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Extrait de la publication… · Je baise votre plume, et je signe MARIE PARADIS. car« Thérèse Pantevin » n'existeplus. ... (jefemmeprononcecelui de son amant), penser sans sentir

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LES JEUNES FILLES

GALLIMARD

nrf

LES JEUNES FILLES

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Les JeunesFilles

HENRY DE MONTHERLANT

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Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptationréservés pour tous les pays, y compris l'U. R. S. S.

© Éditions Gallimard, 1954.

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Les Jeunes Filles sont un roman en quatre tomesparus comme suit Les Jeunes Filles (1936), Pitiépour les Femmes (1936), Le Démon du Bien (1937),Les Lépreuses (1939). Ces volumes doivent être lusdans cet ordre sous peine de n'être pas intelli-gibles.

Proposées en 1936 par l'auteur à M. Emma-nuel Berl, rédacteur en chef de Marianne, pour êtrepubliées d'abord en feuilleton dans cet hebdoma-daire, Les Jeunes Filles furent refusées commen'étant « pas assez public ». Ce roman, depuis,a été tiré à plus de 360 ooo exemplaires en édi-tion courante (chez Grasset puis chez Gallimard),et à plus de 440 000 exemplaires dans des éditionspopulaires et de demi-luxe. Il a été traduit endouze langues.

Quand Les Jeunes Filles parurent, Romain Rol-land écrivit à M. Richard Heyd, directeur deséditions suisses Ides et Calendes « C'est plus qu'unroman. C'est à mon sens ce qui a été dit de pluscruel et de plus vrai sur les jeunes filles. Je n'airien lu de meilleur sur ce sujet depuis trente ans. »

Interrogé en 1952 par M. Pierre Sipriot, dansune série d'entretiens à la Radiodiffusion natio-

nale, Henry de Montherlant a dit des JeunesFilles

« J'ai écrit dans Les Jeunes Filles, sur les rapportsde l'homme et de la femme, des vérités essen-tielles, qui d'ailleurs devraient crever les yeux, siles hommes et les femmes ne vivaient pas, à l'égardles uns des autres, dans une véritable purée depois de préjugés et de mensonges. Les jeunes Fillesest un livre infiniment salubre, et ceux qui m'ontle plus souvent témoigné qu'il leur avait été salubresont des femmes.

« La seule erreur que je voie dans cet ouvrageest l'abus de la généralisation. J'y dis trop lesfemmes les hommes Il en naît quelque-fois un certain simplisme.

«J'y suis souvent dur pour les femmes. Mais,dans toute mon œuvre, ne suis-je pas aussi durpour les hommes? Et il n'y a nulle raison pourqu'un sexe en son entier doive être soustrait à laliberté d'esprit et de jugement critique qui s'exercecontre tout ce qui existe en ce monde, que dis-je,contre la divinité elle-même.

« Ce que j'attaque, ce n'est pas la femme, c'estl'idolâtrie de la femme, c'est la conception courd'amour de la femme, c'est la situation privi-légiée de la femme. Dans Les Jeunes Filles, au lieude cultiver les imperfections de la femme avecune complaisance béate, j'ai voulu la traiter d'égaleà égal, et n'est-ce pas là ce qu'elle revendique,si j'ai bien compris? Je ne doute pas que, s'il sefait un jour une révolution dans les mœurs, LesJeunes Filles n'apparaissent ce jour-là comme undes facteurs de cette révolution. »

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AVERTISSEMENT

L'auteur fait observer ici qu'il a peint en Costalsun personnage que, de propos délibéré, il a vouluinquiétant, voire par moments odieux. Et que lespropos et les actes de ce personnage ne sauraientêtre, sans injustice, prêtés à celui qui l'a conçu.

L'auteur a fait du personnage central de La Rosede Sable, le lieutenant Auligny, un homme douédes plus hautes qualités morales patriotisme, cha-rité, horreur de la violence, passion de la justice etsouffrance devant l'injustice (souffrance au pointd'en être malade), sensibilité et scrupules presqueexcessifs, sens de la solidarité humaine, souci, allantjusqu'à la manie, de se gêner pour les autres ets'essayer de ne pas leur faire de tort, etc.

Ce personnage, aussi central que celui de Costalsl'est ici, occupe la majeure partie d'une œuvre deprès de six cents pages, et maint détail lui donnecette apparence « autobiographique » que certainsveulent trouver à Costals.

On peut se demander si la critique et le public,lisant La Rose de Sable, prêteraient à l'auteurla même abondance de vertus qu'ils lui ont prêtéd'abondance de vices après lecture des Jeunes Filles.

1936.

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MADEMOISELLE THÉRÈSE PANTEVIN

à la Vallée Maurienne, par Avranches (Manche)

à

M. PIERRE COSTALS

avenue Henri-Martin, Paris.

26 septembre 1926.

N.-S. J.-C.

Je vous remercie, Monsieur et cher Bien-Aimé, de n'avoir jamais répondu à mes lettres.Elles n'étaient pas dignes de moi. Trois lettresen trois ans, et pas une réponse! Mais main-tenant l'heure est venue que je vous dise monsecret.

