etat membre de déclarer non valide un acte d'une institution entraînerait une rupture dans l'uniformité d'application du droit commu­nautaire. Sensible à ces considérations, la Cour a décidé, par son arrêt Foto-Frost, qu'il résultait de l'ensemble du système du traité que les juridictions nationales ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes l'invalidité des actes des institutions communautaires (24).

Cette solution ne vise pas l'hypothèse où la juridiction natio­nale estime non fondé le moyen d'invalidité invoqué devant elle. En effet, le principe d'applicabilité uniforme du droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les juridictions natio­nales autres que celles visées à l'article 177, alinéa 3, exercent leur faculté d'appréciation pour rejeter ces moyens et conclure que l'acte est pleinement valide. La restriction imposée par l'arrêt Foto-Frost ne vise que le cas où le tribunal voudrait r~fuser de donner effet à l'acte commu:Q.autaire.

(23) Voy. J. MÉGRET et autres, Le diroit de la Communauté économique européenne, vol. X, p. 215.

(24) Arrêt du 22 octobre 1987, 314/85, Recueil, 1987, p. 4199, 4231-4232.

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§ 2. .....:.__ LA PROCÉDURE DEVANT LA CouR DE JUSTICE .

69. ÉTENDUE DE LA SAISINE DE LA CouR. -La Cour a quelque peu infléchi sa jurisprudence selon laquelle l'étendue de sa saisine est déterminée par le jugement de renvoi (25). Elle con­sidère aujourd'hui que, lorsqu'il est manifeste que la disposition de droit communautaire qui lui est soumise n'est pas applicable aux faits du litige au principal, il n'y a pas lieu pour elle de statuer (26). Lorsqu'il ressort du dossier que la solution du litige dépend de l'interprétation d'une autre disposition que celle dont la juridiction nationale l'a saisie, la Cour étend son examen à cette disposition (27). De même, il est arrivé que la Cour déclare invalide d'office une disposition d'un· règlement communautaire alors que la juridiction nationale l'avait unique­ment interrogée sur l'interprétation de cette disposition (28). Enfin, la Cour attire parfois l'attention de la juridiction natio­nale sur la nécessité de vérifier que la disposition dont elle donne l'interprétation est bien applicable aux faits de l'affaire (29).

70. L'EXIGENCE n'uN LITIGE RÉEL. - Dans ses arrêts Foglia c. Novello, la Cour a estimé qu'il ne lui appartenait pas de répondre à une question qui lui était posée à l'occasion d'un litige artificiellement construit en vue d'obtenir une déclaration concernant l'incompatibilité avec le traité de la législation d'un autre Etat membre que celui du juge qui l'a saisi, alors que les recours existants n'avaient pas été exercés dans cet autre Etat membre (30). Tout en réaffirmant sa jurisprudence selon laquelle il appartient en principe au juge national d'apprécier, au regard

(25) Sur cette jurisprudence, voy. nos chroniques antérieures, Rev. crit. iur. belge, 1971, p. 572 et 1978, p. 123.

(26) Arrêts du 21 mars 1985, 172/84, Oelestri, Rec., 1985, p. 966, et du 26 septembre 1985, 166/84, Thomasdünger, Rec., 1985, p. 3001, 3009. Voy. déjà l'arrêt du 20 février 1973, 54/72, F.O.R. c. V.K.S., Rec., 1973, p. 193, 205. Cèt arrêt était toutefois demeuré isolé jusqu'en 1985.

(27) Arrêt du 12 juillet 1984, 218/83, Les Rapides Savoyards, Rec., 1984, p. 3105, 3121. Voy. aussi l'arrêt du 14 décembre 1988, 269/87, Ventura, pas encore publié au Recueil, où la Cour complète l'interprétation de la disposition dont elle avait été saisie par le <'rappel d'indications qui peuvent être utiles à la juridiction nationale » •.

(28) Arrêt du 3 février 1977, 62/76, Strehl, Rec., 1977, p. 211, 217. (29) Arrêt du 13 mars 1979, 91/78, Hansen, Rec., 1979; p. 985,· 959.

·(30) Arrêts du U.mara 1980, 104/79; Rec., 1980, P• 745; 759-760 et du 16 décembre' 1981, 244/80, Rec., 1981, p. 3045, 3062.

