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L'Ecole valaisanne, mai 1978

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Ouverture sur les coutumes et traditions valaisannes

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Page 1: L'Ecole valaisanne, mai 1978

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Page 2: L'Ecole valaisanne, mai 1978

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L'ECOLE VALAISANNE

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Bulletin mensuel du personnel enseignant du Valais romand

Mai 1978 XX Ile année No 9

paraît à Sion le 15 de chaque mois. juillet et août exceptés.

M. Jean-Pierre Rausis.

Le 25 de chaque mois.

ODIS. Gravelone 5, 1950 Sion, tél. (027) 21 6286.

Imprimerie Valprint S.A .• Sion.

Fr. 20.-. CCP 19 - 12, Etat du Valais. Sion (pour le personnel enseignant. l'abonnement est retenu sur le traitement).

Couverture: 4e page avec 1 couleur (minimum la fois) mais avec changement de texte possible

1/1 page Fr. 3 500.-1/2 page Fr. 1 800.-1/4 page Fr. 1 000.-1/8 page Fr. 600.-

Pages intérieures 1/ 1 page Fr. 300.-1/2 page Fr. 160.-1/3 page Fr. 120.-1/4 page Fr. 90.-1/8 page Fr. 50.-

2e et 3e pages avec 1 couleur (minimum la fois) mais avec changement de texte possible

1/1 page Fr. 3200.-1/2 page Fr. 1 650.-1/4 page Fr. 900.-1/8 page Fr. 500.-

Rabais pour ordres fermes: 5 fois: 5 %. lOfais: la %.

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Les encarts sont acceptés. Prière de se renseigner de cas en cas au près de Pu blicitas S.A.

Page 3: L'Ecole valaisanne, mai 1978

Sommaire

AVANT-PROPOS A. Zufferey, chef du Département de l'instruction publique. 5

INTRODUCTION Rédaction de l'Ecole valaisanne 6

CHAPITRE l

CHAPITRE II

CHAPITRE 111

CHAPITRE IV

COUTUMES ET TRADITIONS VALAISANNES par R.-C. Schüle

AUTOUR DE QUELQUES GRANDS THEMES

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Le pain, par Mme A. Egglof 16 Nourritures d'hier et d'aujourd'hui, par J. Follonier . 19 Les coutumes liées aux alpages, par C. Michaud . 27 Le carnaval, par S. Chappaz 37 Le feu, par B. Schüle 47

QUELQUES COUTUMES ENCORE VlV ANTES A TRAVERS LE VALAIS La Saint-Sébastien: vieille tradition touj ours vivante en Agaune, par M. Parvex 50 Le val d'Illiez, par l'abbé Antony 55 Le «Mai» de Praz-de-Fort, par C. Berthod 57 Le pain aux ArJaches, par J. Darbellay . 60 Coutumes saviésannes, par H. Bridy 64 Saint-Georges à Chermignon, par M. B. 68 Distri bution de sel à Longeborgne le 17 janvier par J .-M. Biner 72 Souvenir de la fabrication du pain à Saint-Luc . 75 Le vignolage 78

QUELQUES CONSIDERATIONS PEDAGOGIQUES . 80

ICONOGRAPHIE: St-Maurice: p. 51 ; René Fellay, Sion: p . 32, 33 : Camille Michaud, Lourtier : p. 34; Antoine Maillard, Orsières : p. 57, 58, 59 ; abbé Antony, Bramais: p. 55, 56; dictionnaire universel de la peinture S.N.L. dictionnaires Robert: p. 353 ; Le déserteur, de Jean Giono: p. 68 ; Nouvelliste, Sion: p. 53 ; Baji­zumpf : p. 45 ; E . Schüle, Crans: p. ~7 ; A. Darbellay : p. 16, 18, 21, 60, 61, 62, 63 ; E. Berraud, Martigny: p. 57.

Crédits photographiques:

Oswald Ruppen, Dioly : p. 11, 12,13, 14, 17,20,22,23,24,25,27,30,31,38, 39,40,43,44,45,49,63,65,66,67,77, 78, 79 ; Treize-Etoiles, Martigny: p. 15, 37,41,42,46,48,76 ; Jean-Marc Biner, Bramois: p. 52, 72, 73, 74; M. B., Cher­mignon : p. 69,70, 71 ; Maurice Parvex,

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Ouverture sur les coutumes et traditions valaisannes

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Avant-propos

Après les numéros speciaux consacrés successivement ces dernières années aux loisirs, au patrimoine architectu­ral, à l'information professionnelle, à la coordination sco­laire, à certains aspects de la vie culturelle de notre canton, l'«Ecole valaisanne» traite aujourd'hui d'un nouveau thème particulier, les coutumes et les traditions valai­sannes.

Du folklore! dira-t-on. C'est le passé, à quoi bon y reve­nir; réseroons au contraire l'essentiel de nos réflexions à construire l'avenir. Soit! le futur mérite notre attention toujours accrue, dans la mesure où la découverte des in­connues qu'il cache, des bouleversements auxquels il pour­rait conduire exige dans le présent des précautions et des attitudes concrètes.

Mais le déroulement de l'Histoire s'inscrit dans le temps en fonction d'une continuité qui, plongeant ses racines dans le passé, fait le présent et génère le futur. En ce sens, il est bon de regarder derrière soi de temps à autre, ne serait­ce que pour prendre, dans la vue du chemin parcouru, des enseignements pour le futur et peut-être aussi parfois un courage nouveau pour une étape nouvelle.

Riche d'un passé aux traditions vivantes, le Valais se doit de les connaître, de les perpétuer, de les adapter au besoin pour les transmettre, renouvelées peut-être, revivifiées, aux générations de demain. Car, ne l'oublions pas, notre présent, qui d'ailleurs nous échappe à chaque instant, sera le passé de nos successeurs, un passé que nous voulons leur livrer, digne de celui dont nous sommes les héritiers au­jourd'hui.

Nous espérons que les enseignants sauront saisir l'oc­casion de ce numéro spécial de 1'«Ecole valaisanne» pour faire connaître aux élèves nos coutumes et nos traditions, leur valeur et leur signification, leur influence sur le mo­ment présent et les conséquences de leur projection dans le futur.

Nous souhaitons qu'en dehors des milieux scolaires cette publication reçoive aussi bon accueil et contribue à faire mieux aimer, par une meilleure connaissance de ses us et coutumes, ce beau pays dans lequel nous vivons.

Le chef du Département de l'instruction publique

A. Zufferey

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Introduction En choisissant le thème de ce numéro spé­cial «Ouverture sur les coutumes et traditions valaisannes», le conseil de rédaction de l'Ecole valaisanne était bien conscient à la fois de la richesse et de l'ampleur du travail.

Dès le départ et ceci en conformité avec l'optique de nos numéros spéciaux, nous avons envisagé une approche, «une ouvertu­re», qui se veut plus une sensibilisation à un vécu qu'une étude exhaustive d'un sujet.

Dans ce domaine surtout, il nous apparaît évident de considérer qu'on ne peut réelle­ment comprendre le sens des coutumes qu'en les vivant dans le cadre d'une communauté locale. Les objectifs visés peuvent donc se ré­sumer ainsi: éveiller de l'intérêt pour les cou­tumes, susciter le désir de mieux les connaître et surtout donner l'envie d'en vivre.

Pour tenter d'atteindre ces objectifs, trois lignes de force ont dicté notre démarche de travail: - fournir des informations, des renseigne­

ments; - donner la parole à des personnes qui témoi­

gnent de la richesse de leur vécu sur le plan des coutumes et traditions locales'

- traduire par l'image ce qui ne peu~ pas l'être par des mots c'est-à-dire avoir recours à une illustration photographique riche et suggestive. Ces intentions se sont traduites concrète­

ment par la réalisation des chapitres. Le premier chapitre propose «un voyage à

travers l'année valaisanne de jadis». Il ne s'agit pas, nous dit l'auteur, de se «contenter d'évoquer les coutumes d'autrefois et de céder à la mode actuelle de la nostalgie du passé» mais de permettre au lecteur, «en abordant avec soin et précision l'étude du folklore va­laisan aux cours de ces cinquante dernières années, de déceler les lignes de force qui le déterminent aujourd'hui et d'entrevoir ce que sera le folklore du Valais de demain».

Dans une deuxième partie, nous avons ten­té de regrouper un certain nombre de coutu­mes autour d'un thème. Notre choix s'est arrêté sur les sujets suivants: le pain, l'alpage, le feu, les nourritures valaisannes, le carnaval. En réalisant ce chapitre, nous étions bien conscients des côtés arbitraires de notre sélec­tion. Si nous l'avons tout de même réalisé, c'est surtout pour favoriser une certaine clarté au niveau de la forme de présentation. 6 7

En présentant quelques coutumes encore vivantes à travers le Valais, nous avons voulu, dans la troisième partie, laisser une large place à des témoignages. C'est la raison pour laquelle nous trouvons dans ce chapitre la présentation de coutumes semblables mais vécues dans différentes régions du canton. Nous n'avons pas voulu supprimer ces «répé­titions» apparentes, l'important étant d'ap­porter des informations sur des coutumes en­core vécues de nos jours. Force nous est de constater ici que certaines traditions comme la distribution de pain se pratiquent à de nom­breux endroits alors que d'autres sont plus localisées voire uniques · comme le «Mai» de Praz-de-Fort par exemple.

En guise de conclusion, nous proposons aux enseignants quelques considérations pé­dagogiques. Dans notre esprit, cette dernière partie est à considérer comme un début de prolongement personnel du lecteur à la ré­flexion entreprise par ce numéro spécial de l'Ecole valaisanne. Les quelques idées propo-

sées et la liste bien incomplète des coutumes sont une invitation à chaque enseignant à nous faire part de ses idées, informations et expériences. Nous pourrions ainsi ouvrir un dossier enrichi par chacun pour établir avec le concours de l'Office de documentation et d'in­formation scolaires un fichier des coutumes et traditions valaisannes.

Au terme de ce travail nous espérons que chaque lecteur trouvera, en parcourant ce do­cument, un peu du plaisir pour ne pas dire de l'enthousiasme que nous avons partagé en le réalisant. Cette richesse, nous la devons es­sentiellement aux auteurs d'articles à qui nous adressons nos plus vifs remerciements ainsi qu'aux personnes qui ont collaboré à la re­cherche de l'illustration photographique. Par­mi ces derniers, nous voudrions tout spécia­lement relever la collaboration de la rédaction de Treize Etoiles et l'apport riche et compé­tent de M. O. Ruppen, photographe-reporter.

Rédaction de l'Ecole valaisanne

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Chapitre 1

Coutumes et traditions valaisannes par R-C. Schüle

Peut-on parler encore, de nos jours d'un folklore , de coutumes et de traditions valai­sannes? La question mérite d'être posée parce que nous assistons, depuis plus d'une décen­nie à un nivellement très marqué des tradi­tions valaisannes , voire des us et coutumes de la Suisse romande. Le mot même de folklore qui jusqu'après la dernière guerre jouissait d'un certain prestige, n'est plus qu'une expression dépréciative. En effet, sous nos yeux, certaines traditions s'implantent en Va­lais venant d'autres cantons suisses, de France ou d'Allemagne, si ce n'est d'Amérique. Ces coutumes nouvelles sont véhiculées par la presse écrite et parlée, par l'industrie du tou­risme et la propagande commerciale. Les cartes folkloriques de l'Europe occidentale toute entière prennent un aspect désolant d'uniformité: du lapin de Pâques au Père Noël en passant par la fête des mères, la ci­gogne porteuse des nouveaux-nés et les fêtes de la bière, elles ont éliminé et recouvert les coutumes et les croyances autochtones.

Quelques anciennes stations touristiques exceptées, le Valais ne s'est ouvert que tardi­vement à la vie moderne. Il a gardé bien longtemps sa personnalité folklorique intacte et originale . Certes, presque partout on a abandonné le costume comme habit quoti­dien, on a relégué le patois aux soirées des so­ciétés . Mais le costume n'est pas à lui seul synonyme de tradition comme le patois n'est pas à lui seul l'expression de l'âme du pays. Les us et coutumes dans leur ensem ble repré­sentaient une manière traditionnelle de penser et d'agir. Le Valais dans son entité avait un caractère bien personnel qui le distinguait de ses voisins sans que cela signifie qu'aucun trait de son folklore ne se retrouve ailleurs qu'en Valais. Par contre, insistons sur le fait souvent inconnu que la frontière linguistique n'était qu'exceptionnellement une frontière ethnologique et que seules de rares coutumes ou croyances liées à la parole n'avaient pas cours des deux côtés de la Raspille.

Si j'aimerais proposer à mes lecteurs un voyage à travers l'année valaisanne de jadis, ce n'est pas pour me contenter d'évoquer les coutumes d'autrefois et céder à la mode ac­tuelle de la nostalgie du passé. La recherche folklorique ou comme on préfère la nommer aujourd'hui, la recherche d'ethnologie euro­péenne, travaille avec des critères non moins 8 9

rigoureux et exacts que les sciences naturelles. Toute trouvaille, toute constatation n'a de va­leur que si elle est bien localisée, bien datée et située dans le 'milieu auquel elle appartient. i Chaque coutume a un point de départ ou de déclin, une vie dans un milieu donné. En abordant avec ce soin de la précision l'étude du folklore valaisan au cours de ces dernières cinquante années, nous décelons les lignes de forces qui le déterminent aujourd'hui et nous entrevoyons ce que sera le folklore du Valais de demain.

Commençons notre pérégrination avec le début de l'Avent, début de l'année liturgique, ce qui correspondait mieux à l'esprit profondément religieux du Valaisan que le début de l'année laïque. En effet, naguère encore, la vie valaisanne était toute empreinte d'une grande religiosité et ce sont les coutu­mes religieuses auxquelles le Valaisan est resté le plus longtemps fidèle. L'Avant con­naissait à vrai dire peu de coutumes spéciales mais il était vécu. Dans les villages, les fem­mes, fidèles aux couleurs liturgiques, ne por-taient que des foulards violets ou noirs et nombre de gens observaient un temps d'absti­nence. · Dans les villes comme Sion l'on préparaient les cadeaux de Noël pour la fa­mille et surtout pour les pauvres, ce qui n'était pas en usage à la campagne. Inconnus en Va­lais, hier comme d'ailleurs aujourd'hui, les ca­lendriers de l'Avent des enfants.

Après 1916-1918, les mineurs valaisans, les artilleurs puis, depuis l'ère des barrages, les ouvriers des grands chantiers fêtèrent la Sainte-Barbe (4 décembre) en assistant à une messe et en tirant quelques coups de fusil ou de mortier.

Deux jours plus tard, voici la Saint-Nicolas. Ouvrons à ce propos l'Atlas de Folklore suis­se' : la carte No 151 nous montre que, excep­tion faite de Sion et de Sierre, le Valais ro­mand ignore, tout comme Vaud et Genève ce personnage légendaire. Pendant l'entre-deux­guerres pourtant il apparaît, accompagné d'un Père Fouettard, à l'école normale de Sion mais les institutrices et les instituteurs ne l'ont pas introduit dans les traditions villageoises. C'est dès 1960 que cette sorte de Santa-Claus américain encapuchonné de rouge est im­planté dans notre canton par les grands maga­sins. Il se prête à des séances de photograhies avec les tout petits et apparaît même en héli-

coptère dans les villages de montagne pour apporter des cadeaux ·aux enfants (en 1964 par exemple à Nendaz). Certaines boulan­geries introduisent un service de Saint Nicolas costumé qui contre argent sonnant porte aux enfants sages des douceurs fournies par les dites boulangeries. Néanmoins j'ose affirmer que Saint Nicolas n'est en Valais romand qu'une coutume commerciale non assimilée.

Comment fêtait-on Noël jadis? Parlons d'abord des coutumes des villages de mon­tagne. Ces villages opulents dans la pauvreté comme Lens, Nendaz et d'autres par opposi­tion aux villages de la plaine du Rhône où le Rhône vagabond détruisait si souvent l'espé­rance du paysan, étaient les greniers à blé du Valais. Deux trois jours avant Noël déjà des troupes de mendiants et de pauvres envahis­saient ces villages. Les familles qui avaient eu un décès au courant de l'année préparaient l'avant-veille de Noël une «donne »: du pain blanc si la situation financière le permettait, du fromage, parfois du jambon, du vin et de la goutte. Certaines familles faisaient aussi une «donne» en accomplissement d'un vœu ou par simple charité chrétienne, d'autres prépa­raient, comme lors des grands enterrements, une soupe aux fèves et au gruau pour les pauvres. Pour héberger ces derniers, on éten­dait de la paille dans un raccard ou sur le sol de la chambre commune, on leur ouvrait les étables, surtout s'il faisait froid . Les pauvres venaient, s'agenouillaient pour prier un Pater devant la porte de la maison. On les faisait entrer et on les nourrissait. Le soir ces pauvres priaient avec la famille un ou plusieurs rosai­res pour les défunts de la maison. Tous les mendiants avaient un sac qu'on remplissait pour autant que les moyens ne manquassent pas. Après le statut de l'heimatlosat, les pauvres se firent rare puis disparurent. Le geste hospitalier toutefois ne disparut pas en­tièrement. Bien des familles charitables d'au­jourd'hui, surtout après un deuil, remettent discrètement ou même anonymement, la veille de Noël, des cadeaux de nourriture à de pauvres combourgeois.

La veille de Noël, dans tous nos villages valaisans, avant de partir pour la messe de minuit, on balayait soigneusement la chambre on couvrait la table d'une nappe blanche ou, à défaut, d'un drap, puis on y disposait les «aumônes blanches»: du pain, de la farine,

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du sel , parfois du fromage et de la crème ainsi qu 'un lumignon allumé, ceci originairement à l'intention des pauvres âmes. Plus tard , des familles «éclairées » ne pouvant plus admettre que les âmes des défunt s, libres dans la nuit de Noël, puissent venir se chauffer et se nourrir autour de la table familiale , expli­quèrent que les aliments qu 'elles continuaient à disposer sur la table seraient béni s par le son des cloches de la messe de minuit. On gardait des aliments pour les pauvres et les malades et on réservait le sel «béni » au bétail. Cette coutume des aumônes s'est éteinte, à ma connaissance , au début des années cin­quante, après des années de constante diminution . Et pourtant, elle n 'a pas disparu dans sa totalité. Si la grande majorité des familles valaisannes , de Oberwald au lac , avaient abandonné cette présentation d'ali­ments , elles n'avaient pas supprimé le lu­mignon . Lorsque l'électricité fut introduite dans les maisons c'est la lampe électrique qui restait allumée toute la nuit de Noël dans la chambre de ménage. Une petite enquête en 1977 nous fait savoir que bien des ménages , même jeunes , même dans les HLM et sans en connaître la raison , n 'éteignent pas la lumière du «salon » pendant la nuit de Noël. Une nouvelle forme de lumière pour les défunts se dessine par ailleurs en Valais depuis quelques années: Sur les tombes d 'enfants d 'abord , sur celles d 'adultes ensuite , on a commencé à déposer un petit arbre de Noël ou un arrange­ment de sapin et de bougies qu'on prend soin d 'allumer en allant à la messe de minuit. Il s'agit là d 'un déplacement d 'une coutume de la maison au cimetière et d 'une autre de la Toussaint à la NoëJ2 .

Qu 'en est-il de l'arbre de Noël ? Il ne doit guère plus exister en Valais, de nos jours, de familles avec enfants n'ayant pas son arbre de Noël rutilant et brillant de toutes ses bougies (électriques) allumées. Au début du siècle, l'arbre de Noël était inconnu dans les villages. En ville de Sion on allumait des arbres de Noël dans les écoles, à l'orphelinat et dans les familles aisées. La coutume y a vraisembla­blement été importée d'Allemagne au courant des deux dernières décennies du siècle passé. Dans les villages, jusqu'après la Deuxième Guerre mondiale, l ' arbr~ de Noël orné de pacotilles restait l'exception. On hésitait à allumer les bougies dans les maisons en bois

L'arbre de Noël: une coutume vraisemblablement importée d'Allemagne à la fin du XIX· siècle.

par crainte de l'incendie . Les premiers arbres qui remplacèrent ou accompagnèrent les traditionnelles crèches furent introduits par des instituteurs , des employés d 'hôtel de retour au pays, des sages-femmes ayant suivi des cours à Genève.

Parlons de la fête de Noël de jadis en ville de Sion . Nous avons en effet , depuis la publication du Journal de Marie de Ried­matten 3 un excellent témoignage des cou ­tumes sédunoises de la fin du siècle dernier. Pendant l'Avent, les filles des familles bourgeoises préparent d 'une part le Noël des pauvres et les cadeaux pour leurs amies et parents , d'autre part elles assument le rôle du personnage qui récompense et punit les enfants. Aucune trace de saint Nicolas, uni­quement le Poupon Jésus, personnage stricte­ment invisible qui se manifeste dès le début de décembre sans être toutefois lié à une date précise. Une clochette annonce la venue de ce distributeur de menues friandises dans les familles aisées et c'est par la porte à peine entrouverte que les petits cadeaux sont roulés ou jetés dans la pièce où les enfants age­nouillés prient et confient leurs désirs pour la Noël. Ce même Poupon Jésus apporte, le soir de la veille de Noël, des friandises mais sur­tout des cadeaux plus consistants, pièces d 'habillement, etc. aux enfants des pauvres. Même scénario, clochette et porte entrou­verte, personnage invisible d'où le même nom «jeter les bonbons ». Bien que ce soit les 10 I l

parents qui disposent les cadeaux sous l'arbre de Noël des enfants de familles bourgeoises la convention reste, le porteur invisible des cadeaux est, dans l'idée des enfants, le Poupon Jésus.

Depuis plus d'une vingtaine d'années, on conseille aux parents de dire aux enfants d 'où viennent les cadeaux de Noël, qu'on fait en commémoration de la naissance de Jésus. Mais il y a ce Père Noël, de rouge vêtu , universel , commercialisé, qui se matérialise dans chaque grand magasin, dans les nom­breuses annonces des journaux, dans les cata­logues. Il se confond dans son aspect exté­rieur avec saint Nicolas et ne rappelle en rien la signification religieuse de la Noël. De ce fait , on note que certains parents et certains membres du clergé tentent de réintroduire, pour les tout-petits, la notion du Poupon Jésus. Ces tentatives restent isolées et im­puissantes vu l'omniprésence du Père Noël dès le mois de novembre si ce n 'est dès le mois d'octobre ...

La Saint-Sylvestre et le Nouvel-An n'ont pas de vieilles traditions , les bals sont récents . Dans les villages on observe toutefois que le jour de l'An, au fur et à mesure que les gens sortent de la grand-messe, de petits groupes se forment, encombrant rapidement tout le parvis. Tout le monde se donne la main, tous s'embrassent, trois fois comme le veut la coutume valaisanne. Il est vrai qu 'on n'embrasse que les parents, mais comme tous le sont un peu, toute l 'assemblée y passe. Les garçons et les jeunes gens embrassent leurs aînés, le parrain, les oncles, le grand-père et naturellement toutes les cousines. Les femmes s'embrassent jusqu'au dernier degré de parenté. Si les vieilles formules de souhaits du genre de : «bonjour, bonne année, longue vie et le paradis à la fin » ont disparu, on ne manque pas de souhaiter tous les biens du monde. En ville les choses se déroulent de manière plus réservée. Les visites de politesse obligatoires pour présenter les vœux de bonne année chez les grands-parents, les oncles et les tantes, aux autorités religieuses et civiles, ont peu à peu disparu , ne serait-ce que parce que de nombreuses familles sont à la monta­gne pour les fêtes de fin d'année.

Si la bûche de Noël , sorte de pâtisserie traditionnelle de la France sous forme de bois , qui a été introduite en Valais par les

religieuses des écoles ménagères vers 1930, a acquis sa place dans nombre de familles valaisannes bien que cette coutume soit ici vide de sens, c'est sans doute grâce aux grands magasins et aux boulangeries qui en vendent régulièrement depuis une vingtaine d'années. Le gâteau des rois et les coutumes autour de la fève ou du baigneur qui s'y trouve, n 'a par contre pas trouvé l'écho escompté par les boulangers qui essaient de l'introduire dans toute la Suisse. Il y a bien quelques réunions d'élèves ou de contempo­rains autour d'une torche ou d'une couronne, il y a quelques coutumes qu'on essaie de «ressusciter», à Chandolin notamment, mais on ne peut pas dire que des coutumes autochtones de la fête des Rois existent.

Je ne veux pas m'attarder sur l'ancienne manière de fêter le carnaval ni sur les formes modernes de ses cortèges vu qu 'un chapitre de ce fascicule lui est consacré4 . Rappelons uniquement que jadis, dès l'Epiphanie, des jeunes gens et célibataires masqués allaient le soir de veillée en veillée. Ils étaient vêtus de haillons, de peaux, le visage couvert d'un masque et portaient des clochettes, sonnailles ou grelots pour faire le plus de bruit possible.

Les rois à Chandolin.

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Admis à l'intérieur des maisons, ils dansaient, le plus souvent entre eux, aux sons d'une musique à bouche. Ils mendiaient du vin qu'ils buvaient à l'aide d 'une paille pour ne pas avoir à se découvrir le visage. Le mardi gras les mêmes personnages circulaient de jour, habillés alors de « beaux » costumes : le vieux, la vieille, le gendarme, la demoiselle, etc. Depuis la dernière guerre, le carnaval est devenu l'apanage des enfants, sauf dans quelques localités où une société de carnaval, la société àe développement ou l'école de ski est devenue le nouveau porteur d'une coutume, sous de nouvelles formes influen­cées par des grands carnavals réputés tels que Bâle ou Nice. Ces nouvelles formes recréent peut-être de nouvelles communautés villa­geoises ou urbaines dont l'importance ne peut être que mal évaluée actuellement.