Dès ma première rencontre avec vos livres,je vous ai aimé. Quand je vis votre photo-graphie dans un journal, ma passion s'éveilla.Pendant trois mois, du inovembre 1923 au2 février 1924, je vous ai écrit tous les jours.Mais je n'envoyais pas les lettres. Je n'enenvoyai qu'une seule. Vous ne répondîtespas. Cependant, en contemplant votre pho-tographie, votre regard et toute votre physio-nomie me révélèrent mon heureux destin

vous ne m'aimiez pas, non, mais vous m'aviezfait une place dans vos pensées.

Par ma lettre du 15 août 1924 fête de

la Très Sainte Vierge je me rappelai àvotre souvenir. Et, peu de jours plus tard,certain reflet entrevu sur votre visage, dansla même photographie, témoigna que malettre vous avait atteint.

Une troisième fois, le 1avril dernier, jevous ai écrit. Mais si grande était ma craintede vous déplaire par trop de hardiesse, queles termes dans lesquels je vous écrivis ne vouspermirent sans doute pas d'être fixé sur messentiments. Je n'osais vous parler de monamour, et j'en mourais.

Je vous fis donc une grande lettre d'aveux,de six pages, commencée le dernier samedidu mois du Rosaire et terminée la veille de

l'Immaculée Conception. Mais, elle non plus,je ne l'envoyai pas.

Je pense à vous, je souffre, il faut tout vousdire je vous aime. Je ne vous veux nul mal.

Que j'ai souffert! Quand vous me connaî-trez, vous comprendrez. Je ne suis pas lafemme qui se suffit à elle-même. Loin devous, je n'ai rien été, ni rien pu. J'ai gémi,j'ai prié, j'ai médité, mais cette vie intérieurefut toute ma vie. Pourquoi aurais-je tiréquelque chose de moi, tant que ce ne pouvaitêtre dédié à l'homme pour qui je fus faite?Car Dieu a créé l'homme pour Sa gloire, etla femme pour la gloire de l'homme. Oh!combien vous pourriez pour moi! Faites-moivivre,mon ami, moi qui jusqu'à vous n'auraipas vécu. Je n'ai besoin que d'être aimée, etje me sens capable de tant d'amour.

Je vous aime et je sais qu'en vous le disant

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j'accomplis la volonté de Dieu. Mon ami,n'avez-vous jamais rêvé à ce que sera notreamour dans l'Eternité ?

Bientôt octobre. Dans les champs ce sontles dernières fleurs. J'ai voulu qu'elles nemeurent pas inutilement. En me signant jeles ai cueillies. J'en ai mis de votre part et dela mienne quatre brins sur la tombe de deuxchatons jumeaux morts depuis deux ans. Jevous en envoie trois brins, et j'en garde troisautres que je dépose au pied de ma statuettedu Sacré-Cœur.

Cette fois je vous demande de me répondre,afin que je puisse donner libre cours à matendresse et si votre cœur répond au mienm'habituer à mon bonheur.

Mon ami, le Royaume de Dieu à reconsti-tuer, voilà notre tâche. Si vous voulez de ceroyaume, et de celui de mon cœur, faites-le-moi comprendre.

Je baise votre plume, et je signeMARIE PARADIS.

car« Thérèse Pantevin » n'existe plus.(Ne mettez pas votre nom sur votre enve-

loppe.)

(Cette lettre est restée sans réponse.)

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L'été, j'étais presque toujours dehors, et lamaison avait cessé d'avoir pour moi de l'im-portance. Avec les premiers froids, on l'ins-talle, comme une arche pour voguer sur ledéluge de l'hiver, et c'est maintenant surtout,bien plus qu'au printemps lorsque ma mèremourut, que je réalise ce que c'est que vivreà Saint-Léonard (Loiret) avec un vieil onclesourd et stupide, quand on est fille, pauvre,orpheline sans frère ni sœur, et qu'on vasur ses trente ans.

Et pourtant, cette mélancolie est commedévorée par l'anniversaire qu'est la rentréed'octobre. Voici quatre ans, jour pour jour,que je lus pour la première fois un livre devous. Votre puissance sur les êtres Hier soir,j'ai pleuré de vraies larmes en relisantFragilité'. (Vous ai-je dit que je lui ai faitfaire une adorable reliure en maroquin vert ?

MADEMOISELLE ANDREE HACQUEBAUTSaint-Léonard (Loiret)

PIERRE COSTALS

Cher grand Costals,

à

Paris.

3 octobre 1926.