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des faits de l'affaire, la nécessité de poser une question préju­dicielle, la Cour n'en insiste pas moins sur le fait que l'usage de ce pouvoir d'appréciation relève de l'exercice d'une fonction <<attribuée en commun>> au juge national et à la Cour de justice en vue d'assurer le respect du droit dans l'application et l'inter­prétation du traité. Dès lors, les problèmes que peut soulever l'exercice de ce pouvoir par le juge national<< relèvent exclusive­ment des règles du droit communautaire>>. Celui-ci ne donnant pas mission à la Cour <<de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques>>, il s'ensuit qu'elle n'est pas <<compétente pour répondre à des questions d'inter­prétation qui lui seraient posées dans le cadre de constructions procédurales arrangées par les parties en vue d'amener la Cour à prendre position sur certains problèmes de droit communau­taire qui ne répondent pas à un besoin objectif inhérent à la solution d'un contentieux >>. La Cour en conclut que, si l'appré­ciation de la nécessité de poser une question préjudicielle relève en principe du juge national, il n'en appartient pas moins à la Cour d'examiner, en cas de besoin, les conditions dans lesquelles elle est saisie en vue de vérifier sa propre compétence ( 31).

Cette jurisprudence a fait l'objet de critiques fondées (32).

La prétention émise par la Cour de vérifier de son propre chef- ne fût-ce qu'à titre exceptionnel - si le litige soumis au juge national revêt un caractère réel est difficilement conci­liable avec sa jurisprudence antérieure, selon laquelle il incombe au juge national, et à lui seul, d'apprécier la nécessité de poser une question préjudicielle, étant donné qu'il est seul à avoir une connaissance directe des faits de l'affaire et des arguments des

(31) Rec., 1980, p. 3063-3064. (32) Voy. notamment A. BARA V, <t Preliminary Censorship? The Judgment of the

European Court in Foglia vs. Novella)), European Law Review, 1980, p. 443 et suiv.; G. BEBR, <t Tatsaohlioher Reohtstreit als unabdingbare Voraussetzung der Zulassigkeit einar VorlageGemass Art. 177 E.W.G.V.? )), Europarecht, 1980, p. 244 et suiv. (version anglaise publiée sous le titre <t The Existence of a Genuine Dispute : An Indispensable Precondition for a Jurisdiction of the Court under Article 177 E.E.C. Treaty? », O.M.L. Rev., 1980, p. 525; G. BEBR, <t The Possible Implication of Foglia vs. Novella t, II O.M.L. Rev., 1982, p. 421; A. TIZZANO, Note, Foro Italiano, n° 9/1980; L. GoFFIN, <t Heur et malheur de la procédure préjudicielle (Article 177 du Traité C.E.E.) », J.T., 1982, p. 252; A. BARA V, <t Imbroglio préjudiciel : A propos des arrêts de la Cour de justice dans l'affaire Foglia o. Novella)), Rev. trim. dr. eur., 1982, p. 431; J. MÉGRET et autres, Le droit de la Communauté économique européenne, vol. X, p. 238-241. Voy. pourtant K. LENAERTS, Note, Oah. dr. eur., 1983, p. 471, qui approuve la solution de la Cour.

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parties (33). On peut craindre que la Cour ne soit mal équipée pour exercer un tel contrôle. En outre, ce faisant,. elle est néces­sairement amenée à s'immiscer dans l'exercice d'une compé­tence que le traité a réservée au tribunal national.

Il mérite d'être souligné que cette jurisprudence est demeurée isolée. Dans plusieurs affaires préjudicielles ultérieures où était soulevé le caractère artificiel du litige à l'origine de la question préjudicielle, la Cour a rejeté l'exception d'incompétence fondée sur sa jurisprudence Foglia c. N ovello et a accepté de donner l'interprétation demandée (34).

