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LE CAPITAINE DURBAN

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DU MÊME AUTEUR

Aux Éditions de la Nouvelle Revue Française

Romans

PIÈGE DU DÉMON.

PORTE CLOSE.

UN ROYAUME PRÈS DE LA MER.

LES LOUPS (Prix Goncourt 193%.

LE CAPITAINE DURBAN.

LES ILES DU MATIN (en préparation).

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nryGUY MAZELINE

LES LOUPS(Prix Goncourt 1932)

Héritier d'un nom et d'un patrimoine dont il n'apas su maintenir le prestige, Maximilien Jobourgapprend, au début du printemps de 1892, l'arrivée auHavre d'une jeune fille dont il ne soupçonne pas l'ori-gine. Il se garde, néanmoins, d'informer sa familleet, peu de temps après, obtient la certitude que cetteinconnue, Valérie Labrète, est sa fille naturelle. Eneffet, quelques années après son mariage avec Marie-Jeanne, compagne pusillanime et sans imagination,il est devenu l'amant d'une jeune femme, PaulineLabrète, qui est morte à Fort-de-France, peu de tempsaprès son mari que la vieille Virginie Jobourg avaitexpédié dans cette colonie.

Ayant vécu seul, modestement, au milieu des siens.Maximilien Jobourg se prend pour Valérie d'une affec-tion très vive. Il la tient claustrée, passe avec elle laplus grande partie de son temps et se livre bientôt ade ruineuses opérations de bourse. Son gendre, Geor-ges Peige, qui a épousé Blanche, la fille aînée desJobourg, aide d'ailleurs à la ruine, par haine et mé-pris de cette fortune héritée et non obtenue par l'ef-fort. Virginie Jobourg voulant reprendre son ascen-dant sur son fils tire profit de ce dépit et de ce ressen-timent.

Les enfants de Maximilien, à l'exception de l'aîné,

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Didier, ne soupçonnent point ces événements. Ils sontfort préoccupés eux-mêmes de leurs plaisirs et de laréalisation de leurs desseins secrets. Tels les loups,on ne peut que difficilement les « forcer ». Didierdoit épouser la fille d'un capitaine de la CompagnieFrançaise de Navigation, Antoine Durban, mais,cédant à son goût impérieux de la mer, il s'embarqueun jour, clandestinement, sur un navire, est décou-vert et ramené à la maison familiale par un pilote.

Entre temps, Benoit, le plus jeune des trois frèresJobourg, a essayé de conquérir Elisabeth Durban,pour laquelle il éprouve un cntraincment inavoué.Les circonstances ne le servent point. 11 renonce à seprésenter à Sai'nl-Cyr et s'enfuit en Angleterre avecune troupe de danseuses.

Seule, Geneviève, la fille cadette de MaximilienJobourg, parvient à épouser l'homme qu'elle avaitchoisi, Gilbert Saint-Rimon, un jeune administrateurde banque. Elle exige sa dot, menace de provoquerun scandale et accule ainsi son pire aux pires expé-dients.

Or, Virginie Jobourg apprend, au château de Pré-bor, les mésaventures de Maximilien par GeorgesPeige, qui a suivi celui-ci. Furieuse que son fils nese soit point confiéà elle, son unique souci n'est plusque de le ruiner et. en le désarmant, de l'obliger àrevenir à Prébor. Georges Peige l'aide dans cette ma-chination.

Accablé, sans ressources, ne souhaitant plus qued'assurer l'avenir de Valérie, Maximilien se réconcilie

avec sa mère, mais, dans l'inlervalle, la jeune filleapprend le secret de son origine et se tue.

1 raqué par l'opinion et les entreprises de nombreuxpersonnages dont les aventures se mrlenlcelles de lafamille Jobourg, poussé par le désespoir, Maximilien,la veille de Noël, se noie dans un bassin en dépit desefforts de Benoit et de Didier, qui s'étaient jetés à l'eaupour le sauver.