Nous ne parlons pas des différentes coutumes liées à la Chandeleur (bénédiction

Fête-Dieu au Lotschental

des cierges) , à la Sainte-Agathe (bénédiction du pain et du fil), au carême, au dimanche des Rameaux ou à la semaine sainte , vu qu'elles n 'ont que peu de traits non liturgiques et ne présentent pas ou plus de caractères sociaux . Pâques , la grande fêt e religi euse qui a un folklore privé étonnamment pauvre est marquée par contre, dans bien des communes valaisannes par des distributions de pain, de

. vin ou de fromage à toute la population . Ces coutumes mériteraient d 'être étudiées , localité par localité, car elles sont J'expression de communautés encore vivantes. Œufs et lapins de Pâques sont d 'apparition toute récente . C'est le commerce qui les a introduits . Les produits de confiserie et les œufs teints sont maintenant bien en vue dans les devantures des magasins. Une nouvelle habitude prend pied . Inutile de dire qu 'elle n'est , pour le moment , liée à aucune manifestation telle que course aux œufs, rouler ou toquer les œufs, ct

Fête-Dieu à Savièse

La Fête-Dieu, célébrée jadis par de grandes processions pleines de ferveur est en passe de tomber dans le domaine touristique. ' 12 13

qu'on ne connaît aucune légen~e d~ lapin. ou du lièvre de Pâques. Qu'a pense le )ournahste valaisan qui titrait cette année : « A Savièse on a roulé les œufs dans la neige »? Une nouvelle coutume s'implanterait-elle vraiment?

L'Ascension, la Pentecôte et la Fête-Dieu sont des fêtes religieuses. La Fête-Dieu célébrée jadis par de grandes processions pleines de ferveur est en passe de tomber dans le domaine touristique. Elle n'a plus le prolongement social et folklorique qu'elle connaissait jusqu'après la dernière guerre et ne marque plus vraiment la vie communautai­re des villages.

Il en est tout autrement des fêtes suivantes. Fêtes semi-religieuses ou purement laïques, elles agrémentaient la vie de labeur au cours de l'été . Elles avaient l'avantage de ne pas être chômées, c'est-à-dire que chacun pouvait y participer selon son gré et parfois à côté de son travail. Reportons-nous trente ou quaran­te ans en arrière, au moment où les villages du Valais étaient encore de vrais villages paysans fiers d'un beau cheptel de vaches . Jadis, après Pâques , ces villages se vidaient de leur population: on montait aux mayens avec le bétail pour y attendre la saison d'alpage. Les écoles avaient fermé leurs portes. La montée à l'alpage se situait aux alentours de la Saint­Jean, la date pouvant varier suivant l~ croissance de l'herbe. Le bétail une fois partI pour l'alpage, avant de redescendre au village faire les foins , jeunes et enfants fêtaient le solstice d'été par des feux de la Saint-Jean ou de la Saint-Pierre. Que d'occasions de vivre ensemble pour chercher le bois, de s'am~ser autour du grand feu!5 Mais revenons a la montée à l'alpage. Le matin de ce grand jour, on étrillait et on brossait bien les vaches . On leur frottait le cou avec de l'âche bénie le jour de la Saint-Jean, on en fixait parfois un brin sous le collier qui porte la belle cloche. Puis commençait la montée à l'alpage, qui n 'était pas une petite affaire. Il fallait surveil!er les vaches qui sont d 'humeur vagabonde a cette occasion, qui sont batailleuses. Les troupeaux ne devaient pas se mélanger jusqu'à ce que le vacher prenne le troupeau sous sa responsa­bilité . Sur la place de lutte les propriétaires et amateurs de reines se pressaient déjà . Après les premières escarmouches . venai:nt ,les luttes sérieuses , celles des remes preparees, gavées, soignées par leurs propriétaires . Elles

Ce qui était un besoin hiérarchique du ~étail, en­couragé, il est vrai, par les hommes , deVient spec­tacle commercialisé et source de revenu .

avaient encore reçu une friandise , une gâterie secrète. Les luttes finales pouvaient durer des heures sans que les spectateurs perdent patience. Après la lutte, lorsque la « reine à

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corne » était connue, les bouteilles circulaient et la discussion continuait. Qu'en est-il aujourd 'hui? Lorsqu 'en 1944 le gouvernement valaisan interdit les «reines » (la Suisse avait besoin de lait et les reines n 'en ont souvent pas), une vague de protestations déferla le long du Rhône et, rien ne changea, sauf que les combats de reines commencèrent à se commercialiser. Ce qui était un besoin hiérarchique du bétail, encouragé, il est vrai, par les hommes, devint spectacle et source de revenus. Différentes localités et diverses sociétés commencèrent organiser des matches de reines, d 'abord avant la saison d'alpage, plus tard un peu à n'importe quel moment de l'année. Les reines d 'alpages furent transportées en plaine et purent se mesurer entre elles, il y eut des reines cantonales. Les matches de reines attirent

. maintenant des dizaines . de milliers de spectateurs payants . Les inalpes des grands alpages attirent autant de spectateurs que les matches et des services d 'ordre et des places de parc doivent être ' mis en place. Voilà l'exemple caracté'ristique de traditions locales devenues des entreprises commerciales et touristiques. Mais, même dans ces formes commercialisées de coutumes de nouvelles traditions se forment, se défont et refont au gré des modes. Il peut être intéressant de retracer les incidences sociales qu'elles peuvent avoir dans un village, dans un consortage, dans une société.

L'été est devenu la grande saison des festivals, des fêtes de chant, de costumes, de musique, de sociétés sportives ou de loisirs, que sais-je? De nouvelles traditions se sont instaurées, sur la manière d 'organiser, de financer ces fêtes . Des communautés se forment et vivent pour l'organisation d'une fête ; des groupes de travail et des comités sont nommés, des liens se forment ou se resserrent à l'intérieur des sociétés . De nouvelles formes de communautés rempla­cent les confréries et autres associations profanes ou religieuses de l'ancien temps et compensent un peu la perte de cohésion qui s'est installée dans les villes et les villages depuis que les transports modernes et les loisirs extérieurs les ont vidés.

La fête de l'Assomption, caractérisée aujourd'hui par les kermesses qui s'organisent dans de nombreux villages est une des

Les coutumes: un tissu vivant de relations sociales, humaines et amicales qui préserve l'identité d'une communauté à travers les générations.

dernières fêtes de l'été, abstraction faite des patronales qui d'ailleurs sont de plus en plus oubliées. La descente de l'alpage porte une dernière note gaie avant les vendanges qui n'ont pas suscité en Valais de grandes manifestations de joie. Avec la Toussaint et sa note mélancolique, nous voici arrivés à la fin de notre année folklorique.

Pourquoi avoir choisi cette tranche de traditions? N'aurais-je pas pu tout aussi bien vous mener le long d'une vie humaine, du berceau à la tombe, ou vous conduire le long des champs et des prés, dans les raccards, le long des coutumes de travail? ou encore à la recherche du folklore des pierres, des plantes et des animaux, ou au royaume des contes et des superstitions? Du berceau à la tombe, les 14 15

coutumes autochtones se sont amincies à tel point qu'elles ne forment plus qu'une ombre à peine perceptible sous la couche des coutumes modernes uniformisées. Fini le temps des belles mariées en costume, enru­bannées, couronnées du «chapelet», juchées sur un mulet. Fini le temps des enterrements où le Valaisan, le verre à la main, prenait con­gé du défunt avant de l'accompagner à sa der­nière demeure. Fini le temps des contes mer­veilleux, des veillées, la télévision en a pris la place. Mais cela est, sur le plan des us et cou­tumes, l'aspect particulier de l'évolution géné­rale que subit le Valais à la suite de la Suisse tout entière et il n'y a pas lieu de s'adonner à une nostalgie qui ne relève que les aspects po­sitifs d'une vie dure et impitoyable dans sa' lutte pour la survie dans une région de mon­tagnes où it·ne faisait pas aussi bon vivre que le disent les amoureux du' passé .

J'ai choisi cet aspect de l'ethnologie valaisanne qui est celui des coutumes de la communauté. Jadis, les porteurs des coutumes locales étaient nombreux. Les familles, les classes d'âge, la jeunesse, les confréries, les «voisinages », les consortages, les sociétés formaient tous des communautés séparées qui s'entrecroisaient, se superposaient tissant ainsi une toile de relations sociales, humaines et amicales qui englobaient finalement toute

Notes:

la communauté villageoise ou communale. Car, pour qu'il y ait coutume il faut une commun~uté. Aujourd'hui des coutumes nouvelles prennent racine dans les sociétés sportives par exemple, où l'on fête aujour­d'hui un champion de ski comme on fêtait le détenteur d'une reine. Si nous voulons éviter que nos villages et nos quartiers deviennent des dortoirs où plus personne ne se soucie du voisin, nous devons encourager ces nouveaux porteurs de coutumes, les noyaux sociaux qui se forment autour d'un four banal remis en activité comme la société qui se chargera d'organiser le Noël des anciens. L'école peut jouer un rôle efficace dans ces communautés de village. Pourquoi ne pas relancer une coutume comme les feux de la Saint-Pierre? Les ethnologues me diront ' qu'une coutume qui renaît, que cela soit une association du costume ou une société de carnaval, ne fournira que du folklorisme, c'est-à-dire une fausse coutume teintée de nostalgie (c'est-à-Ia mode). J'en suis parfaitement consciente mais ici je ne parle pas comme ethnologue mais comme personne soucieuse de préserver non une coutume, mais le peu de vie communau­taire, d'amitié et de compréhe'nsion qui peut encore exister dans ces villages qui sont en train de perdre leur âme.

R. -c. Schüle

1 Atlas de folklore suisse, par Paul Geiger et Richard Weiss avec la collaboration de Walter Escher et Elsbeth Liebl, Bâle Société suisse des traditions populaires, dès 1962.

2 Cf. ci-dessous p. 3Marie de Riedmatten, Journal intime (1882-1896). Texte établi , annoté et présenté par André Donnet. 1975,

Martigny. 2 vol. 1: 450 pp., Il : 488 pp., (Bibliotheca vallesiana 14 et 15).

4 Cf. ci-dessous p .

5 Pour les détails des feux voir ci-dessous p.

Où trouver des renseignements?

A la bibliothèque cant~nale, à part les deux œuvres déjà citées vous trouverez :

Cahiers valaisans de folklore, fondés par Basile Luyet, de 1928 à 1935 (30 cahiers). Divers auteurs . Glossaire des patois de la Suisse romande, Neuchâtel 1924 et suiv . Lettres de A. à E. Nombreux articles concernant le folklore de la Suisse romande .

Manuel de folklore français, par Arnold Van Gennep, dès 1943, où se trouve également une abondante bibliographie exclusivement française .

De nombreux articles épars peuvent être facilement trouvés dans le fichier " folklore » de la Bibliothèque cantonale.

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Chapitre II

Autour de quelques grands thèmes

Le pain par M"1l' A. Egglof

«Durant les fêtes de fin d'année, la popula­tion a la possibilité de faire son pain ... Le four banal, chauffé depuis plusieurs jours, restera en activité jusqu'en janvier ... » « Dans le four banal datant de 1846, et doté depuis peu d'une magnifique cuisine et salle de préparation , c'est depuis lundi dernier la grande efferves­

cence ... » Pourquoi trouvons-nous de telles indica­

tions dans les journaux de 1977 , maintenant que, tous les matins, les longs pains blancs ar­rivent dans les magasins à libre service, main­tenant que les habitants des villages-dortoirs rapportent de la ville le pain frais pour la fa­

mille?

Jadis , et les vieux en parlent encore, alors qu 'on cultivait le seigle sur les pentes ensoleil-1 0 l'~ de notre canton , chaque famille cuisait, en hiver du moins, son propre pain fait avec le grain moulu au moulin communal. ..

Généralement , c 'e:; t au centre de l'agglo­Illération que se trouvait le four banal, parfois prl's de la maison de commune, car il devait Ctre accessible par tout temps en hiver. Les COlllll1UneS, les bourgeoisies ou les sociétés du four en étaient propriétaires. Suivant les en -

droits, c'est de deux à douze fois par an que l'on y cuisait du pain . Les familles qui dési­raient faire du pain s ' inscrivaient sur une liste (anciennement par une marque domestique sur le «bâton du four »), avec l' indication de la quantité qu'elles désiraient cuire . Comllle il fallait chauffer ces fours plusieurs heures avant d'y enfourner la première cuisson de la saison , une rotation s'établissait entre les utili­sateurs . Ainsi , il incombait chaque fois à une autre famille de fournir la quantité de bois né­ces saire à la mise en marche du four , opéra­tion qui exigeait environ trois fois plus dl' bois qu 'une cuisson normale. Dès ce moment, le four fonctionnait plusieurs jours et nuits de file, afin d 'éviter toute perte de chaleur jusqu'à ce que toutes les familles eussent terminé et rentré leur provision de pain .

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Aujourd'hui, qu'en est-il de tous ces fours à pain? Si l'habitude de faire son pain soi­même s'est perdue, quelques bâtiments ont subsisté. Ainsi, dans le Valais romand, ce n'est pas moins d'une cinquantaine de fours à pain que nous avons recensé en mars 1978. Dans la seule commune d'Orsières, il y en avait onze en 1976 dont neuf étaient encore utilisés régulièrement en hiver. Ces fours à pain sont de simples bâtiments utilitaires, sans ornements. Dans les fours d'une certaine importance, il y a, à côté du four proprement dit (qui peut accueillir jusqu'à cent pains), une chambre fermée, la «chambre du pain». Un grand pétrin, une longue table et des rayonnages le long des murs représentent tout l'ameublement. C'est dans ce pétrin, sorte de long bahut sans couvercle, que l'on fabriquait et pétrissait longuement . la pâte qu'on façonnait après sur la table, avant de la faire lever sur les planches le long des murs. Avant d'enfourner le pain, on marquait la pâte façon­née et levée soit par quelques entailles soit à l'aide d'une «marque à pain», bout de bois sculpté d'un ornement ou de la marque de famille. Là où l'on n'avait pas de «chambre du pain», c'est à la maison qu'on préparait la pâte et façonnait les pains, puis on les portait au four sur les planches où ils avaient levé. Pratiquement dans tout le Valais, ce sont les hommes qui pétrissaient la pâte à pain que les femmes façonnaient.

Le four en pierre, sans cheminée, se trouve sous un toit à deux pans, qui se prolonge large­ment devant l'entrée du four, afin de protéger le fournier et son matériel. L'intérieur du four proprement dit consiste en une grande voûte faite de pierres réfractaires assemblées soigneusement et sans la moindre fissure. Pendant la phase du chauffage, le bois est dé­posé sur le fond du four ' même, et brûle jusqu'à ce que le four ait atteint une tempéra­ture suffisante, c'est-à-dire jusqu'à ce que la pierre devienne blanche de chaleur, alors que la fumée s'échappe par la porte ouverte. Pour réduire le danger d'incendie, un espace est ménagé lors de la construction entre le toit à charpente de bois et la partie supérieure de la voûte. Lorsque le four est chaud, on sort les braises à l'aide d'un racloir, et on nettoie soi­gneusement le four à l'aide d'un écouvillon (longue perche au bout de laquelle est fixé un torchon humide), à la suite de quoi on

C'est dans un pétrin, sorte de long bahut sans cou­vercle, que l'on fabrique et pétrit longuement la pâte.

enfourne les pains à l'aide de la «pelle à pain», et on ferme la porte. La cuisson se dé­roule alors sous le contrôle du fournier, et peut durer une heure à une heure et demie,

Ce que nous venons de dire démontre que la cuisson du pain au four banal a toujours été une action d'une communauté. La rotation des familles pour le chauffage dispendieux du début de saison n'est qu'une expression de cette solidarité communale. En effet, là où le chef de famille était absent, malade ou décédé, un voisin se chargeait du bois de chauffe, il pétrissait la pâte et portait les pains au four sans attendre autre chose qu'une aide lors d'une autre occasion, aux effeuilles ou lors de la moisson par exemple. Chaque famille transmettait un bout de pâte à la sui­vante qui l'utilisait comme levain. La dernière famille à faire le pain conservait ce levain soi­gneusement à la cave pour la prochaine cuisson de pain, Non seulement le levain formait ainsi une chaîne symbolique entre les

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familles mais il conditionnait aussi réellement la qualité du pain des autres . Ne parlons pas des pains prêtés par «ceux qui avaient le four » aux familles qui avaient encore à attendre leur tour, combien de charité n'aura jamais réclamé les pains aux nécessiteux!

Comme nous l'avons dit plus haut, il y a en Valais romand plusieurs anciens fours à pain encore utilisés traditionnellement. Certaines communes ont restauré et remis en service les fours abandonnés. Souvent, des jeunes gens ont collaboré à ces remises en état puis à l'ac­tivité renouvelée. Les anciens ont enseigné la manière de faire et de nouvelles coutumes se sont installées. On fait le pain à l'occasion de la Saint-Sylvestre, ou pour certaines fêtes, on en offre aux parents et amis. Ci et là c'est le conseil communal ou une société locale qui fait le pain. Mais nombreuses sont les com­munes où le four à pain tombe en ruines ou sert de débarras. Ne serait-ce pas l'occasion de faire quelque chose avec nos élèves? Et de retrouver avec le four un bout de vie com­mune dans le quartier ou le village?

Où se trouvaient les fours de la commune? Où s'en trouve-t-il encore un de nos jours? Il y a des dessins à faire, des plans à tirer. Pour­rait-on le remettre en activité? Les personnes âgées seraient-elles d 'accord d'enseigner la manière de faire, de donner les recettes? Qui prendrait la responsabilité du four? Existe-t-il encore un consortage ou faut-il en recréer?

Nous n'avons parlé que du pain quotidien, n'y avait-il pas des pains de fêtes comme les «michons » des enfants bagnards? Et le pain bénit, cette coutume qui existe encore dans l'une ou l'autre paroisse? Et le pain des «don­nes »? Les pains distribués à la Saint-Georges, à Pâques ou à la Pentecôte montrent le respect et l'importance attribués jadis au pain et à son rôle dans la communauté villageoise.

Le costume jadis de tous les jours est de­venu l'habit de fête, pourquoi le pain du four banal ne deviendrait-il pas le pain de fête d'une communauté vivante?

Annemarie Egloff

Nourritures d'hier et d'aujourd'hui par J. Follonier

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Nos modernes spécialistes en alimentation qui, au moyen de savantes formules, parvien­nent à déterminer sans possibilités d'erreur la teneur calorique de tel ou tel aliment, en conserve, surgelé ou frais, auraient bien de la peine à se prononcer sur la valeur alimentaire scientifiquement cataloguée des mets de nos ancêtres. Ceux des hautes vallées valaisannes, il y a à peine un tout petit siècle, vivaient dans une économie presque entièrement fermée, si bien que le menu ne devait pas souvent varier sur la table .

Une bonne vieille de mon lointain souvenir résumait ainsi la situation qui, pour elle, était devenue une philosophie:

- Il faut manger ce qu'on a ... En soi, cette résignation est d'une indiscuta­

ble grandeur. Manger ce qu'on a, accepter sa condition, se soumettre ... Et aussi, quand le Bon Dieu se montrait particulièrement libéral dans la répartition de ses biens, savoir lui dire tout simplement merci.

Evidemment, en mangeant ce qu'on avait, et parfois le peu qu'on avait, la maladie exer­çait de dures sélections dans ce peuple, par surcroît généralement soumis à un labeur in­tense. La mortalité infantile et les maladies pulmonaires atteignaient des proportions ef­farantes; seuls ceux que la nature avait dotés d'une constitution à toute épreuve traversaient la première étape et, souvent , par la suite, acquéraient des forces herculéennes.

Il faut manger ce qu'on a ... disait la bonne vieille.

Mais qu'avait-on, en définitive? Si nous remontons un tout petit peu dans le

temps, nous trouvons , dans nos hautes vallées, des communautés humaines presque entière­ment à l'écart du monde, si bien que les échanges se limitaient à très peu de choses: quelques pièces d 'or, lentement amassées et soigneusement conservées , contre une vigne dans le bas pays ou un pré jouxtant le vôtre. Mais quels aliments aurait-on achetés - et même voulu acheter - avec de l'argent ? Man­ger ce qu'on a ...

Mais , pour manger ce qu 'on a, il fallait tout d'abord l'avoir, c'est-à-dire le produire, au prix souvent de quelles dures journées, puis, le conserver.

Alors, voilà, pendant les mois des engran­gements , toute cette population devenue four­milière active; il faut amasser, il faut engran-

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ger: fromage, pommes de terre , boucherie, vin , blé, bois, foin, tout ce qui est nécessaire, avant tout, à ce long passage hivernal - et on sait tellement, de sûre science, que le prin­temps tarde toujours à venir quand les provi­sions s'amenuisent, comme il se hâte de poin­ter son nez quand, en mars , une échéance à la banque vous guette .. .

Manger ce qu'on a, bien sûr.. Mais qu 'avait-on? On imagine sans peine les tracas des ménagères, pas uniquement pour varier le menu, mais pour en préparer un . Certes , les huches regorgent de seigle et de froment. Il arrivait cependant qu 'on dût aller chez la voi­sine pour lui emprunter un pain, car le vieux meunier avait parfois de la peine à suffire à tout l'ouvrage qu 'on lui demandait. Il y avait aussi de la viande au grenier, mais les privilé­giés qui pouvaient faire deux boucheries par an étaient rares , si bien qu'il fallait , ici aussi, faire preuve de parcimonie, savoir «gouver­ner ». Les légumes de la cave se lim itaient aux choux et à la pomme de terre, les autres n'ayant fait leur apparition que plus tard. Des fromages? Bien sûr, on en possédait quelques-uns, ceux-ci cironnés à souhait qu ' il fallait souvent garder pour le prestige , les au­tres , plus frais et mangeables, dont il fallait modérer la consommation. J'aurais tort d 'ou­blier la fève , dont l'usage est presque inconnu aujourd 'hui . Et pourtant , quelles soupes se préparaient avec du lard rance , des fèves et des pommes de terre , tout cela reconnu dou­blement bon par des appétits bien en forme. Le café était aussi une boisson très peu usitée, car il fallait l'acheter. Dans bien des cas , le petit lait cuit le remplaçait. Et le vin ? Il était réservé aux grandes circonstances et aux durs labeurs . D'autres légumes et les fruits n'ap­paraissaient que très rarement sur la table . En voyant les premières salades, certains conser­vateurs incurables disaient : «ça, c 'est bon pour les chèvres '>, comme d'autres , plus tard se sont refusés à manger du salami, parce «c'était dans des boyaux trop grands pour être vrais » ...

On devine donc et on partage les soucis de la ménagère de ces temps pas très lointains. Et pourtant, je ne pense pas que ces populations aient souffert de la vraie faim, celle qui vous ronge et vous déprime. Qu'elles aient subi les répercussions d 'une alimentation déséquili­brée, cela est une réalité .

Toute une population devenue active; il faut amasser, il faut engranger.

Quelques mets rares Disons d'emblée qu ' ils étaient rarissimes .

Mais quelle joie ils procuraient à tous! Si je vous communique l'une ou l'autre de

ces recettes culinaires d'autrefois , ce n'est pas pour inviter nos modernes ménagères de les éprouver, car elles en seraient bien incapables faute de «matières premières ». Je me souviens cependant de certains «extras » culinaires qui , en des circonstances précises, acéraient nos appétits et nous comblaient au-delà du dici­ble.

n est bien évident que ces ' propos ne veu­lent être qu'un témoignage, aucun regret ne venant les ternir.

Voici donc la première recette d'il y a cin­quante ans : 20

Beignets au sang Lors de la boucherie de novembre, qUand

Joseph, le boucher du village, plante son cou­teau dans le cou du porc, recueillez ce sang, brassez-le bien pour le défibriner ; délayez un peu de farine dans le sang, de manière à en faire une pâte ; faites ensuite cuire tout cela le temps nécessaire dans le beurre bouillant de la poêle.

Quand tout sera au point, faites signe au voisin pour partager avec vous ce festin. Il ne manquera pas de vous inviter quand il fera sa boucherie. Mais vous, les enfants, méfiez-vous cependant. Je sais que c'est bon, mais laissez la dernière bouchée pour ceux qui veulent avoir des ennuis gastriques ...

Beignets au colostrum Deux jours après le vêlage de votre vache,

prélevez une quantité voulue de colostrum . Additionnez-y un peu de farine et laissez mi­joter cela au beurre dans votre poêle. Ne pas

oublier, non plus, d'inviter des voisins pour ce mets rare ...

Le pain noir Il me semble retrouver sous mes dents son

écorce un peu grumeleuse, rébarbative et en­suite devenue si docile après un temps de mastication et de faim . Il arrivait même que, pendant nos récréations d'écoliers, on se prê­tât un morceau de pain. Je te le rendrai cet après-midi!

La fournée de pains noirs séjournait des se­maines au grenier pour y acquérir une saveur unique. Je revois encore ces beaux disques de vieil or bien alignés au râtelier, et quand la ré­serve approchait de son épuisement, il fallait songer à redescendre au moulin près de la ri­vière et demander au vieux Mathieu tout en­fariné à vous préparer une nouvelle réserve ...

Je revois la voisine, un peu humiliée par cette démarche, s'approcher de ma mère:

- C'est pour les petits ... Si tu pouvais me prêter un pain .. . Je te rendrai ...

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On pouvait toujours prêter du pain . Adm i­rable fraternité humaine , où faudrait-il , main­tenant , la chercher?

Pain dur des dures et grandes journées de sueur, des jours clairs comme des jours som ­bres, des baptêmes et des deuils, hosties dl' nos corps ...

Aujourd 'hui , quand la belle miche se trouve sur la table, si elle est un peu rance, on la dé ­daigne et on la jette . Jeter le pain , y aurait-on seulement songé en ces temps dont je parle ? ..

le pense aussI a ce merveilleux tzarfiol1, cette énorme marmitée de lard , saucisses , pommes de terre et choux farci s d'œufs brouillés. Certes, ce n'était pas le menu quo ­tidien, mais quel régal à l'occasion!

Le parfum de la polenta des charpentiers et des bûcherons me chatouille encore agréable­ment les narines. Le maïs malaxé au moin s pendant trois heures, accompagné de lard maigre et arrosé de chocolat au lait , dites-moi quels efforts et quelles froidures auraient pu résister à un tel poids de ca lories!

