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La collection ROMANICHELS est dirigée par Josée Bonneville.

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De la même auteure

Suite pour un visage, poème, Montréal, Éditions du Carré Saint-Louis, 1970.Finitudes, poèmes, Montréal, Éditions d’Orphée, 1972.Yes, monsieur, récit, Montréal, Éditions La Presse, 1973.Un sens à ma vie, récit, Montréal, Éditions La Presse, 1975.J’elle, récit, Montréal, Éditions Stanké, 1979.Une histoire gitane, roman, Montréal, Québec/Amérique, 1982.L’homme de Hong Kong, nouvelles, Montréal, Québec/Amérique,1986.Les miroirs d’Éléonore, roman, Montréal, Éditions Lacombe (finalisteau Prix du Gouverneur général et au Grand Prix littéraire du Journalde Montréal), 1989.Chambre avec baignoire, roman, Montréal, Québec/Amérique (GrandPrix littéraire du Journal de Montréal et Prix de la Société des écri -vains canadiens), 1992.Pense à mon rendez-vous, nouvelles, Montréal, Québec/Amérique(finaliste au Prix du Gouverneur général), 1994.Traductrice de sentiments, roman, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Ro -ma nichels », (finaliste au Grand Prix des lectrices Elle Québec), 1995.Le cimetière des éléphants, roman, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Ro -ma nichels », 1998.Dialogues intimes, récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. « Étoiles va -riables », 2002.Âmes en peine au paradis perdu, roman, Montréal, XYZ éditeur, coll.«Ro ma nichels », 2009.

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Solstice d’hiver

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québecet Bibliothèque et Archives Canada

Rioux, Hélène, 1949-Mercredi soir au Bout du monde : roman(Romanichels)(Fragments du monde)ISBN 978-2-89261-491-6I. Titre. II. Collection.

PS8585.I46M42 2007 C843’.54 C2007-940678-5PS9585.I46M42 2007

Les Éditions XYZ bénéficient du soutien financier des institutions suivantes pourleurs activités d’édition :– Conseil des Arts du Canada ;– Gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développe -

ment de l’industrie de l’édition (PADIÉ) ;– Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) ;– Gouvernement du Québec par l’entremise du programme de crédit d’impôt pour

l’édition de livres.

Conception typographique et montage : Édiscript enr.Maquette de la couverture : Zirval DesignPhotographie de l’auteur : Martine DoyonIllustration de la couverture : Jacques Laurent Agasse, La girafe nubienne, 1827

Copyright © 2007, Hélène RiouxCopyright © 2007, Les Éditions XYZ inc.

ISBN 978-2-89261-491-6

Dépôt légal : 2e trimestre 2007Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives Canada

Diffusion/distribution au Canada : Diffusion/distribution en Europe :Distribution HMH Librairie du Québec/DNM1815, avenue De Lorimier 30, rue Gay-LussacMontréal (Québec) H2K 3W6 75005 Paris, FRANCETéléphone : 514 523-1523 Téléphone : 01.43.54.49.02Télécopieur : 514 523-9969 Télécopieur : 01.43.54.39.15www.distributionhmh.com www.librairieduquebec.fr

Imprimé au Canada

www.editionsxyz.com

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Hélène Rioux

Mercredi soir au Bout du monde

Solstice d’hiver

roman

éditeur

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L’auteure tient à remercier le Conseil des Arts du Canadapour son appui financier.

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Pour Naomi

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Mercredi soir au Bout du monde

Le bout du monde nous appelle.

Le Bout du monde est ouvert vingt-quatre heures survingt-quatre, tous les jours de l’année, même le jour de