PAHIS. 6.G.I.É., 71, BUE DE RE^£3. ig34

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LE CAPITAINE

DURBAN

nrf

GUY MAZELINE

Deusidme ir««eM

GALLIMARD

Paris 43, rue de Beaune

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L'édition originale de cet ouvrage a été tirée à quatrecent quatre-vingt dix exemplaires et comprend cent

quarante-cinq exemplaires sur vélin pur fil Lafuma-Navarre, dont vingt exemplaires hors commerce

marqués de a à t, vingt-cinq exemplaires numérotésde1à 25 et cent exemplaires réservés aux Sélections

Strasbourgeoises, numérotés de 401 à 500; trois cent

quarante-cinq exemplaires sur Alfa Navarre, dont

vingt exemplaires hors commerce numérotés de 101

à 120, soixante quinze exemplaires numérotés de 26à 100, et deux cent quarante exemplaires réservés aux

Sélections Lardanchet, numérotés de 151 a 390.

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adap-tation réservés pour tous les pays y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1934.

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PREMIÈRE PARTIE

LE DÉPART

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Dans quelques heures, le Macouba, nouveau courrier de New-York et des Antilles, allait partir.

Le mousse filait dans les rues silencieuses. Puis, il s'arrêta, toutessoufflé, devant la crèmerie dont le rideau de fer n'avait été soulevé

qu'à mi-hauteur et, d'une main preste, rejeta en arrière ses cheveuxcouleur de sou neuf. Rien ne décèlait, au fond de cette espèce detrou noir, le mouvement de la vie, aucune ombre moins dense ne

s'y détachait; on avait l'impression que cette boutique dormaitencore, la paupièreà peine entr'ouverte. L'enfant se retourna, jetaun coup d'oeil vers le bassin du Roy qui se dégageait peu à peudes vapeurs mauves du matin, puis, levant la tête, considéra le voltranquille d'une mouette aux ailes déjà brodées de lumière. Eveil-lerait-il Mme Raubec? Cette première heure était si belle, dans

l'avant-port!iMais une voix retentit

Hé bien, Jean-Marie! Je te fais peur? Entre donc. mon

p'tit bonhomme.Après avoir tiré son tricot bleu sur ses hanches droites, Jean-

Marie pénétra dans la boutique, aperçut confusément derrière lecomptoir la pesante silhouette de Mme Raubec.

J'suis en avance, dit-il, mais. vous comprenez m'dame, un

si grand jour!Il entendit un grognement, allongea le cou, écarquilla les yeux

et distingua cette fois plus nettement les contours de la grossedame enserrés dans une chemise de toile blanche. Il fut surpris et

I

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pour combattre une sorte de gêne qui le gagnait, se mit à balancerà bout de bras sa bouteille de fer. Et, quelquefois, il la faisait passerd'une main dans l'autre, derrière son dos, en sifflotant.

Mais reste donc un peu tranquille, dit Mme Raubec.Et après un moment de silence

Tu as l'air bien content de partir!Sûr, acquiesça Jean-Marie en déposant la bouteille sur le

comptoir. Ah! vous savez, il m'en faudrait un bon litre, pourcette fois encore. Demain.

Il s'interrompit, baissa le nez, honteux à la pensée que la crémièreeût pu croire qu'il avait prononcé ce dernier mot avec tristesse.

Eh bienl Quoi? Demain?. répartit Mme Raubec.Demain, ça ne sera plus qu'un demi-litre, dit l'enfant.C'est sur le Macouba que tu pars? interrogea de nouveau la

crémière. Oui! Ah! on m'avait parlé de ça l'autre jour. Attends. laBrandouaine, je crois. Oui. maintenant, j'me souviens. Elle étaitvenue m'acheter une livre de beurre salé et m'avait annoncé

l'embarquement de son mari sur ce bateau. C'est bien ça. 7 juin, ledépart, elle m'avait dit. Elle était toute contente, la garce. Et toi. tues content?

Ya!

Et Jean-Marie recula pour laisser passer la grosse femme. Untablier bleu noué sur sa chemise, la tête auréolée de papillotes, elle

lui apparut, dans la lumière tremblotante du bec Auer qu'elle venaitd'allumer, comme le symbole méprisable de la vie de sécurité etde bonheur fade qu'il allait abandonner pour plusieurs semaines.