Le repas de Mardi-Gras représentait auss i une espèce de débauche carnée qui s'explique par le fait que , depuis ce jour jusqu 'à Pâques ,

Bisse d'hier ...

... et d'aujourd'hui : un support vital pour la survie du pays.

c'était l'abstinence quasi totale de tout produit carné ; seuls les hommes devenus vignerons pendant la période de carême pouvaient en­freindre cet interdit.

.. . Je sais que cet inventaire est loin d 'être complet. Il faudrait encore parler des ribotes de chaque mi-été sur l 'alpage, quand tous les «alpéateurs » se retrouvaient près de vieux chalets pendant quelques heures pour faire honneur à tous les sous-produits laitiers mis généreusement à leur disposition. 22 23

On raconte même que certains gros appétits se préparaient à cette goinfrerie en ne man­geant que très peu quelques jours à l'avance ...

Certains «festins » de diverses confréries, encore nombreuses il y a quelques lustres, faisaient largement honneur au fromage d'âges différents, au pain de seigle et au vin, comme certaines sociétés locales, telles les chorales d'église, qui festoyaient une fois l'an avec une monumentale raclette et qui, après le chape­let dominical, s'en revenaient au local des fes-

. tivités pour «exécuter joyeusement les reli­gieuses», ainsi que nous le rapporte la chro­nique de l'époque.

Je sais que ce répertoire n'a rien d'exhaustif, et combien de «Yatel » de nos vallées auront­ils réussi des miracles culinaires dont ils ne nous ont pas transmis la recette. Je dois avouer que certains de ces mets presque ou­bliés pendant un temps tendent à retrouver, occasionnellement, des adeptes fervents . Cela est réjouissant quand les produits surgelés envahissent nos tables.

La raclette Én parlant de ce mets si spécifiquement va­

laisan, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée de commisération pour les académi­ciens français ~. ces maîtres à penser de notre langue - qui n'ont pas encore inclus dans leur dictionnaire ce mot 'aux si douces consonan­

ces. Il est vrai que fendant vient de trouver audience dernièrement chez eux ... Alors, de là qu'ils en arrivent à la lettre r de raclette .. . Il en va de même pour bisse et mayen. Et pourtant, voilà des mots qui chantent doux au cœur comme à l'oreille. Une vraie raclette, près d 'un bisse, dans un mayen, tout cela arrosé de vrai fendant, vous connaissez des bonheurs humains plus près de la perfection? Alors, Messieurs les Académiciens, ' vous auriez peur d'accepter certains mots qui expriment le bonheur?

.. , Mais remontons vers des origines non consignées dans les livres d'histoire.

Aujourd 'hui, la raclette marque une étape dans le mois ou l'année, comme dans certai­nes agréables rencontres . Si elle peut se dérouler par belle journée estivale, à l'orée d 'un bois , je crois que les conditions idéales sont réunies , pour que le souvenir de cette journée demeure comme un petit cristal dans la mémoire de tous les convives .

Mais quels sont les enracinements de ce qu'on appelle une «spécialité valaisanne» non sans une certaine pompe qui n'est pas tou­jours de bonne mise? Car, pour que ce soit une vraie spécialité, certaines matières premières doivent au moins être d 'origine ...

Pour ma part, je revois quelques bûcherons ou des bergers, bien avant le temps des bidons-thermos, qui, à l'heure de midi, fai­saient rôtir sur leur lieu de travail une moitié de «tomme». (Que l'on ne se trompe pas, tout d'abord sur l'orthographe du mot, car un m, ici, prend une certaine importance ... ) La «tomme» était ce petit fromage domestique de un à deux kilos, fabriqué spécialement au mayen pendant mai et juin et qui prenait, contre la braise, une incomparable saveur. Ainsi, ces travailleurs devant manger hors de chez eux, réussissaient un repas à peu près convenable.

Ce n 'est que bien plus tard que la raclette connut une telle popularité, car dans l'écono­mie fermée où vivaient ces populations, il fal­lait savoir utiliser les produits vivriers de base avec une grande parcimonie. Un beau râtelier où s'alignent les fromages de tout âge, dé­passant même la décennie, ne tarderait pas à disparaître si on cédait aux charmes multiples

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de la raclette. Certes, dans des grandes cir­constances de la vie, telles que baptême ou mariage, il arrivait qu'on sacrifiât un beau fromage gras pour asseoir sa joie sur quelque chose de bon et solide - et quoi de meilleur qu'une raclette pour une telle circonstance?

Aujourd'hui - et faut-il s 'en plaindre vrai­ment? - la raclette est devenue ce que j'ap­pellerai un mets à la portée de tout le monde. Les râteliers des caves se sont bien sûr dégar­nis, mais les conditions économiques ont changé au point que ce luxe d'hier peut deve­nir une réjouissance permise même aux plus modestes. Oh ! non, je ne suis pas de ceux qui préfèrent une raclette dans un carnotzet, si sympathique soit-il, à une clairière estivale. Mais tous les goûts étant dans la nature, il n'y ' a aucune raison de ne pas les respecter.

On pourrait, bien sûr, parler de la «matière première » utilisée aujourd'hui pour une ra­clette, mais à quoi bon ouvrir ici une vaine querelle: nos autos aussi peuvent marcher -ou marchent - à l'essence synthétique .. .

Menu: grillade et raclette; ou : choucroute garnie et raclette; ou truite au bleu et raclette .. . Je pourrais continuer, mais je sais que je m'adresse à des initiés, qui sauront choisir «l'entrée » adéquate à une bonne ra­clette, ainsi que le fromage, les cornichons et la moutarde, sans oublier le fendant.

En effet, quels heureux prolongements, en définitive, que ces premières «tommes» raclées par des bûcherons ou des bergers, ceux-là qui ne s'imaginaient· pas créer, ainsi, un mets spécifiquement valaisan, connu maintenant sous tous les azimuts.

Vraiment, comme c'est dommage que les académiciens ne trouvent pas une toute petite place pour ce mot dans leur dictionnaire ... Mais, après tout, consolons-nous, la raclette n'en serait pas pour autant meilleure ...

La boucherie Dans l'économie familiale d'autrefois, la

boucherie jouait un rôle prépondérant. Si­tuons-nous, bien sûr, avant les congélateurs et les boîtes de conserves - «les cornes de bœuf» comme on dit encore çà et là ...

La boucherie avait généralement lieu en novembre ou à la fin de l'hiver, quand les mouches étaient encore en hibernation. Une

fois par an pour le commun du peuple, deux fois pour les privilégiés. Mais quelle que fut la quantité de viande salée puis séchée au bon air du grenier - seul moyen de conservation -il fallait user de ce mets avec parcimonie . Il arrivait qu'on dît aux enfants, par exemple, pour calmer leur fringale : "Trop de viande, ça donne des vers dans les boyaux ... » Les grandes personnes, qui auraient aussi volon­tiers mangé plus souvent de la viande, com­prenaient cette échappatoire et devaient se soumettre à une dure réalité . (Heureux les braconniers impunis qui parvenaient à com­pléter leurs réserves au prix de quels ef­forts !)

Donc, novembre approchait ou était là. Pendant des mois , la ménagère avait bourré le porc de tous les déchets domestiques, l'avait gavé de farine d'orties comme d'épinards sau­vages, la pauvre bête étant toujours enfermée dans une soue dans laquelle il lui était impos­sible de se tourner, de manière à ne pas dé-

Le pauvre porc était soigné dans le jardin.

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penser inutilement des calories. Un jour, la mère disait : «Il a bien grandi, il fait dix tours » (un mètre de thorax). (~On pourrait attendre jusqu'à onze», insinuait le père. «Mais il n'y a plus rien au grenier ... » Alors, il fallait bien se résoudre à sacrifier l'innocent sur l'autel des besoins familiaux.

Dès que le «boucher» villageois disposait d'une demi-journée, envers et contre tout, on faisait la boucherie. Le pauvre porc était saigné dans le jardin; on lui donnait son pre­mier bain dans l'auge remplie d'eau bouillante, on le rasait aussi pour la première fois, ensuite, sur une espèce d'établi à cet usage, le boucher faisait voir son adresse, valser ses couteaux bien aiguisés pour dépecer la bête. Le sang avait été préalablement recueilli pour en faire des beignets; pendant le dépeçage, les abatis étaient soigneusement mis de côté: ils don­neront, par la suite, la base à ces délicieuses «soupes aux greubons » dont les montagnards­vignerons feront la base de leur nourriture pendant les durs travaux de printemps. Toutes les pièces de la victime, bien triées, étaient salées, laissées en saumure pendant le temps voulu, puis suspendues au garde-man­ger -le «garde-mouche» - du grenier. ..

Il était beau, ce porc, et combien sa viande encore fumante~t saignante vous mettait l'eau à la bouche. Mais voilà, les yeux avaient leur part: tant pis pour l'estomac! Une petite cen­taine de kilos de viande pour une année, vous pensez qu'on peut commencer par du gaspillage? Il faut avoir un morceau de jam­bon pour le jour de Pâques, quand le grand interdit du carême est levé; il faut aussi en avoir pour le jour des semailles, et aussi pour tous les imprévus que la vie peut nous réserver. Alors, prudence... (Il arrivait malheureusement que cette prudence valût aux fourmis la désagréable surprise de trouver un jambon, soigneusement mis de côté pour les grandes circonstances, complètement dété­rioré par des parasites ... Il arrivait aussi, dans certains villages , qu'on suspendît des jambons bien à la vue de tout le monde, contre la paroi extérieure du galetas, alors que ... )

La boucherie automnale se faisait aussi sur les alpages. Durant l'été, les porcs se trou ­vaient soigneusement emprisonnés dans leur soue. On les gavait de tous les sous-produits de l'alpe: petit-lait, babeurre, orties , si bien que vers la fin septembre, tout perclus de rhu-

On lui donnait son premier bain dans l'auge remplie d'eau bouillante.

matismes, le porc prisonnier n'attendait que sa délivrance. On l'abattait sur l'alpe et sa viande séchait dans un grenier ad hoc, y pre­nait, paraît-il, un goût délicieux - à condition que des malandrins trop curieux ne viennent pas s'assurer prématurément de la qualité de cette salaison ...

Comme dit plus haut, certains privilégiés pouvaient se permettre deux boucheries par an: un mouton ou un veau, cela était un ap­préciable complément dans les réserves . D'au­tres aussi se mettaient à plusieurs pour en­graisser une vache, vieille comme ses origines, au prix de quels efforts, afin de pouvoir (;tuer une bovine », ce qui représentait une chance pas à la portée de tout le monde, pas davanta­ge que régulièrement possible.

On pourrait longtemps épiloguer sur la va­leur alimentaire de cette viande, d'abord très vieille, salée et séchée, puis bouillie . Mais c'était quand même de la viande, et l'estomac. non sans orgueil , se disait content...

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Boucherie d'autrefois ... Les produits surge­lés l'ont remplacée, mais en partie seulement. Car, même dans les hautes vallées, une espèce de tradition se perpétue pour le plaisir de tous : celle de la viande et du jambon séchés au grenier, quelle que soit leur origine, qui ne manquent jamais à leur mission de faire plaisir à tous les palais. Je sais aussi que beau­coup rêvent - comme moi d'ailleurs - à une bonne soupe aux «greubons » qui revigoraient les vignerons et qui ne nuit pas à nos esto­macs d'aujourd'hui . On peut en trouver dans certaines auberges valaisannes.

Cette remontée à certaines origines est une preuve supplémentaire que tout n'était pas si mal dans le monde d'autrefois.

Pour conclure

y a-t-il quelque chose à conclure à ce bien bref survol des nourritures valaisannes d'hier et d'aujourd'hui?

De prime abord, on est frappé par la grande monotonie de cette alimentation et l'absence presque totale de légumes et de fruits . Nos jar­dins produisaient des choux et des betteraves fourragères et les fruits n'arrivaient sur les ta­bles que très rarement. Il est donc normal que ce déséquilibre calorique ne manquait pas d'avoir des conséquences parfois graves dans la santé du peuple.

Aujourd'hui, quantité de ces mets hier communément r.épandus ont complètement disparu. Pour le repas du soir, on ne saurait encore se contenter d'un bol de petit lait cuit avec une tranche de pain de seigle, ce qui était courant une certaine période de l'année. Il ne serait non plus pas pensable d'envoyer les hommes au travail et les enfants à l'école, après un petit déjeuner constitué par une polenta grillée à la poêle. Qui saurait encore se contenter presque quotidiennement d'un déjeuner dont l'essentiel est une soupe aux gruaux et aux fèves, assaisonnée de quelques greubons ? Vous seriez d'accord de vous ren­dre à la messe dominicale après avoir absorbé un bouillon rance comme le remords, dans le­quel nagent certains squelettes de parasites d'une viande depuis longtemps hors d'usage? Les fromages de plusieurs lustres, même dé­cades, cironnés à souhait, qui garnissaient le râtelier de la cave pour impressionner l'hôte

occa'sionnel, vous ne croyez pas que certains enfants malingres en auraient profité bien avant aujourd 'hui? Souvent , une forme d'or­gueil incitait le père de famille à afficher des réserves alimentaires dont sa famille aurait eu grand besoin . A ce sujet, on raconte que , dans une haute vallée, Louis invite Joseph à la cave. pour lui offrir un verre et, surtout , pour lui montrer ses quarante fromages bien alignés et soignés. Après les avoir sérieusement con ­templés, Joseph dit à Louis: «Tu les as cer­tainement hérités de tes enfants .. . »

Malgré tous les progrès, beaucoup de nour­ritures d'hier, par contre, n'ont pas disparu . On serait tenté de dire que, pour de multiples raisons, elles ont reconquis de nouvelles fer­veurs. Besoin de remonter à certaines sources authentiques, lassitude de trop de produits alimentaires dont la fadeur finit par écœurer? Il existe certainement d'autres raisons qui mo­tivent ces retrouvailles .

Certes, dans toutes nos vallées, la raclette n'a jamais été complètement abandonnée. Aujourd'hui, elle s'est peut-être trop commer­cialisée, jusqu'à perdre les saveurs irrempla­çables liées à un vrai fromage mûr à point , consentant à la braise d 'un feu de bois . Spé­cialité du pays, certes ... Mais au prix de quelles ablations! Une remarque s'impose également pour une autre spécialité qui, trop souvent, n'a plus de valaisan que le nom. Ne désirant pas faire le procès de la viande séchée actuelle, j'arrêterais ici mes réflexions à ce sujet, tout en regrettant que nos greniers ne jouent plus le rôle de séchoirs . .,

En définitive, il n'y a pas de procès à faire, ni à l'alimentation d'autrefois , ni à celle d 'au­jourd'hui, chacun étant seul juge de ses joies, comme de ses ennuis gastriques. Si quelques nourritures d'autrefois retrouvent grâce chez les gourmets d'aujourd'hui, comme d 'autres n'ont pas interrompu leur cheminement au cours des siècles, c'est un précieux trait d'union entre les générations .

Hier, la dure loi de l'existence obligeait à manger ce qu'on avait; il n'y avait pas de choix.

Aujourd'hui, les hommes de ces hautes val­lées peuvent, souvent, manger ce qu'ils aiment. Même les intégristes les plus invétérés ne sauraient s'en alarmer, car, ainsi, la vie continue ...

Jean Follonier 26 27

Les coutumes liées aux alpages par C. Michaud

1. Généralités

L'économie alpestre joue un rôle important

en Valais. Nos aïeux en étaient pleinement conscients.

C'est pour cette raison et non seulement pour le commerce qu'ils convoitaient les princi­paux cols de la frontière du canton.

Les Valaisans sont encore, à l'heure actuelle, propriétaire's d'alpages au-delà des frontières notamment au Sanetsch, à la Gemmi et au Grimsel.

Il. y eut même des luttes sanglantes pour la possession de certains alpages; ce fut le cas pour l'alpage de Charmotane entre Bagnards et Valdotains. La légende s'est emparée de ces luttes épiques. En voici une tirée du livre de Louis Courthion Les veillées des mayens.

«Longtemps après que le conflit relatif aux alpages de Charmotane eût été tranché au profit des Bagnards contre les Valdotains, quelques-uns de ces derniers venaient marau­der dans la montagne et rançonner le pâto (ti­tre que les Bagnards donnent à l'homme qui fait le fromage) . L'infortuné armailli devait ou bien laisser dépouiller le grenier du meilleur des produits, ou bien se laisser étrangler pour être jeté dans la cuite bouillante de la chau­dière.

Un moment advint où il ne fut plus possible de trouver de pâto à Charmotane. Les Ba­gnards portèrent alors le salaire à cent vingt livres, ce qui, surtout à l'époque, constituait un joli lot. Ce fut un nommé Michelet qui s'offrit à occuper le périlleux poste. Michelet était un ancien soldat du roi de France et de Navarre et, de même que la plupart des trou­piers de son temps, il avait le don du charme fascinateur.

La moitié de l'été s'écoula sans aucune ten­tative de pillage, les Valdotains ayant soin de ne pas se mettre en route avant que le grenier fût bien garni. Cependant, un dimanche d'août, comme Michelet allumait sa pipe à côté de sa chaudière sous laquelle crépitait un petit feu alimenté par deux simples bûches de sapin, tandis que le troupeau paissait au loin et que le chalet était plongé dans un brouil­lard intense, six colosses apparurent tout d 'un coup au seuil de la rustique cabane.

Michelet ne parut nullement s'émouvoir de cette visite inopinée; il se montra bon garçon, leur dit qu'il allait immédiatement leur puiser

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de la crème dans les «chauderettes », mais que, comme il ne faisait guère chaud, ils feraient bien de s 'asseoir, en attendant, sur les bords de l'âtre formé d 'un rectangle de pierres de taille.

Les gaillards s 'assirent sans défiance, mais aussitôt, Michelet fit le tour du foyer en les fixant de son puissant regard, après quoi il attisa vivement le feu, sur lequel il entassa une énorme brassée de belles bûches sèches. Puis s 'adossant au mur, impassible, il conti­nua de fumer.

- Mâ, fâ tsâ! (Mais il fait chaud)! dit bientôt, en essayant de s 'écarter du feu , l'un des vagabonds.

Michelet fumait sans rien entendre. - Fâ tsâ ! ... fâ tsâ ! ... se mettaient à répéter

les uns et les autres en tentant de se dégager, mais en restant toujours comme cimentés aux pierres de l'âtre et dans l'impossibilité de se li­vrer à tout mouvement autre que des grimaces ou des contorsions.

Michelet , placide et grave, ne bronchait pas.

Les bûches, bien sèches, éclataient bruyam­ment et, dans un concert de crépitements et de pétarades, les pans des vêtements des Val­dotains, qui tout à l 'heure fumaient en évapo­rant un restant de buée, commençaient de rôtir.

Tout à coup, Michelet, toujours aussi muet qu'imperturbable, s'avança et fit sur la tête de chacun des patients un signe en forme de

croix. Au fur et à mesure, un des Valdotains, délié de sa chaîne invisible, se levait d'un bond et s 'élançait hors du chalet.

Tous prirent la direction du col de Fenêtre, jurant mais un peu tard qu 'on ne les repren­drait plus à rôder sur le versant valaisan.

Depuis, ils ne revinrent, en effet, plus ja­mais rançonner les bergers de Charmotane et Michelet ouvrit à cet alpage une longue série d'années prospères. »

Il est intéressant de voir l'évolution des alpages en 27 ans . Les rapports établis par la Fédéra­tion laitière et agricole du Valais sont extrêmement précieux dans ce domaine. Voici la situation pour la saison d'été 1950:

Nombre d'alpages exploités en consortage Nombre de membres Nombre de vaches laitières Lait coulé Lait vendu Lait consommé par les bergers Lait transformé en produits

Produits obtenus: Beurre Fromage gras Fromage 1/4 gras Fromage 1/ 2 gras

Durée d'estivage 1950 (moyenne) : 84 jours pour l'ensemble des alpages 91 jours pour le Valais romand 76 jours pour le Haut-Valais

Productivité moyenne: 383 1. par vache pour la saison

4,9 1. par vache et par jour. Voici maintenant le même tableau pour J'année 1976:

Nombre d 'alpages exploités en consortage Nombre de propriétaires Nombre de vaches laitières Lait coulé Lait vendu Lait consommé par les bergers Lait de fabrication

343 12249 21666

8962972 1. 219189 1. 378 573 1

8365210 1

51,254 kg 536,650 kg 268,062 kg 804,712 kg

140 3663 8711

4684703 149972 96221

4 121 992

#

28 29

Produits obtenus: Beurre Fromage gras, 1/ 4 gras et 1/2 gras

Durée d'estivage 1976 (moyenne) 87 jours pour l'ensemble des alpages 96 jours pour le Valais romand 74 jours pour le Haut-Valais

Productivité moyenne: 537, 8 litres par vache pour la saison

8064 432699

6,18 litres par vache et par jour ,.. . La forte régression est donc due principalement a la dlmmutIOn du cheptel et du nombre de

propriétaires.

Propriété des alpages Au point de vue propriété, les alpages va­

laisans se répartissent comme suit : a) Les alpages privés qui sont en petit no~­

bre et qui se rencontrent surtout dans .la re­gion du Simplon et dans le val d'IlIiez. Ils sont généralement bien entretenus .

b) Les alpages qui appartiennent aux bour­geoisies qui en laissent l'exploitation à des consortages.

c) Les alpages propriétés de consortage dont les statuts et règlements varient énormé­ment.

Pour simplifier ma tâche, je prendrai pour type les alpages de Bagnes qui appartiennent, à deux exceptions près, à la bourgeoisie.

Au début du siècle, le régime adopté était le résultat de répartitions très anciennes consen­ties par la commune bourgeoise ou seigneu­riale entre ses ressortissants . Ces répartitions reposaient en effet sur des conventions routi­nières entretenues depuis de longs siècles. Le catalogue des archives de Bagnes constate que la situation de 1900 était déjà en pleine vi­gueur en 1625.

Le «règlement des montagnes » de 1930 a mis fin à cette situation anarchique, anachro­nique et irrationnelle.

La montée à l'alpage autrefois Après un séjour de deux ou trois semaines

au mayen, le bétail va monter à l'alpage . Cet événement, car c'en est un, a lieu habituelle­ment entre le 20 et le 30 juin. La date est fonc­tion de l'avancement de la végétation.

Ce jour-là, personne ne reste endormi. Le père se lève tôt, descend à l'étable, net­

toie les couches et l'allée, répand un peu de li-

tière (aiguilles de sapin) , remplit les crèches de foin et commence la traite.

Les vaches ne sont point sottes. Elles sen­tent que le grand jour est arrivé. Elles meu­glent, secouent leur chaîne, essayent de man: ger un peu de foin mais les crèches restent a demi-pleines. La candidate au titre de reine a eu droit à sa ration d'avoine trempée dans du vin.

Hé ! hé ! Pivole, reste tranquille. Parise, as-tu fini de t'agiter? Etoile, Marquise, ça suffit! Vous allez arracher les crèches! Le père soliloque tout en faisant jaillir le

lait dans son seau rouge et blanc (une douve en mélèze, une en sapin et ainsi de suite).

La mère prépare la polenta tout en gour­mandant les enfants qui font le cirque dans leurs lits à tiroir.

Les gamins ne tiennent plus en place. Ma­man leur donne l'autorisation de se lever. La prière du matin est quelque peu raccourcie; le petit Jésus comprendra!

La polenta est cuite. Le père est encore à l'étable Que peut-il bien y faire?

Maman va le rejoindre. Elle a pris le flacon d'eau bénite, un cierge bénit le jour de la Chandeleur et son chapelet. Pour chaque bête elle récite un Pater, un Ave et une invo­cati~n à saint Antoine. Elle verse quelques gouttes d'eau bénite sur l'échine et fait un si­gne de croix avec le cierge en brûlant quel­ques poils sur le garrot, sur la croupe et de chaque côté de la panse de l'animal.

Le déjeuner est expédié en vitesse . Pendant que maman lave la vaisselle et

«fait les lits » papa «poutze» son troupeau, en­lève la poussière avec un chiffon humide, lave les cornes et enduit celles de la reine avec de l'huile de marmotte. Par son odeur, ce produit

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Les vaches beuglent, labourent la terre avec leurs sabots, plantent leurs cornes dans le sol et sont prêtes our la lutte. p

éloignera l'adversaire quand le combat aura lieu.

Les enfants ont graissé leurs chaussures et attendent le départ.

Il s'agit d 'abord d'embarquer le cochon. On lui fixe un collier de cuir relié à une sangle passée autour du thorax , ceci pour éviter que le collier ne glisse hors du cou de l'animal.

C'est à maman qu'incombe la délicate mis­sion d'amener «monsieur» (le cochon) à l'al­page. Un gamin le suit avec une petite verge.

Ça ne va pas tout seul avec cette bestiole! Quand il faut monter, elle descend. Elle pré­fère reculer quand il s'agit d'avancer. La tra­versée à gué des nombreux torrents est un problème presque insoluble .

C'est ensuite le départ des bovins. Les va­ches sont aussi folles que le jour de leur pre­mière sortie de l'étable après la longue réclu­sion hivernale. Les petits veaux, eux, sont un peu «paumés » !

Après deux heures de marche, on arrive sur l'alpe. On choisit une portion du pâturage pour laisser paître le troupeau. On tire du sac

la fiole d 'eau-de-vie pour «combattre les effets néfastes de la transpiration .»

Vers 10 heures, le maître berger, qui a ter­miné le recensement et le marquage du trou­peau, donne l'ordre aux propriétaires de quit­ter l'arène improvisée.

Les vaches beuglent, labourent la terre avec leurs sabots , plantent leurs cornes dans le sol et sont prêtes pour la lutte.

Les femmes et les enfants se sont mis en sé­curité sur les tas de cailloux édifiés lors de l'épierrage du pâturage après le passage des avalanches.

~ Les hommes restent dans le troupeau, le baton à la main, l'œil aux aguets, prêts à in­tervenir en cas d'incident grave.

Les luttes commencent. Pour l'éleveur de la race d'Hérens, c'est le plus beau moment de l'année.

On ne sait plus où regarder; le spectacle est partout.

«La mienne a «gagné la tienne ». «Celle de Fabien a perdu avec celle du Grand Etienne»!

