45
W\ tï4 - - - E.-A. MARTEL SOUS TERRE EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSES RIVIÈRE SOUTERRAINE DU GOUFFRE DE PADIRAG » BRIVE MARCEL ROCHE, IMPRIMEUR-ÉDITEUR i8go Document I II II l 1111111111111111 L 0000005778782

EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

W\

tï4 - - -

E.-A. MARTEL

SOUS TERRE

EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSES

RIVIÈRE SOUTERRAINE DU GOUFFRE DE PADIRAG

»BRIVE

MARCEL ROCHE, IMPRIMEUR-ÉDITEUR

i8go

Document

III II l 1111111111111111L

0000005778782

Page 2: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

Extrait du Bulletin de 1. Société Scier.ti69ue, Hiataflqveet Àrohéoogique 4e ga Corrèze (siba à Brin), t XI

Page 3: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun
Page 4: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

SOUS TERREEXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSES-

RIVIÈRE SOUTERRAINE DU GOUFFRE DE PADIRAC

I

•N sait que les Gausses consti-tuent entre Cahors, Mende etMontpellier, dans les départe-ments de l'Aveyron, de la Lo-zère, du Gard, de l'Hérault, duLot et dans la partie Sud de

l'arrondissement de Brive (Corrèze), d'immenses etsauvages plateaux calcaires maintes fois décrits parMM. Onésime et Elisée Reclus, Louisde Malafosse,A. Lequeutre et nous-même (1).-

Les profondes vallées, les canons du Tari), de laJoute, de la Dburhie, de la Vis, etc., qui séparentles différents Causses lés uns des autres, sont de-puis dix ans seulement en train de devenir uni-versellement célèbres par la beauté de leurs pitto-resques gorges et par la bizarrerie de leurs chaosrocheux(Montpellier-le-Vieux, •le Rajol, Calisson,Monrèze, etc.).

(t) E. Reclus, Géographie universelle, t. li, La Franco, Paris,Hachette. - O. Reclus, En France, Paris, Hachette, in-8', 1887. -L. de Maafosse, Les Gorges du Tarn, Toulouse, 1883 et 1880. -E.-A. Martel, Les Céuennes, Paris, Delagrave, 1800. -,- Le Tourdu Monde, 1886, 2" semestre. - Annuaire du Club Alpih fran.çais, depuis 1879, etc... -La Nature, n" 597, 608, 639, 676, 734, 76821, 824, 834, 855.

o

Page 5: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

MUMPour les géologues, il y a là un curieux pro-

blême de géographie physique à résoudre. Les ri-vièresque noLIs venons de citer n'ont pas d'affluentsà ciel ouvert tous leurs tributaires jaillissent dupied même des hautes falaises qui les encaissentsoit sous des gueules de cavernes largement ou-.vertes, soit à travers les interstices des éboule-ments, soit par les étroites fissures ou les jointsdes assises rocheuses.

En haut, sur les plateaux, entre tOO et 600mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies,les orages mêmes ne for.mènt aucun ruisseau; lesinnombrables fentes naturelles du sol calcaire lesabsorbent en entier, soit goutte à goutte, quandelles sont étroites, prsque invisibles, soit par vé-ritables trombes quand elles s'épanouissent en lar-ges avens,, abîmes ou puits naturels très creux;elles ne les rendent sous forme de courtes et puis-santes fdntaines vauclusiennes, qu'après un long etProfond voyage soiterrain -

Comment s'opère cette transformation intérieuredes pluies en sources que l'on constate d'ailleursdans tous les pays calcaires (Jura, Karst autrichien,Grèce).

Voilà le problème que bous avons voulu ré-soudre.

Bfri3F6-ajLque les avens avaient plusieurs cen-taines de mètres de profondeui, et communi-quaient directement avec les fontaines d'en hastli n'en est rien; la communi6ation (nous l'avonsconstaté) n'existe que dans des cas rares où lesbouches de gouffres sont bien plus rapprochées di:i

Page 6: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

-9—Fond des gorges, c'est-à-dire où les plateaux sontpeu épais.

En 1888, une première campagne sous terrenous avait fait découvrir une admirable grotte de2,800 mètres de développement (Dargilan), traver-ser de part en part l'intérieur d'un causse de 100mètres d'épaisseur et une rivière souterraine de100 mètres de longueur (Brainabiau), et recueillir(aux Baumes-Chaudes) d'importantes données surl'hydrologie des Causses

Nous en avons publié diverses relations aux-quelles nous renvoyons (1).

Cette année, notre deuxième campagne, en juinet juillet 1889, a eu pour objet l'exploration desavens des Causses qui a été des plus fructueuses.

Les résultats scientifiques de ces recherches se-ront résumés brièvement tout à l'heure; nous vou-ions surtout en exposer le côté pittoresqu et anec-Uolique.

Les avens ou abi:mes s'ouvrent en pleins champs,trous béants, de toutes formes et de toutes dimen-sions, ronds ou allongés, étroits ou larges; leursgueules noires bâillent brusquement sans que rienen signale l'abord, soit horizontales, au beau mi-lieu d'une lande inculte; soit à flanc de coteau surune pente, soit verticales dabs l'escarpement d'unefalaise.

• (I) V. Comptes ,:endus des séances de l'Académie des sciences,3 dôc. 1888. —Annuaire du Club Alpin français pour 1888.— LaNalu,-e, n• ' 821 et 824.— Revue de géographie, avril 1889.— Revuedes Pyrénées, n' 3 de 1889. - Bulletin des Sociétés géologique deFranco, languedocienne de géographie, d'agriculture de lé Lo-zère, pour 1889, etc...

Page 7: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 10 -

ils font peur; pendant les nuits sans lune oules brouillards épais maint voyageur « s'y est péridit-on, les pâtres n'en laissent pas approcher leurstroupeaux et les chutes de bétail égaré y sont fré-quentes; des légendes les rendent plus effrayants

- encore dans l'un on vit un soir un cavalier jalouxprécipiter sa dame belle et suppliante; dans l'autreun berger perdit son fouet qui fut retrouvé par samère au débouché d'une fontaine h plusieurs kilo-mètres de distance et à 500 mètres en dessous duplateau. « Mère, je t'enverrai ainsi une brebis parl'abîme »et de mener la bestiole au bord du trou,mais la pauvre se débattit si bien que le pâtre seulroula au gouffre; il fut sortir comme le fouet et sefaire recueillir par les mêmes mains; ailleurs cesont des feux follets qui attirent les paysans dansle précipice ou les brigands qui les y jettent.

On a bien voûté quelques-uns de ces trous -tropvoisins des routes, des pâturages, des fermes, ouentouré leur orifice d'un mur de pierres sèches,mais comme il y en a plusieurs centaines qui per-cent les causses en écumoire, on ne saurait lesfermer tous.

Aussi personne ne s'était-il risqué dans cesaffreuses bouches de l'enfer qui restaient uneénigme géologique.

• Accompagné de mon cousin G. Gaupillat j'en aiexploré quatorze profonds de 30 b 212 mètres, àla grande terreur des paysans (t).

(I) Liste et situation des avens explorésI. CAUSSE DE SÀUVETEE,RE P Grolle de Baumes-Chaudes, tsss;

profondeur 90 mètres près Saint-Georges de Lavéjae gorges du

Page 8: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- II -

Lorsque nous descendions dans les gouffres obs-curs les vieilles femmes se signaient et marmot-taient entre deux pater « Pour sûr vous y des-cendrez, nos bons messieurs, mais vous n'en re-,monterez jamais plus. » Quant aux braves curésde campagne chez lesquels nous logions souvent,faute d'auberge ils nous octroyaient de paternellesbénédictions.