Ces traits mous, vernis par la sueur du sommeil, ces hancheslourdes qui se balançaient à chaque pas, cette voix traînante, luisemblèrent grotesques et il s'étonna de n'avoir jamais encoreobservé, chez cette personne, depuis tant de matins qu'il venaitlà, un si réjouissant ridicule.

Alors 1. le dernier litre avant le départ, dit-elle en soulevantle couvercle d'une grosse bassine de fer posée sur un trépied.

Jean-Marie s'approcha, se haussa jusqu'au rebord de la bassine

et contempla avec un air de convoitise, en inclinant la tête àgauche et à droite, comme eût fait un chat, la surface éblouissante.

Mme Raubec sourit, plongea dans le frais liquide une mesure àlong manche et, avec une sorte de solennité, fit retomber dans labouteille de fer que lui tendait l'enfant, un large ruban de lait.Puis, en reposant le couvercle, elle demanda

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LE DÉPART

Ce Macouba, qui est-ce qui le commande?Serrant la bouteille sur sa poitrine étroite où se lisaient les

initiales ajourées C. F. N., Jean-Marie, vivement, avec une intonationde fierté, répondit

Le capitaine Durban.Comme tu dis cela! s'écria Mme Raubec. Il est donc extra-

ordinaire, ce Durban?Ouil

Ah! Et pourquoi le trouves-tu extraordinaire?Ça j'peux pas vous dire!Tu es un drôle de p'tit bonhomme, répliqua Mme Raubec. Et

après un temps durant lequel elle se baissa pour prendre quelquesnoix dans un sac « Ta tante va rester seule. Aveugle comme elleest, ce n'est pas drôle.»

Jean-Marie qui avait eu le temps d'apercevoir, tandis qu'elles'inclinait sur le sac, les seins de la crémière, ne sut tout d'abord

que répondre, tant la vue de ces rondeurs l'avait étonné. Mais,reprenant bientôt une attitude décidée, il déclara d'un ton péremp-toire

Ma tante fera son devoir, comme je ferai le mienl.Mme Raubec fut toute secouée d'hilarité.

Pourquoi riez-vous? demanda Jean-Marie en frappant dupied les dalles bossuées de la boutique.

Sans plus d'explication, Mme Raubec se pencha sur lui, le saisitaux épaules et appliqua ses lèvres molles sur les joues de l'enfant.

Tiens. tu es un p'tit n'amour, dit-elle en lui mettant dans la

main une poignée de noix. Tu peux partir. je veillerai à ce queta tante n'ait besoin de rien.

Confus, un peu dégoûté, mais secrètement rassuré par cesdernières paroles, Jean-Marie enfouit les noix dans ses poches etdit

Vous n'oublierez pas, hein? de lui faire porter chaque matinson demi-litre?

Puis, il recula, comme s'il avait eu peur d'un nouveau contact de

cette grosse poitrine sur son épaule et de ces lèvres collantes sursa joue.

Entendu, dit avec tendresse la crémière, tu peux comptersur moi.

L'enfant lui tendit les sous qu'il avait jusqu'alors tenus serrésdans le creux de sa main, mais elle le repoussa d'un geste brusque.

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LE CAPITAINE DURBAN

Penses-tul. dit-elle. Je peux bien faire ça pour toi, puisquetu t'en vas.

Promptement, Jean-Marie glissa dans sa poche les sous qui semélangèrent avec les noix, mais comme la marchande de lait faisaitun pas vers lui, il se sauva en agitant la main par-dessus sonépaule.

Le départ du Macouba sur lequel les hasards de la désignationl'avaient fait embarquer, ne devant avoir lieu qu'à la prochainemarée, il supputait, un peu plus tard, tout en marchand le longdu quai Videcoq, le temps de loisir dont il pouvait encore disposer.Il comptait les heures sur ses doigts, faisait rouler les noix et lessous dans sa paume droite. Ces vieilles demeures grises, aux mursrecouverts d'ardoises et qui brillaient dans la lumière obliquecomme l'écaille de bêtes monstrueuses, il les examinait ce matin-là