Noël. On entend le nom, on le répète dans sa tête, on fermeun instant les yeux. S’il neige aujourd’hui, s’il pleut descordes, qu’importe ? Le bout du monde existe ailleurs avecd’autres climats. Défilent alors derrière les paupières plagede sable fin, palmiers bercés devant une mer émeraude, îleparesseuse au large, hameau dans la savane, parsemé dehuttes étiques. Des souvenirs de cartes postales surgissent,des tableaux de Gauguin, de Matisse chatoient dans lamémoire. Bruissements d’ailes, de flamboyants oiseauxprennent leur envol, planent au-dessus d’un lac, Victoria,disons. Un étroit sentier grimpe dans la montagne, bordéde ronces, de cactus, d’arbrisseaux secs ; une mule lourde -ment chargée de melons y avance à petits pas précaution -neux — est-ce la Crête ? Ou bien quelque village perdudans la sierra andalouse, loin de la mer, aux ruelles siétroites que jamais n’y pénètre aucun car de touristes ?Tirant sur la corde au bout de son piquet, une chèvre très

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maigre broute l’herbe jaune au pied d’un acacia. Lesimages se succèdent, certaines s’attardent plus que d’autres.Des éléphants peut-être, des singes gracieux suspendusaux lianes, des girafes ou des chameaux s’age nouillant.Leurs silhouettes, ou leurs ombres, avec noncha lance entrentet sortent du paysage. Le battement des tam-tams résonnedans la jungle proche, et bat le cœur à l’unisson, toutconfiné qu’il soit dans la poitrine. Une oasis se proposeensuite avec des jardins, des dattiers, des jets d’eau ines -pérés au milieu du désert. Oui, le bout du monde nousappelle. On pense à une Bagdad mythique, aux splendeursque naguère on a lues dans des livres de contes, les mélo -pées chantées d’une voix de gorge, les violons et les oudsqui l’accompagnent. Touffeur de la nuit. L’eau glou gloutedans la vasque au milieu du jardin, une jeune fille sert lethé fumant sur une table ronde au plateau ouvragé, la soied’un pantalon diaphane frôle une jambe. On voit descoupoles d’or rutiler : c’est Moscou en juillet, sous le soleil.On voit Séville somnolante que traverse le fleuve Guadal -quivir, on voit le port où, chargés d’or et d’argent, les vais -seaux reviennent de l’Amérique. On voit les temples queles empereurs aztèques ont fait bâtir quand Mexicos’appelait Tenochtitlán, on voit les escaliers où dégrin -golent les corps des immolés, les grandes bassines danslesquelles palpitent encore les cœurs arrachés. On voit desfresques sur des murs de pierre. On se remémore un pas -sage de L’invitation au voyage, on devient cet en fant, cettesœur aimée, on songe à la douceur d’aller là-bas… On en -tend des enfants se chamailler dans une langue in vrai sem -blable, on voit approcher en file indienne, hanches on -dulantes, seins nus, cheveux flottants, des vahinés or néesde fleurs ; des parfums lourds remontent à nos narines, onse rappelle le goût un peu écœurant de la noix de coco, dupunch au rhum ambré. C’est l’été, toujours l’été, le bel été.

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Une chaise longue abandonnée, un vieux ballon aux cou -leurs passées roule puis s’arrête sur la ligne des vagues. Lebout du monde.

Ou bien c’est le Nord, aveuglantes étendues de blan -cheur et d’immobilité, traces que l’ourse et ses oursonspolaires ont laissées dans la neige, c’est le sommet d’unemontagne, si haut qu’on croit pouvoir atteindre les étoilesrien qu’en tendant le bras, c’est une côte escarpée sauva -gement battue par l’océan. Plus loin, une ville émerge d’unmarécage, Saint-Pétersbourg apparaît dans la brume,fenêtre qui s’ouvre sur l’Occident. La lune luit, rousse dansla nuit blanche ; place de l’Amirauté, le cavalier d’airain surson cheval cabré pointe le doigt vers la Neva. La nuittombe sur la forêt ; une rivière coule et cascade entre sesberges gelées, elle emporte avec elle la rumeur du mondeet la neige qui fond dès qu’elle touche son dos. Le silences’installe, impressionnant silence. Puis, l’aube. Un oiseau,noir et seul, corbeau, corneille, lance son cri, on l’aperçoitperché sur la branche d’un pin. Noir et seul, il passe sou -dain devant ce qui reste de la lune dans le ciel pâle. Galopdes chevaux fous, hurlement du vent fou. Qui se rue ainsi,qui se déchaîne, quel est ce cri qui glace la nuit ? Le ventqui hurle à Hurlevent ? Est-ce Heathcliff le sauvage quirevient se venger ? Le spectre de Hamlet qui vocifère àElse neur ? Craquement des branches sous la violence del’assaut. Un chêne tombe, foudroyé, dans la lande.