§ 3. - L'ARRÊT PRÉJUDICIEL

A. - L'arrêt interprétatif.

71. CARACTÈRE <<ABSTRAIT >>DE L'INTERPRÉTATION DONNÉE. -

Comme nous l'avions relevé dans nos précédentes chroniques (35), la Cour tend parfois à donner un caractère concret à ses réponses, contrairement au principe selon lequel elle n'est compétente que pour donner une interprétation générale et abstraite des dispositions du droit communautaire. Ainsi, elle affirme qu' << une disposition législative telle que celle de l'article 78 du Code pénal danois est à considérer comme une disposition valable­ment déterminée par l'Etat dans les limites de la directive>> (36). De même, elle affirme que << les conditions rendant injustifié un recours des Etats membres aux exceptions permises par l'article 36 du traité C.E.E. n'étaient pas réalisées au moment des faits ayant donné lieu au litige au principal pour les aliments composés, d'origine animale, pour animaux en ce qui concerne notamment la lutte contre les agents pathogènes>> (37). De même encore, elle affirme que la législation du Royaume-Uni relative à l'importation d'objets indécents ou obscènes relève de la faculté réservée aux Etats membres par la première

(33) Voy. notamment du 29 novembre 1978, 83/78, Piga Marketing Board, Rec., 1978, p. 2347, 2368.

(34) Arrêt du 14 janvier 1981, 46/80, Vinal, Rec., 1981, p. 77; arrêt du 10 no­vembre 1982, 261/81, Rau, Rec., 1982, p. 3961, 3971; arrêt du 21 septembre 1988, 267/86, Van Eycke, pas encore publié.

(35) Rev. crit. jur. belge, 1971, p. 576 et 577; 1978, p. 124 et 125. (36) Arrêt du 29 novembre 1978, 21/78, Delkviat, Rec., 1978, p. 2327, 2341. (37) Arrêt du 8 novembre 1979, 251/78, Denkavit, Rec., 1979, p. ,3369, .3395.

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phrase de l'article 36 et que cette législation ne. constitue pas une restriction déguisée ou . une discrimination arbitraire au sens de la deuxième phrase de cet article (38).

72. - EFFETS DE L'ARRÊT. - S~ns revenir sur sa jurispru­dencd selon laquelle ses arrêts lient la juridiction nationale (39), la Cour admet que le juge qui l'a saisie puisse la réinterroger s'il se heurte à des difficultés dans l'application de l'arrêt ou s'il estime que de nouveaux éléments d'appréciation sont suscep­tibles de conduire à une réponse di-fférente (40).

73. EFFETS DANS LE TEMPS. -Dans son arrêt Defrenne Il, la Cour s'est arrogé le droit de limiter le caractère rétroactif de l'interprétation qu'elle donne aux dispositions du droit communautaire (41). Les circonstances étaient assez particu­lières. En effet, la Cour avait jugé, dans cet arrêt, que l'ar­ticle 119 du traité, relatif à l'égalité des rémunérations des travailleurs masculins et féminins, produisait des effets directs. Cette interprétation allait à l'encontre de l'opinion unaniment accueillie par les Etats. membres et par la Commission. Elle aurait été, de l'avis de certains gouvernements, de nature à ~ntraîner de graves difficultés économiques, compte tenu du nombre élevé de personnes intéressées et de la longueur de la période pour laquelle celles-ci auraient pu faire valoir leurs revendications. La Cour a considéré qu'en présence du com­portement des Etats membres et des attitudes prises par la Commission, il convenait de tenir compte, à titre exceptionnel, de ce que les parties intéressées avaient été amenées, pendant une période prolongée, à maintenir des pratiques contraires à l'article 119, quoique non encore interdites par leur droit na­tional. Dans ces conditions, elle a estimé que<< des considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l'ensemble des intérêts en jeu, tant publics que privés, empêchent en principe d~ remettre en cause les rémunérations pour des périodes passées>>. En conséquence, elle a décidé que l'effet direct de l'article 119

(38) Arrêt du 14 décembre 1979, 34/79, Henn et Darby, Rec., 1979, p. 3795, 3813 et 3815.

(39) Rev. crit. jur. belge, 1971, p. 578, et 1978, p. 125 .. (40). Arrêt du Il juin. 1987, 14/86, Pre~ore di SalO, Recueil, 1987! p. 2545, 2568-2569. (41)- Arrêt du 8 avril,I976, 43/75, Rec., 1976, p. 45f.i, 481;48~.

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ne pouvait pas être invoqué à l'appui de revendications relatives à des périodes de rémunération antérieures à la date de l'arrêt, sauf en ce qui concerne les travailleurs qui avaient déjà introduit un recours ou soulevé une réclamation.

