22
Extrait de la publication

Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Extrait de la publication

Page 2: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 2

Page 3: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 3

La Dernière Sonate de l’hiver

Extrait de la publication

Page 4: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 4

Extrait de la publication

Page 5: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 5

Béatrice Wilmos

La Dernière Sonate de l’hiver

roman

Flammarion

Extrait de la publication

Page 6: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 6

© Flammarion, 2007.ISBN : 978-2081-2-0062-3

Extrait de la publication

Page 7: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 7

« Non, ce n’est pas moi, c’est une autre qui souffre.Je n’aurais pu souffrir ainsi. Tout ce qui s’est passé,

qu’un drap noir le recouvre, et qu’on emporteles lanternes... C’est la nuit. »

Anna Akhamatova

« Toutes ces tombes, ces collinesdans lesquelles j’étais et je suis

maintenant une aile blancheparfois les effleure. »

Gottfried Benn

Extrait de la publication

Page 8: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 8

Extrait de la publication

Page 9: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 9

PREMIÈRE PARTIE

Extrait de la publication

Page 10: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 10

Extrait de la publication

Page 11: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 11

Je reconnus tout de suite la photographie en noiret blanc.

Vladimir Solianovsky est assis au piano. Ses mains,dissimulées en partie dans des gants aux doigtscoupés, reposent à plat sur le couvercle. Ivo Vaganov,debout à ses côtés, tient son violon d’une main etde l’autre joue une note sur le clavier. Vladimir leregarde en riant.

J’avais commandé le disque plus de trois moisauparavant et le disquaire venait de le recevoir.

Au verso de la pochette, je parcourus la biographiesuccincte des deux musiciens. Je n’appris rien sureux que je ne savais déjà. Ces lignes me parurentirréelles. Elles semblaient si peu les concerner ! Desdates, des lieux, le nom d’un conservatoire, celuid’un professeur... Leur mort : 1942 en Estonie pourVladimir, 1943 à Berlin pour Ivo. « Pas à Berlin,pensai-je, mais à Lindenlitz dans le Brandebourg. »

Ce détail était sans doute négligeable pour le mélo-mane qui achetait ce disque : il lui importait avanttout de découvrir un enregistrement perdu depuisdes années et dont les critiques de l’époque disaientqu’il était l’un des plus beaux qui existaient dessonates de Beethoven.

11Extrait de la publication

Page 12: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 12

Les revues musicales s’étaient fait l’écho de ladécouverte de plusieurs bandes magnétiques dis-parues pendant le siège de Leningrad et retrouvéespar hasard dans les caves d’une maison. Il s’agissaitd’une série de concerts diffusés à la radio de Lenin-grad dans les années trente, parmi lesquels figuraitl’intégrale des sonates pour piano et violon enregis-trée par Solianovsky et Vaganov en février 1939. Cesenregistrements allaient être progressivement réédités.Celui-là était le premier.

J’avais écrit un premier livre sur Vladimir Solia-novsky après des semaines passées à chercher deséléments sur sa vie. Puis un second où il était aussiquestion d’Ivo Vaganov. Ces deux ouvrages, publiéschez un éditeur de musique, n’avaient eu qu’unsuccès d’estime auprès de quelques critiques musi-caux. Je n’y attachais aucune importance. Pas plusque je ne me souciais des commentaires de mes amisqui s’étonnaient de mon « engouement exagéré »,comme le désignaient certains, pour des musiciensqu’aucun ne connaissait. Je ne cherchai jamais à leurfaire comprendre ce que moi-même je peinais àdéfinir. Comment trouver les mots justes pourdécrire cette lente glissée, sans raison apparente, dansle destin de deux hommes dont tout m’étaitétranger ? Que dire de cette appropriation de leurbonheur et de leur malheur ? De cette identification,pourrais-je presque écrire, avec leur propre désird’être, de faire de la musique et d’aimer ?

Je peux trouver la bonne phrase, sans doute, et leton qui communiquera assez d’émotion pour

12Extrait de la publication

Page 13: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 13

raconter les circonstances de leur mort, la folie et lacruauté qu’elle recèle. Mais ces mots resteront endeçà de l’angoisse que j’ai ressentie moi-même toutau long de ma quête, comme s’il m’avait fallu à toutprix découvrir quelque chose dont leur vie à euxdépendait. Les mots ne sauront jamais évoquer lacuriosité insatiable, presque morbide parfois, quim’étreignait alors.

Ces sensations que j’éprouvais en désirant décou-vrir quelles avaient été la vie et la mort de Solia-novsky et de Vaganov m’habitent encore. Elles ontmodifié ma sensibilité, d’une manière infime. Peut-être n’est-ce qu’une façon d’entendre désormais lesaccords mêlés d’un piano et d’un violon dans unesonate, une tristesse irrépressible devant un paysagede ruines, le goût des promenades solitaires danscertains quartiers berlinois... Plus sûrement, elles onttracé des paysages intérieurs, elles ont levé des ombreset réveillé des voix dont je suis seul à deviner laprésence. Sais-je encore quelle est leur part de réa-lité ? Leur part de rêve ?