Parfois flous ne pouvions recruter qu'à grand'-peine les quelques hommes nécessaires pour aidernotre propre escouade à manipuler tout notre ma-tériel.

Et ce matériel ne stupéfiait pas que les gaminset les badauds. Quand par malheur nous opérionsun dimanche, des villages entiers s'ameutaient aubord de l'aven du jour, encombrant indiscrète-ment le champ de bataille que nous appelions, nonsans quelque superstition, le lieu du sinistre.Nous-mêmes nous nous prenions quelquefois ksourire devant cette accumulation de cordages, depoulies, de treuils, de chèvres, d'échelles en cor-

Tarn (Lozère); 2' Aron de Ilcssotes, profondeur 55 mètres prèsAguessac et Millau (Aveyron). - Ii. CAUSSE MgJEAN 3 Hures,profondeur 216 mètres entre Meyrueis et Sainte-Enimie (Lozère).- III. CAUSSE NOIR 4 Aven de Dargilan, 30 mètres, 1888 (Le.zéro); 5' Altayrac, 70 mètres; 6' Guisotte, 72 mètres; 7' Combe-longue, 85 mètres; 8' I'Egue, 90 mètres; 9' La Bre.qse, 120 mètres;10' Tabouret, 133 mètres (Aveyron); 11 Erarnabiau, 90 mètres,1888 (Gard). - IV. LARRAC 22' Mas Raynal, 206 mètres (Aveyron);13' Rabane!, 222 mètres près Ganges (Hérault). - V. GAussE DEGRAMAT 24' Gouffre du puits de Padirac, 108 mètres (Lot). -Plus quatre avens sondés seu]einent Drigas, 32 mètres (C. Md-jean); Valat-Nègro; 55 mètres; Peveral, 72 mètres; Trouchiols,1 30 mètres (C. Noir). - On écrit aven ou avenc.

Page 9: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- t? -

des et en bois, de pioches et masses, d'ustensilesvariés d'éclairage (magnésium, électricité, lanter-nes), amenés en pleine montagne, dans des chemins invraisemblables, sur plusieurs voitures auxressorts surnaturels, sans parler des appareils detopographie, de photographie, des vêtements derechange, provisions de bouché, bonbonnes de vinet menus bagages. Le tout manoeuvré par une di-aine d'hommes travaillant militairement sous les

ordres de nos deux chefs d'équipe dévoués LouisArmand et Émile Foulquier, disciplinés, solides etagiles comme les pompiers parisiens, seuls mal-tres de la vie de leur semblable suspendue parfoisà 100 mètres dans le vide au bout d'une corde de12 millimètres de diamètre.

Aujourd'hui, ce qui nous étonne le plus, c'estque tout se soit terminé sans accident. Puissentnos futures explorations réussir pareillement à cepoint de vue.

Pour revenir à notre impedirnentum et à l'im-pression qu'il produisait, on nous demanda unjour à Ganges (Hérault) « si nous n'étions pas uncirque et si nous avions l'autorisation du maireA Millau (Aveyron), on m'appelait « lemonsieurqui voyage pouf les trous » J'étais devenu com-mis voyageur en trous /

Deux objets surtout excitaient la surprise, le ba-teau de toile imperméable démontable et le télé-phone. Le bateau vient d'Amérique de chez Osgood,à Battie Greek (Michigan), pèse de 18 à 25 kilos selonla quantité d'agrès dont on le charge et cotte 200francs; en quelques minutes il se monte, se dé-

n,

Page 10: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

-13

monte et se case 'dans une malle en bois ou dansdeux sacs de toile (1). Si l'aven aboutit h une napped'eau ou à une rivière,, oh. fait descendre les sacs,on procède au montage et vogue la galère b la re-cherche du sombre inconnu.

Dans ces longs puits généralement élargis à labase, la voix se perd toute par résonnance et cessed'être distincte dès 30 ou 40 mètres de profondeur.Nos premiers essais de 1888 nous avaient démon-tré son impuissance; et cette année nous n'eus-sions pu obtenir les résultats atteints sans le con-cours du remarquable téléphone magnétique deBranville d'ailleurs en usage dans l'armée : chaqueposte, à la fois récepteur. et transmetteur, pèse 400grammes et mesure 8 centimètres de diamètre et3 d'épaisseur; dans la poche il ne tient pas deplace, et le léger câble téléphonique que l'on em-mène dans la descente assure la communicationavec l'extérieur. Nous avions 400 mètres de cecâble h double fil de cuivre et h multiples enve-loppes de gutta-percha absolument imperméables.Ainsi la parole électriquç se transmettait claire etsonore des entrailles du sol b la surface, reliantles explorateurs ensevelis sous terre aux cama-rades non privés du . soleil, h travers gouffres etcavernes, sous torrents t lacs souterrains. Grandesécurité certes; puissant appui moral qui doublel'audace par la confiance dans la possibilité du se-cours- C'est, croyons-nous, la première application

(I) V ta Nature, ir SIS du 29 décembre 1888, et journal le Sportnautique, 1889, Sous terre et. Sur ruer.

I

Page 11: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 14 -

de ce genre que l'on ait faite du merveilleux ins-trument.

Bref, énergie, précautions, matériel, bon vouloirdes auxiliaires, et bonne chance surtout nous ontpermis de mener à bien de fantastiques excursionssouterraines, de découvrir d'admirables sites quen'éclaira jamais la lumière du jour et de récolterde précieuses données scientifiques.

Nous ne saurions faire un Journal de nos des-censions; beaucoup se ressemblaient et quelques-unes n'ont qu'un intérêt théorique. li suffira d'in-diquer les traits généraux et de glaner parmi nosnotes de voyage les péripéties les plus marquantes.

Partout se répétaient les mômes opérations pré-liminaires sondage du trou; disposition en tra-vers de l'orifice d'une forte poutre pour amarrer lapoulie destinée à faciliter la traction de la • corde;établissement avec des pieux et une cordelette d'unpérimètre comme sur les champs de courses, pourempêcher tout accident parmi la troupe de cu-rieux; allongement des cordes sur le terrain, pouréviter qu'elles s'emmêlassent pendant la descente;dévidage du câble téléphonique, etc... Plusieursheures se passaient ainsi.

Puis, à cheval sur un fort bâton de 70 centi-mètres de longueur fixé au bout d'une corde, unpremier explorateur descendait attaché lui-mêmeà une deuxième corde de sûreté et armé du pré-cieux téléphone. Dès qu'il avait pris pied plus oumoins profondément, on engageait par le câble uneconversation du genre de celle-ci « Tout va bien,je suis solide, il y a une galerie latérale; je vais

Page 12: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 15 -

voir un peu »'Dix minutes de silence. « AlloAllo! - Qu'y a-t-il? - La galerie a 10 mètres deIon-, elle aboutit à un puits vertical de 18 mè-tres, il faut descendre Armand et ensuite la grandeéchelle de cordes de 20 mètres et de quoi l'amar-rer; je me détache; remontez les cordes; je gardele bâton pour qu'il ne se mêle pas dans le fil dutéléphone; vous en couperez un autre là-hautest-ce compris? - Oui, Armand va descendre etl'échelle après. - Bon, tirez ! »

Et rapidement les deux cordages remontent; ilslaissent seul dan l'abîme à 60, 80, 100, 150 mè-tres sous terre, ne tenant plus au monde humainque par deux fils de cuivre, un homme, qu'unefausse manoeuvre peut ensevelir vivant.