-· La prétention de la Cour de fixer les effets dans le temps de ses arrêts interprétatifs nous paraît difficilement compatible avec le rôle qui lui est reconnu par l'article 177 du traité. Comme la Cour l'a reconnu à d'autres occasions, le propre de l'interpréta­tion qu'elle donne en vertu de l'article 177, comme de toute interprétation, est d'éclairer et de préciser la signification et la portée que la règle interprétée est censée avoir eues depuis le moment de sa mise en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge interne aux rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation ( 42). En outre, l'article 177 établit une nette répartition entre les fonctions de la Cour et des tribu­naux nationaux. S'il attribue à la Cour le pouvoir de se prononcer sur l'interprétation du droit communautaire, il laisse aux juri­dictions nationales le soin d'appliquer l'interprétation ainsi donnée conformément à leurs règles de procédure interne. C'est donc aux droits nationaux qu'il appartient, en fixant des délais de prescription appropriés, d'éviter les inconvénients pratiques pouvant résulter de la rétroactivité des arrêts interprétatifs. Il n'appartient pas à la Cour de se substituer sur ce plan aux autorités nationales et de prescrire elle-même les conditions dans lesquelles ses arrêts devront trouver à s'appliquer. A cet égard, la situation de la Cour est fondamentalement différente de celle des juridictions nationales de certains Etats fédéraux qui possèdent, en vertu de leur système constitutionnel, le pou­voir de modifier la jurisprudence avec effet seulement pour l'avenir (43).

Malgré ces objections, la Cour a confirmé récemment sa jurisprudence Defrenne II (44). Toutefois, elle n'exerce son pouvoir de limiter l'application dans le temps de ses arrêts

(42) Arrêt du 27 mars 1980, 66, 127 et 128/79, Industria Salumi, Rec., 1980, p. 1237; arrêts du 10 juillet 1980, 8ll/79, Ariete, et 826/79, Med#erranea, Rec., 1980, p. 2545, 2553, 2559, 257;1. '

.. (43) M .. W,AELBRÇ>ECK, t May the Court of Justice Limit the Retrospective Operatio:q. of its Judgments? >>, Yearbook of European Law, 1981,. p. ll5, 122. , ·

(44) Arrêt du 2 février 1988, 24/86, Blaizot, pas enQol'e publié. au R.ecue.il. :

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interprétatifs que de manière restrictive. Ainsi, elle a refusé de le faire dans une affaire où les intéressés disposaient à son avis d'informations suffisantes quant à la portée de la disposition interprétée et où l'ampleur des situations affectées par la nou­velle interprétation était moindre que dans l'affaire De­frenne II (45). En outre, la Cour estime que la limitation des effets dans le temps doit être décidée dans l'arrêt même par lequel la Cour donne l'interprétation nouvelle. Il ne peut y être procédé dans un arrêt postérieur (46).

B. - L'arrêt d'invalidité.

74. EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INVALIDITÉ SUR LES ACTES AUXQUELS L'ACTE INVALIDE S'EST SUBSTITUÉ. -N'aboutissant pas à éliminer l'acte déclaré invalide de l'ordre juridique, l'arrêt constatant l'invalidité n'a pas non plus pour effet de faire revivre la réglementation antérieure à son entrée en vigueur (47).

75. EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INVALIDITÉ SUR LES ME­SURES NATIONALES D'EXÉCUTION. - L'effet de la déclaration d'invalidité d'un acte communautaire ne se limite pas à l'ordre juridique communautaire. Souvent, l'acte déclaré invalide a été mis en œuvre par de mesures nationales. Les conséquences que l'invalidation de l'acte communautaire entraînent pour ces mesures d'exécution se déterminent conformément au droit national. Ainsi, selon l'arrêt Rey Soda du 30 octobre 1975 : <<Il appartient en premier lieu aux autorités nationales de tirer les conséquences dans leur ordre juidique de la déclaration d'une telle invalidité, prononcée dans le cadre de l'article 177 du traité C.E.E. >> ( 48).