Plus tard, seul chez moi, j’écoutai d’abord la qua-trième sonate, celle dont Ivo Vaganov disait qu’ellefaisait monter dans sa mémoire les grands corbeauxnoirs et gris de la Baltique et qu’il refusa toujoursde jouer après le départ de son ami.

Je l’écoutai plusieurs fois, les yeux fermés. J’étaisauprès des deux musiciens enfin réunis par-delà lamort et le silence de ces cinquante années écoulées.Voilà qu’ils se tenaient devant moi qui les avaischerchés si longtemps. L’un d’abord, Vladimir

13

Page 14: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 14

Solianovsky, l’interprète magnifique de Scriabine,fuyant Leningrad assiégé. L’autre ensuite, IvoVaganov, jouant de son violon dans Berlin sous lesbombes. Et c’était comme si je les avais réunismoi-même.

Page 15: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 15

1

Au début – si je dois trouver un début –, il y eutl’appel téléphonique d’un ami musicien. Pouvais-jel’aider à écrire de courts textes biographiques sur desgrands pianistes du XXe siècle ? Différentes maisonsde disques s’étaient regroupées pour publier uneanthologie de soixante-dix interprètes. Cet ami nepouvait assumer seul la rédaction de ces notices. Ilm’en confia la moitié. Je devais écrire pour chacundes pianistes une quinzaine de lignes. Il m’envoyaune liste. Cinq noms m’étaient inconnus, parmilesquels celui de Vladimir Solianovsky. En troissemaines, j’avais écrit la biographie de la plupart desartistes. Il me restait plus d’un mois pour trouverdes éléments sur les pianistes dont je n’avais jamaisentendu parler et terminer la rédaction de l’ensemble.

J’ai relu récemment le carnet sur lequel j’avais notéles noms suivants : Vladimir Solianovsky, WilhelmBackhaus, William Kapell, Lyubov Bruk et Mark Tai-manov (ce dernier étant devenu plus tard un célèbrejoueur d’échecs, je trouvai sans peine des infor-mations sur lui).

Contrairement aux autres pianistes qui ne meretinrent que le temps d’écrire ces quinze lignes sureux, Vladimir Solianovsky me laissa d’emblée uneimpression mêlée de curiosité et d’admiration. Il

15Extrait de la publication

Page 16: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 16

n’apparaissait pourtant que rarement dans lesouvrages que je lus, à peine cinq ou six fois. Mais àchaque fois, on parlait de lui en des termes qui m’in-triguaient. Dans un livre sur Prokofiev, par exemple,il était décrit comme un musicien qui n’aimait queles excès, « toujours tendu à l’extrême dans une sortede dépassement de soi destructeur ». Une biographiede Chostakovitch le citait parmi les amis du compo-siteur en mentionnant qu’il était l’un des raresmusiciens qui avaient refusé de quitter Leningradpendant le siège, « cette attitude correspondait bienà son caractère étrange et fantasque » jugeait l’auteur.Un dictionnaire des interprètes – un ouvrage assezancien et rempli de noms tombés dans l’oubli – rap-pelait les grandes dates de sa vie, avec ce commen-taire : « Vladimir Solianovsky a connu une vie agitéeet sa mort tragique, survenue en mai 1942 en Estonie,était sans doute le prix à payer pour un talent aussiexcessif que le fut souvent son comportement. »

Ce n’était que des traits de plume, des signesinfimes, à peine des bribes de vie. Mais ils suffirentà me retenir plus qu’il ne l’aurait fallu en compagniede Vladimir Solianovsky. Je tardais à rendre ma der-nière notice et je multipliais les questions en margede mon carnet : quel homme était-il exactement ?Pourquoi sa vie a-t-elle été agitée et tragique ? Quelsétaient ces excès dont il dut payer le prix fort ? Quefaisait-il en Estonie en mai 1942 ? Comment est-ilmort ?

L’ami avec qui je travaillais s’inquiétait de monretard et, quand je lui en dis la raison, il se mitpresque en colère. Il ne me demandait pas d’écrire la

16

Page 17: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 17

biographie de Vladimir Solianovsky mais de donnerles dates essentielles de sa vie, d’évoquer son talent etsurtout la qualité de ses interprétations de Scriabine.Un peu vexé, je lui renvoyai les quinze lignesréclamées.

Je les relis aujourd’hui. Les dates et les noms sontjustes. D’un certain point de vue – celui de la maisonde disques –, il ne manque rien... si ce n’est la véritéde Vladimir Solianovsky lui-même.