Le bout du monde avec ses mystères.

Marjolaine passe un coup de chiffon sur le comptoiren formica. Devant elle, chacune sur son tabouret, troisfemmes entre deux âges — mais plus près du troisième.

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Doris allume une cigarette, Denise, la joue dans unepaume, voudrait un deuxième café, Laure consulte samontre. Onze heures vingt-cinq. «La soirée est encorejeune», dit Marjolaine comme pour la rassurer. Dorishausse les épaules. «C’est vrai, on a toute la nuit »,renchérit Denise. «Parle pour toi, dit Doris. J’ai rendez-vous à l’hôpital à dix heures demain matin. » « Tontraitement ? » chuchote Marjolaine. Doris hausse lesépaules.

Elles sont là, endimanchées, au Bout du monde. Unrang de fausses perles au cou de Laure. Denise a vu lacoiffeuse en fin d’après-midi. Ses cheveux acajou, raides delaque, exhalent un parfum violemment sucré. Laure lacomplimente : cette raie sur le côté la rajeunit de dix ans.Discrètement, Doris sort un petit miroir de son sac à mainen faux cuir. Elle a toujours peur que sa perruque soit detravers, elle ne s’habitue pas. Mais non, ça va, rien n’abougé. En même temps, cette chevelure figée qui justementne bouge pas la déprime. Le rouge cerise déborde un peude la ligne de ses lèvres. Elle prend un kleenex, répare legâchis, le remet dans son sac avec le miroir. Elle soupire.« Marjolaine, s’il te plaît, donne-moi un coke diète »,demande-t-elle. Ali, le cuisinier, émerge de son antre où ila fini de récurer — il n’y a pas de plongeur au Bout dumonde, et pas l’ombre d’un lave-vaisselle dans la cuisineexiguë. « Si on en demande, il ne reste plus de pâté chinois,dit-il avec son accent. Ni de pouding au tapioca. »

Murs beiges, une dizaine de tables rectangulaireségratignées, tachées de café et de brûlures de cigarette,éclairage au néon. Au bout du comptoir, un sapin artificielminiature — une douzaine de boules rouges, quelquesglaçons, une étoile dorée posée de travers au sommet. Latélévision bourdonne faiblement sur sa tablette installéedans un angle. La radio aussi est allumée : c’est l’heure de

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l’émission Villes romantiques. Pour l’instant, un chan teur,des trémolos dans la voix, tente de nous convaincre queSaint-Pétersbourg est sa ville. Un homme, la jeune tren -taine, col roulé noir, barbe de trois jours, sirote le même thédepuis une bonne heure, un journal devant lui, ouvert à lapage des petites annonces. C’est la première fois qu’ilvient, on se demande d’où il sort, ce qu’il fait là. À présent,son thé doit être froid. La neige tourbillonne derrière lavitre.

La porte s’ouvre soudain et Raoul entre en même tempsque la bourrasque. Trois femmes s’illuminent.

Il s’ébroue, puis il suspend son paletot, son foulardcarreauté à un crochet au mur. Ses lunettes sont embuées,il les essuie avec une serviette de papier avant de consulterle menu écrit au feutre noir sur le tableau blanc. Pour cesoir, ce sera le spécial des fêtes, l’assiette de dinde avec sesatocas, sa farce, ses petits pois et ses patates pilées, lapointe de tarte au sucre chaude flanquée d’une boule — oudeux, si Ali se sent d’humeur généreuse — de crème glacéeà la vanille, la soupe aux légumes pour commencer, pourfinir, deux cafés. «T’arrives tard», dit Laure. Denise allumeune cigarette, Doris finit son coke diète. Marjolaine ap portele napperon couvert de publicité imprimée, le verre d’eau,la fourchette, les deux cuillers, le couteau. « Denise,chuchote-t-elle à l’oreille de la fumeuse. On ne le connaîtpas, ce type. » Elle coule un regard vers le buveur de thé.« Si ça se trouve, c’est un inspecteur du gouvernement. Onva avoir une amende à payer. » Denise va finir sa cigarettesur le trottoir. Elle tire deux ou trois bouffées, rentre en gre -lottant. Après un instant, Laure dit qu’elle n’a pas encoresoupé, elle a envie d’une petite poutine gratinée.

