Extrait de la publication

Léon Blum

A l'échelle

humaine

DE RENÉ RÉMOND

PRÉFACE

nrf

Gallimard

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays, y compris VU. R. S. S.

@ Éditions Gallimard, 1945.

@ Éditions Gallimard, 1971, pour la préface de René Rémond.

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PRÉFACE

A LA NOUVELLE ÉDITION

« Vous qui prenez ce livre en main, sachez etretenez qu'il a été terminé au mois de décembre 1941. »Ainsi débutait en 1945 la présentation par Bracke-Desrousseaux de la première édition de A l'échellehumaine. Ainsi doit encore préluder toute présenta-tion de l'ouvrage écrit par Léon Blum du fond d'unedouble captivité celle arbitrairement in fligée àl'homme politique par le gouvernement de Vichy,celle aussi imposée au pays tout entier, à la suitede la défaite, par l'occupation ennemie. L'ouvragene se réduit certes pas aux circonstances qui entou-rèrent sa naissance et qui firent de cette année 1941l'une des plus noires que la France ait connues,mais leur évocation est indispensable à son intelli-gence comme à une juste appréciation des méritesde son auteur.

Le livre garde le re flet et la trace de la situationau cours de ce second semestre de l'année 1941,extérieure peut-être plus encore qu'intérieure siLéon Blum fait mention du régime, des nouveaux

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gouvernants de façon ordinairement imperson-nelle (le nom du maréchal Pétain est curieusement

absent) et de l'inspiration de la Révolution natio-nale, la plupart des allusions- font référence à desévénements qui affectent la conduite de la guerre,le déroulement des opérations militaires, la stratégieet la diplomatie: charte de l'Atlantique, torpillagedu Bismarck, guerre germano-russe. Cette relationà'une conjoncture historique dé finie est une compo-sante essentielle de V œuvre.

Elle la détermine en effet de façon beaucoup pluscontraignante et plus directe que par le truchementde quelques allusions que l'historien seul se complaîtà déchiffrer. C'est la situation de la France en 1941qui a commandé le mouvement même dont le livre,est sorti c'est, au sens fort Je l'expression, un écritde circonstance, dicté à son auteur par le besoin,moral autant qu'intellectuel, de comprendre et dejuger en connaissance de cause. Il ressortit à lalittérature des examens de conscience collectifs sur-gis des désastres nationaux c'est alors un réflexenaturel que de s'interroger sur leurs causes et derechercher les responsabilités. Personne n'y échappe;quelques-uns seulement transforment le ré flexe enun exercice de lucidité et d'honnêteté. La dé f aite de1871 avait déjà suscité une floraison d'écrits dontl'essai de Renan sur La Réforme intellectuelle et

morale est le plus connu. Si l'effondrement de 1940n'a pas engendré une aussi abondante production,c'est que les contraintes conjuguées de l'occupation

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étrangère et de la censure intérieure y faisaientobstacle; c'est aussi que la défaite n'était pas pourtous irrévocable.

A la nécessité commune d'y voir clair s'ajoutealors pour l'homme politique le besoin de s'interrogersur ses convictions politiques, de les confronter àl'épreuve des faits, parfois la tentation de se prouverqu'il ne s'était pas trompé. A plus forte raison s'ila exercé des responsabilités de premier plan com-ment éviter de se demander si l'on n'est pas de quel-que façon responsable du malheur du paysAureste la question était posée à Léon Blum par legouvernement de Vichy et une fraction de l'opinionon perçoit à travers ces pages un écho des accusationsdu procès de Riom et de l'éloquente justificationprésentée par Léon Blum. Un point lui tient à cœurmontrer que son gouvernement, loin de négliger ladéfense nationale, a consenti pour le réarmementdu pays un effort sans précédent. Pourtant le soucide se défendre n'infléchit pas l'examen. On ne saitce qu'il y a lieu d'admirer le plus, de son exactitudeà s'interroger sans complaisance ou de sa fidélitéà ses idées et à ses amitiés. Écrit de circonstance,A l'échelle humaine n'appartient pas pour autantà la littérature de plaidoyers et d'apologies qui estle lot ordinaire du personnel politique quand il faitretour sur un récent passé.

Le propos de Léon Blum est plus élevé plutôtque de se justifier, il veut comprendre commentla France a-t-elle pu en venir làIl aspire aussi

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à en tirer des leçons pour l'avenir. Par le desseincomme par la culture qui le nourrit, le livre fait songerà un autre ouvrage inspiré par la même situation,écrit dans des circonstances assez semblables

L'Étrange Défaite de l'historien Marc Bloch.Chez les deux hommes, même aptitude à s'abstrairede leur condition personnelle, même égalité d'âme,même curiosité de l'esprit, même exigence morale.

Le premier temps de la démarche est donc deregarder fers le passé pour y déchiffrer les signesavant-coureurs du désastre. Quels avertissementsavaient donc échappé à l'attention des contempo-rains ?Léon Blum y applique son souci de rationa-lité et sa connaissance de l'histoire. Le lecteur d'au-

jourd'hui ne peut manquer d'être frappé par lepoids dont pèse encore sur la ré flexion d'un hommepolitique de la fin de la IIIe République le souvenirdu Second Empire et du combat mené par l'opposi-tion comme par la persistance du ressentimentcontre le régime qui joignit à la lourdeur de sonautorité la responsabilité d'une guerre malheureuse.En 1941, le dialogue n'est pas encore éteint quiopposait les fidèles de la République au pouvoirimpérial. Illustration de la présence du passé etdu rôle de la mémoire dans la vie politique de notrepays.

Pour Léon Blum il ne peut être question de tenirpour responsables de la défaite de 1940 la Répu-blique ni la démocratie, qui ne sont au reste qu'uneseule et même chose. Sur ce point capital il se sépare

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radicalement de tous ceux qui, au même momentet obéissant au même souci de comprendre et deprévenir, imputent au régime d'hier la responsa-bilité du désastre. Il va à l'encontre du courant très

général qui frappe alors d'un discrédit global laIIIe République. La République ainsi mise horsde cause, il ne se refuse pas à examiner les défautsdu système et les fautes des hommes. Si la démocratien'est pas coupable, il n'en dit pas autant du régimeparlementaire qui n'en épuisait pas la réalité, quimême n'est pas initialement conforme à son inspi-ration profonde. « Le parlementarisme, écrit LéonBlum, n'est pas la /orme unique, exclusive et néces-saire de la démocratie. » Distinction fondamentale,souvent méconnue, parce qu'oblitérée par l'identi fi-cation prolongée pendant soixante-dix ans entre lerégime républicain et les institutions représentativesoriginellement la démocratie inclinait plutôt versun pouvoir concentré dans un exécutif fort, tandisque les institutions parlementaires constituaientl'héritage de la monarchie censitaire et du gouverne-ment des notables. Léon Blum, en rétablissant cettevérité historique, réaffirme aussi une propositionessentielle du socialisme démocratique.

Le chef du gouvernement de Front populaire,bien qu'il ait été renversé devant la Haute Assem-blée, se garde néanmoins de rejeter la garantie quereprésente pour la liberté l'existence d'assembléesélues; de leur impuissance il n'a pas la légèreté deconclure que le parlementarisme soit de soi mauvais.

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