Les poids plume se prennent au sérieux et 30

ne craignent pas de s'attaquer aux poids lourds, sans beaucoup de succès .

On n'entend que crier, beugler, mugir. Mais les prétendantes au titre ne sont pas encore entrées en lice.

Hercule, Edouard, Edmond et quelques au­tres montent la garde auprès de leur favorite. De temps en temps, une poignée de sel, une tranche de pain de seigle. L'attente devient in­tolérablé. Bêtes et gens sont tendus à l'extrê­me.

Bijou traverse le pâturage en beuglant. Elle a repéré Lion, sa rivale heureuse de l'an der­nier.

Les deux bêtes se mesurent du regard, se défient, tournent l'une autour de l'autre, les yeux exorbités, les naseaux écumeux.

Les mottes de gazon volent en éclats. Et tout d'un coup, c'est le choc des géants. Les deux fronts se heurtent, les cornes entrent en danse; on dirait deux escrimeurs en action. Des touffes de poils s'envolent, des estafila­des apparaissent. Les deux rivales, les yeux injectés de sang, se livrent une lutte sans mer-

ci. L'une utilise son poids, l'autre sa ruse. Comme la houle, les ~pectateurs qui les en­tourent se déplacent au rythme du combat.

Le spectacle est aussi dans la foule. Edouard mâchonne son cigare de Monthey. Hercule ne peut plus maîtriser le mouvement frénétique de ses deux mâchoires qui cli­quettent à toute vitesse. Joseph mjme le com­bat et sa tête fait les mêmes mouvements que celle de sa favorite. Edmond, solidement étayé par son bâton de coudrier, mange Bijou des yeux et lui dit: «Bijou, fais ton devoir. »

La brave bête a compris. Dans un suprême effort, elle parvient à bousculer Lion qui prend la fuite.

Des hourras prolongés (j'allais écrire des hosannas) retentissent d'un versant à l'autre de l'étroite vallée.

Tout n'est pas encore terminé pour la con­quête du titre suprême. Bijou doit encore af­fronter Tonaise, la vieille reine, une habituée de l'alpage, une fameuse sorcière.

Epuisée par sa lutte contre Lion, Bijou ne résiste pas et Tonaise est proclamée reine.

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L'air indifférent, Edouard tire un nouveau cigare de sa poche, mais il ne l'allume pas.

Les combats se sont calmés. Seules quelques escarmouches éclatent encore de-ci, de-là.

Les propriétaires se rassemblent autour des bergers et du secrétaire de l'alpage qui va procéder à la répartition des vaches, par ber­ger, pour la traite.

Dans le large chapeau du maÎt:-e berger, il y a autant de billets que de propriétaires de bétail. Chaque billet porte le nom du consort et l'effectif de ses vaches laitières. A tour de rôle, les pâtres tirent un billet de cette urne improvisée et l'opération continue jusqu 'à ce que le chapeau soit vide.

Chaque propriétaire fait reconnaître son troupeau au trayeur qui lui a été dévolu par le sort et lui fait les ultimes recommandations : «Tu feras attention avec la jeune, elle est cha­touilleuse; «celle de second veau )} est passa­blement «connaissante ,); la rouge n'est pas encore portante, si elle revient en chaleur, il ne faudra pas la faire saillir. »

Après toutes ces émotions, les gens s'écar­tent un peu du troupeau pour le dîner tiré des sacs, soit pain de seigle, fromage, lard, barillet de cidre ou de gros rouge de Fully. Pour les petits , on va traire une vache.

Dans l'après-midi, les propriétaires rega­gnent le village où d'autres travaux les atten­dent.

Pour les pâtres, la grande aventure va com­mencer. Ils ont déjà troqué leurs «beaux » ha­bits contre un costume approprié et se sont mis au travail. Chacun sait exactement ce qu'il doit faire . Les «bergers des vaches» gar­dent et surveillent le troupeau qui ne doit pas dépasser certaines limites fixées par le maître berger. Les autres s'affairent à installer le mé­nage, à nettoyer les ustensiles, chaudières, seaux, baquets, cercles à fromage , moule à sérac, etc.

Il est temps de dire quelques mots sur le genre de construction que l'on trouvait sur un alpage. Je laisse ici la plume à Louis Cour­thion:

«Comme l'altitude générale des montagnes ne peut permettre au sol de fournir une herbe très abondante, l'étendue des pâturages est relativement considérable et nécessite de fré-

Ancienne construction d'alpage.

quel/tes étapes cUllzpliquées de déménage­ments. Les consurts du moindre alpage ont ainsi plusieurs chalets à entretenir, au moins cinq ou six. La distribution intérieure de ces bâtiments en est encore au même état rudi­mentaire que ceux que de Saussure décrivait vers 1770. Ce sont, à vrai dire, de simples toi­tures de schistes à peine assez hautes, pour qu 'un homme puisse se tenir debout au centre de la pièce unique. Le mobilier consiste en une chaudière suspendue à une potence et un âtre bordé de dalles dressées. Quelques quar­tiers de sapin sont disposés autour pour servir de sièges. Une presse à fromage avec égouttoir et cuveau, quelques petites chaudières où repose le lait complètent l'agencement. La fu­mée se dissipe par les interstices des chevrons de la tuiture.

La muraille, de pierres grossières et sans mortier, n'est presque jamais achevée: l'es­sentiel est qu'elle ait quatre angles pour sou­tenir le toit.»

Quelques alpages seulement disposaient d'étables. Dans les autres, les bêtes cou­chaient à la belle étoile sous la surveillance des pâtres qui effectuaient la garde à tour de rôle.

Où dormaient les bergers? Le fromager et ses aides couchaient sur du foin sauvage dans le local de fabrication décrit ci-devant.

Les autres se terraient comme les marmot­tes dans des trous creusés sous des rochers. L'entrée était parfois si basse qu'on ne pouvait y entrer qu'en rampant. Le sol de cette niche était lui aussi recouvert de foin sauvage sur lequel était jetée une couverture.

Pour la conservation du fromage et .du beurre, chaque alpage possédait un bâtiment central mieux construit et bien fermé. Sur les alpages où l'on fabriquait du fromage mi-gras, 32 33

le beurre était mis en bloc, dès le premier jour, sur une dalle et faisait si l'on peut dire «boule de neige)} par les soins du fromager qui re­couvrait régulièrement la couche de la veille par la provision du jour.

Par ce vieux procédé, le précieux aliment conservait sa fraîcheur et sa pureté jusqu'à la fin de la saison.

La journée des pâtres A 3 heures du matin, les yeux lourds de

sommeil, ils se levaient pour la traite. Ils en­filaient leurs pieds nus dans les socques rem­bourrées par un peu de foin et les voilà prêts. (Les chaussettes étaient inconnues sur l'al­page) .

Ils allumaient le falot-tempête, s'attachaient autour de la taille le tabouret à un pied, met­taient la salière en bandoulière et hop! en avant dans la nuit à la recherche des vaches à traire. La traite durait trois à quatre heures. Quand les ustensiles étaient remplis, chaque trayeur venait les vider dans la grande chau­dière de cuivre surmontée d'un couvercle percé en son milieu et muni d'une passoire elle-même garnie d'un filtre en branches de sapin ou en paille de riz.

Après un rapide déjeuner (lait et pain de seigle) et une toilette le plus souvent suppo­sée, les pâtres partaient avec le troupeau. Le fromager fabriquait le fromage. son aide s'oc­cupait du beurre et du sérac, de la nourriture des porcs et fendait le bois. Le muletier ame­nait les produits au grenier et ramenait le bois . Le saleur soignait les fromages et les séracs entreposés dans la cave. '

La nourriture consistait essentiellement en pain et en lait. Pour chaque vache, tout con­sort devait fournir une demi-livre de viande ou de lard et une demi-livre de fromage.

A vec de telles rations, pour trois mois d'es­tivage, le menu ne devait pas être extrême­ment varié.

A 14 heures, la traite recommençait. Puis le troupeau paissait jusqu'à la nuit. Le fromager fabriquait la deuxième édition de la journée et à la nuit tombée, chacun gagnait sa niche pour un court sommeil.

Quand le temps était favorable, cette vie primitive était relativement supportable, mais quand la pluie ou la neige tombaient, les vieilles capotes militaires étaient bien peu de chose pour protéger du froid et de l'humidité!

Quelle était la rétribution des employés? D'un rapport établi en 1907 par le Dr Wuil­

loud à l'intention du Département de l'intérieur du canton du Valais, j'ai relevé les indications suivantes:

«Le fromager de Charmotane n'a suivi au­cun cours de laiterie. Il reçoit comme paye­ment 200 livres de fromage et 95 de sérac, ce qui, au prix payé l'été dernier (0 fr. 80 la livre pour le fromage et 0 fr. 35 pour le sérac) équi­vaut à 193 fr. 25 Le maître berger reçoit 200 li­vres de fromage et 100 livres de sérac.»

Le petit berger, lui, recevait un sérac pour tout salaire, en plus des joues rebondies et d'une mine resplendissante qui faisaient .envie· à ses petits camarades.

Les mesures Pour permettre une répartition correcte des

produits laitiers à la fin de la saison d'été, le lait doit être mesuré ou pesé périodiquement sur les alpages. Autrefois, et même mainte­nant dans quelques alpages, le lait n'était pas pesé tous les jours.

On faisait de quatre à sept mesures dans le courant de l'été. La première avait lieu une di­zaine de jours après l'inalpe et les autres sui­vaient à distances régulières. Le maître berger fixait la date de la mesure. Le lait était pesé ou mesuré au moyen d'une sonde par une per­sonne de confiance désignée à cet effet par l'assemblée générale du consortage. Il était assisté par le secrétaire qui inscrivait les ré­sultats sur deux cahiers différents dont l'un

. restait sur l'alpage et l'autre dans ses dossiers.

La traite durait trois à quatre heures et se déroulait en plein air .

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La chaudière nécessaire à la fabrication du fromage était transportée de chalet en chal t . t 1 d ' 1 ment des troupeaux. e sUlvan e ep ace-

La mesure la plus populaire avait lieu le 16 août. Ce jour-là , entre les foin s et les regains, presque tous les consorts assistaient à la me­sure. Ils retrouvaient les pâtres , leur appor­taient une nouvelle provision de tabac, véri­fiaient l'état d 'embonpoint de leur bétail , pro­cédaient à l'épierrage d'une parcelle de pâtu­rage et rentraient chez eux après la mesure du soir, dans la nuit noire , en chantant et en plai­santant.

Le partage La veille de la désalpe, le secrétaire de l'alpa­

ge assi sté de deux aides , procédait à la réparti ­tion des produits. Pour effectuer le partage, on divisait le total de leur poids par le nombre total de litres ou de kilos obtenus dans les différentes mesures et il en résultait le nombre de kilos à répartir par litre ou kilo de mesure.

Pour éviter toute tentative de partialité, les personnes chargées de faire des lots ignoraient le nom du bénéficiaire qui n 'était désigné que par un numéro.

Le matin de la désalpe , la place devant le grenier était envahie par vingt ou trente mulets bâtés. Les consorts mettaient leurs produits ' dans un bissac fixé sur le bât, proté­geaient les fromages contre le frottement à l'aide du foin qui servait de matelas aux ber­gers et attachaient le tout solidement.

Les plus pauvres, qui n'avaient pas de mulet et peu de produits, introduisaient ceux-ci dans un sac et les transportaient sur le dos pendant des heures.

Le pr~priétaire . qui obtenait le plus de rendement pouvaIt omer sa production d 'un bouquet.

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L'humour ne perdait pas ses droits puis­qu'un chansonnier avait osé écrire, en pensant à des alpages fort éloignés des villages:

Vingt Huit ou Charmotagne N'est pas pour les pauvrets Ceux qui n'ont pas un âne En ont le croupion blet «Dans les vallées latérales du Valais, le fro­

mage avait valeur d'argent comptant. Chez les marchands du village les paysans faisaient souvent inscrire leurs achats sur un carnet et les comptes se bouclaient en automne après la désalpe. Le débiteur payait son dû en fromage gras que le marchand vendait au dehor. » (K.

Suter.)

La désalpe Entre le 10 et le 20 septembre, quelquefois

plus tôt à cause du temps défavorable, les troupeaux regagnaient la vallée.

Les bergers portaient et portent encore une fleur artificielle au chapeau 'avec un ruban rouge pour les pâtres et un ruban blanc pour le fromager et ses aides .

Chaque bête était également décorée. La reine à cornes portait une sangle rouge, la reine à lait une sangle blanche. Tous les fronts étaient garnis d 'oripeaux, de photos-réclame, de rubans muiticolores , de petits miroirs.

Les veaux portaient une touffe d 'aiguilles de sapin. Sur la tête du taureau, on fixait un escabeau à traire; son unique pied tourné vers le haut. A cette hampe improvisée, on atta­chait solidement un sapineau.

Et le cortège s'ébranlait. Les deux reines ouvraient la marche et précédaient le froma­ger.

Les autres bergers se partageaient le reste du troupeau . Le carillon des sonnailles an­nonçait l'arrivée au village. Tout le monde descendait dans la rue , faisait fête aux bergers et leur offrait généreusement à boire, tant et si bien que les dernières bêtes regagnaient seules leur étable!

Les prémices Voici comment Louis Courthion décrit cette

coutume dans son ouvrage Le peuple du Va­lais :

« Durant Le séjour des troupeaux sur Les pâ­turages supérieurs de La vaLLée d'Anniviers, Le curé de Vissoie, chef-lieu de cette vallée, doit

se transporter d'alpage en alpage pour bénir les troupeaux et les chalets.

Pour l'en récompenser, Les consorts Lui des­tinent le produit complet du lait obtenu le sur­lendemain de Leur arrivée au pâturage. Cet usage est si bien invétéré que Le don est tenu pour une part réguLière et LégaLe du traitement du prêtre. Avec Le Lait, que L'on a reLigieuse­ment pris garde d 'écrémer, on fait aLors un fromage désigné sous Le nom de «prémice» qui sera solennellement remis au curé Le quatriè­me dimanche du mois d'août.

Ce jour-Là est une vraie fête pour toute La vallée. De grand matin, les pâtres apportent leurs «prémices » au presbytère, où iL va sans dire qu 'iLs ont coutume de déjeuner. Le juge de paix, accompagné de son substitut et de son huissier, examine Les fromages , Les compte et les pèse. Puis tout Le monde se rend à la messe où se trouve déjà massée La fouLe des fidèLes. Au nombre de quinze, Les maÎtres bergers, portant chacun le fromage de sa montagne, en­trent aLors en procession; La marche est ou-

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verte par le pâtre de l'alpe de Torrent qui donne le plus gros fromage (80 livres environ), les autres suivent selon le poids du cadeau, et le cortège est ordinairement fermé par le re­présentant de la montagne des Ponchettes, porteur d 'un simple petit cylindre d 'un poids de huit à dix livres.

Parvenus au chœur, les bergers viennent s 'agenouiller de front devant le maître-autel. Derrière eux se tiennent les magistrats et fonc­tionnaires communaux vêtus d 'un manteau noir. Après le service divin, le retour au pres­bytère s 'effectue dans le même ordre. Dans le verger, sous un vieux noyer, les tables sont dessées ,' les autorités y prennent place. Le re­pas se compose d 'une soupe aux raves et au lard, puis d'une raclette prélevée pour un tiers sur les prémices de l'année, pour un tiers sur celles de l'année précédente et pour le dernier tiers sur celles de l 'avant-dernière année. Trois discours sont ensuite prononcés, l'un par le prêtre, qui remercie, un autre par le maître berger de la principale montagne, un troisième par le juge de paix. La cérémonie se termine par des cantiques et des chœurs patriotiques que vient animer le vin capiteux des coteaux de Sierre. 4>

Aujourd'hui Les conditions d'exploitation des alpages

ont évolué. Des routes ont été construites . Des

étables ont été édifiées. Les bergers disposent de logements sinon luxueux , du moins relati­vement confortables. Des locaux de fabrica­tion modernes ont été aménagés , des trayeu­ses mécaniques installées .

Les produits non utilisés par les consorts sont vendus en bloc et l'argent est réparti au prorata de la production de lait.

Les bergers ne sont plus au régime du pain et du lait. Ils sont autorisés à acheter ce qui leur convient, sans exagération , bien entendu .

Le recrutement des pâtres devient de plus en plus difficile et les alpages qui, pour une raison ou pour une autre , ne peuvent pas être modernisés sont condamnés à disparaître.

La durée d'estivage a été prolongée par l'adjonction aux alpages des mayens supé­rieurs.

Mais le combat des reines le jour de l'inalpe n'a rien perdu de ses attraits.

Chaque année, des foules de plus en plus nombreuses sont attirées par ce spectacle fas ­cinant et plus d 'un déraciné essuie furtive­ment une larme au coin de l'œil en songeant à son enfance sur l'alpe.

Je souhaite de tout cœur que l'on puisse longtemps encore assister aux combats de reines et écouter sur nos hauts alpages le ca­rillon nostalgique des fiers troupeaux .

Camille Michaud

Le carnaval par S. Chappaz-Wirthner

Le carnaval, en relation d'opposition avec le carême, entraîne cet antagonisme des valeurs et des comportements (obésité-abondance / maigreur­privation) symbolisé par le « Combat de Charnage et de Carême» de Bruegel le Vieux .

La fête en soi

Fête du ' monde à l'envers où s'inversent sexes et comportements, où les «fous » paro­diquement s'emparent du pouvoir et mènent la satire publique, où règnent la démesure et l'excès, la chère et la boisson, le corps et ses plaisirs .. . Tels sont les éléments traditionnels qui ont fait du carnaval une fête ambiguë reléguée en dehors de l'enclos religieux, dans un univers «païen » condamné ou régenté depuis toujours par l'autorité civile ou reli­gieuse, parenthèse où s'expriment dans le geste et la parole ceux qui n 'y ont pas droit le reste de l'année (encore que cette expression soit fortement neutralisée par le canevas du rite). Cette fête apparemment profane se rat­tache pourtant aux deux sommets de l'année liturgique : à Noël et aux douze nuits d'une part, qui appartiennent au cycle «sanctoral» fixé par le calendrier solaire et à Pâques d'autre part qui relève du cycle «temporal» rythmé par le calendrier lunaire. Des rites d 'ouverture et de clôture soulignent la situation particulière de la fête dans le cycle festif annuel, l'en­fermant dans un espace temporel bien déli-mité : les charivaris, le sacrifice du porc ou le rassemblement au tambour des jeunes gens «réveillent » le carnaval tandis que les cavalcades masquées, les sonneries de cloches ou la mise à mort d'un mannequin le «chas­sent » (Van Gennep). De plus, le carnaval se trouve en relation d'opposition avec le carême et cet antagonisme des valeurs et des com ­portements est symbolisé dans l'iconographie traditonnelle par la lutte de deux personnages antithétiques (obésité-abondance/ maigreur­privation): ainsi le Combat de Charnage et de Carême de Bruegel le Vieux .

Cette fête complexe a suscité de nombreu­ses tentatives d 'explication dont certaines s'appuient sur l'étymologie. «Carnaval » vie'nt de l'italien « carnevale » et se substitue dès le XVII e siècle au «charnage » médiéval. Quant à l'expression italienne «carnevale », elle est l'aboutissement d 'une évolution qu 'Helmut Rosenfeld pense avoir été la suivante : parmi les termes ecclésiastiques utilisés dès le haut Moyen Age (carnis levamen, dominica carne­levalis du Rituel Ambrosien), il existe, attestée dès le Xl' siècle, une variante «carnelevare » qui , sous rinfluence de « Natale », serait de-

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venue «carnelevale » ; ce terme aurait évolué à son tour, à partir d'une variation ironique du type «carne vale » (viande adieu), vers la forme définitive « carnevale ». Mettant d'abord l'accent sur la privation de viande et indi ­quant ainsi le premier jour du carême, ce qu'attestent les variantes carême-prenant, carême-entrant, Caramantran, le terme carna­val finit par désigner la période des jours gras où la viande est goûtée en abondance avant le carême.

L'allemand « Fastnacht » (à distinguer de «Karneval » qui s'applique surtout aux mani­festations urbaines de la région rhénane) dé­signe d'abord la nuit puis le jour et la période de fête avant le jeûne et correspond dans ce sens au français «carnaval ». L'orthographe « Fastnacht » est combattue par les partisans de la forme «Fasnacht » qui dériverait d'une racine «fas » marquant 'l'excès , d'où seraient issus « Fasel » et «faseln » : « Fasnacht » signifierait la nuit phallique (Faselnacht), la nuit où l'on agit follement (faselt) .

On brûle la «poutratze» à Bovernier.

Si le carnaval se termine habituellement le mercredi des Cendres, certaines coutumes ont lieu toutefois le dimanche qui suit, dimanche des Brandons, Funkensonntag, alte Fastnacht selon les régions; le dernier terme fournit d 'ailleurs la clé de ce décalage calendaire: selon le Rituel Ambrosien, interdit ensuite par le Rituel Romain, le carême commençait le dimanche Invocavit (Quadragésime), nommé dominica carnelevalis, d'où les désignations «vieux carnaval », «alte Fastnacht » et les rites carnavalesques accomplis ce jour-là.

Ces querelles étymologiques trahissent en fait deux types d'interprétation opposés de la fête . Les tenants de la forme « Fasnacht » per­çoivent le carnaval comme une « survivance pa ïenne » que le christianisme ne serait pas parvenu à anéantir; pour atteindre le sens profond des rites carnavalesques, perdu de­puis longtemps, il faut remonter aux fêtes an­tiques qui en seraient l'origine : les Saturnales de décembre au cours desquelles la hiérarchie sociale étant inversée, les esclaves jouaient à être, l'espace d'une fête, les maîtres qu'ils ser­vaient le reste de l'année, et les Lupercales de février où des jeunes gens vêtus de peaux de bête parcouraient les rues en frappant les femmes de lanières de cuir. En marge du monde romain, la Germanie ancienne livre également son content de rites païens ori­ginels : les coutumes carnavalesques seraient aussi les vestiges d 'un ancien culte germani­que à l'Esprit de la Végétation (Mannhardt) et auraient pour but de chasser les mauvais es­prits qui envahissent l'espace terrestre au mo­ment du changement d'année, menaçant la fertilité du sol (Hoffmann-Krayer, Meuli). Le trait commun à ces deux attitudes, romano­phile et germanophile, est la négation de la dimension historique et de la dichotomie ville-campagne, la théorie des survivances s'appliquant en effet aux rites antiques, médiévaux et actuels, villageois et urbains sans distinction. (On peut noter au passage que cette attribution à l'Autre - ici la gent païenne, de la paternité des rites carnavales­ques réprouvés ne va pas sans rappeler le inécanisme de la projection que le psychisme individuel utilise pour sa sauvegarde).

En réaction contre ce dédain de l'histoire et cette quête romantique des origines, les parti­sans de la forme « Fastnacht » analysent plutôt le carnaval comme une création du haut 38 39

Les « Roitschi:iggi:iüi ~) poursuivent les filles et les enfants et leur frottent la figure avec leurs gants tachés de suie. '

Moyen Age qui apparaît au moment où se met en place l'année liturgique chrétienne : la fête exalte les jouissances que le carême réprime et le carnaval n'est pas un îlot « sauvage », rescapé indemne du flot temporel; en relation dynamique avec le contexte socio-historique, il est au contraire soumis à des influences multiples qui le transforment constamment (fêtes profanes et sacrées du Moyen Age, amusements de cour, vagués de la Réforme et de la Contre-Réforme, irruption de l'exotisme d'outre-mer .. . ). Le XIX" siècle joue un rôle particulièrement important dans ce modelage de la fête: l'industrialisation et l'urbanisation accélérées qui marquent cette période entraî­nent l'apparition d'un phénomène lié à l'émer­gence d'une culture industrielle, le «folkloris­me ». Le regard nouveau que la ville en mal d'exotisme "jette sur la campagne révèle à celle-ci le « prix » des traditions; sous ce re­gard nostalgique qui renvoie d'elles une image idéale et déformée, les coutumes carnavales-

ques (entre autres) ne sont plus vécues spon­tanément mais prennent un caractère de dé­monstration et évoluent vers la forme du spec­tacle qu'elles connaissent à l'époque actuelle où la scission semble définitive entre les ac­teurs et les spectateurs. (Le cas des Roit­schaggi:iti:i de Lotschen est à cet égard exem­plaire).

De plus, l'essor des mass media contribue à répandre partout des interprétations simpli­fiées du carnaval (avec une prédilection aussi étrange qu'obstinée pour la théorie des sur­vivances païennes). Cette diffusion d' « ima­ges » de la fête est responsable du processus de rétroaction (Rücklauf) décelable dans les manifestations actuelles : parce que le carna­val doit être l'exutoire annuel que la société offre à ses membres, les rues sont livrées à la « folie » des masques, folie planifiée en fait par un comité de carnaval approuvé par les auto­rités; parce que le carnaval est une fête «païenne », «sauvage », des masques ef-

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frayants « chassent les mauvais esprits » qui menacent la ville ou le village; parce que le salut de la communauté doit passer par la mise à mort d'un « bouc émissaire » (Frazer), le Bonhomme Hiver est exécuté à carnaval. (II est évident que le phénomène de rétroaction peut servir de rationalisation à des motiva­tions, inconscientes ou non, beaucoup plus complexes).

(, Folklorisme » et rétroaction ne sont d 'ail­leurs que deux facettes de l'influence plus glo­bale que la ville exerce sur la campagne et que reflètent les rites carnavalesques ; si au début du xx" siècle le carnaval villageois pos­sède des formes « typiques », il n'en est pl us de même aujourd 'hui: l'acculturation à la ville se traduit en effet par la réception d 'éléments ur­bains caractéristiques (bals masqués, cortèges et journaux satiriques .. . ) qui se substituent peu à peu aux usages locaux, contribuant à

une certaine uniformisation du carnaval ac­tuel. (Cette acculturation n'est toutefois pas à sens unique puisque la ville s'est mise à cul­tiver la mode du rustique .. . ).