La porte s’ouvre de nouveau. Entrent Boris, un Russebaraqué comme une armoire à glace, Diderot Toussaint,

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Haïtien freluquet coiffé d’une tuque rayée rouge, vert etnoir à pompon. Pour un mercredi, la soirée a été bonne,deux voyages à l’aéroport pour Diderot, pas un, jubile-t-il,deux. C’est rare dans une même soirée, il peut se permettrel’entrecôte. «Bien saignante, sinon, je la retourne», précise-t-il à Marjolaine. Elle hoche la tête. «C’est Ali, le chef, dit-elle. C’est à lui qu’il faut dire ça. » Boris commande unebière. Il ne restera pas longtemps, il doit aller chercherdeux filles qui dansent dans un bar à la frontière. Par lestemps qui courent, un voyage de cinquante piastres, ça nese refuse pas. C’est son frère Fédor, son partenaire dansleur petite compagnie, qui a le contrat, mais il doit prendrel’avion demain à l’aube et ce soir Boris le remplace. Il man -gera en revenant. Doris prend un air consterné. Les joueursde hockey s’agitent sur l’écran de la télé. Hervé Vilardéplore que Capri, ce soit déjà fini.

Au Bout du monde, les chauffeurs de taxi viennent serestaurer la nuit — le spécial des Fêtes est offert à cœurd’année, c’est même la spécialité. Ali s’est habitué. Il tra -vaille ici depuis six mois — un record : au Bout du monde,les cuisiniers d’habitude ne font pas de vieux os, allezsavoir pourquoi. Ils sont peut-être trop mal payés. Sa farceest un succès. Il y ajoute des raisins secs, des noix, desdattes, des pruneaux parfois, quelques épices que per -sonne ne connaît. Un petit goût du Maghreb au cœur deMontréal, et les mangeurs ont l’impression de voyager.

Quand les hommes ont fini de manger, les femmessortent les cartes et tout le monde s’installe pour jouer. Lecinq cents est leur jeu préféré. D’habitude, Boris et Dorisjouent ensemble parce que leurs prénoms se ressemblent— c’est une tradition, et la chose n’a jamais été remise enquestion. Entre eux, il y a peut-être autre chose, une idylle,qui sait ? Les autres alternent. Le couple qui ne joue pas

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boit du café en attendant de remplacer les perdants. La nuitse poursuit ainsi jusqu’au petit matin, puis ils mangent lesœufs, le bacon et les rôties qu’Ali prépare avant de s’enaller. Oui, la nuit de mercredi est toujours une fête.

Marjolaine pose une nouvelle cafetière sur le réchaud.Denise prend place en face de Diderot, Raoul mêle lescartes. «Amène-toi, Laure. On va commencer. » Boris selève, il doit y aller, les filles finissent de travailler à deuxheures, ce doit être assez dur de passer la soirée à sedéshabiller, il ne veut pas en plus les faire poireauter. Aveccette tempête, la visibilité est nulle, il faut rouler mollo. Laporte s’ouvre et se referme sur la bourrasque. Doris resteau comptoir. «Tu vas pas passer la nuit à bouder ? ditDenise.