(45) Arrêt du 11 mars 1981, 69/80, Lloyds Bank, Rec., 1981, p. 767. (46) Arrêt du 2 février 1988, 309/85, Barra, pas encore publié au Recueil. (47) Arrêt du 4 octobre 1979, 238/78, Ireks-Arkady, Rec., 1979, p. 2955, 2971. Voy.

aussi les conclusions GENEVOIS, Conseil d'Etat (France), 9 mai 1980, O.N.I.C., Rev. trim. dr. eur., 1980, p. 578, 582. Voy. pourtant l'arrêt du Conseil d'Etat dans cette affaire, ibid., p. 588, qui décide que la déclaration d'invalidité par la Cour de justice a. pour effet de faire revivre la réglementation antérieurement en vigueur. Cet arrêt a. fait l'objet de critiques justifiées dans la note ·signée M.A.F., ibid., p. 590-594 et dans l'article de G. OLMI,<< Les rapports entre droit communautaire et droit national dans les arrêts des juridictions supérieures des Etats membres - Troisième partie &, Revue· àu marché commun, 1981, p. 379, 386 et 387.

(48) 23/75, Rec., l975,p. 1279, 1307.

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·Plus récemment, la Cour a précisé qu'il n'existe pas en droit communautaire de principe général selon lequel une décision d'une autorité nationale prise sur le fondement d'un règlement déclaré invalide par la Cour ne peut pas être annulée si elle a été attaquée en temps utile selon les voies de recours natio­nal (49).

76. EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INVALIDITÉ DANS D'AUTRES

AFFAIRES. - Comme nous l'avons souligné dans notre précé­dente chronique (50), la déclaration d'invalidité a une portée qui dépasse le litige à l'occasion duquel elle a été soulevée; tout juge national qui serait amené par la suite à appliquer l'acte en cause peut se fonder sur l'arrêt de la Cour pour constater l'invalidité de l'acte et refuser de l'appliquer. Cette opinion a été acceptée par la Cour dans son arrêt 1 nternational Ohemical Corporation. Celui-ci décide en effet qu'un arrêt constatant l'in­validité d'un acte d'une institution <<constitue une raison suffi­sante pour tout autre juge de considérer cet acte non valide pour les besoins d'une décision qu'il doit rendre>>. Un tel arrêt n'entraîne pas l'annulation de l'acte en cause : les juridictions nationales conservent la compétence d'apprécier l'existence d'un intérêt à soulever à nouveau une question déjà tranchée par la Cour dans le cas où celle-ci a constaté précédemment l'invalidité. Un tel intérêt <<pourrait notamment exister s'il subsistait des questions relatives aux motifs, à l'étendue et éventuellement aux conséquences de l'invalidité précédemment établie>> {51).

77. EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INVALIDITÉ DANS LE TEMPS.

-La constatation qu'un acte n'est pas valide affecte normale­ment celui-ci depuis son entrée en vigueur. Toutefois, la Cour s'est reconnu le pouvoir de limiter les effets dans le temps de ses arrêts d'invalidité comme elle l'avait fait pour les arrêts d'inter­prétation. Ainsi, dans ses arrêts Providence agricole, Maïserie de Beauce et Roquette Frères du 15 octobre 1980, la Cour a dé­claré que << l'invalidité constatée de la fixation des montants compensatoires monétaires ... ne permet pas de remettre en

(49) Arrêt du 25 février 1989, 199/86, Raiffeisen Hauptgenossenschajt, pas encore publié au Recueil.

(50) Rev. crit. jur. belge, 1978, p. 126. (51) Arrêt du 13 mai 1981, 66/80, Rec., 1981, p. 1191, 1215.

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cause la perception ou le paiement des montants compensatoires monétaires effectués par les autorités nationales, sur la base de' ce règlement, pour la période antérieure à la date du présent arrêt>> (52).

Ces arrêts ont fait l'objet de vives résistances de la part des tribunaux français appelés à se prononcer sur la suite dé la procédure. Tant le tribunal d'instance de Lille (53) que .la Cour d'appel de Douai (54) ont refusé de se considérer comme liés par la limitation temporelle ordonnée par la Cour, considé..: rant que celle-ci était incompétente pour la prononcer.