Ensuite un compagnon, puis l'échelle et les dif-férents objets commandés, outils, éclairage ouba-teau le rejoignaient lentement, quelquefois au boutde 2 ou 3 heures seulement, car les trois cordes etle câble s'entortillaient, les écheilés s'accrochaientaux aspérités du roc, les ordres téléphoniquesétaient mal compris. Et alors venaient les impa-tiences, les imprécations même provoquées parl'énervement inévitable en telle occurrence; unjour (à Rabanel) on perdit une heure un quart àrétablir le fonctionnement d'une corde •sortie dela gorge de la poulie et engagée dans • les tou-rillons. J'étais seul en bas, tempêtant à 130 mètressous terre, et grelottant à la fraîche températurede 7°5. Quand un deuxième puits était suivi d'untroisième il fallait expédier de nouveaux aides etde nouveaux engins, long et pénible travail. A Ta-

Page 13: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 16 -

hourd (133 mètres), il y avait aini cinq puits su-perposés de 30, 10, 12, 18 et 20 mètres de hauteurrespective. La grande échelle (20 mètres) dut êtredéplacée trois fois, et en trois points on mit en fac-tion dans l'intérieur de l'abime, à différents ni-véaux, des hommes chargés, au fur et à mesureque nous remontions, de retirer l'échelle à eux àl'aide d'une cordelette et de la fixer de nouveaupour nous permettre l'escalade de retour. Rien n'estpénible comme ces longues stations de parfois G ou8 heures, immobile, solitaire, dans la froide hu-midité (7 0 à 11° C.) des cavernes, alors que l'onne voit et n'entend rien de ce qui se passe enhaut sur le plateau ni en bas dans les arcanes dûgouffre, car si le téléphone descend avec les dé-couvreurs et les relie toujours aux gens du dehors,ceux des postes intermédiaires n'en ont pas le ré-confortant usage. Et si ces relais fussent tombésen syncope, la situation eût été critique. L'aven deTabourel nous ri occupés deux jours entiers unvieillard de soixante-douze ans, René Robert, fer-mier au . Iviaubert, près de Montpellier-le-Vieux,suivit jusqu'au fond, ne s'étant jamais douté quec( si vieux il descendrait si bas, et enchanté d'êtreencore assez gaillard pour visiter le mauvais trou,mâtin! » Et entes bien des jeunes du pays n'avaientpas son vigoureux sang-froid!

L'éclai:age est une des grandes difficultés à sur-montei' es courants d'air et les suintements d'eau.éteignefit les bougies et le magnésium; les lan-ternesse cassent ou se faussent; les lampes de mi-neurs se renversent, les appareils électriques sont

Page 14: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

/

- 17 -

trop fragiles et d'un emploi peu pratique, ÏIOUSn'en avons pas encore trouvé un seul satisfaisant.

La grosse bougie à très forte mèche est encorela meilleure source de lumière (car le magnésiumiie saurait être constamment employé, il dégageen brûlant un produit pharmaceutique bien connudont l'aspiration prolongée produit sur les intes-tins délicats des effets thérapeutiques vraiment gê-nants); l'embarras est de la tenir quand il s'agitde descendre à l'échelle ou de parer les chocs con-tic les murailles dans un puits étroit. A Rahanel,en arrivant tout étourdi k 130 mètres après tinvertigineux tournoiement, je fus surpris de perce-voir , une odeur de brûlé : une chaleur à la tétem'en fournit vite l'explication; c'était mon cm-peau qui flambait, allumé par nue bougie malfixée après. J'ai gardé comme un précieux trophéece feutre avec lequel faillit se consumer ma che-velure!

Il faut prendre garde aussi d'enflammer les cor-des qui vous retiennent; il est vrai qu'au contactdes roches humides elles deviennent rebelles à lacombustion.

Tout cela donne une idée des innombrables etméticuleuses précautions indispensables pour évi-ter non-seulement des accidents, mais encore descatastrophes, car on jongle avec l'existence dans legouffre immense et vide, et la moindre maladresseserait la mort.

Mais passons en revue les incidents mémorables.A l'aven de l'Egue il y avait un premier puits,absolument vertical, de GO mètres, merveilleux de -

2

Page 15: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 18 -

régularité, aux parois creusées par les eaux an-ciennes en gigantesque hélice; au fond on voyaitassez clair pour lire, et la vaste lucarne de cielbleu de l'ouverture faisait le plus étrange effet; àtravers deux ou trois petits puits inférieurs et quel-ques couloirs latéraux, nous avions trouvé l'extré-mité de la fissure, l'argile et une vasque d'eau,comme dans presque tous les abîmes. Tout avaitbien marché; l'aven était un des plus beau:: con-nus; il ne restait qu'un homme à extraire, ÉmileFoulquier, l'un de mes deux fidèles. A peine corn-men çait-on à le hisser que nous l'entendons criersans distinguer ses paroles (le téléphone était re-monté) : les hommes à la poulie tirent ferme, suantet sonfflaiit, et bientôt on perçoit ces mots doulou-reusement articulés en patois « Vous me crevez,vous me crevez ». On tire plus vite, sentant l'an-goisse; la voix du malbeure x faiblissait, j'ôtaisterrifié. Un dernier effort à la margelle du puitsapparaissent la tête, puis les épaules; des bras vi-goureux l'empoignent et il s'évanouit presque surl'herbe, blême et les yeux injectés de sang. Il étaittemps; une corde mal attachée autour de la poi-trine avait formé noeud coulant étrangleur. Foui-puer étouffait si le puits avait eu 80 mètres aulieu de 60, si l'ascension avait duré deux minutesde plus, une congestion était fatale. Un cordial réa-git immédiatement et nous en ftXmes quitte pourune grande peur, tuais le soir, avant l'extinctiondes feux, ma troupe dut. subir une longue confé-rence démonstrative sur la manière de faire lesnoeuds!

Page 16: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

A Comhelongue, Armand et moi nous avions pu

DESCENTE D'UN AVEN (LEGUE, CAUSSE NOIR)Profondeur 90 mètres.

Photographie de M. G. Gaupillac.

descendre à 60 mètres en nous faufilant dans uneétroite fente verticale et en nous servant surtout

Page 17: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 20 -

des genoux et des coudes 'plus bas le rétrécisse-ment s'accentuait, les deux poings ne pouvaientpas passer; cependant le vide, paraissait plus grandà quelques centimètres en dessous, et les pierresjetées tombaient encore d'au moins 20 mètres. Àcoups de marteau, Armand élargit le trou et neréussit pas à- se faire place; plus mince, et reti-rant veste et gilet, je m'y glisse à grand'peine,attaché à une corde que retient mortSoudain je me sens enlever mon chapeau; c'est lepuits qui me l'a pris et, dès que j'ai assez (l'es-pace pour rejeter la tète en arrière, je le vois sus-pendu aux aspérités de la roche et arrêté en tra-vers- de la fente; comme un ramoneur dans unecheminée je descends encore de 25 mètres, et j'aile plaisir d'attéindre le fond du puits que je voulaisvoir. . De même je remonte le tuyau, et ma tètes'emboite au passage et automatiquement dans moncouvre-chef, qui n'a pas pu me suivre. J'avoueavoir été singulièrement oppressé pendant toutecette opération. Le soir, rentré au gite de Saint-André de Veyzines, on s'aperçoit que le sac con-tenant la provision de bougies a été oublié aufond du premier puits à 25 mètres; le lendemainmatin on perd trois heures à l'aller quérir, maison ramène en même temps deux superbes piègesà renard dont un paysan m'offre cinq francs

Car on trouve de tout au fond des avens despièges avec lesquels les animaux pris vont se pré-cipiter affolés, des fiigots, des troncs d'arbres, desoutils, morne un jour (h. Padirac) ' inc roue de voi-ture neuve qui fit la joie d'un charron et valut à

Page 18: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 21 -

mes hommes un litre d'eau-de-vie, et surtout (c'estPeu t-être ce qui nous ennuyait le plus dans nopérilleuses descentes) les carcasses en décom posi -tion des bestiaux tombés par accident ou jetés làaprès leur mort pour les Gaussenards, en effet,les avens tiennent lieu de voirie. Maintes fois nousn'avons P U supporter l'horrible odeur de ces char-niers qu'en brûlant sans discontinuité du papierd'Arménie oui de l'encens.