— Elle a perdu son partenaire, l’excuse Diderot.— Si tu veux, on jouera à tour de rôle avec Raoul »,

propose Laure.À la radio, Véronique Sanson répète mélancoliquement

que dans le port de Vancouver, elle ne voit jamais le matin.Marjolaine pose un coke diète devant Doris. «Avec lescom pliments de la maison», dit-elle en esquissant unsimu lacre de révérence. Elle comprend le problème, vou -drait la consoler, mais elle n’y parvient pas. On voit lesépaules de Doris tressauter. Elle agrippe son sac et se ruevers les toilettes. «Demain, elle a son traitement de chimio,explique Marjolaine aux autres. C’est pas la grandeforme. » «Huit trèfles », annonce Denise. Diderot fait lagrimace. Laure passe. Diderot aussi. Avec neuf sans atouts,Raoul s’empare de la mise. «Mademoiselle », dit l’hommeau col roulé noir en se tournant vers Marjolaine. Il lève unemain ; sa voix est étonnamment haut perchée. « S’il vousplaît, un autre thé. » Diderot prend une levée avec lablanche. L’as de trèfle de Denise devient maître. «Y en a

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qui jouent fessier », maugrée Raoul qui jette son jeu sur latable. Marjolaine sert du café. «Neuf sans, pis t’avais mêmepas la blanche», murmure Laure, dépitée. C’est elle quimarque les points.

La partie de hockey est finie. Aux actualités, un pédo -phile encadré de deux policiers fait son entrée au palais dejustice pendant que, à la radio, Charles Aznavour susurreune rengaine sur la tristesse de Venise. Diderot fredonne lerefrain — il fausse un peu. «Ça prend un beau salaud pours’attaquer aux enfants ! s’exclame Laure.

— Mais vous allez voir qu’il va s’en tirer », dit Deniseen battant les cartes.

Laure ajoute qu’il y a toujours un psychiatre pour jurerque les criminels ne sont pas responsables, puis elleannonce sept carreaux. «Quand on n’a rien à dire, on faitaussi bien de se taire », la rabroue Raoul. Les lèvres deLaure tremblent un peu, ses cils englués papillonnent, elletriture son collier. Diderot passe. Raoul dit huit sans.Denise, neuf, et elle rafle sans coup férir les dix levées.Debout près de la porte, Marjolaine regarde la neige tom -ber. «Ça n’a pas l’air de vouloir s’arrêter. » « Si ça continuecomme ça, on va faire un Chicago», soupire Laure. «Vousavez oublié mon thé », dit l’homme en noir.

Marjolaine lui apporte une tasse propre sur sa sou -coupe, une petite théière en acier inoxydable remplie d’eaubouillante, un sachet de thé Salada, un godet de lait deuxpour cent. Ali se dirige vers les toilettes. La porte est tou -jours verrouillée.

«Dites donc, ça fait un bout de temps qu’elle est enfer -mée là-dedans », s’inquiète Laure. Tous lèvent la tête.Marjolaine va frapper deux petits coups à la porte. «Ça va,Doris ? » Un gargouillis lui répond. «Elle doit pleurer, dit-elle, tournée vers les joueurs. Boris lui a même pas adresséla parole, vous avez remarqué ?

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— Ça fait toujours du bien de pleurer un bon coup, ditDenise. J’en sais quelque chose. Avec le mari que j’avais,j’ai chialé plus souvent qu’à mon tour, je vous en passe unpapier. J’ai dépensé une fortune en kleenex. »

Laure sourit, Raoul hausse les épaules. À la radio, unténor des années cinquante (Tino Rossi ? Luis Mariano ?)s’égosille : «Mexico ! Mexico ! » «Elle a peur d’avoir desmétastases aux poumons», continue Marjolaine. Lauredistribue les cartes. «Elle fume trop, dit-elle. Puis, avec sontraitement demain matin, elle aurait dû rester chez elle, sereposer.

— Moi, je trouve qu’elle fait bien de s’amuser pendantqu’il est encore temps, reprend Marjolaine. Ma sœur estmorte d’un cancer du côlon l’an dernier. Ça n’a rien de jojo,surtout à la fin.

— Mon mari, c’était la prostate, dit Denise. Cinq ans lemois prochain. Bon débarras.

— Huit cœurs », dit Diderot.Raoul renchérit avec huit sans atouts. Denise hésite,

puis passe. Laure annonce fièrement la petite misère. Raoulabat son poing sur la table. Du café est renversé. «La petitemisère, c’est pas du jeu. Tu pouvais pas me laisser fairemon huit sans pour une fois ? » Il regarde la mise : un joker,l’as et le roi de pique. «C’était dans la poche, tonne-t-il.J’avais l’autre bonhomme, la dame et le dix de pique. J’au -rais même fait une levée avec mon sept. Pis j’avais l’as decarreau. Ta petite misère, t’aurais jamais réussi à la faire.