La seule chose belle dans l'océan de laideur

et de médiocrité où je vis. Cent cinquantefrancs. La moitié de mon argent de pochepour un mois.) Il y a des jours où je ne peuxpas ouvrir un journal sans y trouver votrenom, causer sans vous nommer (je prononcevotre nom plus souvent qu'une femme celuide son amant), penser sans sentir votre pen-sée emmêlée à la mienne vous êtes moins

un homme qu'un élément dans lequel ma viebaigne, comme on baigne dans de l'air oude l'eau. Personne ne vous « sent » comme jele fais. Non, personne, je ne veux pas! Jene suis pas jalouse des gens que vous aimez

même des « belles madames », mais deceux qui vous aiment. Que j'aie au moinscette place unique auprès de vous, d'avoiraimé votre œuvre plus que personne. Je lasais presque par cœur, si bien que très sou-vent des phrases de vous viennent dans mabouche ou sous ma plume, exprimant mapensée mieux que je ne l'aurais fait moi-même vous parlez, et c'est moi que j'en-tends. Cela tient sans doute à votre talent,qui m'a subjuguée dès le premier jour, maisaussi à cette sorte de parenté constatée entresoi et certains êtres de qui vous séparent enapparence des abîmes. Cette fraternité mys-térieuse, au long de ma vie si peu gaie, àcertaines heures si bouleversée, m'a exaltéeet soutenue. Que j'ai grandi à vous lire! Vousavez retourné des âmes comme on retourne

la terre, leur découvrant à elles-mêmes leursjoyaux. Depuis quatre ans, votre œuvre a été

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mon porte-parole, à moi qui n'ai pas detalent littéraire, comme votre bonheur étaitma revanche, à moi qui ne suis pas heureuse.Ayant la même avidité que vous de toutréaliser, et ne connaissant que les renonce-ments et les nostalgies, dans une vie abomi-nable, absurdement paradoxale, puisque j'aiacquis une culture qui reste sans emploi,ligotée que je suis par le manque d'argentet par la solitude, je vous avais en quelquesorte délégué toute cette ardeur, tout cetappétit de vivre. Bien loin de vous jalouser,comme font tant d'autres, j'avais un peu, sij'ose dire, le sentiment de ces parents qui ontraté leur existence et qui voient leurs enfantsréussir (vous voici donc mon fils, avec vostrente-trois ans!). Murée, j'aimais que quel-qu'un triomphât des barrières et des entraves.Cela me vengeait. Si à un moment vous aviezcessé d'être vous-même, ou cessé d'être heu-reux, vous auriez été comme un mandataireinfidèle, vous m'auriez trahie. Moi et beau-

coup d'autres, car je sais que nous étionsbeaucoup à sentir comme moi.

Je suis fière que vous écriviez ce que vousécrivez. Je suis fière que vous existiez tel quevous existez. Qu'un homme de votre espèceait un succès de public (ce qui est prodigieux),cela me réconcilie avec le monde c'est donc

que tout n'est pas perdu. Je ne saurais sup-porter qu'on ne vous aime pas, et il y a déjàtrois ans que je disais à ma meilleure amie« Si vous n'aviez pas aimé Costals (en tantqu'écrivain), je n'aurais pas donné cher de

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mon amitié pour vous. » Je tremble toujoursque vous fassiez quelque chose qui ne soitpas tout à fait « ça ». Si je vois, dans unjournal, un article de vous, j'ai toujours, aumoment de le lire, le petit frisson qu'avaitma mère, paraît-il, quand j'étais gosse, etqu'une voisine la prévenait « Dédée joueau bord de l'étang. » Mais ce que vous écrivezest toujours ce que j'attendais, de même que,lorsque je vous ai connu, vous étiez ce quej'avais imaginé. Mon Dieu! que ce miraclene cesse jamais! C'est un beau sentiment, voussavez, cette confiance chargée d'espoir qu'onmet dans un homme libre.

Quand je vous ai connu! Comment oubliervotre gentillesse, votre loyauté, votre bonnegrâce! Ce Costals inaccessible! Un frère trèsgrand et très illustre, mais un frère malgrétout. Le camarade idéal, avec qui l'on estde plain-pied, tout en devant lever un peula tête. Je craignais presque que vous ne mefissiez l'accueil qu'unécrivain qui a votreréputation. conquérante pouvait faire à unejeune fille qui l'admire et qui lui rend visite,et quoi que ce fût qui eût senti le désir phy-sique de vous à moi, ou de moi à vous, m'eûthumiliée. Aujourd'hui encore, je vous don-nerais ma vie, mais je ne me vois pas vousdonnant un baiser. Bien que la religion n'aitplus aucune prise sur moi, il m'est restéquelque chose de mon enfance très pieuse ettrès scrupuleuse (ne lisant jamais un livreen cachette, et n'en ayant jamais envie).Votre réserve a été pour moi une exquise

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découverte « réserve » égale « puissance »,aussi bien chez l'homme que chez la femme.Et puis, elle m'a montré que je n'étais paspour vous comme les autres. Et tout ce quevous avez fait pour moi conseiller meslectures, me trouver cette situation à Paris,perdue par ma faute m'a montré quevous étiez bon, ce qu'on n'aurait pu devinerpar vos livres. (Bon à vos heures, entendons-nous. Des choses en vous me font un peumal, vous ne l'ignorez pas. Encore que vousayez des droits particuliers.)

Dans un mois, j'irai passer quelques joursà Paris, pour une affaire liée à l'héritage dema mère. Dites-moi que vous y serez à cetteépoque.

Je vous serre la main, gravement.A. H.

Pardonnez la longueur de cette lettre. C'estplus fort que moi! Mais je vous promets dene pas vous écrire avant quinze jours.

(Cette lettre est restée sans réponse.)

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