L'aven de Guisotte, un des premiers explorés,n'est qu'un puits unique de 72 mètres, large à Nl'ouverture d'un mètre à.-peine. Armand y des-cendit le premier sans téléphone. L'étroitesse del'abîme est telle qu'à 30 mètres nous cessâmes denous entendre. Quand il fut au fond, ni cris nisignaux à la trompe de chasse ne purent nousmaintenir en communication. Les hommes à lapoulie tiraient en vain sur la corde, résistancecomplète; rien ne vibrait, silence absolu. Gela duraune demi-heure.. Nous le crûmes mort, écrasé parquelque bloc, arrèté sous quelque encorbellement.Ce jour-là fut nôtre plus grande frayeur. A la fin,je inc fis descendre avec l'appareil auditif et trou-vai en bas mon Armand sifflotant un au' connu

Je vous attendais, mais ç'a été long. -Ali bien,vous nous avez fait une jolie peur - Pourquoin ?appeliezvous pas? - Mais j'ai crié à en perdrela voix. - Nous n'avons rien entendu. - Moi nonplus. - Pourquoi ne lâchiez-vous pas la corde?Vous sentiez bien que nous tirions. -Oui, mais jel'avais attachée parce qu'en remontant à vide ellese serait prise dans cette fissure et sous cette saillie

Page 19: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

— 22 —

que vous voyez là-haut, et alors plus moyen de la.décrocher. - Ah I c'est juste mais nous ne pou-vions pas deviner; enfin, la morale, c'est que nousne descendrons jamais plus sans le téléphone. —Oh! bien entendu. Et comme au fond de Gui-sotte il n'y avait rien à découvrir, nous comman-dâmes « ô hisse ! » Tiré trop fort, je faillis avoirla tête prise sous la saillie en forme de dais coupéen deux qui avait inquiété Armand; heureusementj'eus l'idée et le temps de repousser du bras la

-paroi du puits et de m'imprimer dans le vide unbalancement qui me fit dépasser l'obstacle cemouvement éteignit ma bougie et je m'enchevê-trai pomme une mouche dans le réseau des qua-tre cordes et du câble téléphonique formant toiled'araignée; n'étant plus qu'à 25 mètres de l'ori-fice je pus causer 1k-haut et faire stopper; je mis20 minutes à rallumer la bougie et( débrouillerl'écheveau de cordages entortillés autour de moncorps et de mon bâton avec 47 mètres de videnoir sous les pieds. Armand sifflotait toujours etremonta sans encombre. La nuit, nous eûmes tous—le cauchemar.

A la Bresse (120 mètres), autres histoires : uncommandement mal compris fit retirer, k notreinsu, une échelle posée pour le retour dans unpuits de 6 mètres; je ne sais comment s'y pritArmand pour gravir la muraille lisse et me tendreensuite un bout de corde, où je grimpai à la forcedu poignet . ! L'auteur involontaire de la méprisefaillit tomber du haut mal en nous voyant prisainsi dans la souricière Armand, d'ailleurs, ne

Page 20: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 23 -

lui ménagea pas les vertes apostrophes, et l'inci-dent se clôtura pai nue chaude dispute à 89 mètres

• sous terre. Comme tout le monde était énervé, lesurplus de la manoeuvre marcha fort mal. Le plusgrand puits se trouvait si étroit que 1s barreauxde l'échelle de corde, pris en travers, refusaientde déraper, ou encore s'accrochaient aux saillies.Échelon par échelon on mit trois heures à la sor-tir, plusieurs hommes étant dangereusement sus-pendus tout du long afin de la dégager. Pour finir,k dix heures du soir, par une nuit sans lune, nosvoiturps s'égarèrent en pleine forêt et nous dûmesrentrer au Maubert à travers champs et rochers,au grand dam des pauvres chevaux.

• Enfin à Hures (116 mètres), nouvel acci6ent debougies je demeurai trois quarts d'heure à 40mètre au-dessous de mes compagnons, balancésur l'échelle de cordes avant qu'une seule allu-mette voulùt bien prendre. Sans lumière je nepouvais ni remonter ni descendre. La lanterne en-voyée à mon secours s'était ouverte et éteinte enroute!

Trois avens (d'ailleurs les trois derniers explo-rés), Rabanel, Mas-Raynal et Padirac, méritent plusde détails, étant vraiment extraordinaires, le pre-mier comme le plus profond (212 mètres), les deuxautres comme nous ayant enfin menés aux rivièressouterraines que nous cherchions avec tant d'achar-nement.

L'abîme de Rabanel s'ouvre près du chef-lieu de•canton de Ganges (Hérault), à l'altitude de 360

Page 21: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 24 -

mètres, sur lé penchant de la montagne de la 86-ranie.

Ses proportions sont gigantesques : l'ouverture,ovale, mesure 40 mètres sur 25. C'est une fissuredu sol élargie par les eaux, longue de 80 mètres,large en bas de 10 à 12, profonde de 165 et grefféésur une vaste grotte qui descend 47 mètres plubas, soit à l'énorme distance verticale de 212 mètres.

Ràbanel nous a pris six jours et coûté 600 francs

colistrois journées entières ont-été consacrées à la-traction d'un échafaudage et à l'établissement dedeux chèvres avec treuils à 38 mètres de tprofon-deur, sur un rocher en travers du gouffre et for-mant pont.

L N -Le premier à pic absolu est de 130 mètres endéfalquant les 38 mètres ci-dessus, il en reste 92qu'il faut descendre dans le vide complet en tour-nant quarante-cinq ou cinquante fois sur soi-même.Avec le treuil l'opération dure dix minutes (9 mè-tres par minute) qui semblent dix heures; c'estétourdissant, affolant, il n'y a qu'un moyen de nepas perdre la tête compter les tours bien patierh-ment. J'ai eïécuté deux fois la descente de Ra-ifanel la première, tout seul dans le noir inconnu, sans-savoir où j'allais, croyant même, .parsuite d'une illusion d'optique, que le sondage avait

- - été mal fait et que les 130 mètres n'étaient qu'upcpartie du gouffre. En remontant je me jurai ànoi-mème, pendant l'effro yable giration, -de n'y

H

. jamais retourner si je réussissais à regagner le Sol!

Qdatre jours après je 1-edeshendais, suivi cette foide Gaifpillat et de :Fou1quir j: -le, charme était

L 1

Page 22: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

De

ÎEL

o:u,. fl4&c&ca—'-- tk

neqn"ap f.ô

t.d...,,.Ntfl.*CJnaOEfcc.ccLtn,,t

E .. ta'.jRn 1itt i&.sn4

F Jït.i.&.B ..jih, cea)

IL &fw 'n&rjÇC',fa,yi/,4aak'.