« Vladimir Solianovsky est né en 1901, dans unefamille bourgeoise et cultivée de Saint-Pétersbourg(son père est professeur de droit à l’Institut Polytech-nique et sa mère, peintre, a publié trois albumsd’aquarelles dont le thème, unique, est la Neva et sesponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée deux ans auparavant),dans la classe de piano de Leonid Nikolaev et prenddes cours de composition avec Maximilian Steinberg,élève et gendre de Rimsky-Korsakov. Il donne sonpremier récital alors qu’il a à peine dix-huit ans et nejoue que des pièces de Scriabine : il apparaît déjàcomme l’un des meilleurs interprètes de cettemusique réputée insaisissable. Deux ans plus tard, ilobtient le diplôme du Conservatoire, avec les félici-tations du jury. Il a comme condisciple MariaYudina. En 1926, il part pour la France et s’installeà Paris où il fait la connaissance de Prokofiev. Il rentreen Russie en 1928. Lorsque Prokofiev, en 1933,revient à son tour en Russie, les deux hommes main-tiennent d’étroites relations d’amitié.

17

Page 18: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 18

Alors que Leningrad est assiégé, en septembre1941, Vladimir Solianovsky choisit de rester. Il meurtà Lugava, un village d’Estonie au bord du fleuveNarva, en mai 1942. »

Voilà tout ce que je savais au début de cette his-toire. J’oubliai pour un temps le pianiste fantasqueet sa vie agitée. Ce n’était qu’un faux départ. Le vraidépart eut lieu un an plus tard, dans une librairie àParis.

Extrait de la publication

Page 19: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 19

2

Le libraire chez qui j’entrai ce jour-là gardait enpile quelques vieux 33 tours. Machinalement, je lesregardai et tombai sur les Douze Études pour pianode Scriabine par Vladimir Solianovsky. L’expressionde son visage, sur la couverture du disque, me frappatout de suite : les traits fins, un peu creusés, les che-veux épais et noirs, lissés vers l’arrière. Rien d’extra-ordinaire s’il n’y avait eu le regard, rieur et, en mêmetemps, d’une extrême acuité. Il aurait été presqueinquiétant si les lèvres, étirées en un léger sourire,n’en avaient adouci l’ardeur fiévreuse. Je me souvinsdes adjectifs qui le définissaient : étrange, fantasque,excessif... « Oui, c’est bien le visage de quelqu’un quiest tout cela ! » pensai-je et je retrouvai intacte l’émo-tion mêlée qui m’avait touché quelques mois aupa-ravant. Je remarquai alors le lieu et la date del’enregistrement de ce disque : 14 décembre 1941,théâtre Pouchkine, Leningrad. C’est-à-dire lors d’unconcert donné pendant le siège de la ville par lestroupes allemandes.

Le libraire qui me voyait accroupi devant la pilede 33 tours me demanda s’il pouvait m’aider. Je luimontrai le disque :

— Vous croyez vraiment que cet enregistrementa été fait pendant le siège de Leningrad ?

19

Page 20: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 20

Il me prit la pochette des mains :— Archiv Russkaïa, Moscou, 1953, lut-il à voix

haute. C’est une réédition mais le concert a bien étéenregistré en 1941 à Leningrad.

Il réfléchit un instant puis continua :— Décembre 1941... La ville est assiégée depuis

septembre. Presque trois mois. Température : trentedegrés au-dessous de zéro. Déjà plusieurs milliers demorts à cause du froid et de la faim. Il fallait avoirdu courage pour jouer du piano à cette époque !

Il me rendit le disque. Au dos de la pochette, jelus cet avertissement : « La performance du soliste aparu compenser suffisamment quelques défauts tech-niques inhérents à l’ancienneté de cet enregistrementet aux conditions précaires de prise de son. » Puisun texte : « Né en 1901 à Saint-Pétersbourg, Vla-dimir Solianovsky a été l’élève de Leonid Nikolaevau Conservatoire. Interprète inégalé de Scriabine, ila donné des concerts en Russie et en France. Il estmort à Lugava (Estonie) en 1942. »

Une fois arrivé chez moi, j’écoutai Vladimir Solia-novsky jouer les Douze Études de Scriabine et, alorsque je suis si peu musicien, j’en fus bouleversé.

La même interrogation me revint : comment pou-vait-on faire de la musique dans une ville en guerre ?Pire même : dans une ville, sur laquelle l’étau dufroid, de la faim, de la mort ne cessait plus de seresserrer.

Je crus trouver une première réponse dans lamusique de Scriabine. Dans cette énergie dévorantecomme les tourbillons d’un incendie, dans ces éclats

20Extrait de la publication

Page 21: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 335

No d’édition : L01ELJN000103N001Dépôt légal : janvier 2007

Extrait de la publication

Page 22: Extrait de la publication… · 2013-11-07 · ponts). Vladimir commence le piano à huit ans. En 1916, il entre au Conservatoire de Petrograd (Saint-Pétersbourg a été débaptisée

Flammarion - La dernière sonate de l’hiver - - 135 x 210 - 22/10/2009 - 15 : 44 - page 336

Extrait de la publication