avec une pointe de tristesse dont il ne pouvait préciser la causemais qui l'oppressait s'il imaginait la prochaine nuit en mer.C'était la première fois qu'il abandonnait la tante aveugle et lequartier Saint-François. Un grand regret lui venait aussi à la penséede ne plus présider chaque matin, non loin de la boutique dumarchand de lanternes-tempêtes, les réunions du « clan Bran-douaineYves, Luc, Anne et Georget pourraient-ils désormaisprendre à l'abordage les plus grosses barques du bassin du Roy,poursuivre dans le dédale des ruelles sombres Korrigan aux piedsfourchus et à la barbiche noire? Il fallait aviser à ce défaut de

commandement qui pourrait bien, un jour ou l'autre, provoquerle désordre dans la petite communauté.

Cinq coups prolongés, tels qu'on les eût cru frappés sur ungros diapason, tombèrent de l'horloge de l'arsenal. Au même instant,deux volets claquèrent sur les murs de la maison la plus proche, etJean-Marie vit surgir, comme d'une boîte à surprise, le visage roseet rond d'une jeune fille, avec deux nattes, nouées d'un ruban à leur

extrémité, qui pendaient de chaque côtéà la manière des queuesde cerf-volant. Elle aperçut le gamin qui se tenait tout droit surle bord du quai, balançant doucement sa bouteille de lait, et luiadressa un sourire. Il répondit d'un geste arrondi du bras. Maisla jeune fille, sans doute saisie par l'air vif, referma promptement lafenêtre. Jean-Marie regretta qu'elle eût si tôt disparu, mais n'enéprouva pas moins une sensation de plaisir.

Restait ce grave problème du clan. Fallait-il, à cinq heures dumatin, tenter une convocation, ou bien attendre le départ de

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LE DÉPART

Mme Brandouaine? Nul n'ignorait, dans la rue du Petit-Croissant

et même dans tout le quartier, qu'elle abandonnait le foyer dès ledébut de la matinée. En temps ordinaire, rien n'eût été plus simpleque d'aller lancer l'appel sous les fenêtres du n° 12. Mais, cette

fois, on était obligé de compter avec les circonstances. Est-ce queMme Brandouaine oserait aller à ses occupations étranges, alorsque son mari, le chef-mécanicien du Macouba, devait partir pourde longues semaines? Jean-Marie qui se souvenait confusément des

préparatifs, des larmes, des embrassades, des paroles chuchotéesqui, dans les temps lointains, avaient précédé les départs de sonpère pour l'armée navale, ne pouvait concevoir qu'une femme nerestât point chez elle jusqu'au dernier moment. a Mais les gossesn'ont pas besoin de passer toute la matinée à la maison 1»

Balançant toujours sa bouteille de lait, il passa, de nouveau, lepont Notre-Dame, eut un long regard du côté de l'avant-port oùl'eau apparaissait maintenant comme une grande teinte plate delavis et, remontant, vers le nord, le bassin du Roy, changea brus-

quement de direction, se faufila dans la rue du Petit-Croissant.Déjà, du côté du bassin de la Barre, elle laissait voir une trouée

non plus de cette couleur lilas comme dans la partie opposée, maisd'un rose garance mélangé d'or qui donnait à Jean-Marie l'envie decourir vers elle. Un garçon d'épicerie, tout ensommeillé, lescheveux en broussaille, le visage fripé, alignait péniblement devantsa boutique des sacs de pommes de terre. Une ménagère en caracode laine rouge traversait la rue, et l'on voyait les gros bas retombantsur ses chevilles épaisses. Le gamin, qui les observait avec mépris,était heureux de se sentir si net et si frais sous sa chemise de bonne

toile, d'éprouver sur ses joues baignées dès le réveil, le soufflevivifiant du vent matinal. Il avait vraiment l'impression d'être le

maître de ce vieux quartier où pesaient encore le sommeil et les

odeurs de la nuit. Il allongeait le pas pour éprouver la souplessede son corps et, parfois, tâtait sous le tricot les médailles deSaint Yves et de Saint Joseph, que sa tante, quelques joursaprès la mort du père, lui avait, par un cordon de soie blanche,attachées au cou.« Avec ça et le capitaine Durban, je ne

craindrai jamais rien », se disait-il. « Après tout, ce n'est pasune si grande affaire qu'un départ. Est-ce que le capitaine Durban

n'est pas toujours revenu, lui? Est-ce qu'il a jamais eu peur?Ilsourit à cette pensée.