Ces critiques sont excessives. La notion d' << invalidité >> étant · une notion de droit communautaire, la Cour est compétente pour l'interpréter et, ce faisant, en circonscrire les limites. U n'est pas inhérent à la notion que ses conséquences soient rétroactives. De nombreux systèmes juridiques connaissent, sinon de manière générale, du moins dans des cas précis, des invalidations ou annulations n'opérant que pour l'averiir. La Cour peut donc, dans le cadre de sa mission d'interprétation, prévoir que les conséquences découlant de l'invalidité d'un acte ne se produiront que pour le futur (55).

C'est dès lors à bon droit que, par un arrêt du 10 décembre 1985 (56), la Cour de cassation de France a cassé l'arrêt de la Cour de Douai, reconnaissant la compétence de la Cour de justice pour limiter les effets dans le temps de la contestation d'invali­dité des actes des institutions communautaires et pour préciser à cette occasion les conséquences découlant de cette invali­dité (57).

(52) 4/79, 109/79 et 145/79, Rec., 1980, p. 2823, 2883 et 2917. (53) Jugement du 15 juillet 1981, Dalloz et Sirey, 1982, Jur., p. 9, note J. BouLoUis. (54) Arrêt du 19 janvier 1983, G.P., 1983, p. 292, note Ph. LAURENT. (55) M. W AELBROEOK, <<May the Court of Justice Limit the Retrospective Operation

of its Judgments? >>, Yearbook of European Law, 1981, p. 115, 122-123. . (56) Rev. trim. dr. eur., 1986, p. 159. (57) Voy. sur ce problème les études de T. P.J. N. VAN RIJN, <<Nationale Rechterlijke

Instanoies en Prejudiciële Uitspraken van het Hof van Justitie >>, S.E. W., 1986,· p. 264. et de G. lsAAo, «La modulation par la Cour de justice des effets dans le temps de.ses arrêts d'invalidité>>, Oah. dr. eur., 1987, p. 144. ·

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TABLE-DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

Le droit communautaire et ses rapports avec les droits ·nationaux

CHAPITRE PREMIER. - LES SOURCES DU DROIT COMMUNAUTAIRE.

§ 1er. - LES AMENDEMENTS AUiX TRAITÉS OONSTITUTIFS,

l. L'acte unique européen. 2. L'adhésion de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal.

§ 2. - LES AOTES DES INSTITUTIONS.

A. - Généralités.

3. Pouvoirs implicites.

a) Pouvoir d'adopter des mesures provisoires dans ·les procédures d'en­tentes.

b) Gontrdle des mesu1·es nationales de conservation des ressources de la mer.

c) Pouvoir d'organiser des consultations en matière sociale.

4. Principe de non-rétroactivité.

5. Application immédiate des règles de procédure.

6. Mesures transitoires.

7. Conditions auxquelles la rétroactivité est admissible.

8. Le respect de la confiance légitime.

a) Gas où la Gour n'a pas admis la confiance légitime.

(i) Situation juridique illégale .

. !(i~) Intérêt public péremptoire.

(iü) Prévisibilité de la mesure.

(iv) Certitude de l'avantage espéré.

b) Gas . où la Gour a considéré que la confiance légitime était établie.

9. Patere legem quam ipse fecisti.

10.;_ Directives internes .

. V·. ~ullité :absolue et inexistence.

12. Retrait.

13. Délégation de pouvoirs.

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a) Délégations du Oonseil à la Commission.

b) Délégations à l'intérieur de la Commission.

c) Délégations à des organismes tiers.

B. - Les règlements.

14. Force obligatoire.

15. Applicabilité directe.

16. Publication.

C. - Les directives.

17. Force obligatoire.

18. Applicabilité directe <<verticale>>.

19. Applicabilité directe << horizontale >>.

D. - Les décisions.

20. Étendue du caractère obligatoire.

21. Applicabilité directe.

E. - Les accords internationaux.

22. Capacité de conclure.

23. Effets directs dans le droit des Etats membres.

§ 3. - LES PRINCIPES GÉNÉRAU!X DU DROIT.

24. Droits fondamentaux.

25. Les droits de la défense.

26. Le principe de proportionnalité.

27. Limites du recours aux principes généraux du droit.

28. Obligation pour les Etats membres de respecter les principes géné­raux communs?

CHAPITRE II .. .-'--- L'APPLICABILITÉ DIRECTE DU DROIT COMMUNAUTAIRE.