()4cua, jtrJ. 6J)

o..k3t' f &M' LD ca-fl\j .4

III..& wtLAkC.1aW4..&#app.4anJ &Iei('te

e pvl.iCne Ø$t, &J&.

W,al!tiJ7a-.

Ca.ca& a

!€s4_z

Sn> N

lIT. b-:.et,II..

/C -

-=--'60

-

déjection des-.pierres tombder

de l'orificen580-_ haut. £5)

-EcheJle."-te 3 eI.J,-de t â tSoO

"r gkienw'UT.rrflee

1OpVnjr exfrèo,, de l'een 1er, 4Q XéL.0-Lerrvr e,ttrêmc 25 - --

AJ&Sed JS0--_-

4Jme&. Mex

78 - , faet info

Page 23: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

rompu Et nous nous rappellerons longtemps ledéjeuner pris ensemble à 400 pieds sons terre àla lueur de trois bougies, alors que par téléphonenous commandions aux amis de la surface unebouteille de vin supplémentaire vite expédiée aubout d'une cordelette ! Quel éclat de rire quandsur l'ordre « halte! gare à la casse! » transmis àtravers le câble, le fragile vase s'arrêtait net àI mètre au-dessus d'un tas de pierres, détail pué-ril pli fait peut-être sourire, mais qui nous laisse1e regret de ne pas pouvoir mener tous les jourscette existence si peu banale! Au retour, je ques-tionnai Gaupiliat sur son impression durant le bis-sage. « Je me suis demandé, dit-il, à partir dequelle hauteur on serait au moins sûr de se tuerdu coup ! »

En effet l'ascension est pire que la descente, caron devine (plus qu'on ne' l'entend) l'effort de trac-tion opéré là-haut, bien haut, près du ciel, et l'on

• se dit, si brave que l'on soitTout de mêmesi la corde cassait I »

• En revanche, quel spectacle féerique les 130mètres ne sont pas le fond du puits; il y a encoreun talus de pierre haut de 35 mètres et inclinéà 330 . lI aboutit à la grotte dont la plus grandesalle mesure 60 mètres de longueur, 25 mètres delargeur et 45 de hauteur. Du milieù du talus l'oeil

• - contemple ce spectacle inouï d'une véritable etétroite nef d'église longue de près de 100 mètres,élevée de .150 mètres, percée, à cette prodigieusehauteur, d'une fenêtre ovale découpée sur l'azur dufirmament; la lumière en tombe tamisée, étrange,

Page 24: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 27 -

irrisarit de reflets violacés les stalactites qui pen-

AI3IME DU MAS-RAYNALPhotographie de M. G. Gaupillat prise à 20 mètres de profondeur.

dent en larmes de cristal aux parois du puits. C'estbien là une chose que les hommes n'ont jamais

Page 25: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 28 -

vue et qu'ils ne sauraient imaginer l'appareilphotographique même s'est refusé à l'enregistrer;il n'a donné qu'une tache blanche entre deux raiesnoires. C'est trop immense

En arrière, la grotte est superbe et ferait la for-tune d'un village suisse; elle possède mème unsecond puits de 26mètres pour l'exploration du-quel il a fallu faire descendre les colis d'échelle decordes à 170 mètres sous terre, mais ses brillantest rigides cascades de carbonate de chaux ne nous

ont pas émus comme le grand puits lLd-même.Pourquoi faut-il que tarit de splendeurs soientinaccessibles?

Il y a quarante ans, un homme est tombé dansRabanel avec sa mule on nous a demandé, bienentendu, si nous avions retrouvé leurs ossements LLes orages les ont recouverts de plusieurs mètresde cailloux.

Avant de remonter nous faisons, en plusieurs• longs voyages; hisser les paquets de cordes, d'é-

chelles et d'autres ustensiles; l'un d'eux, mal ar-rimé, se détache presque en arrivant et fait pleu-voir tout son contenu (marteau, burins, gourdes,

• pied photographique, lanternes etc.) . sur nos têtes,de 90 . mètres de hauteur! Le moindre des objetsprécipités nous ccii brisé le crâne. Nous a'vons punous garer!•.-

Je ne compte pas redescendre à RabanelAu Mas-ilaynal (sur le Larzac, entre Saint-Affrique-

et Lodève) (106 mètres) nous percevons, dès notrearrivée au bord du trou, le bruit d'un cours d'eauintérieur lesmanoeuvres et précautions d'usage

Page 26: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 29 -

nous conduisent Armand et moi, en six heures de -travail, à un puissant torrent souterrain qui ali-mente la belle source de la Sorgues (2 kilom. 1/2

la correspondance est certaine, commele prouvent la direction du flot et la similitude dela température de l'eau aux deux points (100 5).Mais nous n'avons pu suivre le courant que pen-dant 130 mètres; en deçà et au delà, la voÙtes'abaisse au niveau de l'eau et tout passage estimpossible. Au milieu des cascades qui nous cou-vrent de leur écume, j'ai une oreille assourdie parle fracas du torrent grondeur, tandis que l'autre,collée au téléphone, perçoit la musique et la ca-dence. d'un bal cliampât.re organisé là-hau6 (c'estdimanche), au bord du trou, par la jeunesse tur-bulente du village voisin t Saisissant contraste qui,en présence d'un grandiose et terrible spectaclenaturel, nous rattachait de si bas aux gaietés dela vie!

II

Mais la merveille de l'expédition c'est Padirac!Là, à 108 mètres sous terre,. nous avons, sur unerivière ignorée, navigué pendant 2 kilomètres sansvoir la fin de ce nouveau Styx

En France, dans le département du Lot, sur leCausse de Gramat, non loin du village de Miers,au N-E. de Rocamadour, lieu célèbre de pèleri-nage, il y a dans un champ plat un trou rondgéant de 35 mèires de diamètre. Rien n'en signalel'approche, on ne le voit que quand on est au

Page 27: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

D

- 30 -

bord, et alors on recule instinctivement. (Voir lagravure figure 1 insérée en tête de cette notice.)La corde de sonde donne 76 mètres au point lepins creux, 56 mètres seulement au sommet dutalus de pierres qui forme cône au fond du gouffre.C'est là la puits de Padirac.

Comme cela arrive souvent aux bêtes égarées destroupeaux d'alentour, un homme y tomba il r avingt-cinq ans la justice, indécise entre le crime,le suicide ou l'accident, ordonna une enquête; il Ifallut quérir le cadavre, ce que l'on fit avec grandecrainte et à grand renfort de chèvres, de poulies,de treuils et de cordages. Puis l'on remonta vite,sans explorer deux ouvertures latérales, béantes aufond du puits. Largement ouvert et bien éclairé,il n'avait cependant rieù de terrible ce gouffre, encomparaison des abimes étroits, sombres et beau-coup plus creux des Causses lozériens et aveyron-nais mais, comme tous ses semblables, il faisaitpeur, et à le scruter en détail personne ne songeait.