Carnaval des champs Le carnaval villageois « traditionnel » en

Valais présente quelques traits propres au carnaval alpestre européen . L'article « Carna­val » (E. Schüle) du Glossaire des patois de la Suisse romande en donne une description valable pour la période 1890-1900.

Commençant généralement le 6 janvier déjà, parfois même à Noël (Liddes) , le carna­val est essentiellement la fête des célibataires. Ce sont en effet les jeunes gens non mariés qui se déguisent le plus souvent et qui, agitant des sonnailles, parcourent les rues du village sous la conduite d'un meneur (Hérémence);

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ils font la tournée des maisons, témoignant une prédilection pour celles où veillent les jeunes filles; y pénétrant parfois de force (Saint-Martin), ils les aspergent d'eau ou les mâchurent de suie (Nendaz) et, les saisissant à pleins bras, esq uissent avec elles un pas de danse; pour ne pas être recpnnus, ils contre­font leur voix ou restent muets et exécutent parfois des « rôles», saynettes parodiant la vie quotidienne (Bagnes, Venthône, Evolène, Les Haudères). Après avoir quêté du vin (Icogne) ou « volé la marmite » (Finhaut, àrsières, Ba­gnes), ils se réunissent le' mardi gras pour un repas rituel (Evolène). Les déguisements traditionnels sont confectionnés sur place et consistent en peaux de bête (Evolène, Nendaz) ou en oripeaux décorés de copeaux (Lens), de cônes de cônifères (Isérables), de coquilles d'escargots (Les Haudères), de mousse (Mase, Icogne); s'y mêlent d'anciens uniformes militaires (Hérens) ou le couple du vieux et de la vieille (Nendaz). Le visage est simplement noirci (Leytron, Evolène) ou dissimulé derrière un masque de bois (Evo­lène, Miège) ou un morceau d'étoffe. La danse par contre, qui n'est autorisée qu'à l'occasion du carnaval, n'est jamais masquée et réunit les célibataires exclusivement. La jeunesse locale organise aussi des représentations théâtrales sous la direction du curé ou de l'instituteur qui favorisent cet endiguement de la verve carnavalesque. La fin de la fête est marquée par la mise à mort d'un mannequin qui est brûlé (Vérossaz, Evolène), jeté à l'eau (Evo-

. lène) ou enseveli (Châble, Isérables, Ven­thône), coutume reprise aujourd'hui dans cer­taines villes (Monthey, Martigny-Bourg) .

La plupart de ces coutumes ont cédé la place à des manifestations de type urbain: bals masqués et concours de masques, cor­tèges de chars et de groupes déguisés, jour­naux satiriques, visagères en carton ou en plastique, costumes loués à la journée ... et ce sont les sociétés locales qui assurent, à la place de la jeunesse célibataire, la bonne marche du scénario carnavalesque. De plus, des formes « nouvelles » ont fait leur appari­tion, engendrées par les préoccupations touristiques des stations: ainsi à Zermatt les moniteurs de ski se déguisent et dévalent les pentes à la lueur des flambeaux tandis que Verbier organise pour les skieurs des con­cours de masques.

Le carnaval de Saint-Léonard.

La réception d'usages nouveaux peut s'ac­compagner cependant de la conservation de déguisements traditionnels, comme c'est le cas à Evolène et à Lotschen où le carnaval se caractérise aujourd'hui par la juxtaposition d'éléments anciens de type villageois et d'élé­ments plus récents d'origine urbaine.

Le carnaval d'Evolène est assez peu connu. L'essentiel de ce qui suit est dû au témoignage de Jean Quinodoz. Le soir des Rois, les pre­mières sonnailles retentissent dans les rues du village, marquant l'ouverture de la fête, et le dimanche suivant, les masques se regroupent devant l'église et attendent la sortie de la grand-messe en agitant des cloches. Une grande parade déguisée clôt les festivités le mardi gras . Les hommes du village peuvent revêtir plusieurs types de costumes . Parés des beaux habits de mariage, le visage dissimulé par un morceau d'étoffe, ils miment des cor­tèges de noces avec leur suite de demoiselles d'honneur. Les membres et le corps entourés de sacs de jute bourrés de paille, portant visa­gères de bois et vieux chapeaux, ils devien­nent les « empaillés » gigantesques et mala­droits . Ou bien ils sont les « jolis masques » et leurs déguisements varient: anciens uni-

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Le carnaval d 'Evolène: les visages se cachent derrière des masques plutôt zoomorphes (lion . chat. tigre. monstre, loup, diable) .

formes militaires , pourpoints, vieux vêtements de femme, cotillons. Ils s'opposent alors aux « vilains masques », les « peluches », dont le corps disparaît sous des peaux de mulet ou de chamois tandis que le visa'ge se cache derrière un masque plutôt zoomorphe (lion, chat, tigre, loup, monstre, diable) ; une ficelle retient à la taille " les boîtes de la pisse » tout imprégnées de « l'odeur du péché » et leur main brandit une sonnaille ou un bâton . Pendant le jour, ils guettent les passants qu'ils éclaboussent par­fois avec une queue de vache trempée dans l'eau; à leur approche filles et enfants dé­talent et se réfugient dans l'église dont l'accès est interdit aux masques. Lorsque la nuit tombe, les peluches s'en vont à l'exception du plus fort d'entre eux, le Grand Carnaval; les « jolis masques » envahissent alors les rues et font la tournée des maisons où ils reçoivent, après avoir dansé au son de l'harmonica, une tasse de café ou un verre de vin . Les masques accomplissent également toutes sortes de far­ces : ils volent la marmite de viande des jours gras ou « font le ménage » : pénétrant fur­tivement dans les écuries , ils dérobent tabliers,

sonnettes et seaux qu ' ils entassent pêle-mêle sur la place du village ; le lendemain , les propriétaires n 'ont plus qu'à chercher leur bien dans la mêlée . Si les cortèges de noces et les empaillés ont aujourd 'hui disparu et si les bals masqués ont" gagné le village, les pe­luches animent toujours la grande-rue; ils n 'ont toutefois pas échappé à la vague du « folklorisme » puisque, personnages velus de l'hiver, ils participent au cortège du 15 août qui met en scène les coutumes évolénardes du « bon vieux temps ».

Le carnaval du Lotschental présente la même dichotomie « jolis masques/ vilains masques ». Les « Roitschaggata » sont les mas­ques laids; dès le 3 février, les jeunes gens célibataires s'habillent de peaux de chèvre ou de mouton réunies à la taille par une ceinture de cuir à laquelle pendent des sonnailles; un masque de bois anthropomorphe devant le visage, les souliers enveloppés de jute, ils poursuivent les filles et les enfants et leur frottent la figure de leurs gants tachés de suie. Autrefois ils aspergeaient les curieux avec une seringue de bois ou les frappaient à 42

la tête avec un sac de cendres attaché à l'ex­trémité d'une perche; mais aujourd'hui leur comportement s'est adouci et l'usage de la suie est abandonné. Les jolis masques sont les « Otschini » ; ils portent de vieux vêtements mis à l'envers ou d'anciens uniformes mili-

Les "Roitschaggata » (les masques laids) et les "Ootschini» (les jolis masques) dans les rues de Blatten.

Le carnaval à Kippel.

taires et, une visagère de carton ou un mor­ceau d 'étoffe devant la figure, ils marchent légèrement en dodelinant de la tête. Une cou­tume carnavalesque propre à la vallée est la réunion des jeunes filles célibataires pendant toute la durée de la fête (du 3 février au mer­credi des Cendres); réparties en deux grou­pes, « der kleine Dorf » (filles de 16 à 20 ans) et « der grosse Dort» (filles célibataires à par­tir de 20 ans), elles accomplissent les travaux de l'hiver, tricotage, broderie et vannerie. « Der grosse Dorf » (de dorfen , bavarder~ reçoit régulièrement la visite des garçons q.Ul se présentent non masqués, dans leurs habIts de fête, ou déguisés en Roitschaggata ; dans ce

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cas, ils font irruption dans la pièce, empoi­gnent les filles et après les avoir mâchurées de suie les entraînent dans une ronde endiablée. Le carnaval se termine par la danse du lundi et du mardi gras dans la salle de commune (B1atten); les célibataires des deux sexes y peuvent participer dès l'âge de 20 ans et, parés de leurs habits de fête, dansent tout leur,saoûl avant les rigueurs du carême. Ces réunions traditionnelles ont aujourd'hui disparu et le

. temps fort de la fête est le cortège que le comité de carnaval créé récemment organise le samedi gras à Wiler; y défilent chars et masques divers groupés selon des thèmes qui reprennent les coutumes locales anciennes et les événements marquants de l'actualité. Un jury récompense la meilleure composition puis un bal mêle masques et spectateurs dans la halle des fêtes de Wiler. Les autres villages de la vallée ont adopté également bals mas­qués et concours de masques .

Le cortège du carnaval de Monthey.

Carnaval des villes

Parmi les carnavals urbains valaisans les deux plus importants sont sans conteste ~elui de Monthey et celui de Brigue, Glis et Naters.

Le carnaval de Monthey a fêté en 1974 son centième anniversaire. Il s'agit du carnaval officiel sans doute car des traces d'effer­vescence carnavalesque apparaissent bien avant 1874. C'est ainsi que le 28 février 1843 un groupe de Montheysans se rend à Saint­Maurice avec deux pièces d'artillerie pour prêter main forte à des Jeunes Suisses de Mar­tigny qui se trouvent en difficulté avec des membres du « parti-prêtre » à cause d'un cortège anticlérical qu'ils ont conduit de Saxon à Saint-Maurice. Le mardi gras de l'année suivante, un mannequin représentant la Jeune Suisse est décapité devant l'église de Massongex et jeté dans le Rhône. Après l'épi­sode sanglant du Trient, les mascarades sont interdites à Monthey. Durant la deuxième moitié du XIX'· siècle, les sociétés de musique et de jeunesse organisent de grands cortèges historiques et allégoriques (très prisés à l'épo­que dans les villes suisses) suivis de représen­tations mettant en scène Ajax, Ulysse, les quatre saisons, Le Gros Bellet, La Mazze, Monthey à travers les siècles, La Suisse au Maroc ... Du jour des rois au mercredi des Cendres, des masques juchés sur des chars à échelle se rendent visite d'une commune à l'autre; armés de «petoufles » (vessies de porc gonflées d'air) et de serpières, ils pour­suivent les femmes et les enfants et pénètrent dans les maisons où ils accomplissent leurs « tours de chien ». Vers 1900 apparaissent les premiers « bals parés, masqués et travestis » pour lesquels des costumes sont mis en loca­tion. Les sociétés locales (Harmonie, Alpe­rasli, Orphéon, Jeunesse radicale) organisent des cortèges satiriques et historiques qui sont loin d'atteindre, à en croire la Feuille d'Avis de Monthey, la splendeur des .manifestations du siècle passé. C'est alors qu'en 1938 des h~bitan\s de la ville , nostalgiques du « bon vieux temps », fondent un comité de carnaval qui entrè en fonction après la guerre et qui dès 1946 dote la fête de ses formes actuelles: publication du journal « Jusqu'au bout rions », ouverture officielle et couronnement du Prince Carnaval le lendemain du jeudi gras, élection de Miss Carnaval (récent) et concours 44 45

de masques le samedi soir, grand cortège et exécution du Bonhomme Hiver le dimanche, Pimpon-nicaille le lundi soir, cortège des en­fants et bals de clôture le mardi gras.

Le carnaval de Brigue, dans sa version of­ficielle, est un peu plus récent puisque c'est en 1903 que se manifeste pour la première fois le Türkenbund. A la fin de l'année 1902, une violente querelle éclate entre le Briger Anzeiger et le Walliser Bote; celui;ci re­proche à la ville de Brigue de se faire l'inter­prète du Haut-Valais alors qu'elle est loin d'en être · La Mecque. Relevant le défi, des notables de Brigue fondent le Türkenbund qui entre en scène lors du carnaval de 1903. Au cd de « Allah ist Allah und Brig ist Mekka », la ville entière se masque à l'orien­tale et un grand cortège intitulé « Pilgerfahrt nach Mekka » regroupe les sociétés locales tandis que le Mekka Anzeiger, journal satiri­que édité par le Türkenbund; proclame à l'en­tour la suprématie de Brig-Mekka. Dès lors, le Türkenhund organise avec le concours des sociétés locales des manifestations car­navalesques diverses: ouverture officielle aux flambeaux, bals masqués et concours de mas­ques, cortèges du jeudi gras et du dimanche, décoration des cafés, publication d'un journal. Les Turcs participent à la fête coiffés de leur fez grenat à pompon noir; le 6 janvier ils se réunissent pour le repas de Beiram au cours duquel les nouveaux adeptes sont baptisés selon un rituel précis et reçoivent leur nom «turc».

Il y a quelques années se sont créées à Glis et à Naters deux sociétés carnavalesques qui prennent part aujourd'hui, aux côtés du Tür­kenbund, à l'organisation de ce qui est devenu l' « Oberwalliser Fastnacht ». La « Bajizumpft » de Glis a fêté en 1975 son dixième anniver­saire. Ses membres, les « Bajini » (Baji désigne le cône du sapin), se reconnaissent au bonnet rouge décoré d'un Baji qu'ils portent pendant le carnaval et que le Zumpftmeister leur a remis solennellement lors du « baptême » ,

cérémonie publique qui se déroule le soir du jeudi gras sur la place de G lis. Depuis deux ans, ils possèdent leur local, le « Bajihüs », où séjourne l'effigie du « Bajinool », géant de trois mètres qui défile avec eux lors des grands cor­tèges carnavalesques .

Les « Drachentater» de Natés apparaissent en 1969. Leur nom fait allusion à la légende

Cortège de Brigue, 1976, Bajinol und Brigertempa.

du monstre de Naters qui dévorait périodique­ment humains et animaux et qu'un valeureux habitant parvint à terrasser à la suite d'un dur combat. Chaque année au début du carnaval,

les Drachentater, conduits par le prince Jocelin et ses barons, escortent une effigie géante du monstre, · un dragon, jusque sur la place de Naters où elle demeure suspendue dans les airs pendant toute la fête. Le soir du mardi gras, Jocelin «exécute» le dragon qui est ensuite enfermé dans son « antre » jusqu'à l'année suivante.

D'autres villes valaisannes cherchent à res­susciter le carnaval : ainsi Saint-Maurice et Sion ont créé un comité spécialisé qui s'est donné pour mission d'animer les rues par un cortège satirique regroupant quartiers et so­ciétés locales. Cette « renaissance» du carna­val est d'ailleurs un phénomène général qui se manifeste aussi bien dans les villes que dans les villages (Bovernier, Bramois, Saint-Léo­nard); une nostalgie sourde y affleure, en­gendrée par la vie deshumanisée et morcelée que sécrète la société industrielle, un désir profond pour la Fête que l'homme tente de re­trouver. Mais quelle fête veut-il célébrer? la fête-rupture, la fête-chaos où saute le carcan

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du quotidien, où impuni il goûte à l'abon­dance du rêve rabelaisien ? ou la fête hygié­nique et corsetée, petit plaisir sous cellophane qu'il consomme passivement sans salir son plastron amidonné? Un spectacle ainsi policé est bien près de n'avoir plus, selon les termes de Ronsard, que les os , de sembler un sque­lette «décharné, dénervé, démusclé , dépulpé, que le trait de la mort sans pardon a frappé » .

Mais la Fête existe-t-elle en dehors du fan­tasme?

Suzanne Chappaz- Wirthller

Petite bibliographie sur le carnaval valaisan:

Le carnaval des enfants à Sierre.

- Atlas der schweizerischen Volkskunde (cf. questions 87 , 88, 89, avec cartes et commentaires) . - Glossaire des patois de la Suisse romande (cf. articles brandon , carême-entrant , carnaval, charivari)

(E. Schüle). - - Chappaz Maurice: Lotschental secret. Les photographies d'Albert Nyfeler. Editions 24 heures , Lau­

sanne 1975, 155 p. - Chappaz-Wirthner Suzanne : Les masques du Lotschental (présentation et discussion des différentes

sources). Annales valaisannes, 1974, pp . 3-95 . - Quinodoz Jean: Le carnaval des chats à Evolène, 13 étoiles, l, janvier 1977, pp . 12-13 . - Seeberger Marcus : Menschen und Masken im Lotschental. Photos : Oswald Ruppen. Rotten-Verlag, Brig

1974,103 p. - Valette Pierre: Les masques de carnaval à Evolène, SVk 45 , 1955, pp. 1-5. 46 47

Le feu par B. Schüle

Le versant d'Ayent vu de Crans , le 28 juin 1957 (jour de la Saint-Pierre et Paul).

De tous temps, le feu a présenté une très grande importance pour l'homme. En effet, c'est l'une des plus grandes forces de la na­ture, l'une de celles que l'homme a su domp­ter pour son usage. C'est le feu qui lui permet de se chauffer, de cuire ses aliments; c'est le soleil - assimilé à une grande boule de feu -qui rend possible la présence de vie sur notre planète. Par contre, à cause justement de sa grande puissance destructrice, le feu reste l'un des éléments que l'homme a le plus craint au cours des siècles. Cette dualité de l'élément ainsi que de son symbole a fait que, depuis toujours, le feu a été associé à la plupart des célébrations magiques, rituelles, ou religieu­ses.

Parmi les nombreuses coutumes de feux ca-lendaires, les plus importantes que nous con­naissions en Valais, même si ailleurs elles se situent dans le temps de Carnaval, sont celles des feux de la Saint-Jean et de la Saint-Pierre et Paul. En effet, jusque dans notre siècle, les deux jours patronymiques de ces saints furent considérés en Valais comme des fêtes reli­gieuses, et comme telles donnaient lieu, non seulement aux offices liturgiques, mais aussi aux cérémonies des feux de la Saint-Jean ou de la Saint-Pierre. Ainsi , le soir précédant ces fêtes, sur des hauteurs à proximité de chaque village, de chaque hameau, de même qu'aux mayens et aux alpages, des jeunes allumaient les grands bûchers préparés pendant le jour. Autour de ces feux, auxquels les patois valai-

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sans donnaient les noms de bâ ou bô, se déroulaient divers jeux et danses par les jeu­nes du village.

Il est intéressant de constater que les deux dates de la Saint- Jean (23 jll,jn) et de la Saint­Pierre et Paul (29 juin) se situent tout près de celle du solstice d'été (21 juin) . Dans toute l'Europe occidentale, et en particulier dans les régions alpines, cette date du solstice était marquée par de grands feux de joie célébrant le retour de l'été. Nous pouvons donc penser que ces feux dont on a peu à peu oublié le sens, ont été rattachés à l'une des fêtes chrétiennes proches: la Saint-Jean, et posté­rieurement, par imitation, à la Saint-Pierre et Paul.

Il y a quinze ou vingt ans , cette coutume était encore bien vivante en Valais . En effet, en observant depuis le plateau de Crans-Mon­tana en direction de la rive gauche du Rhône ainsi qu'en direction du versant d 'Ayent, nous pouvions dénombrer, le soir précédant la Saint-Pierre, 35 feux en 1957. Quatre ans plus tard, ce nombre était de 26, pour tomber à 21

en 1966. Aujourd'hui, qu 'en est-il? Cette fort belle tradition, qui permettait de voir les mon­tagnes illuminées comme nous le montre cette photo prise de Crans en direction d'Ayent le 28 juin 1957, a totalement disparu.

Plusieurs éléments ont joué en faveur de la régression, puis de l'extinction de cette cou­tume. D'une part, comme ce fut le cas pour les feux du solstice, la signification profonde de ces feux dédiés au saint patron qu'on allait vénérer le lendemain, s'est peu à peu oubliée, en même temps que s'estompait son culte. D 'autre part, l'apparition d'une coutume nou­velle, celle des feux du l,·r août, a déplacé à nouveau la tradition de ces feux .

Coutume nouvelle, en effet, que celle des feux du l ,·r août. C'est en 1891, année du 600 C

anniversaire de la Confédération, que le Con­seil d 'Etat du canton de Berne proposa que dans tout le canton, de grands feux commé­moratifs soient allumés dans chaque com­mune. L'année suivante, il étendit sa proposition à toute la Suisse, et c'est ainsi que, dans tout le pays, furent allumés les premiers feux du 1 c r août. Pourtant, en bien des en­droits, et en particulier là où les traditions de

la Saint-Jean et de la Saint-Pierre étaient bien implantées, des oppositions apparurent contre le fait d'allumer des feux le l ,·r août. Si bien qu 'en certains villages où le tourisme avait déjà fait son apparition , ce furent des hôte­liers , des offices du tourisme, ou des sociétés de développement qui prirent la responsabi­lité de l'organisation du feu du l ,·r août. Ail­leurs, ce ne sont plus les jeunes et enfants du village qui s 'en sont chargés, comme c'était le cas pour les feux de la Saint-Jean ou de la Saint-Pierre, mais souvent les administrations communales et les municipalités .

D'année en année, les feux du l,·r août ont été supplantés par les feux d 'artifices , dans les stations touristiques en particulier, mais réap­paraissent aujourd'hui sous la forme d'un «feu patriotique » là où la récession et le danger d'incendie ont fait supprimer les spec­tacles pyrotechniques . Un élément supplé­mentaire qui se rattache aux coutumes du l ,· r août, est celui des cortèges aux lampions et aux flambeaux. Cette tradition, récente aussi, s'explique par le fait que les enfants , autrefois associés à la préparation du feu de la Saint­Jean ou de la Saint-Pierre, sont actuellement maintenus à l'écart de celle du feu du 1 cr août si bien que c'est soüs la forme de lampions o~ de flambeaux (qui sont souvent l'apanage des mouvements scouts) qu'ils font leur feu. 48 49

A part les feux du 1 cr août, nous ne connais­sons en Valais qu'une seule tradition d'un feu commémoratif rappelant un fait local ou historique. C'est près du village de Saxon que, chaque année, un grand feu est allumé le soir du 7 août, en souvenir d'une manifestation de liberté considérée comme un haut fait de Saxon. C'est le 7 août 1953 que des producteurs de fruits de la région, excédés et inquiétés par la mévente de leurs produits , se rassemblèrent à la gare de Saxon, mirent le feu à des cageots vides et à des wagons sur les voies CFF. Ce fait historique est maintenant célébré par ce feu commémoratif du 7 août à Saxon.

Passons maintenant à quelques traditions qui, si elles ne se manifestent pas par de grands feux , se rattachent néanmoins à ce

thème.

Dans tout le Valais existait un usage ancien qui consistait à laisser une lampe allumée sur une table dans la maison lorsque, pendant la nuit de Noël, on partait à la messe de minuit , et ceci pour que les défunts de la famille qui attendaient de pouvoir entrer au Paradis puis­sent venir se réchauffer. Mais, lorsque l'éclai­rage électrique a remplacé les lampes anciennes, cette belle coutume a commencé à disparaître, même si aujourd'hui encore une lampe, électrique maintenant, brûle dans bie~ des habitations la nuit de Noël, en souvemr

des défunts .

Pourtant cette coutume n'a pas disparu, car ce qui s'est passé en fait, c'est un dépla­cement. En effet, si le fait de laisser brûler une ampoule pour réchauffer les défunts n'a plus beaucoup de sens symbolique, on a vu, depuis une dizaine d'années, apparaître l'usage d 'al­ler allumer une bougie ou un petit arbre sur les tombes des défunts de la famille, le soir de Noël, au cimetière. Très rapidement, ces der­nières années, cet usage s'est assimilé à une coutume que nous avons vu arriver en Valais lors des travaux du percement du tunnel du Simplon, coutume apportée par les ouvriers italiens travaillant à ce percement. Cette ha­bitude venue du sud consiste à allumer des bougies sur les tombes le soir de la Toussaint. Nous avons pu observer que cette tradition , partie en Valais depuis le cimetière de Naters, s'étend de plus en plus vers le Bas-Valais, alors que celle des bougies de Noël , partie du

Le soir de Noël au cimetière.

Valais romand, s'étendait de plus en plus en

direction du Haut. Examinons encore une autre tradition

nouvelle qui se rattache au feu: les descentes aux flambeaux . Depuis quelques années, les écoles de ski des stations touristiques valai­sannes ont introduit, à diverses occasions , l'habitude de finir la soirée par une descente aux flambeaux. Dans ce cas, il s'agit d 'une tradition déjà ancienne dans les stations de sports d'hiver, à l'étranger et dans l'Oberland bernois d'où les professeurs de ski valaisans l'ont importée . Souvent, cette descente aux flambeaux, pratiquée à l'origine par les professeurs de ski, puis aussi par les hôtes des stations, se termine ainsi : à l'arrivée, tous les flambeaux encore allumés sont jetés sur un tas, et les participants entourent ce feu en chantant le chant ou la prière patriotique.

Aujourd'hui , la plupart de ces traditions s'éteignent, pour être remplacées par d ' autre~ habitudes. S'il ne faut pas chercher a maintenir à tout prix toutes les traditions comme elles étaient jadis, il reste le fait qu'elles apportaient au village un élément communautaire important que nous aime-

rions voir revivre. B. Schüle

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Chapitre III

Quelques coutumes encore vivantes à travers le Valais

La Saint­Sébastien Vieille tradition

toujours vivante en Agaune

par M. Parvex

«Samedi à lR heures: solennité de saint Sébastien . Dans la fidélité au vœu de nos ancêtres, nous vou s invitons à participer à la messe , à l' issue dl' laquelle nou s di stribueron s le pain bénit. »

C:est ainsi que le chanoine Henri Pralong, cure de la paroisse Saint-Sigismond à Saint­Maurice , annonce depuis quelques années déjà à ses paroissiens la célébration de la fête de saint Sébastien alors qu 'aupara­vant, cette fête se déroulait toujours à l'égli se abbatiale .

Nous verrons d 'abord dans les grandes lignes le «curriculum vitae » de saint Sébastien et de saint Fabien , tous deux fêtés conjoin­tement le 20 janvier.

. S'il est des coutumes aux origines impré­Cises, remontant dans la nuit des temps , et que l'on cherche à situer avec une prudente approximation , en essayant d 'expliquer cer­tains mystères par de louables suppositions , il faut relever ici que cela ne concerne pas tout ù fait notre propos, puisque nous bénéficions des archives de la Confrérie des SS. Fabien et Sébastien . Nous ferons donc connaissance avec le Règlement et les Statuts de cette Confrérie en considérant même quelqu es aspects particuliers de ses comptes .