29. L'autonomie institutionnelle et procédurale ·des Etats membres~·

a) Nature de l'intérêt à agir pour obtenir le respeet du droit commu­nautaire.

b) Obligation de créer des recours juridictionnels.

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 513

c) Nécessité d'assurer la réparation de toute violation du droit commu­nautaire.

d) Le problème de la répercussion des droits indus sur l'acheteur.

CHAPITRE III.~ LA PRIMAUTE.

§ 1er, - LE CONFLIT TRAITÉ-LOI.

30. La situation en Belgique.

31. La situation en Italie.

32. La situation en France.

33. La situation au Royaume-Uni.

§ 2. - LE CONFLIT TRAITÉ-CONSTITUTION.

34. La situation en Allemagne.

35. La situation. en Italie.

36. La situation en France.

DEUXIÈME PARTIE

Les compétences de la Cour de justice

CHAPITRE PREMIER. - LE RECOURS CONTRE LES MANQUEMENTS DES ETATS.

37. La notion de manquement d'Etat.

38. La mise· en demeure.

39. L'avis motivé.

40. La procédure devant la Cour.

4:1. Conséquences de l'arrêt de manquement.

CHAPITRE II. - LES RECOURS EN ANNULATION.

§1er, - LES ACTES SUSCEPTIBLES DE RECOURS,

42. Conditions tenant à la qualité de l'auteur.

43. Inexistence œun critère formel.

44. Les effets juridiques· produits.

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o14 REVUE ORITIQUE · DE JURISPRUDENOE BELGE

§ 2. - LA Qu'ALiTÉ· POUR AGffi; ·

45. Le ParlemE):p.t.

46. Notion d'individualisation procédurale.

a) La réglementation antidumping et antisubventions.

b) La réglementation des ententes.

c) Les aides des États.

§ 3. - LES CAUSES D'OUVERTURE.

A. - La violation d'une forme substantielle~

47. La notion de <<forme substantielle 1>.

48. L'obligation de consultation.

49. L'obligation de motivation.

B. - La violation d'une règle de fond.

50. Le contrôle de l'appréciation des faits.

C. - Le détournement de pouvoir.

51. Le détournement de procédure.

§ 4. - EFFETS DE L'ARRÊT D'ANNULATION.

52. Effets sur la légalité d'actes postérieurs.

CHAPITRE III. - LE RECOURS EN. CARENCE.

53. Le droit de recours du Parlement européen.

54. La saisine préalable.

55. La prise de position de l'institution.

56. Int,ervention de la prise de position après l'expiration du délai.

CHAPITRE -IV.··~ L'EXCEPTION D'ILLÉGALITÉ.

57. Caractère incident.

58. Actes contre lesquels l'exception ·peut être soulevée.

59. Par qui l'exception peut-elle être irivoquée?

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 515

CHAPITRE V. - LE RECOURS EN INDEMNITÉ.

60. L'illégalité comme constitutive de faute.

61. Responsabilité sans faute.

62. Délai.

CHAPITRE VI. - LA PROCÉDURE DES QUESTIONS PRÉJUDICIELLES.

§ 1er. - LA PROCÉDURE DEVANT

LES JURIDICTIONS NATIONALES.

63. Dispositions pouvant faire l'objet d'un renvoi.

64. La notion de juridiction.

65. Les arbitres.

66. La faculté pour tout tribunal de saisir la Cour.

67. La théorie de l'acte clair.

68. Obligation pour les tribunaux inférieurs de saisir la Cour des ques­tions de validité.

§ 2. - LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE JUSTICE.

69. Étendue de la saisine de la Cour.

70. L'exigence d'un litige réel.

§ 3. - L'ARRÊT PRÉJUDICIEL.

A. - L'arrêt interprétatif.

71. Caractère <<abstrait)) de l'interprétation donnée.

7 2. Effets de l'arrêt.

73. Effets dans le temps.

B. - L'arrêt d'invalidité.

74. Effets de la déclaration d'invalidité sur les actes auxquels l'acte invalide s'est substitué.

75. Effets de la déclaration d'invalidité sur les mesures natipnales d'exécution.

76. Effets de la déclaration d'invalidité dans d'autres affaires.

77. Effets de la déclaration d'invalidité dans le temps.

* * *