— On n’a pas le droit de regarder la mise », s’insurgeLaure.

Les deux autres partagent son avis. Il faut respecter lesrèglements, et la mise, c’est sacré. «Pour qui tu te prends,Raoul Potvin ? » Laure est au bord des larmes. «Elle a faitça rien que pour me couper l’herbe sous le pied, ronchonneRaoul en regardant Diderot. C’est ça que je digère pas. »

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Marjolaine accourt avec son chiffon. Maintenant, les cartessont collées. Sous le ciel de Paris en version instrumentaletourne à la radio. «C’est pas du jeu, peut-être, mais c’estpas du jeu non plus de regarder la mise, dit Denise d’unton catégorique. Je propose qu’on recommence la partie.

— Pas question, proteste Diderot. La partie, on l’apresque gagnée. On va pas repartir de zéro.

— Puisque c’est comme ça, je propose qu’on change departenaire », dit Raoul.

À la télé, on voit les lèvres d’un journaliste remuer surfond de tempête. « J’ai besoin d’une bière », réclame Raouldont le visage a pris une teinte rouge brique. «Moi aussi »,dit Diderot. La porte des toilettes reste fermée.

Une collision frontale, un carambolage sur le boulevardTaschereau. Sept véhicules impliqués. «Boris doit pas pas -ser par là pour aller à la frontière ? demande Laure, sou -dain alarmée.

— Monte le volume», dit Diderot à Marjolaine.Tous ont les yeux braqués sur l’écran de la télé. Deux

morts, onze blessés. Et le bilan risque de s’alourdir. «C’estpas possible », marmonne Raoul. Mais Diderot croit queBoris a pu emprunter un autre chemin à la sortie du pontChamplain. « S’il a pris le pont Champlain, oui, dit Denise.Mais le pont qu’on prend, ça dépend de notre point dedépart. En partant d’ici, pour moi, il a pris Jacques-Cartier.Quoi qu’il en soit, il est parti depuis au moins une heure, ildoit être presque arrivé à la frontière. » Personne n’est sûrde rien.

Ali se lamente, il a envie de pisser, il ne peut plusattendre, il va devoir se soulager dans l’évier. Denise va àson tour frapper à la porte. «Doris ? Doris ? » Pas de ré -ponse. «Elle a peut-être eu un malaise. » Raoul s’ap proche,secoue la poignée. «Pas le choix, va falloir défoncer. »

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Donald Alarie, David et les autres.Donald Alarie, Thomas est de retour.Donald Alarie, Tu crois que ça va durer ?Émilie Andrewes, Les cages humaines.Émilie Andrewes, Eldon d’or.Émilie Andrewes, Les mouches pauvres d’Ésope.J. P. April, La danse de la fille sans jambes.J. P. April, Les ensauvagés.J. P. April, Histoires humanimales.J. P. April, Mon père a tué la Terre.Aude, Chrysalide.Aude, L’homme au complet.Noël Audet, Les bonheurs d’un héros incertain.Noël Audet, Le roi des planeurs.Marie Auger, L’excision.Marie Auger, J’ai froid aux yeux.Marie Auger, Tombeau.Marie Auger, Le ventre en tête.Robert Baillie, Boulevard Raspail.Katia Belkhodja, La peau des doigts.André Berthiaume, Les petits caractères.Lise Blouin, Dissonances.André Brochu, Les Épervières.André Brochu, Le maître rêveur.André Brochu, La vie aux trousses.Serge Bruneau, Bienvenue Welcome.Serge Bruneau, L’enterrement de Lénine.Serge Bruneau, Hot Blues.Serge Bruneau, Rosa-Lux et la baie des Anges.Roch Carrier, Les moines dans la tour.Daniel Castillo Durante, Ce feu si lent de l’exil.Daniel Castillo Durante, La passion des nomades.Daniel Castillo Durante, Un café dans le Sud.Normand Cazelais, Ring.Denys Chabot, La tête des eaux.Pierre Chatillon, Île était une fois.Chevigny, Pierre de, S comme Sophie.Anne Élaine Cliche, Mon frère Ésaü.Anne Élaine Cliche, Rien et autres souvenirs.Hugues Corriveau, La gardienne des tableaux.Hugues Corriveau, La maison rouge du bord de mer.Hugues Corriveau, Parc univers.Esther Croft, De belles paroles.Esther Croft, Le reste du temps.Claire Dé, Sourdes amours.Guy Demers, L’intime.Guy Demers, Sabines.Jean Désy, Le coureur de froid.Jean Désy, L’île de Tayara.Danielle Dubé, Le carnet de Léo.Danielle Dubé et Yvon Paré, Le bonheur est dans le

