Extrait de la publication… · R. C., Agates paradoxales, 1976. PRÉFACE GÉNÉRALE Les trois mémoires que je réunis aujour-d'hui ont été composés lentement, mais non continûment

Extrait de la publication


COLLECTION IDÉES



Roger Cailloisde l'Académie française

Cohérences

aventureuses

ESTHÉTIQUE GÉNÉRALISÉE

AU CŒUR DU FANTASTIQUE

LA DISSYMÉTRIE

mf

Gallimard

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays.

© Éditions Gallimard, 1962, pour Esthétique généralisée1965, pour Au cœur du fantastique

1973, pour La Dissymétrie.


SOMMAIRE

Préface générale. H

ESTHÉTIQUE GÉNÉRALISÉE

Avant-propos. 23

I. Les formes. 29

II. La beauté. 40

III. L'art. 51

AU CŒUR DU FANTASTIQUE

Introduction. 71

I. Première approche. 81II. Recours à l'emblème. 113

III. Le démon de l'analogie. 141

IV. Un fantastique inévitable et cohérent. 160

V. La fertilité de l'ambigu. 184

LA DISSYMÉTRIE

Avant-propos. 197

I. Le problème. 201


II. La symétrie proprement dite. 210

III. Progrès de la dissymétrie. 219

IV. La dissymétrie cosmique. 238

V. La droite et la gauche. 253

VI. Démarche de l'entropie inverse. 266

Appendice

Aperçu sur le rôle de la dissymétrie dans la sociétéet dans l'art. 273


Depuis que je me suis entiché desagates polyédriques, je cherche ceque je préfère en elles. Je soup-çonne parfois que la soigneuse dis-symétrie de leurs faces et de leurs

pentes est de toutes leurs singulari-tés celle qui me séduit davantage.J'y distingue, sinon une réponse dela nature, au moins une des méta-

phores possibles de la cohérence

aventureuse où j'aperçois pour mapart l'ambition commune de la

science et de la poésie.

R. C., Agates paradoxales, 1976.

PRÉFACE GÉNÉRALE

Les trois mémoires que je réunis aujour-d'hui ont été composés lentement, mais noncontinûment. Des intervalles sensibles en

séparent la rédaction. Une même préoccupa-tion les inspire, mais ils traitent de façondifférente de domaines différents. Je voudraisici préciser leur unité sous-jacente.

Esthétique généralisée, paru en 1962, estissu d'un manuscrit beaucoup plus étendu,que j'ai réduit de proche en proche à labrièveté d'une axiomatique. Au coeur dufantastique, publié en 1965, n'en était àl'origine qu'un chapitre détaché que j'aiensuite développé pour lui-même. Il s'attaqueà un problème particulier et local la gravureet la peinture caractéristiques d'un certain fan-tastique en Occident entre la Renaissance et leRomantisme. D'où les limites de mes réfé-

rences qui ne dépassent guère les frontières


Cohérences aventureuses

chronologiques et géographiques où ce fantas-tique particulier s'est manifesté dans les artsplastiques, parallèlement d'ailleurs à sonévolution dans le domaine littéraire.

Pourtant des prolongements significatifssont déjà explicitement envisagés dans lescommentaires qui accompagnent le frontis-pice du volume la taupe au nez étoilé, quiappartient à la nature, et non à l'art. Mais,définissant alors le fantastique comme unesorte d'accroc fait aux lois naturelles, jen'étais pas encore en mesure d'élaborer uneplus vaste conception celle du « fantastiquenaturel », dont j'ai donné plus tard l'esquissedans Cases d'un échiquier en 1970, et quidans certains cas m'autorisait à considérer le

fantastique lui-même comme une catégorie dela nature.

Des trois études, la plus ambitieuse et celledont la portée récuse par définition toutelimite est celle que j'ai consacrée en 1973 àLa Dissymétrie. Je m'y aventure à faire decette anomalie, que l'on tenait jusqu'alorspour un accident, un des principaux moteursde l'univers, celui qui s'oppose à l'entropie etqui en apparaît comme la contrepartie néces-saire, en sorte qu'elle explique le développe-


Préface générale

ment, l'enrichissement et la rami fication detoute donnée ou mécanisme. du monde, la

symétrie n'intervenant jjamais que commeéquilibre passager et à titre de verrou, destinéun jour à sauter. Je me flattais ainsid'articuler l'enseignement de Carnot, à savoirle second principe de la thermodynamique,avec celui de Darwin, la trans formation et

l'adaptation progressive des espèces. Aberra-tion ou solution. admissible d'un problèmeirritant je ne sais. J'ai rassemblé le dossieret j'ai suivi ce qui me paraissait, un fildirecteur.

Les trois dissertations ont un caractère

commun leur démarche quasi déductive etma décision de partir non pas de l'expé-rience, toujours incomplète et changeante,mais du dénombrement théorique des possibi-lités concevables. D'où la division quadripar-tite de la production des formes dans Esthé-tique généralisée accident, croissance, pro-jet et reproduction mécanique. De même, lahiérarchie spécialisante, qui examine d'abordles formes dans leurs caractères inévitables;puis, parmi elles, celles qui sont reconnuessoit admirables soit déplaisantes, qu'ellesproviennent de la natureou du talent



humain; enfin, parmi celles qui sont estiméesbelles, celles qui ont été conçues expressémentpour séduire, c'est-à-dire les œuvres d'art.

Le texte d'Esthétique généralisée étaitimprimé en rouge et noir sur le modèle d'uneancienne édition elzévirienne afin de mieuxmarquer, comme je l'indiquais dans l'avant-propos, «les mots clés, les formules directrices,les articulations maîtresses ». Tout ce quiétait imprimé en rouge dans l'édition de 1962se trouve ici imprimé en petites majuscules.