Enfin, nous suivrons l'évolution de la célébration de la Saint-Sébastien à Saint­Maurice, aujourd'hui plus dépouillée , comme pour mieux laisser place à la signification pro­fonde de cette commémoraison.

Sébastien , selon «Vies des saints »1 né à Narbonne de parents chrétiens élevé à 'Milan s 'enrôle dans l'armée ~ers 283, sous l 'empe ~ reur Carin. Il se préoccupe du sort des pre­miers chrétiens en leur rendan t visite en prison. Son premier miracle: Sébastien guérit Zoé, épouse de Nicostrate, premier greffier de la préfecture . Zoé, privée de la parole depuis si~ ans , s~ jette aux pieds de Sébastien qui lui fait un signe de croix sur les lèvres. Cette guérison est le point de départ de nom breuses conversions.

Dioclétien, qui eut l'occasion d 'admirer le courage de Sébastien , ignorant qu 'il était ch~éti~n, le nomme capitaine de sa garde pretonenne! Le pape Caius lui donne le titre glorieux de défenseur de l'Eglise . Les persécü­tions reprennent et Sébastien vient «for­tifier les martyrs contre la terreur des sup­plices ». Dioclétien irrité par son attitude le 50 51

Saint-Maurice, abbaye : autel de Saint-Sébastien.

livre aux archers . Transpercé de flèches , il est laissé comme mort sur le terrain d 'exécution . Irène, veuve de Castule, vient pour recueillir son corps, mais, constatant qu'il respire encore, le soigne chez elle jusqu 'à sa complète guérison, quelques jours plus tard.

Sébastien a le courage de rencontrer Dioclétien pour lui reprocher sa cruauté à l'égard des chrétiens . L'empereur n'en revient pas de le voir encore vivant et ordonne alors de l'assommer à coups de bâton et de jeter son corps dans les égouts. Après son exécu­tion, Sébastien apparaît à une dame Lucine en lui indiquant l'endroit où se trouve son corps , et lui demande de l'ensevelir aux catacombes. Les restes du saint martyr furent déposés à la basilique Saint-Sébastien-hors-les-murs, en attendant d'être dispersés en divers sanc­tuaires. 2

.

Au culte rendu à saint Sébastien est toujours lié celui de saint Fabien, célébré également le 20 janvier. Fabien fut le premier

pape élu en étant simple laïque. Il fut con­sidéré comme l'apôtre des Gaules, où il envoya sept célèbres évêques, tels Saturnin de Toulouse et Trophime d'Arles . Victime de la persécution de Dèce en 250, il fut martyrisé et une partie de ses ossements fut apportée dans la basilique de Saint-Sébastien.

Il est vraisemblable que saint Sébastien soit devenu le patron des pestiférés à cause des flèches dont les bourreaux criblèrent son corps. On l'invoqua à Rome en 680 contre la peste, à Milan en 1575, à Lisbonne en 1599. Dans les grandes calamités dues à la peste, l'efficacité de son intercession fut universel­lement reconnue. Il est également le patron des tireurs, archers et carabiniers.

Pour revenir chez nous, c'est l'apparition de la peste, entre les années 1420 et 1430, qui incita nos populations à invoquer tout par­ticulièrement saint Sébastien. Il y eut une recrudescence de ce fléau en 1482, en même temps que l'on était intrigué par une «comète horrible » paraît-il. C'est donc dans ce climat d'angoisse et de souffrance que fut fondée la Confrérie de saint Sébastien. 3. En voici les onze articles de son «Règlement et Statuts», selon une copie de 1850 4 :

«Règlement et Statuts de la Confrérie des SS. Fabien et Sébastien»

Art. 1. - Dans la Confrérie des SS. Fabien et Sébastien sont fondues les confréries de Saint-Maurice et du Saint-Esprit.

Art. 2. - La Confrérie des SS. Fabien et Sébastien se propose le soulagement du pro­chain dans le but de détourner de notre contrée le fléau de la peste.

Art. 3. - Elle est administrée par un Conseil de trois membres et qui prend le nom de Con­seil d'administration.

La durée des fonctions des membres de ce conseil est de deux ans. Le Prieur et le Pro­cureur en font nécessairement partie, le pre­mier en qualité de Président. Le Procureu r peut cumuler les fonctions de Président ou Prieur et dans ce cas le conseil général nommera deux autres membres pour compo­ser le conseil d'administration.

Leurs fonctions sont gratuites; le Procureur seul perçoit le 10% sur les intérêts des ca­pitaux dont il procure la rentrée, il ne prélève rien sur les capitaux qu'il fait rembourser, non plus que sur la finance de réception que payent les nouveaux confrères.

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Art. 4. - Le jour de la Saint-Sébastien le conseil fera faire une distribution de pain de seigle pour laquelle il n'emplettera jall1uis moins de vingt mesures de cette denrée, en ayant soin de diminuer les portions de manière à réduire la quantité de grain il acheter pour cette distribution. Celle de lu Pentecôte, consistant en pain et sel est sup-primée. .

Art. 5. - Pour la remplacer le Conseil fera distribuer des secours à domicile en donnant la préférence aux membres pauvres de la Confrérie et aux malades. Pleins pouvoirs lui sont donnés pour régler la répartition des secours. Il devra cependant en rendre compte au conseil général.

Art. 6. - Le Prieur est chargé du soin de convoquer le Conseil d'administration et le Conseil général de la Confrérie.

Art. 7. - Le Conseil général délibère sur la réception des nouveaux membres et fixe la finance d'admission qui ne peut pas être moindre de quatre francs pour les hommes et de deux francs pour les femmes.

Art. 8. - Chaque année le jour de Saint­Sébastien, le Conseil d~administration rend compte de sa gestion au . Conseil général ou à une commission nommée par lui et le Procurèur rend compte de la même manière de

su perception. Il est seul responsable des ca­pitaux et des revenus de la Confrérie pour tout ce qui se perdrait par sa faute.

Le Procureur est forcé en recettes. Le même jour, tous les deux ans, a lieu la

nomination des membres du Conseil, elle se fait il la majorité absolue des suffr~ges des membres présents. Le Confrère élu ne peut décliner sa nomination qu'autant qu'il aurait déjà fait partie du Conseil pendant quatre années consécutives, à moins qu'il ne paye à la COllfrérie une rétribution de quatre francs.

Le Conseil général est juge des raisons que le confrère élu alléguerait pour refuser sa nomination ; si elles sont reconnues suf­fisantes, il n 'y a pas de rétribution à payer.

Art. 9. - Les offices tels qu'ils se célèbrent actuellement, savoir la messe basse, la Grand­Messe avec sermon et Procession solennelle le jour de la Saint-Sébastien, la messe basse avec le Libera me le lendemain, et le lundi de la Pentecôte sont maintenus.

Chaque confrère est invité à y assister régulièrement.

Art. 10. - Les Confrères sont invités à faire des prosélytes parmi leurs parents et leurs connaissances.

Art. 11. - La finance payée pour la récep­tion des nouveaux confrères ne pourra pas être comprise dans les dépenses annuelles; elle devra servir à augmenter les fonds de la société.

Pour copie conforme à l'original Saint-Maurice le Il' août 1850. »

En 1488 c'est Claude Richard qui en est le prieur. En 1493, un acte officiel, preCIeu­sement conservé, fixe un certain nombre d'obligations pieuses «pour apaiser le cour­roux de Dieu et obtenir la cessation du fléa!l ».5

En 1517 on décide qu'une messe sera chantée pour les confrères défunts à l'église abbatiale, où la Confrérie dispose d'un autel dédié aux saints Fabien, Sébastien et Claude ainsi qu'à sainte Barbe.

Le chanoine Dupont Lachenal nous signale qu'en 1628, le pape Urbain VIII accorda à la pieuse association une bulle d'indulgences, qui fut promulguée à Saint­Maurice en janvier suivant. La peste faisant une nouvelle apparition en Valais, les habi­tants renouvelèrent leur engagement de 52

célébrer solennellement chaque année la fête de saint Sébastien, le 20 janvier par­ticulièrement, en assistant à la messe suivie de la procession à travers la ville. 6

Le livre de «Comptes et Protocoles 1903-1943» de la Confrérie conserve l'extrait d'tm article signé par le chanoine Bourban, prieur en 1904, donnant le détail pittoresque de la passation des pouvoirs d'un prieur à l'autre, dans les premières années de la Confrérie.

«La transmission du pouvoir était à Vêpres. Pendant le chant du Magnificat, au Deposuit potentes de sede, le prieur sortant déposait le bâton, symbole de son autorité évanouie; et aux paroles .. . et exaltavit humiles, le prieur élu prenait le bâton qui l'investissait de l'au­torité légale sur l'administration des avoirs et des œuvres de la Confrérie.»

«L'administration des avoirs» avait un peu l'aspect d'une Caisse Raiffeisen avant la lettre. Quant aux subsides ordinaires, ils étaient régulièrement accordés «à M. le curé pour les indigents, aux révérends capucins pour leurs aumônes, au vestiaire des dames pour vête­ments aux nécessiteux; le reliquat de la Caisse est donnée à la sœur infirmière pour être distribué aux indigents en comestibles, médi­caments ou vêtements.»

Dans ce livre de comptes, il est curieux de relever que de 1903 à 1943, au chapitre des dépenses, la première écriture est toujours celle passée le 20 janvier: «Boulangerie Kuhn, sa facture 80 francs». Il s'agit de la fourniture du pain de seigle qui sera bénit et distribué. Malgré les fluctuations du prix du pain durant ces quarante années, le prix de celui de la fête

La distribution du pain bénit - la donne - avait lieu autrefois après la procession; aujourd'hui, tout se passe

à l'intérieur.

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Il 'a jamais varié . Est-ce là un miracle de saint Sébastien?

L'article 4 du Règlement mentionne que «le Conseil fera faire une distribution de. pain de seigle pour laquelle il n'emplettera jamais moi ns de vingt mesures de cette denrée, en ayant soin de diminuer les portions de manière à réduire la quantité de grain à acheter pour cette distribution. » !

Cette distribution de pain bénit -la donne­avait lieu autrefois après la procession à travers les rues de la ville, souvent enneigées à pareille date! Les pains de seigle étaient bénits devant le four du boulanger puis transportés dans des sacs; plus tard, la béné­diction se fera durant la messe de circons­tance .

La distribution même se faisait du haut d 'un char à ridelles, stationné dans le couloir menant à la cour de l'ancienne école primaire. Chacun emportait son quartier de pain de seigle, et chez les jeunes il y avait tentative de

resquille contre laquelle s 'opposait la double vigilance de l'agent de police et de son véné­rable acolyte (une fois c'est assez, deux c'est trop !).

Aujourd'hui que l'on «peste » contre le mauvais temps. plus de procession ... tout se passe à «l'intérieur». C'est à l'offertoire que le curé procède à la bénédiction des quartiers de pain de seigle (plus de 700) rassemblés dans de grandes corbeilles au fumet caracté­ristique, suscitant presque tout naturel­lement. .. la prière avant le repas 1

A part la distribution de ce pain bénit il toute l'assistance, on en réserve une partie aux malades et à diverses maisons religieuses .

La Confrérie de saint Sébastien existe tou­jours. Les fastes d 'une spectaculaire proces­sion ont disparu, seul subsiste l'essentiel, en reconnaissante mémoire de saint Sébastien. cela même qui fit reconnaître le Christ aux disciples d'Emmaüs : la fraction du pain par­tagé. Maurice Pamex

1 Vies des saints et des bienheureux selon l'ordre du calendrier avec l'historique des fêtes par les RR. PP. Baudot et Chaussin , O.S. B., Paris , Libr. Letouzey et Ané, 1935, T.l.

2 Ces reliques furent distribuées en plusieurs villes d'Italie et d'Allemagne. En 826, le pape Eugène Il en­leva le corps de la basilique et le divisa . La tête fut placée dans l'église des Quatre-Couronnés. Des osse­ments furent donnés à l'abbaye de Saint-Médard-de-Soissons et le reste fut transporté dans la basilique de Saint-Pierre du Vatican. Vie des saints p. 399

3 Fondation également d'une confrérie de saint Sébastien et saint Fabien, en 1449 à Rischinen-Naters. On fête tout particulièrement saint Sébastien à Finhaut qui en fait le rappel dans ses armoiries.

.4 Obligeam~ent prêtée par le chanoine André Rappaz, actuellement prieur de la Confrérie, avec ren­seignements divers.

5 Die Stiftungsheiligen des Diozese Sitten im Mittelalter Eugen Gruber, Imprimerie Saint-Paul Fribourg, 1932, p. 90: « . .. ad placandam divinam iram et evertendum flagellum pestis ... )} .

6 Autour de la fête de Saint-Sébastien, chanoine Dupont Lachenal, Nouvelliste du 19 janvier 1955. Il existe une tragédie en cinq actes: Saint-Sébastien, par l'abbé G. Nourry, Paris, Librairie Poussielgue

1885. ' 54 55

Leval d'Illiez par l'abbé Antony

Depuis 1961, date de la construction de la route forestière, après l'ouragan qui a détruit une partie des forêts de la région, la masse des skieurs qui profite du cirque grandiose des Crosets, avec ses nombreuses installations, ses ouvertures sur Planachaux, Morgins, Cham­poussin et la proche station de l'Avoriaz et de Châtel, sont surpris de voir les nombreux chalets parsemés sur toute la région allant du col de Cou jusqu'à la Foilleuse.

S'ils revenaient en été, ils seraient surpris de voir les nombreux troupeaux de vaches tachetées bro~tant g~~lûment cette belle herbe odorflnte. Quel contraste entre ces deux saisons et pourtant ce sont les mêmes ha­bitants que vous côtoyez.

Le val d'Illiez, la verte vallée, la vallée des eaux (Vau de Lie) offre en effet un contraste exceptionnel avec les autres vallées du Valais. Les armoiries des communes sont à l'image de cette nature luxuriante: la corne d'abondance, les sapins entourant les chalets. La forêt et l'élevage sont en effet depuis longtemps les deux «mamelles » de la prospérité de la vallée. Le val d'Hliez est sobre et économe, de là les nombreuses histoires que I;on colporte sur sa renommée.

L'histoire de cette vallée est très riche en péripéties, qui se résument par l'histoire du Gros Bellet. Ce solide montagnard en effet au XVIII " siècle a rendu la liberté à ses concitoyens en expulsant le bailli Schiner. Sa mémoire est perpétuée par la statue sur la place du village. C'est alors que les «tail­lables » obtinrent leurs libertés. «Tout a son terme, même la patience » nous dit le chanoine Boccard dans son histoire de la vallée (page 45) .

Mais pour l'heure, ce val d'Illiez reste, en Valais, la région où l'élevage du gros bétail s'est maintenu et a même pris plus d'exten­sion. 'Les citernes de la Fédération laitière du Valais ramassent chaque jour le lait de cette région et en été 12000 à 15000 litres de lait prennent le chemin de la capitale.

La raison du maintien et du développement de cet élevage est le résultat du système d'exploitation: exploitation familiale. Durant l'été, soit de juin à septembre, plus de 60 fa­milles habitent ces chalets disséminés sur toute la région, des deux côtés de la Vièze. Malgré les pressions qui furent faites ces dernières années pour regrouper ces alpages en consortage, l'exploitation familiale reste la seule rentable aujourd'hui. La main-d'œuvre est fournie par les membres de la famille, ce qui diminue les frais d'exploitation. En hiver les éleveurs gardent au village ou dans les alentours environ 300 têtes de bétail. Pour compléter leur troupeau de l'été, les hommes « font» les foires du canton de Vaud ou louent du bétail. En automne, le surplus est repris par des marchands qui, sur place, choisissent les bêtes qui les intéressent. Une bête qui a passé un été à l'alpage représente une plus-value pour le propriétaire, donc un gain supplé­mentaire.

Bien sûr, depuis ces trente dernières années, une évolution importante a pu être constatée: l'introduction des machines à traire dans

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chaque exploitation, les clôtures électriques, l'amélioration de l'habitat. Durant ces années que j'ai vécu au contact de cette population, j'ai mieux compris certains aspects de la mentalité, surtout au point de vue de la scolarité : de juin à septembre, les enfants sont employés dans l'exploitation familiale, surtout que les grands descendent pour faire les foins . Il y a aussi chez le val d'Illien cet amour de la liberté si chèrement acquise dans le passé.

Pendant bien des années , chaque proprié­taire faisait son fromage qu'il écoulait lui­même. Puis ce fut la fabrication de la crème , vendue à la fédé'ration et depuis quelques années, après bien des oppositions et des réunions , les alpateurs livrent le lait. Le ramassage du lait se fait d'une façon originale. Chaque matin au village arrivent les petites citernes et après contrôle de la qualité et de la quantité, ce lait est versé dans les grandes citernes de la fédération.

La générosité de cette population est à l'image des anciennes traditions : entraide indispensable à la montagne. Aux siècles passés par exemple, les alpateurs ont offert au prieur une journée de lait pour assurer son existence. Et en compensation, chaque année

aussi. le desservant de la paroisse visite chaque alpage pour la bénédiction . Ce sont des moments très précieux de contact avec cette population qui a gardé le patrimoine de la terre et aussi la gloire envers le Créateur.

Cette région du Chablais ou du Haut-Lac, quelque peu séparée du canton par le détroit de Saint-Maurice, offre aux visiteurs un aspect de sympathie et d'ouverture qui est le reflet de l'esprit de la France voisine.

Un bon coup de chapeau à cette population qui par son travail , son opiniâtreté et le maintien des bonnes traditions, (le groupe folklorique dont la renommée n'est plus à faire) a su garder aussi sa foi et sa gratitude envers le Créateur.

Le « train A.O.M.C. » est aussi une

installation vitale pour cette population de montagne, qui doit garder le contact avec la plaine, ne fût-ce que pour faire chaque semaine le « Merc-à-Monta » et accueillir les très nom­breux visiteurs et estivants qui, par leur séjour, refont leur plein d'oxygène en parcourant ces alpages et ces forêts, respirant l'air pur dè nos montagnes et le calme d'une population la­borieuse.

Abbé Antony 56 57

Le «Mai» de Praz-de-Fort par C. 8erthod

Le «Mai » d'hier (1966)

.. . et celui d 'aujourd'hui.

En remontant le val Ferret, vous apercevez, à l'entrée du village de Praz-de-Fort, un sapin portant un drapeau aux couleurs suisses et valaisannes. C 'est le « Mai » ainsi appelé parce que son érection a toujours lieu au mois de mai : en principe le premier dimanche, exceptionnellement, le deuxième.

C'est une tradition qui se perd dans la nuit des temps. Une légende la fait remonter à un combat sanglant qui a opposé les habitants de la vallée à des pillards venus du sud, au défilé du Pied-de-8ranche. Une croix de bois marque l'emplacement de ce combat: elle

s'appelle la croix « Souffrit ». La tradition s'est maintenue, de génération

en génération, par la jeunesse de la vallée, sans qu 'une société organisée prenne en charge l'exécution de l'œuvre. Le « Mai » se plantait, autrefois, sur l'ancienne place du village, appelée « La Valo », où il était porté avec un cérémonial tout particulier : un homme était juché sur le fût de l'arbre. Il tenait, d'une main~ une channe, et, de l'autre, le drapeau destiné à flotter durant une année.

Puis , le « Mai » s'est planté sur la nouvelle place située près du pont de la Dranse, emplacement qu'il fallut évacuer lors de la construction d'une fontaine publique à cet endroit, et la pose d 'un câble aérien destiné à porter une lampe publique. Le « Mai » se planta alors au contour de la route vers la

chapelle, jusqu 'en 1924.

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L'année 1925, il y eu mésentente et le « Mai » ne se planta pas, ainsi que les années suivantes ...

Cette situation me déplaisant fort, je me promis de rétablir la tradition à la première occasion, qui se présenta d'une façon inattendue en 1944.

Curieusement, c'est dans le village voisin d'Issert que fut décidé le coup, dans la nuit du 30 avril au premier mai 1944, après une noce bien arrosée ; dans une étable occupée par tous les animaux domestiques: du mulet jusqu'au coq, qui rappela opportunément que l'aube du 1 <" f mai allait poindre à l'horizon ...

Nous décidons de précipiter le mouvement en plantant le « Mai » cette année déjà . Ce fut un succès populaire inattendu . Les plus heureux de cette résurrection étaient les représentants de l'ancienne génération qui se plaisaient à nous remercier de notre initiative.

Le travail délicat qui consistait à bourrer le trou fut exécuté par trois frères dont l'aîné avait 76 ans. Aucun jeune ne savait faire le nœud de corde pour monter les « fourches » servant à lever l'arbre. Qu'à cela ne tienne, les vieux se firent un plaisir de les monter et de faire la démonstration du nœud secret.

Ce fut une belle journée de fraternité villageoise. Aussi le dimanche suivant, quand fut constituée la sùciété destinée à perpétuer la tradition, c'est sans hésitation qu'on lui donna le nom de « Frate.rnité ».

L'emplacement de cette- nouvelle édition du « Mai » fut le même que celui de la série précédente, 20 ans plus tôt. Mais, en 1954 l'élargissement de la route obligea à ch'erche; un nouvel emplacement à la bifurcation d'un chemin latéral.

Seuls quatre « Mai » furent plantés à cet endroit de 1954 à 1957. Il fallut de nouveau évacuer les lieux pour faire place à la nouvelle laiterie. On se déplaça alors en bordure de la place de l'école. Cet emplacement risque d'être définitif .

L'érection du « Mai » est une opération d'ensem ble qui nécessite une cinquantaine d'hommes sous le commandement d'un chef désigné par le comité. La qualité du chef a une grande importance, car il doit veiller à tous les détails techniques et sa façon de crier les ordres ordonne la concentration de l'effort commun.

Le seul accident survenu jusqu'à ce jour est dû à une faute de commandement. En 1953, le « Mai», haut de 36 mètres, s'est écroulé latéralement du côté de la Dranse, alors qu'il était déjà presque à la verticale. Il fut brisé en cinq morceaux, mais il n'y eut aucun blessé. Pas d'abandon: un autre sapin fut érigé le dimanche suivant.

En 1959, le « Mai » servit de paratonnerre. Sa pointe attira la foudre, qui le brisa aux deux tiers de sa hauteur. Cet accident dé­tourna providentiellement la foudre de l'école 58 59

vOlsme occupée à ce moment-là par une colonie de vacances.

Le « Mai» s'est planté par n'importe quel temps: le soleil souvent, mais aussi le vent, la pluie et même la neige . L'année la plus mémorable fut, sans doute, 1957. Le vent du nord soufflait en rafales, une bise froide projetant des flocons de neige. Le chef devait donner les ordres à la seconde précise, entre les rafales, et interrompre précipitamment l'effort à la rafale suivante.

Un promeneur inconnu s'intéressa à la manœuvre, prit des photographies et posa de nombreuses questions à l'issue de l'érection qui avait duré deux heures et demie. Le mois suivant, je reçus la revue illustrée Costumes et coutumes, avec un article consacré au « Mai » et une magnifique photo de l'ensemble de la manœuvre.

Depuis 1944, le « Mai » s'est planté sans interruption. La tradition semble maintenant bien rétablie . On ose èspérer qu'elle se

perpétuera. Le val Ferret ayant longtemps souffert du

complexe du colonisé, de par sa position excentrique au sein de la commune d'Orsiè­res, l'érection du « Mai » est une façon

originale d'affirmer l'identité d'une vallée pittoresque longeant le massif du Mont-Blanc et voisinant avec la France à l'ouest et l'Italie

au sud. c.B.

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Le pain aux Arlaches par J. Darbellay

Le Val.ais est un pays de traditions perdues. Les habitudes de vie liées aux conditions d'existence évoluent avec elles.

Au /c?ur~ du ~crnier siècle, les changements ont et~ SI, :apldes et si profonds qu'on se prend a heslter entre l'émerveillement de ce qu 'il faut bien appeler le progrès et la nostal­gie d'un style de vie en prise directe avec les besoins premiers de l'existence : l'a bri et la sé­curité, la nourriture, l'indépendance et la sur­vie de. la petite communauté villageoise. M~ls la n~sta~gie n'est, bien souvent, qu 'un

se~tlment negahf. Elle peut nourrir une âme de poete. Les sociétés réalistes regardent vers l'avenir. C:pendant, à voir l'intérêt que l'on voue depuIs quelques lustres à tout ce qui touche au mode de vie de nos grand-mères, on peut penser que les poètes ne sont pas si rares qu:on l'imagine généralement. Parmi ces ten­tatives de retour aux sources, je voudrais si­gnaler ici l'initiative de quelques villageois des Arla.c~es , dans le val Ferret, pour régénérer la traditIOn du pain cuit au four banal.

C'était au printemps 1973. Le four en servi­ce de~uis plus de deux siècles, exige~it des ré­par~tIons. Certe~ on y cuisait toujours le pain rustique une fOIS l'an, mais il était facile de deviner que cette tradition allait, dans un ave­nir prochain , rejoindre au galetas des oublis les bahuts , les rouets et les charrues de bois.

61

On pétrit.

Il fallait entreprendre quelque chose. On le fit en fondant, en juin 1973, l'Association «fours des Arlaches ». L'article 2 des statuts en précise le but:

«L'association a pour but de perpétuer la coutume ancestrale de la cuisson du pain dans le four banal du village. »

Les Arlachès Il faut remonter le val Ferret d'Orsières en

direction de Praz-de-Fort, pour admirer Les Arlaches, à distance il est vrai, car la route n'y passe pas. Un rideau de feuillus et de mélèzes bruissant au souffle de la Dranse le voile en partie et ajoute à son charme un peu archaï­que, comme son nom venu on ne sait d'où: Les Arlaches. Le bois bruni des raccards do­mine, mis en valeur par les toits d'ardoise naturelle. Comme on aimerait s'y arrêter! Mais le village ne livre pas son secret aux amateurs de kilomètres qui ne savent qu'ava­ler les distances et collectionner les terminus touristiques en vogue. Il faut venir pour lui, passer la rivière, prendre l'unique ruelle tor­tueuse, admirer les bûches entassées sous les auvents, sur les balcons ensoleillés des gran­ges, déchiffrer les inscriptions sur les poutres des raccards: ANNO DOMINI 1715, 1804,

1832. Tout de suite on se sent hors du circuit. Ici

rien n'existe que par nécessité . La ruelle s'élargit en une modeste place où convergent des passes plus étroites vers une étable en re­trait, vers la dernière maison là-bas, un peu à l'écart , vers le four.