Arrêté un instant devant la porte de la maison où demeuraient

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LE CAPITAINE DURBAN

ses amis, il douta encore s'il convenait d'aller leur lancer le signalPuis il se dit qu'il était bien sot d'hésiter ainsi, puisqueM. et Mme Brandouaine, ignorant ce signal, ne pouvaient riensoupçonner. Yves saurait bien trouver un moyen pour faireéchapper toute la bande.

Rassuré, il se glissa dans l'impasse, déposa sa bouteille de laitdans une encoignure, et s'avançant au milieu de la cour, leva lesyeux vers le grand carré de ciel que découpaient les toits sombreset se mit à siffler, doucement tout d'abord, puis avec une forcecroissante « U. Hû! U. HûûM>

Assis autour d'une table recouverte d'une toile cirée à carreaux

bleus et sur laquelle on apercevait de longues estafilades faites parle couteau à pain, Luc, Anne, Yves et Georget entendirent bienl'appel. D'un même mouvement, ils tournèrent la tête vers la fenêtreoù pendait un rideau à moitié sorti de sa tringle. Mais, tant lesterrorisait la voix de Mme Brandouaine, qu'ils n'osèrent même se

lever pour aller voir ce qui se passait dans la cour.Ce n'est pas la peine d'être navigateur pour être si empoté!1

disait en effet Mme Brandouaine. Voilà plus d'une demi-heure quetu es debout et tu n'as pas encore trouvé le moyen de me servir

mon café. Quelle andouille tu fais! Ah! là. là.

M. Brandouaine, dans la petite cuisine enfumée, semblait se battreavec son ombre. Il percevait nettement les paroles désobligeantes

que lui adressait son épouse, celle-ci ne négligeant pas, d'ailleurs,de crier ses injures quand elle doutait que son mari pût les entendre,mais se gardait bien d'y répondre. La bouche entr'ouverte, les yeuxmi-clos, la main gauche posée sur l'anse de la cafetière, il donnait,à l'aide d'une cuiller de petits coups sur la paroi cylindrique

lorsqu'il jugeait qu'il fallait aider un peu à l'écoulement du liquide,et paraissait à tel point absorbé par cette manière d'alchimie, quevraiment, l'on eût pu croire que les interjections de l'épouse impa-tiente ne parvenaient point jusqu'à lui. La lumière d'une petitelampe à pétrole posée sur une table d'un équilibre incertain,projetait sur les murs enduits de chaux une haute silhouette noire.Et comme les cheveux de M. Brandouaine et sa barbe en pointe sedétachaient nettement des contours de cette ombre, Anne, qui

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LE DÉPART

s'était décidée à venir voir « si le café marchait », put revenir,

tout émue, près de ses frères et leur direOh! son ombre dans la cuisine, on dirait Korrigan!

Yves qui songeait au moyen d'aller rejoindre promptementJean-Marie, blâma sa sœur d'une telle imprudence. Il était contraireà la loi de prononcer ce mot dans la maison. Terrorisés par cerappel à l'ordre du frère aîné, Luc, Anne et le petit Georget semirent à contempler fixement le bol vide posé devant eux. L'appel

de Jean-Marie, ils ne paraissaient plus guère s'en soucier, ne prêtantl'oreille qu'aux vociférations de leur mère.

Celle-ci, allongée au milieu du lit à baldaquin, ses grands yeux

noirs tournés vers le plafond, les bras ramenés sous la nuque,s'efforçait de surprendre les moindres bruits par lesquels M. Bran-douaine manifestait son activité. Ce petit frappement de la cuillercontre le récipient l'exaspérait. Elle ne pouvait concevoir que l'onmît près d'une heure à préparer le café, alors qu'elle-même, si elleétait obligée, en l'absence de son mari, d'accomplir ce travail, s'enlibérait au bout de dix minutes. L'arôme subtil se glissait, il est

vrai, sous la porte, et portait à son comble cette fureur mêlée degourmandise contrariée. « Quel imbécile! Quel impotent! Quelleandouille!» maugréait-elle en étirant ses membres épais sous lesdraps. « Enfin, je vais en être débarrassée pour un bon bout detemps.»