Fjord.Danielle Dubé et Yvon Paré, Un été en Provence.Louise Dupré, L’été funambule.Louise Dupré, La Voie lactée.Marc Forget, Versicolor.Sophie Frisson, Le vieux fantôme qui dansait sous la

lune.Pierre Gariépy, L’âge de Pierre.Pierre Gariépy, Blanca en sainte.Pierre Gariépy, Lomer Odyssée.

Jacques Garneau, Lettres de Russie.Guy Genest, Bordel-Station.Bertrand Gervais, Comme dans un film des frères Coen.Bertrand Gervais, Gazole.Bertrand Gervais, L’île des Pas perdus.Bertrand Gervais, Le maître du Château rouge.Bertrand Gervais, La mort de J. R. Berger.Bertrand Gervais, Tessons.Mario Girard, L’abîmetière.Sylvie Grégoire, Gare Belle-Étoile.Anne Guilbault, Joies.Hélène Guy, Amours au noir.Young-Moon Jung, Pour ne pas rater ma dernière

seconde.Andrée Laberge, Le fin fond de l’histoire.Andrée Laberge, La rivière du loup.Micheline La France, Le don d’Auguste.Andrée Laurier, Horizons navigables.Andrée Laurier, Le jardin d’attente.Andrée Laurier, Mer intérieure.Marie-Renée Lavoie, La petite et le vieux.Claude Marceau, Le viol de Marie-France O’Connor.Véronique Marcotte, Les revolvers sont des choses qui

arrivent.Patrice Martin, Le chapeau de Kafka.Felicia Mihali, Luc, le Chinois et moi.Felicia Mihali, Le pays du fromage.Pascal Millet, Animal.Pascal Millet, L’Iroquois.Marcel Moussette, L’hiver du Chinois.Clara Ness, Ainsi font-elles toutes.Clara Ness, Genèse de l’oubli.Paule Noyart, Vigie.Madeleine Ouellette-Michalska, L’apprentissage.Yvon Paré, Les plus belles années.Jean Pelchat, La survie de Vincent Van Gogh.Jean Pelchat, Un cheval métaphysique.Michèle Péloquin, Les yeux des autres.Jean Perron, Les fiancés du 29 février.Daniel Pigeon, Ceux qui partent.Daniel Pigeon, Chutes libres.Daniel Pigeon, Dépossession.Hélène Rioux, Âmes en peine au paradis perdu.Hélène Rioux, Le cimetière des éléphants.Jean-Paul Roger, Un sourd fracas qui fuit à petits pas.Martyne Rondeau, Game over.Martyne Rondeau, Ravaler.Martyne Rondeau, Ultimes battements d’eau.Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux.Jocelyne Saucier, Jeanne sur les routes.Jocelyne Saucier, La vie comme une image.Adrien Thério, Ceux du Chemin-Taché.Adrien Thério, Marie-Ève ! Marie-Ève !Adrien Thério, Mes beaux meurtres.Gérald Tougas, La clef de sol et autres récits.Pierre Tourangeau, La dot de la Mère Missel.Pierre Tourangeau, La moitié d’étoile.Pierre Tourangeau, Le retour d’Ariane.André Vanasse, Avenue De Lorimier.France Vézina, Léonie Imbeault.

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Réimprimé en avril deux mille onzesur les presses de l’imprimerie Gauvin,

Gatineau, Québec

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