Le vieux four banal existe depuis 1746 au moins, puisque cette date est gravée dans l'une de ses pierres. Autant qu'on s'en sou­vienne, tous les ménages cuisaient ici le pain, une fois l'an . Le nombre de fournées - on dit

cuites - dépendait des bouches à nourrir. Les familles nombreuses répétaient l'opéra­tion quatre ou cinq fois de suite et mettaient ainsi en réserve, pour toute l'année, sur les râ­teliers suspendus au grenier, 350 à 400 pains de 2 kilos environ chacun.

Le four: un passé et un avenir

Les temps ont changé. Il .y a bien des dé­cades qu'on ne vit plus en autarcie, même dans nos modestes villages de montagne. Beaucoup de traditions liées aux nécessités de jadis ont disparu ou ne sont perpétuées jusqu'à nous que par un pieux souci de fidélité à un passé révolu. Elles ont, au jugement des jeunes gé­nérations, un côté poussiéreux et désuet qu'exprime assez bien le mot folklore . Leur survie est artificielle, ce qui veut dire que les bons sentiments qui les font durer encore ne suffisent plus à leur donner signification et authenticité.

Il en va tout autrement avec le pain aux Arlaches. En perpétuant une tradition qui leur était chère, les pionniers de 1973 avaient com­pris que si une valeur de la vie communau­taire de leur village méritait d'être sauvée de la débâcle c'était le four et tout ce qu'il avait représenté aux Arlaches, pour tant de généra­tions, depuis des siècles.

Rien à voir ici avec un sentimentalisme d'épiderme, ni avec un engouement passager pour la mode rétro. La tradition du pain de seigle et de froment méritait d'être recueillie précieusement comme un héritage qui parti­cipait depuis toujours à la vie même de toute une population, et transmise à une jeunesse

Aux femmes revient la charge de façonner la pâte .

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On enfourne.

qui saurait la recevoir comme un trésor insi­gne . En effet, le pain n'est pas seulement un témoin d'autrefois comme peut l'être une quenouille ou un foyer à crémaillère. Il n'est pas objet d'exposition ni curiosité de musée. Il participe à l'existence de chacun aujour­d'hui comme hier; il exprime par sa présence quotidienne sur la ta ble familiale un art de vivre, une sagesse terrienne, une perfection achevée venue jusqu'à nous d'un passé dont on ne sait pas grand-chose sinon que des hommes, des femmes, des enfants se retrou­vaient trois fois par jour pour partager, comme nourriture de base, ce même pain qui a sa place d'honneur sur notre table aujour-d'hui. .

Le folklore est dépassé, le sensationnel aussi. On s'installe tout simplement dans une authenticité qui a partie liée avec Les Arla­ch es comme le chant de la Dranse et l'odeur des étables en hiver à l'heure de la traite.

La fête du pain «Dans la nuit de Noël, après la veillée en fa­

mille, me précise Charly Tissières , le pionnier et l'animateur de l'aventure, j'ai commencé à chauffer le four. J'ai affiché la liste des cuites en tenant compte des consignations reçues et la ronde a commencé. Sans discontinuer, pen­dant quinze jours et nuits, les cuites se suc­céderont au rythme de cinq à six par jour. Cela représentera plus de dix tonnes de pain. »

Il faut, pour bien sentir ce qui se passe ici, participer une fois au rite du pain aux Arla­ches. A toute heure du jour et de la nuit, car le four une fois chauffé ne doit plus se refroidir, le village est animé par le va-et-vient, les ap­pels, les cris joyeux des enfants. Laissez-vous conduire de ruelles en venelles par l'odeur du feu mêlée au parfum du pain cuit. Vous vous retrouverez devant la bouche béante du four, ouverte à même la petite place où se vit, dans une improvisation toujours renouvelée, une

sorte de jeu du Moyen Age auquel vous parti­ciperez dès votre arrivée et pas seulement pour une figuration, car le maître de la mise en scène ne manque pas d'interpeller gaillar­dement les nouveaux venus, surtout s'il s'agit de néophytes. Il veut savoir ce que chacun a dans le ventre. On trinque. On explique, on raconte les meilleures histoires de la nuit pas­sée, ' en ayant toujours un Œil sur le four où finit de se consumer une brassée de bûches pétillantes.

A proximité du four on a aménagé en 1973 une chambre du pain flanquée d'une petite cuisine. Là toutes les opérations se déroulent sous vos yeux simultanément. Comme trois familles sont engagées en même temps dans le circuit, vous trouvez à la cuisine, en train de réveillonner - pain, fromage, saucisses, vin, café - ceux dont les pains prêts à être enfour­nés ' «lèvent» alignés sur des rayons tout en haut sous le plafond, où la chaleur est le plus intense. Dans la chambre où rayonne un «ba­gnard », chauffé à blanc, dix à quinze person­nes s'affairent à deux niveaux différents de la fabrication. Trois hommes, torse nu, pétris­sent la pâte dans les huches enfarinées et l'on comprend parfaitement bien, à les voir, le sens du texte de la Genèse: «Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front'. » En effet, la goutte file jusqu'au bout du nez et il arrive qu'elle tombe dans la huche comme pour rap­peler aux acteurs et aux spectateurs de la scène que vivre heureux c'est réussir le subtil dosage des joies et des peines quotidiennes .

On va pouvoir sortir les pains.

63

Coup d'œil dans le four pendant la cuisson. .

d t vail s'affairent les auront participé à cette fête a.nnuelle du paI~, Aux tables e, ra , A • " où u'ils aillent, par la SUIte, quelque VIe

femmes. Elles «menent » .Ies pato~s J~s<tu a u'i~ soient appelés à mener un jour, sur leur donner la forme parfa!te d~ pam pret a la q,. orte uel point de la planète, n'oublie-cuisson. Comme cela parait ~ac.Ile ! Vous ~vez ~o:p as q:'il existe dans une vallée valai-envie de vous y essayer. MalS Il faut aVOIr ç~ P au bord de la Dranse un village avec

1 le dira faute de qUOI sanne, ' dans e sang, on vou~ "A f 1 lequel ils ont partie liée pour le meilleur et le votre pâton ira s'aplatissant pour n etre ma e- . ,. . ment qu'une galette informe qui vous vaudra pire, a Jamais. Jacques Darbellay les vigoureuses saillies de Charly Pantagruel et les rires de toute l'assemblée.

Je regarde tout ce monde groupé dans une activité comme autour du pain. On s'aide les

uns les autres. _ Quand j'ai besoin de quelqu'un, dit Char-

ly, je pousse une «braillée» au co~n de la place et les femmes arrivent en processIOn.

Je pense à Théo Lattion . des MoulinsA

à Liddes, le meunier. Il est au cœur de la fete aussi puisque cette farine de seigle, de fro­ment, vient de chez lui. .

Le pain aux Arlaches - et c'est encore ,vraI pour plusieurs villages de la commune d Or­sières: La Rosière, Somlaproi, Chez les Reuses _ représente un trait d'union avec le passé. Une tradition se continue ici, sans change­ment depuis 1746 au moins. Ceux qui ?nt.su

' Ia sauver en faisant en sorte qu'elle SOIt bien vivante et mêlée à l'existence de plus de 80 fa­milles de la vallée, ont réalisé une œuvre d'in~ térêt public de haute portée. Les jeunes qUI

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Coutumes . , savlesannes par H. Bridy

Riche en traditions ancestrales, la grande commune qui domine les coteaux sédunois n'a pas été épargnée par le modernisme . Au­trefois, chaque village possédait sa «Société des hommes » groupant les bourgeois et pos­sédant des terres en commun. Ces commu­nautés tissaient un lien d'amitié réciproque entre les habitants, développaient le sens de l'hospitalité et de la serviabilité, encoura­geaient les gens à demeurer dans leur petite agglomération ... car. .. quiconque quittait son village durant plus de trois ans perdait tous ses droits. Hélas! Il est bien loin le temps où «le Saviésan cultivait sa vigne, battait son blé et passait la moitié de sa vie à boire le muscat avec ses voisins ». L'aisance qui a pé­nétré un peu partout a fait perdre cet esprit de solidarité qui marquait les gens d 'un même milieu. Chacun a voulu se rendre indépen­dant et plus d'un, qui n 'est propriétaire que d'un lopin de terre, se doit de posséder son propre tracteur.. .

Florissantes jadis , ces «Sociétés des hom­mes » ne subsistent plus, actuellement, que dans deux villages : Drône et Ormône.

Les hommes de Drône La «Société des hommes de Drône» a vu le

jour au XIV" siècle, alors que les luttes intes­tines entre les dizains supérieurs et les comtes de Savoie ensanglantaient le Valais . Drône, circonscription interne de la commune, était la propriété des comtes de Savoie tandis que les autres villages faisaient partie du Valais épiscopal.

Les textes originaux faisant défaut, on peut supposer que c'est après maintes vexations , nombreux larcins et incendies de la part des partisans de l'évêque, que les «hommes libres du noble village de Drône » ont décidé la créa­tion de leur corporation.

Vieille de six siècles, possédant 700 toises de vigne (environ 2600 m2) la «Société des hommes de Drône» est plus vivante que ja­mais puisqu'elle groupe actuellement près de 70 membres.

Banneret, capetan, procureurs

Le banneret et le capetan, pratiquement nommés à vie, forment l'organe dirigeant de l'association ; ils sont choisis parmi les 64 65

Les «hommes» en réunion.

citoyens les plus marquants du village et c'est, en principe, à eux qu'échoit l'honneur, tous les cinq ans, de porter bien haut la bannière et l'esponton 1 du village, au cortège de la Fête­

Dieu. Quant aux deux procureurs, fonctionnant

durant deux ans consécutifs , ils ont pour tâ­che de s'occuper des menus travaux de la vigne (sauf la taille et la pioche qui s'effec-

tuent en communauté). Ces procureurs, élus à tour de rôle d'après

le degré d'ancienneté dans la société, doivent fournir à cette dernière 28 litres de vin clair par brantée de 50 kg, le solde pouvant être disposé à leur gré. Pour les travaux ordinaires de la vigne, ils sont rétribués au prix du jour.

Taille, pioche, repas Lorsque les frimas ont disparu et que les lé­

zards sortent de leur torpeur hivernale, c'est un spectacle unique que de voir 50 à 60 hom­mes groupés sur un espace restreint qui , avec

les sécateurs, les hottes ou les pioches, s'af­fairent aux travaux du «vignolage », 9 heures! Le soleil a déjà fait transpirer plus d'un! La channe traditionnelle circule, et de joyeux propos montent à l'assaut du coteau . Dans cette rasade matinale , les voisins ne sont point oubliés et j'en connais plus d'un qui sait très bien choisir son jour et son parchet afin de pouvoir déguster copieusement le vin des so­

ciétaires ! 11 heures! La tâche est terminée, les outils

sont rangés ; assis en cercle, autour d'un grand feu de sarment, le verre posé devant eux, un quignon de pain à la main , les sociétaires at­tendent la récompense de leurs efforts . Servie par les plus jeunes , c'est l'immuable raclette qui coule onctueuse et brûlante sur les miches fraîchement coupées. Et pour bien prouver l'égalité de droits, entre les divers membres , il est servi à chacun un nombre égal de raclettes, et le p~tit mangeur n'a d'autre ressource que de laisser racler le fromage fondu à l'intérieur de son pain qu'il a , au préalable, vidé de sa

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l ,

Le vin de Pâques.

mie. Ces «pains au fromage » faisaient, autre­fois, les délices des enfants qui attendaient impatiemment le retour des «vignoleurs » afin, disaient-ils , de pouvoir manger comme les hommes.

5 heures! Le soleil a disparu derrière le Haut-de-Cry, et malgré la chaleur des dis­cussions, une bise aigrelette bleuit le nez des vieux; c'est l'heure de se quitter, on vide les derniers verres du dernier setier2 (on en boit en général trois) et voilà terminée une fruc­tueuse journée de vignolage.

Admission, amendes, exclusion Sont admis au sein de la société, tous les

descendants de sexe masculin, à condition qu'ils habitent le village; si le père décède alors que les enfants vivent encore sous le ré­gime familial, seul l'aîné peut faire valoir ses droits, les suivants deva-nt attendre de fonder un foyer et de tenir leur propre ménage avant d'être agréés comme membres actifs.

Les limites du village, bien que conven­tionnelles, obéissent à des règles très strictes : à l'est, la Sionne, à l'ouest, la de charge com­munale du «Gourgouille » jusqu'à la jonction

avec cette dernière. A ce propos voici une anecdote qui, si elle est un peu naïve, n 'en est pas moins vraie. Un habitant du hameau de la Sionne, membre à part entière, avait construit son appartement sur la rive droite du Gour­gouille, donc en dehors des limites territo­riales, mais sa grange était sise sur la rive gau­che. Selon les règlements en vigueur, on l'ex­clut de la société. Mais notre bonhomme re­courut au juge instructeur, affirmant que les nom breux différends qui l'opposaient à son épouse l'obligeaient à dormir régulièrement dans sa grange, sise sur le territoire du village de Drône. On fit appel aux témoins qui ne pu­rent que confirmer ses dires; ainsi, grâce à ses difficultés conjugales , il put réintégrer sa «chère société ».

L'exclusion d'un sociétaire peut aussi être prononcée après que trois amendes lui aient été infligées: est passible d'une amende, tout membre qui fait preuve d'insoumission , qui répond grossièrement aux responsables du co­mité, qui fomente une rixe ou y prend part, etc. Il est bien entendu que les fautifs ne peu­vent être punis que si les faits incriminés se passent sur la vigne même.

Dégustation: Agota Vers la mi-décembre, lorsque le vin nou­

veau a fini de frémir entre les douves de chêne des vieux tonneaux, tous les membres sont conviés à la cérémonie de 1' «Agota ». Elle se passe dans un local assez sombre attenant à la petite chapelle du village. Par respect pour le vin que l'on déguste , il y est interdit tout éclai­rage: bougie, lampion ou électricité; ainsi , les jours étant très courts à cette période hiverna­le, les .sociétaires doivent, bien à regret, quitter les lieux sans trop abuser de la divine boisson .

Pain du vendredi saint Lorsqu'en 1924, le four banal cessa toute

activité, on aurait pu croire que c'en était fait de la coutume fort ancienne de distribuer le pain pascal. Il n'en fut rien; si le pain de seigle fut remplacé par le pain bis qui, lui-même, céda le pas au petit pain distribué actuelle­ment, cette tradition a~cestrale reste bien at­tachante au cœur des villageois .

Après un «chemin de croix » suivi avec re­cueillement par une grande partie de la popu- 66 67

Distribution du pain et C:\U vin ·à Ormône le jour de

Pâques.

lation commence la répartition du pain, sui­vant ~n rite séculaire. Sous l'œil attentif mais bienveillant du banneret ou du capetan, les deux procureurs procèdent à la distribution: les enfants d'abord, ce sont les plus affamés, puis les femmes, les hommes, les ~e~s d: passage, curieux d'assister et ~e partlc~per .a une scène pittoresque, empremte de simph­cité, de dévotion et de sagesse populaire.

Vin pascal

Matin de Pâques! 9 heures! Le village s'anime. De toutes les rues ou ruelles, débou­chent des gens munis de récîpients hétéro­clites: channes, bonbonnes, bidons, bou­teilles .. . Une panne du réseau d'eau potable a­t-elle privé momentanément les villageois de cet élément indispensable à la prépara!ion du repas dominical et vont-ils à la fontaine publi­que y puiser l'eau néce~saire ? Non! Ils ~ont chercher leur part de vm, car personne n ou­blie qu'en ce jour de la résurrection, toute la population du hameau reçoit une quantité de vin proportionnelle au nombre de ses mem­bres. C'est ce qu'on appelle le «vin de l'au­mône». A une époque fort éloignée, un géné­reux donateur légua à la société une vigne dont le vin produit devait être distribué judi­cieusement, à raison de un verre, à toute per­sonne (enfant ou adulte) faisant partie de la communauté . A part le «vin de l'aumône » réparti parcimonieusement (la vigne est pe­tite), chaque sociétaire reçoit un ~uarte~on (3 litres): quantité absolument necessalre, avouent le banneret et le capetan, pour ac-compagner dignement le menu pas~al. . .

A Ormône, la distribution du pam et du vm se fait le dimanche de Pâques, entre onze heu­res et midi. Chaque passant, quelle que soit son origine, reçoit son morceau de pain et son

verre de vin. . Puissent ces deux villages perpétuer ces

heureuses traditions, témoins d'un passé austère mais héroïque, et dignes d'un vieux pays où il faisait encore bon vivre!

H.B.

1 Esponton : long bâton enrubanné que l'on porte à la manière d'une ban,n!ère I?rs de la Fête-Dieu. 2 Setier: autrefois le vrai setier valait 37,5 litres , aujourd'hui , il est calcule a 40 litres.

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Saint­Georges à

Chermignon par M. B.

Né il DjcJspolis ou Lydda de Palestine, saint Georges vécut de 280 à 303 ; tribun de la garde de Dioclétien, il souffrit le martyre en

Nicodérnie . Son culte est très répandu en Orient et en Russie. Les Anglais et les Gênais l'ont pris pour patron. On le représente ordinairement à cheval, terrassant un dragon pour la défense d'une jeune fille qui implore son secours . Un second saint Georges , né en Géorgie, vécut de 1014 à 1072, il embrassa l'état monastique et traduisit en langue géorgienne une grande partie de la Bible.

Fête le 30 juin. Que le saint Georges de Palestine, qui a

« coupé la gorge à ce furieux dragon » soit le seul patron de Chermignon, cela ne fait aucun doute .

Le printemps a beau bouder, hésiter, pleu­rer, quand vient la Saint-Georges tous tressail­lent de joie à Chermignon.

Saint Maurice d'Agaune et saint Georges vécurent à la même époque. On admirera les rapports de cou­leurs hautement aristocratiques. Les rapports des noirs , des rouges, des bleus, des jaunes, avec un gris central pour unifier le tout ! Le casque de saint Georges est la reproduction du casque des soldats du pape, l'uniforme est celui des nobles, des porteurs du dais aux archevêchés. On remarquera sa tranquille assurance, c'est sans effort _ guidé par plus puissant que lui- qu'il met à mort le dragon!

68 69

Dans le village, le cortège devant le café Cher­mignon.

Ce soldat, cet aristocrate, ce tribun,. c: martyr de moins de 25 ans, incarne l'autonte, l'ordre la concorde et le bonheur malgré tout.

Il n~us offre des moments si parfaits qu'on en oublie les circonstances parfois néfastes, pour se livrer entièrement aux ardeurs de la fête. Le froid, la neige, la bourrasque peuve~t tomber sur le cortège, qu'importe; ne sont-~ls pas l'épreuve que le saint réserve à ses amiS, les enfants-soldats?

Les fêtes sont comme des dames plus ou moins belles et bonnes. Eh bien, parmi les réjouissances du village, aucun~ n 'a jamais été plus belle, ni meilleure que la fete ~atro.nale.

On avait oublié la profonde emotlOn du retour aux sources, on avait négligé la maison paternelle, saint Georges nous y ramène le 23 avril. Et l'on- s'étonne de retrouver tant de bonnes choses, l'image des aïeux, les sou­venirs d'enfance comme baignés dans un fluide religieux, dans l'odeur si particulière de la vieille maison. Et l'on s 'étonne de les re­trouver ces bonnes choses , discrètes et ravis­santes ~omme la nouvelle touffe de primevè­res, douces, comme le chant du coucou qui «conjure » le gel et annonce le renouveau.

La fête à l'église et à la maison de commune

Le jour de Saint~Georges, bien a.vant l'arrivée des autorités , des fanfares , des Cibles et des grenadiers, avant le d~but/~e la ~e~se solennelle, une foule émue pne de)a en 1 e~h.s~ de Chermignon. Et, dans le très long ~efiie des fidèles qui communient, on sent bl~n la présence de Dieu. Soudain, au son. ~es cUl~res et des tambours , le cortège des offiCiels arnve. Le président, précédé du drape~u c?mmunal, entouré du conseil in corpore, s mchne devant l'autel tandis que les étendards des fanfares , des cibles , du Chœur Saint-Georges saluent le

saint sacrement. La musique tombe de la «tribune » et toute la grande famille commu­nale - enfin unie - demande à Dieu de la conduire par les chemins de la terre.

La fête patronale a bien commencé; dès l' « ite missa est » liturgique, officiels et invités quittent allègrement l'église et se rendent à la maison communale. Apéritif, repas en com­mun, un seul discours de bienvenue, celui du président, dont le charme et la simplicité sont toujours vivement applaudis . Sur la façade de la maison de commune, aux charmantes petites fenêtres alignées avec le souci art~sanal du 16" siècle, une peinture murale represente saint Georges , à cheval, terrassant le dragon. L'accès à la maison communale est difficile et mystérieux comme un « isoloir électoral ». En revanche, la salle bourgeoisiale est chaude et accueillante, on ne peut y pénétrer sans éprouver une vive émotion e!, si le, gé~ie. du lieu s'est parfois révélé ferme et negatIf, Il. ~ règne une humanité alerte, une probite bourgeoise, un réel désir de savoir et ~ne amabilité sincère en dépit d'une certame rudesse dans les formes.

C'est ici que sont débattues les questions de politique locale avec une ardeur. qui étonne les non-initiés. C'est ici que se fraie le passage de la démocratie des clans et des partis pris à une démocratie plus ouverte qui se préoccupe du bien-être social de la classe des employés et des ouvriers qui croît . constamment en nombre.

C'est ici la grande salle du souvenir; on y cherche le chapeau de son père suspendu au clou connu .. . et l'on se console en vidant la coupe où avant nous, il a savouré cet exc~llent vin de la bourgeoisie! On a retrouve «le temps perdu». On a retrouvé la croya~ce a~ pain bénit, celui de Pâques, au Tombu, qUi guérit de la peste; celui de saint Geo~ges aux Girettes, le pain de l'espoir, de la confIance, le pain qui, tout au long de l'année, préserve de «tout malheur et accident», les enfants, les parents, les frères et sœurs, le bétail aussi. Car chacun a besoin de protection à la montagne, et tous sont réunis dans la même foi et se ré­chauffent réciproquement comme à ... l'étable de l'Enfant Jésus. Oh ! nous savons que nos progressistes, prompts à braquer les yeux sur toutes les formes d'idolâtrie, sourient de not7e naïveté, de notre croyance aux vertus du pam bénit. C'est tant pis!

Page 37: L'Ecole valaisanne, mai 1978

Nous savons qu'il s'agit-là d'une forme du culte, peut-être plus païenne au meilleur sens du mot, que proprement chrétienne. Peut-être , pour cette raison, plus chaude au cœur des humbles , et même pour ceux qui ne sont pas des humbles, qu 'une religion dont l' irration ­nel, dont le sacré aurait été évacué. Il y a peut­être là une sorte de fétichisme, si l'on veut. Mais il n'est pas sûr qu'il ait fait son temps le besoin d'une proximité du divin, que nos an­cêtres pré-chrétiens cherchaient près d'une pierre, près d'une source, près de la tombe ai­mée. Il n'est pas sûr, non plus , que les cierges de la Vierge - également de la Vierge noire -ne soient allumés au feu inextingible qui témoigne pour l'homme devant le surréel!

Le cortège des Girettes devient une parade

Depuis toujours, chaque année, le cortège de la Saint-Georges se rend aux Girettes, à un quart d 'heure du village, où, près de la croix missionnaire , a lieu la distribution du pain bé­nit.

Miroir du passé et de la destinée de Cher­mignon, le cortège et la cérémonie des Gi­rettes expriment l'union et le respect des hiérarchies communales. On peut regretter l'intimité, la simplicité de la fête d'antan, mais il faut reconnaître que le visage nouyeau fait d'accueil généreux, de contact humain, donne à la grande solennité vill'ageoise la note nou­velle qui correspond le mieux à la vocation touristique du pays. D 'ailleurs la tradition, cette force vive qui anime et reste la vie dans son devenir, n'est nullement négligée . La

Les officiers de Saint-Georges

Devant la maison de commune, le drapeau flanqué de deux robustes pertuisaniers, les autorités, les gre­nadiers vont partir aux Girettes en direction de Lens. Pertuisane: hallebarde dont le fer était plus long, plus large. et plus tranchant que celui des autres armes de ce genre. Arme d'hast* en usage au XVIe siècle, c'était une hallebarde légère et à longue hampe dont le fer à ailes peu étendues et assez sim­ples se terminait en une lame en forme d'alène ou de tiers point de la longueur d'un pied. La pertui­sane fut l'arme des fantassins au même titre que la pique, mais elle paraît plutôt avoir été usitée dans les combats d'approche. Pertuisanier: soldat armé d'une pertuisane. Gardin des hommes condamnés aux fers . * Arme d'hast, toute arme emmanchée au bout d'un long bâton.

Armes d'hast: la pique, la hallebarde.

transmutation d 'un cortège très local de paysans et de vignerons en une parade solen­nelle, haute en couleur, porteuse d'un mes­sage élargi, est éminemment souhaitable et très opportune. L'autorité locale l'a bien com­pris: il ne s'agit pas de rien tirer du néant de l'imagination, mais de voir ce qui est caché comme chacune des grappes avec chacun de leurs grains est contenue dans le cep, comme chacun des pétales de la fleur est réuni, enclos dans sa graine. Applaudissons donc sans res­triction le cortège nouveau: 1. Saint Georges à cheval 2. Fanfare 3. Sapeurs 4. Tambour-major 5. Commandant du jour 6. Grenadiers, drapeaux des cibles 7. Enfants-soldats 8. Drapeau communal, escorté des pertui­

saniers 9. Autorités et invités

10. Fanfare 70

11. Chœur Saint-Georges 12. Porteurs de pain

Population indigène et étrangère. Dès l'après-midi, les enfants des écoles, ali­

gnés en colonnes par deux, attendent impa­tiemment le grand cortège des Girettes. L'as­cendant de saint Georges n'a d'égal que la joie des enfants-soldats coiffés de la bar­quette, du képi ou de la casquette du papa. Tout le monde naît soldat ici, beaucoup de­viennent officiers. Il est probable que saint Georges lui-même allume dans le cœur des jeunes gens la volupté de servir, si noblem~nt illustrée par le secours porté à une jeune hile exposée au danger. Saint Georges, père spiri­tuel des officiers de Chermignon! Tous les cinq conseillers de Chermignon sont soldats, mais sont officier supérieur ou capitaines ...