L'approche de ce départ la rassérénait un peu, provoquait en elleune joie mauvaise. Elle n'avait jamais pu souffrir, en effet, laprésence à ses côtés du chef mécanicien, méprisait la douceur decelui-ci, sa placidité, et surtout, la résignation avec laquelle ilsubissait les rebuffades et les tromperies. « Non! jamais je n'ai vuun pareil cocu!» se disait-elle parfois, comme si elle avait été toutà fait étrangère à cette infortune. Que M. Brandouaine, sans doute

mis au courant des fugues de sa femme par les commérages de

quartier, se fût gardé de toute récrimination, qu'il n'eût en aucunecirconstance, montré du dépit ou de la colère, c'était une chose

qu'elle ne pouvait admettre et qui froissait, encore qu'elle ne voulûtpoint se l'avouer, son amour-propre.

Outre que la lenteur apportée par son mari dans la préparationdu café la rendait comme folle, elle était furieuse d'avoir été

réveillée si tôt, ce matin-là. En temps ordinaire, elle ne se levait

pas avant huit heures, laissant le plus souvent à sa fille Anne, lesoin de servir le déjeuner des enfants. Puis, elle fourrageait dans

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ses placards et ses tiroirs, se couvrait de plumes, de dentelles etcourait à ses aventures, sans plus se préoccuper de ce que pouvaientfaire Yves, Anne, Luc et Georget de ces longues journées d'abandon.

Car, pour céder en paix à ses extravagances, elle prêtait, non sansraison, de reste, à sa fille les vertus qu'elle méprisait « Anne lapréviendrait si ses frères ne se rendaient point régulièrement à

l'école communale. Anne sait tout faire. Anne est sage et débrouil-larde comme une grande personne.>

Pourquoi fallait-il donc que, dans l'hébétude du réveil, Mme Bran-douaine eût accepté que la petite Anne ne s'occupât point du café?Comme elle regrettait, à cet instant, une pareille négligence! Etcomment avait-elle pu croire que son mari était capable de rem-

placer Anne? « NonNon! Laisse-la dormir encore un peu. Je vaisle faire, moi, ce café.Elle aurait dû se méfier. Il y avait sans doute

chez ce taciturne personnage, une intention diabolique. Oui, c'étaitbien cela!Le chef-mécanicien s'attardait volontairement dans la

cuisine.

Tout en examinant, dans un miroir à manche de bois qu'ellevenait de prendre sous le traversin, ses traits bouffis et marquésde couperose, Mme Brandouaine disait avec rage « Il le fait

exprès! L'abruti. C'est pour se moquer de moi!> Et elle poussaitde grands soupirs qui faisaient se soulever doucement, comme unebête endormie, sa chevelure rousse étalée sur l'oreiller.

Ce n'était point pourtant par malice ou désir de petite vengeanceque M. Brandouaine laissait couler si lentement le café. Il songeaitque celui du bord n'était jamais assez infusé, assez suave. Pouvait-ildonc négliger cet unique plaisir? Cette pensée n'était point égoïste,d'ailleurs, et il se réjouissait de servir à ses enfants quatre bols

odorants. Il entrevoyait que ce dernier café laisserait dans cespetites imaginations un durable souvenir; on en parlerait ici,lorsqu'il serait en mer. Est-ce que cela ne ferait point un peuregretter son absence? Certes, il ne croyait pas que sa femme pûtjamais évoquer une chose de si moindre importance; il n'en avait,au reste, aucun souci. Mais ce qui l'aidait à supporter la tristessedu départ, c'était le sentiment de procurer à ses enfants une petitejoie. Quelques cuillerées d'eau bouillante, encore, et l'on pourraitbientôt servir. « Ah! il avait oublié le pain!» Tout en coupantdans la miche lourde des tranches bien égales qu'il enduisait debeurre salé « Pourquoi salé?se disait-il. « C'est pour rogner sur

les dépenses de la maison et se payer de nouvelles toilettes qu'elle

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