Le 9 juillet 1889, une échelle de corde me mèneavec mon cousin G. Gaupillat et mes deux fidèleset dévoués auxiliaires, Louis Armand (d'Àgussaè,Aveyron) et Émile •Foulquier (de Peyreleau, Avey-ron), ausornriet du talus de pieres à 56 mètres'en contre-bas du sol au pied de ce talus s'ouvreune grande arcade carrée haute de 20 mètres, dansun angle du gouffre; nous, y descendons sans peine!(Voir la gravure d'après la photographie de M. Ga-briel Gaupillat.) En levant la tête, l'impressionest singulière on se trouve au fond d'un téles-cope qui a pour objectif un morceau de ciel circu-

Page 28: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun
Page 29: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 32 -

du colossal cylindre pendent gracieusement de lon-gues touffes de plantes amies de l'ombre et del'humidité. L'échelle de corde se balance au milieud'elles, et le mince câble du téléphone qui nousrattache aux vivants semble un noir fil d'araignéetendu en travers de l'abîme. Nous atteignons, à

- 86 mètres dé profondeur, l'entrée d'une obscuregalerie inexplorée; on allume, on pénètre et, aubout de quelques pas, un murmure frappe nosoreilles; c'est l'eau, c'est un ruisseau I A 98 mètressous terre, nous rencontrons une toute petite napped'eau sortant 'd'une voûte basse et s'écoulant enun filet liquide. Voilà la source cachée des sourcesaériennes, constituée dans une vasque d'argile parl'eau de pluie qui suinte des voûtes d'une caverne.Pendant 150 mètres nous suivons la ruisselet sou-dain il se perd dans les cailloux et passe sous lefond même du puits de Padirac, sans doute à travers le talus de pierres. Peut-être allons-nous leretrouver au bas de l'autre orifice que nous n'avonsfait qu'entrevoir! car notre marche est arrêtéePeau seule peut se glisser dans les interstices dela pierre. Dans un angle opposé du gouffre de Pa-dirac cette deuxième ouverture, pratiquée à 76 mè-tres de profondeur, est celle d'un puits pas toutà faitvertical, étroit, profond lui-même de 32 mè-tres et au pied duquel, à 108 mètres, le ruisseletperdu rejaillit d'un trou du roc. Ici la scènechange ce n'est plus un abîmé ni une cavernequi s'offre à nos yeux étonnés, c'est une monu-mentale avenue,haute de 10 à 40 mètres, largede 5 à 10, dirigée droit vers le Nord et voûtée en

Page 30: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

ogive sombre; nous la suivons à côté" du 'ruisseauqui , s'enfle toujours par la pluietombant des vo-tes. .Des légions de chauves-souris s'effarouchent ànotre approche; leurs déjections couvrent le sol,et nèus nommons Pas du Guano un endroit oùil faut, -hou gré, niai gré, enfoncer les' poings dansun amas de ce fumier pour se cramponner aurocher.

Si loin que porte , la lueur presque solaire dunagnésium, nous ne voyons pas cette fois la (iiidu grandiose couloir, il y a quelques coudes, deuxou trois flaques d'eau à traverser; en avant! Etnous allons ainsi jusqu'à 300 mètres* ; soudain laroute est barrée; l'onde occupe toute la, section de -la galerie et elle a plusieurs mètres de profon'deur!Plus de doute, nous sommes en train de découvrirune rivière souterraine. L'obstacle ne saurait nousarrêter nous avons là-haut dans ses deux sacs lebateau de toile démontable qui nous accompagnedans tontes nos explorations intérieures. Mais ilest •7 heures du soir, j'ai pour principe absolu dene jamais coucher sous terre, il faut deux heuresPolir regagner l'orifice du puits de Padirac:volle-,face, la suite à demain.

Et sortis sains et saufs à 9 heures du soir,' noussoupons en plein air et passons la nuit au borddu trou, dans et sous l'omnibus'qui nous a ame-nés de Rocamadour avec armes, bagages et nos sixhommes de renfort.

Le lendemain matin, à 6 heures, nous-redescen-dons tous quatre, bateau en sacs, et- à 10 heures,Gaupillat et moi, nous 'flottons librement sur une

Page 31: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

n

- 34 -

rivière large et profonde de 5 à 8 mètres; Armandet Foulquier vont nous attendre.....pendant sixheures et demie!

Quatre bougies sont fixées au bordage de lafrêle embarcation, et le réflecteur à magnéiumne chôme guère; l'an de nous s'en sert POUF éclai-rer la voie et scruter le mystérieux défilé où nouspénétrons; l'autre pagaie tranquillement dans l'eaulimpide et'presque sans courant. Et cela se pro-longe pendant 350 mètres, sous une voûte d'en-viron 40 mètres 'de hauteur. La surprise nous rendmuets. Bientôt la silencieuse rivière (que nous bap-tisons ta Rui'ière plane) se met à bruire faible-ment, quelques rochers l'encombrent. Voici unpremier rapide ou cascatelle, il faut débarquer etporter le bateau de l'autre côté; c'est vite fait, etcd que nous découvrons alors ne se décrit pas.Quatre petits lacs formés par des expansions dela rivière se..succèdent sans interruption. Commedans les plus belles grottes . connues, le brillantrevêtement des stalactites et des stalagmites lam-brisse leurs parois, des colonnes déliées, des pen-deloques, des girandoles longues de 20 mètres etplus s'abaissent des plafonds jusqu'à la surface deslacs, le long des murs s'étagent et scintillent desrangées de bouquets, des bénitiers, des statuettes,des clochetons de blanc cristal; le magnésium faitde tout cela l'intérieur d'un pur diamant; sur l'ondeunie comme un, miroir le reflet double la splendeur; aucun bruit ne trouble le majestueux si-lence de cette merveille inconnue; le flot mêmene murmure pas. Seules, 'les gouttes d'eau tom-

Page 32: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

3

t,

Ç(t] r

Q..D42-'-- 1-

LE--'ç1 Hi128

—S:

tt -iz? J?!

s-

d t

-! tjçro el",-p-

O cl

i j -4<—

2ffj,2<•

hi. Galtr>r i•t;! f jJ;r !4L I II- cJ- fflt3J

Page 33: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 36 -

bées des voûtes sonnent aiguës ou graves, argen-tines ou sourdes selon la distance, mates sur larivière, sonores sur la stalagmite, et l'écho qui dis-crètement les répercute combine toutes ces notesen un chant .mélodiéux, en une musique douce,plus harmonieuse et pénétrante que les plus suavestimbres terrestres. Nul être humain ne nous a pré-cédés dans ces profondeurs, nul ne sait où nousallons ni ce que nous voyons, nous sommes iso-lés deux dans la barque, loin de tout contact avecla vie, rien d'aussi étrangement beau ne s'est ja-mais présenté à nos yeux; ensemble et spontané-ment nous nous posons la même question réci-proque « Est-ce que nous ne rêvons pas? Cessensations-là sont inoubliables.

Le passage des lacs n'a guère qu'une soixantainede mètres de lôngueur et 15 mètres de largeurmaxima.

Jusqu'ici la navigation est très aisèe,mais lesdifficults vont commencer et grandir k chaque pas.

D'abord c'est la rivière qui, entre deux stalag-mités:, se rétrécit k 91 centimètres de largeur;notre bateau en mesure 90; nous passons juste,par une grande chance, car .les murailles sont per-pendiculaires, lisses, sans corniches pour débarqueret l'eau a plusieurs mètres de profondeur.