Une description de chaque groupe du cortège serait trop longue, il faut voir la Saint­Georges pour la connaître, admirer la componction émue du clergé, le sourir.e mesuré des autorités, l'importance des pertUI­saniers, gardes du drapeau communal (dont l'arme date du XVI" siècle, comme la maison de commune) . Il faut 'sentir le souffle mystique qui passe - que la mort n'arrête pas - à l'arrivée des autorités près de la croix des Girettes. Les fanfares interrompent leur con­cert, les tambours se taisent . L'heure est grave , un notable va parler; ce n'est pas tous les jours qu'on salue saint Georges, que l'on

La croix des Girettes . Près de la croix, le père Mudry de, C~ermlg~on d'En-Bas s'adresse aux fidèles, masses a ses pieds pour la réception du pai~ bénit. On remarquera le goupillon que porte un des ser-vants en blanc.

magnifie son anniversaire. Ce ~'est ,p~s tous les jours que l'on répartit le pam bemt, reçu par toute l'assemblée avec une si profonde

déférence. Ce n'est pas tous les jours que l'on s'en

retourne si heureux chez soi. Mais . si l'on commet l'imprudence de se livrer aux joies de la fête nocturne au village, on risque de se trouver encore le lendemain, au petit jour, dans le café Cher-mignon!

Il faut venir à Chermignon le 23 avril et chaque année pour mieux comprendre!

M.B.

Enfants-soldats , . d 1 Les enfants-soldats sont à l'aise sous le kepl e eurs aînés dont certains numéros (88, 13) rappellent l'ancienne organisation militaire; le nombre ~es années ne se mesure pas encore aux trous du cem-turon ...

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Distribution de sel à Longeborgne le 17 janvier

par J .-M. Biner

Longeborgne : distribution du sel bénit le 17 janvier 1972.

Les pèlerins de Longeborgne sont très nom ­breux qui accourent de tout le Valais central mais aussi du Hàut et du Bas- Valais. Au~ grandes circonstances , ils remplissent les deux sa nctuaires et une grande partie de l'es pla­nade où l'on dispose des sièges. Se déplaçant jadis à pied, ils viennent aujourd'hui jusqu'à Bramois en voiture. voire en cars organisés de Sion, aux fêtes solennelles.

La quantité de communions distribuées an­nuellement permet au desservant de cette thé­baïde d 'évaluer à plus de 30000 le nombre de pèlerin s. Ils s'y rencontrent l'après-midi des bea ux jours de printemps et d 'a utomne : ce pèlerinage n'est-il pa s en même temps un but

72 73

de promenade très agréable? Mais, ce sont les vendredis du temps de carême qui conn"is­sent la plus grande affluence, dès la première messe du matin, à six heures . La grande messe du dernier de ces vendredis, juste avant les Rameaux, est célébrée depuis des années par l'évêque de Sion. A cette occasion, les pèlerins ne se comptent plus. En 1977, on y a dénombré pas moins de 1000 personnes.

D'autres fêtes attirent des fidèles: le 15 septembre, fête de Notre-Dame des Sept Douleurs, et, surtout celle de saint Antoine l'Ermite, le 17 janvier. Ce jour-là, le prêtre bénit du sel préalablement mis en sachets dont chacun en contient l'équivalent d'une cuillère à soupe. A l'issus de l'office divin, les pèlerins, propriétaires de bétail, reçoivent des mains du ' père de Longeborgne, selon leur désir, un ou plusieurs sachets. Ils rentrent ensuite chez eux munis d'un puissant remède qui, tout au long de l'année, sera donné avec parcimonie au bétail pour le prévenir des maladies . C'est une coutume semble-t-il très ancienne, mais encore bien vivante, puisque, ce 17 janvier 1978, il a été dis­tribué 600 de ces sachets de sel. · Ce chif­fre paraît étonnamment élevé, car on n'ignore pas que, dans notre contrée, les têtes de bétail vont 'diminuant. Peut-on dès lors, hâtivement, en déduire que l'on est en présence d'une modification de la coutume et que le sel bénit est aujourd 'hui aussi utilisé à d'autres fins?

On sait que le culte de saint Antoine se répandit dès la fin du Moyen Age dans toute la chrétienté grâce à l'ordre des Antonins. La popularité de saint Antoine tenait avant tout à sa réputation de saint guérisseur. Son pouvoir s'étendait aux animaux , c'est pourquoi il est rangé parmi les saints protecteurs du bétail.

Faute de documents, on ne saurait dire à quand remonte sa vénération à Longeborgne. On peut cependant présumer qu'elle vit le jour dès avant I.e XVII" siècle.

Si l'on considère qu'à tout culte se rattache une représentation de celui qui en fait l'objet, sous forme de peinture ou de sculpture, la présence de deux vieilles statues du saint ermite, à Longeborgne, pourrait être le témoignage d'une vénération tout aussi ancienne.

La statue de « saint Antoine du petit cochon », sur le sentier menant à l'ermitage,

date du XVII" siècle ou en tout cas du XVIII". L'autre, très gracieuse, placée à droite de l'autel, dans la chapelle dédiée à saint Antoine de Padoue, remonte à la même époque.

Il reste à déterminer si le culte de saint Antoine, à Longeborgne, n 'est pas encore antérieur à ces deux figures.

Quoi qu'il en soit, les pèlerins ne cessent de placer leur confiance en sa puissante

Longeborgne : avril 1971. Les pèlerins brûlent des cierges au pied de la statue de saint Antoine.

Page 39: L'Ecole valaisanne, mai 1978

Longeborgne : avril 1971. Le retour des pèlerins.

intercession . Ils lui manifestent, en outre, leur attachement en faisant brûler aux pieds de la statue, sur le sentier de l'ermitage, des cierges en grande quantité. si bien qu 'ils la brûlèrent presque entièrement il ya quelques ann ées.

. Ol~ constate. une fois de plus, que notre hlst~l~e est marquée par la pérennité de traditions, qui ont san s doute été modifi ées au cours, des temps. et dont l'origine précise ne peut ctre re trou vée.

Jean -Marc Biner

74 75

Souvenir de la fabrication du pain à Saint-Luc

Dans tous les villages de la vallée d'Anni­vieTs, il y avait autrefois un four banal et le procédé de fabrication du pain était le même. Si je parle de Saint-Luc et de Grimentz, ce sont les deux villages qui ont gardé le four en bon état le plus longtemps et où l'on a conservé cette coutume. Chaque année, il y a une quinzaine où l'on fait encore ce pain. Au début de l'hiver de chaque année le four est rallumf par un groupe d'amateurs du pain an-

niviard. Il y a un peu plus de soixante ans que, par

ma profession, je montais de Vissoie à Saint­Luc par les raccourcis . Lorsqu'il faisait très chaud, on empruntait le raccourci de la forêt, chemin bordé de sapins et de mélèzes par lequel on aboutissait à un bisse que l'on pou­vait suivre jusqu'au torrent des moulins. De­puis un moment déjà on entendait le tic-tac des trois moulins de Saint-Luc; plus on ap­prochait, plus le tic-tac s'amplifiait. Le sentier passait entre deux moulins. Un rocher en forme de banc nous invitait au repos. Après une heure de marche, qu'il faisait bon s'as­seoir et écouter le rythme régulier des mou- . lins. Le chant des oiseaux créait une sym­phonie campagnarde. La fraîcheur du torrent écumeux et la bonne odeur de la farine et du blé, nous auraient tentés de rester des heures à rêver, mais le travail nous attendait. Le sentier montait encore fortement, de chaque côté il y avait des champs de seigle, de fro­ment et d'orge. Sur un rocher en bordure du sentier, deux raccards majestueux attendaient la blonde Cérès qui garnissait les galeries, plus loin encore d'autres, puis les premières maisons du village.

Il y avait grande animation, tout le monde s'affairait, la moisson avait commencé, cacolet à blé dit «rètze », faucille en main, les femmes allaient couper et entasser en gerbes le blé entremêlé de bleuets et coquelicots sur les galeries des raccards. Les céréales étaient entassées comme des festons dorés sur les raccards brunis par le soleil. Avec les mauvais jours où la neige recouvre la campagne, le moment est venu de battre le blé et de le vanner. Hommes et même les femmes prenaient le chemin du raccard où, les gerbes étendues dans l'aire, les fléaux battaient à un rythme régulier soit à deux temps, soit à trois temps. Si on fredonnait un air de valse , la mesure était donnée par les trois fléaux . Les

Page 40: L'Ecole valaisanne, mai 1978

Les. jo~r~ qui précé~aient la ~abrication du pain, le gram etaIt transporte au moulm pour en retirer de la bonne farine .

graines étaient déposées dans des coffres ou bahuts en attendant d'être portées au moulin.

Deuxième partie Les jours qui précédaïent la fabrication du

pain, le gra in étai t transporté au moulin pour en retirer de la bonne farine. Au milieu du vil­lage, le four banal annexe la maison bourgeoi­siale, au premier étage la salle communale, au rez-de chaussée la chambre du pain. Péné­trons et faisons un petit inventaire : à droite le fourneau en pierre ollaire chauffé à une haute température, tout près un grand pétrin, à côté un plus petit, au centre des grandes tables creusées dans une pièce d'arole. Tout autour des parois sont disposés des rayons amovibles où l'on voit des pelles à pâte en bois, des racloirs, le tapeur à pain.

Assistons à la fabrication du pain. L'eau tié­die, salée à raison d'une poignée pour dix litres d'eau, le nombre de bidonnées en rap­port avec le nombre de pains que l'on veut obtenir, environ nonante à cent pains par fournée; souvent on faisait deux fournées. Le levain qui avait été réservé chez le précédent

était ajouté à la farine dans le pétrin, le tout mélangé et pétri à la main afin d'obtenir une pâte consistante jusqu'à ce qu'elle se détache des mains . Après cette opération la pâte est prête . Sous l'effet du levain, elle met trois heures à lever, prête à déborder du pétrin , le moment est venu de repétrir; pour la deuxième fois on y ajoute de la farine bien des fois. Spécialement au pain que l'on fait à l'entrée de l'hiver, on ajoute du maïs récolté à Sierre, dit «polintèta » ainsi que des pommes de terre précuites passées dans un instrument en bois dit presse-purée. Cette masse est mélangée avec tout le reste et pétrie encore une fois jusqu'à ce que la pâte n'adhère plus aux mains. Pour ce travail un homme suffit mais une femme avec un linge de toilette lu; éponge le visage vu la grande chaleur de la chambre à pains. Encore deux heures de fermentation, puis le moment est venu de sortir la pâte du pétrin avec une pelle en bois. On en fait des mottes d'environ 10 kg appelées «pahon ». Là, trois pétrisseurs se passent ledit «pahon», jusqu'à ce que la pâte, malaxée sur les tables à pétrir et saupoudrée de farine, devienne dure, et là encore une heu- 76 77

re et demie à deux heures pour laisser comme on dit fleurir.

Ici mobilisation de toute la famille, femmes et enfants rangés le long des tables mettent la main à la pâte, éventuellement même les voi­sins. Le premier découpe avec un racloir la valeur d 'un pain, le pétrit légèrement, I~ passe au suivant qui, lui aussi après un temps de travail, le passe au troisième qui, après plu­sieurs impulsions, fait en sorte que tous les plis se trouvent en dessous ayant la forme d'une demi-sphère. Il est repris par un adoles­cent ou une femme pour le taper d'une épais­seur de 3 cm pour obtenir après cuisson 6 à 7 cm. Entre-temps les flammes ont chauffé le four . L'homme désigné pour ce travail racle d'abord les braises, puis avec une serpillière humide, fixée au bout d 'un long manche, ins­trument dit « éhové », d'une main experte net­toie le four. A ce moment-là, on transporte tout près du four les rayons dits tablards où sont déposés les pains. L'enfourneur muni

d'une pelle en bois à long manche attend qu 'une personne dépose le pain où elle a pra­tiqué deux incisions en forme de demi-lune. Ensuite le four est fermé pour une heure puis le pain est retiré et déposé dans des hottes pour être transporté dans des greniers ; cela constitue les provisions pour trois mois.

Qu'il faisait bon se trouver là, à l'heure où l'on sortait le pain du four , l'odeur du pain chaud caressait les narines et comme les An­niviards ont bon cœur, souvent je rentrais au village avec un de ces pains de Saint-Luc dont la réputation n'est plus à faire. Si, après trois mois, ce pain était très dur, le coupe-pain dit «tsapla a pang » en avait raison et un vieux dicton anniviard dit: «Lè miosse dè pang douc qu'è pang rène .» C'est mieux du pain dur que pas de pain.

Un souhait est que tous ces fours ne s'étei­gnent pas et que d'autres se rallument.

L"douard Florey

Page 41: L'Ecole valaisanne, mai 1978

Le vignolage Un peu d'histoire

Nul n'ignore le caractère nomade des populations anniviardes d'autrefois . Pour la plupart agriculteurs, les gens vivaient la transhumance comme une nécessité car les terrains exploitables étaient limi'tés. Ils partageaient leur année en «promenant » leur bétail du village au mayen, du village à la plaine. Ce perpétuel mouvement justifie leur appellation: Anniviards, habitants d'Anniviers (annivia = toute l'année sur la route) .

C'était, à l'heure des déménagements , toute la société qui se déplaçait vers la plaine; et même l'école se poursuivait pour quelque temps dans le quartier où chaque village se retrouvait presque au complet. Ainsi, les gens de Saint-Luc envahissaient Muraz' ceux d'Ayer, Villa ; tandis que ceux de Pi~sec se regroupaient à Noës. Il n'y avait pour ainsi dire aucune coupure, puisque leur vie locale, scolaire, religieuse , civique et bourgeoisiale, se poursuivait à Sierre.

Afin de compléter leurs occupations journalières et dans la volonté de vivre des produits du terroir, les Anniviards ont acquis des vignes, qu'ils travaillaient en grande partie lors de leurs séjours en plaine. Ils avaient en outre la possibilité d'accomplir des journées dans les vignes de leurs bourgeoisies respectives . En procédant à l'achat de ces vignes, les bourgeoisies visaient deux buts bien distincts: d'une part s'approvisionner en vin chaque année ; d'autre part, créer pour les bourgeois des journées de travail. Ces journées étaient très prisées à certaines époques. En temps de crise, il fallut même en limiter le nombre afin que chaque bourgeois puisse obtenir un minimum de travail.

Le vignolage

Le dictionnaire définit ce mot comme une «sorte de bail pour la culture de la vigne ». A l'origine, le vignolage désignait l'ensemble des travaux viticoles de l'année. Deux «procu­reurs », qui avaient pour mission de seconder le conseil bourgeoisial, se chargeaient de chercher les ouvriers et veillaient à la bonne marche de l'ouvrage.

De nos jours, ce sont les métraux qui occupent ce poste et donnent à la vigne tous les soins qu'elle mérite. Cependant, afin de 78

rappeler le «bon temps », une journée ouverte à tous les bourgeois est organisée chaque printemps pour les premiers travaux. C'est cette journée que l'on a baptisée aujourd'hui «journée du vignolage ».

Ce, jour se déroule selon toutes les règles de la tradition!

Les ouvriers, convoqués par voie officielle, se retrouvent au matin sur la place du quartier. Puis, c'est au son des fifres et tambours qu'ils se rendent sur la vigne,

drapeau suisse en tête! On procède ensuite à la répartition du travail: les anciens qui s'y connaissent s'occupent de la taille; les plus jeunes vont mesurer leurs forces à l'aide de la pioche. A neuf heures, le caviste bourgeoisial vient étancher les soifs matinales, en ' musique il va de soi! Le travail se poursuit jusqu'à midi, heure où chacun casse la croûte, prend un peu de repos et n'oublie surtout pas de se désaltérer. L'après-midi se passe de la même façon, avec peut-être un tantinet d'ardeur en moins et... de soif en plus!

Cette pénible journée s'achève comme' il se doit: toujours accompagnés des fifres et tambours, les ouvriers vont partager un dernier verre à la cave bourgeoisiale. C'est enfin la rentrée, avec une certaine lourdeur dans les jambes, lourdeur qui ne provient peut-être pas uniquement de l'effort au travail...

L'aspect quelque peu ... folklorique de cette « journée du vignolage » peut surprendre certains ou faire sourire d'autres . Il est évident que cela peut être discutable, vu sur un plan économique! Mais le vignolage permet à coup sûr la sauvegarde du sens de la communauté : grâce à cette journée officielle, les bourgeois ont la possibilité de se rencontrer au travail, dans une ambiance de fête .

Page 42: L'Ecole valaisanne, mai 1978

Chapitre IV

Quelques considérations pédagogiques

En réalisant un numéro spécial, l'Ecole va­laisanne poursuit sa mission d'information et de formation pédagogiques. En effet, le thème proposé peut être exploité dans ses dimen­sions historique, sociale, civique, ethnologi­que, etc. Il s'agit bien entendu ici d'une ap­proche du problème dont les prolongements devraient être envisagés selon les conditions locales . Nous pensons cependant que des ex­ploitations avec des élèves de tous les degrés de la scolarité obligatoire sont possibles. Il peut s'agir pour les uns d'une simple obser­vation de la vie locale, pour d'autres cette ob­servation peut déboucher sur des exploita­tions plus élaborées .

Pourquoi ne pas envisager participer de fa­çon active parfois avec sa classe à la vie de certaines coutumes. Il ne s'agit pas, comme nous le précisions dans notre introduction, de céder à une nostalgie du passé, mais nous pensons que l'ignorance, voire le rejet par l'école d'une réalité plongeant ses racines dans les bases fondamentales de nos commu­nautés n'est pas envisageable.

Dans cette optique et pour reprendre l'idée de création d'un fichier des coutumes et tra­ditions valaisannes, nous lançons un appel à tous les enseignants. Qu'ils nous annoncent pour chaque ville ou village quelles sont les coutumes encore vivantes et si possible nous en fassent un compte rendu illustré de photos. Nous serions également intéressés de savoir comment telle ou telle manifestation aurait été vécue ou exploitée par une classe ou un groupe de classes.

Les renseignements pourraient être publiés régulièrement dans l'Ecole valaisanne et enri­chir le fichier mentionné ci-dessus. Nous sommes persuadés qu'une telle documenta­tion serait à même d'enrichir l'enseignement à de nombreux niveaux.

Pour permettre une meilleure connaissance des manifestations se déroulant durant l'année, nous présentons ci-dessous une liste extraite d'une publication de l'Union valai­sanne du tourisme en espérant qu'elle sera rapidement complétée par vos informations.

Rédaction de l'Ecole valaisanne

Janvier

Février

Mars

Avril

Juin

80

LCETSCHENTAL, «Chants des rois» (dans les différents villages de la vallée, les jeunes - dont trois habillés en mages - chantent d'une maison à l'autre) CHANDOLIN-Anniviers, (fête des rois), distribution de pain de seigle sur la place du village. GRIMENTZ, Saint-Antoine, bénédiction et distribution de pain et fromage aux petits enfants, «Baconette». FINHAUT, fête patronale de Saint-Sébastien (fête folklorique, distribution de pain). SAINT -MAURICE: Saint-Sébastien, distribution de pain. NATERS, «tueur de dragon», apparition du dragon sur la place du Marché. NATERS, carnaval des enfants.

LCETSCHENTAL, dans tous les villages carnaval avec Roittschaggaten.

MONTHEY, carnaval. LCETSCHENTAL, grand cortège de carnaval. BOVERNIER, «La Poutratze» , cérémonie consistant à brûler une poupée de paille marquant ainsi la fin des réjouissances de carnaval.

BOVERNIER, (dimanche des rameaux), procession avec rameaux décorés

de pommes et de brioches. PAQUES: ' _ à CHAMPEX, course aux œufs pour les enfants; _ à GRIMENTZ, recherche des œufs et distribution à tous les enfants; _ à HEREMENCE, distribution de vin, pain et fromage; _ à SEMBRANCHER, après les vêpres, distribution de vin pascal devant

la maison bourgeoisiale; - à SAVIESE:

_ DRONE, le vendredi saint, distribution de vin, pain et fromage ; _ ORMONE, le matin de Pâques, distribution de vin, pain et fromage

LUNDI DE PAQUES: _ à GRIMISUAT, procession et distribution de pain bénit; _ à FERDIN-Lœtschental, distribution de pain, vin et fromage; _ à VERCORIN, course aux œufs pour les enfants.

SAINT-GEORGES: _ à LOURTIER (fête patronale) - distribution de pain bénit et de vin

après la messe de 10 heures; après-midi, productions de chants, fifres et tambours, etc.; ,

- à CHERMIGNON, distribution du pain bénit; _ à TOURTEMAGNE, bénédiction des chevaux devant l'église.

PENTECOTE: - à A YENT; distribution de pain, vin et fromage; FETE-DIEU: processions à Brigue, Saas-Fee, Zermatt, Saint-Nicolas, Sion, Sierre, val d'Anniviers, val d'Hérens, Saint-Maurice, etc. A VISPERTERMINEN et dans les villages du LCETSCHENTAL (Wiler,

Kippel, Ferden, Blatten) procession des «Grenadiers du Bon-Dieu», ainsi

qu'à SA VI ESE. SEGENSONNTAG: procession des «Grenadiers du Bon-Dieu» à VIS-PERTERMINEN et dans les villages du LCETSCHENTAL (Ferden, Wiler, Kippel) vers 11 heures. A 14 heures, parade des «Grenadiers du Bon-Dieu».

Combats de reines dans divers endroits du canton. Fin juin «INALPES » (montées à l'alpage du bétail avec combats de reines) dans la plupart des alpages du canton.

Page 43: L'Ecole valaisanne, mai 1978

Juillet

Août

BETTMERALP, fête de la forêt. CHAMPERY, fête villageoise du «mouton ». BELALP, fête de la Saint-Jacques.

FETE NATIONALE SUISSE - célébration de la fête nationale dans toutes les villes et stations de notre canton. LENS : fête patronale. ZERMATT, fête de Notre-Dame-des-Neiges au lac Noir. GRACHEN, fête du lac. LOECHE-LES-BAINS, fête des bergers de la Gemmi. BETTMERALP, fête de Notre-Dame-des-Neiges avec procession. WILER-Lœtschental (fête patronale), le matin, messe et procession des «Grenadiers du Bon-Dieu », après-midi, parade des grenadiers.

GRIMENTZ, fête patronale. SUPER-NENDAZ, (Saint-Barthélemy), pèlerinage à la chapelle de Saint­Barthélemy (barrage de Cleu son) - distribution de pain, vin et fromage . BLATTEN-Lœtschental, fête patronale. Messe à 10 heures, suivie d'une procession des «Grenadiers du Bon-Dieu » à 14 heures, parade des grena-

diers.

Septembre BELALP-Blatten, fête des bergers. FERDEN-Lœtschental, fête patronale, messe suivie d'une procession des «Grenadiers du Bon-Dieu ». A 14 heures, parade des «Grenadiers du Bon-

Dieu », RIEDERALP , désalpes, tonte des moutons.

Octobre

Novembre

MARTIGNY, combat de reines (dans le cadre du Comptoir).

VIEGE, foire de Saint-Martin.

Décembre MARTIGNY, traditionnelle foire du lard .

L'Union valaisanne du tourisme publie chaque année un calendrier de ces manifestations.

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Ces trois nouveaux types de projecteurs ont tous une lampe halogène à miroir froid . Ils peuvent être équipés, au choix, d'un zoom 35-65 mm ou d'un objectif à focale fixe de 50 ou 70 mm. Ils admettent les bobines de film jusqu'à 600 m de capacité; leur chargement est automatique; ils ont un haut-parleur séparé, incor­poré au couvercle, et sont facilement transportables, puisqu'ils ne pèsent que 18 kg environ.

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Veuillez me faire parvenir votre documentation « La 1 projection des films 16 mm » 1

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Nom et prénom Profession ou fonction Rue et No NPA et localité

A découper et à envoyer à BOLEX 1401 Yverdon.

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Case postale, :

pour la projection des films muets et sonores à piste optique; cadences de 18 et 24 images/sec.

pour la projection des films muets et sonores, à piste optique et magnétique; cadences de 18 et 24 images/sec.; avec en outre réglage progressif des cadences entre 15 et 30 images/sec. et arrêt sur une image pour la projection des films muets et sonores, à piste optique et magnétique, et l'enregistrement magnétique, avec pupitre de mé· lange incorporé; cadences de 18 et 24 images/sec. ; avec en outre réglage progressif des cadences entre 12 et 26 images/sec., arrêt sur une image et marche image par image

Vous choisissez le modèle dont vous avez exactement besoin et vous payez le prix le plus juste, ce qui, chez BOLEX, peut être étonnamment avantageux.

Pour faciliter votre information, pour que vous puissiez savoir quel est le modèle qui convient le mieux dans votre cas, quel est son prix et pour vous renseigner sur la projection des films 16 mm en général, nous avo~s composé une documentation à votre intention. Il vous suffit, pour la receVOIr, de nous retourner le coupon ci-dessous.

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de caméras et de projecteurs 16 mm

Page 44: L'Ecole valaisanne, mai 1978

NOTES

CAISSE D'EPARGNE DU VALAIS La banque régionale valaisanne

11111 1 J Il

CEV LE FONDS JEUNESSE DE LA CEV créé à l'occasion de son Centenaire récompense des performances particulièrement méritoires de jeunes valaisannes et valaisans de toutes professions

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