Au coeur du fantastique, qu'il faudraitmieux appeler, pour obéir à une suggestionheureuse d'André Chastel, « Au seuil du

fantastique », constitue l'équivalent pour lesarts plastiques des études que j'écrivais alorssur la métamorphose du fantastique dans lalittérature depuis les contes de fées jusqu'à larécente science-fiction. J'y crus discernerchaque fois une corrélation étroite entre desrécits aisément identi fiables et l'état de laculture aux époques où ces genres ont trouvé àla fois leurs personnages, leur décor, leursrègles du jeu, leur signi fication particulière.

Si le domaine d'Au coeur du fantastiqueest relativement restreint, il ne cherche pasmoins à découvrir, appliquées à JLa simulta-


Pré face générale

néité d'un tableau et non à la successivitéd'une narration, les mêmes conditions quifavorisent l'irruption dans la banalité quoti-dienne d'un insolite inquiétant, tenu d'abordpour impossible. D'où la classification desdiverses manières dont un artiste peut insi-nuer un détail mystérieux ou terrifiant dansun domaine où sa présence inacceptable estmenaçante de ce fait. J'envisageais ainsi lecas où le spectateur se trouvait en mesure dedéchiffrer l'énigme qui avait échappé aupeintre lui-même.

L'ouvrage était très abondamment illustré.J'y avais inclus de nombreuses reproductionsnon seulement caractéristiques des thèses quej'y défendais, mais pour la plupart fort peuconnues du grand public. Je souhaitais decette façon maintenir entière la fraîcheur dela surprise. Comme je devais, pour cetteraison, m'appliquer à les faire voir détail pardétail, je les ai décrites avec une précisionscrupuleuse, en sorte qu'il n'était pas indis-pensable qu'elles figurent dans la présenteédition. Toutefois, pour faciliter la tâche àl'amateur désireux de se reporter aux œuvrescommentées, ai laissé à la suite de l'ouvragela table des références utiles.



La Dissymétrie n'apporte, il va de soi,qu'une vue cavalière d'un phénomène auquelest cependant accordé, pour la première foispeut-être, une valeur aussi fondamentale,sinon décisive, en tout cas incontestablement

créatrice. Depuis lors, ont été publiés plu-sieurs répertoires dont je n'ai pu me servir etqui cataloguent chacun dans sa sphère desexemples remarquables de dissymétrie. Lelecteur pourra y recourir pour y étoffer mesdémonstrations chaque fois qu'il en éprouverala curiosité. Pour moi, je n'ai pu queprocurer des échantillons qui vont, il est vrai,des réactions des particules infra-atomiquesjusqu'au fonctionnement des institutionssociales et aux lois de la rhétorique ou de laprosodie. Le mémoire s'ef force essentiellementde montrer comment en chaque uniformité,donc chaque milieu homogène et équipollent,c'est-à-dire entièrement privé de pentes et dedirections, de centres, d'axes et de plansprivilégiés, en un mot asymétrique, s'établitet tend à persévérer un ordre stable, unesymétrie, un équilibre fixe, figé, celui descristaux par exemple, mais aussi il tentecorrélativement de mettre en lumière comment,

dans chaque organisme vivant jusqu'aux plus


Pré face générale

différenciés, à mesure que la vie s'invente denouvelles exigences commencent à germer età s'organiser des structures inédites, quid'abord paraissent bancales, car à celles-ci,c'est justement la dissymétrie qui ouvre lavoie. Différente de l'asymétrie, qui est symé-trie nulle ou infinie, et même son contraire,la dissymétrie fait éclater la symétrie quiankylose tel système transitoire et elle intro-duit en lui une chance supplémentaire deliberté et de ressources. J'ai tenté de suivre la

présence efficace de ce ressort essentiel del'univers jusque dans les spéculations les plushardies de l'intelligence et de l'imagination

J'ai nommé ces trois relations Cohé-

rences aventureuses. Je veux dire par là queje suis persuadé que l'expérience est toujourspartielle et la raison facilement trompeuse. Jecrois à une logique flexible, quoique intraitablesur sa syntaxe fondamentale, j'entends qui nes'accorde aucune facilité dite dialectique,mais qui s'accommode au contraire de toutassouplissement à quoi l'oblige une donnéeinattendue dûment constatée. Une logique de

Cohérences aventureuses. 2.



cette sorte est moins effrayée par l'extravagantque séduite automatiquement par le vraisem-blable ou le raisonnable, dont elle se dé fie parméthode autant que d'instinct.

Mon propos est une cohérence extensive,une articulation à la fois rigoureuse etouverte qui, s'il le faut, sacri fie allègrementune opinion reçue, un truisme accrédité, afinde pouvoir, dans les cases vacantes du puzzlegénéral, situer des faits inédits ou a fin deconférer à l'organigramme une rigueur sup-plémentaire. Comme il arrive dans l'histoirequ'un peuple vaincu civilise son sauvagevainqueur, il advient aussi que la délicatessedes mécanismes assimilés contraigne lalogique conquérante à une plus grande subti-lité, de sorte qu'elle se transforme à mesurequ'elle accroît son empire.

Je m'étonne dans un de mes derniers écrits

que presque tous les savants de la fin duxvme,dont Lavoisier, aient nié l'existencedes météorites. Il leur paraissait exclu quedes pierres pussent tomber du ciel. Dans cesconditions, je me suis hasardé à présentercomme « l'une des composantes les plusremarquables de l'esprit scienti fique le goût,sinon la recherche, de ce que j'aimerais



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