Puis vient un deuxième rapide qui sera suivi detrente autres. Ces barrages sont eux-mêmes une cu-riosité, et constitués par une sorte de digue derhi-circulaire de stalagmite, concave en arrière, convexeen avant; ils forment ainsi de vrais bassins de re-tenue et ressemblent aux gowrs que les cascades

Page 34: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 37 -

et les pierres creusent dans le lit des torrents.Lei.n' rebord cristallin, délicatement ciselé et frangécomme du corail blanc, est h fleur d'eau et largede 3 à 4 centimètres à peine; vers l'amont il secreuse en encorbellement .sous l'eau, et vers l'avalse bombe en surface sphérique inclinée à 30 en-viron sur laquelle la rivière, trop-plein du bassin,glisse en nappe liquide. A chaque gour nous dé-barquons sur la fragile crête stalagmhique, sortant

. le bateau, et le descendant par-dessus le barragedans le bassin suivant. Trente-deux fois, la bougieentre tes dents) nous avons répété cette dange-reuse manoeuvre, et plus d'une fois Une glissadeimpossible à éviter nous a fait prendre un baincomplet; les gours ont de 0"'50 à 4 mètres dehauteur, le plus grand mesure fi à S mètres delongueur.

Entre le deuxième et le troisième gour la roches'avance en surplomb à 30 centimètres au-dessusde l'eau, il faut nous coucher dans le bateau qui,heureusement, n'a que 20 centimètres de saillie,casser avec la tête les petites stalactites qui nousdéchireraient, et avancer en polissant du dos c'estle Pas du Tiroir) long de 5 à fi mètres, et oùnous glissons comme dans une rainure.

Après le troisième gour vient le Pas. des pa-lettes.. La fissure que , parcourt la rivière n'a, auniveau du courant, que quelques centimètres delarge nous devons débarquer dans l'eau jusqu'àla ceinture, dévisser les palettes démontables de lapagaie et des avirons, les poser en travers de lagalerie au point où elle a un mètre de largeur,

Page 35: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 38 -

c'est-à-dire bien au-dessus de nos tètes, élever lebateau à bras tendus, puis le faire glisser sur lespalettes jusqu'à ce que la fin du rétrécissementlui permette de reprendre flottaison. Une palettese dérobe et la barque tombe sur nous; nous finis-sons par la porter sur la tête en avanQant bras etjambes en croix en travers du courant, accrochésaux fluettes aspérités du rocher. Si le fond de toilede l'esquif eût été sec, nos bougies (toujours auxdents) y eussent mis le feu

Enfin nous nous reposons au bofd d'un grandlac circulaire de 50 mètres de diamètre; le magn&sium nous le montre coupé d'une multitude degours et dilots de stalagmites; la voO.te ne mesureguère plus de 15 mètres de hauteur. Tandis que -Gaupillat m'éclaire avec le réflecteur, j'explore lelac à pied, en équilibre sur la crête des gours, etje reconnais une issue; la rivière tourne à gaucheet se poursuit .; je rétrograde par l'autre bord de lanappe d'eau; 1k il y a moins de gours, ce seraplus commode pour le bateau, mais la rive est ar-gileuse , glissante, abrupte, une saillie de pierre serompt dans ma main et... je rejoins mon compa-gnon k la nage; ce bain frais à. 14° C. ne m'âpas paru trop désagréable- L'ennui c'est que nosallumettes et briquets se trouvent mis hors deservice. Aussi nous procédons à une véritable illu-mination sk bougies sont adaptées au bordagede crainte que l'éclairage ne vienne h manquer;géniale précaution car, au retour, une fausse ma-noeuvre en souffle quatre k la fois!

Au delà du grand lac, les gours se succèdent

2

Page 36: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

— 39 -.

presque sans interruption; plusieurs sont mufti-pies, le quinzième débouche dans nu sixième lacde 35 mètres de diamètre; nulle pait, même dansla galerie qui se maintient entre 2 et 5 mètres delargeur, on ne peut atterrir, les murailles latéralesplongent sous l'eau, perpendiculaires, et la profon-deur dépasse 5 mètres. Il y a p lusieurs coudes rec-tangulaires, mais la direction générale est toujoursdroit au Nord vers la Dordogne; Seizième, dix-sep-tième gour; nous commençons à être harassés etvoilà que la rivière n 'a plus que 70 centimètresd 'espacement. De précaires corniches nous permet--tent de nous suspendre par les mains à 1 1, 50 dehauteur, peu près, puis avec nos cannes à cro -click nous faisons passer le bateau en l'inclinantsur Je côté; presque de champ; la toile s'érafle surle rocher, les membrures gémissent, rien, ne casse -toutefois, et le Passage des Étroits (ain'si nomméen souvenir des gorges du Tarn) se franchit plusdifficilement même que ceux du Tiroir et des Pa-lettes. Deux nouveaux gours, la galerie n'a plusde stalactites; ensuite un beau lac rond sous undôme de 20 mètres de hauteur et de diamètre.C'est ]a fin, tout paraît clos autour de nous, larivière s'enfuit par-dessous sans doute Erreurdans un angle s'est percé un tunnel, large, maishaut seulement de-50 centimètres; au-dessus pointde fissure, le terrain paraît changer de nature!Cependant l'écho nous en\roie par le tunnel la loin-taine et douce barménie des gouttes qui chantenten tombant; la merveille se continuerait-elle donc?Nous tenons conseil il a plu hier, le temps était

HIj'

Page 37: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 40'—

orageux ce matin, et depuis 7 heures que noussommes enterns peut-être le ciel s'est-il ouvert,peut-êfre la rivière va-t-elle gonfler Pourrons-nousrepasser? Eh qu'importe? L'inconnu se prolonge,attirant, irrésistible; en avant, toujours, à la clé-couverte... llourrah! Le tunnel a 10 mètres de longet; débouche dans une nouvelle 'fissure dont le pla-fond se relève à 30 mètres; jusqu'où irons-nousdonc? Les trois gours 21 à 23 coupent le plus grandla-, le huitième, tong de 75 mètres, large de 20,celui de la Chapelle, ainsi nommé dune joliepetite ])aie en forme d'absidiole. Là aussi il y aune issue continuant cette galerie, qui nous en-trame toujours et toujours. Encore neuf gours trèsrapprochés; nous sommes ruisselants; l'eau com-mence à engourdir nos membres; la provision de

•bougies s'épuise; il est 2 heures, voilà quatre heu-res que nous naviguons et portons le bateau seulstous deux; 1,600 mètres nous séparent d'Armand-

• et de Foulquier et 2 kilomètres de l'orifice de Pa-- clirac; à 30 mètres devant nous murmure un 'trente-

troisième .gour, puis la galerie touïne à gauche. Oùva-t-elle? Nous ne le saurons pas cette fois, car le

- retour s'impose la fatigue nous prend et les obs-tacles seront peut-être phis pénibles à remonterqu'à descendre- En 'retraite, hélas! et la suite àl'année prochaine, car nos vacaRces sont finies.

En deux heures et demie nous rétrogradons àtravers- le niirifique sout6rrain sans troll diffi-cultés, connaissantmaintenant le chemin; niais ilfaut bien soignéusement revoir notre croquis topo-graphique et apprécier aussi exactement que p05-

Page 38: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

41 -

sihie les distances, pour dresser un plan sommairesans lequel nos futurs comptes rendus risqueraientde passer pour lin roman; au Grand Gour (le neu-vième) nos bras se refusent à tout service, et surle lit rugueux de la cascade stalagmitique noustraînons notre malheureuse embarcation que nousn'avons pins la force de soulever.: la coque se dé-chire; voilà une voie d'eau que nous bouchonstant bien que mal; il faut éponger constamment.Enfin les Palettes et le Tiroir se franchissentlaborieusement, et nous trouvons avec joie la finde nos peines et le renouvellement de notre admi-ration aux quatre petits lacs. En quelques minutesnous remontons les 350 mètres de la rivière plane,et à quatre heures et demie, après six heures etdemie d'absence, nous rejoignons nos deux compa-gnons, fort inquiets sur notre sort et stupéfaits denotre récit. Déjà Armand songeait à organiser' unsauvetage. A Sept heures nous étions tous quatrerendus à la surface de la terre avec armes et ba-gages, bien heureux, Gaupillat et moi, d'échangernos vêtements trempés contre des secs, aux chaudsrayons d'un magnifique soleil couchant, et de nous

• restaurer copieusement depuis treize heures nousn'avions rien bu ni mangé.

Où débouche la rivière souterraine de Padirac?Probablement près Gintrac, sur la rive gauche dela Dordogne, à 3 kilomètres en droite ligne et à80 ou 100 mètres en contre-bas du point extrêmeque nous avons atteint, ou encore à la fontainede Saint-Georges, 'près de Montvalent, égalementsur la riveS gauche de la Dordogne, à 11 kiiomè-

D

Page 39: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

tres vol d'oiseau du puits de Padirac. NotreProchaine expédition nous le dira peut-être nousréserve-t-elle de pires difficultés et de plus grandessurprises encore. Mais, instruits par l'expérience,nous serons mieux armés et plus nombreux pourcette lutte contre la ténébreuse nature.

De ce que nous avons reconnu jusqu'ici, la plusbelle partie est celle des quatre lacs, sans con-tredit; il serait facile d'aihènager le puits de Pa-dirac au moyen d'échelles et de galeries en fer àl'usage des touristes, et de les conduire jusqu'auLac des Grands Gours. C'est une curiosité natu-relle sans rivale elle est révélée, puisse-t-on main-tenant l'aménager. Ce serait au Conseil général duLot à prendre cette initiative, qui, en faisant venirun grand nombre de touristes, contribuerait à ré-pandre ainsi le bien-être dans le pays.

Nous l'avons dit au commencement de cette no-tice, le gouffre de Padirac était passé jusqu'ici à -peu près inaperçu. Delpon, dans sa Statistiquedu Lot, tome I, page 57, ne lui consacre quequelques lignes; nous les reproduisons

« Le plus remarquable de tous les gouffres (duLot) est celui que l'on appelle Puits de Padirac.Qu'on se représente, au milieu d'un terrain d'unepente douce, un espace circulaire de 54 mètres deprofondeur et de 35 mètres de large, laissant aper-cevoir dans le fond d'autres cavités qui offrent àl'imagination frappée les portes du Ténare, et l'onaura une idée de l'effroi que doit, inspirer l'aspectde cet abîme. Si on veut en approcher pour con-sidérer le fond, il faut se coucher à plat ventre

Page 40: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 43 -

pour n'y être pas précipité par le vertige que pro-duit la vue de sa profondeur. Des fentes de sesparois s'échappent des ronces, des lierres, des clé-matites qui serpentent en forme de guirlandes de18 à 12 mètres de circonférence. Ce gouffre estnuisible à la contrée où il est situé parce qu'il estl'asile inattaquable d'une nuée de corneilles qui delà vont dévaster les récoltes, surtout celle du maïs.Le peuple montre, sur ses bords, les traces despieds du cheval avec lequel le diable le franchitau moment oCt l'ange Gabriel allait l'y précipiter. »

Une légende Lin peu différente pour la forme aégalement cours dans le pays. Nous la donnontelle qu'elle nous est communiquée par. M. Louisde Nussac. Il s'agit d'une âme que le démon disputait à saint Martin

« Le malheureux mourait le blasplème aux lèvresquand, en dernier ressort, les prières des femmespli pleuraient autour de lui s'adressèrent à saintMartin, un des patrons du pays limousin. Le saintvoyageait précisément dans la contrée pour la ré-colte des âmes. Il accourait de toute la vitesse deson cheval. Tout à coup il entend une voix -Saint de malheur, lui criait-elle, tu n'iras pointme l'enlever; je te défie de sauter mon fossé, -J'accepte le pari, répondit saint . Martin en éperon-nant son coursier. -Au même moment une épou-vantable clameur se fait entendre; la terre s'ouvreet donne naissance à un profond abîme, large deplus de soixante coudées. Dans le roc, sur les bordsopposés s'étaient imprimés à tout jamais, d'un côtéles deux fers de l'arrière, de l'autre les deux sabots

Page 41: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

- 44 -

de l'avant du cheval de saint Martin. C'était sonProvocateur qui, le premier, avail. sondé le gouffrede Padirac. L'âme était sauvée! »

Mais laissons les légendes de côté, et pour finirajoutons quelques mots sur les résultats scienti-fiques de toutes ces explorations, que les mères defamille traitent de folie!

On croyait que les avens et autres puits naturrels étaient dus surtout à des effondrements, etqu'ils jalonnaient comme des regards le coursdes rivières souterraines. Opinion beaucoup tropabsolue. En réalité, les avens sont surtout des frac-tures préexistantes du sol que les eaux sauvagessuperficielles ont élargies par voie d'érosion; l'ef-fondrement est un facteur puissant assurément (à

• Padirac par exemple), mais pas unique. Ces gouf-fres ne communiquent avec les courants souter-rains qu'accidentellement, lorsque l'épaisseur duterrain à traverser n'est pas trop grande (Brama-biau, Mas-Baynal, Padirac) 'et lorsque certainesrelations de coïncidence existent entre 1a fracturesuperficielle de l'aven et la cassure interne oùs'écoule la rivière cachée.

Pour l'hydrologie des plateaux calcaires des Caus-ses, les conclusions sont les mêmes que celles dé-duites en 1888 de nos explorations de l3ramabiau,Dargilan et Baumes-Chaudes les avens percent leszônes supérieures des dolomies compactes à la hase

• desquelles le sommet des marnes (terrains argilo-• calcaires) recueille toutes les eaux suintant des avens

et des grottes à travers 100 à 250 mètres de ter-rain; parmi les marnes, ces eaux ne circulent que

Page 42: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

M

- 45 -

par suintement dans d'étroites fissures impénétra-bles. Puis la plus basse zôné est encore faite dedolomies ou de calcaires compacts, dans les frac-tures élargies desquels coulent de véritables rivièrespeu k peu formées et grossies par le simple égout-tement des voûtes (1)..

Contrairement à ce que l'on croyait, les avensn'aboutissent pas de vastes cavernes, ne sont paspercés au-dessus de vides immenses. En résumé,la masse interne des Causses est bien moins caver-neuse qu'on ne le supposait., et les eaux souter-raines, au lieu de s'accumuler Pli éten-dus, paraissent descendre d'abord par voie de simplesuintement, puis se réunir en itinces ruisselet;vite transformés en importants cours d'eau, dans delongues galeries hautes ou basses, étroites ou lar-ges, selon la nature des terrains traversés.

Des années d'études sont encore nécessaireè pourrésoudre les questions qui se rattachent à la for-mation des. sources dan s les terrains calcaires.-

n

(I) V. comptes rendus (les -séances de [Académie des sciences,:3 déc. 1888, 14 oct. et 2.5 nov. 1889.

Page 43: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun
Page 44: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

Brive, imprimerie de MARRrRi. ROCHE, avenue de la Gare.

Page 45: EXPLORATION DES ABIMES DES CAUSSESbibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/75886a... · mètres au-dessus du niveau des vallées, les pluies, les orages mêmes ne for.mènt aucun

-

(